Couverture de RFEA_088

Article de revue

Vu de France : le cinéma américain de la cinéphilie à la recherche

Pages 29 à 43

Notes

  • [1]
    Voir notamment tout le premier chapitre qu’Antoine de Baecque, lui-même critique et universitaire, consacre aux « Riches heures de la cinéphilie » dans Les Cahiers du Cinéma : Histoire d’une revue.
  • [2]
    Voir l’article « Nostalgies » (Bellour 1986).
  • [3]
     La première version était signée Yves Boisset et Jean-Pierre Coursodon, mais Bertrand Tavernier y avait déjà collaboré.
  • [4]
    Voir les publications qui reflètent ces travaux, en particulier le Bulletin du CICLAHO 1, (Bordat, Chauvin & Gauthier 1998).
  • [5]
    Voir notamment, dans la collection « Fac-cinéma » : D. Gomery & C. Allen 1993 ; N. Burch 1993 ; J.-L. Bourget 1998.
  • [6]
    Ce qui est revendiqué ici, dans la lignée des cultural studies et des gender studies, c’est la grande légitimité des critiques et théoricien(ne)s anglo-saxon(ne)s pour lesquel(le)s « écrire sur le cinéma c’est écrire sur une activité sociale, culturellement spécifique mais indissociable de l’histoire des hommes et des femmes – et pas seulement par sa capacité de produire, chez ces hommes et ces femmes, des effets de plaisir, d’émotion, de beauté » (Burch 17).
  • [7]
    Il ne s’agit bien évidemment pas ici d’opposer des personnes : « l’analyste » et « le cinéphile » peuvent bien coexister (ou s’affronter) en un même individu, selon le moment, le contexte, le type de pratique sociale.
  • [8]
    Aventuriers, avons-nous écrit, mais bien moins souvent aventurières : comme le souligne Noël Burch, dans l’introduction au recueil Revoir Hollywood citée ci-dessus, le domaine américain est occupé, au sens fort du terme, par une présence très majoritairement masculine, tant dans l’université que dans la critique.
  • [9]
    Voir, par exemple, les admirables développements sur le flash-back chez Mankiewicz par Deleuze dans L’Image-temps (68-74) : l’extrême richesse des matières convoquées par le philosophe et l’ampleur de ses objectifs ne permettent pas toujours de s’en apercevoir, mais sa méthode renvoie souvent, comme « en passant », à la nécessité toujours présente de comprendre le « discours du récit » cinématographique (voir aussi les pages consacrées à Chaplin dans L’Image-mouvement).
  • [10]
    Rappelons également dans ce cadre, si on nous le permet, ce que nous écrivions ailleurs à propos de la représentation de l’itinéraire professionnel d’un personnage de « business woman » interprété par Joan Crawford dans Mildred Pierce (M. Curtiz, 1945) : « Si l’on peut considérer avec beaucoup de critiques féministes que Mildred Pierce est l’incarnation hollywoodienne du « déplacement des valeurs familiales » suscité aux États-Unis par l’accès massif des femmes au travail pendant la Seconde Guerre mondiale, on peut s’étonner que ne soit pas davantage soulignée, dans les très nombreux articles de critiques féministes consacrés à ce film, l’évacuation du professionnel dans les ellipses temporelles. Car il n’y a pas de barrière étanche entre les problèmes de récit et la production du sens social et idéologique des films. La critique féministe a amplement commenté le fait que l’image de la femme, dans le cinéma hollywoodien, se constitue d’abord par rapport à la sphère affective et familiale, tandis que toute la thématique hollywoodienne est hantée par le professionnalisme masculin. Il est donc tout à fait remarquable que, dans le cas où le scénario s’écarte légèrement des usages et montre tout de même une femme personnellement impliquée dans le monde du business, les structures narratives viennent au secours de l’institution pour maintenir à flot la représentation dominante du féminin. » (Nacache 1999, 89-90).

1 Dans l’hypothèse où l’on tenterait ici de proposer un symétrique aux « transatlantiques » évoquées par Dominique Sipière dans l’article précédent, et donc d’observer le versant français des relations entre le cinéma américain et la critique, il faudrait vite se rendre à l’évidence : la situation est inégale et ne se réduit en aucune manière à un rapport de réciprocité. Si le développement de la recherche sur le cinéma fut, en effet, spectaculairement plus rapide aux États-Unis qu’en France, si les Américains, non contents de savoir fabriquer les films, savent également discuter, emprunter, adapter et parfois enrichir les théories françaises du cinéma, ils n’ont pu en revanche, et pour cause, importer les fondements historiques et culturels de l’amour du cinéma américain : à savoir le phénomène cinéphilique, tel qu’il s’est constitué avec une assez remarquable cohérence dans la France des années cinquante, sous l’effet conjugué de la redécouverte du cinéma américain (étalée sur plusieurs années après la Libération), de l’éclosion de ce mouvement d’éducation populaire sans précédent (et certainement sans équivalent outre-Atlantique) que furent les ciné-clubs, du travail de conservation entrepris, sur un mode héroïque, par Henri Langlois à la Cinémathèque, enfin de l’effervescence intellectuelle qui résulte de cette conjoncture exceptionnelle.

2 À l’heure actuelle, on dispose d’études assez sérieuses et documentées sur l’histoire de la cinéphilie pour que celle-ci ne soit plus perçue sur le seul mode du romantisme échevelé [1]. Public d’amateurs, certes, mais d’amateurs méthodiques dans l’assouvissement de leur passion, se distinguant par une pratique sociale et culturelle identifiable à ses lieux, à ses rituels, à ses codes, les cinéphiles ont contribué de façon majeure, en France, à l’histoire des idées sur le cinéma. Dans cette période de reconstruction si importante que fut la fin des années quarante, la cinéphilie, écrit justement Jean-Pierre Jeancolas, est « une entreprise patiente de reconquête de l’histoire […] et aussi, surtout, un lieu de théorisation » (73). Devenue depuis cette époque un des principaux foyers du discours sur le cinéma, la cinéphilie a engendré un corps socialement adapté, une corporation même, celle des critiques et journalistes de cinéma. Elle a produit des écoles, des chapelles, des querelles (autour de revues comme les Cahiers du Cinéma, Positif, Présence du Cinéma) ; de ses rangs sont même sortis, après un passage par la critique, un certain nombre de créateurs, comme le montre l’exemple inlassablement cité de la Nouvelle Vague.

3 Or, si la pratique cinéphilique ne s’élabore certes pas autour de la seule production américaine, c’est tout de même dans ce domaine que son influence fut la plus déterminante. En l’occurrence, c’est bien la critique cinéphile – la génération des années cinquante-soixante, fascinée par la splendeur finissante de l’âge d’or hollywoodien – qui, en France, a pendant assez longtemps occulté les difficultés théoriques attachées au cinéma américain, en le vivant, de façon privilégiée, sur le mode du culte. Ce culte eut ses temples, ses figures tutélaires, son évangile, par l’intermédiaire de la politique des auteurs, bonne caution théorique puisqu’elle encadrait le discours de la passion avec autant de rigueur que la passion peut en tolérer. Dans le contexte hollywoodien la politique des auteurs trouvait à s’exercer avec une acuité toute particulière : la notion de série qui informe en profondeur le cinéma issu du studio system offrait un terrain d’application idéal à l’auteurisme, lequel a durablement (voire définitivement) marqué l’image du cinéma américain classique en France. Si un demi-siècle de cinéphilie dressa parfois les uns contre les autres partisans et opposants d’Hollywood, il reste que par-delà ces querelles, la notion d’auteur appliquée au cinéma américain s’est stabilisée, voire institutionnalisée, de sorte qu’il est aujourd’hui difficile de la remettre en question. Dans les cinémathèques et salles de répertoire, une stratégie continue de rétrospectives et d’hommages (voir récemment, à la Cinémathèque Française, les hommages à McCarey, Daves et Hitchcock) montre qu’il s’agit de tout voir, le meilleur comme le moins bon. La construction d’une mémoire cinéphilique exige cette complétude. Le manque, l’oubli, sont ses pires ennemis. « La cinéphilie », comme l’écrit Jacques Aumont, « est cette croyance qui s’est donné des mots rituels – mise en scène, auteur, nouvelle vague – pour ne plus pouvoir oublier jamais » (49).

L’encombrement cinéphilique

4 Sans doute est-ce la raison pour laquelle le cinéma américain, enfant gâté de la cinéphilie, eut quelque peine à s’imposer d’emblée dans le champ de l’université et la recherche. Depuis l’époque proto-critique où Louis Delluc, en 1918, s’écriait « L’art du cinéma appartient aux Américains. Nul doute que nous puissions les égaler un jour. Mais ils créent et nous ne ferons que suivre » (237), la cinématographie américaine s’est vue répercutée essentiellement par le regard cinéphile et critique, ce qui s’est confirmé avec l’après-guerre et la naissance des principales revues. Or la cinéphilie est à la recherche ce que le grand public est à la cinéphilie, et cela se comprend. Le comportement rituel de la dévotion cinéphilique – se souvenir de tout, dresser des fiches, évaluer, hiérarchiser, compléter les séries, se donner des idoles et des icônes – tout cela, en somme, allait plutôt contre les grands objectifs des études cinématographiques naissantes. La recherche en cinéma ne désire pas l’encombrement cinéphilique, qui lui fait obstacle par son abondance, son inertie, sa vulgate critique, son côté voyou. Cet encombrement étant justement indissociable, pour des raisons statistiques, du cinéma américain, il s’agissait donc de le combattre, d’une part en le réduisant sur le plan théorique, d’autre part en ramenant d’urgence dans le domaine de la théorie des productions qui n’avaient été jusque-là que sous la coupe de la pensée cinéphilico-critique.

5 Aucun chercheur, aucun professeur, ne peut évidemment être tenu pour personnellement responsable de l’opération ; et celle-ci n’a rien eu de régulier ni d’organisé. Il n’empêche pourtant qu’au fil des années soixante-dix et quatre-vingt, le mouvement général consista, pour rapatrier le cinéma américain vers des eaux plus recommandables, à privilégier certains domaines pour en écarter plus sûrement quelques autres. On a retenu bien sûr les grands créateurs de formes : Griffith, Welles, Hitchcock ; des notions opératoires sur le plan de la recherche telles que le genre (voir les travaux de Jean-Louis Leutrat sur le western, de Jean-Loup Bourget sur le mélodrame) ; l’apport de revues qui avaient déjà montré leur volonté de faire évoluer le discours critique traditionnel vers une authentique entreprise de recherche, comme les Cahiers du Cinéma. L’inscription dans une pratique analytique fortement désignée comme relevant de la théorie fut particulièrement claire dans le cas de la « ligne » sémiologique. Le fait que de telles entreprises aient pu être menées notamment par un Raymond Bellour (cf. Bellour 1980) est un indice important : Bellour a expérimenté l’amour du cinéma américain en cinéphile de longue date, dans sa dimension personnelle et initiatique [2], mais il a également produit des modèles fondateurs de l’analyse textuelle, avec ses analyses de fragments de The Birds, de Gigi et de North by Northwest. Sa caution est donc doublement précieuse.

6 Enfin, ce travail s’est effectué aussi par défaut : c’est-à-dire en excluant de la recherche la supériorité (quantitative, affective, fantasmatique) reconnue au cinéma américain par la communauté cinéphilique et critique. Si l’on ne peut guère ici entreprendre une quelconque enquête statistique, il paraît pourtant évident que l’édition universitaire de cinéma fut longtemps sans tenir aucun compte particulier de l’importance quantitative du cinéma américain. Cela ne relève pas bien sûr d’un ostracisme conscient, d’autant plus que le thème est, commercialement parlant, plutôt vendeur. Simplement, la notion de représentation quantitative n’est pas pertinente lors de la constitution du cinéma en objet d’étude et de recherche, alors même qu’il s’agit là d’une des notions qui identifient profondément le cinéma américain, tant sur le plan historique et économique que sur le plan esthétique.

7 Pendant ce temps, en revanche, la veine cinéphilico-critique a produit abondamment autour du cinéma américain – compte tenu, du moins, des difficultés économiques propres au monde de l’édition. Il y a un fil rouge, le dictionnaire de Coursodon et Tavernier – d’abord vingt ans [3], puis trente ans, puis cinquante ans de cinéma américain, avec ses réévaluations, ses repentirs, son auto-analyse permanente. Mais il faut rappeler aussi les collections de monographies placées sous le signe de la politique des auteurs (monographies dont la progressive disparition est un signe révélateur), les volumes d’entretiens qui accordent un net avantage à la parole directe sur la glose critique et sont volontiers placés sous le signe de l’affectif et du personnel (voir les relations privilégiées de Michel Ciment avec Kubrick, qui ont permis la naissance de son Kubrick, récemment réédité ; voir aussi les Amis américains de Bertrand Tavernier), les luxueux albums de Patrick Brion sur les grands genres américains (film noir, comédie musicale, western…), vitrine somptueusement décorée de la cinéphilie traditionnelle et qui répond à la programmation du même Patrick Brion, très majoritairement américaine, pour le Cinéma de Minuit de FR3, source, pour tout cinéphile, de si grands enrichissements vidéographiques ; enfin il faut citer les éditions des Cahiers du Cinéma qui continuent de développer la double vocation de la revue, recherche et théorie d’un côté, et de l’autre « présence » du cinéma : pour le cinéma américain, la mise-en-livre de l’émission de Martin Scorsese et Michael Henry, Voyage à travers le cinéma américain, peut être tenue pour un acte fondateur dans la constitution d’une histoire cinéphilique du cinéma américain.

Autour de la définition du classicisme hollywoodien

8 Du côté de la recherche, il y eut tout au moins un tournant important en France lorsque, venue d’outre-Manche et d’outre-Atlantique, s’imposa la nécessité d’une tâche qui consistait à définir le classicisme hollywoodien. Ce classicisme, contrairement à ce qui avait pu se passer dans les arts ou en littérature, ne pouvait se définir uniquement par des règles, des normes, mais par ces normes accompagnées et enrichies de leurs écarts. Dans cette définition, l’abondance des œuvres produites dans le contexte du studio system devenait un élément incontournable. Il fallait donc qu’enfin l’université prît en compte le critère quantitatif, comme le faisait outre-Atlantique l’imposant ouvrage de Bordwell, Staiger et Thompson The Classical Hollywood Cinema (1985), constituant la période hollywoodienne dite « classique » en ensemble de référence, corpus matriciel dans lequel se déclinait le paradigme de toutes les formes existantes ou à venir.

9 Mais la déferlante Bordwell, Staiger et Thompson n’était pas plus tôt parvenue en France qu’elle provoquait, comme de juste, et de façon pratiquement concomitante, le devoir de résistance face à ce qui paraissait déjà une pensée unique, un abus terroriste des systèmes et des grilles auxquelles l’« esprit français » est naturellement rétif. On souligne rapidement que les normes dégagées sont trop autoritaires ; dans un numéro de CinémAction de 1990, soit cinq ans seulement après la parution de l’ouvrage incriminé (ouvrage toujours non traduit à ce jour), Suzanne Liandrat-Guigues dénonce le caractère contradictoire de l’objet même :

Concept indiscuté en tant que référence implicite, [le cinéma américain] se constitue et se définit à partir d’une multiplicité de films qui apparaissent souvent comme des produits anormaux, rétifs au « système hollywoodien » grâce auquel on les prend en considération, marginaux. Cependant, la marge qu’ils dessinent semble constituer un réservoir dans lequel critiques et théoriciens puisent à l’envi les preuves a contrario d’une essence du cinéma américain, classique.
(52)
De ce caractère contradictoire, l’article se réclame pour rejeter la vision selon laquelle le cinéma américain aurait fondé un art de la narration. Le propos, cependant, semble aller bien au-delà de la seule question narrative ; par-delà la profession de foi (« innombrables sont les récits proposés par les cinémas des États-Unis, et il n’y a aucune raison de soumettre cette multiplicité à un point de vue unique », conclut S. Liandrat-Guigues [57]), ce qui est revendiqué est bel et bien le droit à l’existence d’un autre cinéma américain – ici, en l’occurrence, les régions moins connues du primitif, de l’expérimental, de l’underground.

10 De quoi s’agit-il donc ? Plus du tout d’exclure, mais d’inclure, d’inclure le plus grand nombre possible de formes, de genres, d’écritures. Désormais l’université reproduit les conduites des cinéphiles et des critiques, qu’elle admet de plus en plus régulièrement en son sein. Dans la plupart des synthèses sur le cinéma américain des dix dernières années (qu’elles s’avouent ou non comme synthèses, et quelles que soient leurs proportions), même si chaque fois ce ne sont pas les mêmes films qui sont retenus ou rejetés, le mouvement est le même : celui de l’annexion. Qu’il s’agisse de brasser de grands ensembles d’œuvres, ou de ne retenir que quelques modèles rares, papillons précieux dans le filet de l’analyste (cf. Vernet 1989) ; qu’il s’agisse de souligner l’absence, en France, d’un certain type de discours qui a connu une grande fortune dans les pays anglo-saxons (les gender studies) ou de se fixer clairement le cinéma hollywoodien classique comme objectif (voir le groupe de recherche de Paris X, le CICLAHO, qui étudie non seulement les formes classiques elles-mêmes, mais leur évolution et leurs prolongements bien au-delà du cadre canonique du premier studio system[4]), l’objectif, au fond, est toujours le même : non pas réduire la notion de « cinéma américain », mais en étendre toujours davantage la zone d’influence et lui adjoindre le plus de provinces possible. La collection Nathan-Université, devenue (sans doute du fait d’une certaine domination économique) une position avancée de la recherche universitaire, a notamment montré dans la dernière décennie sa volonté de rattraper le retard antérieur, soit en créant des passerelles avec la recherche anglo-américaine [5], soit en s’ouvrant à la plus considérable synthèse sur le cinéma hollywoodien jamais publiée dans le cadre universitaire (avec le livre de Jean-Loup Bourget, Hollywood, la norme et la marge).

11 Le ton polémique de certaines préfaces ne doit pas tromper : malgré l’ardeur avec laquelle chacun défend son territoire, il n’est pas question de faire table rase de tout ce qui précède. Certains peuvent bien le donner à penser, tant ils semblent considérer leur position comme étant la plus légitime : on songe par exemple, en 1993, à la fiévreuse introduction de Noël Burch au recueil Revoir Hollywood : La nouvelle critique anglo-américaine, l’un des rares textes qui tentent de couvrir systématiquement, quoique d’un point de vue singulier, les rapports de la critique et de la théorie française avec le cinéma américain [6]. Pourtant, toutes lectures faites, et même si, par moments, l’on semble parfois croiser le fer sur le mode du règlement de comptes, il apparaît qu’il ne s’agit pratiquement jamais de détruire, ni de réduire, mais au contraire d’apporter un nouvel étage à la pyramide, de repousser encore les frontières de ce cinéma si précieux qu’on ne peut, décidément, rien en laisser perdre. Ce qui s’applique là, c’est l’attitude décrite avec humour par Christian Metz montrant, dans Le Signifiant imaginaire, comment le désir d’ériger le cinéma en « bon objet » pousse les passionnés à élaborer des « constructions cautionnantes » dans le but de « sauver le plus de films possible ». L’historien du cinéma, par exemple, retiendra « tel film pour sa valeur esthétique et un autre comme document sociologique, un troisième sera l’exemple typique des mauvais films d’une époque, un quatrième l’œuvre mineure d’un cinéaste majeur, un cinquième l’œuvre majeure d’un cinéaste mineur… » (Metz 20-21).

Un statut paradoxal

12 À l’échelle du domaine américain, c’est d’abord, on l’a vu, le cinéphile qui a imposé cette conduite « cautionnante » comme modèle dominant. Restaurer, sauvegarder, conserver, c’est ce que font les fous de cinéma américain tout comme les cinémathèques, et leur mémoire n’est pas la moins organisée, ni la moins précieuse des archives. Mais la manie collectionneuse et archiviste du cinéphile n’est pas sans avoir contaminé des postures réputées plus « sérieuses ». Si le geste de l’analyste diffère de celui du cinéphile – l’un dissèque et s’attarde indéfiniment sur un objet unique, froid, muséifié, l’autre, inquiet, vivant dans la peur du manque, thésaurise des montagnes d’images [7] – il n’empêche que le cinéma américain est devenu pour le théoricien ce qu’il a longtemps été (et qu’il est encore parfois) pour le critique et le cinéphile : un terrain vaste et vague, contenant à la fois tous les exemples et tous leurs contraires, jungle providentielle pour les analystes de tous bords. Lectures historiques, idéologiques, analyse textuelle ; ou encore rêverie esthétique, recueillie sur des fragments de films qui, définition du fameux « classicisme » aidant, ont pris un délicat parfum d’intemporalité. Désormais les analystes, tels des aventuriers pilleurs de temples, peuvent remplir leur besace d’un butin formidablement varié [8]. Ce sont la cinéphilie et la critique, dans ce domaine, qui ont joué le rôle de pourvoyeurs ; ce fut leur tâche que de forer et d’exhumer des objets précieux, dotés d’une sorte de naturelle et inépuisable vitalité, dans la mesure où tout propos sur un film américain singulier est aussi un regard sur le cinéma américain comme fait historique, comme contexte ou comme fantasme. C 19;est par l’incessante circulation entre recherche et critique/cinéphilie que s’est élaboré le statut singulier et paradoxal du cinéma américain : à la fois forêt vierge et jardin à la Le Nôtre, collection riche en incunables, en fétiches, et lieu de la culture de masse, réservoir capable d’alimenter à la fois la fébrilité du cinéphile et l’exigence du théoricien.

13 Par-delà cette contradiction, cependant, le cinéma américain garde mystérieusement sa valeur d’étalon, de norme implicite admise, voire utilisée, par ceux-là mêmes qui ont à cœur de combattre le concept de « cinéma américain » dans ce qu’il peut avoir d’inerte, de convenu, d’abusif. De cette résistance du concept, il ressort que, face au continent « cinéma américain », le discours critique doit sans cesse étudier et réviser ses propres armes, et éventuellement les renouveler en proposant des alternatives, tant il est vrai qu’Hollywood construit une critique comme il construit un spectateur. Ce critique virtuel devrait, pour ne ressentir aucun manque, intégrer la dimension propre aux critiques anglo-saxons, pour lesquels le cinéma américain est un champ naturel de la recherche, son foyer, son contexte tout désigné ; mais en même temps, il lui faudrait ne pas négliger les enjeux particuliers de la critique française, à savoir le fait que le cinéma américain n’est pas encore ici vraiment un corpus historiquement et esthétiquement défini, mais, en raison de sa double filiation cinéphilique et universitaire, un chantier en construction, un horizon, un idéal qu’il faut aider à exister, dont il faut d’abord vaincre la familière étrangeté : il est là, devant nous, tout autour de nous, accessible par des entrées latérales (films, thèmes, auteurs) et pourtant encore, dans sa globalité, et à de rares exceptions près, opaque à la recherche.

14 Le voile se déchire peu à peu, par une fusion progressive, par une circulation des personnes et des idées, et dans le cadre d’une sorte de réconciliation générale des courants critico-cinéphilique et universitaire. Cette réconciliation a quelques agents privilégiés, comme la Cinémathèque Française et ses initiatives pédagogiques ou éditoriales, qui tendent à relier plutôt qu’à séparer. Une fois encore, ce travail de « liaison » ne concerne pas bien sûr que le cinéma américain, mais c’est lui qui, y gagnant le plus de légitimité, en est le plus grand bénéficiaire. Or cette entreprise de légitimation est loin d’être terminée. Le cinéma américain a depuis longtemps pleinement conquis sa place dans l’imaginaire français, mais il lui reste à conquérir un statut d’objet entièrement respectable, en débordant les limites du quartier réservé auquel l’assignent la cinéphilie des anciens (avec le culte du classicisme), et, désormais, la cinéphilie des modernes, avec le culte de toute la veine vibrante, spectaculaire, ce cinéma de l’attraction qui draine aujourd’hui des foules au dernier avatar de Star Wars, et par rapport auquel se définit une génération de cinéastes comme celle des Jeunet et Besson.

15 Face à ce discours de la passion, il importe plus que jamais que nous n’abordions pas le cinéma américain avec un quelconque prêt-à-penser critique, mais, puisqu’il s’agit de le faire respecter, que nous nous attelions à deux tâches primordiales – et, en un sens, contradictoires. D’une part construire le corpus sans le « noyer » dans le reste du cinéma, car la légitimation implique de travailler à l’identification : cela continue encore, quoi qu’on en dise, à passer par une définition du « classicisme », pour lequel on ne peut s’arrêter ni au formalisme bordwellien, ni à la frontière historique tracée par la fin de « l’âge d’or » hollywoodien. D’autre part, pour poursuivre justement ce travail fondateur de définition, il n’est pas possible de rejeter complètement l’idée de règles et de normes, dont dépend encore étroitement toute identification du corpus ; il faut toutefois, pour éviter de le « ghettoïser », le rattacher de toutes les façons possibles (et convaincantes) à l’histoire des formes. Il s’agit en somme de définir le cinéma américain entre « la norme et la marge », selon l’expression de Jean-Loup Bourget, qui se livre magistralement à ce travail dans son plus récent ouvrage. L’étape marquée par Bourget est doublement essentielle. D’une part, en faisant de la connaissance intime et profonde du corpus un élément déterminant de la recherche, et en intégrant par la même occasion le critère quantitatif dans la définition du classicisme hollywoodien, elle scelle harmonieusement la communauté des points de vue critique et universitaire ; d’autre part, et surtout, elle constitue l’identité du cinéma américain au centre d’un vibrant réseau d’influences, en mettant à jour « l’aspect “melting-pot” de ce classicisme qui rend hollywoodien tout ce qu’on y plonge » (Bourget 5).

Récit, discours : perspectives d’application

16 Contribuer à la constitution d’une telle identité était également notre intention dans un petit livre paru voilà quelques années (Nacache 1995), dont la brièveté et la présentation didactique pouvaient prêter à confusion : car il ne s’agissait pas d’y réduire le cinéma hollywoodien à la déclinaison de quelques canevas narratifs, mais, bien au contraire, de mettre au premier plan de la recherche les formes hollywoodiennes (finalement fort peu étudiées en France à ce jour, autrement qu’à l’intérieur d’une répartition tacitement admise des genres : burlesque, western, comédie musicale), et, dans le cadre d’une telle entreprise, d’ancrer cette étude dans un contexte plus large en passant par la notion d’approche rhétorique. Le terme ne doit pas effrayer ni révulser ; après tout, en ce début de millénaire, nous avons laissé loin derrière nous la tyrannie de la rhétorique classique ; nous ne professons plus la méfiance socratique du philosophe face au rhéteur, chez lequel l’art du discours est censé relever toujours de la ruse ; et nous pouvons constater sereinement qu’il y a bel et bien un chantier dans la rhétorique du film. Chantier dans lequel il n’est pas question d’ignorer l’héritage des précurseurs (Barthes et Metz notamment, qui ont revitalisé le concept même de rhétorique autour de l’image fixe et mouvante) mais qu’il est temps d’éclaircir, à présent, en y dessinant des zones plus précises et des perspectives concrètes d’application. Soit en construisant une traversée du cinéma autour d’une figure-reine, comme l’a fait Jacques Gerstenkorn (1995) pour la métaphore ; soit en se limitant à une acception partielle des possibilités de l’analyse rhétorique, et à un contexte historiquement et géographiquement délimité. C’est ce que nous avons essayé d’entreprendre dans le cadre du cinéma hollywoodien classique, avec pour perspective d’étudier non le discours de l’image en général (encore que cela ne soit pas, bien évidemment, à exclure), mais bien plutôt le « discours du récit » – pour reprendre le titre du célèbre article dans lequel Gérard Genette a amplement montré que, loin d’être une grille d’interprétation figée, la rhétorique narrative ouvrait dans les œuvres des chemins imprévisibles et lumineux.

17 L’idée serait en somme que, même si les récits sont effectivement « innombrables » (comme le dit Suzanne Liandrat-Guigues citant Roland Barthes), et s’il ne faut nullement renoncer à cette multiplicité, c’est tout de même par la narrativité que le sens vient au film américain. C’est parce qu’il est d’abord narratif que, du même coup, il est d’abord discours, tout film narratif ayant pour but de convaincre avant même que de raconter, comme le montrait Gérard Leblanc à propos de The Birth of a Nation et de celui qui est considéré comme le père de la narrativité cinématographique, D.W. Griffith (cf. Leblanc 1996).

18 Par-delà les transformations, la seule chose que le cinéma américain ait construite de façon continue au cours d’un siècle de puissance économique et symbolique, c’est, à travers et par-delà son travail continu sur la narrativité, cet art du discours dont relèvent la majorité des productions, quelle que soit leur place dans les hiérarchies (film signé par un tâcheron ou par un cinéaste du panthéon, gros ou petit budgets, esthétique du classicisme ou de la marge, film culte ou inconnu, original ou remake). La narrativité suppose un discours, elle est un discours, et ce discours a ses figures. À travers l’étude de cette éloquence peut se dessiner une gamme de caractérisations infiniment nuancées, allant des simples ressorts dramatiques à la représentation des rapports sociaux, prenant en compte le narratif mais aussi le technologique (intarissable discours des effets de tous ordres, de l’articulation son/image aux effets spéciaux numériques, en passant par des trucages plus primitifs mais non moins porteurs de force expressive).

19 Plus question, comme on voit, de soumettre à un « point de vue unique » la multiplicité des récits. Son terrain empruntant par définition à tous les autres, la rhétorique appliquée aux multiples formes de la narration filmique américaine est souple, mobile, et n’a pour but ni de pétrifier les interprétations, ni de déboucher dans des coupe-gorge théoriques ou critiques (comme celui de l’auteurisme lorsque, mal conçu, mal utilisé, il ne réunit les films que pour mieux les isoler). Le rhétoricien, qui est aussi et surtout en l’occurrence un poéticien, ne défend ni domaine, ni chapelle. Ouvert, disponible, attentif, il sait que le film a à dire, et l’écoute parler. L’étude des figures permet d’entrer au cœur des récits filmiques, de la relation qu’ils instaurent avec le spectateur, en éclairant tout ce qui se joue dans l’architecture des agencements narratifs. Il ne s’agit pas, avec l’analyse rhétorique, de s’en tenir à l’image, au son, au corps, au décor, à l’acteur, mais de saisir les moments où toutes les données à la fois sont en crise dans les poussées de fièvre expressive du film ; d’explorer aussi bien les fissures, les suspensions, les absences, ou au contraire les débordements en tous genres – et de constater que souvent les uns et les autres sont en étroite dépendance, au sens où la représentation cinématographique américaine (hollywoodienne en tout cas) est dominée par une puissante loi de compensation, qui fait que le film ne s’enfle et ne s’étend par moments que pour mieux refluer et se taire ailleurs.

20 Voilà un principe essentiel, qui permet de rendre compte du cinéma américain autant sur le plan synchronique (comparer les productions d’une époque, par exemple : rapport entre cinéma des majors et cinéma indépendant, oppositions, complémentarité, échanges) que sur le plan diachronique, de façon qu’apparaissent non pas les différences les plus voyantes entre les époques, mais au contraire ce qui les relie, ce qui circule entre elles, et fait qu’un film américain de 2000 s’inscrit toujours, à des degrés plus ou moins forts, dans une logique qui remonte aux années dix, vingt ou trente. Il y a des terrains d’application très évidents de ce principe : l’étude de l’évolution des genres, ou celle du principe des remakes, dans la mesure où les remakes parlent moins de leurs « originaux » que du temps écoulé entre les différentes versions, et du désir de l’institution de maîtriser à sa guise ces écarts chronologiques, en se substituant au mécanisme même de la mémoire.

Le bruissement du non-dit

21 Si nous croyons que le cinéma américain rend nécessaire ce type d’approche, c’est qu’aux raisons générales se superposent, bien sûr, des raisons particulières. L’institution hollywoodienne s’étant toujours voulue fortement prescriptive par rapport aux modes de représentation, le discours hollywoodien a été très tôt tenu sous haute surveillance : c’était incontestable dans les années trente et quarante, à l’époque la plus florissante de la self-regulation – terme par lequel il est devenu habituel de désigner non seulement les pratiques d’autocensure instaurées par le Code de Production, mais toute l’industry policy, c’est-à-dire l’ensemble des mesures par lesquelles l’industrie hollywoodienne assure à ses productions, en surveillant de près leur fabrication et leur contenu, un rayonnement commercial aussi large que possible. Les outils exclusivement esthétiques ou historiques ne peuvent suffire à l’étude de ce contexte. En revanche l’étude des figures traverse en coupe les données du film. Tout en éclairant de larges perspectives narratives, esthétiques, historiques, idéologiques, elle peut envisager des univers d’auteurs [9] ; mais elle prend aussi en compte l’institution, ses zones de contrainte comme de liberté. C’est pourquoi on a vu qu’elle pouvait traverser certains des écrits les plus intéressants qui ont, aux États-Unis, accompagné la mise à la disposition des chercheurs des archives du Production Code Administration. Ainsi, dans un remarquable ouvrage de Lea Jacobs sur la période du Code, intitulé The Wages of Sin, qui ne tombe pas dans certains excès de la théorie féministe, on apprend beaucoup sur la philosophie de l’autocensure hollywoodienne, en constatant que les censeurs entendaient contrôler non seulement le visible mais l’invisible, non seulement le dit mais l’allusion, non seulement le récit mais ses ellipses. C’est une large perspective ouverte aux études féministes, concernées au premier chef par le bruissement du non-dit, par l’étude de tout ce que les ellipses contiennent comme représentations exclues ou ignorées – liées au sexuel, mais aussi au professionnel et au social [10].

22 C’est un peu dans le sillage de ces recherches que nos propres propositions ont pris, pour l’instant, la forme d’un travail sur l’elliptique et, de façon générale, les modalités hollywoodiennes de l’infilmé. Dans le discours du récit filmique américain, nous avons entrepris de réfléchir surtout à ce qu’il tait ou occulte ; cette approche est riche d’enseignements dans la mesure où elle suppose de prêter une égale attention au scénario (l’ellipse étant l’une des grandes affaires du scénariste et une source capitale d’effets dramatiques), à la représentation (éternel calcul, à Hollywood, de ce que l’on décide de montrer et de cacher), au contenu idéologique, au mode de production, enfin à la réception, puisque l’infilmé, par définition fantasmatique, ne prend tout son sens que dans la relation du spectateur au spectacle. Car rien, dans un film, n’est jamais « ellipsé » par hasard et, par-delà les règles simples de l’efficacité dramatique telles qu’elles ont été appliquées à Hollywood avec une insistance toute particulière (éliminer tout moment, toute image, qui n’est pas indispensable soit à la compréhension, soit à l’émotion), il est un monde encore beaucoup moins étudié qu’on ne pourrait le croire : le hors-champ, le hors-temps, le hors-dit, en somme l’ensemble virtuel de ce qui est, volontairement ou non, évacué par la représentation hollywoodienne.

23 Ce n’est là, bien sûr, qu’une proposition limitée pour l’utilisation raisonnée d’une étude des figures du discours narratif dans le cinéma américain. Remarquons cependant qu’appliquée au cinéma contemporain elle n’est pas moins utile que dans le cadre de la période classique : l’évolution des technologies constitue à elle seule un gisement continu de nouvelles figures qui remettent en chantier des problématiques fondamentales dans le cinéma américain, qu’il s’agisse du spectaculaire ou de la figuration de l’humain. De telles perspectives paraissent particulièrement utiles à une époque où les considérations sur le premier studio system paraissaient devoir aboutir à une impasse théorique. Après la période (nécessaire) de définition du classicisme assortie d’une admiration de rigueur devant « The Genius of the System » (Schatz 1989), les choses ont suffisamment évolué pour qu’il devienne clair que l’organisation du studio system actuel n’est pas fondamentalement différente de celle du système classique, dans les faits au moins sinon dans l’esprit, et compte tenu de l’évolution globale du contexte économique.

24 Or, même en mettant de côté toute nostalgie, il faut bien constater que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets, et que le système actuel, peinant à produire des œuvres de référence, se nourrit surtout de reproductions en tous genres qui se déversent en flot continu dans les salles des multiplexes français et européens. Alors, qu’en est-il ? Aurions-nous fait tout ce chemin pour parvenir à une rituelle lamentation sur l’hégémonie économique du cinéma américain ? Pas tout à fait : car le rapport entre copie et original, entre les copies elles-mêmes, et la réflexion qui peut en découler (pas seulement l’étude de la déperdition et de la déliquescence des formes, mais aussi celle des gains en matière de représentation et de création) peuvent également relever d’une approche rhétorique bien conçue, et s’avérer aussi utiles, dans le domaine de la recherche, que les protestations, plus que jamais en vigueur du côté des « professionnels de la profession », contre « l’envahisseur américain » (cf. D’Hugues 1999).

25 Face à ces professionnels, tout passionné de cinéma américain, qu’il soit simple cinéphile, critique ou chercheur, a pour sa part quelque chose du V.R.P., voyageur qui sillonne infatigablement les routes d’un pays cinématographique sans limites, représentant et placier enthousiaste pour un article dont il sent bien que, par-delà toutes les stratégies de légitimation, il inspirera toujours à la culture savante un soupçon de méfiance. C’est pourquoi, sans relâche, il proclame sa méthode meilleure que celle des autres, et la déclare valable pour le plus grand nombre d’objets possible : nous n’avons pas échappé à la règle. Peut-être cette aimable mauvaise foi critique est-elle, par-delà toutes les protestations solennelles, l’ultime signe de connivence entre fidèles du cinéma américain.

OUVRAGES CITÉS

  • Aumont, Jacques. Amnésies. Paris : P.O.L., 1999.
  • Bellour Raymond. Le Cinéma américain : Analyses de films. Paris : Flammarion, 1980 ; « Nostalgies », Autrement 79, « Europe-Hollywood et retour » (avril 1986) : 231-236.
  • Bordat, Francis, dir. CinémAction 54 « L’Amour du cinéma américain », janvier 1990.
  • Bordat, Francis & Serge Chauvin, Brigitte Gauthier, dir. Bulletin du Ciclaho 1, U Paris X
  • Nanterre, 1998.
  • Bordwell, David & Janet Staiger, Kristin Thompson. The Classical Hollywood Cinema, Film Style & Mode of Production 1917-1960. New York : Columbia UP, 1985.
  • Bourget, Jean-Loup. Hollywood, la norme et la marge. Paris : Nathan Université, 1998.
  • Burch, Noël, dir. et trad. Revoir Hollywood : la nouvelle critique anglo-américaine. Paris : Nathan-Université, 1993.
  • Ciment, Michel. Kubrick. Paris : Lévy, 1980, repr. 1987 et 1999.
  • Coursodon, Jean-Pierre & Bertrand Tavernier. Cinquante ans de cinéma américain. Paris : Nathan, 1991, repr. Omnibus.
  • De Baecque, Antoine. Les Cahiers du Cinéma : Histoire d’une revue. Paris : Éditions des Cahiers du Cinéma, 1991.
  • D’Hugues, Philippe. L’Envahisseur américain : Hollywood contre Billancourt. Lausanne : Favre, 1999.
  • Deleuze, Gilles. L’Image-mouvement. Paris : Minuit, 1983 ; L’Image-temps. Paris : Minuit, 1985.
  • Delluc, Louis. Écrits cinématographiques, t. II. Paris : Cinémathèque Française, 1986.
  • Genette, Gérard. « Discours du récit », in Figures III. Paris : Seuil, 1972, 65-273.
  • Gerstenkorn, Jacques. La Métaphore au cinéma. Paris : Méridiens-Klincksieck, 1995.
  • Gomery, Douglas & Robert Allen, Faire l’histoire du cinéma : Les Modèles américains. Paris : Nathan Université, 1993.
  • Jacobs, Lea. The Wages of Sin : Censorship and the Fallen Woman Film, 1928-1942. Berkeley/Los Angeles : U of California P, 1995.
  • Jeancolas, Jean-Pierre. « La Critique de cinéma en France de 1944 à 1958 » in La Critique de cinéma en France. Dir. Michel Ciment et Jacques Zimmer. Paris : Ramsay, 1997.
  • Leblanc, Gérard. « La Mise en crise du montage narratif continu », in La Licorne : « Crises de la représentation dans le cinéma américain ». PU de Poitiers, 1996, 37-65.
  • Liandrat-Guigues, Suzanne. « Innombrables sont les récits », CinémAction 54, « L’Amour du cinéma américain » (janvier 1990) : 51-57.
  • Metz, Christian. Le Signifiant Imaginaire : Psychanalyse et cinéma, 1re éd. 1977, repr. Paris : Christian Bourgois 1993.
  • Nacache, Jacqueline. Le Film hollywoodien classique. Paris : Nathan-Université, Coll. « 128 », 1995 ; « Ellipse et dramatisation filmique : l’exemple du mélodrame hollywoodien », Le Français Aujourd’hui 126, « États du drame » (1999) : 85-93.
  • Schatz, Thomas. The Genius of the System : Hollywood Filmmaking in the Studio Era. New York : Pantheon Books, 1989. — Scorsese, Martin & Michael Henry, Voyage à travers le cinéma américain. Paris : Cahiers du Cinéma, 1997. — Tavernier, Bertrand. Amis américains : Entretiens avec les grands auteurs d’Hollywood. Institut Lumière/Actes Sud, 1993.
  • Vernet, Marc. Les Figures de l’absence. Paris : Cahiers du Cinéma, 1989.

Notes

  • [1]
    Voir notamment tout le premier chapitre qu’Antoine de Baecque, lui-même critique et universitaire, consacre aux « Riches heures de la cinéphilie » dans Les Cahiers du Cinéma : Histoire d’une revue.
  • [2]
    Voir l’article « Nostalgies » (Bellour 1986).
  • [3]
     La première version était signée Yves Boisset et Jean-Pierre Coursodon, mais Bertrand Tavernier y avait déjà collaboré.
  • [4]
    Voir les publications qui reflètent ces travaux, en particulier le Bulletin du CICLAHO 1, (Bordat, Chauvin & Gauthier 1998).
  • [5]
    Voir notamment, dans la collection « Fac-cinéma » : D. Gomery & C. Allen 1993 ; N. Burch 1993 ; J.-L. Bourget 1998.
  • [6]
    Ce qui est revendiqué ici, dans la lignée des cultural studies et des gender studies, c’est la grande légitimité des critiques et théoricien(ne)s anglo-saxon(ne)s pour lesquel(le)s « écrire sur le cinéma c’est écrire sur une activité sociale, culturellement spécifique mais indissociable de l’histoire des hommes et des femmes – et pas seulement par sa capacité de produire, chez ces hommes et ces femmes, des effets de plaisir, d’émotion, de beauté » (Burch 17).
  • [7]
    Il ne s’agit bien évidemment pas ici d’opposer des personnes : « l’analyste » et « le cinéphile » peuvent bien coexister (ou s’affronter) en un même individu, selon le moment, le contexte, le type de pratique sociale.
  • [8]
    Aventuriers, avons-nous écrit, mais bien moins souvent aventurières : comme le souligne Noël Burch, dans l’introduction au recueil Revoir Hollywood citée ci-dessus, le domaine américain est occupé, au sens fort du terme, par une présence très majoritairement masculine, tant dans l’université que dans la critique.
  • [9]
    Voir, par exemple, les admirables développements sur le flash-back chez Mankiewicz par Deleuze dans L’Image-temps (68-74) : l’extrême richesse des matières convoquées par le philosophe et l’ampleur de ses objectifs ne permettent pas toujours de s’en apercevoir, mais sa méthode renvoie souvent, comme « en passant », à la nécessité toujours présente de comprendre le « discours du récit » cinématographique (voir aussi les pages consacrées à Chaplin dans L’Image-mouvement).
  • [10]
    Rappelons également dans ce cadre, si on nous le permet, ce que nous écrivions ailleurs à propos de la représentation de l’itinéraire professionnel d’un personnage de « business woman » interprété par Joan Crawford dans Mildred Pierce (M. Curtiz, 1945) : « Si l’on peut considérer avec beaucoup de critiques féministes que Mildred Pierce est l’incarnation hollywoodienne du « déplacement des valeurs familiales » suscité aux États-Unis par l’accès massif des femmes au travail pendant la Seconde Guerre mondiale, on peut s’étonner que ne soit pas davantage soulignée, dans les très nombreux articles de critiques féministes consacrés à ce film, l’évacuation du professionnel dans les ellipses temporelles. Car il n’y a pas de barrière étanche entre les problèmes de récit et la production du sens social et idéologique des films. La critique féministe a amplement commenté le fait que l’image de la femme, dans le cinéma hollywoodien, se constitue d’abord par rapport à la sphère affective et familiale, tandis que toute la thématique hollywoodienne est hantée par le professionnalisme masculin. Il est donc tout à fait remarquable que, dans le cas où le scénario s’écarte légèrement des usages et montre tout de même une femme personnellement impliquée dans le monde du business, les structures narratives viennent au secours de l’institution pour maintenir à flot la représentation dominante du féminin. » (Nacache 1999, 89-90).

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