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Article de revue

Y a-t-il eu une « Révolution conservatrice » sous la République de Weimar ?

Pages 123 à 141

Notes

  • [1]
    Gilbert Merlio est professeur d’études germaniques à l’Université de Paris IV.
  • [2]
    Internationale Zeitschrift für Philosophie, herausgegeben von Günter Figal und Enno Rudolph, Stuttgart, Metzler, 2000, Heft 2, p. 145-156. Cet article a été republié dans le N° 6 des Carnets. Revue du Centre de recherche et de documentation Ernst Jünger (édités par Danièle Beltran-Vidal à Montpellier), 2001, p. 9-26.
  • [3]
    Stefan Breuer, Anatomie der konservativen Revolution, Darmstadt 1993. Traduction française d’Olivier Mannoni : Anatomie de la Révolution conservatrice, Paris, 1996 ; Grundpositionen der deutschen Rechten (1871-1945), Tübingen 1999 ; Ordnungen der Ungleichheit-die deutsche Rechte im Widerstreit ihrer Ideen 1871-1945, Darmstadt 2001.
  • [4]
    « Le processus dont je parle n’est rien d’autre qu’une révolution conservatrice d’une ampleur inouie dans l’histoire européenne ».
  • [5]
    En 1876, Dostoïesvki appelle ses compatriotes à être en Europe des « révolutionnaires par conservatisme » et Charles Maurras réclame au début du xxe siècle une « révolution conservatrice », « une Restauration, un retour à l’ordre ».
  • [6]
    Breuer signale aussi une occurrence du terme, pris dans un sens tout différent, dans un discours de Friedrich Engels, le 22 février 1848 !
  • [7]
    Breuer, Anatomie p. 1.
  • [8]
    En fait, en les présentant comme les « trotzkistes » du national-socialisme, Mohler admet malgré tout une proximité.
  • [9]
    Seuls en fait les trois premiers groupes comptent vraiment et seront dorénavant au centre des préoccupations des théoriciens de la « Révolution conservatrice ». Mohler lui-même, dans la bibliographie commentée jointe à son opus magnum lors de la réédition de ce dernier à la Wissenschaftliche Buchgesellschaft de Darmstadt en 1989, passe sous silence le Landvolkbewegung.
  • [10]
    Kurt Sontheimer, Antidemokratisches Denken in der Weimarer Republik, Studienausgabe mit einem Ergänzungsteil, München 1968. Ce livre, qui constitue toujours un ouvrage de référence, n’a malheureusement pas été traduit en français.
  • [11]
    C’est évidemment le cas pour les historiens de la RDA comme Johannes Petzold, Konservative Theoretiker des deutschen Faschismus, Berlin-Ost, 1978.
  • [12]
    Jean-Pierre Faye, Langages totalitaires, Paris, 1972.
  • [13]
    Heide Gerstenberger, Der revolutionäre Konservativismus. Ein Beitrag zur Analyse des Liberalismus, Berlin, 1989.
  • [14]
    On trouvera les travaux du groupe de Strasbourg réunis dans l’ouvrage collectif : Louis Dupeux (dir.), La « Révolution conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar, Paris, 1992
  • [15]
    Denis Goeldel, Moeller van den Bruck (1876-1925). Un nationaliste contre la révolution. Contribution à l’étude de la « Révolution conservatrice » et du conservatisme allemand du xxe siècle., Frankfurt/M. e.a., 1984.
  • [16]
    Louis Dupeux, National-bolchevisme en Allemagne sous la République de Weimar. Stratégie communiste et dynamique conservatrice. Essai sur les différents sens de l’expression « National-bolchevisme »,Paris, 1976. Traduction allemande de R. Kirchhoff : « Nationalbolschewismus » in Deutschland 1919-1933, München 1985.
  • [17]
    Jeffrey Herf, Reactionnary Modernism. Technology, Culture, and Politics in Weimar and the Third Reich, New York 1984.
  • [18]
    Gilbert Merlio, « La « Révolution conservatrice » : contre-révolution ou révolution d’un nouveau type » in : Manfred Gangl/Hélène Roussel, Les intellectuels et l’État sous la République de Weimar, Rennes 1992, p. 39-54.
  • [19]
    Otto-Ernst Schüddekopf, Linke Leute von rechts. Die nationalrevolutionären Minderheiten und der Kommunismus in der Weimarer Republik, Stuttgart 1960. Les éditions ultérieures portent le titre : Nationalbolschewismus in Deutschland 1918-1933.
  • [20]
    Panajotis Kondylis, Konservativismus. Geschichtlicher Gehalt und Untergang, Stuttgart 1986.
  • [21]
    Cf. l’expression bien connue de Guillaume II à l’adresse des sociaux-démocrates qu’il qualifie de « types sans patrie » ( vaterlandslose Gesellen).
  • [22]
    Gilbert Merlio, « Le concept de « Révolution conservatrice ». À propos de deux ouvrages de Stefan Breuer » in : Études germaniques, oct. déc. 1997, p. 673-688.
  • [23]
    München 1986, traduction de l’édition anglaise : The politic of cultural despair. A study in the rise of Germanic ideology, Berkeley 1961.
  • [24]
    Il est vrai, comme l’affirme Breuer p. 8 de son ouvrage Grundpositionen…, dont il sera question plus loin, qu’il est difficile de trouver des points communs entre le conservateur Ernst Ludwig von Gerlach, qui considérait l’État comme une grande famille, et Willibald Hentschel qui, au tournant du xxe siècle, s’efforçait dans ses communautés « Mittgart » de sélectionner une race supérieure. Le dénominateur commun existe puisque Hentschel, tout en pratiquant un eugénisme moderne, essaie ainsi de restaurer la pureté de la race « normande-saxonne » dont l’évolution moderne a causé la dégénérescence. Le conservatisme est toujours une recherche de l’origine.
  • [25]
    L’opposition entre une « communauté » fondée sur des liens historiques et affectifs et une société fondée sur le contrat a été théorisée par le sociologue Ferdinand Tönnies dans son livre Communauté et société paru pour la première fois en 1887. Cette opposition, d’origine romantique, et qui recoupe l’antithèse culture/civilisation, a enrichi l’arsenal idéologique des droites allemandes déplorant l’avènement d’une société moderne individualiste et plaidant pour le retour ou la recréation d’une « communauté » organique.
  • [26]
    Op. cit. ; p. 121
  • [27]
    Qu’il n’y ait qu’une différence de degré, c’est-à-dire qu’il n’y ait pas d’opposition discriminante, S. Breuer semble l’admettre p. 15 de son dernier livre : Ordnungen der Ungleichheit, Darmstadt 2001, voir plus bas.
  • [28]
    Rolf Peter Sieferle, Die Konservative Revolution. Fünf biographische Skizzen, Frankfurt/ Main, 1995. Ces « esquisses biographiques » sont celles de Paul Lensch, Werner Sombart, Oswald Spengler, Ernst Jünger, Hans Freyer.
  • [29]
    Cf. Sieferle p. 22.
  • [30]
    Cf. Gilbert Merlio, « Die Idee einer Revolution von rechts am Ende der Weimarer Republik » in : Barbara Koehn, La Crise de la modernité européenne, Presses Universitaires de Rennes, 2001.
  • [31]
    Stefan Breuer, Grundpositionen der deutschen Rechten (1871-1945), Tübingen 1999 ; et surtout Ordnungen der Ungleichheit- die deutsche Rechte im Widerstreit ihrer Ideen, Darmstadt, 2001.
  • [32]
    En 1995, Stefan Breuer a publié à la Wissenschaftliche Buchgesellschaft de Darmstadt un livre sur le Cercle de George : Ästhetischer Fundamentalismus. Stefan George und der deutsche Antimodernismus.
  • [33]
    Auteur en 1927 d’un ouvrage critiquant la démocratie « Le règne des inférieurs ».
  • [34]
    Martin Greiffenhagen, Das Dilemma des Konservatismus, München 1971.
  • [35]
    Aspects du fondamentalisme national en Allemagne de 1890 à 1945, Presses Universitaires de Strasbourg, 2001.
  • [36]
    Breuer, Gab es…, p. 156.
  • [37]
    Stefan Breuer, « Rudolf Borchardt und die “Konservative Revolution” in : Ernst Osterkamp (dir.), Rudolf Borchardt und seine Zeitgenossen, Berlin New York, 1997, p. 370-385 ; “Ein Mann der Rechten ? Thomas Mann zwischen konservativer Revolution, ästhetischem Fundamentalismus und neuem Nationalismus” », in Politisches Denken, Jahrbuch 1997, p. 119-140.
À la mémoire de Louis Dupeux

1À dessein, j’emprunte le titre de cet article à Stefan Breuer, qui l’a employé pour un texte paru en 2000 dans le Cahier 2 de la Internationale Zeitschrift für Philosophie[2]. On ne peut plus aujourd’hui s’intéresser au néo-conservatisme ou au néo-nationalisme weimarien sans connaître les ouvrages publiés dans la dernière décennie sur ce sujet par le sociologue et politologue hambourgeois [3]. Dans toute une série de publications, Stefan Breuer s’attache en effet à démontrer qu’il n’y a pas eu de « révolution conservatrice » sous Weimar, que ce concept n’est guère pertinent et doit être éliminé du vocabulaire scientifique et historique. Devons-nous le suivre ?

Genèse et histoire du concept

2L’idée, comme souvent, a existé avant le mot. Elle part de la constatation des dégâts causés par le progrès détruisant valeurs et structures traditionnelles. Selon cette analyse, il faut stopper ce processus, qui s’est accéléré depuis la Révolution française, par une contre-révolution restaurant les valeurs traditionnelles. Ou plus exactement ­ et la précision est d’importance car les tenants de cette idéologie ne veulent pas être de simples réactionnaires s’accrochant à un passé révolu ­ la « révolution » doit avoir pour but la conservation ou la restauration de valeurs qui méritent d’être conservées et que le cours des temps met en péril. Mais nous voilà déjà au cœur du débat. Revenons au mot.

3On a longtemps cru qu’il était apparu sous la plume de Hugo von Hofmannsthal dans son discours de 1927 : La littérature comme espace spirituel de la nation (Das Schrifttum als geistiger Raum der Nation) [4]. Hofmannsthal appelait de ses vœux un mouvement de réaction au processus enclenché par la Renaissance et la Réforme (l’influence de Novalis est sensible), afin de permettre à l’homme actuel d’échapper à la dissociation moderne et de retrouver son lien à la totalité. Armin Mohler, sur lequel nous reviendrons, relève qu’avant Hofmannsthal le terme avait déjà été employé par Thomas Mann dans un article de 1921 « Anthologie russe ». Au cours de ses recherches, S. Breuer a détecté d’autres occurrences, notamment à l’extérieur de l’Allemagne, chez Dostoïevski et chez Maurras [5]. Dans le domaine allemand [6], il remarque que l’emploi de l’expression par Thomas Mann s’explique sans doute ­ outre l’influence de Dostoïevski ou des auteurs russes panslavistes ­ par le fait que l’auteur des Considérations d’un homme qui ne fait pas de politique, comme en fait foi, dès cette époque, son Journal, a entendu en 1919 une conférence de Hans Blüher, l’historien et le théoricien du Mouvement de jeunesse, dans laquelle celui-ci, appelant les jeunes à se révolter contre l’étroitesse étouffante de la civilisation bourgeoise, expliquait que l’Esprit était toujours à la fois conservateur et révolutionnaire. La paradoxale association des deux termes « conservateur » et « révolutionnaire » se retrouve alors sous la plume de Rudolf Pannwitz, de Arthur Moeller van den Bruck, et même du libéral Ernst Troeltsch qui, en 1922, voit dans la réaction de l’idéologie allemande à la doctrine des droits naturels de l’Europe occidentale une véritable « révolution conservatrice ».

4Après le manifeste de Hofmannsthal, le syntagme paradoxal connaîtra une nouvelle vogue et sera employé par Rudolf Borchardt, puis, dans une acception de plus en plus politique, par Edgar Julius Jung et par Hermann Rauschning. Le livre de ce dernier La Révolution conservatrice. Essai et rupture avec Hitler, paru en 1941 aux États-Unis, était l’une des premières interprétations conservatrices du national-socialisme. Rauchning se réclamait de la tradition chrétienne et monarchique pour l’opposer au nihilisme moderne incarné à ses yeux aussi bien par le bolchevisme que par le national-socialisme, ainsi d’ailleurs que par la synthèse démoniaque entre ces deux courants effectuée par le national-bolchevisme de Jünger et de Niekisch. Pourtant, chez les amis de ces derniers et dans les revues qu’ils animent, l’idée d’une révolution conservatrice n’est pas absente. Ainsi, Ernst von Salomon déclare en 1929 que la conjonction de l’élément conservateur et de l’élément révolutionnaire est la caractéristique de toutes les forces qui, en Allemagne, veulent un vrai changement. Ce rappel historique amène Breuer à conclure qu’il n’y a pas une mais plusieurs « révolutions conservatrices » et que, par conséquent, ce concept est une construction a posteriori artificielle sans valeur historique et heuristique.

5Le grand responsable de l’homogénéisation de ce champ hétérogène (selon Breuer) est Armin Mohler. C’est lui qui a fait de l’expression de « révolution conservatrice » « l’une de celles qui ont eu le plus de succès dans l’histoire récente des idées » [7]. Son ouvrage La révolution conservatrice en Allemagne 1918-1932. Un manuel. (Die konservative Revolution in Deutschland 1918-1932. Ein Handbuch), en fait sa thèse de doctorat rédigée à Bâle sous la direction de Karl Jaspers et parue en 1949, a imposé l’usage du syntagme comme terminus technicus désignant à la fois une « conception du monde » (Weltanschauung) cohérente et une entité historique, culturelle et politique, de la République de Weimar. Mohler, alors secrétaire de Ernst Jünger et parlant en sympathie évidente avec l’objet de son étude, présentait la « Révolution conservatrice » comme la forme allemande de la véritable alternative à l’idéologie libérale et progressiste issue de la Révolution de 1789 (le socialisme marxiste n’étant que le frère ennemi de ce progressisme libéral). Il prenait surtout grand soin de la démarquer à la fois du vieux conservatisme réactionnaire agrippé à son statut et à ses privilèges et du national-socialisme raciste et plébéien [8]. La cohérence idéologique de la « Révolution conserva- trice » tient surtout, selon Mohler, à l’influence que Nietzsche et son constat du nihilisme européen, sa conception cyclique de l’histoire contraire à tout unilinéarisme progressiste, son rejet de l’humanisme universaliste et égalitariste, son approbation héroïque de la vie dans l’attente d’un « grand midi » ont pu avoir sur ses représentants. Ceux-ci ne souhaitent pas le retour au wilhelminisme. Ils ne prêchent pas le « grand soir », mais le « grand tournant ». Ils sont donc bien, à leur manière, des révolutionnaires, mais ils restent conservateurs dans leur souci de sauvegarder ou de retrouver les valeurs essentielles de la nation. Le livre de Mohler a été le premier à présenter une description ordonnée de cette mouvance intellectuelle et politique. Il est parti pour ce faire de l’auto-définition des différentes tendances : völkische, jeunes-conservateurs, nationaux-révolutionnaires, jeunesse bündisch, Landvolkbewegung (mouvement de révolte paysanne, notamment en Schleswig- Holstein, à la fin des années vingt) [9].

6Comme le « syntagme paradoxal » de « révolution conservatrice », la classification mohlerienne s’est en gros maintenue chez les auteurs qui ont par la suite abordé ce sujet. Il a donc été utilisé pour désigner cette nébuleuse d’intellectuels « ni gauche ni droite » ayant marqué la culture politique de la République de Weimar. Elle se structure en différents groupes qui ont chacun leurs maîtres à penser et disposent de cercles et de publications pour la diffusion de leurs idées : le « Club de Juin » (Juni-Klub) puis « Club des Messieurs ou des Seigneurs ou des Maîtres » (Herrenklub) et les revues Das Gewissen (La conscience) puis Der Ring (Le Cercle) pour les « jeunes-conservateurs » dont Arthur Moeller van den Bruck est le guide jusqu’à son suicide en 1925 ; Der Widerstand (La Résistance) pour les nationaux-bolchevistes de Ernst Niekisch ; Die Standarte (L’étendard), Arminius, Der Vormarsch (L’Offensive) pour les nationaux-révolutionnaires autour des frères Jünger etc. Ces revues ont été parfois d’un excellent niveau, comme par exemple Die deutsche Rundschau de Rudolf Pechel, proche des jeunes-conservateurs, ou Die Tat (L’Action) qui, à partir de 1930, devient, avec plus de 20 000 abonnés, la plus importante revue politique allemande, défendant notamment l’idée du socialisme national et du « troisième front ». Les idées de la « Révolution conservatrice » sont également véhiculées par les organisations de la Bündische Jugend (Jeunesse ligueuse) ou des formations paramilitaires ou parapolitiques comme le Jungdeutscher Orden d’Arthur Mahraun.

7Dans sa thèse de 1962 La pensée antidémocratique sous la République de Weimar[10], le politologue Kurt Sontheimer traite aussi bien du « nationalisme allemand » (Deutsch-Nationalismus) et du national-socialisme que des courants nationaux-révolutionnaires (mais pas du communisme que l’on aurait pu également compter au nombre des forces antirépublicaines !). Il a la sagesse de réserver le « syntagme paradoxal » au groupe qui s’en est le plus explicitement réclamé, celui des jeunes-conservateurs (surtout E.J. Jung). Au début des années soixante-dix, à une époque marquée, notamment en Allemagne, par le néo-marxisme, l’accent est mis sur le caractère conservateur, voire réactionnaire, des intellectuels de la « Révolution conservatrice ». Face au camp progressiste et humaniste, et bien que certains représentants de la « Révolution conservatrice » aient été persécutés, voire exécutés (E.J. Jung) par les nazis, on insiste généralement sur l’aspect rhétorique de leur pathos révolutionnaire et sur leur responsabilité dans la montée du national-socialisme, sinon sur leur parenté foncière avec ce mouvement [11]. Certes, ce dernier, le seul qui ait pour finir trouvé sa traduction politique, garde sa spécificité du fait de son racisme biologique et comme parti de masse « plébéien ». Mais tous ces groupes, pense-t-on, ont parlé finalement les « mêmes langages totalitaires [12] » et ont contribué à la « mise en acceptabilité idéologique » du nazisme. Pour souligner le conservatisme de ces penseurs, Heide Gerstenberger, qui s’intéresse surtout, il est vrai, à certains « jeunes conservateurs » (Max Hildebert Boehm, Wilhelm Stapel, Edgar Julius Jung), inverse le « syntagme paradoxal [13] ». Elle analyse la « fonction subjective » de leur idéologie qui est de rassurer les élites intellectuelles bourgeoises (Bildungsbürgertum) menacées dans leur statut, et sa « fonction objective » qui est de stabiliser un libéralisme et un capitalisme en crise.

Changement de paradigme

8Cependant, certains commencent à s’apercevoir du modernisme au moins relatif de ces doctrines. Le groupe de chercheurs français réunis à intervalles réguliers par Louis Dupeux à Strasbourg, à partir du milieu des années 1970, va dans cette direction. Un colloque de 1981 sur « Révolution conservatrice et modernité » [14] montre que la Révolution conservatrice, loin d’être anti-moderniste et réactionnaire, se caractérise au contraire par son acceptation résolue de la modernité, notamment de la modernité industrielle et technique. Du coup, le syntagme paradoxal est mis en cause. Dupeux propose que l’on mette l’expression systématiquement entre parenthèses, pour qu’elle soit remplacée par « réaction moderne » plus propre à qualifier l’attitude générale de ces penseurs ; Denis Goeldel parle quant à lui de « stratégie de modernisation radicale du conservatisme allemand » [15]. Les travaux du groupe de Strasbourg ne seront guère connus outre-Rhin qu’après la publication en allemand de l’ouvrage de Dupeux sur le national-bolchevisme [16]. Entre-temps, le changement de paradigme dans l’analyse de la « Révolution conservatrice » avait été confirmé par la publication en 1984 du livre de Jeffrey Herf Reactionnary modernism[17]. Herf accentue l’antithèse et souligne à son tour l’attitude résolument moderniste des tenants de la « Révolution conservatrice », notamment leur approbation de la modernité technique. L’historien américain traite non seulement de personnalités comme Spengler ou Jünger, mais aussi de Werner Sombart, des « mandarins allemands » en général, de « l’idéologie des ingénieurs » si influente sous Weimar, et il applique pour finir son « syntagme paradoxal » au national-socialisme. Cet ouvrage américain eut un certain retentissement en Allemagne. La thèse selon laquelle les mouvements « proto-fascistes » ou même le national-socialisme pourraient comporter des aspects modernes suscitait encore un certain émoi dans les milieux intellectuels allemands traumatisés par le passé et qui admettaient difficilement que la « modernité » pût aussi être antidémocratique et emprunter les voies du totalitarisme.

9Dans un article paru en 1992 [18], je posai la question de savoir s’il ne fallait pas, en reprenant la topographie en fer à cheval dessinée par Jean-Pierre Faye, distinguer deux camps ou deux courants. D’une part, à la droite de cette nouvelle droite, celui des « jeunes-conservateurs », moins jeunes que leur nom veut bien l’indiquer, car ils appartiennent pour beaucoup d’entre eux à une génération socialisée et formée dès avant la guerre, et beaucoup d’éléments les rattachent encore au conservatisme traditionnel : lien à l’État autoritaire et corporatiste, au mythe du Reich etc. Certains d’entre eux, tel Spengler ou Jung, sont devenus des intellectuels organiques des élites en place, notamment de la grande industrie, et ont collaboré plus ou moins avec le « vieux-nationalisme » du Parti populaire national allemand (DNVP) dans sa tentative de subversion de la République. Même s’ils n’envisageaient pas un retour au wilhelminisme, dont la défaite militaire en 1918 avait consommé la faillite, ils continuaient à se réclamer des valeurs prusso-allemandes traditionnelles et la « révolution de droite » qu’ils préparaient revêtait à bien des égards les traits d’une contre-révolution visant au remplacement de la République par un État autoritaire permettant à l’Allemagne de recouvrer son statut de grande puissance hégémonique. Ils ne souhaitaient par ailleurs aucun véritable bouleversement économique et social.

10En revanche, à la gauche de cette nouvelle droite, les nationaux-bolchevistes de Niekisch et les nationaux-révolutionnaires groupés autour des frères Jünger refusaient toute compromission avec les élites en place et proposaient une révolution radicale d’un autre type, ni libérale, ni marxiste. Ils appartenaient généralement à une génération plus jeune formée pendant la guerre. Il y avait chez eux un culte de la violence et du dynamisme rappelant le syndicalisme révolutionnaire de Sorel et le futurisme italien. Leurs théories portent la marque d’un modernisme indubitable qui leur a valu le nom de « gens de gauche de la droite » [19], car il semble en effet directement emprunté à la gauche prolétarienne : dynamique révolutionnaire, affect anti-bourgeois, renouvellement des élites, État fort centralisé, économie planifiée, solidarité sociale, approbation de la technique. Ils sont nationalistes, rejettent tous les idéaux universalistes, mais ils se rendent compte que la modernisation technique conduit à un ordre planétaire et rend d’une certaine façon leur nationalisme obsolète. C’est pourquoi le grand essai de 1932, Le Travailleur, marque chez Jünger le commencement de la fin de son engagement nationaliste. Dans ce « fer à cheval », les Völkische, dont la notion principale est le Peuple défini de façon à la fois mystique et raciale (ethnique), seraient à placer au centre car leurs idées contaminent peu ou prou toutes les autres composantes.

11En 1993, dans son Anatomie de la révolution conservatrice, Stefan Breuer franchit un pas de plus. Il s’efforce de trouver « le noyau commun de convictions » qui puisse justifier l’application du concept de « révolution conservatrice » à l’ensemble des mouvements et des groupes que l’on a pris l’habitude de désigner globalement par ce nom. Or, ni dans la conception de l’ennemi, de la race, de l’État, du Reich, ni dans l’attitude face au fascisme italien, à la République de Weimar et au national-socialisme, il ne trouve de dénominateur commun, excepté le nationalisme. Ce qui le conduit à exiger que l’on raye la « Révolution conservatrice » de la liste des courants politiques du xxe siècle. Il faut abandonner un concept qui, selon lui, crée plus de confusion que de clarté. S. Breuer a beaucoup travaillé et publié sur Max Weber et se réclame de la méthode idéal-typique. Or, selon lui, le concept de « Révolution conservatrice » n’est pas pertinent, car cette mouvance n’est rien moins que conservatrice. Elle est même la preuve que le conservatisme a perdu sous Weimar toute substance. Breuer s’appuie sur les thèses de Panajotis Kondylis [20] pour qui le conservatisme est l’idéologie de la noblesse cherchant à maintenir les structures et les valeurs de la societas civilis féodale face à l’emprise de l’État moderne centralisé et à la montée de l’économie marchande éliminant peu à peu l’économie patrimoniale (oïkos). Le conservatisme meurt avec les derniers résidus de la société féodale lors de la Première Guerre mondiale. Le prétendu néo-conservatisme qui se manifeste alors n’est au fond que l’envers du libéralisme (on retrouve un peu la thèse de Heide Gerstenberger), la tentative de proposer une solution à la « crise de la modernisation ». La pseudo-Révolution conservatrice porte les stigmates de la « modernité réflexive », c’est-à-dire d’une modernité prenant conscience des maux et des impasses de la « modernisation simple », scientifique et technique : volontarisme, esthétisme (j’ajouterais volontiers, pensant notamment à Spengler, cynisme), toutes choses étrangères en effet au conservatisme traditionnel enraciné dans une tradition, sinon dans une religion.

12Dans Anatomie de la Révolution conservatrice, S. Breuer recule devant le « travail de Sisyphe » qui consisterait à redéfinir séparément chaque composante et ressent la nécessité scientifique de disposer d’une nouvelle dénomination d’ensemble. Sur le plan idéal-typique, le substitut qui lui paraît devoir s’imposer est le concept de « nouveau nationalisme » dont il souligne les vertus heuristisques. Par rapport au « vieux-nationalisme », celui du xxe siècle, qui ne visait qu’à permettre à l’Allemagne de jouer son rôle de grande puissance, ce nouveau nationalisme est « charismatique », c’est-à-dire de nature mystique et messianique, « holiste » ou « inclusif », c’est-à-dire visant à la « nationalisation des masses » exclues jusqu’ici par les élites féodales ou bourgeoises du corps de la nation [21] et de la participation au pouvoir, révolutionnaire ou anarchiste, car il ne pense qu’à bouleverser des institutions étatiques que l’ancien cherchait à conforter. À l’intérieur du champ ainsi défini, on retrouve la variante « jeune-conservatrice » des Schmitt, Stapel, Moeller et autres Jung, qui s’accommode du capitalisme mais réclame un État fort, la variante soldatique des frères Jünger, qui prône la « mobilisation totale » de la nation, la variante national-bolchevique de Ernst Niekisch caractérisée par son rejet du capitalisme occidental, la variante sociale du Tatkreis enfin, qui met en avant la justice sociale. Un idéal-type est pertinent dans la mesure où il permet de discriminer. C’est le cas pour celui-ci, nous dit Breuer, non seulement à l’égard du « vieux-nationalisme », mais aussi à l’égard du national-socialisme, puisque pour ce dernier la catégorie centrale ou la finalité suprême n’est pas la nation mais la race, dont il s’agit d’établir à l’échelle planétaire la pureté et le règne. En outre, le concept de « nouveau nationalisme » permet d’utiles comparaisons avec les autres nationalismes européens, alors que la notion de « révolution conservatrice » portait au repliement sur le mouvement allemand.

Critique de la thèse de Stefan Breuer

13Tout en reconnaissant la richesse, la pertinence et la cohérence de l’argumentation de S. Breuer, j’avais à l’époque critiqué cette volonté de substituer le concept de « nouveau nationalisme » à celui de « révolution conservatrice ». Au cours d’un débat et dans l’article que j’avais publié par la suite dans Études germaniques[22] ­ et dont la contribution présente reprend un certain nombre d’éléments ­, j’avais soumis à Stefan Breuer une série de questions. Si le conservatisme historique d’origine féodale disparaît bien après la Première Guerre mondiale, ne subsiste-t-il pas d’autres formes de conservatisme ? Breuer consacre un chapitre à l’origine sociale des représentants de la Révolution conservatrice et constate (un peu dans la ligne de Fritz Stern dans son ouvrage Kulturpessimismus als politische Gefahr [23]) que s’expriment en elle les frustrations, les craintes et les espoirs d’une « bourgeoisie de culture » (Bildungsbürgertum) dont le rôle est menacé à la fois par la montée du socialisme prolétarien et par la « ploutocratie » capitaliste. Ne peut-on parler à cet égard d’un conservatisme des classes moyennes, comme on parlera un peu plus tard d’un « extrémisme des classes moyennes » à propos du national-socialisme ? N’y-a-t-il pas, chez les plus modernistes ou les plus révolutionnaires des représentants de la « Révolution conservatrice », la volonté de sauvegarder ou de restaurer, au sein même et par les moyens de la rationalité technique et organisationnelle la plus avancée, une substance, des valeurs que le processus de modernisation met en péril [24]. Eux-mêmes se voient et se disent dans ce sens conservateurs. Moeller van den Bruck affirme qu’être conservateur, c’est créer des valeurs qui méritent d’être conservées et prétend que son socialisme national est apte à recréer une « communauté » détruite par la « société » moderne [25]. Cette volonté de retour à l’archaïque, à ce qui précède toute histoire, qu’on le nomme peuple, « être allemand » (Deutschtum), sang, sol, race, vie ou à ce que E. Jünger appelle « l’élémentaire », avec quoi l’État du Travailleur doit renouer au sein même de l’ordre technique, est présent chez presque tous ces idéologues, même les plus modernistes d’entre-eux. Paraphrasant Moeller van den Bruck, K. Sontheimer écrit : « Les Anciens tendaient vers la restauration, le conservatisme des Jeunes cherche à rétablir le lien avec les valeurs et les biens suprêmes de la nation » [26]. Sontheimer (et donc Moeller) ont-ils tort de parler de conservatisme ?

14D’autre part, peut-on à ce point opposer le vieux-nationalisme exclusif au nouveau nationalisme inclusif ? Le premier ne rêvait-il pas aussi d’intégration, même s’il refusait toute participation au pouvoir des masses. Inversement, le second, prétendument inclusif, comme le sont, selon les sociologues, les sociétés modernes, ne réserve-t-il pas le pouvoir à la nouvelle aristocratie des « chefs-nés » [27] ? Et ne continue-t-il pas à rejeter du sein de la nation tous les mouvements se réclamant d’une internationale, qu’elle soit rouge, noire ou blanche (et bien sûr juive) ? De l’autre côté, y a-t-il une telle solution de continuité entre nationalisme et racisme que l’on puisse considérer le national-socialisme exclu du champ du « nouveau nationalisme » ? Le dernier chapitre de Breuer montre qu’appliqué à l’ensemble de la ci-devant « Révolution conservatrice », l’idéal-type du nouveau nationalisme a lui aussi quelque peine à subsumer toutes les contradictions, variantes et oscillations qui se présentent à l’analyse. Enfin, il me paraissait gênant d’appliquer à l’ensemble une dénomination qui a été utilisée par la composante nationale-révolutionnaire pour s’auto-définir, alors que l’expression « révolution conservatrice » ou, plus généralement, l’association des termes de conservatisme et de révolution, me paraissait moins identifiée à l’un ou l’autre des groupes (même si elle est plus fréquente chez les « Jeunes conservateurs »).

15Devant ces difficultés et ces chevauchements, la sagesse consistait, selon moi, comme le proposait aussi par ailleurs Rolf-Peter Sieferle [28], à en rester au concept traditionnel, si insuffisant fût-il. Face au libéralisme progressiste et au marxisme prolétarien, la « révolution conservatrice » cherche à définir une troisième voie, « ni gauche, ni droite », que l’on pourrait qualifier de modernisme antimoderniste. Contrairement au conservatisme traditionnel et à ses nostalgies passéistes, elle approuve résolument la modernité instrumentale (pour étendre à la modernité entière le terme que Horkheimer appliquait à la raison) ou, si l’on veut, ce que Jaspers appelle « l’ordre technique de masse », tout en rejetant tout aussi résolument les « grandes narrations » émancipatrices de la modernité substantielle. La « Révolution conservatrice » est éminemment moderne, puisqu’elle traduit le désenchantement de la modernité et tend à remplacer les religions traditionnelles par des religiosités nouvelles, nationales ou séculières (christianisme national, mysticismes païens, religions politiques) ; elle est éminemment moderniste, puisqu’elle approuve « l’ordre technique de masse », non seulement la rationalité technique, mais certaines formes de « démocratie totalitaire » (Jacob Talmon) visant à la mobilisation totale de la nation (cf. les différentes moutures du « socialisme national »). Mais elle reste anti-moderniste puisqu’elle rejette radicalement le projet normatif de la modernité.

16Le maintien du concept avait aussi, à mes yeux, le mérite (partagé il est vrai par le « nouveau nationalisme ») de permettre d’établir la topographie des grands sites du paysage politique et idéologique weimarien où, en gros, trois camps s’affrontent [29] : le libéralisme humaniste, rejoint par une partie du conservatisme modernisée et libéralisée, et par une social-démocratie révisionniste, qui tente de réaliser le projet moderne des Lumières ; le socialisme marxiste qui, également à cette fin, combat l’exploitation capitaliste et la démocratie « formelle » du libéralisme bourgeois et prône la dictature du prolétariat (ou de son avant-garde, le parti) et la collectivisation de l’économie. Et enfin les tenants d’une troisième voie (le livre de Moeller van den Bruck devait s’appeler au départ : « Le troisième parti » et non Le Troisième Reich) qui, face aux internationalismes, proposent un nationalisme radical donnant la priorité absolue aux intérêts nationaux à l’extérieur et à la cohésion nationale à l’intérieur (fin de la lutte des classes). La nation a pris ici la place du prolétariat comme sujet-objet de l’histoire (version marxiste), elle en est devenue l’ultime raison (version libérale). Une des marques essentielles de cette alternative, j’y insiste, est son refus du « projet de la modernité » et son approbation de la modernité instrumentale. L’aile jeune-conservatrice de cette mouvance approuve les règles du libéralisme économique alors que le national-bolchevisme plaide pour une planification de l’économie. Mais tous les « conservateurs révolutionnaires » rejettent le matérialisme et l’eudémonisme, dans lesquels se rejoignent, selon eux, libéralisme et marxisme. Ils le font au nom d’une idéologie héroïque et aristocratique censée exprimer les authentiques valeurs humaines. Ils sont souvent les « renégats » d’un conservatisme jugé trop libéralisé ou d’un socialisme prolétarien jugé trop révisionniste ou trop matérialiste. Si, comme l’affirme Zeev Sternhell, le fascisme se caractérise par la révision anti-matérialiste du marxisme, alors cette « troisième voie » peut être appelée fasciste. Le national-socialisme en relève « philosophiquement », même si son racisme biologique et le caractère totalitaire et barbare du régime qu’il instaure lui confèrent une place à part.

17Mais le mérite principal du syntagme paradoxal « révolution conservatrice » ­ ainsi que celui de tout autre oxymoron : « modernité régressive » (employé par Harro Segeberg à propos de Jünger), « modernisme réactionnaire » (Herf) etc. ­ était, selon moi, d’impliquer une tension dont est totalement dépourvue l’expression de « nouveau nationalisme ». Il met en évidence l’antithèse qui est en elle-même le noyau commun à toutes ces idéologies, si différentes soient-elles par ailleurs et même si les unes penchent encore vers le conservatisme, et les autres vers le modernisme le plus décidé. Toutes répondent aux crises et aux désarrois de la modernisation par l’acceptation volontariste, dans un cadre national, de « l’ordre technique de masse ». Ce qui les caractérise assez généralement, et en tout cas ce qui caractérise les plus radicales d’entre elles (je pense notamment à Jünger, mais aussi à Spengler), c’est un « réalisme héroïque » se réclamant de l’amor fati nietzschéen et qui les porte à approuver, voire à magnifier, en l’héroïsant et en l’esthétisant, le monde tel que la modernisation l’a fait : rationalisé, bureaucratisé, désenchanté. Elles proposent une fuite en avant vers une sorte d’hypermodernité débarrassée des discours humanitaires et dont elles veulent surmonter le nihilisme en la plongeant dans le bain de jouvence d’une barbarie positive, en lui insufflant l’énergie originaire puisée dans le peuple et le sang allemands.

18Tels étaient les arguments que je tentais d’opposer à la proposition faite par S. Breuer dans son ouvrage Anatomie de la Révolution conservatrice de remplacer la notion de « révolution conservatrice » par celle de « nouveau nationalisme ». Je ne mettais absolument pas en doute le fait que le concept fût contradictoire, spongieux, fourre-tout. Mais celui de « nouveau nationalisme » me paraissait aussi peu satisfaisant. La simple commodité commandait donc que l’on gardât le terme qui s’était imposé pour désigner cette famille de pensée qui avait indubitablement contribué au discrédit et à la chute de la démocratie allemande. Historiquement, il n’y a pas eu sous Weimar de « révolution conservatrice ». La « révolution de droite » envisagée dans les dernières années par un certain nombre de penseurs habituellement rattachés à la mouvance dont nous parlons ici (Carl Schmitt, Oswald Spengler, Hans Freyer etc.) [30] a été dépassée par la révolution nationale-socialiste. Visant à l’établissement d’un État autoritaire, elle a dû céder la place à l’État totalitaire qu’elle avait sans doute l’intention d’empêcher. Mais qui affirmera qu’il y a une véritable solution de continuité de l’une à l’autre ? Dans l’article cité au début de cette contribution, Stefan Breuer maintient son point de vue sur l’absence d’homogénéité de la prétendue « révolution conservatrice ». Il admet certes que tous ces auteurs ont au moins une position commune : leur hostilité au libéralisme politique. Toutefois, cette position commune ne peut être, selon lui, discriminante, puisqu’elle est partagée par d’autres courants politiques comme le national-socialisme, le Casque de Fer (association des Anciens combattants classée plutôt du côté du vieux-nationalisme) et bien sûr l’extrême gauche. C’est ne pas tenir compte de la nature de cette hostilité et des solutions politiques qu’elle entraîne. Elles ne sont pas les mêmes du côté du « néo-nationalisme » (ou de la « Révolution conservatrice ») que du côté du marxisme prolétarien et internationaliste que tous ces auteurs rejettent tout aussi unanimement que la démocratie libérale (même si, chez les nationaux-bolchevistes et les nationaux-révolutionnaires, le modèle soviétique a exercé un attrait certain, mais ils aperçoivent surtout dans le bolchevisme une forme particulièrement efficace de socialisme national). J’admets les objections tout à fait pertinentes de Breuer et je partage sa critique de A. Mohler qui a exagéré l’homogénéité du mouvement à partir « d’images directrices » trop philosophiques placées de façon hasardeuse sous le patronage de Nietzsche. Mais il me paraît difficile de nier les parentés discursives, idéologiques et politiques des auteurs en question qui souvent publiaient d’ailleurs dans les mêmes revues.

La description idéal-typique des droites allemandes par S. Breuer

19Cela posé, je ne peux que dire et redire mon admiration face aux derniers livres de Stefan Breuer [31]. Toujours selon la méthode idéal-typique, il essaie, avec une érudition extraordinaire, de mettre de l’ordre dans les droites allemandes. Et il y réussit. Breuer part de la théorie de Noberto Bobbio (Destra e sinistra, 1994) selon laquelle l’attitude face au principe d’égalité définit la différence entre la gauche et la droite. Celle-ci le rejette au nom de l’inégalité naturelle, seul fondement possible d’un ordre durable. Pour décrire les mouvements et les idéologies de droite, Breuer retient alors quatre critères qui donnent lieu à six, voire sept combinaisons. En premier lieu l’attitude face au processus de modernisation-rationalisation-différenciation (polycentrisme des valeurs selon Weber), qui peut être soit régressive soit progressive (pour ne pas dire progressiste). L’attitude régressive fonde le conservatisme classique, mais aussi les fondamentalismes (c’est-à-dire, selon la définition de Talcott Parsons à laquelle se réfère Breuer, les anti-modernismes) modernes, qui ne sont plus seulement de nature religieuse, mais peuvent attendre le salut de l’art et de la nation [32]. Par « progressif », Breuer désigne une attitude non religieuse, jugeant positivement le progrès intramondain (au risque, nous dit-il, d’engendrer une confusion avec la conception libérale ou marxiste de ce mot, la différence, capitale, provenant, selon moi, du rejet par les droites du « projet normatif de la modernité »). L’autre axe est constitué par l’opposition entre exclusif et inclusif qui distingue, selon des sociologues comme Niklas Luhmann, les sociétés pré-modernes des sociétés modernes. Dès lors, les combinaisons se mettent en place et s’appliquent aux penseurs et aux groupes. Le type régressif/exclusif est incarné par ce que Breuer appelle le « fondamentalisme esthétique » dont le Cercle de George, mais aussi, avant lui, Wagner et le cercle de Bayreuth, sont la meilleure illustration et par le fondamentalisme national-religieux de Paul de Lagarde. Du côté du pôle progressif se situe le nationalisme, le vieux-nationalisme de la bourgeoisie de culture ou d’argent (Bildungs-und Besitzbürgertum), dont le représentant le plus exemplaire est l’historien Treitschke, étant plutôt exclusif, le nouveau nationalisme d’un Moeller van den Bruck plutôt « inclusif » (à juste titre, Breuer raisonne maintenant en termes de degré et non plus d’oppositions franches). Ouvert aux différents aspects de la modernisation, le nationalisme peut s’auto-dépasser de deux façons. Soit en niant l’inclusion qui est au principe même de la nation pour déboucher dans un néo-aristocratisme exclusif. Soit en portant l’inclusion à son maximum dans un « impérialisme planétaire » tel qu’il apparaît dans « l’impéralisme faustien » de Spengler ou l’ordre technique planétaire décrit par Jünger dans son Travailleur (1932). Au centre du dispositif se trouve le nationalisme völkisch qui oscille entre régressivité et progressivité et entre exclusion et inclusion. Il accepte la modernisation « simple » (c’est-à-dire le progrès technique et économique fondé sur le principe de rendement), mais refuse la « modernisation réflexive », c’est-à-dire les effets socio-culturels de la modernisation : la marginalisation de l’agriculture et de l’artisanat, la redistribution du rôle des sexes (en clair : l’émancipation de la femme), l’expansion de la bureaucratie et de la démocratie de masse assortie de l’État-Providence, l’indépendance de la science, l’art moderne etc. Le nationalisme völkisch est inclusif puisque sa notion centrale est celle d’un Volk qu’il définit de façon mystico-raciale, (sans aller jusqu’au racisme biologique du nazisme), peuple dont la solidarité est précisément mise en péril par la « modernisation réflexive ». Mais il est également exclusif, car il pense lui aussi qu’au moins dans un premier temps, ce peuple a besoin d’une élite incarnant son identité et son unité. Ce qui donne le tableau suivant :

tableau im1

20Le petit livre Grundpositionen der deutschen Rechten (1871-1945) est structuré selon les idéal-types ainsi définis. Sont étudiés successivement, après une introduction méthodologique, la droite sous l’Empire, la droite sous Weimar et le national-socialisme en tant que phénomène à part dans lequel la polycratie politique s’accompagne d’un polycentrisme idéologique. Pour donner une idée de la façon dont les idéal-types permettent des classements selon la tendance ou la combinaison dominante, indiquons sommairement quelles personnalités ou quels groupes sont au centre des différents chapitres. En ce qui concerne le Reich wilhelminien : pour le « vieux-nationalisme », Treitschke ; pour le néo-aristocratisme, Nietzsche et les eugénistes/hygiénistes qui prônent la sélection d’une race ou d’une élite nouvelle ; pour l’impérialisme planétaire (que Breuer distingue de la Weltpolitik wilhelminienne ressortissant à l’impérialisme national classique), certains représentants des idées de 1914 comme Plenge et déjà Oswald Spengler ; pour le fondamentalisme esthétique, Wagner et George, pour le fondamentalisme national-religieux, Lagarde ; la tendance völkisch est qualifiée d’hybride, mélangeant des tendances fondamentalistes et des tendances modernistes (elle se situe, souvenons-nous, au centre du tableau) ; enfin un chapitre montre que, pas plus que la « Révolution conservatrice », les « idées de 1914 » ne peuvent être considérées comme un corpus idéologique homogène.

21En ce qui concerne la République de Weimar, Breuer décrit d’abord l’évolution vers un « nouveau nationalisme » « inclusif » (c’est-à-dire social) et « moderniste » (c’est-à-dire faisant de la nation le sujet-objet du dynamisme technique) chez Moeller van den Bruck et E. Jünger ; l’impérialisme planétaire est représenté par Spengler et Jünger, le néo-aristocratisme par le théoricien du Mouvement de jeunesse Hans Blüher et par E. J. Jung [33], le fondamentalisme par Rudolf Borchardt, qui hésite entre le fondamentalisme esthétique et un fondamentalisme religieux que l’on trouve aussi chez Rudolf Pannwitz et… Ernst Niekisch. La mouvance völkisch devient sous Weimar de plus en plus sectaire (cf. le cercle de Ludendorff) et sera vite laminée par le rouleau compresseur du national-socialisme.

22Dans son dernier ouvrage, qui est, selon l’auteur, l’élément central du triptyque constitué par ailleurs par Anatomie et Ästhetischer Fundamentalismus, Stefan Breuer cherche à donner en quelque sorte du corps à sa construction idéal-typique en s’intéressant de plus près aux différents « agrégats » idéologiques de droite. Sous quelles formes, dans quels dosages, « l’inégalitarisme » de la droite s’est-il manifesté au sein de grandeurs idéologiques ou politiques lui servant à la fois de fondement et de champ d’expression : le sol, le sang, le peuple ou la nation, la politique intérieure, l’impérialisme, l’économique et le social, la politique pro-ou antinataliste, l’antithèse culture-civilisation, la religion et l’antisémitisme ? Dans tous ces domaines, les idéal-types précédemment dégagés servent d’instruments d’analyse permettant de mesurer les proximités et les écarts ainsi que les évolutions.

23Il me paraît difficile, ici encore, d’entrer plus avant dans le contenu de l’ouvrage. Il faut en revenir à notre question initiale. Avec ses deux derniers ouvrages, Breuer a-t-il démontré l’inanité du concept de « révolution conservatrice » ? J’avoue qu’on est ébranlé par la masse des informations et la vigueur de l’argumentation. Son projet, qui était peut-être encore imparfait ou pas assez explicite au niveau d’Anatomie possède maintenant une cohérence et une densité auxquelles il est difficile de résister. Je suis prêt à parler, comme il le fait dans son dernier chapitre, d’une « deuxième droite » succédant au conservatisme traditionnel et présentant des caractéristiques résolument modernes (en attendant la « troisième droite » qui serait celle de la République Fédérale). Est-ce à dire qu’il faut cesser de parler de conservatisme au moins après 1918 ? Suffit-il de dire que l’anti-modernisme, ou la « régressivité », des droites allemandes est lui aussi un phénomène moderne qui n’a plus rien à voir avec le conservatisme traditionnel ? Après tout, le conservatisme n’a-t-il pas été soumis de tout temps, comme l’a bien montré Martin Greiffenhagen [34], à un processus de modernisation ? Comme il est en effet malaisé de déceler dans le « néo-conservatisme » weimarien un conservatisme des structures (retour au wilhelminisme) et un conservatisme des valeurs (au sens des valeurs chrétiennes ou humanistes traditionnelles, je reprends ce faisant la distinction d’Erhard Eppler), et qu’il s’agit bien pour lui d’un retour (d’une « révolution » au sens cosmologique du terme) pour revenir à l’essentiel, ne devrait-on parler plutôt de « fondamentalisme national », comme l’a fait Louis Dupeux dans son dernier ouvrage ? [35] Toutes ces nouvelles appellations me font regretter le « syntagme paradoxal », quel qu’il soit, qui était propre à montrer cette tension qui existe chez ces penseurs entre modernisme et antimodernisme, entre approbation de la modernité technique et sociale (massification, urbanisation) et rejet du projet humaniste moderne issu de l’Aufklärung et poursuivi tant par le libéralisme (malgré sa trahison dans et par le capitalisme) que par le marxisme (malgré la trahison stalinienne). Ce qui est clair, c’est que tous ces idéologues veulent changer de modernité. Ils veulent une autre modernité qui se caractérise par la conjonction de la modernité technique et d’une substance d’ordre irrationnel, voire vitaliste, en vue de l’exaltation de la puissance nationale, conjonction dans laquelle Max Horkheimer voyait l’essence même du fascisme.

24Breuer conclut l’article cité dès le début de ce texte par les lignes suivantes qui éclairent bien sa méthode d’inspiration weberienne et son ambition : « Pour finir, il faut souligner une fois de plus qu’il s’agit, dans ce tableau, d’idéal-types, c’est-à-dire de notions-seuils qui doivent servir à mesurer l’écart ou la proximité de certains phénomènes ­ en l’occurrence de formes de pensée ­ par rapport à un critère déterminé. Il ne s’agit donc pas de subsumer en bloc [en français dans le texte !] tel ou tel corps de doctrine sous l’un de ces types. L’hypothèse est qu’un texte, par certaines de ses facettes, est plus proche de l’un de ces types, ce qui n’exclut pas qu’il contienne des éléments ressortissant à un autre type. Il est encore moins exclu qu’un auteur au cours de son évolution intellectuelle s’éloigne d’un type pour se rapprocher d’un autre, soit en ligne droite à l’intérieur de la droite ou de la gauche du spectre envisagé, soit de façon transversale. Malgré toutes les faiblesses que peut présenter cette typologie, elle a au moins un avantage. Elle nous permet, peut-être pour la première fois, de dessiner les évolutions, et cela n’est pas le moindre avantage face à un objet aussi instable et fluctuant que celui des droites allemandes » [36]. Difficile de donner tort à Stefan Breuer, d’autant qu’il a, répétons-le, magnifiquement gagné son pari en donnant une description beaucoup plus précise et structurée des droites allemandes depuis 1871. Cela dit, le fait que, dans cette description, rien ne soit tout à fait d’un côté, les éternels chassés-croisés ou les oscillations d’un bord à l’autre des idéologèmes ou des repères idéal-typiques risquent de ne pas aller à la rencontre d’un besoin à la fois de simplification et d’illustration dans les périodisations historiques et dans les classifications idéologiques. Dans quelques articles récents, S. Breuer lui-même a d’ailleurs de nouveau recours au concept de « Révolution conservatrice » [37]. Certes, il y démontre de nouveau à quel point ce concept, notamment dans son acception mohlérienne, est insuffisant pour rendre compte de l’idéologie des penseurs concernés. Mais en mettant en évidence les écarts entre cette définition et les discours réels de tel ou tel, Breuer ne rend-il pas hommage à la valeur idéal-typique du « syntagme paradoxal » ? En fait, comme l’illustre l’article sur Thomas Mann, dès qu’il s’agit d’analyser de façon précise tel ou tel corpus idéologique, il n’est sans doute pas inutile d’avoir plusieurs systèmes de références à sa disposition. Mais on risque alors de faire de chaque auteur un cas particulier, ce qu’il est en effet quand on pousse l’analyse dans le détail et ce que prouvent les études fouillées et précises de Breuer lui-même dans ses derniers ouvrages. Comment dès lors satisfaire, par ces descriptions individuelles, le besoin de classification globale ? Certes, balayant toutes les objections formulées ci-dessus, ou peut dorénavant parler de « néo-nationalisme weimarien » en arguant du fait que ce terme est « scientifiquement » plus exact que celui de « Révolution conservatrice ». Mais les dénominations historiographiques sont-elles à ce point assujetties à l’exactitude scientifique ? Les historiens continuent à parler de Troisième Reich alors même qu’à ma connaissance, cette dénomination n’a jamais été légale ou juridique et a même été officiellement interdite par Hitler en 1939. Gageons que le terme de « Révolution conservatrice » vendra chèrement sa peau.


Date de mise en ligne : 02/04/2012

https://doi.org/10.3917/rfhip.017.0123

Notes

  • [1]
    Gilbert Merlio est professeur d’études germaniques à l’Université de Paris IV.
  • [2]
    Internationale Zeitschrift für Philosophie, herausgegeben von Günter Figal und Enno Rudolph, Stuttgart, Metzler, 2000, Heft 2, p. 145-156. Cet article a été republié dans le N° 6 des Carnets. Revue du Centre de recherche et de documentation Ernst Jünger (édités par Danièle Beltran-Vidal à Montpellier), 2001, p. 9-26.
  • [3]
    Stefan Breuer, Anatomie der konservativen Revolution, Darmstadt 1993. Traduction française d’Olivier Mannoni : Anatomie de la Révolution conservatrice, Paris, 1996 ; Grundpositionen der deutschen Rechten (1871-1945), Tübingen 1999 ; Ordnungen der Ungleichheit-die deutsche Rechte im Widerstreit ihrer Ideen 1871-1945, Darmstadt 2001.
  • [4]
    « Le processus dont je parle n’est rien d’autre qu’une révolution conservatrice d’une ampleur inouie dans l’histoire européenne ».
  • [5]
    En 1876, Dostoïesvki appelle ses compatriotes à être en Europe des « révolutionnaires par conservatisme » et Charles Maurras réclame au début du xxe siècle une « révolution conservatrice », « une Restauration, un retour à l’ordre ».
  • [6]
    Breuer signale aussi une occurrence du terme, pris dans un sens tout différent, dans un discours de Friedrich Engels, le 22 février 1848 !
  • [7]
    Breuer, Anatomie p. 1.
  • [8]
    En fait, en les présentant comme les « trotzkistes » du national-socialisme, Mohler admet malgré tout une proximité.
  • [9]
    Seuls en fait les trois premiers groupes comptent vraiment et seront dorénavant au centre des préoccupations des théoriciens de la « Révolution conservatrice ». Mohler lui-même, dans la bibliographie commentée jointe à son opus magnum lors de la réédition de ce dernier à la Wissenschaftliche Buchgesellschaft de Darmstadt en 1989, passe sous silence le Landvolkbewegung.
  • [10]
    Kurt Sontheimer, Antidemokratisches Denken in der Weimarer Republik, Studienausgabe mit einem Ergänzungsteil, München 1968. Ce livre, qui constitue toujours un ouvrage de référence, n’a malheureusement pas été traduit en français.
  • [11]
    C’est évidemment le cas pour les historiens de la RDA comme Johannes Petzold, Konservative Theoretiker des deutschen Faschismus, Berlin-Ost, 1978.
  • [12]
    Jean-Pierre Faye, Langages totalitaires, Paris, 1972.
  • [13]
    Heide Gerstenberger, Der revolutionäre Konservativismus. Ein Beitrag zur Analyse des Liberalismus, Berlin, 1989.
  • [14]
    On trouvera les travaux du groupe de Strasbourg réunis dans l’ouvrage collectif : Louis Dupeux (dir.), La « Révolution conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar, Paris, 1992
  • [15]
    Denis Goeldel, Moeller van den Bruck (1876-1925). Un nationaliste contre la révolution. Contribution à l’étude de la « Révolution conservatrice » et du conservatisme allemand du xxe siècle., Frankfurt/M. e.a., 1984.
  • [16]
    Louis Dupeux, National-bolchevisme en Allemagne sous la République de Weimar. Stratégie communiste et dynamique conservatrice. Essai sur les différents sens de l’expression « National-bolchevisme »,Paris, 1976. Traduction allemande de R. Kirchhoff : « Nationalbolschewismus » in Deutschland 1919-1933, München 1985.
  • [17]
    Jeffrey Herf, Reactionnary Modernism. Technology, Culture, and Politics in Weimar and the Third Reich, New York 1984.
  • [18]
    Gilbert Merlio, « La « Révolution conservatrice » : contre-révolution ou révolution d’un nouveau type » in : Manfred Gangl/Hélène Roussel, Les intellectuels et l’État sous la République de Weimar, Rennes 1992, p. 39-54.
  • [19]
    Otto-Ernst Schüddekopf, Linke Leute von rechts. Die nationalrevolutionären Minderheiten und der Kommunismus in der Weimarer Republik, Stuttgart 1960. Les éditions ultérieures portent le titre : Nationalbolschewismus in Deutschland 1918-1933.
  • [20]
    Panajotis Kondylis, Konservativismus. Geschichtlicher Gehalt und Untergang, Stuttgart 1986.
  • [21]
    Cf. l’expression bien connue de Guillaume II à l’adresse des sociaux-démocrates qu’il qualifie de « types sans patrie » ( vaterlandslose Gesellen).
  • [22]
    Gilbert Merlio, « Le concept de « Révolution conservatrice ». À propos de deux ouvrages de Stefan Breuer » in : Études germaniques, oct. déc. 1997, p. 673-688.
  • [23]
    München 1986, traduction de l’édition anglaise : The politic of cultural despair. A study in the rise of Germanic ideology, Berkeley 1961.
  • [24]
    Il est vrai, comme l’affirme Breuer p. 8 de son ouvrage Grundpositionen…, dont il sera question plus loin, qu’il est difficile de trouver des points communs entre le conservateur Ernst Ludwig von Gerlach, qui considérait l’État comme une grande famille, et Willibald Hentschel qui, au tournant du xxe siècle, s’efforçait dans ses communautés « Mittgart » de sélectionner une race supérieure. Le dénominateur commun existe puisque Hentschel, tout en pratiquant un eugénisme moderne, essaie ainsi de restaurer la pureté de la race « normande-saxonne » dont l’évolution moderne a causé la dégénérescence. Le conservatisme est toujours une recherche de l’origine.
  • [25]
    L’opposition entre une « communauté » fondée sur des liens historiques et affectifs et une société fondée sur le contrat a été théorisée par le sociologue Ferdinand Tönnies dans son livre Communauté et société paru pour la première fois en 1887. Cette opposition, d’origine romantique, et qui recoupe l’antithèse culture/civilisation, a enrichi l’arsenal idéologique des droites allemandes déplorant l’avènement d’une société moderne individualiste et plaidant pour le retour ou la recréation d’une « communauté » organique.
  • [26]
    Op. cit. ; p. 121
  • [27]
    Qu’il n’y ait qu’une différence de degré, c’est-à-dire qu’il n’y ait pas d’opposition discriminante, S. Breuer semble l’admettre p. 15 de son dernier livre : Ordnungen der Ungleichheit, Darmstadt 2001, voir plus bas.
  • [28]
    Rolf Peter Sieferle, Die Konservative Revolution. Fünf biographische Skizzen, Frankfurt/ Main, 1995. Ces « esquisses biographiques » sont celles de Paul Lensch, Werner Sombart, Oswald Spengler, Ernst Jünger, Hans Freyer.
  • [29]
    Cf. Sieferle p. 22.
  • [30]
    Cf. Gilbert Merlio, « Die Idee einer Revolution von rechts am Ende der Weimarer Republik » in : Barbara Koehn, La Crise de la modernité européenne, Presses Universitaires de Rennes, 2001.
  • [31]
    Stefan Breuer, Grundpositionen der deutschen Rechten (1871-1945), Tübingen 1999 ; et surtout Ordnungen der Ungleichheit- die deutsche Rechte im Widerstreit ihrer Ideen, Darmstadt, 2001.
  • [32]
    En 1995, Stefan Breuer a publié à la Wissenschaftliche Buchgesellschaft de Darmstadt un livre sur le Cercle de George : Ästhetischer Fundamentalismus. Stefan George und der deutsche Antimodernismus.
  • [33]
    Auteur en 1927 d’un ouvrage critiquant la démocratie « Le règne des inférieurs ».
  • [34]
    Martin Greiffenhagen, Das Dilemma des Konservatismus, München 1971.
  • [35]
    Aspects du fondamentalisme national en Allemagne de 1890 à 1945, Presses Universitaires de Strasbourg, 2001.
  • [36]
    Breuer, Gab es…, p. 156.
  • [37]
    Stefan Breuer, « Rudolf Borchardt und die “Konservative Revolution” in : Ernst Osterkamp (dir.), Rudolf Borchardt und seine Zeitgenossen, Berlin New York, 1997, p. 370-385 ; “Ein Mann der Rechten ? Thomas Mann zwischen konservativer Revolution, ästhetischem Fundamentalismus und neuem Nationalismus” », in Politisches Denken, Jahrbuch 1997, p. 119-140.

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