Notes
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[1]
Gregory v. Aschcroft, 501 U.S. 452, 461-462.
-
[2]
Northwest Austin Municipal Util. Dist. No. One v. Holder, 557 U. S. 193, 203.
-
[3]
Katzenbach v. Morgan, 384 U.S. 641 (1966).
-
[4]
Il va sans dire que le droit résonne ici de culture et d’histoire politiques, même si ces considérations ne seront pas nécessairement développées dans les présentes pages : l’existence d’une véritable culture politique anti-étatiste et/ou libertarienne, l’importance accordée au « local » et à la « proximité », la manière de penser la discrimination, etc.
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[5]
L’élection des juges et des procureurs n’est pas traitée dans la présente étude car elle pose des questions spécifiques et que nous avons commencé d’exposer ailleurs. D’autres « localismes » électoraux ne sont pas moins remarquables et qui ne sont pas davantage exposés. Tel est le cas, par exemple, du vote par voie postale. Cette modalité de vote a ainsi un caractère général et impérieux (« All-mail Elections ») dans trois états (le Colorado, l’Oregon, l’État de Washington) dans lesquels les électeurs reçoivent par voie postale leurs bulletins de vote : après avoir coché la case pertinente, ils consignent leur bulletin dans une enveloppe scellée qui est consignée elle-même dans une enveloppe postale signée par l’électeur afin d’attester de son identité, le tout étant adressé par voie postale aux services administratifs chargés des élections. Vingt-deux autres états ont « postalisé » certaines de leurs élections politiques. La « postalisation » du vote a une importance dans le débat public local aux états-Unis qui, à première vue, est paradoxale dans une période historique où la question est plutôt celle de la généralisation du vote électronique dans les autres démocraties. Deux éléments font néanmoins que ce paradoxe est simplement apparent : il s’agit d’une part de la grande mobilité géographique des Américains et, d’autre part, de la « profondeur territoriale » des états-unis et la géographie humaine qui l’accompagne, avec notamment de très nombreuses municipalités « reculées ».
-
[6]
Selon des mots célèbres du juge Douglas dans Griswold v. Connecticut (1965).
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[7]
Sur la portée de cet Amendement, voir quelques lignes plus loin.
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[8]
Voir notre notice « Démocrati (Institutions) » in Dictionnaire encyclopédique de l’État (P. Mbongo, Fr. Hervouët et C. Santulli, dir.), Berger-Levrault, 2014, pp. 211-222.
-
[9]
Matt Apuzzo, « Students Joining Battle to Upend Laws on Voter ID. College Students Claim Voter ID Laws Discriminate Based on Age », New York Times, 5 juillet 2014.
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[10]
Sur ce débat, voir notre étude « De la connaissance décentrée du droit américain : l’exemple du fédéralisme » (pp. 107-127) et celle de Kevin Hamilton & Kevin Stafford, « La controverse sur l’authentification des électeurs : entre l’effectivité du droit de suffrage et la lutte contre la fraude électorale » (pp. 129-149), in Le Droit américain dans la pensée juridique française contemporaine. Entre Américanophobie et Américanophilie, p. Mbongo & R. L. Weaver (dir.), LGDJ, 2013.
-
[11]
Pierre Rosanvallon, Le Sacre du citoyen. Histoire du suffrage universel, éditions Gallimard, 1992, pp. 417-418.
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[12]
Mark Martin v. Freedom Kohls et alii.
-
[13]
Deux décisions judiciaires fédérales vont dans ce sens. La première est une décision rendue par la Cour suprême le 28 avril 2008, Crawford et al. V. Marion County Election Board et al. La deuxième est une decision de la Cour fédérale d’appel pour le 11e Circuit du 14 janvier 2009, Common cause/Georgia et al. & NAACP v. Ms. Evon Billups et al.
-
[14]
L’Indiana dit avoir dépensé dix millions de dollars entre 2007 et 2010 en vue de la délivrance gratuite de cartes d’identité aux électeurs de l’État. Source : Karen Shanton, « Costs of Voter ID », Legisbriefs, vol. 21, n° 12, mars 2013.
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[15]
Karen Shanton, « Costs of Voter ID », Legisbriefs, vol. 21, n° 12, mars 2013. Les États revendiquent d’autres dépenses liées aux nouvelles législations : des dépenses d’achat de matériel informatique, des dépenses d’édition de nouveaux formulaires administratifs, des dépenses de communication à destination des électeurs sur les nouvelles législations que la Géorgie évalue à 840 000 dollars dans la période allant de septembre 2007 à novembre 2008 (Karen Shanton, op. cit.).
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[16]
Sur cette surveillance, voir notre étude précitée « De la connaissance décentrée du droit américain : l’exemple du fédéralisme ».
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[17]
John C. Knechtle, « La Cour suprême des États-Unis et la non-discrimination. D’hier à aujourd’hui », Politeia, juin 2014.
-
[18]
Deux choses dépassant le cadre de la présente étude et qui mériteraient un intérêt particulier sont à noter ici. Il s’agit en premier lieu de l’importance dans la législation américaine de clauses de révision périodique des textes ou de sortie de vigueur des textes à l’expiration d’un certain délai (sunset clauses), des clauses dont l’effectivité n’est pas théorique compte tenu des « cohabitations » politiques entre démocrates et républicains au Congrès et des alternances électorales. La deuxième chose se rapporte à la référence de la Cour suprême à la construction d’un « avenir meilleur », une expression courante dans les décisions de la Cour relatives aux droits civiques et à la question raciale et qui sourd d’une forme de foi américaine dans « le progrès de l’esprit humain », pour parler comme Condorcet.
-
[19]
Une proposition de loi portée par des élus républicains et démocrates et contenant ces propositions a été déposée au Congrès en janvier 2014 (Voting Rights Amendment Act of 2014).
-
[20]
Dans American Tradition Partnership, Inc. v. Bullock du 25 juin 2012, la Cour suprême des États-Unis a rejeté la prétention de la Cour suprême du Montana de s’abstraire de sa jurisprudence Citizen United v. Federal Election Commission. La Cour suprême a fait valoir qu’elle avait bel et bien décidé dans Citizens United que la faculté pour des entreprises de subventionner des activités politiques était protégée par le Ier Amendement et qu’elle avait précisément opposé ce principe à une loi fédérale de même nature que celle du Montana. Sur la législation litigieuse du Montana et l’arrêt de la Cour suprême de l’état, voir notre note : « Financement des campagnes électorales par les entreprises : la Cour suprême du Montana (Western Tradition v. Attorney General, 30 décembre 2011) oppose un « exceptionnalisme » du Montana à la Cour suprême fédérale », 19 janvier 2012 (http://droitamericain.fr/Financement-des-campagnes.html)
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[21]
En 2014, ce plafond est de 2 600 dollars par élection pour un candidat à l’élection présidentielle ou au Congrès.
-
[22]
Nous traduisons False statements par « allégations diffamatoires et mensongères » dans la mesure où, d’une part l’expression désigne y compris des allégations inexactes, « fausses », mais avantageuses, et où, d’autre part, dans le lexique et le droit français, des allégations peuvent être mensongères sans être diffamatoires.
-
[23]
À proprement parler, il existe des législations relatives à la qualité de la propagande électorale dans trente-et-un États. Dans une vingtaine d’entre eux, ces législations sont donc dirigées spécialement contre les allégations diffamatoires et mensongères (Oregon, Washington, Dakota du Nord, Minnesota, Wisconsin, Utah, Arizona, Floride…). Mais il existe par ailleurs des États (Arkansas, Californie, Illinois, Maine, Montana, Nevada, Texas, Virginie occidentale) dans lesquels les candidats peuvent ou sont tenus (Arkansas) de s’engager à mener leurs campagnes de manière loyale ou éthique : par suite, les candidats peuvent se prévaloir de cet engagement éthique dans leur propagande (l’électeur étant ainsi encouragé à être défiant à l’égard des discours ne revendiquant pas ce label éthique).
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[24]
United States district Court, Southern district of Ohio Western division, Susan B. Anthony List v. Ohio Elections Commission, 11 septembre 2014.
-
[25]
132 S. Ct. 2537, 2550 (2012) : “The remedy for speech that is false is speech that is true. This is the ordinary course in a free society. The response to the unreasoned is the rational; to the uninformed, the enlightened; to the straight-out lie, the simple truth.”
-
[26]
281 Care Comm. v. Arneson, n° 13-1229, 2014 U.S. App. LEXIS 16901 (8th Cir. Sept. 2, 2014).
-
[27]
Fed. Reg. 39439, July 3, 2012.
-
[28]
Il n’existe pas moins, mais ils sont rares, de référendums purement consultatifs, soit au niveau de l’État, soit au niveau des collectivités infra-étatiques.
-
[29]
Sur la Full Faith and Credit Clause, voir notre étude « De la connaissance décentrée du droit américain : l’exemple du fédéralisme », in Le Droit américain dans la pensée juridique française contemporaine. Entre Américanophobie et Américanophilie, p. Mbongo & R. L. Weaver (dir.), LGDJ, 2013, pp. 107-127.
-
[30]
Voir notre note « Révocation (Recall) du Gouverneur : une nouvelle prérogative constitutionnelle des citoyens de l’Illinois », 11 mai 2011 : http://droitamericain.fr/La-revocation-Recall-du-Gouverneur.html
-
[31]
Voir notre notice « Démocratie (Institutions) » in Dictionnaire encyclopédique de l’État, (P. Mbongo, Fr. Hervouët et C. Santulli, dir.), Berger-Levrault, 2014, p. 211-222.
-
[32]
Cette expression est de loin préférable et préférée dans les sciences du politique à celle de « crise de la représentation » qui est devenue superficielle à force d’usages politico-médiatiques et qui, surtout, est trop peu soucieuse de l’historicité du gouvernement représentatif.
-
[33]
« The Citizenship Agenda », in Jack M. Balkin & Reva B. Siegel (dir.), The Constitution in 2020, Oxford University Press (USA), 2009, p. 109-142.
1 Le caractère fondateur des États-Unis en matière démocratique peut se vérifier de manière « littéraire » d’abord. Il y a d’une part la formule célèbre par laquelle en 1787, le préambule de la Constitution américaine affirme le principe de la souveraineté du peuple : Nous, le peuple des États-Unis… Ordonnons et établissons la présente constitution pour les États-Unis d’Amérique. Il y a d’autre part la célèbre définition des institutions américaines par Abraham Lincoln comme étant Le Gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple.
2 Les États-Unis sont le pays du monde qui compte le plus grand nombre de consultations populaires : les unes sont nationales, comme l’élection du président des États-Unis, l’élection des membres de chacune des chambres du Congrès ; les consultations populaires y sont cependant d’abord un phénomène local : on vote au niveau de chaque État pour désigner le Gouverneur, les membres des différentes assemblées locales à commencer par le parlement de chaque État, les juges, les maires, les shérifs, les directeurs des écoles publiques… De la même manière, on vote dans certains États pour révoquer (Recall) le Gouverneur, les maires, les juges, les shérifs… Et dans différents États, il existe régulièrement des référendums soit au niveau des États, soit au niveau des collectivités inférieures.
3 Les États fédérés américains sont constitutionnellement compétents pour statuer sur toutes les questions qui n’ont pas été réservées à l’État fédéral (Xe Amendement), une compétence qui inclut notamment « le pouvoir de réglementer les élections [1] ». D’autre part, un « principe fondamental d’égale souveraineté » protège les États contre un traitement inégal du législateur fédéral, autrement dit contre une application non-uniforme de la législation fédérale sur l’ensemble du territoire [2], seules des circonstances exceptionnelles et un « besoin actuel » (a current need) pouvant justifier un exercice aussi singulier (an uncommon exercise) par le Congrès de son pouvoir de légiférer [3]. Il convient d’avoir ces principes constitutionnels à l’esprit en même temps que ceux relatifs au droit de vote et à la liberté d’expression pour comprendre, en droit [4], certains débats législatifs ou judiciaires américains en matière d’organisation et de réglementation des élections. En parlant d’industrie des élections, l’on n’envisage pas seulement de rendre compte de ce qu’est l’hyperdémocratie locale aux États-Unis [5] (III). Il s’agit aussi de voir comment différentes questions d’ingénierie électorale sont saisies par les « pénombres et les émanations de la Constitution [6] » relatives au fédéralisme ou à la protection constitutionnelle des droits, qu’il s’agisse de questions intéressant l’universalité du suffrage (I) ou de questions intéressant l’argent des élections (II).
I – Effectivité et ineffectivité de l’universalité du suffrage
4 La Constitution américaine confère expressément le droit de vote à tout citoyen américain âgé de 18 ans au moins, sans distinction de sexe, de race ou de religion. Toutefois, ce droit n’est devenu effectif que de manière progressive, à travers sept étapes principales : – en 1865, l’abolition de l’esclavage par le XIIIe Amendement à la Constitution ouvre théoriquement le droit de vote aux Noirs ; – en 1868, une nouvelle modification de la Constitution des États-Unis, le XIVe Amendement, reconnaît la qualité de citoyen des États-Unis à toute personne née ou naturalisée aux États-Unis ; – en 1870, le XVe Amendement à la Constitution interdit toute restriction au droit de vote fondée sur la race, la couleur ou la condition antérieure de servitude ; – ce n’est qu’en 1920, à la faveur du XIXe Amendement, que le droit de vote est élargi aux femmes ; – il faut attendre la loi sur l’égalité des droits civiques en 1965 pour que le XVe Amendement devienne effectif en faisant accéder les Afro-Américains au droit de suffrage ; – le dernier moment de référence de cette histoire institutionnelle du vote aux États-Unis remonte à 1970 et 1971 avec d’une part le Voting Rights Act de 1970 qui abaissa la majorité à 18 ans pour les élections fédérales et, d’autre part, le XXVIe Amendement qui établit de manière générale la majorité électorale à 18 ans [7]. Le XXVIe Amendement était doublement de circonstance puisque, d’une part, il intervient dans le contexte de la guerre du Vietnam et du décalage entre la faculté pour des jeunes de 18 ans d’être engagés dans la guerre lorsqu’ils ne pouvaient pas voter, faute d’avoir 21 ans, et que, d’autre part, il tire les conséquences de la décision Oregon v. Mitchell (1970) par laquelle la Cour suprême a censuré les dispositions du Voting Rights Act de 1970 qui imposaient aux États un abaissement de la majorité électorale à 18 ans.
5 L’universalisation continue du suffrage n’est pas une histoire arrivée à son terme. Deux questions désormais posées dans la plupart des États démocratiques ont une certaine antériorité américaine, celle du droit de vote des aliénés et celle de l’abaissement de l’âge électoral [8]. Dans le dernier cas, l’interprétation du XXVIe Amendement est en jeu, lorsque par exemple de jeunes gens âgés de moins de 18 ans forment des recours devant des tribunaux (plus exactement devant la cour fédérale de district à Winston-Salem en Caroline du Nord, en 2014 [9]) afin de contester leur incapacité électorale et en faisant valoir que cette disposition constitutionnelle ne signifie pas que l’âge constitutionnel pour voter est de 18 ans mais que toute personne ayant atteint 18 ans ne peut être privée du droit de voter.
A – L’authentification des électeurs
6 La question de l’authentification des électeurs est l’une des plus ardentes dans le débat public américain des plus récentes années, à la faveur des initiatives formées par différentes législatures d’État et différents gouverneurs tendant à exiger un document d’identité, et souvent un document d’identité avec une photographie, lors du vote. Cette question est ardente, entre autres raisons : parce que les minorités raciales voient dans ces législations des mesures constitutives d’une discrimination à leur égard ; parce que les adversaires de ces législations font valoir devant les tribunaux que l’exigence d’une pièce d’identité (avec photographie) constitue une condition à l’exercice du droit de vote qui vient s’ajouter irrégulièrement à celles limitativement prévues par la Constitution fédérale ou par la Constitution de l’État [10]. Le tableau ci-après offre un aperçu de législations d’État en matière d’authentification des électeurs.
7 L’un des traits caractéristiques des débats juridiques autour de l’authentification des électeurs est dans le fait que ce soit souvent au regard des constitutions des états que statuent les juridictions desdits états, du moins lorsque les opposants à ces législations s’adressent à ces juridictions plutôt qu’aux juridictions fédérales sur le fondement de la Constitution des États-Unis. Or nombreuses sont les juridictions d’État qui invalident ces législations : ainsi, le 17 janvier 2014, un juge unique de l’État de Pennsylvanie (Commonwealth Court, Harrisburg : Viviette Applewhite et al. v. The Commonwealth of Pennsylvania) a conclu à la violation de la Constitution de l’État par la loi de l’État exigeant un document d’identité pour voter. Le 24 avril 2014, un juge d’État en a décidé également ainsi pour la loi de l’Arkansas (Circuit Court of Pulaski County : Pulaski County Election Commission et al. v. Arkansas State Board of Election Commissioners). Le 1er août 2014, la Cour suprême du Wisconsin décida dans le même sens (League of Women Voters v. Walker).
8 Les préventions particulières des juridictions d’État reposent en général sur une lecture restrictive des dispositions des Constitutions desdits États prévoyant généralement que le droit de voter est reconnu à toute personne a) de nationalité américaine, b) résidant dans l’État, c) âgée de dix-huit ans au moins, d) régulièrement inscrite sur les listes électorales. De fait, cette lecture restrictive est appliquée en matière d’authentification des électeurs alors qu’elle ne l’est pas, par exemple, pour des lois d’État prévoyant la privation de droits civiques par suite de condamnations pénales (ou pour les prisonniers). L’explication de cette différence est politique et historique : les lois relatives à l’authentification des électeurs sont perçues par beaucoup, les juges compris, comme une réminiscence des barrières locales au droit de suffrage – ou des tentatives en ce sens – qui ont jalonné l’histoire politique et constitutionnelle américaine, au-delà même de la question raciale et de l’application effective du XVe Amendement. Pierre Rosanvallon a saisi l’importance de cette ambition d’une Safe Democracy lorsqu’il écrit : « Après 1870, lorsque les discriminations raciales en matière de suffrage furent légalement abolies, de nombreux états du Sud multiplièrent les ruses pour continuer à écarter les Noirs (mise en place de literacy tests, grandfather clauses, etc.). Mais au-delà de ces manœuvres et de la crainte de voir l’Amérique anglo-saxonne submergée par des flots d’immigrants, qui a suscité de puissants mouvements comme celui des Know nothing, il y a eu pour des motifs très profonds la conscience que la société reposait en fin de compte sur la qualité des individus, puisqu’il n’y avait rien d’autre, ni traditions ni institutions héritées, sur quoi la démocratie puisse se fonder. C’est pourquoi, bien au-delà de la peur du nombre qui a épisodiquement secoué l’Amérique blanche, les états-Unis ont été une terre de mission pour les eugénistes. L’idée de safe democracy y a été très importante [11]. »
9 Ce passé est ainsi invoqué expressément par la Cour suprême de l’Arkansas dans l’arrêt du 24 octobre 2014 dans lequel elle invalide la loi de l’Arkansas relative à l’obligation de produire le jour du vote une pièce d’identité revêtue d’une photographie : « Pendant environ 150 ans, cette Cour est restée ferme dans son adhésion à l’interprétation stricte des qualifications d’électeur requises par la Constitution de l’Arkansas. Dans Rison v. Farr, 24 Ark. 161 (1865), le bulletin de vote de Farr fut rejeté après que l’intéressé a refusé de souscrire à un serment statutaire aux termes duquel il défendrait la Constitution des États-Unis et la Constitution de l’Arkansas [et reconnaissait] qu’il n’avait pas volontairement porté des armes contre les états-Unis ou l’Arkansas, et qu’il n’avait pas aidé, directement ou indirectement, les autorités Confédérées depuis le 18 avril 1864. Nous avons rejeté cette exigence, en faisant valoir qu’en tant qu’elle constituait un prérequis au vote, le serment statutaire prescrit par le parlement de l’Arkansas était en conflit direct avec la Constitution de l’Arkansas [12]. »
10 À la lisière du débat juridico-constitutionnel, l’authentification des électeurs soulève des questions financières. En effet, les États auraient pu vouloir faire peser la charge financière de la fabrication de documents d’identité avec photo sur les électeurs eux-mêmes s’ils n’étaient convaincus de l’annulation judiciaire de toute législation exigeant de l’électeur qu’il acquitte des frais de cette nature [13]. Aussi certains États (l’Indiana, le Colorado ou le Kansas) ont-ils fait le choix de supporter eux-mêmes le coût de la délivrance de cartes d’identité utilisables en matière électorale, quitte à répartir ce coût entre les différents niveaux d’administration locale [14]. Même lorsque des frais ne sont pas exigés des électeurs en vue de l’obtention d’une carte d’identité, la question ne se pose pas moins de savoir s’il n’y a pas, malgré tout, une dépense indirecte pour l’électeur si ce dernier doit présenter des documents (par exemple des fiches d’état civil) pour l’obtention desquels des frais sont exigés. La Cour suprême du Missouri a statué dans ce sens le 16 octobre 2006 dans Kathleen Weinschenk, et al., v. State of Missouri. Par suite, « les États voudraient-ils avoir une sécurité juridique, ils devraient s’assurer de ce que les cartes d’identité sont plus accessibles – le cas échéant en supprimant les frais de délivrance des certificats de naissance et/ou en augmentant les horaires d’ouverture des services administratifs chargés de délivrer les cartes d’identité [15] ».
11 Les majorités républicaines qui promeuvent des lois exigeant des justificatifs particuliers d’identité pour voter se voient reprocher de faire ainsi la « guerre aux pauvres » en général et aux pauvres appartenant aux minorités en particulier. Dans cette mesure, ce n’est pas la fraude électorale qui est le point névralgique du débat sur l’authentification des électeurs, mais plutôt la « question sociale » et la « question raciale », comme dans le débat tranché par la Cour suprême en 2013 dans Shelby County v. Holder.
B – Les discriminations à l’égard des minorités : Shelby County v. Holder
12 Le Voting Rights Act de 1965 compte parmi les nombreux textes fédéraux organisant une surveillance fédérale de la gouvernance locale [16]. Cette loi fut adoptée par le Congrès en vue de conjurer des pratiques discriminatoires en matière électorale. Dans sa rédaction originelle, le texte ne désignait que les discriminations dirigées contre les minorités raciales (les Noirs en l’occurrence) dans les élections au niveau de l’État, au niveau des comtés, des villes et des municipalités, des districts scolaires ou toutes autres élections publiques. C’est en 1975 que son champ d’application fut élargi aux « minorités linguistiques » telles que les électeurs hispanophones, les électeurs d’origine indienne, les électeurs d’origine asiatique, etc.
13 Les procédures, les normes ou les pratiques visées par la loi consistaient par exemple en l’exigence de pré-requis en vue de l’inscription sur les listes électorales (test d’alphabétisation, test de langue anglaise), dans l’établissement du matériel électoral en anglais seulement, dans des découpages électoraux (Gerrymandering) intéressés à « diluer » le poids démographique de ces minorités (soit en les divisant en plusieurs circonscriptions électorales [cracking], soit en les faisant absorber dans différentes circonscriptions électorales dans lesquelles elles eussent été minoritaires [submerging]). Les prescriptions du Voting Rights Act visant les découpages électoraux dirigés contre les minorités furent validées par la Cour suprême dans Thornburg v. Gingles (1986) sous certaines conditions. Initialement, les requérants doivent établir que l’on est en présence d’une circonscription électorale uninominale « géographiquement compacte » et dans laquelle les membres du groupe minoritaire composent une majorité de la population en âge de voter ; qu’il existe une « cohésion politique » de la minorité concernée ; qu’il existe un vote de la majorité blanche dirigée systématiquement contre les candidats portés par la minorité en question. Ce n’est qu’ensuite que les requérants doivent apporter la preuve de ce que, au regard de « l’ensemble des circonstances », le pouvoir électoral d’une minorité raciale ou linguistique a été annihilé, la discrimination dont il s’agit pouvant être directe ou indirecte.
14 La Section 4 du Voting Rights Act consistait doublement en une « formule de couverture » (coverage formula) définissant le champ d’application territorial de la section et en une exigence de validation fédérale préalable (preclearance) définissant la prescription applicable. La « formule de couverture » s’appliquait aux États ou aux collectivités territoriales ayant entretenu des tests ou des dispositifs comme des prérequis au vote et dont le taux d’inscription et de participation électorale était particulièrement bas dans les années 1960 et les années 1970 (la Géorgie, le Texas, le Mississippi, la Louisiane, l’Alabama, l’Arizona, la Caroline du Sud, la Virginie, la Floride). Ces entités territoriales ne pouvaient adopter de modifications dans leur législation électorale qui n’aient été préalablement approuvées par l’État fédéral (preclearance) au titre de sa garantie de l’effectivité de la Constitution fédérale et de la lutte contre les discriminations.
15 Défini à l’origine pour une durée de cinq ans, ce mécanisme fut renouvelé constamment, et plus récemment en 2006 pour une nouvelle durée de vingt-cinq ans, mais avec une définition inchangée de son champ d’application (soit la référence au taux d’inscription et au taux de participation dans les années 1960 et 1970). Aussi est-ce à la faveur de cette prorogation que la Cour suprême eut l’occasion d’exprimer ses premiers doutes sur la constitutionnalité de ce mécanisme eu égard à sa pérennisation : dans Northwest Austin Municipal Util. Dist. No. One v. Holder (2009), pour avoir pu accéder à la demande de l’institution requérante (une entité territoriale qui contestait sa subsomption dans le champ d’application de la Section 4) sur la base de la législation en vigueur, la Cour suprême se dispensa de répondre directement au grief d’inconstitutionnalité dirigé contre ce mécanisme.
16 C’est donc plutôt dans Shelby County v. Holder rendu le 25 juin 2013 [17] que la Cour suprême a conclu à l’inconstitutionnalité de la Section 4 du Voting Rights Act. L’arrêt, rendu sur la demande du comté de Shelby en Alabama et sur les conclusions du président John Roberts (des conclusions qui n’ont rallié que 5 voix au sein de la Cour), déjuge la cour fédérale de district et la cour fédérale d’appel, ces deux juridictions fédérales s’étant laissé convaincre par le Département fédéral de la Justice de la pertinence des arguments mobilisés devant le Congrès en faveur de la prorogation de ce mécanisme. La conclusion de la Cour dans Shelby County v. Holder procède de la combinaison de deux types de considérations, les unes proprement juridiques, les autres plutôt factualistes.
17 En droit, les dispositions litigieuses apparaissent à la Cour comme constituant incontestablement une immixtion de l’État fédéral dans la compétence constitutionnelle des États fédérés en matière électorale ainsi qu’une application non-uniforme de la législation fédérale sur l’ensemble du territoire (le texte ne s’appliquant qu’à neuf États). Comme la Cour l’a conçu dans South Carolina v. Katzenbach (1966), des circonstances exceptionnelles pouvaient objectivement justifier ces dispositions dans les années 1960 : l’existence vérifiée de tests en vue de l’inscription électorale, un taux de participation des Noirs à l’élection présidentielle de 1964 inférieur de douze points au taux national… Or la Cour dit constater que cinquante ans plus tard, « très largement grâce au Voting Rights Act », les choses ont radicalement changé : le taux d’inscription électorale des minorités a considérablement cru, le nombre de candidats issus des minorités exerçant des fonctions électives atteint « des niveaux sans précédent », les tests et autres expédients exigés en vue de l’inscription électorale sont universellement interdits. Dès lors que le Congrès, en 1965, avait procédé à travers une distinction entre ceux des États ayant une histoire récente de discriminations dans les inscriptions électorales et des taux anormalement faibles d’inscriptions et ceux des États n’ayant pas ces caractéristiques, la dégradation factuelle de cette distinction, voire sa quasi-disparition, aurait dû justifier sinon une abrogation de ces dispositions, du moins la révision par le Congrès de leur champ d’application territorial et/ou bien de leur substance. Car, poursuit la Cour, le XVe Amendement n’est pas voué à « punir le passé » mais à construire un avenir meilleur (« The Fifteenth Amendement is not designed to punish for the past ; its purpose is to ensure a better future ») [18]. Entre autres solutions alternatives envisagées par le Congrès depuis la décision de la Cour, il y a l’idée d’une limitation du système antérieur aux seuls États ayant fait l’objet de cinq condamnations au moins pour violation des droits électoraux des citoyens dans les quinze dernières années ou celle d’une obligation pour les États d’informer significativement et longtemps à l’avance les électeurs de changements dans l’organisation des élections (redécoupages électoraux, déplacements de bureaux de votes) [19].
II – L’argent des élections, entre la liberté d’expression et la corruption
18 L’importance de l’argent dans les campagnes électorales américaines est d’autant mieux documentée que les obligations légales de transparence font savoir ce qui est donné aux candidats et aux partis et ce qu’ils dépensent. Un certain nombre d’observations voudront néanmoins être faites sur l’ergonomie de la législation américaine et sur la publicité politique et électorale.
A – Réglementation nationale, réglementations locales
19 La question de l’argent des élections s’établit en réalité à deux niveaux, celui des élections nationales (Congrès, présidence) qui seules sont concernées par la législation fédérale et celui des élections politiques dans les États qui dépendent de la seule législation de ces états. Sans être identiques à la législation fédérale, les législations d’État lui sont néanmoins ressemblantes dans la mesure où elles aussi établissent trois types de dispositifs.
20 Le premier dispositif légal est celui de la transparence des montants et des sources de financement des campagnes électorales. La portée de ce dispositif peut varier entre les états, à propos de l’étendue des informations devant être portées à la connaissance du public et sur la périodicité de cette publicité. Ce dispositif a néanmoins une importante limite : il ne s’applique pas aux « dépenses indépendantes » (independent expenditures) de la maîtrise des candidats et de leur équipe de campagne, ces dépenses étant pour l’essentiel l’achat d’espaces publicitaires à la radio et à la télévision (et la confection des spots publicitaires afférents) en soutien ou en dénigrement d’un candidat. Pour ainsi dire, ces dépenses sont analysées par les tribunaux, Cour suprême comprise, comme des modalités de la liberté d’expression de ceux qui commettent souverainement de telles dépenses. Pour n’être pas justiciables des dispositifs légaux relatifs aux limitations des dons aux candidats ou de leurs dépenses, ces dépenses sont néanmoins soumises à des règles de transparence sur l’identité des groupements ou des individus qui les commettent (sauf dans l’Indiana, la Caroline du Sud et le Nouveau-Mexique), les juges ayant considéré que cette transparence participe du droit à l’information du public. Les modalités de cette transparence varient cependant entre les États quant au niveau de dépenses qui la déclenche et à sa périodicité.
21 Le deuxième dispositif consiste en des plafonds légaux de contribution aux campagnes électorales, dont quatre états seuls ne disposent pas. La National Conference of State Legislatures a ainsi calculé en 2012 qu’en moyenne ce plafond s’établit à 7 500 dollars par personne en faveur d’un candidat à une élection de gouverneur et pour un même cycle électoral, 3 300 dollars en faveur d’un candidat à une élection à la chambre basse de l’état, 3 700 dollars en faveur d’un candidat au Sénat de l’état. Et, lorsque 25 états limitaient les contributions des entreprises, 21 les interdisaient purement et simplement avant l’arrêt Citizens United de la Cour suprême.
22 Le troisième dispositif, enfin, consiste en des limitations du montant des dépenses électorales des candidats. Ces limitations, qui sont en elles-mêmes contraires au Ier Amendement et à la liberté d’expression, se perpétuent dans les conditions fixées par la Cour suprême dans Buckley v. Valeo (1976) et Randall v. Sorrell (2006) : elles ne peuvent être qu’optionnelles, notamment en vue d’une prétention alternative à l’obtention de fonds publics. Les vingt-quatre États qui ont intégré un tel dispositif dans leur législation proposent ainsi à titre alternatif un financement public partiel (celui-ci est réputé très faible), voire un financement public quasi-total, en contrepartie d’une limitation par le candidat de ses dépenses de campagne ou des contributions privées.
23 Les arrêts Citizens United et McCutcheon ne démantèlent donc pas plus la législation fédérale que les législations d’État. Elles en annihilent néanmoins deux points névralgiques.
B – Citizens United et McCutcheon : l’argent est-il un discours, une parole ?
24 Dans sa décision Citizens United v. Federal Election Commission rendue au terme d’un âpre débat et d’une profonde division de la Haute Juridiction (majorité de 5-4), la Cour suprême des États-Unis a décidé le jeudi 21 janvier 2010 que l’interdiction faite par la loi aux entreprises et aux syndicats d’utiliser souverainement leur propre argent afin de soutenir ou de s’opposer (à) des candidats à des mandats électoraux et à des fonctions publiques électives – une interdiction assortie de sanctions pénales – constitue une violation du Ier Amendement de la Constitution des États-Unis (liberté d’expression). Citizens United v. Federal Election Commission constitue ainsi un revirement par rapport à Austin v. Michigan Chamber of Commerce (1990) et McConnell v. FEC (2003) [20]. Dans McCutcheon v. Federal Election Commission rendu le 2 avril 2014, la Cour suprême, toujours sur le fondement du Ier Amendement, a conclu à l’inconstitutionnalité de la disposition législative fédérale qui fixait le plafond des dons qu’une seule personne physique était susceptible de faire aux candidats et aux partis dans le cadre d’un cycle électoral (un peu plus de 123 000 dollars pour 2013 et 2014). Certes, a admis la Cour, les grands donateurs peuvent avoir de l’influence – et le contrôle d’influence est légitimement recherché à travers les obligations légales de transparence – toutefois la corruption suppose une contrepartie qui n’est formalisable que dans le cadre de dons à un seul et même candidat. Aussi la Cour n’a-t-elle pas mis en cause les plafonds légaux relatifs aux dons individuels susceptibles d’être versés à un seul et même candidat ou comité d’action politique (Political Action Committee, PAC) [21].
25 La Cour suprême a donc fait siennes les doctrines ayant durablement soutenu que la faculté pour des entreprises, et plus généralement pour des personnes privées, d’apporter librement leur aide financière à des candidats aux fonctions politiques électives était inhérente à la liberté d’expression garantie par le Ier Amendement.
26 L’importance de Citizens United v. Federal Election Commission et de McCutcheon v. Federal Election Commission devrait, sur la longue durée, s’établir (et ce en bien ou en mal), à un double niveau : au niveau du droit et de la pratique du financement des campagnes électorales aux États-Unis, puisque la décision de la Cour suprême peut induire une révision de la législation fédérale ; au niveau du « marché des idées et des opinions », puisque la décision de la Cour suprême est analysée par la minorité de la Cour comme étant plutôt favorable aux compétiteurs politiques ayant les plus importants soutiens financiers. Cette dernière critique, comme l’a d’ailleurs fait remarquer la majorité de la Cour, repose sur un double présupposé : le présupposé selon lequel l’intérêt d’une entreprise à aider tel ou tel candidat, bien que fondé théoriquement sur le partage des idées et des propositions du candidat, serait néanmoins et par définition « corrompu » par le seul intérêt économique de l’entreprise, puisque ce dernier intérêt ne saurait lui-même être confondu avec « l’intérêt commun » ; le présupposé selon lequel les entreprises auraient ou sont susceptibles d’avoir une préférence tendancielle pour tel ou tel type de candidat (les candidats républicains, pour tout dire). Au regard de la seule liberté d’expression (car la décision de la Cour suprême touche également au lobbying et au pluralisme corporatiste), ce sont donc deux conceptions ou deux modèles du « libre marché des idées et des opinions » qui séparent Austin v. Michigan Chamber of Commerce et Citizens United v. Federal Election Commission.
27 À la faveur d’auditions de juristes devant la Commission judiciaire du Sénat le 3 juin 2014, Jamie Raskin, professeur de droit, a cru pouvoir faire ressortir ce qui lui semble absurde dans l’idée promue par la Cour suprême selon laquelle l’argent est un discours et que les législations relatives aux dépenses électorales ou au financement de la vie politique sont justiciables du Ier Amendement (liberté d’expression) : « Il y a beaucoup de formes d’achat et d’échange que nous devrions (alors) réprimer pénalement, par exemple, l’achat de sexe », soutint-il. « Or lorsque quelqu’un veut acheter les services d’une prostituée, il n’y a personne pour dire que c’est juste une expression de leurs opinions. » Jamie Raskin estime que les défenseurs de la jurisprudence de la Cour suprême ne parviennent pas à établir une cohérence entre leur position sur le financement de la politique et le fait qu’ils conçoivent par ailleurs que la loi puisse, et même, doive réprimer la corruption, quelle qu’elle soit. Leur justification du deuxième type de législation est tout sauf claire puisque : « Après tout, si je me sens très concerné par une question et que je veux vous donner mille dollars ou un million de dollars pour aller dans mon sens, pourquoi ne devriez-vous pas pouvoir l’accepter ? Il me semble que c’est parce que nous considérons que, dans la décision publique et dans le processus électoral, il y a de bonnes raisons pour ceux qui détiennent une charge publique de prendre certaines décisions mais aussi de mauvaises raisons au nombre desquelles il y a l’argent, l’argent que le décideur public va mettre dans sa poche ou les énormes quantités d’argent qu’un candidat va pouvoir mettre dans sa campagne. »
C – La publicité politique et électorale
28 La publicité politique audiovisuelle est l’un des ressorts principaux de la « débauche d’argent » liée à l’activité politique aux États-Unis. Dans le cas de l’élection présidentielle, une part des coûts liés à la publicité est imputable aux particularités mêmes de cette élection : l’immensité du territoire auquel se rapporte l’élection présidentielle américaine, le système des primaires dans les États fédérés en vue de la désignation des candidats des partis, la nécessité pour les candidats désignés par les partis de faire campagne dans les États, etc.
29 L’analyse juridique ou politique de la publicité politique audiovisuelle aux États-Unis est d’autant moins simple que cette analyse doit prendre en compte, entre autres considérations, la part décentralisée et permanente de cette publicité (publicités politiques audiovisuelles des gouverneurs, celles de leurs opposants, publicités politiques audiovisuelles des procureurs d’État, celles de leurs opposants, publicités politiques des candidats aux élections de juges). Il reste que la « débauche d’argent » liée aux élections a certes de nombreux critiques (à droite et à gauche), mais elle a également ses défenseurs. Ainsi, à un journaliste qui lui demandait le 29 juillet 2013 sur C-Span si l’arrêt Citizens United de la Cour suprême sur le droit pour des groupements (entreprises et associations) de financer des activités politiques ne légitimait pas le coût élevé, voire exorbitant, des campagnes électorales américaines, le juge Scalia a eu cette réponse : « Non, très sincèrement je ne le pense pas. Il me semble que nous dépensons moins chaque année pour nos campagnes présidentielles que nous ne dépensons pour les produits cosmétiques. »
30 La publicité politique aux États-Unis est souvent réduite en France à de la publicité négative. Cette perception française est un peu sommaire (les publicités négatives n’épuisent pas l’offre publicitaire politique aux États-Unis) et trop déterminée par les publicités politiques liées aux élections fédérales. Il n’est pas sûr que le volume de ces publicités négatives soit comparable pour des élections locales (gouverneurs, juges, procureurs d’État, etc.). D’autre part, il est admis que les publicités négatives sont une arme à double tranchant, avec un risque d’effet boomerang. Ce qui n’est pas moins vrai c’est qu’il peut y avoir des formes d’invention publicitaire en matière politique susceptibles d’être un facteur de mobilisation.
31 Dans son rapport au droit, la publicité politique soulève en réalité deux questions : d’une part la question celle des « allégations fausses » dont ces publicités, et plus généralement dont les discours produits dans le contexte des campagnes électorales, peuvent être le support ; d’autre part la question en la captation éventuelle de ces publicités dans les dépenses de campagne électorale des candidats.
1 – Publicité politique et allégations diffamatoires ou mensongères
32 Cette question a fait l’objet d’un important débat juridique et judiciaire dans l’Ohio à propos d’une loi (False statements Law : Ohio Revised Code, § 3517.21) qui interdit de publier ou de diffuser sciemment ou par « imprudence » des allégations diffamatoires ou mensongères [22] sur des candidats aux fonctions publiques électives dans l’État ou des candidats à des fonctions électives dans les partis ou des candidats aux primaires des partis. Formellement, cette interdiction était opposable aussi bien au matériel de campagne des candidats, aux publicités à la radio, à la télévision ou dans la presse, aux communiqués de presse des candidats, aux déclarations publiques des candidats. Matériellement, cette interdiction était dirigée notamment contre les allégations diffamatoires ou mensongères intéressant : le parcours scolaire, les diplômes ou le parcours professionnel des candidats ; les antécédents policiers, judiciaires ou psychiatriques des candidats ; les votes antérieurs des candidats. La loi incriminait également le fait de publier sous une fausse identité ou en usurpant de l’identité d’un fonctionnaire chargé des élections, des allégations diffamatoires ou mensongères sur des candidats aux élections.
33 Alors qu’une vingtaine d’États ont une législation comparable [23], la mise en cause judiciaire de celle de l’Ohio a commencé en 2010 après qu’un membre de la Chambre des représentants du congrès des États-Unis, Steve Driehaus, se formalisa de la présence sur ses affiches d’autocollants le présentant comme étant un défenseur de la prise en charge par l’impôt des frais relatifs aux avortements. Ces autocollants, qui étaient le fait de ses opposants pro-life, allaient au-delà de la mise en cause du vote de l’intéressé au Congrès en faveur de l’Affordable Care Act (Obamacare), la loi relative à l’assurance-maladie portée par le président des États-Unis, Barack Obama. En réponse à la sollicitation (en vain) par Steve Driehaus (qui perdit alors son mandat) d’une intervention des autorités en charge des élections dans l’État, ses opposants formèrent un recours devant une juridiction fédérale contre la loi elle-même et en invoquant sa violation du Premier Amendement de la Constitution des États-Unis. Après que les deux juridictions fédérales inférieures saisies de l’affaire avaient conclu à l’irrecevabilité de cette action, la Cour suprême des États-Unis, dans Susan B. Anthony List v. Driehaus (16 juin 2014), conclut pour sa part en sens inverse et renvoya l’affaire devant une Cour fédérale de district de l’Ohio.
34 Statuant en juge unique, la cour fédérale de district a déclaré les dispositions litigieuses contraires au Premier Amendement de la Constitution des États-Unis [24], donnant ainsi raison aux requérants et à leur argument : « Nous ne plaidons pas en faveur d’un droit de mentir. Nous soutenons que nous avons le droit de ne pas voir l’État décider de la véracité de nos déclarations politiques. » « Les mensonges », assura le juge Timothy Black, « n’ont pas leur place dans l’arène politique et ne servent aucun autre but que de saper l’intégrité du processus démocratique. Le problème est que, en l’état, il n’y a aucune modalité précise de déterminer si une déclaration politique est un mensonge ou la vérité. Ce qui est certain, cependant, est que nous ne voulons pas voir l’État […] décider de ce qui est la vérité politique – de peur que l’État ne puisse persécuter ceux qui le critiquent. Au contraire, dans une démocratie, les électeurs devraient décider souverainement. » Par suite, la manière la plus pertinente d’annihiler les allégations diffamatoires ou mensongères dans le cadre des campagnes électorales, a fait valoir le juge Timothy Black, « n’est pas de contraindre les individus au silence, mais d’encourager à la production de discours en réplique ou en duplique, et de s’en remettre aux électeurs et non à l’État pour décider de ce qui est vrai en politique » (… not to force silence, but to encourage truthful speech in response, and to let the voters, not the government, decide what the political truth is…). Ce raisonnement est tout sauf inédit, puisque c’est celui que la Cour suprême tint en 2012 dans United States v. Alvarez [25] et qui détermina la cour fédérale d’appel pour le 8e circuit à invalider le 2 septembre 2014 une législation comparable du Minnesota [26].
2 – Publicité politique à la télévision et « puissances d’argent »
35 Le 27 avril 2012, la Federal Communications Commission (FCC) a édicté une décision réglementaire intéressant la publicité politique à la télévision : Standardized and Enhanced Disclore Requirements for Television Broadcast Licensee Public Interest Obligations. Il était prévu que cet arrêté entre en vigueur 30 jours après le contreseing de l’Office of Management and Budget (OMB). L’approbation de l’OMB est intervenue le 21 juin 2012. Et, le 20 juillet 2012, une cour fédérale – l’United States Court of Appeals for the District of Columbia Circuit – rejeta le recours en urgence formé par la National Association of Broadcaters (NAB) tendant à la suspension de l’entrée en vigueur de ladite décision en attendant que la justice statue au fond sur sa légalité (National Association of Broadcasters v. Federal Communications Communication and the USA).
36 La décision, qui est finalement entrée en vigueur le 2 août 2012 [27], prévoit que toutes les télévisions sont tenues de mettre en ligne, sur un portail internet spécialement dévolu à cet effet et hébergé sur le site de la FCC, l’identité des personnes physiques ou morales ayant acheté des espaces publicitaires en vue de la diffusion de publicité politique, ainsi d’ailleurs que les sommes liées à ces achats. « Dans le contexte du cycle électoral de l’année dernière », s’était justifié Michael J. Copps le commissaire-rapporteur de la FCC, « ce ne sont pas moins de 2 milliards de dollars qui furent consacrés à la publicité politique, soit un record pour une campagne de midterm. […] L’arrêt Citizens United permettant aux entreprises et aux syndicats d’acheter des espaces publicitaires pour la publicité politique ne signifie pas que les citoyens devraient être gardés dans l’ignorance de l’identité de ceux qui produisent des argumentaires destinés aux électeurs » (Communiqué du 22 mars 2012).
37 Au-delà de la substance précise des informations soumises à cette obligation de transparence (Section 315 (e), Communications Act), trois précisions sont à apporter. En premier lieu, il convient de garder à l’esprit que la décision de la FCC est une adaptation aux facilités offertes par Internet d’une obligation de transparence préexistante puisque c’est en 1938 que les opérateurs de télévision furent soumis à une obligation de porter à la connaissance du public les contrats d’achats d’espaces publicitaires pour des publicités politiques. En 1965, la FCC exigea des diffuseurs qu’ils publient les informations relatives à ces contrats dans un registre général édité sous forme papier et tenu à la disposition du public par chaque opérateur. En 2007, la FCC prit une décision tendant à la publication en ligne de ces informations, mais plutôt sur les sites internet respectifs des opérateurs audiovisuels et sur les sites de leurs associations professionnelles. C’est donc afin de réparer l’« échec » de la décision de 2007 que la FCC crut devoir édicter une nouvelle prescription.
38 D’autre part, les prescriptions de la décision de la FCC sont applicables suivant un calendrier particulier. Ainsi, durant les deux premières années suivant l’entrée en vigueur du texte, les obligations qu’il contient s’ap- pliquent aux chaînes affiliées à l’un des quatre plus importants réseaux nationaux (ABC, NBC, CBS, FOX) ou qui ont fait l’objet d’un agrément pour diffuser auprès des communautés rentrant dans le spectre des cinquante plus importants marchés télévisuels américains (Designated Market Areas, DMAs). Ce n’est qu’à compter du 1er juillet 2014 que cette prescription s’applique aux autres chaînes. Quant au référé-suspension de la National Association of Broadcasters contre cette décision, il était fondé notamment sur l’idée que la nouvelle exigence édictée par la FCC entraînerait des distorsions de concurrence en mettant à la disposition de concurrents et d’annonceurs potentiels les tarifs pratiqués par les différents opérateurs et qu’elle faisait doublon avec les prescriptions du Bipartisan Campaign Reform Act [BCRA, 2 U.S.C. §§ 434 (a) (11) (B)] qui exige de la Federal Election Commission (FEC) qu’elle s’assure de l’accessibilité en ligne de toutes les informations relatives aux élections. La proposition alternative de la NAB voulait que les chaînes de télévision ne soient contraintes de publier en ligne que « le nombre total de dollars dépensés en publicités politiques », cette recension se faisant sur une base périodique et en fonction du calendrier électoral.
III – L’hyperdémocratie locale : initiatives, référendums et recalls
39 Les occasions de voter sont d’autant plus nombreuses localement que le principe d’une durée de mandats électoraux courts se combine précisément avec de nombreuses votations populaires à caractère non-électif.
A – Initiatives et référendums (Legislative Referendum et Popular Referendum)
40 La faculté pour les citoyens de former une initiative législative ou constitutionnelle a été reconnue pour la première fois aux États-Unis dans le Dakota du Sud en 1898. Depuis que le Mississippi s’est rallié à cette institution démocratique en 1992, ce sont désormais 24 États qui la connaissent et l’aménagent sous la forme d’une initiative directe ou d’une initiative indirecte. Dans le premier cas, l’initiative directe, la proposition législative ou constitutionnelle est directement soumise à une votation populaire. Dans le second cas, l’initiative indirecte (Maine, Massachusetts, Michigan, Mississippi, Nevada, Ohio), la proposition législative est soumise d’abord au parlement de l’État, une consultation populaire n’intervenant qu’en cas de rejet de l’initiative par le parlement, d’adoption par lui d’une proposition alternative ou d’inaction. En toute hypothèse, des conditions de recevabilité et d’adoption de l’initiative sont prévues. Ainsi, la recevabilité de l’initiative (soit en vue de l’organisation du vote, soit en vue de sa transmission au parlement) est généralement attachée à une exigence de rédaction du texte selon certains canons et à un recueil d’un certain nombre de signatures de la part des électeurs. L’adoption de l’initiative peut ne pas dépendre seulement de la réunion de la majorité des suffrages exprimés mais être assortie d’une condition tenant à la réunion d’un nombre minimal de votants (Nebraska, Massachusetts, Mississippi).
41 Dans la terminologie politique et constitutionnelle américaine, l’on distingue deux types de référendum selon que l’initiative en revient aux élus (legislative referendum) ou aux citoyens eux-mêmes (popular referendum) [28]. Le legislative referendum consiste ainsi en la soumission à une adoption finale par les citoyens eux-mêmes d’un texte voté par le parlement d’État. Ce type de votation populaire, qui existe dans tous les États fédérés américains, peut être obligatoire dans différents États pour certains types de textes votés par le parlement (les révisions constitutionnelles, la législation fiscale, les décisions d’emprunt de l’État). Le popular referendum désigne l’hypothèse, admise dans 24 États, dans laquelle les citoyens disposent d’un délai (90 jours en général) après l’adoption d’un texte par le parlement pour réunir une pétition en vue d’un référendum qui permette aux électeurs de confirmer ou d’abroger ledit texte.
42 Pour la seule année 2014, c’est une centaine d’initiatives et de référendums qui aura eu lieu dans les États, soit 78 référendums à l’occasion des midterm elections du 4 novembre en plus des 12 initiatives et référendums qui sont intervenus pendant les primaires démocrates et républicaines en vue des élections d’État ou nationales de novembre.
43 En Alabama, l’une des questions soumises à référendum le 4 novembre (legislative referendum) consistait en une modification de la Constitution de l’État en vue d’interdire à ce dernier de donner « pleine foi et crédit [29] » aux actes juridiques (législatifs, administratifs ou judiciaires) d’autres États qui seraient contraires à l’ordre public de l’Alabama ainsi qu’à toute législation étrangère qui serait contraire aux droits reconnus aux citoyens de l’Alabama par la Constitution des États-Unis ou par la Constitution de l’Alabama : la première interdiction est dirigée contre le mariage homosexuel ; la deuxième interdiction est dirigée contre toute invocation de la Sharia devant les autorités publiques de l’État.
44 Le legislative referendum ayant eu lieu le même 4 novembre dans l’Arkansas voulait suspendre l’entrée en vigueur des réglementations édictées par les agences administratives de l’État à une approbation préalable du parlement, au nom du contrôle démocratique de ces agences et de la nécessité de leur subordination à des autorités élues. Les citoyens de l’Arkansas décidèrent encore que leur état continuerait d’être le plus restrictif en matière de vente d’alcools en refusant de lever la prohibition encore en vigueur dans près de la moitié de l’État. Dans le Colorado, les citoyens rejetèrent pour la troisième fois en six ans un texte de loi qui envisageait de définir le fœtus en tant que personne. Les citoyens du Dakota du Nord décidèrent dans le même sens dans le temps où ceux du Tennessee adoptèrent plutôt un amendement de la Constitution de leur état qui légitime des restrictions à l’avortement.
45 Parmi les autres référendums notables du 4 novembre 2014, l’on peut citer : l’adoption de mesures plus rigoureuses de contrôle administratif des établissements de vente d’armes à feu dans l’état de Washington ; la légalisation de lieux de vente du cannabis à usage récréatif dans l’Oregon et dans l’Alaska ; la dépénalisation de la possession de cannabis dans la ville de Washington (DC) ; la légalisation de son usage médical dans l’île de Guam ; l’interdiction de la fracturation hydraulique dans la ville de Denton, au Nord du Texas ; l’adoption d’une taxe sur les sodas à Berkeley (Californie) et son rejet à San Francisco ; l’adoption en Californie d’une loi autorisant l’état à souscrire des emprunts obligataires à hauteur de sept milliards de dollars en vue du financement d’une ambitieuse politique de l’eau de l’état (renouvellement des infrastructures d’approvisionnement, modernisation des infrastructures de stockage et de recyclage des eaux) ; l’adoption dans le Massachusetts d’une loi fixant à quarante heures par an le nombre d’heures de congés de maladie payés dont bénéficie tout employé dans l’état, le Massachusetts étant devenant ainsi le troisième état, après le Connecticut et la Californie, à disposer de tels congés payés.
B – Recall(s) (Recall PEtition / RecalL election)
46 La révocation populaire des décideurs publics (élus, fonctionnaires ou juges) est tout sauf une institution folklorique aux États-Unis, depuis sa primo-installation en 1903 dans la commune de Los Angeles et en 1908 dans le Michigan et l’Oregon pour les décideurs de l’État. Son extension progressive depuis le début du XXesiècle a trouvé un terme (provisoire) en 2010 avec son adoption par les citoyens de l’Illinois s’agissant de la révocation du Gouverneur de l’État [30]. Dix-neuf États, ainsi que le district fédéral de Columbia (Alaska, Kansas, New Jersey, Arizona, Louisiane, Dakota du Nord, Californie, Michigan, Oregon, Colorado, Minnesota, Rhode Island, Géorgie, Montana, Washington, Idaho, Nevada, Wisconsin, Illinois) le prévoient pour les décideurs publics de l’État (représentants, sénateurs, gouverneurs, hauts fonctionnaires). Si l’on tient compte par ailleurs des États dans lesquels le recall ne s’applique qu’à des décideurs d’entités infra-étatiques (maires, conseillers municipaux, conseillers de districts, conseillers de districts scolaires, juges de tribunaux d’instance, etc.), ce sont trente à trente-cinq États fédérés qui ont le recall dans leur législation constitutionnelle ou infra-constitutionnelle.
47 L’on est habitué à lire en France, notamment dans des manuels de droit constitutionnel, que la procédure de Recall est une modalité du « mandat impératif », ce dernier étant communément défini comme liant les représentants aux volontés de leurs électeurs. Cela est tout sauf exact [31]. En effet, si suivant une caractérisation usuelle, l’on considère que le mandat impératif « lie juridiquement les représentants aux volontés de leurs électeurs », rares sont les situations qui, dans les démocraties contemporaines, sont susceptibles d’être rapportées à cette définition : même lorsque les « Grands électeurs » à l’élection présidentielle américaine ne votent pas à l’élection proprement dite dans le sens de leurs mandants, ils ne sont sanctionnés ou ne sont susceptibles de l’être (en application de la législation de leur État) que dans très peu d’États. Au demeurant, dans la plupart des États fédérés américains qui la comptent dans leurs textes, la procédure de Recall peut s’appliquer (comme ce fut le cas en Californie en 2003 pour le gouverneur Gray Davis) à la gouvernance d’un décideur public et pas seulement à une décision particulière qu’il aurait prise : l’Alaska désigne spécialement le manque de jugement, l’incompétence, la négligence ou la corruption ; la Géorgie, désigne quant à elle le fait de malversation, d’inconduite, de violation de serment, de manquement aux devoirs de la charge, de détournement de fonds publics ; le Kansas désigne le fait d’une condamnation pénale, une faute dans l’exercice des fonctions, une incompétence professionnelle, un manquement aux devoirs de la charge…
48 Outre les conditions de fond que la Constitution ou la législation peuvent exiger en matière de recall (autrement dit les conditions tenant à la nature des griefs justificatifs d’une révocation), il existe également des conditions de forme et de procédure. Celles-ci consistent généralement d’abord en le dépôt auprès d’une autorité compétente d’une pétition de révocation (recall petition) ; cette pétition est ouverte aux signatures publiques afin d’obtenir un nombre minimal de signatures dans un certain délai ; après vérification de la validité de ces signatures par les autorités, une votation populaire de révocation (recall election) peut alors avoir lieu.
49 Dans la période la plus récente, l’application la plus remarquée du Recall a eu lieu dans le Colorado en 2013 : pour la première fois dans l’histoire de l’État, des agents publics, en l’occurrence des élus politiques, ont été révoqués par des électeurs de leurs circonscriptions respectives au terme d’une procédure de Recall. John Morse a ainsi cessé d’être président du Sénat du Colorado au début du mois d’octobre. Angela Giron, démocrate, a également perdu son siège au Sénat du Colorado à la même date. Les deux élus ont été privés de leurs mandats par les électeurs de leurs circonscriptions – des circonscriptions réputées très conservatrices – pour les « punir » de leur activisme en faveur d’une législation d’État renforçant le contrôle des pouvoirs publics sur la possession d’armes à feu dans le Colorado, une législation adoptée dans la foulée des événements de Newtown (Connecticut) et d’Aurora (Colorado). Un autre membre du Sénat du Colorado (Evie Hudak) a préféré démissionner de son siège devant la probabilité élevée d’un aboutissement de la procédure de Recall dirigée contre elle par des électeurs de sa circonscription avec le soutien des organisations politiques et sociales favorables au droit individuel de disposer d’armes à feu.
IV – Crise du lien politique : le réformisme de Bruce Ackerman
50 L’hyperdémocratie a été entendue ici de manière formelle, c’est-à-dire sans considération des taux de participation plus ou moins faibles à ces consultations. Question universelle à l’échelle des États démocratiques, la question de la crise du lien politique [32] ne se pose donc pas moins aux États-Unis. Dans une littérature prolifique, on voudra retenir l’analyse de Bruce Ackerman, qui offre les linéaments d’un réformisme concret. « Nombre de nos institutions civiques reçues en héritage sont mortes ou en voie de mourir », écrit ainsi Bruce Ackerman. « La guerre du Vietnam a tué l’armée de conscription. La télévision a tué le parti politique en tant qu’institution populaire. Le jury citoyen est marginalisé par les sujétions de la vie quotidienne. La seule institution d’importance qui motive encore les honnêtes gens c’est l’école publique, elle non plus n’étant pas épargnée par les attaques [33]. » Au-delà des « marqueurs » de la gauche au XXesiècle – défense de l’école publique, défense de la progressivité de l’impôt, défense de la sécurité sociale et de l’assurance-maladie, défense des droits civils et de l’environnement, défense des droits syndicaux et de la sécurité de l’emploi – Bruce Ackerman dit vouloir être rejoint à l’échéance 2020 par les juristes progressistes sur trois projets qu’il a initiés.
51 Le premier projet – Voting with Dollars – entend « démocratiser » le système des contributions individuelles aux campagnes électorales (le montant en a été limité en 2002 à 2000 dollars par la loi McCain-Feingold). Cette démocratisation consisterait en un élargissement du nombre de citoyens contribuant au financement des campagnes et, de ce fait, intéressés à la politique. Bruce Ackerman propose ainsi que l’État fédéral fournisse à chaque électeur une carte de crédit dotée d’un crédit de 50 dollars utilisables uniquement pour le financement des campagnes électorales fédérales. À charge pour l’électeur, à partir de n’importe quel distributeur automatique de billets, de procéder à des virements de ses « dollars civiques » (Patriot dollars) aux candidats et aux organisations politiques de son choix. Selon le calcul de Bruce Ackerman, ce système aurait-il été mis à disposition des 120 millions d’électeurs qui ont pris part aux élections fédérales de 2004, il aurait injecté dans la campagne quelque chose comme 6 milliards de « dollars civiques » financés sur fonds fédéraux, ce qui aurait relativisé l’importance des 4 milliards de dollars de financement privé. Et, comme les candidats auraient intérêt à accéder à cette source de financement, la levée de fonds pour les campagnes électorales deviendrait plus mobilisatrice autour de questions telles que : « Qui dois-je créditer de mes dollars civiques ? » « qui sont les charlatans, qui sont ceux qui sont vraiment intéressés par le bien commun ? »
52 Ce système, concède Bruce Ackerman, suppose une forme d’aptitude à la délibération publique. D’où son autre projet, celui d’une journée de la délibération (Deliberation Day). Conçu avec Jim Fishkin (Stanford), ce projet tend au fond à importer, à généraliser et à adapter aux États-Unis des protocoles connus de « démocratie délibérative », spécialement ceux qui veulent que, de manière périodique, quelques centaines de citoyens soient conviées le week-end à une sorte d’assemblée citoyenne chargée de délibérer sur une question de politique publique. Comparant les réponses faites par les citoyens sur l’objet en débat avant et après la délibération, « les spécialistes de sciences sociales ont établi rigoureusement que le degré de compréhension des questions avait substantiellement progressé chez les participants, qui pour certains changèrent d’opinion sur les meilleures décisions à prendre […]. Surtout, les participants quittèrent ces délibérations avec une confiance plus grande dans leurs capacités civiques ». Bruce Ackerman voudrait ainsi voir instituée une Journée de la délibération (Deliberation Day), un nouveau jour férié au plan national qui remplacerait le Presidents’ Day et serait fixé à environ deux semaines avant l’élection présidentielle (élection des grands électeurs). Les citoyens auraient ainsi mieux à faire, ironise-t-il, que l’habitude par eux prise d’honorer Washington et Lincoln en cédant à la pulsion d’achats de bibelots et autres objets commerciaux proposés à l’occasion du Presidents’ Day. Suivant des modalités quelque peu complexes, ils seraient plutôt conviés à se réunir dans différentes formes d’assemblées de quartiers et de voisinages afin de discuter des thèmes de la campagne électorale présidentielle tels qu’ils sont portés par les candidats…
53 On développera d’autant moins la troisième proposition de Bruce Ackerman – la promotion d’une Stakeholder Society qu’elle a été théorisée dans un livre co-écrit avec Anne Alstott : The Stakeholder Society, 1999. Cette proposition veut que l’État provisionne en faveur de chaque citoyen américain une bourse de 80 000 dollars – soit à peu près l’équivalent de quatre années de droits universitaires dans une université privée réputée utilisables au moment d’entrer dans l’âge adulte, une sorte d’« héritage citoyen » concurrent de l’héritage familial traditionnel. Dans le système imaginé par Bruce Ackerman, le versement de cette bourse ne serait pas automatique puisqu’il serait assorti à la condition d’avoir validé sa formation secondaire. À défaut, seuls les intérêts de la bourse sont versés au citoyen. Est-il besoin de préciser que si cette proposition est loin de rencontrer un grand écho auprès du parti démocrate c’est pour cette raison que, comme le reconnaît l’auteur lui-même, elle ne peut être mise en œuvre… sans un important prélèvement fiscal fédéral qui ne risque pas d’apparaître comme étant « socialiste ».
Notes
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[1]
Gregory v. Aschcroft, 501 U.S. 452, 461-462.
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[2]
Northwest Austin Municipal Util. Dist. No. One v. Holder, 557 U. S. 193, 203.
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[3]
Katzenbach v. Morgan, 384 U.S. 641 (1966).
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[4]
Il va sans dire que le droit résonne ici de culture et d’histoire politiques, même si ces considérations ne seront pas nécessairement développées dans les présentes pages : l’existence d’une véritable culture politique anti-étatiste et/ou libertarienne, l’importance accordée au « local » et à la « proximité », la manière de penser la discrimination, etc.
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[5]
L’élection des juges et des procureurs n’est pas traitée dans la présente étude car elle pose des questions spécifiques et que nous avons commencé d’exposer ailleurs. D’autres « localismes » électoraux ne sont pas moins remarquables et qui ne sont pas davantage exposés. Tel est le cas, par exemple, du vote par voie postale. Cette modalité de vote a ainsi un caractère général et impérieux (« All-mail Elections ») dans trois états (le Colorado, l’Oregon, l’État de Washington) dans lesquels les électeurs reçoivent par voie postale leurs bulletins de vote : après avoir coché la case pertinente, ils consignent leur bulletin dans une enveloppe scellée qui est consignée elle-même dans une enveloppe postale signée par l’électeur afin d’attester de son identité, le tout étant adressé par voie postale aux services administratifs chargés des élections. Vingt-deux autres états ont « postalisé » certaines de leurs élections politiques. La « postalisation » du vote a une importance dans le débat public local aux états-Unis qui, à première vue, est paradoxale dans une période historique où la question est plutôt celle de la généralisation du vote électronique dans les autres démocraties. Deux éléments font néanmoins que ce paradoxe est simplement apparent : il s’agit d’une part de la grande mobilité géographique des Américains et, d’autre part, de la « profondeur territoriale » des états-unis et la géographie humaine qui l’accompagne, avec notamment de très nombreuses municipalités « reculées ».
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[6]
Selon des mots célèbres du juge Douglas dans Griswold v. Connecticut (1965).
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[7]
Sur la portée de cet Amendement, voir quelques lignes plus loin.
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[8]
Voir notre notice « Démocrati (Institutions) » in Dictionnaire encyclopédique de l’État (P. Mbongo, Fr. Hervouët et C. Santulli, dir.), Berger-Levrault, 2014, pp. 211-222.
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[9]
Matt Apuzzo, « Students Joining Battle to Upend Laws on Voter ID. College Students Claim Voter ID Laws Discriminate Based on Age », New York Times, 5 juillet 2014.
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[10]
Sur ce débat, voir notre étude « De la connaissance décentrée du droit américain : l’exemple du fédéralisme » (pp. 107-127) et celle de Kevin Hamilton & Kevin Stafford, « La controverse sur l’authentification des électeurs : entre l’effectivité du droit de suffrage et la lutte contre la fraude électorale » (pp. 129-149), in Le Droit américain dans la pensée juridique française contemporaine. Entre Américanophobie et Américanophilie, p. Mbongo & R. L. Weaver (dir.), LGDJ, 2013.
-
[11]
Pierre Rosanvallon, Le Sacre du citoyen. Histoire du suffrage universel, éditions Gallimard, 1992, pp. 417-418.
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[12]
Mark Martin v. Freedom Kohls et alii.
-
[13]
Deux décisions judiciaires fédérales vont dans ce sens. La première est une décision rendue par la Cour suprême le 28 avril 2008, Crawford et al. V. Marion County Election Board et al. La deuxième est une decision de la Cour fédérale d’appel pour le 11e Circuit du 14 janvier 2009, Common cause/Georgia et al. & NAACP v. Ms. Evon Billups et al.
-
[14]
L’Indiana dit avoir dépensé dix millions de dollars entre 2007 et 2010 en vue de la délivrance gratuite de cartes d’identité aux électeurs de l’État. Source : Karen Shanton, « Costs of Voter ID », Legisbriefs, vol. 21, n° 12, mars 2013.
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[15]
Karen Shanton, « Costs of Voter ID », Legisbriefs, vol. 21, n° 12, mars 2013. Les États revendiquent d’autres dépenses liées aux nouvelles législations : des dépenses d’achat de matériel informatique, des dépenses d’édition de nouveaux formulaires administratifs, des dépenses de communication à destination des électeurs sur les nouvelles législations que la Géorgie évalue à 840 000 dollars dans la période allant de septembre 2007 à novembre 2008 (Karen Shanton, op. cit.).
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[16]
Sur cette surveillance, voir notre étude précitée « De la connaissance décentrée du droit américain : l’exemple du fédéralisme ».
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[17]
John C. Knechtle, « La Cour suprême des États-Unis et la non-discrimination. D’hier à aujourd’hui », Politeia, juin 2014.
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[18]
Deux choses dépassant le cadre de la présente étude et qui mériteraient un intérêt particulier sont à noter ici. Il s’agit en premier lieu de l’importance dans la législation américaine de clauses de révision périodique des textes ou de sortie de vigueur des textes à l’expiration d’un certain délai (sunset clauses), des clauses dont l’effectivité n’est pas théorique compte tenu des « cohabitations » politiques entre démocrates et républicains au Congrès et des alternances électorales. La deuxième chose se rapporte à la référence de la Cour suprême à la construction d’un « avenir meilleur », une expression courante dans les décisions de la Cour relatives aux droits civiques et à la question raciale et qui sourd d’une forme de foi américaine dans « le progrès de l’esprit humain », pour parler comme Condorcet.
-
[19]
Une proposition de loi portée par des élus républicains et démocrates et contenant ces propositions a été déposée au Congrès en janvier 2014 (Voting Rights Amendment Act of 2014).
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[20]
Dans American Tradition Partnership, Inc. v. Bullock du 25 juin 2012, la Cour suprême des États-Unis a rejeté la prétention de la Cour suprême du Montana de s’abstraire de sa jurisprudence Citizen United v. Federal Election Commission. La Cour suprême a fait valoir qu’elle avait bel et bien décidé dans Citizens United que la faculté pour des entreprises de subventionner des activités politiques était protégée par le Ier Amendement et qu’elle avait précisément opposé ce principe à une loi fédérale de même nature que celle du Montana. Sur la législation litigieuse du Montana et l’arrêt de la Cour suprême de l’état, voir notre note : « Financement des campagnes électorales par les entreprises : la Cour suprême du Montana (Western Tradition v. Attorney General, 30 décembre 2011) oppose un « exceptionnalisme » du Montana à la Cour suprême fédérale », 19 janvier 2012 (http://droitamericain.fr/Financement-des-campagnes.html)
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[21]
En 2014, ce plafond est de 2 600 dollars par élection pour un candidat à l’élection présidentielle ou au Congrès.
-
[22]
Nous traduisons False statements par « allégations diffamatoires et mensongères » dans la mesure où, d’une part l’expression désigne y compris des allégations inexactes, « fausses », mais avantageuses, et où, d’autre part, dans le lexique et le droit français, des allégations peuvent être mensongères sans être diffamatoires.
-
[23]
À proprement parler, il existe des législations relatives à la qualité de la propagande électorale dans trente-et-un États. Dans une vingtaine d’entre eux, ces législations sont donc dirigées spécialement contre les allégations diffamatoires et mensongères (Oregon, Washington, Dakota du Nord, Minnesota, Wisconsin, Utah, Arizona, Floride…). Mais il existe par ailleurs des États (Arkansas, Californie, Illinois, Maine, Montana, Nevada, Texas, Virginie occidentale) dans lesquels les candidats peuvent ou sont tenus (Arkansas) de s’engager à mener leurs campagnes de manière loyale ou éthique : par suite, les candidats peuvent se prévaloir de cet engagement éthique dans leur propagande (l’électeur étant ainsi encouragé à être défiant à l’égard des discours ne revendiquant pas ce label éthique).
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[24]
United States district Court, Southern district of Ohio Western division, Susan B. Anthony List v. Ohio Elections Commission, 11 septembre 2014.
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[25]
132 S. Ct. 2537, 2550 (2012) : “The remedy for speech that is false is speech that is true. This is the ordinary course in a free society. The response to the unreasoned is the rational; to the uninformed, the enlightened; to the straight-out lie, the simple truth.”
-
[26]
281 Care Comm. v. Arneson, n° 13-1229, 2014 U.S. App. LEXIS 16901 (8th Cir. Sept. 2, 2014).
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[27]
Fed. Reg. 39439, July 3, 2012.
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[28]
Il n’existe pas moins, mais ils sont rares, de référendums purement consultatifs, soit au niveau de l’État, soit au niveau des collectivités infra-étatiques.
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[29]
Sur la Full Faith and Credit Clause, voir notre étude « De la connaissance décentrée du droit américain : l’exemple du fédéralisme », in Le Droit américain dans la pensée juridique française contemporaine. Entre Américanophobie et Américanophilie, p. Mbongo & R. L. Weaver (dir.), LGDJ, 2013, pp. 107-127.
-
[30]
Voir notre note « Révocation (Recall) du Gouverneur : une nouvelle prérogative constitutionnelle des citoyens de l’Illinois », 11 mai 2011 : http://droitamericain.fr/La-revocation-Recall-du-Gouverneur.html
-
[31]
Voir notre notice « Démocratie (Institutions) » in Dictionnaire encyclopédique de l’État, (P. Mbongo, Fr. Hervouët et C. Santulli, dir.), Berger-Levrault, 2014, p. 211-222.
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[32]
Cette expression est de loin préférable et préférée dans les sciences du politique à celle de « crise de la représentation » qui est devenue superficielle à force d’usages politico-médiatiques et qui, surtout, est trop peu soucieuse de l’historicité du gouvernement représentatif.
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[33]
« The Citizenship Agenda », in Jack M. Balkin & Reva B. Siegel (dir.), The Constitution in 2020, Oxford University Press (USA), 2009, p. 109-142.