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Article de revue

La dynamique de l’innovation

Pages 148 à 155

Notes

  • [1]
    François Caron, Histoire de l’exploitation d’un grand réseau. La Compagnie des Chemins de Fer du Nord, Mouton, 1975.
  • [2]
    François Caron, Histoire des chemins de fer en France, Paris, Fayard, tome 1 – 1740-1883, Paris, 1997 ; tome 2 – 1883-1937, 2005.
  • [3]
    François Caron, Les grandes compagnies de chemin de fer en France 1823-1937, Paris, Archives économiques du Crédit Lyonnais, Genève, Droz, 2005.
  • [4]
    François Caron, Histoire économique de la France XIXe-XXe siècles, A. Colin, Paris, 1996.
  • [5]
    François Caron, Le résistible déclin des sociétés industrielles, Perrin, 1985.
  • [6]
    François Caron, Les deux révolutions industrielles du XXe siècle, Paris, Albin Michel, 1997.

François Caron, La dynamique de l’innovation. Changement technique et changement social (XVIe-XXe siècles), Paris, NRF, Gallimard, 2010, 478 p.

1François Caron a marqué de son empreinte l’histoire économique française. Spécialiste internationalement reconnu de l’histoire des chemins de fer grâce à sa thèse [1], mais aussi quelques synthèses magistrales plus récentes, dont son Histoire des Chemins de Fer français[2], il nous a donné entre autres travaux de portée générale [3], une incontournable Histoire économique et sociale de la France XIXe-XXe siècles[4]. En même temps, dans la droite ligne de Joseph Schumpeter et de Bertrand Gille, il a renouvelé en profondeur les problématiques de l’histoire de l’innovation, à travers notamment son Résistible déclin des sociétés industrielles[5], puis Les deux Révolutions industrielles du XXe siècle[6]. Aujourd’hui, il poursuit dans la même veine, en y ajoutant une prise en compte très large des travaux des historiens, philosophes et sociologues des sciences et des techniques. Il est donc permis de voir dans La dynamique de l’innovation, l’aboutissement d’une œuvre fondée sur l’analyse macro- et micro-économique des liens entre développement économique et changement technique, notamment autour de l’entreprise et de l’entrepreneur, mais aussi d’acteurs tels que les ingénieurs, les savants, les travailleurs industriels et les consommateurs.

2L’ouvrage s’ouvre sur une forte introduction. L’auteur y identifie trois types de savoirs techniques : tacites (« savoir comment ? »), formalisés (expliquant le « savoir comment » par référence au « savoir pourquoi ») et codifiés (par l’effet d’une transmission écrite ou orale des savoirs formalisés), ceux-ci cohabitant au sein d’un savoir technicien qui en réalise la synthèse. Il distingue deux temps longs : le premier court du XIIe siècle au début du XIXe siècle, pour s’achever avec le première révolution industrielle (1760-1830) ; le second, voit des années 1830 à la décennie 1960, l’épanouissement d’un autre modèle de construction des savoirs, puis une transformation radicale, entre les années 1970 et celles 2000, ouvrant sur un nouveau temps long de l’histoire des techniques. Durant ces deux périodes, quatre composantes ont interagi pour construire les savoirs et produire le changement technique : la formation d’un corpus de savoirs techniques et scientifiques organisés en filières spécifiques ; le développement de puissantes institutions vouées uniquement à la recherche ; la mise en place d’un réseau de relations d’ordre social entre les différents acteurs de la construction des savoirs ; l’établissement de relations entre le consommateur final et les différents modes de production.

3L’auteur y formule cinq questions fondamentales posées par le développement de la société technicienne :

  1. Quels sont les déterminants des choix techniques adoptés par les ingénieurs, les chercheurs et les managers afin d’orienter le changement technique au point de départ d’une filière globale (comme l’éclairage électrique) et d’une trajectoire particulière de cette filière (lampe incandescente) ?
  2. Quel a été l’évolution du modèle d’organisation depuis le XVIIIe siècle, en relation avec les techniques disponibles ? Avec quel résultat ? Dans cette perspective, l’entreprise apparaît comme le moyen privilégié de convergence et de construction des savoirs.
  3. Quel est le rôle des relations que les entreprises nouent entre elles et avec les autres acteurs du changement technique ? Quel est le rôle des réseaux sociaux dans le développement des entreprises et du changement technique ?
  4. Comment se définissent les différentes formes des savoirs ? Comment s’articulent-ils entre elles afin de créer, par le biais de l’innovation, une dynamique de croissance ? Comment se réalise le passage d’un savoir artisanal à un savoir d’ingénieur et d’un savoir d’ingénieur à un savoir scientifique ? Quel est le rôle des institutions d’enseignements et de technologie dans ce processus ? Quel est le rôle de la dynamique interne des transformations des savoirs scientifiques et des pratiques techniciennes ?
  5. Que reste-t-il du concept de révolution industrielle ? Demeure-t-il pertinent alors même que l’histoire des techniques insiste plus sur les continuités que sur les ruptures et que subsiste la distinction courante entre trois révolutions industrielles ?

4L’ouvrage s’articule en quatre parties. La première – « Savoirs empiriques et savoirs formalisés » (p. 14-92), s’applique à une analyse d’ensemble des quatre composantes, précédemment identifiées entre le XIIe siècle et le début du XIXe siècle. Organisée en quatre chapitres, elle décrit d’abord les transformations faisant passer l’Europe d’un système technique caractérisé par la lente transformation des pratiques construites sur la base des connaissances tacites à un autre fondé sur des savoirs normalisés et codifiés. Durant cette période, les artisans, souvent regroupés en corporations, apparaissent comme les acteurs principaux. Au sein de telles institutions s’est déroulé un processus autonome qui a transformé les savoirs artisanaux en savoirs d’expert et d’ingénieurs. Dans le même temps, s’est amorcée la diffusion, dans plusieurs disciplines (production d’énergie, construction mécanique, chimie) des savoirs d’origine scientifique. Elle a été favorisée par une politique volontariste de l‘Etat moderne orientée vers la formation technicienne. Ainsi s’est ouverte la voie conduisant à la première révolution industrielle.

5La seconde partie traite de l’« Émergence d’un nouveau mode de construction des savoirs » (p. 91-284). Organisée en trois chapitres, elle couvre une période allant du début du XIXe siècle à la fin du XXe siècle. L’auteur y étudie l’organisation en filières de l’important corpus de savoir constitué entre les premières années du XIXe siècle et la Seconde Guerre mondiale, ceci à partir de l’exemple de certaines filières telles que la mécanique industrielle et l’hydraulique. Surtout cette partie s’intéresse de façon détaillée à deux trajectoires de longue durée : la machine à vapeur fixe au XIXe siècle, et la chimie organique, entre les années 1850 et la décennie 1930. Il en ressort l’idée d’un essor spectaculaire des institutions vouées à la recherche, tant dans les entreprises que dans les universités. Les uns et les autres ont constitué des lieux de confrontations entre des visions à la fois complémentaires et concurrentes de l’évolution des savoirs, en s’affirmant comme la forme la plus visible de l’institutionnalisation de la recherche.

6La troisième partie s’intitule « Les dynamiques du changement technique » (p. 285-351). En deux chapitres, elle éclaire les relations sociales à l’œuvre dans la construction des savoirs. Après un bref retour sur l’histoire de la sidérurgie médiévale et moderne, elle se centre sur la période allant de la décennie 1830 aux années 2000. Il s’agit de cerner les sources proprement sociales de l’innovation dans une société technicienne, qui se reconstruit en permanence à partir de nouveaux savoirs. L’analyse se fonde sur les concepts d’interdépendance entre filières (résultant de l’adaptation constante de l’objet technique à son usage) et de construction sociale de la technologie afin d’expliquer la nature des relations utilisateur/producteur, client/fournisseur, consommateur/entrepreneur et marketing/recherche.

7Quant à la quatrième et dernière partie (« Consommation, représentations collectives et réseaux », p. 353-427), elle enchaîne quatre chapitres. Prenant pour point de départ la Grande-Bretagne du XVIIIe siècle, elle s’intéresse aux relations entre consommateur final et modes de production, qu’ils soient artisanaux, de masse ou flexibles, mais aussi à celles qu’ils ont établi avec les grands réseaux techniques. Ceux-ci ont connu en effet un essor spectaculaire à partir des années 1830 et, plus encore, dans la décennie 1880.

8Les techniques des réseaux présentent en effet une double spécificité : l’existence de problèmes particuliers posés par la maîtrise des flux, ainsi que le contrôle de l’espace et des territoires ; leur emprise sur toutes les formes de l’activité sociale et des représentations collectives.

9L’ouvrage débouche sur des conclusions convaincantes. En premier lieu et depuis le XIIe siècle, quatre types d’acteurs ont joué un rôle majeur en matière de création de savoirs techniques : les artisans et ouvriers ; les experts et ingénieurs ; les entrepreneurs ; les savants et universitaires. Entretenant entre eux des relations en perpétuelle recomposition, ils ont œuvré à la dynamique de l’innovation, elle-même accélérée à partir de la première révolution industrielle à travers la combinaison de cinq processus :

  1. Avec le développement des activités de recherche des entreprises s’est mis en place un modèle d’organisation centralisé, lequel est demeuré dominant jusqu’aux années 1960 ;
  2. Le champ des connaissances scientifiques s’est élargi d’où l’augmentation du nombre des disciplines et des filières techniques. De cette différenciation constante des savoirs, il a résulté un progrès de la transdisciplinarité et une augmentation du nombre des autres recherches, depuis des années 1830 à 1850 ainsi que des formes de recherche collective ou coopérative ;
  3. La circulation des informations et des idées est devenue de plus en plus rapide et massive ;
  4. Le dialogue entre la recherche technicienne et la recherche scientifique s’est intensifié ;
  5. L’activité scientifique a été de plus en plus fortement intégrée dans la société sous ses aspects les plus divers.

10En second lieu, l’intégration de la fonction de recherche dans l’entreprise s’est réalisée de façon lente, jusqu’aux années 1880, point de départ d’un essor brutal, sont apparus alors de grands laboratoires de recherche, notamment en Allemagne et aux Etats-Unis, dans les industries chimiques et électriques, où de grandes entreprises bénéficiaient, dès cette époque, d’une situation de monopole où, tout au moins, d’oligopole restreint. En effet, la grande taille engendre des économies d’échelle : en constituant un substitut efficace du marché, elle répond aux besoins d’une recherche globale dans un monde concurrentiel. A partir du XXe siècle, le modèle se diffuse et se diversifie selon les secteurs et les pays (sur le modèle de l’IG Farben entre le deux guerres ou du laboratoire Bell après la seconde guerre mondiale). Il atteint son apogée dans les années 1950 et 1960. À partir des années 1970, s’y substituent des modèles d’organisation décentralisés et organisés en réseau tant à l’interne qu’avec les partenaires extérieurs. Toutefois, le modèle centralisé ne disparaît pas toujours, lorsqu’il est adapté au secteur.

11La différenciation des disciplines et la transdisciplinarité de la recherche ne sont pas des données nouvelles : tel est le cas pour la chimie organique, pour les grands projets de recherche du XXe siècle (synthèse de l’ammoniac) ou pour les premières machines informatiques. Il s’agit de l’aboutissement d’une évolution entamée dans la première moitié du XIXe siècle, avec l’apparition de formes collectives de recherche. Ils consistent d’abord en des liens entre entreprises en laboratoires afin de mener à bien des programmes de recherches très localisés, afin de mettre en commun des savoirs complémentaires et de réaliser des programmes transdisciplinaires. Au XXe siècle, ils se développent de façon massive en réunissant beaucoup plus d’entreprises : la Standard Oil utilise ainsi dans les années 1930 près d’un million de personnes afin de trouver un procédé de cracking catalytique susceptible de se substituer à celui d’Houdry. De même, se multiplient des recherches coopératives dans le cadre d’une profession (laboratoires du syndicat des Calicot Pinters au Royaume-Uni, créateurs de différents produits synthétiques). L’évolution s’accélère à partir des années 1950, en particulier en Allemagne avec le développement de réseaux de recherche et de diffusion de l’innovation soutenus par l’Etat. La formule connaît un succès certain aux États-Unis (Stanford, MIT) et, en Europe, autour de programmes organisés par les régions, les États et la Commission européenne. Les grandes entreprises recourent aussi à des accords et consortiums pour mener à bien des programmes de recherche et de fabrication ciblés, afin d’en réduire le coût pour chacun (construction électrique, automobile), qui, parfois, conduiront à de fusions).

12La circulation des connaissances, par ailleurs, connaît une prodigieuse accélération au XIXe siècle, en même temps que celle des réseaux de transport et de communication. S’ensuivent des échanges et confrontations entre savants : en 1860, le Congrès de Karlsruhe marque ainsi l’affirmation d’une communauté internationale de chimistes, à travers un consensus sur la définition des concepts de base ; de même pour le Congrès de Paris, tenu en 1881, après la première exposition internationale d’électricité, le mode de la gestion centralisé de la recherche n’a donc pas entamé l’essor de formes diverses de mise en réseau des échanges d’informations, d’idées entre savants et techniciens. Il s’agit d’abord de réseaux informels, fonctionnant selon des pratiques très anciennes devenues normales aux XVIIe et XVIIIe siècles (teinturerie, thermodynamique). Les réseaux peuvent intégrer les cabinets d’expertise et les bureaux d’études, nombreux en France dans les années 1840-1850, puis les laboratoires.

13Les détenteurs de connaissances d’ordre scientifique entretiennent un dialogue permanent avec ceux du savoir-faire technicien et de connaissances d’ordre technique. Cela conduit à écarter deux positions contestables : l’idée que les grands savants ne font que servir la science pure ; celle d’une totale dépendance de la connaissance technicienne à l’égard de la science. Celle-là n’est donc pas une science appliquée, mais plutôt le résultat d’un échange permanent entre les deux (fabrication des engins mécaniques, hydraulique, résistance des matériaux). Le savoir scientifique a pu ainsi provoquer la naissance de pratiques et filières techniques nouvelles (physique des hautes températures, électronique, laser). Si l’utilité fait toujours partie intégrante du savoir scientifique, la technique crée des faits et savoirs polémiques.

14Il n’est pas juste non plus de dire que l’action des ingénieurs et des savants est toujours subordonnée à des intérêts économiques ou politiques. A l’inverse, il existe une relation naturelle entre scientifiques et forces vives de la société, qui, si elle n’est pas nouvelle, s’accélère au XXe siècle. La proximité de la science, de la technique et de la société permet de comprendre l’importance des institutions hybrides dans le processus de construction des savoirs et de leurs applications : tel est le cas du laboratoire d’électricité créé après l’exposition internationale de 1881 ou du Mecanisch-Physikalische Institut, créé en Allemagne en 1887. Ces institutions définissant les normes organisent les marchés et renforcent la proximité de savoirs techniques et scientifiques. Cela conduit à mettre en place, aux niveaux national, puis mondial, d’autres organismes chargés de réaliser des tests de qualité.

15Les consommateurs ont déterminé de manière directe les orientations prises par le changement technique. Il n’existe ni de totale subordination, ni de complète indépendance par rapport aux incitations du marketing. Même si certains projets techniques ont des effets négatifs sur la santé, les conditions de travail, la sécurité, c’est l’usage de la technique plutôt que la technique elle-même qui est en cause. Les problématiques environnementales finissant par entraîner une réorientation de la recherche, font naître une inquiétude quant à la capacité du système mondial de recherche à trouver les bonnes réponses.

16La première révolution industrielle vise à améliorer le quotidien du consommateur de toutes les classes de la société, avec pour but ultime de créer une société de consommation. Au XIXe, l’idéologie hygiéniste cherche à assainir les villes et le foyer, à éclairer et faciliter les mobilités. Mais l’objectif réside surtout dans la création d’objets nouveaux nécessitant un large consensus entre le consommateur et l’entreprise. Sans engendrer une totale aliénation des individus, le marketing joue un rôle essentiel : le changement technique devient une construction sociale. L’émergence et le développement des grands réseaux techniques ont été le produit des réponses apportées aux besoins de la société. Les réseaux d’eau répondent ainsi aux conditions de vie désastreuses des citadins. De leur côté, les chemins de fer offrent une solution à un besoin de mobilité non satisfait par la route et les canaux. De même les réseaux télégraphiques et téléphoniques permettent d’assurer la gestion de réseaux physiques (électricité, chemin de fer) et d’asseoir la boulimie d’information du consommateur final. Une fois créés, les réseaux s’étendent et fusionnent en passant du régional au national et à l’international selon des modalités très variées, jouant un rôle central dans l’évolution des systèmes techniques. La signalisation ferroviaire, par exemple, passe des procédés manuels à des techniques mécaniques, puis électromécaniques à distance, ensuite des automatismes liés à l’électronique, enfin des technologies par câbles ou satellites ainsi que l’informatique de réseaux, c’est-à-dire « le tout électronique ».

17Troisième conclusion : il paraît possible à ce stade de répondre aux cinq questions posées en introduction. En premier lieu, à long terme, les choix technologiques revêtent un caractère fondamentalement culturel. Les ingénieurs, les scientifiques ne font que transposer dans un monde matériel les besoins et les aspirations d’une société se reflétant dans les courants de pensée et les idéologies qui les traversent : tel est le cas de l’hygiénisme et de la recherche du confort et du bien-être aux XIXe et XXe siècles, ou celui de la consommation de masse issue de processus d’approbation (côté consommateur) et de dynamiques internes aux différentes filières (côté producteur) associés à une offre proliférante. Mais le modèle apparaît de plus e plus difficile à maîtriser, d’où le rôle des savants et des politiques de recherche.

18Deuxièmement, une fois reconnue l’importance de l’inventeur individuel, l’entreprise doit être considérée comme le lieu privilégié de la naissance des innovations et de la maîtrise du changement technique. La fonction de recherche s’est transformée en quatre étapes :

  • Dans l’atelier d’artisan, l’innovation repose sur une adaptation permanente et spontanée de l’outil et de la machine à son usage ;
  • Dans l’entreprise entrepreneuriale, l’atelier est le lien de la rencontre entre des savoirs-faire accumulés et des savoirs acquis à l’extérieur dans les écoles et les laboratoires mais aussi dans d’autres ateliers ;
  • Dans la firme intégrée verticalement, le service de la recherche devient l’une des composantes de l’organisation multidimensionnelle et centralisée de l’entreprise ;
  • Dans celle organisée en réseau, les activités de recherche sortent de l’isolement où les a placées l’organisation centralisée. Elles s’intègrent, selon diverses modalités, dans un réseau de relations et d’échanges d’informations entre des unités multiples et variables en fonction des projets.

19Troisièmement, l’interactivité des métiers au sein du monde artisanal préfigure le vaste réseau d’échanges que la firme doit mettre en place avec d’autres laboratoires de recherche et d’autres acteurs du changement technique. Ces réseaux engagent les orientations à long terme de l’entreprise. Ils témoignent d’un caractère multiforme. Basés sur le dialogue client-fournisseur et utilisateur-producteur, ils s’intègrent dans des programmes de recherche ou des actions individuelles de marketing. Ces réseaux permettent la coopération avec des entreprises de proximité, locales ou sectorielles ainsi que des acteurs sociaux concernés par l’activité de l’entreprise. Ils peuvent former autour de cette firme un « groupe social » constitué d’autres entreprises et d’organismes dépendants ou associés, en vue de promouvoir et de développer un ensemble de produits et de procédés originaux, c’est-à-dire une filière nouvelle. Par suite, la concurrence entre les firmes ne se limite plus à simple confrontation entres des qualités et des prix, mais se déploie dans un univers social et politique beaucoup plus large.

20En quatrième lieu, la construction des savoirs techniques apparaît comme le fruit de la rencontre entre plusieurs types de savoirs. Ceux artisanaux et ouvriers sont le produit d’un apprentissage permanent, selon une courbe d’expérience propre à chaque discipline. Ceux formalisés, c’est-à-dire élaborés par des experts et des ingénieurs à partir de l’observation des pratiques ouvrières et artisanales peuvent aussi résulter de l’invention de procédés et de produits nouveaux à partir de la connaissance approfondie, acquise sur le terrain des processus de fabrication et de leurs dysfonctionnements. En résulte la naissance de disciplines nouvelles (génie-chimique) mais aussi la création précoce de centres de recherche et de laboratoire à activité hybride. Parce que les ingénieurs mettent en pratique des principes scientifiques, dont ils ont acquis la connaissance dans les écoles. En renforçant la proximité entre les deux savoirs, ces centres et laboratoires ouvrent la voie à la formation d’un corpus de connaissances combinant, dans chaque discipline, les trois types de savoirs, sans pour autant, faire disparaître leur différenciation.

21En dernier lieu, le concept de révolution industrielle semble valide mais à condition de l’intégrer dans une vision générale de la succession des épisodes inscrits dans le déroulement des deux temps longs déjà identifiés (XIIe – début XIXe siècles puis début XIXe – fin du XXe siècle). L’époque médiévale et moderne, du XIIe aux années 1760, débouche sur la première révolution industrielle (1760-1830). En effet, sur la base des technologies nouvelles apparues au cours de celle-ci, se construit entre les années 1830 et 1880, un système technique cohérent fondé sur l’énergie vapeur et l’utilisation de potentialités de la machine. Les technologies de la seconde révolution industrielle émergent entre les décennies 1880 et 1900. Elles apportent des solutions aboutissant à la recomposition complète du système technique, d’où l’électricité industrielle, le moteur à explosion, les industries de la chimie organique, les débuts de l’électronique et l’essor du processus d’internationalisation de la recherche. Entre les années 1900 et la décennie 1960, les technologies nées au cours de la seconde révolution industrielle étendent leurs domaines d’application à la production de masse, à l’exploitation et l’extension des réseaux techniques à grande échelle. La période voit en particulier la diffusion de l’utilisation des procédés électroniques et informatiques. A partir des années 1980, ces technologies connaissant une transformation radicale. Celle-ci fait surgir une société dominée par l’usage des techniques de communication et la résolution des problèmes environnementaux. L’on entre ainsi dans une troisième révolution industrielle.

Notes

  • [1]
    François Caron, Histoire de l’exploitation d’un grand réseau. La Compagnie des Chemins de Fer du Nord, Mouton, 1975.
  • [2]
    François Caron, Histoire des chemins de fer en France, Paris, Fayard, tome 1 – 1740-1883, Paris, 1997 ; tome 2 – 1883-1937, 2005.
  • [3]
    François Caron, Les grandes compagnies de chemin de fer en France 1823-1937, Paris, Archives économiques du Crédit Lyonnais, Genève, Droz, 2005.
  • [4]
    François Caron, Histoire économique de la France XIXe-XXe siècles, A. Colin, Paris, 1996.
  • [5]
    François Caron, Le résistible déclin des sociétés industrielles, Perrin, 1985.
  • [6]
    François Caron, Les deux révolutions industrielles du XXe siècle, Paris, Albin Michel, 1997.
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