Couverture de RFEA_126

Article de revue

Le postcolonial dans ses allers-retours transatlantiques : glissements, malentendus, réinvention

Pages 66 à 81

Notes

  • [1]
    Quelques dates importantes peuvent servir à jalonner l’introduction de ces discours aux États-Unis : le colloque d’octobre 1966 à Johns Hopkins, l’apparition de revues consacrées au poststructuralisme dans les années 1970, et la publication de la traduction en anglais par Spivak de De la grammatologie en 1976 (Cusset 39, 72, 120).
  • [2]
    Ainsi l’ouvrage de Neil Lazarus, publié en 2004, The Cambridge Companion to Postcolonial Literary Studies, est traduit par Penser le postcolonial en 2006, la dimension littéraire étant ainsi apparemment effacée. D’autre part les œuvres les plus littéraires, comme l’ouvrage, pourtant fondateur, d’Ashcroft et al, The Empire Writes Back, publié en 1989, n’ont pas été traduites. Il en va de même pour les travaux de Robert Young ou de Homi Bhabha, malgré la récente traduction des Lieux de la Culture en 2007. Sur la réception malaisée de Bhabha en France, voir notamment l’article de Claire Joubert, « Théorie en traduction : Homi Bhabha et l’intervention postcoloniale », Littérature 154 (juin 2009) : 149-174.
  • [3]
    Sur cette articulation entre pouvoir, langue et situation d’énonciation, nous renvoyons à l’article très éclairant d’Émilienne Baneth-Nouailhetas, « Le postcolonialisme : histoires de langues » (2006).
  • [4]
    Voir entre autres depuis 2005 : Contretemps 16 (janvier 2006), « Postcolonialisme et immigration » ; Hérodote 120 (2006-1), « La question postcoloniale » ; Labyrinthe 24 (2006-2), « Faut-il être postcolonial ? » ; Multitudes 26 (automne 2006), « Le postcolonial et l’histoire » ; Esprit (décembre 2006), « Pour comprendre la pensée postcoloniale » ; Mouvements 51 (septembre-octobre 2007), « Qui a peur du postcolonial ? Dénis et controverses » ; Littérature 154 (juin 2009), « Passages. Ecritures francophones. Théories postcoloniales ». Toute une série de conférences, de colloques et de tables rondes a d’autre part été organisée sur le sujet, notamment par le CERI et par le Quai Branly.
  • [5]
    La maison d’édition Amsterdam accomplit notamment un travail considérable de traduction dans ce domaine.
  • [6]
    Cette crispation n’est pas partagée par tous les historiens ou sociologues du politique français, loin s’en faut. Les indianistes notamment, comme Jacques Pouchepadass et Jackie Assayag, ont une position plus mesurée et complexe, sans doute parce qu’ils ont été confrontés aux Postcolonial Studies, notamment par le biais des Subaltern Studies, projet historiographique où l’analyse littéraire et discursive trouve toute sa place, beaucoup plus tôt que, par exemple, certains de leurs collègues africanistes.
  • [7]
    Cité par Bertrand 42.
  • [8]
    On pense par exemple aux historiens derrière le groupe de recherche « ACHAC : colonisation, immigration post-colonialisme ».
  • [9]
    Voir encore, très récemment, la réponse polémique de Jean-François Bayart (« Les très fâché(e)s des études postcoloniales », Sociétés politiques comparées, 23 [mars 2010]) au dernier ouvrage de Nicolas Bancel et al : Ruptures postcoloniales. Les nouveaux visages de la société française (Paris : La Découverte, 2010).
  • [10]
    La conclusion est claire : « la façon la plus convaincante de restituer le fil des continuités et des discontinuités du colonialisme au postcolonialisme semble devoir être celle de la sociologie historique comparée » (Bayart 91).
  • [11]
    Nous pouvons renvoyer ici au documentaire d’Agnès De Féo, Sous la burqa (2010), et aux propos qu’y tient le sociologue Raphaël Liogier. Il s’étonne notamment du champ lexical « épidémique » employé pour commenter ce phénomène.
  • [12]
    Car la manière dont la France négocie la « question postcoloniale » suscite un intérêt croissant outre-atlantique. En témoignent, très récemment, le colloque organisé par Columbia University en mars 2010, « Thinking the Postcolonial in French : History, Politics, Literature ». On nous signale également un numéro de Public Culture à paraître fin 2010, qui comportera la traduction de l’essai de Jean-François Bayart sur le carnaval académique postcolonial et les réactions, entre autres, de Robert Young à ce texte.
Ce n’est pas pécher par excès de polémique ou de méchanceté que de voir aussi, dans la soudaine promotion des postcolonial studies [...] une forme de coquetterie à mi-chemin du snobisme américanophile et du masochisme hexagonal.
(Bayart 37)

1Cet article vise à retracer la généalogie et évoquer les enjeux d’une pensée postcoloniale évolutive, laquelle résulte largement d’échanges intellectuels entre la France et les États-Unis et d’un mouvement d’aller-retour en deux temps. Le premier temps correspond à l’exportation d’une pensée dite poststructuraliste élaborée en France, et désignée dans son ensemble aux États-Unis comme French Theory, à partir des années 1970 [1]. Le deuxième temps correspond à l’une des formes majeures du rapatriement hexagonal de ce courant de pensée après sa « germination théorique » américaine, désormais désigné sous l’appellation « théorie postcoloniale ».

2Les allers-retours du postcolonial entre la France et les États-Unis ne constituent cependant qu’une des généalogies de la critique postcoloniale, celle de la « théorie » d’abord, et des Postcolonial Studies comme discipline, telle qu’elle s’est développée dans les universités américaines et britanniques, souvent sous l’impulsion d’intellectuels non-occidentaux. Il apparaît ainsi que cette description sommaire d’un mouvement de balancier intellectuel sur une période d’une quarantaine d’années ne saurait rendre compte en termes uniquement « franco-américains » des échanges qui ont conduit à l’émergence du champ des études postcoloniales. Le restreindre de la sorte court d’ailleurs le risque de reproduire l’occidentalocentrisme de l’idéologie coloniale contre laquelle ce registre de pensée critique ne cesse de s’élever, en appelant à un formidable décentrement des épistémologies. C’est plutôt d’un processus diasporique et de la dynamique complexe d’une circulation intellectuelle entre les deux rives de l’Atlantique mais aussi avec l’Asie, l’Australie et l’Amérique Latine que le postcolonialisme résulte. Robert Young se propose d’ailleurs de rebaptiser le postcolonialisme en « tricontinentalisme », terme mieux à même de rendre compte de l’internationalisme de ce courant de pensée, de sa situation d’énonciation et du discours politique (inséparable des luttes anticoloniales) qui lui est associé (Young, 2001 4-5). En réponse aux critiques et parfois aux caricatures qui sont faites de la théorie postcoloniale quant à son étroitesse, il faut montrer qu’elle procède en réalité d’enchevêtrements multiples. Ceux-ci ont ouvert des domaines qui « ne sont plus tout à fait américains, ni français ou anglophones » (Assayag 26), permis des déplacements de sens, des décentrements de perpectives, lesquels ont peu à peu transformé l’approche des questions de société contemporaines dans les universités anglophones, en travaillant les domaines scientifiques de l’intérieur (Pouchepadass in Smouts 218).

3Ces « théories voyageuses » (Saïd), une fois décontextualisées et dénationalisées, furent aussi en partie réinventées entre la France et les États-Unis. François Cusset évoque le glissement qui s’opère entre territoires disciplinaires (sans aucun doute le phénomène le plus marquant de ces allers-retours de la théorie), mais également l’homogénéisation réductrice des discours (dans la réception des discours français qui ont donné la « French Theory » puis irrigué les Postcolonial Studies aux États-Unis, dans la réception de la théorie dite « américaine » et postcoloniale en France). Cette opération suppose une forme de violence taxinomique aux dépens de la singularité des œuvres et de leurs divergences explicites (Cusset 20).

4Si la théorie française entre aux États-Unis par les départements de littérature anglaise et comparée avec la littérarisation de ses propositions philosophiques (et un « élargissement ad finitum de la catégorie même de littérature » [Cusset 93]), la théorie postcoloniale « rentre » en France par les sciences sociales et politiques, l’histoire et l’anthropologie. Les œuvres contemporaines qui échappent à la cartographie du savoir que les disciplines se partagent n’ont pas ou ont peu été traduites (Baneth, 2009 33). En France, la littérature (et à plus forte raison les littératures étrangères) apparaît d’autre part, justement a contrario des États-Unis, comme le parent pauvre, dépolitisé et « ornemental » des sciences humaines. On assiste donc à un procédé inversement symétrique de dé-littérarisation [2] (ou d’éloignement du littéraire) des théories postcoloniales, qui continue à susciter malentendus et méprise. La dimension proprement littéraire (du littéraire comme politique) de la théorie postcoloniale, le rapport fondamental entre pouvoir, langue et situation d’énonciation, l’articulation étroite entre théorie des discours et théorie de l’histoire sont effacés [3].

5On ne peut plus cependant faire l’économie, aujourd’hui en France, de la question postcoloniale. Celle-ci s’est imposée dans le milieu universitaire et dans le débat public non sans une certaine confusion terminologique lourde de malentendus. Car on parle à la fois du postcolonial, de théorie postcoloniale, de critique postcoloniale, de situation postcoloniale, voire de « sensibilité postcoloniale », comme le fait Jean-François Bayart qui récuse l’idée d’un aveuglement français par rapport à ces questions, certes au nom de précurseurs français du postcolonial mais aussi d’une sensibilité musicale ou cinématographique à des musiciens africains ou des réalisateurs tunisiens (Bayart 33). Si le postcolonial n’était qu’une catégorie historique, l’histoire de la colonisation et de son « après » (et la France n’a en effet pas attendu les États-Unis pour ce genre de travaux) ou sa réceptivité à des expressions culturelles venues d’ailleurs, alors elle n’aurait assurément pas grand intérêt ni force heuristique.

6Nous étudierons les formes prises par cet aller-retour de l’échange « postcolonial » entre la France et les États-Unis. Nous examinerons d’abord la généalogie des Postcolonial Studies et la germination de ce courant de pensée dans les universités américaines, puis les résistances que celui-ci rencontre, les crispations disciplinaires et identitaires qu’il révèle, les déstabilisations qu’il suscite en France où la critique postcoloniale, dans sa forme politique et surtout mémorielle, prend le pas sur la théorie postcoloniale et sur l’analyse des discours.

Germination théorique américaine et généalogie postcoloniale

7Nous l’avons dit, la « théorie française » qui fit son entrée sur les campus américains à partir de la fin des années 1960 joua un rôle déterminant dans l’élaboration des Postcolonial Studies aux États-Unis, dont la publication du livre de Saïd, Orientalism, marque l’acte de naissance en 1978. Les Postcolonial Studies sont en partie nées de la rencontre, aux États-Unis, entre le poststructuralisme français et certaines grandes figures intellectuelles francophones de la lutte anticoloniale comme Aimé Césaire, Albert Memmi et Frantz Fanon.

8Ces enchevêtrements de la pensée anti et post coloniale entre les deux côtés de l’Atlantique ont par ailleurs des racines plus profondes encore. Le concept de négritude est souvent perçu comme une réflexion transatlantique de la Harlem Renaissance (Stovall 105). Les intellectuels francophones (Césaire, Senghor, L-G Damas entre autres) ont en effet été fortement influencés par des artistes comme Langston Hughes ou Claude McKay au sein d’une communauté noire cosmopolite vivant à Paris dans l’entre-deux-guerres. La « négritude » a ensuite servi de matrice à diverses déclinaisons de « l’identité noire » dans ses dimensions culturelle et politique.

9C’est aussi par l’intermédiaire américain que les œuvres les plus importantes de l’anticolonialisme connurent un retentissement international. Le Cahier d’un retour au pays natal de Césaire fut publié dans une édition bilingue à New-York en 1947, la première version française datant de 1939. Trois autres textes fondateurs de la lutte anticoloniale préfacés par Sartre eurent un impact considérable aux États-Unis. Le premier, « Orphée noir », qui introduit l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre, y fut « lue et discutée avec passion » (Senghor viii). Les préfaces de Sartre à l’ouvrage de Frantz Fanon, Les Damnés de la terre (1961), et à celui d’Albert Memmi, Le Portrait du colonisé (1961), dénoncent la violence coloniale qui déshumanise et se retourne contre le colon en générant une « folie meurtrière » dans l’inconscient collectif des colonisés, lesquels « se guéri[ssent] de la névrose coloniale en chassant le colon par les armes » (Fanon 26, 29). Ces deux ouvrages ont trouvé un écho particulier dans les communautés noires aux États-Unis, notamment autour de la lutte pour les droits civiques et des débats à propos du Black Power, et ont fait naître un puissant sentiment de solidarité entre colonisés algériens (ou tunisiens) et noirs américains. Ainsi les Black Panthers ont adopté l’idéologie d’une révolution tiers-mondiste largement inspirée des écrits de Fanon (Stovall 268). Albert Memmi explique quant à lui que son livre, une fois publié, fut « reconnu, revendiqué et utilisé par d’autres hommes dominés » à travers le monde (Memmi 14), notamment par des intellectuels noirs américains et des écrivains québécois comme Gaston Miron et Hubert Aquin.

10On voit le rôle fondateur joué par les échanges transatlantiques dans l’évolution des idées anticoloniales et de la lutte contre l’oppression raciale, selon des axes multiples liant la France, les États-Unis, les Caraïbes (Césaire), l’Amérique du Sud (Damas) et l’Afrique (Senghor). L’examen de ces textes (dans lesquels la guerre d’Algérie apparaît comme l’événement matriciel de l’expérience coloniale française) et de leur circulation met en évidence la solidarité des luttes entre tous les « dominés » et la reconnaissance de la filiation entre violence coloniale et violence raciale.

11En France, la rupture intellectuelle entre l’humanisme de type sartrien après la Seconde Guerre mondiale, et le structuralisme puis le poststructuralisme des années 1960 a contribué à occulter la pensée humaniste et les écrits anti-coloniaux (Gikandi). Les ouvrages de Fanon, qui avaient connu un retentissement important pendant la guerre d’Algérie, sont ensuite tombés dans un oubli relatif qu’explique aussi le déclin du marxisme, la désillusion tiers-mondiste et le refoulement d’une certaine mémoire coloniale française. Aux États-Unis en revanche, quand le poststructuralisme français fait son entrée sur les campus, les figures francophones de l’anticolonialisme sont parallèlement redécouvertes par une nouvelle génération d’universitaires américains. C’est aussi une période où la littérature de langue anglaise, et en particulier la « littérature du Commonwealth », traverse une forme de crise exprimée par Salman Rushdie dans un article célèbre de 1983, « Commonwealth Literature Does Not Exist ». Il y dénonce une « littérature du Commonwealth » qui se veut l’expression de nationalités authentiques, mais qui en réalité ghettoïse les cultures et tend à dépolitiser la littérature en ignorant les phénomènes d’hybridité et de résistances qui caractérisent l’expérience du sujet colonial.

12Comme le souligne Dominique Combe, non seulement les textes anti-coloniaux décontextualisés se retrouvent privés de leur historicité, mais ils sont également mis sur le même plan que les textes théoriques plus récents du poststructuralisme, comme s’ils relevaient de mêmes « systèmes unifiés de pensée » (126). C’est de cet étrange croisement de textes et d’idées, qui échappent des mains de leurs auteurs (Memmi 14), et sont réinvestis dans le champ littéraire aux États-Unis, qu’est issue la théorie postcoloniale dans un « corps à corps » des chercheurs américains avec la pensée française des années 1960-70, qui se perpétue aujourd’hui (Assayag 25).

13Le courant de pensée des Postcolonial Studies est bien en partie né de la réinterprétation outre-atlantique de la théorie poststructuraliste. Celle-ci correspond à la notion de « boîte à outils » formulée par Foucault et Deleuze (Cusset 99), introduite dans les départements de littérature américains d’abord en tant qu’outil heuristique et méthode permettant de déconstruire les traditions de pensée et de culture occidentales, de relire et réinterpréter les textes (Gikandi 113). Elle a ouvert la porte à une critique de l’humanisme européen, un décentrement du sujet, une déconstruction des discours et de leur prétention à l’universalité, qui met en œuvre une véritable révolution copernicienne.

14L’absence de référence explicite au colonialisme ou à la « race » chez la plupart des auteurs poststructuralistes a pourtant souvent suscité des critiques d’européocentrisme et d’abstraction théoricienne. Ainsi Jean-Loup Amselle intitule-t-il un chapitre portant sur Foucault « Michel Foucault ou la critique de la philosophie tous stores baissés », le philosophe ayant, selon Amselle, négligé les cultures extra-européennes malgré deux années passées en Tunisie de 1966 à 1968. À l’inverse, pour Robert Young, cet européocentrisme des penseurs poststructuralistes est trompeur puisque l’expérience de la colonisation et en particulier de l’Algérie pour Fanon, Memmi, Bourdieu, Althusser, Derrida, Cixous, l’expérience de l’exil ou d’un entre-deux identitaire travaille en creux cette théorie. Il propose même de rebaptiser la « French theory » comme pensée « franco-maghrébine » (Young, 2004 7). Pour Young, c’est dans la trajectoire théorique de Foucault que l’on peut retracer l’influence de l’expérience tunisienne, notamment dans son approche de l’ethnologie, de l’altérité et de sa représentation. Comme en atteste l’évolution de sa pensée entre Les mots et les choses (1966) et L’archéologie du savoir (1969), il en vient à considérer que l’ethnologie ne peut s’appliquer qu’à l’étude critique de sa propre société ; tout regard porté sur des sociétés autres serait par définition européocentriste. D’autre part, après avoir élaboré dans Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge classique (1961) une sorte de modèle d’« archéologie du silence » pour étudier les formes d’exclusion de l’altérité, il nie dans L’archéologie du savoir, la possibilité même de l’existence radicalement séparée de l’autre et de sa réduction au silence. L’expérience tunisienne a ainsi aiguisé le regard critique de Foucault et permis un déplacement théorique majeur dans son œuvre (Young, 2001 395-398). Quant à l’expérience de l’Algérie coloniale, elle serait cruciale dans le projet de déconstruction derridien :

15

La déconstruction poststructuraliste de l’idée de totalité est issue de l’expérience des régimes totalisants du dernier État colonial, en particulier de l’Algérie française, et des formes de résistance à ces régimes. […] La déconstruction des multiples formes de centralité […] ne prend son sens que dans le contexte de la rationalisation et de la centralisation extrêmes du système administratif français.
(Young 2001, in Littérature 142-143)

16À travers cette relecture postcoloniale de l’œuvre de Derrida, Young donne un tout autre sens à l’entreprise de déconstruction poststructuraliste et ouvre ainsi de nouvelles possibilités de relecture critique dans le domaine des sciences humaines et des Postcolonial Studies.

17On voit la fécondité de ces réinterprétations franco-américaines de la théorie. Les deux volumes dirigés par Charles Forsdick et David Murphy (Francophone Postcolonial Studies : A Critical Introduction en 2003 et Postcolonial Thought in the French-Speaking World en 2009), invitent eux aussi à un double renouvellement critique des études postcoloniales et à travers les études postcoloniales. Ces auteurs veulent explorer et mettre en lumière la complexité et la richesse du débat postcolonial francophone, pour ainsi décentrer et ébranler, à travers l’adoption d’une approche comparative transnationale, le monolinguisme des Postcolonial Studies anglophones. Cette ouverture à la pensée postcoloniale de langue française permettrait d’autre part de décloisonner les départements d’études françaises et francophones aux États-Unis. Car des penseurs français pouvant relever du questionnement postcolonial, comme Édouard Glissant ou Maryse Condé, souvent inaudibles en France jusque dans les années 1990 mais accueillis dans les universités américaines, ont longtemps été confinés dans le champ de la « francophonie », privant ainsi les Postcolonial Studies d’un décentrement et d’un renouvellement pourtant salutaires. Les deux ouvrages de Forsdick et Murphy mettent d’autre part à l’épreuve le monoculturalisme d’une certaine vision « gallocentrique » de la culture et de la littérature, façonnée par des siècles de prestige et d’hégémonie.

Crispations françaises : la déstabilisation et la révélation postcoloniale

18En France, le postcolonial – comme théorie et comme critique – a émergé ou plutôt a été médiatisé avec la polémique. Cet intérêt public pour la question postcoloniale doit être replacé dans son contexte sociopolitique. L’année 2005 apparaît comme une année charnière avec, entre autres événements marquants, la loi du 23 février 2005 comportant un alinéa sur le « rôle positif » de la présence française outre-mer (abrogé un an plus tard) précédé par un débat parlementaire dont l’originalité fut de « faire accéder à l’existence politique officielle un débat pré-existant – donc de rendre susceptibles d’une demande légitime de prise en charge publique des questions jusque-lors dépolitisées » (Bertrand 133) ; les émeutes dans les banlieues en novembre 2005 qui mettent en lumière le décalage entre le modèle français d’intégration et l’abandon par la République de toute une frange de la population – souvent d’origine immigrée ; l’appel du « mouvement des indigènes de la République » en janvier 2005. Le discours de Nicolas Sarkozy en juillet 2007 à Dakar (« le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ») illustre d’autre part à la fois la rémanence, au sommet de l’État, de discours coloniaux les plus caricaturaux et l’urgence qu’il y a à les déconstruire.

19Les conditions semblent donc réunies pour que le postcolonial comme théorie outre-Atlantique puisse enfin être audible dans le milieu universitaire et scientifique français [4]. Il n’en reste pas moins que le décalage temporel entre les États-Unis et la France crée un trouble dans la réception. Si le retard de la France par rapport à la théorie postcoloniale est en voie d’être comblé [5], celle-ci est aujourd’hui considérée à travers des traductions françaises, souvent récentes, d’ouvrages qui ont parfois été publiés il y a une vingtaine d’années. Des débats qui ont déjà eu lieu outre-Atlantique sont « réinventés » en France et l’évolution d’un courant de pensée qui n’a cessé de se remettre en cause depuis trente ans est dès lors effacée, ce qui équivaut à réduire « une pensée particulièrement éclatée, complexe et éclectique, à une théorie univoque ou un système qu’elle ne peut pourtant, par définition, constituer » (Zecchini 239).

20Car les réticences demeurent particulièrement fortes en France. La pensée postcoloniale y est suspecte. Et nous souscrivons au constat de Jacques Pouchepadass quand il estime que c’est à l’instrumentalisation expéditive et mutilante de la pensée postcoloniale, dans l’adhésion comme dans la critique, qu’on a trop souvent assisté (413). S’agit-il de voir dans cette défiance les traces de cet « injustifiable complexe de supériorité intellectuelle » français diagnostiqué par François Cusset (324) ? Sans doute en partie. Mais les raisons de cette réception polémique, parfois douloureuse, sont aussi plus complexes.

21Il y a d’abord un malentendu proprement disciplinaire et une véritable crispation de la part de certains historiens, anthropologues et sociologues du politique français [6] vis-à-vis d’un courant de pensée qui semble faire entrer leurs disciplines dans une ère du soupçon déstabilisante. Romain Bertrand évoque d’ailleurs la « réaction corporatiste » (184) des historiens, indignés de se retrouver soudain dans le box des accusés (Bayart ; Bertrand ; Sibeud) ou d’être considérés comme des « suppôts de l’identité nationale » alors que nombre de leurs travaux, et on pense en effet à ceux de Jean François Bayart, n’ont cessé de s’élever contre « l’illusion identitaire », l’essentialisation a-historique de l’altérité ou les politiques néocoloniales de la France.

22Ce malentendu s’est cristallisé autour de l’assignation en justice, par le Collectif des Antillais, de l’historien des traites négrières, Olivier Pétré-Grenouilleau, à la suite de propos tenus en juin 2005. Ceux-ci réinscrivaient le débat dit postcolonial dans une complexité et une historicité effectivement salutaires (en contestant l’équivalence entre Shoah et traite négrière, en parlant de « choix identitaire » pour un français d’origine africaine qui se présenterait comme « descendant d’esclave »). Dix-neuf historiens font alors paraître le manifeste Liberté pour l’histoire qui s’insurge contre la confusion entre justice et histoire et contre la « sanctuarisation juridique » de celle-ci. Ce manifeste traduit aussi le désir de résister à la collusion entre recherche scientifique, engagement politique et militantisme. Car c’est en effet à cette collusion que l’on assiste depuis quelques années, l’histoire étant instrumentalisée d’un côté par l’État (dans le « rapport Kert », à l’origine de la loi du 23 février 2005, l’historien est tenu comme « responsable de la cohésion nationale [7] ») et de l’autre par les associations mémorielles qui accusent l’historien de ne pas être assez « anti-colonial » ou aussi militant (et parfois aussi manichéen) que d’autres chercheurs plus médiatiques [8].

23Pour certains, taxer la France de « frilosité » par rapport aux études postcoloniales, de déni, de conservatisme ou de provincialisme relève d’autre part du faux procès. Jean-François Bayart est sans doute le porte-parole le plus éloquent de cette indignation. Comment parler de retard alors que penseurs et écrivains francophones irriguent la pensée postcoloniale depuis son émergence et que la recherche historienne française sur les situations coloniales n’a jamais cessé ? Les Postcolonial Studies n’ont donc rien inventé (« on a déjà donné ! » 20) et sont « largement superflues » (41).

24On voit là encore la méprise suscitée par cette dé-littérarisation de la théorie postcoloniale en France qui est disqualifiée pour son défaut d’historicité. Force est alors de se demander si ces chercheurs les plus critiques ont vraiment lu certains des travaux majeurs issus des Postcolonial Studies. Quand Jean-François Bayart affirme que « la vraie question n’est pas celle, abstraite et ontologique, du rapport du postcolonial au colonial, mais celle de l’enchaînement de l’historicité de l’un à l’historicité de l’autre » (60), il se situe (à son insu ?) dans la filiation directe de penseurs aussi divers qu’Edward Saïd, Homi Bhabha ou Robert Young, qui, sans être historiens, n’ont pourtant jamais cessé de travailler dans cet enchaînement des historicités.

25La critique semble, une fois encore, s’inscrire dans un contexte spécifiquement franco-français et s’adresser davantage à des historiens comme Nicolas Bancel et Pascal Blanchard, dont l’hypothèse clé est la généalogie républicaine de l’idéologie coloniale moderne, qu’au courant dit « américain » des Postcolonial Studies [9]. À lire l’introduction de La fracture coloniale (FC), la colonisation semble en effet inséparable d’une république, essentiellement et non historiquement coloniale. Si Romain Bertrand plaide de manière convaincante pour inscrire le « moment colonial » dans les « longues durées » du politique et des historicités enchâssées, il dénonce également le « rouleau compresseur de la comparaison anachronique » (144) et la sortie hors-histoire dans l’ordre du discours militant qu’implique par exemple l’équivalence stricte entre colonisés d’hier et immigrés d’aujourd’hui.

26Les études postcoloniales sont donc accusées non seulement de manquer de rigueur, d’empirisme et de méthode, mais aussi de confondre toutes les situations coloniales et les postcolonialismes (Bayart ; Amselle ; Sibeud), de surdéterminer le « fait colonial », décliné au singulier, en supposant la reproduction univoque de l’hégémonie coloniale et de sa violence, de réduire les subalternes à un rituel d’affliction doloriste et de succomber encore et toujours à une pensée manichéenne (centre contre périphérie, métropole contre colonie, dominant contre dominé, etc.). Si certains penseurs postcoloniaux ont certes parfois succombé à cet essentialisme a-historique que beaucoup, au sein même des Postcolonial Studies, ont d’ailleurs vivement critiqué, on assiste en revanche trop souvent, en France, à l’invention d’un postcolonialisme monolithique, pour les besoins d’une démonstration à charge. Car les Postcolonial Studies n’ont cessé d’appeler à aller au-delà de ces antagonismes essentialistes (le « post » de « postcolonial », cela a été si souvent répété, ne signifie ni la polarité ni la séquentialité mais traduit surtout un « dépassement »), de subvertir l’essentialisation des différences et des enracinements, de situer les discours en révélant leur complexité et leur historicité, d’étudier autant les continuités que les disjonctions, de montrer l’enchevêtrement d’identités non pas naturelles mais historiques, de rendre compte de l’activité autonome (une agency pas seulement réactive) des subalternes ou des colonisés (le mimétisme « subversif » théorisé par Homi Bhabha, la pratique du « détour » dans la pensée d’Édouard Glissant, etc.)

27La méfiance qui règne dans certaines disciplines traduirait en fait une forme de malaise français par rapport au brouillage des frontières disciplinaires, effectivement au fondement même des Postcolonial Studies. C’est d’ailleurs là qu’on perçoit le formidable potentiel déstabilisateur de ce « registre de pensée critique et de questionnement » (Pouchepadass in Smouts 186) qui ne cesse de relayer une théorie et une discipline par une autre. Jean-François Bayart indique d’emblée son agacement par rapport à ce « métadiscours à caractère universel », qui récupère et colonise tous les champs de savoir, capitalise sur une mode et un « effet d’aubaine ». Tout se passe alors comme si le postcolonial servait d’épouvantail sur lequel asseoir la prééminence des sciences sociales (comme l’illustre la conclusion de l’ouvrage, Les études postcoloniales. Un carnaval académique[10]) dans une guerre entre champs rivaux et une hiérarchie des disciplines dont on ne peut que constater et regretter le cloisonnement traditionnel et institutionnel en France.

28Parallèlement à ce malaise disciplinaire, il semblerait que la réception des études postcoloniales cristallise une difficulté française à penser le passé colonial et l’articulation entre identité et altérité. Ce courant de pensée est ainsi accusé de menacer l’idéal universel du modèle républicain, de provoquer guerre des mémoires et durcissement des identités. La question postcoloniale se polarise alors sur l’opposition réductrice et a-critique entre communautaristes dits « postcoloniaux » ou « anglosaxons » et républicains dits « universaux », entre devoir de mémoire et anti-repentance.

29Car le décentrement que traduisent et qu’accomplissent les Postcolonial Studies est encore à venir en France. Achille Mbembe, Mamadou Diouf, Benjamin Stora, Édouard Glissant et bien d’autres intellectuels constatent que l’histoire française continue de coïncider avec l’histoire métropolitaine. Et si l’ouvrage de Pierre Nora les Lieux de mémoire, dans lequel la colonisation et l’outre-mer sont proprement effacés de la mémoire nationale, a plus de vingt-cinq ans, la société française n’a pas encore mémorisé l’histoire coloniale (Stora in FC, 57). Achille Mbembe évoque ainsi le « défaut », « l’ablation » et « l’excision » de l’histoire de notre présence au monde et de la présence du monde en notre sein (FC, 148-149). Et Benjamin Stora met en parallèle l’acharnement avec lequel la société française énumère les dangers liés aux études postcoloniales et l’immensité du désir de recherche sur leurs origines et sur le passé qui travaille les jeunes générations (Stora in Smouts, 293).

30La France a d’autre part oublié de s’interroger sur cette contradiction d’un « universalisme porté par une culture et une langue particulières » (Mbembe in FC, 147), d’un point de vue exclusif qui se maquille en absolu et permet de s’ériger contre ou par rapport à l’autre. Cet universalisme d’une culture et d’une langue est justement exalté par l’institution linguistique, politique et culturelle qu’est la francophonie. Mais c’est un universalisme qui fait de la France le centre du monde (Moura ; Mbembe ; Baneth 2009), à partir duquel la langue et la culture françaises, censées véhiculer, par essence, les valeurs universelles, pourraient se diffuser. Les « littératures francophones » sont ainsi reléguées, en France, à la périphérie des « lettres françaises » ou cantonnées aux départements de littérature comparée. Et c’est à ce clivage que s’est heurtée la théorie postcoloniale dans les départements de littérature française où elle aurait pourtant tout lieu de trouver son utilité critique. Les Postcolonial Studies mettraient plutôt en avant un « français conçu comme langue au pluriel, dépourvue de centre évident » (Moura in Smouts, 102) et semblent dès lors constituer une menace pour la francophonie. Le modèle français d’intégration et d’assimilation ne considère l’Autre, l’ex-esclave, l’ex-colonisé ou l’immigré « qu’en termes de duplication, de dédoublement jusqu’à l’infini d’une image narcissique » (Hassoun cité par Mbembe in FC, 140-41). Ce malaise républicain devant la différence irréductible ou littéralement insoluble permet par ailleurs de jeter un autre regard sur la tourmente médiatique récente, parfois proche de l’hystérie, autour du voile intégral, dont on entend à la fois sauver une centaine de femmes musulmanes – au besoin malgré elle – mais aussi préserver le territoire français dont l’intégrité serait menacée par une « invasion de burqa » [11].

31S’il est réducteur et, d’un point de vue historique et scientifique, à la fois erroné et stérile d’assimiler la France d’aujourd’hui à une « société coloniale », il y a cependant une « actualité de la colonie » dans les représentations, les pratiques et les structures psychiques du pouvoir (Mbembe in Mouvements). La France souffre par ailleurs d’une difficulté certaine à faire dialoguer les mémoires et les histoires divergentes, à renoncer à un « récit national » du passé colonial

32Jean-Louis Bonniol explique ainsi comment la référence postcoloniale a servi de boussole identitaire avec la montée des revendications mémorielles liées à l’histoire coloniale de la France (in Mouvements 52-69). L’esclavage et la traite Atlantique, l’Algérie et la guerre d’Algérie sont identifiés comme les « deux abcès » principaux de ce retour du refoulé colonial et mémoriel. L’immigration et la question de l’intégration républicaine des « descendants de colonisés » constituent à l’évidence un troisième abcès. On assiste ainsi depuis une dizaine d’années en France à la floraison de groupes de pression identitaires, revendiquant à la fois leur droit à la différence et un devoir de mémoire de la République à leur égard : le collectif « devoirs de mémoires », le mouvement des « indigènes de la République », le CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires de France), etc.

33Et c’est au nom de cette boîte de Pandore de la compétition mémorielle entre différentes communautés de souffrances que les Postcolonial Studies sont souvent dénoncés en France. Jean-Loup Amselle se fait le porte-voix de cette critique républicaine qui se focalise sur la question identitaire. Il dénonce une « nouvelle pensée unique » postcoloniale et relit celle-ci par rapport aux monstres qu’elle aurait enfantés. Le dernier chapitre de son ouvrage, « la facture postcoloniale » (où il faut entendre le prix à payer après la fracture coloniale) s’ouvre ainsi sur l’épigraphe de Brecht : « le ventre est encore fécond d’où a jailli la bête immonde » (235). En battant en brèche l’universalisme abstrait des Lumières, en multipliant les particularismes distinctifs, en encourageant la visibilité des différences et la fétichisation des « fragments », la critique postcoloniale est accusée de racialiser la culture et l’identité, de favoriser les chocs de civilisation contre lesquels elle prétend s’élever, d’interdire toute analyse fondée sur de l’universalisable et enfin de contribuer à atomiser le corps social, politique et mémoriel entre exigences incompatibles. Un contrat social ethnico-racial aurait remplacé le pacte républicain. On voit à nouveau à quel point la référence postcoloniale sert d’épouvantail ou de repoussoir fantasmatique, Jean-Loup Amselle présupposant par ailleurs une influence des discours « postcoloniaux » pour le moins discutable en France. Les études postcoloniales ne laissent pas la question du colonialisme au seul discours de la mémoire. Face à la crispation sur la frontière (nationale, symbolique et culturelle), sur la différence radicale et sur une identité intangible, définie une fois pour toute de manière défensive ou agressive, la question postcoloniale nous invite à penser l’histoire ; l’histoire hors de nos frontières et l’histoire coloniale qui n’appartiennent ni à un hors-temps ni à un hors-lieu mais nous constituent et façonnent notre présent, l’histoire de la sédimentation des identités dans le temps (Zecchini 239-245). C’est peut-être justement le défaut d’un véritable questionnement postcolonial en France qui explique la confusion entre histoire et mémoire, le malaise que suscite la puissante demande d’identité qui travaille une partie de la société française et la crispation, si flagrante encore récemment, sur une identité nationale ne pouvant se penser qu’à l’intérieur d’elle-même.

34Au regard de la mésestime et du soupçon que continuent d’inspirer les études postcoloniales en France, peut-on donc parler de rééquilibrage entre la France et les États-Unis, voire de « malentendu créateur » (Cusset 15) ? S’il est encore peu question de décentrement et de remise en cause des disciplines, la puissance de perturbation, d’ébranlement et de renouvellement de la théorie postcoloniale en France est en tout cas intacte. Celle-ci a fait émerger un débat postcolonial français et francophone qui permet, à son tour, d’irriguer, d’ouvrir et de réinventer les Postcolonial Studies dans les universités anglo-américaines [12].

35En retraçant la généalogie de ce courant de pensée dans ses allers-retours transatlantiques, nous avons tenté de révéler à la fois les continuités et les enchevêtrements entre penseurs français et pensée postcoloniale. Or, c’est bien cette altération réciproque des identités et des discours défaisant les catégories nationales, que les Postcolonial Studies accomplissent et offrent à penser. C’est peut-être à la condition d’un tel décloisonnement encore malaisé en France, d’un dialogue et d’une relation (au sens glissantien d’une poétique qui puisse relier, relayer, relater) entre les disciplines et leurs pratiques, entre histoires connectées, qu’un questionnement postcolonial créateur pourra émerger et une éventuelle réconciliation être enfin envisagée entre mémoire et histoire.

Bibliographie

Ouvrages cités

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Notes

  • [1]
    Quelques dates importantes peuvent servir à jalonner l’introduction de ces discours aux États-Unis : le colloque d’octobre 1966 à Johns Hopkins, l’apparition de revues consacrées au poststructuralisme dans les années 1970, et la publication de la traduction en anglais par Spivak de De la grammatologie en 1976 (Cusset 39, 72, 120).
  • [2]
    Ainsi l’ouvrage de Neil Lazarus, publié en 2004, The Cambridge Companion to Postcolonial Literary Studies, est traduit par Penser le postcolonial en 2006, la dimension littéraire étant ainsi apparemment effacée. D’autre part les œuvres les plus littéraires, comme l’ouvrage, pourtant fondateur, d’Ashcroft et al, The Empire Writes Back, publié en 1989, n’ont pas été traduites. Il en va de même pour les travaux de Robert Young ou de Homi Bhabha, malgré la récente traduction des Lieux de la Culture en 2007. Sur la réception malaisée de Bhabha en France, voir notamment l’article de Claire Joubert, « Théorie en traduction : Homi Bhabha et l’intervention postcoloniale », Littérature 154 (juin 2009) : 149-174.
  • [3]
    Sur cette articulation entre pouvoir, langue et situation d’énonciation, nous renvoyons à l’article très éclairant d’Émilienne Baneth-Nouailhetas, « Le postcolonialisme : histoires de langues » (2006).
  • [4]
    Voir entre autres depuis 2005 : Contretemps 16 (janvier 2006), « Postcolonialisme et immigration » ; Hérodote 120 (2006-1), « La question postcoloniale » ; Labyrinthe 24 (2006-2), « Faut-il être postcolonial ? » ; Multitudes 26 (automne 2006), « Le postcolonial et l’histoire » ; Esprit (décembre 2006), « Pour comprendre la pensée postcoloniale » ; Mouvements 51 (septembre-octobre 2007), « Qui a peur du postcolonial ? Dénis et controverses » ; Littérature 154 (juin 2009), « Passages. Ecritures francophones. Théories postcoloniales ». Toute une série de conférences, de colloques et de tables rondes a d’autre part été organisée sur le sujet, notamment par le CERI et par le Quai Branly.
  • [5]
    La maison d’édition Amsterdam accomplit notamment un travail considérable de traduction dans ce domaine.
  • [6]
    Cette crispation n’est pas partagée par tous les historiens ou sociologues du politique français, loin s’en faut. Les indianistes notamment, comme Jacques Pouchepadass et Jackie Assayag, ont une position plus mesurée et complexe, sans doute parce qu’ils ont été confrontés aux Postcolonial Studies, notamment par le biais des Subaltern Studies, projet historiographique où l’analyse littéraire et discursive trouve toute sa place, beaucoup plus tôt que, par exemple, certains de leurs collègues africanistes.
  • [7]
    Cité par Bertrand 42.
  • [8]
    On pense par exemple aux historiens derrière le groupe de recherche « ACHAC : colonisation, immigration post-colonialisme ».
  • [9]
    Voir encore, très récemment, la réponse polémique de Jean-François Bayart (« Les très fâché(e)s des études postcoloniales », Sociétés politiques comparées, 23 [mars 2010]) au dernier ouvrage de Nicolas Bancel et al : Ruptures postcoloniales. Les nouveaux visages de la société française (Paris : La Découverte, 2010).
  • [10]
    La conclusion est claire : « la façon la plus convaincante de restituer le fil des continuités et des discontinuités du colonialisme au postcolonialisme semble devoir être celle de la sociologie historique comparée » (Bayart 91).
  • [11]
    Nous pouvons renvoyer ici au documentaire d’Agnès De Féo, Sous la burqa (2010), et aux propos qu’y tient le sociologue Raphaël Liogier. Il s’étonne notamment du champ lexical « épidémique » employé pour commenter ce phénomène.
  • [12]
    Car la manière dont la France négocie la « question postcoloniale » suscite un intérêt croissant outre-atlantique. En témoignent, très récemment, le colloque organisé par Columbia University en mars 2010, « Thinking the Postcolonial in French : History, Politics, Literature ». On nous signale également un numéro de Public Culture à paraître fin 2010, qui comportera la traduction de l’essai de Jean-François Bayart sur le carnaval académique postcolonial et les réactions, entre autres, de Robert Young à ce texte.
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