Introduction
1« The study is to proceed on the basis of the conjecture that every aspect of learning or any other feature of intelligence can in principle be so precisely described that a machine can be made to simulate it » (Mac Carthy et al. 1955). Cette hypothèse, formulée par John Mac Carthy en amont de la conférence de Dartmouth, est au fondement du projet d’intelligence artificielle. Parmi les « aspects de l’intelligence » qui pourraient être « simulés », le langage est mis en avant : « An attempt will be made to find how to make machines use language » – dans les premières années du projet d’intelligence artificielle, on confond le langage avec la production de texte. Dans sa célèbre description du jeu de l’imitation, Turing propose de dérober l’ordinateur au regard du jury qui doit lui poser des questions via un « teleprinter » (Turing 1950).
2L’hypothèse de Dartmouth a été appliquée au langage et à l’expression écrite, mais peut-on l’admettre pour la littérature ? S’il est possible de décrire précisément comment un texte a été écrit, cela implique-t-il pour autant que l’on puisse simuler le processus d’écriture par une machine ? Peut-on révéler la loi de production d’un texte sans laisser aucun reste ? Plus particulièrement, est-il possible de mettre au jour ce qui fait qu’un texte est nouveau ? L’opération par laquelle nous créons de la nouveauté ne devrait-elle pas être toujours renouvelée, selon une loi, ou une absence de loi, qui ne serait pas descriptible ? Comment en rendre compte alors, s’il s’agit d’un indescriptible ?
3En s’emparant de l’outil informatique, certains poètes s’exposent à ces questions et nous permettent de mieux saisir ce qui est à l’œuvre quand on écrit, et ce que signifie faire émerger une forme nouvelle. Plus spécifiquement quel est le rapport entre la technique d’écriture (le protocole, la règle, la loi) et la poésie, prise dans le sens étymologique du terme, la création. En nous limitant à un corpus d’auteurs nord-américains (à l’exception de Derrida), nous étudierons d’abord ces auteurs qui semblent suivre l’hypothèse de Dartmouth, ces auteurs pour qui il est possible d’extraire la loi de production d’un texte et la confier à un programme, et pour qui l’écriture d’un poème peut être comparée, voire confondue, avec un algorithme. Puis, nous nous pencherons sur les auteurs pour qui l’émergence d’une forme nouvelle est au premier plan, et pour qui recourir à programme revient à déjouer le probable, provoquer des associations inédites. En dépit de la nature déterministe de l’informatique, l’utilisation qui en est faite a pour but de faire surgir la nouveauté. Enfin, pour un troisième groupe, les algorithmes font apparaître l’écriture comme sous-programme d’une machine autonome plus vaste – la langue – ne cessant de produire de nouveaux textes en recombinant de façon semi-aléatoire un corpus préexistant – les erreurs de cette machine se confondant avec ses moments de création.
La Muse et la prothèse
4Pour être l’opérateur de l’émergence d’une forme nouvelle, le poète semble devoir faire l’expérience d’une dépossession. Deux sens du mot « altérité » trouveraient un point de rencontre dans le processus d’écriture poétique : ce qui change et ce qui est autre. Comme si, pour pouvoir créer, il fallait se changer soi-même, et, pour supporter l’expérience de sa propre mutation, l’attribuer à une instance extérieure. Les Grecs attribuaient la faculté de création à la Muse, dont Socrate compare l’effet à une pierre magnétique, attirant les anneaux de fer et les magnétisant, les rendant capables d’attirer d’autres anneaux « alors que cette puissance en chacun d’eux est suspendue en dernière instance à la pierre » (Platon 2001, 46). Ainsi,
c’est la Muse qui par elle-même rend certains hommes inspirés et qui, à travers ces hommes inspirés, forme une chaîne d’autres enthousiastes. Car ce n’est pas en vertu de la technique, mais bien en vertu de l’inspiration et de la possession que tous les poètes épiques, j’entends les bons poètes épiques, récitent tous ces beaux poèmes.
6Pradeau, en commentaire de ce passage, insiste sur l’usage de verbes passifs, qui « désignent à la fois le fait d’être suspendu ou accroché et celui de dépendre de ce à quoi l’on est attaché » (Pradeau 2003, 143). L’organe de la création est extérieur au poète. Ce n’est pas un outil qu’on actionne mais une influence qui agit sur le poète. La Muse serait une sorte de prothèse, au sens étymologique (προθεσις) de ce qui se place avant, et au sens contemporain de dispositif suppléant l’humain. Elle serait une prothèse singulière, n’étant pas un dispositif artificiel, ni une chose de la nature, mais appartenant à l’ordre du divin, elle supplée l’humain dans une fonction que celui-ci n’aurait jamais eu seul – la faculté de créer – et surtout, elle opère dans sa fonction de suppléance à condition que l’humain s’abandonne à elle, à l’inverse de nos prothèses contemporaines sujettes à notre strict contrôle.
7Socrate distingue ce que fait la Muse pour le poète (inspirer et déposséder) de ce que fait le poète par lui-même, « en vertu de la technique » et pose la Muse comme primordiale. Parce qu’elle est bien distinguée de la technique, de l’enchaînement des actions du poète, on ne saurait définir où elle commence et où elle s’arrête, on ne peut tracer son contour, la décrire elle-même.
8Étant posée comme non descriptible, il paraît impossible de lui appliquer l’hypothèse de Dartmouth et d’en faire une simulation. C’est pourtant le discours que tient Charles O. Hartman, poète et auteur du programme génératif Prose, dans un texte intitulé Virtual Muse (Hartman 1996) où il rapproche la relation entre les poètes antiques et les Muses de la collaboration entre les auteurs contemporains et l’informatique.
La loi de production du texte – l’écriture comme protocole
9Avant que l’informatique ne devienne accessible au plus grand nombre, des écrivains se sont penchés sur la notion de programme et sa relation à l’écriture. Les auteurs de l’Oulipo en particulier, par leur travail sur la contrainte, expérimentent l’effet d’un ensemble de règles sur la production littéraire.
Une autre bien fausse idée qui a également cours actuellement, c’est l’équivalence que l’on établit entre inspiration, exploration du subconscient et libération, entre hasard, automatisme et liberté. Or cette inspiration qui consiste à obéir aveuglément à toute impulsion est en réalité un esclavage. Le classique qui écrit sa tragédie en observant un certain nombre de règles qu’il connaît est plus libre que le poète qui écrit ce qui lui passe par la tête et qui est l’esclave d’autres règles qu’il ignore.
11L’écriture ne pourrait se passer d’un ensemble de règles, singulières à chaque écrit, que nous appellerons la loi de production du texte. Le seul moyen d’être plus libre serait de la connaître, voire de la choisir en amont. Une fois la loi choisie, l’écriture est comme « automatique » : le texte se produit sans qu’il n’y ait plus aucun choix de la part de l’auteur. C’est le corpus de règles, le protocole d’écriture, qui guide la composition.
12Jackson Mac Low utilise un tel procédé pour produire le poème « Call Me Ishmael ». Les éléments du texte sont sélectionnés à partir d’une page de Moby Dick, selon un calibrage défini par la première phrase de la page :
Use the letters of the first sentence of the chapter as a template for determining selections from the source text. To compose the first stanza, select from the source text the first word with an initial c (circulation), then the first word with an initial a (and), then the first with an initial l (long ; double that word), then the first with an initial m (mind) and so on.
14Jackson Mac Low ajoute un certain nombre de contraintes à cette procédure : « If the word is followed by a punctuation mark, retain it ; retain the upper case when it occurs but also capitalize the initial word of each line and the word after full stops » (McHale 1955, 6). Ce qui donne le résultat suivant :
Circulation.And long longMind everyInterest Some how mind and every long
16Pour McHale, qui cite cet exemple, la production du texte ressemble à un mécanisme : « Following these procedures, one produces, as if mechanically, a new text, all of whose materials derive from a prior source text » (McHale 1955, 6). Le poète se comporte comme un ordinateur exécutant scrupuleusement un programme, sans s’autoriser la moindre marge de manœuvre une fois le protocole défini. Celui (ou ce) qui exécute le programme n’importe pas, le texte produit sera le même.
17Le rôle de l’écrivain se transforme : il n’est plus celui qui écrit, il est celui qui conçoit le protocole qui écrira. Hartman remarque que cette démarche d’effacement de l’auteur est revendiquée par Mac Low, et peut se rapprocher de son affiliation (commune à John Cage) au bouddhisme : « Cage and Jackson were the interesting ones because they seemed to be using stuff in a zen way, in order to evade the controls of the ego » (Funkhouser 2010, 9). Contrairement à ce que peut revendiquer Queneau, il ne s’agit pas d’utiliser les contraintes pour libérer leur créativité, mais plutôt de s’ouvrir à autre chose que soi.
Dépossession et sortie de soi
18John Cage formule cette conception de la composition de façon radicale : « instead of self-expression, I’m involved in self-alteration » (Cage & Retallack 1996, 139). Le poète accueille autre chose, qui déjoue sa personnalité, et plus particulièrement ses clichés et ses goûts préétablis. Deleuze décrit une démarche similaire dans Logique de la sensation : il faut commencer par vider la toile des clichés pour permettre l’émergence d’une forme nouvelle (Deleuze 1981, 83). Il n’est pas certain que les Grecs aient cru à leurs mythes et à la figure de la Muse (Veyne 1983), mais on peut deviner l’intérêt pratique qu’il y a à attribuer le phénomène d’inspiration à une divinité extérieure : faciliter la sortie hors de ses propres préjugés dans le but de créer une forme nouvelle, et éviter ce que Hartman appelle « the controls of the ego » en attribuant cette fonction à autre chose que soi.
19L’utilisation du programme apparaît dès lors comme un instrument apte à favoriser cette sortie de soi. Pour John Cage, c’est plus précisément l’utilisation de programmes simulant le hasard qui remplit ce rôle. L’aléatoire tel qu’il le théorise propose une forme de neutralité : en utilisant le hasard, n’importe quelle lettre peut être sélectionnée, aucune n’a de privilège sur les autres. Il y a un aplatissement des termes du dictionnaire, une annulation des hiérarchies.
Programmer le hasard
20Si le hasard est ainsi compris comme étant le fait de donner une chance à chaque élément d’un ensemble (note, lettre ou mot), il est un hasard paradoxal puisqu’il obéit à une loi, celle de la distribution égalitaire des occurrences. Ce n’est pas une absence d’ordre mais une convention mettant en équivalence égalité des occurrences et hasard.
21Ce paradoxe se retrouve en informatique : théoriquement, le hasard est contradictoire avec l’essence déterminée du programme. Pourtant, celui-ci est utilisé tous les jours en sécurité, pour programmer des jeux ou des systèmes de paris. Les informaticiens contournent le problème en recourant à des simulations de hasard. Il s’agit d’utiliser des programmes appelés « pseudo-random », devant satisfaire aux critères suivants :
- sur le long terme, présenter une distribution équitable des éléments de départ. Chaque chiffre doit apparaître à peu près autant de fois.
- ne pas avoir de répétition. On ne doit pas trouver de séries se répétant.
- ne pas être prévisible. À partir des premiers termes générés, on ne doit pas pouvoir trouver les suivants.
22Par exemple, en prenant n’importe quel nombre de départ, en le multipliant par 1,103,515,245, en lui ajoutant 12,345, puis en répétant l’opération pour obtenir une suite de nombres, celle-ci remplira à peu près correctement les trois critères énoncés (exemple tiré de Kernighan & Dennis 1988). Mais si quelqu’un connaît la formule, il sera capable, à partir d’un terme de la suite, de prédire les autres. C’est donc un pseudo hasard, un hasard uniquement pour ceux qui n’en connaissent pas la loi. On peut remarquer qu’il est une image bien pauvre de la contingence, puisqu’il obéit à des lois strictes. Il faudrait que ces lois, que la distribution des distributions, soient aussi soumise à variation pour obtenir une simulation plus pertinente de la contingence.
23On peut aussi remarquer que si une erreur se glissait – par hasard bien entendu – dans le programme, cela pourrait créer des irrégularités ou des régularités le disqualifiant en tant que représentant le hasard. La mise en scène du hasard par un programme ne peut être laissée au hasard.
La contingence des programmes
24Théoriquement, un programme est entièrement déterminé et, en tant que tel, contradictoire avec la notion de hasard. Mais de fait, il est inscrit puis exécuté sur et par du hardware – ce qui le soumet à d’autres causalités. Si la programmation est la mise en scène d’un monde entièrement contrôlé, l’exécution d’un programme par un ordinateur n’en reste pas moins sujette à des aléas (température extérieure, fluctuations quantiques, rayonnements cosmiques…). Dès son écriture, un programme est marqué par la trace des humains qui l’ont conçu et/ou écrit, par les erreurs qu’ils commettent et par leur style de programmation. Il est admis parmi les informaticiens qu’à part dans certains cadres où il est possible d’élaborer une preuve formelle d’un programme, celui-ci contient un nombre moyen d’erreurs, nombre moyen qui augmente exponentiellement avec la taille du projet informatique (McConnell 2004, 653). Charles Hartman, remarque avec humour : « I guess I programmed into the grammar my own natural tendency to layer and bracket » (Funkhouser 2010, 25).
25Le programme est marqué par les tics de langage du programmeur, mais aussi par les aléas de son utilisation. Funkhouser remarque que les événements de sa vie transparaissent dans son utilisation du programme PyProse :
While working on it something drastic happened to me—about a year ago I was almost killed in a mountain bike wreck, which created a whole new set of struggles in my own being, which came out in my use of PyProse, too, because I am the filter. So it’s weird how I’m filtering it and someone’s going to be able to look at it and say, ìWow, this guy is having some personal struggle.
27Funkhouser utilise le mot de filtre : après le filtre du programmeur, qui imprime son style et ses erreurs au programme, le filtre de l’utilisateur module le rendu final.
28Si l’utilisation d’un programme permet au poète d’« échapper au contrôle de l’ego », il n’accède pas pour autant à un hors de soi puisqu’il laisse tout de même son empreinte. Il n’y a pas de neutralité du programme qui permettrait d’effacer le style de l’auteur. Funkhouser et Hartman, conscients de cette absence de neutralité, ont une utilisation des programmes très différente de Cage et Mac Low. Il ne s’agit pas d’effectuer un retrait de l’auteur, mais au contraire d’accroître son rôle en lui suggérant des contenus ou des associations inédits.
Le poète cyborg
29En créant le programme PyProse, Hartman a cherché à aider le processus d’écriture en fournissant un plus grand nombre de brouillons initiaux. Le programme simplifie le travail de l’auteur en ne lui laissant que la sélection, l’ajustement, et la correction. Comme le remarque Funkhouser, le poète apparaît comme un sculpteur. Le brouillon produit par PyProse est le matériau initial à partir duquel l’auteur « sculpte » librement son œuvre (Funkhouser 2010, 6).
30Pour Funkhouser ou Hartman, PyProse est une sorte de souffleur, qui va non seulement produire le brouillon de départ, mais aussi produire une certaine surprise :
One of the things I got from Creeley, who I also studied with a little bit, was his idea of surprise, and how important the idea of surprise is. How he did it was of course very different than having an algorithm bring me something that I had no anticipation of. The cyborgian things you can do using algorithms—with the personal and impersonal—are very powerful.
32Le poète et son algorithme sont dans une relation de « cyborg » avec sa prothèse, l’informatique étant utilisée pour sa capacité de suppléance. La fonction qu’elle vient suppléer a un statut particulier : contrairement à la capacité de calculer ou de marcher, le fait de créer de la surprise implique une dépossession. Une partie de soi est ravie par l’objet surprenant, d’où la difficulté, voire l’impossibilité, de se surprendre soi-même, et l’intérêt de s’appuyer sur autre chose. L’algorithme a donc un statut particulier parmi les prothèses car le fait qu’il s’agisse d’une prothèse, d’un objet extérieur, fait partie de sa fonction de suppléance. Son utilisation dans le processus d’écriture poétique prend alors tout son sens : l’algorithme sert de support à l’expérience de dépossession induite par la poésie. Le programme est pris comme catalyseur d’altérité, il est intrusion d’un autre dans le processus de travail du poète, et irruption de ce qui est autre, la surprise. Enfin, à l’image de la Muse antique, il peut tenir le rôle de responsable extérieur rendant supportable la mutation qui affecte l’auteur et permet la création poétique.
33Les poètes du groupe Flarf, né en 2003, ont ainsi élu Google comme « Muse virtuelle », écrivant leurs poèmes dans un dialogue avec la barre de recherche, dans une quête de l’association incongrue :
Jesus freaks saving Iraqi babiesBy the cinder-block walls sharedby two hummus pajama holdersIs a new condom. On one side was a kitchen sinkand a SUV made of cocaine, on the other wasa gila monster, a bookshelf, and three framed hard-ons.
35A l’instar de PyProse, le collectif Flarf sollicite Google pour produire de la surprise. Ils passent par autre chose que soi, pour trouver autre chose que ce qui a déjà été écrit. Alors que pour l’Oulipo l’auteur doit affirmer son autonomie en se donnant ses propres règles (la loi de production du texte), les auteurs du collectif Flarf revendiquent au contraire l’abandon de leur autonomie. En ouvrant le processus d’écriture à l’altérité, il s’agit de déjouer la loi de production des textes passés.
36On pourrait soupçonner l’auteur, à l’instar des textes générés par Mac Low, d’être réductible à un ensemble de règles : son style – ce mot dont le signifiant originel flotte entre l’outil et la manière de l’utiliser. Et si cette « manière de » était précisément descriptible et donc, selon l’hypothèse de Dartmouth, simulable par une machine ? La démarche du collectif Flarf et des utilisateurs de PyProse prendrait alors son sens dans une quête du renouvellement du style.
37Mais cette quête laisse un rôle conséquent à l’auteur. Dans une démarche d’effacement plus radical, certain poètes recourent aux générateurs de textes, laissant le programme à une « autonomie » au sens où l’auteur n’intervient plus sur ce qui est produit, sans que l’on puisse pour autant parler d’autonomie du programme, au sens où il se donnerait ses propres règles.
Les générateurs de texte
38En 1959, Theo Lutz est l’un des premiers à concevoir un générateur de textes (Funkhouser 2007, 37). Son programme prélève des fragments de la version traduite en anglais du Château de Kafka, qu’il recombine pour produire des textes inédits. Le principe est repris en 1984 par Hugh Kenner et Joseph O’Rourke, qui présentent leur programme baptisé Travesty dans un article de Byte Magazine :
English letter-combination frequencies can be used to generate random text that mimics the frequencies found in a sample. Though nonsensical, these pseudo-texts have a haunting plausibility, preserving as they do many recognizable mannerisms of the texts from which they are derived. For example, the following text was generated by the first sentences of this article :
English letter-combination frequencies from text was generived. For example. Though nonsentencies from text was the text was generated to generisms of that mimics the first sentencies from text the text have a have a sample, they article.
40À partir de la fréquence d’apparition des combinaisons de lettres dans un texte, il est possible d’écrire un programme qui, en se contentant d’appliquer ces probabilités, produise un texte ressemblant au texte d’origine. Le raisonnement est le suivant : on considère un texte comme une suite de lettres, avec un certain nombre de combinaisons possibles. Les groupes de lettres sont comme une population, sur laquelle on applique des statistiques. Une fois ces probabilités définies, on choisit un groupe de lettres de départ (par exemple « from »), à partir duquel le programme propose le groupe de lettres suivant (par exemple « text »), et ainsi de suite de façon à produire le texte.
41Travesty a eu une certaine postérité, donnant naissance aux générateurs dit “n-gram”, utilisant les chaînes de Markov, puis aux générateurs actuels fondés sur les réseaux de neurones (Karpathy 2015). Non sans ironie, on pourrait dire que ces générateurs prennent au pied de la lettre la formule de Julien Gracq :
Tout livre pousse sur d’autres livres, et peut-être que le génie n’est pas autre chose qu’un apport de bactéries particulières, une chimie individuelle délicate, au moyen de laquelle un esprit neuf absorbe, transforme, et finalement restitue sous une forme inédite non pas le monde brut, mais plutôt l’énorme matière littéraire qui préexiste à lui.
43Les générateurs font « pousser » de nouveaux textes à partir des textes précédents, mais leur « chimie individuelle délicate », ce qui leur fait produire une « forme inédite » n’est pas un « esprit neuf », mais un processus statistique. Le rôle de « filtre » évoqué par Funkhouser est ici joué par le programme, comme si l’écriture pouvait se réduire à la recombinaison semi-aléatoire de lectures passées, selon les biais statistiques de l’auteur – son « filtre ». Le style d’un auteur ne serait que l’ensemble de ces biais : en analysant statistiquement le corpus d’un auteur on pourrait en dresser la liste et produire des pastiches artificiels.
L’auteur : une machine statistique ?
44C’est le paradigme qui semble dominer la recherche dans le domaine de l’informatique appelé « Natural Language Processing » (traitement du langage naturel). Les créateurs de logiciels de génération de texte, testent ainsi leur programme sur un corpus, par exemple l’œuvre de Shakespeare, pour voir s’il générera bien du Shakespeare – le fait que le texte produit soit effectivement du Shakespeare étant laissé à notre appréciation subjective. Ainsi, Karpathy produit l’extrait suivant grâce à un réseau de neurones entraînés sur l’ensemble du corpus shakespearien :
Être capable de générer du texte de tel ou tel auteur priverait-il ce dernier de tout avenir ? Derrida, dans Circonfession (1991), met en scène sa confrontation avec un « théologiciel » censé résumer sa pensée, la Derridabase, écrit par Geoffrey Bennington, et qui occupe la partie supérieure du livre. En écrivant dans la marge inférieure du livre, comme pour déjouer la prévisibilité de la machine logique, il s’engage dans une confession, en revenant sur sa première blessure, la circoncision, et sur la sénilité de sa mère, opposée à la perfection de la « matrice » informatique qui saurait tout du système Derrida et pourrait produire « la logique, ou la grammaire, la loi de production de tout énoncé passé, présent, et pourquoi pas futur, que je pourrais avoir signé » (Derrida 1991, 30), pour faire émerger une singularité non prévisible : ce qui fait que l’on reconnaît Derrida, alors que le Derrida qu’il fait apparaître n’est pas celui que l’on connaît déjà. Il se place dans ses propres marges, renouvelant sa façon d’écrire, et sa façon de se dire, à la faveur du « théologiciel ».PANDARUS :Alas, I think he shall be come approached and the dayWhen little srain would be attain’d into being never fed,And who is but a chain and subjects of his death,I should not sleep.SECOND SENATOR :They are away this miseries, produced upon my soul,Breaking and strongly should be buried, when I perishThe earth and thoughts of many states.DUKE VINCENTIO :Well, your wit is in the care of side and that.SECOND LORD :They would be ruled after this chamber, andmy fair nues begun out of the fact, to be conveyed,Whose noble souls I’ll have the heart of the wars.CLOWN :Come, sir, I will make did behold your worship.VIOLA :I’ll drink it.
La langue comme machine autonome
45Au-delà du pastiche d’auteur, les générateurs s’en prennent à la langue elle-même, créant un « pastiche » de langage, dans une parodie de ce qui serait une nécessité interne de la langue, définie par les statistiques d’occurrence de ses termes. On pourrait penser que l’on tend vers une sorte d’écriture autonome, à l’opposé de l’écrivain tel que Barthes le définit – celui qui « ne laisse pas les obligations de sa langue parler pour lui » (Barthes 1995). Avec ces outils, les « obligations de la langue » seraient bien « autonomes » au sens où elles se donnent leurs propres règles, engendrant d’elles-mêmes leur propre évolution, en écho à une idée de Hartman : « the postmodern world is inclined to tell us that the language is smarter than we are. So if you could kind of make the language do it all by itself, maybe it would be better than what we could do » (Funkhouser 2010, 9).
46Des moyens énormes sont investis dans le « Natural Language Processing » et il est probable que nous assistions à des évolutions spectaculaires des générateurs de texte. Les derniers modèles se targuent de pouvoir traiter un milliard de mots – la quantité de données absorbée étant censée être l’élément clé pour améliorer leur pertinence (Grave, Chiu et Joulin 2016). Mais ce que produisent aujourd’hui les générateurs est encore loin d’une langue « smarter than we are ». Ce sont des textes étranges, truffés de mots inventés, agencés en une syntaxe ambiguë. Si on y trouve des îlots de sens, dès que le texte fait plus de quelques lignes, il semble impossible d’en tirer une histoire ou une signification.
47Ross Goodwin, un jeune chercheur qui se définit comme n’étant pas un poète mais un « creative technologist », met à profit ces aberrations dans son travail. Pour lui, l’intérêt des générateurs réside justement dans le fait qu’ils ne fonctionnent pas bien. En donnant à un programme l’Oxford English Dictionary comme corpus de départ, il lui fait inventer de nouveaux mots ou de nouvelles définitions, ce qui entraîne des trouvailles, comme « flaccident », ou « love », dont on apprend qu’il est « the past tense of leave » (Goodwin 2016). Pour accentuer l’impression d’une machine devenue indépendante, le programme est relié à un robot qui publie les résultats sur Twitter au fur et à mesure, dressant le portrait étrange d’une langue comme machine autonome, dont les erreurs se confondraient parfois avec des moments de création.
Conclusion
48Les relations entre les poètes et l’outil algorithmique permettent de donner un aperçu de ce qui est à l’œuvre dans la création. En se faisant « cyborg » par l’adoption de la prothèse informatique, les auteurs donnent à voir ce que la subjectivité traverse dans l’expérience poétique. Une partie d’eux-même vient à leur échapper. Elle est surprise, ravie par un autre, se faisant l’opérateur d’une mutation de leur subjectivité et l’occasion de l’émergence d’une forme nouvelle. On comprend mieux alors le rôle de la Muse, comme support imaginaire rendant supportable et explicable la relative sortie de soi nécessaire à la création. Les programmes informatiques assistant la création se placent alors comme des prothèses d’un statut particulier, puisque être une prothèse, être extérieure, fait partie de leur fonction. Pour certains poètes, cela implique un usage à rebours de l’informatique, il ne s’agit plus d’un outil de contrôle et d’organisation effectué dans un cadre déterministe, mais d’un support de dépossession et un facteur de contingence. L’hypothèse de Dartmouth est alors placée sous un éclairage différent. Si l’usage de l’informatique part d’une description et d’une compréhension de ce qui est à l’œuvre dans l’écriture, le statut de « simulation » de ce qui est effectué par la machine est moins la répétition d’une fonction préexistante, qu’une occasion de création.
Bibliographie
Ouvrages cités
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