Georges Gallais-Hamonno, Jean Berthon, Les emprunts tontiniers de l’Ancien Régime. Un exemple d’ingénierie financière au XVIIIe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2008, 125 pages
1S’il existe de nombreux ouvrages relatifs aux finances royales sous l’Ancien Régime ou aux origines financières de la Révolution française, particulièrement rares sont les travaux abordant les différents types d’emprunts aux XVIIe et XVIIIe siècles. En cela, l’ouvrage particulièrement dense de Messieurs Georges Gallais-Hamonno et Jean Berthon concernant les dix emprunts tontiniers, de 1689, 1696, 1709, 1733, 1743, janvier et février 1743, 1744, 1745 et 1759, constitue une contribution essentielle en la matière.
2Leur étude repose pour l’essentiel sur des sources de première main, dont la liste des tontiniers de 1689 conservée à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris — qui fit d’ailleurs l’objet d’un article de Mathilde Moulin, intitulé « Les rentes sur l’Hôtel de Ville de Paris sous Louis XIV », paru dans la Histoire, Économie et Société, 4e trimestre 1998, pp. 623-648 —, et des imprimés conservés tant aux Archives nationales qu’à la Bibliothèque nationale. Celle-ci a le mérite de remonter aux origines de ce type d’emprunt, inventé par le Napolitain Lorenzo Tonti, et dont l’introduction en France fut refusée en 1653 par le Parlement de Paris. Ce dernier, dont le rôle fut réduit à celui d’une chambre d’enregistrement sous le règne de Louis XIV, ne put s’opposer à son lancement sous Pontchartrain. Les auteurs rendent minutieusement compte de toute la complexité de cet emprunt atypique, très éloigné du principe de l’emprunt perpétuel à 5 %, et différent de celui de l’emprunt viager classique. Les souscripteurs étaient regroupés en classes d’âge. Les arrérages des tontiniers décédés ne profitèrent pas à l’État mais étaient répartis entre les survivants. L’extinction de la dette de l’État vis-à-vis d’une classe se produisit au décès du dernier représentant de celle-ci. Il s’agissait bien évidemment d’une spéculation sur la longévité de l’individu. Les derniers bénéficiaires se trouvaient à la tête de revenus annuels mirifiques.
3Les auteurs ont parfaitement décrit les modalités des souscriptions passées devant notaires sur la présentation d’un extrait baptistaire ou pièce équivalente, les avantages fiscaux, l’organisation interne de l’emprunt tontinier, l’importance du rôle joué par les syndics onéraires, le contrôle des tontiniers, obligés de délivrer des certificats de vie, les modalités du versement des arrérages par les payeurs des rentes de l’Hôtel de Ville de Paris, etc.
4Un chapitre est consacré aux origines sociales des souscripteurs, et tout juste pourrait-on reprocher des qualifications anachroniques : « moyenne bourgeoisie », « classes moyennes ». Si ces transpositions peuvent heurter bien des historiens, ils peuvent éclairer le lecteur sur la position sociale des tontiniers.
5Les auteurs insistent dans un chapitre sur son caractère particulièrement coûteux pour l’État, alors qu’il était loin d’être vraiment très rentable pour la grande majorité des tontiniers. On ne peut que louer la présence des nombreux tableaux particulièrement didactiques dans cet ouvrage. Enfin, les auteurs mettent l’accent tant sur les vicissitudes des derniers emprunts, le succès du dernier emprunt de ce type émis par Bertin en 1759, que sur les montages financiers mis en lumière par Philippe Hébrard, qui par ailleurs devrait soutenir sa thèse sur l’ensemble des emprunts émis sous les règnes de Louis XV et Louis XVI.
6Ce brillant exposé comble une importante lacune historiographique. S’il est possible d’émettre un bémol, l’utilisation des comparaisons faites entre les livres tournois du XVIIIe siècle et les euros ne semblent guère pertinente. Il n’y a pas de comparaison possible entre le pouvoir d’achat de cette époque et la nôtre. Comment peut-on fixer le prix de la livre à 15 € alors qu’un hôtel particulier en entier, situé place Vendôme, coûtait la somme considérable de 180 000 livres soit 2 700 000 € ?