Couverture de RFE_174

Article de revue

L’efficacité des règles budgétaires dans les provinces canadiennes

Pages 131 à 160

Notes

  • [1]
    Notons enfin que, dans le cadre de travaux indirectement liés à l’efficacité des règles budgétaires, Tellier et Imbeau [2004] ont, à l’instar de Tapp [2013], estimé un effet positif de la sévérité des règles budgétaires sur le solde budgétaire des provinces. Une vision plus critique de l’efficacité des règles, basée sur une analyse des provinces de l’ouest, a également été présentée par Simpson et Wesley [2012].
  • [2]
    Cette section est adaptée de Farvaque et al. [2012].
  • [3]
    Pour être complet, signalons que le gouvernement fédéral n’a en fait connu qu’un seul épisode de règle budgétaire inscrite dans la législation, soit la loi limitant les dépenses publiques en vigueur de 1992 à 1995.
  • [4]
    Les territoires (Nunavut, territoires du Nord-Ouest et Yukon) sont exclus de l’analyse en raison de leur cadre budgétaire distinct.
  • [5]
    La définition de la dette nette repose sur les données que nous utilisons, qui sont une compilation des comptes publics des 10 provinces. Les périmètres comptables peuvent donc varier d’une province à l’autre. Cela étant, le concept de dette nette utilisé ici, qui a l’avantage d’être rapporté pour l’ensemble des provinces et l’ensemble de la période, se rapproche du concept de dette financière nette utilisé par l’OCDE. De manière générale, les passifs financiers seront donc seuls inclus dans le calcul.
  • [6]
    Rappelons que notre indicateur mesure le nombre de règles en vigueur et donc, par extension, le degré de sévérité du cadre budgétaire. Évidemment, il reste possible d’avoir plus de règles et cependant un cadre global moins sévère. Si la définition des règles retenue dans le cas canadien réduit la possibilité d’une telle situation, il reste que, de façon optimale (et notamment en vue de généraliser les leçons à tirer de l’expérience canadienne), il faudrait concevoir un indicateur qui prenne en compte à la fois la dureté des règles et un degré de tension sur la contrainte qu’elles font peser (par exemple, y a-t-il des clauses de sortie, ou des exceptions clairement stipulées, à l’application de la règle ?). Les résultats doivent donc s’interpréter en conservant cette nuance à l’esprit.
  • [7]
    L’une de ces différences a trait à des données manquantes pour les notations S&P pour l’Ile-du-Prince-Édouard avant 2001.
  • [8]
    Les notations Moody’s et S&P ne sont jamais incluses ensemble dans une même régression en raison de la forte corrélation entre les notations des deux agences. Rappelons ici que, dans nos données, il existe une petite différence dans le nombre d’observations pour lequel les notations S&P sont disponibles. Voir le tableau n°3 ainsi que la note et la discussion qui s’y rattachent pour plus de détails. L’inclusion de ces variables de notation est une alternative à l’inclusion de la dette retardée pour contrôler le niveau passé de la dette. Les effets fixes provinciaux y contribuent également, tout en limitant un potentiel problème d’endogénéité des variables de notation.
  • [9]
    Sutherland et al. [2005], ou Dove [2017].

1Des règles d’équilibre budgétaire sont-elles un instrument essentiel de contrôle des finances publiques ? Cette question, qui nous renvoie au débat classique en macroéconomie entre règles et discrétion, occupe une place centrale dans les débats de politiques publiques sur la résorption des déficits hérités des récessions qui ont frappé de nombreux pays dans la foulée de la crise financière ayant débuté à la fin de 2007 aux États-Unis. Ces débats sont particulièrement actifs en Europe, où la Commission européenne donne l’impression d’avoir assoupli ses règles, ou leurs modalités d’application, en la matière.

2En parallèle, l’expérience canadienne en matière de règles budgétaires est contrastée, et fournit un laboratoire d’expériences quasi naturelles pouvant éclairer les débats européens. En effet, la plupart des provinces canadiennes ont adopté de telles règles, mais avec un succès inégal.

3Dans les années 1990, les provinces canadiennes ont, en adoptant une série de règles budgétaires de natures différentes, rejoint les États américains qui se sont, pour la plupart, soumis à de telles contraintes, souvent depuis l’adoption de leurs constitutions respectives. La mise en œuvre tardive de ce type d’institution budgétaire présente peut-être, en matière de gestion des finances publiques, la différence la plus importante entre les États américains et les provinces canadiennes. L’adoption des règles provinciales s’est produite alors que se généralisait le recours aux règles budgétaires. C’est notamment l’époque où l’Union européenne préparait l’adoption du Pacte de stabilité et de croissance et où le gouvernement fédéral américain expérimentait différentes versions de sa loi anti-déficit.

4L’objectif principal de cet article est d’analyser empiriquement l’impact qu’ont eu les règles d’équilibre budgétaire sur la soutenabilité des finances publiques des provinces canadiennes au cours des trois dernières décennies (de 1981 à 2012), une période d’autant plus intéressante qu’elle couvre de facto les trois dernières récessions ayant affecté l’économie canadienne.

5Pour des raisons de brièveté, l’article ne comporte pas de survol de la littérature. On en trouvera notamment chez Eslava [2011], qui s’intéresse tout particulièrement à l’économie politique des règles en insistant sur le point de vue du décideur public, ou chez Manasse [2007] qui propose un cadre théorique unificateur. Heinemann et al. [2018] fournissent, quant à eux, une méta-analyse des effets des règles budgétaires, soulignant la question de l’endogénéité que notre article se propose d’intégrer explicitement.

6La littérature sur l’expérience canadienne est par ailleurs assez réduite, malgré son intérêt, du fait de l’adoption progressive des règles, et de leur diversité, sur un territoire fédéral (Farvaque et al. [2012]). Sur le plan empirique, Tapp [2010] et Kennedy et Robbins [2003] sont deux importantes exceptions, mais ni l’une ni l’autre de ces études ne propose de test systématique de l’efficacité des règles canadiennes. Il en va de même des travaux plus anciens de Philipps [1996] et de Millar [1997], ou encore des travaux de Kneebone [2006] qui concernent le seul cas de l’Alberta. Tapp [2013] est l’article le plus proche du nôtre car il présente également une analyse économétrique des règles budgétaires dans les provinces canadiennes. Il conclut que le degré de sévérité des règles budgétaires a un impact bénéfique sur l’état des finances publiques des provinces (mesuré par divers agrégats budgétaires). [1]

7Cependant, par rapport à la littérature, et notamment à ce dernier article, notre analyse se distingue de plusieurs façons :

  • l’utilisation des données des comptes publics des provinces plutôt que celles du système de gestion financière de Statistique Canada. Dans le présent contexte, l’utilisation des données de comptes publics présente deux avantages de taille : i) elles permettent d’inclure dans l’analyse la période 2008-2012 couvrant la plus récente récession et la reprise qui a suivi ; ii) elles correspondent mieux au périmètre comptable des provinces que les données de Statistique Canada (qui font l’objet de diverses transformations aux fins des comptes nationaux) ;
  • le recours à une nomenclature des règles d’équilibre budgétaire développée pour les États américains par Hou et Smith [2006], basée sur neuf critères. Ce recours présente l’avantage de considérer l’ensemble du processus budgétaire, de la préparation du budget par l’exécutif au processus législatif puis à la phase d’exécution par l’administration publique ;
  • une analyse axée sur les règles d’équilibres budgétaires, soit la principale catégorie de règles ;
  • une analyse se concentrant sur un indicateur de soutenabilité des finances publiques à long terme, la dette publique nette, plutôt que sur les soldes budgétaires ;
  • une analyse prenant en compte explicitement les déterminants de l’adoption des règles d’équilibre budgétaire, de façon à traiter la question de leur endogénéité.

8Notre analyse de régression sur données de panel confirme que la présence de règles budgétaires, et le nombre de critères vérifiés par ces règles (mesuré sur la base de notre nomenclature des règles à la Hou et Smith [2006]), a un effet statistiquement (et négativement) significatif sur l’accumulation de la dette publique provinciale. Plus précisément, les résultats montrent que nombre de critères satisfaits par les règles en vigueur dans chaque province est un facteur significatif dans la moindre accumulation de dette publique.

9L’article dresse d’abord une nomenclature des règles budgétaires en vigueur au Canada, décrivant en quelque sorte le menu des options de politiques publiques disponibles. La section suivante est consacrée à une analyse empirique de l’impact des règles budgétaires sur l’accumulation de dette publique dans les provinces canadiennes. La dernière section relève nos conclusions.

Nomenclature des règles d’équilibre budgétaire au Canada [2]

10Au Canada, sept provinces et deux territoires sont soumis à une forme ou une autre de règle budgétaire inscrite dans la législation. En revanche, les finances publiques fédérales [3] ainsi que celles de trois provinces de l’Atlantique (la Nouvelle-Écosse, Terre-Neuveet-Labrador et l’Ile-du-Prince-Édouard) et d’un territoire (le Nunavut) ne sont pas régies par des règles. L’expérience de chaque province en matière de règles budgétaires est décrite en détail dans l’article de Farvaque et al. [2012], auquel nous renvoyons le lecteur.

11Dans ce même texte, nous avons adapté aux provinces canadiennes la typologie qualitative des règles budgétaires des États américains de Hou et Smith [2006], qui met l’accent sur le caractère rigoureux (stringency index) de chacune des règles en vigueur. Dans le contexte canadien, nous utilisons la typologie suivante en neuf critères :

  • critère n°1 : le gouvernement doit soumettre un budget équilibré ;
  • critère n°2 : les recettes propres doivent être égales aux dépenses ;
  • critère n°3 : les revenus, y compris issus de l’emprunt, doivent être égaux aux dépenses ;
  • critère n°4 : l’assemblée législative doit adopter un budget équilibré ;
  • critère n°5 : une limite sur le montant ou le pourcentage de dette pouvant être émis doit être prise en compte à des fins de réduction du déficit ;
  • critère n°6 : le représentant de la Couronne (le gouverneur général, le lieutenant-gouverneur ou le commissaire territorial) doit signer un budget équilibré ;
  • critère n°7 : présence de contrôle en cas de dépenses non prévues dans le budget initial ;
  • critère n°8 : présence de contrôle sur l’exécution en cours d’année budgétaire ;
  • critère n°9 : aucun déficit reportable d’une année sur l’autre.

12Les trois premiers critères concernent la préparation budgétaire par l’exécutif, les trois suivants se rapportent au processus législatif et les trois derniers décrivent l’exécution du processus budgétaire. Suivant la méthode de Hou et Smith, l’information relative à chaque règle est issue d’une lecture « juridique », autrement dit des indications fournies par les textes légaux de chaque province, pour être ensuite codée selon chacun des critères définis. On trouvera dans Farvaque et al. [2012] une liste des documents légaux de référence. Le tableau n°1 ci-après résume cette information à partir des neuf critères de Hou et Smith. Il ressort de ce tableau une tendance relativement forte autour de la présence de deux dispositions, à savoir « le gouvernement doit proposer un budget équilibré » (critère 1, 50 % des provinces) et « les revenus, y compris issus de l’emprunt, doivent être égaux aux dépenses » (critère 3, 50 % également des provinces). Vient ensuite le critère 7 (20 % des provinces), qui prévoit des contrôles en cas de dépenses non prévues au budget, et le 8 (20 % également) qui concerne la présence d’un contrôle sur l’exécution en cours d’année budgétaire. En revanche, la signature par le représentant de la Couronne (critère 6) ne s’applique à aucune juridiction et deux autres critères (2 et 4) ne concernent qu’une seule province ou territoire.

Tableau 1

Nomenclature des règles d’équilibre budgétaire au Canada

Tableau 1
Préparation par l’exécutif Processus législatif Exécution (1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) (8) (9) Le gouvernement doit proposer un budget équilibré Les revenus doivent être égaux aux dépenses Les revenus, y compris issus de l’emprunt, doivent être égaux aux dépenses L’assemblée législative doit adopter un budget équilibré Limite sur le montant ou le pourcentage de dette émissible Le représentant de la Couronne doit signer un budget équilibré Présence de contrôle en cas de dépenses non prévues dans le budget initial Présence de contrôle sur l’exécution en cours d’année budgétaire Aucun déficit reportable d’une année sur l’autre Nombre de critères satisfaits Colombie Britannique (CB) 1 0 0 0 0 0 1 1 0 3 Alberta (AB) 1 1 0 0 0 0 1 0 1 4 Saskatchewan (SK) 1 0 1 0 0 0 0 0 0 2 Manitoba (MN) 0 0 1 0 0 0 0 1 0 2 Ontario (ON) 1 0 1 0 0 0 0 0 0 2 Québec (QC) 1 0 1 0 0 0 0 0 0 2 Nouveau- Brunswick (NB) 0 0 1 0 1 0 0 0 0 2 Nouvelle-Écosse (NÉ) 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 Ile du Prince Edouard (IPÉ) 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 Terre-Neuve-et- Labrador (TNL) 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 % des provinces avec règle s(2012) 50 10 50 0 10 0 20 20 10

Nomenclature des règles d’équilibre budgétaire au Canada

Source : Farvaque et al. [2012].

13L’Alberta, avec quatre critères, est la province qui satisfait ensuite le plus grand nombre de critères. Elle est notamment la seule à satisfaire le critère 2, qui est particulièrement restrictif. Cette province est également la seule juridiction canadienne à satisfaire un autre critère très restrictif, puisqu’il concerne l’impossibilité de report d’un déficit d’une année sur l’autre, le critère 9. Une autre province de l’ouest, la Colombie-Britannique, suit avec trois critères satisfaits. Cinq autres provinces, dont le Québec et l’Ontario, satisfont chacune à deux critères.

Analyse de l’effet des règles budgétaires sur les finances publiques provinciales

14En nous appuyant sur la nomenclature des règles budgétaires développée à la section précédente, nous présentons maintenant les résultats d’une analyse économétrique de l’effet des règles budgétaires sur l’évolution de la dette des provinces canadiennes. [4]

Données et méthode

15Le tableau n°2 présente la liste de toutes les variables qui seront utilisées dans l’analyse économétrique et le tableau n°3, quelques statistiques descriptives sur chacune de ces variables. Nos variables peuvent être regroupées en quatre catégories : i) les variables utilisées comme variable dépendante, ii) notre principale variable indépendante d’intérêt, le nombre de règles budgétaires en vigueur, iii) les variables de contrôle, iv) un instrument pour le nombre de règles, utilisé dans certaines spécifications.

Tableau 2

Variables utilisées dans l’analyse

AbréviationDéfinition
Variable dépendante (dette nette)
Dette nette/PIBRatio de la dette nette au PIB
Dette nette/habDette nette par habitant (en milliers de dollars constants de 2002)
Règles budgétaires
Critère nombreNombre de critères satisfaits (0 à 9)
Variables de contrôle
Revenus autoRatio des revenus autonomes aux revenus budgétaires totaux
ChômageTaux de chômage
CroissanceTaux de croissance du PIB réel
Notation MoodyNotation donnée par Moody’s
Notation S&PNotation donnée par Standard & Poor’s
Pop17Part de la population âgée de moins de 17 ans dans la population totale
Pop 65Part de la population âgée de plus de 65 ans dans la population totale
PartiOrientation idéologique du gouvernement (-1 : gauche ; 0 : libéral ; +1 conservateur)
Instrument pour sévérité règles
Sièges gouvPart des sièges à l’assemblée législative du parti vainqueur

Variables utilisées dans l’analyse

Tableau 3

Statistiques descriptives, données couvrant les 10 provinces (territoires exclus)

Tableau 3
Variable Nombre d’observations Moyenne Médiane Écarttype Min Max Dette nette/hab 330 6,94 7,03 5,23 -10,25 21,92 Dette nette/PIB 320 0,23 0,24 0,15 -0,15 0,68 Chômage 330 9,76 9,20 3,72 3,40 20,20 Pop65 330 0,12 0,13 0,02 0,07 0,17 Pop17 330 0,25 0,24 0,03 0,18 0,37 Notation Moody 286 4,80 5,00 2,13 1,00 8,00 Notation S&P 268 4,70 5,00 1,93 1,00 8,00 Critère nombre 330 0,79 0,00 1,21 0,00 4,00 Sièges gouv 330 0,68 0,66 0,14 0,37 1,00 Parti 330 0,26 0,00 0,79 -1,00 1,00

Statistiques descriptives, données couvrant les 10 provinces (territoires exclus)

16Dans toutes nos spécifications, la variable dépendante mesure la soutenabilité des finances publiques par la dette publique nette des gouvernements provinciaux telle que rapportée dans leurs comptes publics. La dette nette, qui correspond aux engagements financiers bruts des provinces diminués des actifs financiers, est le concept de dette publique qui reflète le plus précisément le volume total des déficits budgétaires accumulés dans le passé (et donc les emprunts nets contractés par les administrations publiques). [5]

17Comme on le voit, la dette nette par habitant a une dispersion beaucoup plus élevée que la dette nette rapportée au PIB. Les densités relatives de population des différentes provinces jouent évidemment un rôle explicatif majeur dans cet état de fait. De même, les notations délivrées par l’agence Moody’s sont plus volatiles que celles de Standard & Poor’s. Le niveau de chômage moyen peut sembler élevé, mais il se caractérise aussi par une forte disparité entre provinces, avec un minimum situé à 3,40 % et un maximum à 20,20 %.

18La figure n°1 illustre l’évolution de la dette nette, du PIB et du ratio dette nette/PIB de l’ensemble des provinces sur la période 1980-2012. On y distingue trois phases distinctes dans l’évolution de l’état des finances publiques provinciales : i) une croissance continue de la dette entre 1980 et 1999 ; ii) une phase de décroissance de la dette sur la période 1999-2007 ; iii) une reprise à la hausse de l’endettement suite à la crise financière de 2007-2008. Il ressort par ailleurs très nettement que le niveau actuel d’endettement des provinces canadiennes est lié à l’état des finances publiques au cours de la décennie 1980-1990. À l’inverse, la période 2000-2006 se caractérise par une stabilisation de l’accroissement de la dette combinée à une augmentation soutenue du PIB.

Figure 1

Dette nette et PIB, dollars constants, total des provinces, dollars constants, 1980-2012

Figure 1

Dette nette et PIB, dollars constants, total des provinces, dollars constants, 1980-2012

Figure 2

Dette nette par habitant et ratio dette nette/PIB, 1980-2012

Figure 2

Dette nette par habitant et ratio dette nette/PIB, 1980-2012

19La figure n°2 présente le détail, pour chacune des provinces, en illustrant à la fois l’évolution du ratio dette nette/ PIB et de la dette par habitant. Nous utiliserons ces deux variables comme variable dépendante dans l’analyse économétrique qui suit. Une inspection visuelle de la figure n°2 révèle que ces deux variables évoluent de façon très similaire sur la période étudiée, à quelques exceptions près (Terre-Neuve-et-Labrador par exemple, qui a connu une croissance spectaculaire de son PIB dans les dernières années). À l’exception de l’Alberta, dont les finances publiques font état d’un surplus budgétaire depuis 2000, les provinces convergent vers un taux d’endettement moyen d’environ 10 000 dollars par habitant, le Québec et l’Ontario se situant entre 15 000 et 20 000 dollars par habitant en 2012. La Colombie Britannique et Saskatchewan affichent des niveaux d’endettement plus faibles, situés entre 0 et 8 000 dollars par habitant. Alors que l’Ontario détient le record d’endettement en niveau, le Québec est la province la plus endettée en pourcentage du PIB avec un ratio dette/PIB supérieur à 40 %. En pourcentage du PIB, les provinces maritimes (une catégorie qui exclut Terre-Neuve-et-Labrador) enregistrent un niveau de dette proche de 40 % de leur PIB.

20Résultant de l’accumulation des déficits ou surplus budgétaires annuels, la dette publique est nécessairement le reflet des choix budgétaires passés des gouvernements provinciaux. Pour mieux comprendre ce processus d’accumulation de la dette publique, le tableau n°4 calcule pour chaque province le nombre d’exercices budgétaires qui se sont conclus par un déficit ou un excédent budgétaire entre 1980 et 2012. L’Île-du-Prince-Édouard et le Québec sont les provinces ayant les plus longues périodes d’exercices budgétaires déficitaires (26 exercices sur 32 entre 1980 et 2012). L’Ontario et Terre-Neuve-et-Labrador présentent des comparaisons semblables. Seules deux provinces (riches en ressources naturelles) ont connu une majorité d’exercices budgétaires excédentaires : Saskatchewan et l’Alberta.

Tableau 4

Exercices budgétaires déficitaires et excédentaires (nombre d’années), 1981-2012

Déficit budgétaireExcédent budgétaire
Terre-Neuve-et-Labrador257
Île-du-Prince-Édouard266
Nouvelle-Écosse2210
Nouveau-Brunswick2210
Québec266
Ontario248
Manitoba1913
Saskatchewan1220
Alberta1517
Colombie britannique239
Total provinces (N=10 x 32 années)214106

Exercices budgétaires déficitaires et excédentaires (nombre d’années), 1981-2012

21Ci-dessus, nous avons présenté une nouvelle typologie des règles budgétaires en vigueur au Canada basée sur une analyse détaillée des lois provinciales selon neuf critères. Le tableau n°5 résume, pour chacune des provinces, le nombre de règles observées sur la période de trente-trois ans couverte par notre étude. Par rapport à ce que la littérature désigne comme le degré de sévérité (stringency) des règles budgétaires, nous retenons ici comme définition le nombre de critères satisfaits par une province (variable critère/nombre). L’indice admet donc des valeurs allant de 0 (aucune contrainte) à 9 (très forte sévérité, du fait de l’accumulation d’un grand nombre de règles) [6].

Tableau 5

Nombre d’années où une province a présenté un niveau donné de sévérité des règles budgétaires

Tableau 5
Indice de sévérité des règles budgétaires (Critère nombre) Provinces 0 1 2 3 4 Total Terre-Neuve-et-Labrador 33 0 0 0 0 33 Île-du-Prince-Édouard 33 0 0 0 0 33 Nouvelle-Ecosse 22 0 7 4 0 33 Nouveau-Brunswick 13 1 1 9 0 0 33 Québec 23 0 10 0 0 33 Ontario 19 2 9 3 0 33 Manitoba 16 5 0 12 0 33 Saskatchewan 15 1 3 5 0 0 33 Alberta 16 0 0 4 13 33 Colombie britannique 21 1 4 7 0 33 Total 211 32 44 30 13 330

Nombre d’années où une province a présenté un niveau donné de sévérité des règles budgétaires

Note : la sévérité est ici appréciée en fonction du cumul du nombre de règles.

22Le degré de sévérité maximum observé dans les provinces canadiennes est 4, en Alberta pour 13 années. Cinq provinces ont connu des années où leurs règles respectaient trois critères (degré de sévérité 3) : le Manitoba (12 années), la Colombie-Britannique (7), la Nouvelle-Écosse (4), l’Alberta (4) et l’Ontario (3). Le Québec est la province ayant respecté deux critères (degré de sévérité 2) pendant le plus grand nombre d’années (10), suivi du Nouveau-Brunswick et de l’Ontario (toutes deux pendant neuf années). Au total, le degré 2 est recensé pour 44 provinces/années alors que le degré 1 l’est pour 32 provinces/années.

23Nos variables de contrôle sont relativement standard pour le type d’exercice mené ici. Elles incluent le taux de chômage provincial, la population de moins de 17 ans, la population de plus de 65 ans, le ratio des revenus autonomes sur les revenus budgétaires totaux et l’orientation « idéologique » du gouvernement (parti de gauche, parti libéral, parti conservateur). Au Québec, par exemple, la catégorie « parti de gauche » inclut le Parti québécois.

24Nos variables de contrôle comprennent également une codification (sur une échelle de 1 à 8) des notations des dettes provinciales par deux agences, Moody’s et Standard & Poor’s. Malgré un coefficient de corrélation de 0,85, il existe quelques différences de notation entre les deux agences [7]. La figure n°3 confirme qu’une minorité de provinces ont bénéficié de la note maximale (AAA) ces 32 dernières années.

Figure 3

Notation de la dette publique provinciale, 1980-2011

Figure 3

Notation de la dette publique provinciale, 1980-2011

Note : nos données ne permettent pas de répertorier les notations S&P pour l’Île-du-Prince-Édouard avant 2001.

25Enfin, afin d’aller plus avant dans la mise en évidence des déterminants des règles, nous aurons recours dans certaines spécifications à un instrument pour le degré de sévérité des règles budgétaires. Nous exploiterons ici une corrélation statistique existant entre le degré de sévérité (le nombre de règles en vigueur) et la force du gouvernement provincial en termes électoraux, telle que mesurée par la part des sièges du parti vainqueur de la dernière élection à l’assemblée provinciale (variable Sièges gouv). Il nous apparaît raisonnable d’exclure cette variable de notre équation expliquant la dette publique, ce qui en fait, selon nous, un instrument valide. Autrement dit, dans nos spécifications en variables instrumentales, nous ferons l’hypothèse implicite que cette variable n’affecte la dette publique qu’indirectement, par l’entremise du degré de sévérité des règles.

Résultats

26L’analyse de régression présentée ci-après vise à identifier les variables explicatives du niveau d’endettement net provincial entre 1980 et 2012.

27Le modèle général estimé prend la forme suivante :

28

equation im7

29α est une constante, e un terme d’erreur, i = 1,…,10 provinces et t = 1980,…, 2012. Toutes nos spécifications incluent des effets fixes provinciaux et annuels. Nous estimons à la fois des modèles statiques (excluant la retardée de la dette) et des β2 modèles dynamiques où le coefficient sera estimé.

30La variable « conditions-macro » sera mesurée dans certaines spécifications par le taux de chômage, et dans d’autres par la croissance économique.

31Nous présentons trois séries de résultats. Chaque série est une combinaison de l’une de nos deux variables dépendantes (ratio de la dette nette au PIB ou dette nette par habitant) et d’un estimateur avec ou sans variable instrumentale. Dans ce dernier cas, nous prendrons en compte la possible endogénéité des règles budgétaires, à travers une estimation avec Sièges-gouv comme variable instrumentale (nous y revenons plus loin).

32Le tableau n°6 présente dans un premier temps nos résultats empiriques relatifs aux déterminants du ratio dette/ PIB. Le tableau n°7 reprend l’analyse du tableau n°6 mais avec la variable dépendante, la dette nette, exprimée par habitant plutôt qu’en ratio par rapport au PIB. Dans ces deux tableaux, nous présentons six spécifications :

  1. une spécification de référence statique excluant le nombre de critères satisfaits ;
  2. une spécification de référence dynamique, intégrant le ratio dette/PIB de l’année précédente mais excluant de nouveau le nombre de critères satisfaits ;
  3. une spécification statique incluant le nombre de critères satisfaits par les règles ;
  4. une spécification dynamique incluant le nombre de critères satisfaits par les règles ;
  5. la spécification précédente avec la croissance économique plutôt que le taux de chômage comme variable de contrôle pour les conditions macroéconomiques ;
  6. la 4e spécification avec les notations de l’agence Moody’s plutôt que celles de l’agence Standard & Poor’s.

Tableau 6

Effet du nombre de critères satisfaits par les règles budgétaires sur le ratio dette/PIB

Tableau 6
(1) (2) (3) (4) (5) (6) Ratio dette/ PIB Ratio dette/ PIB Ratio dette/ PIB Ratio dette/ PIB Ratio dette/ PIB Ratio dette/ PIB Règles budgétaires (nombre de critères satisfaits) -,0183*** (,00386) -,00484** (,0022) -,00401* (,00209) -,00547** (,00225) Ratio dette/PIB (t-1) ,837*** (,0351) ,816*** (,0362) ,836*** (,0352) ,856*** (,0337) Taux de chômage ,00312 (,00349) ,00195 (,00185) -,000227 (,0034) ,00109 (,00187) ,0028* (,00166) Croissance économique -,14*** (,0341) Notation S&P -,0233*** (,00435) -,00592** (,00241) -,0218*** (,00416) -,00597** (,00239) -,0059*** (,00219) Notation Moody’s -,0029 (,00226) Part des revenus autonomes dans les revenus totaux -,744*** (,0859) -,243*** (,0501) -,832*** (,084) -,279*** (,0523) -,243*** (,0507) -,242*** (,0552) Idéologie du parti au pouvoir -,00662 (,00456) -,00164 (,00243) -,00357 (,00441) -,000962 (,00242) -,000821 (,0023) -,000853 (,00242) Part de la population de 17 ans et moins -,0887 (,354) -,125 (,187) ,155 (,342) -,0599 (,188) -,133 (,179) -,018 (,19)
Tableau 6
(1) (2) (3) (4) (5) (6) Ratio dette/ PIB Ratio dette/ PIB Ratio dette/ PIB Ratio dette/ PIB Ratio dette/ PIB Ratio dette/ PIB Part de la population de 65 ans et plus 1,68** (,746) -,25 (,403) 1,2* (,72) -,329 (,401) -,443 (,371) -,27 (,343) Constante ,616*** (,201) ,278** (,107) ,687*** (,192) ,306*** (,107) ,317*** (,0896) ,206** (,0954) Observations 267 266 267 266 266 284 R2 ajusté 0,704 0,916 0,730 0,918 0,924 0,917

Effet du nombre de critères satisfaits par les règles budgétaires sur le ratio dette/PIB

Note : erreurs-types entre parenthèses. Toutes les spécifications incluent des effets fixes provinciaux et annuels.
* p < 0,10, ** p < 0,05, *** p < 0,01.

33L’ensemble de nos spécifications (et en particulier nos deux premières) permet d’abord d’identifier les déterminants du ratio dette/PIB provincial, en dehors de l’effet des règles budgétaires :

  • en ce qui a trait à l’effet des conditions macroéconomiques, si le taux de chômage provincial n’a un effet statistiquement significatif sur le ratio dette/PIB que dans une spécification (colonne 6), la croissance économique (incluse dans la spécification 5) a l’effet négatif et significatif attendu ;
  • les résultats de nos quatre spécifications dynamiques (colonnes 2 et 4 à 6) confirment que la dynamique de la dette est évidemment très persistante, avec un coefficient liant la dette en t à la dette en t+1 supérieur à 0,8. L’insertion de cette variable dans la régression neutralise par ailleurs la significativité de la variable relative à la population de plus de 65 ans ;
  • nos résultats ne permettent pas d’établir une corrélation claire entre populations jeune ou âgée et endettement public dans les provinces canadiennes, à l’exception d’un effet positif et significatif de la part de la population âgée dans les deux spécifications statiques. Ceci est cohérent avec les résultats précédents, les dynamiques démographiques se reflétant dans celles des variables budgétaires ;
  • l’idéologie du parti politique au pouvoir dans la province n’a pas d’effet significatif sur son ratio dette/PIB ;
  • la part des revenus autonomes dans les revenus totaux d’une province est négativement corrélée avec son ratio dette/PIB, montrant l’importance que joue la capacité fiscale d’une province dans la soutenabilité de ses finances publiques, et ce malgré des transferts fédéraux qui atténuent partiellement le déséquilibre fiscal horizontal ;
  • les résultats confirment enfin que, tel qu’anticipé, le ratio dette/PIB est négativement corrélé avec la note de crédit de la province. La corrélation est statistiquement significative pour S&P mais, un résultat qui peut surprendre, ne l’est toutefois pas pour Moody’s – voir colonne 6 [8]. À cette exception près, une comparaison des colonnes 1 à 6 montre que l’effet des autres variables de contrôle dans le modèle est relativement stable.

34Tournons maintenant notre attention vers notre principale variable d’intérêt, le nombre de critères satisfaits par les règles budgétaires en place dans les provinces canadiennes. Les colonnes 3 à 6 montrent qu’un plus grand nombre de critères satisfaits est associé à une plus faible accumulation de dette publique. Le coefficient associé à la variable cumulant le nombre de critères satisfaits par les règles en vigueur dans chaque province est significatif et négatif. L’effet des règles (mesuré sur une échelle de 1 à 9) semble ici relativement proche, en termes d’impact, de celui des notations émises par les agences (mesuré sur une échelle de 1 à 8), ce qui est assez remarquable.

35Le tableau n°7 confirme la robustesse de l’analyse qui précède en considérant maintenant comme variable dépendante la dette par habitant. On constate que l’ensemble des résultats reste stable suite au changement de dénominateur de la variable dépendante.

Tableau 7

Effet du nombre de critères satisfaits par les règles budgétaires sur la dette par habitant

Tableau 7
(1) (2) (3) (4) (5) (6) Dette par habitant Dette par habitant Dette par habitant Dette par habitant Dette par habitant Dette par habitant Règles budgétaires (nombre de critères satisfaits) -,00109*** (,00017) -,000188** (,0000733) -,00021*** (,0000727) -,000187*** (,00007) Dette par habitant (t-1) ,95*** (,0257) ,924*** (,0273) ,924*** (,0274) ,936*** (,0262) Taux de chômage ,00031* (,00016) ,000114* (,0000599) ,00011 (,00015) ,0000847 (,0000603) ,000115** (,0000509) Croissance économique ,000459 (,00113) Notation S&P -,000757*** -,000152** -,000667*** -,000153** -,000188*** (,000199) (,0000762) (,000184) (,0000752) (,0000716) Notation Moody’s -,000127* (,0000692) Part des revenus autonomes dans les revenus totaux -,00516 (,00394) -,00579*** (,00147) -,0104*** (,00371) -,00667*** (,00149) -,0071*** (,00149) -,00607*** (,0015) Idéologie du parti au pouvoir -,000128 (,000209) -,0000728 (,0000782) ,0000544 (,000195) -,0000429 (,0000781) -,0000231 (,0000772) -,0000685 (,0000741)
Tableau 7
(1) (2) (3) (4) (5) (6) Dette par habitant Dette par habitant Dette par habitant Dette par habitant Dette par habitant Dette par habitant Part de la population de 17 ans et moins -,00925 (,0162) -,0148** (,00606) ,00533 (,0151) -,0122** (,00608) -,0135** (,00602) -,0111* (,00588) Part de la population de 65 ans et plus ,193*** (,0342) -,0116 (,0139) ,164*** (,0318) -,0111 (,0138) -,0164 (,0133) -,00531 (,0118) Constante -,0095 (,00908) ,00929*** (,00348) -,00626 (,00837) ,00949*** (,00344) ,0119*** (,003) ,00763** (,00299) Observations 268 267 268 267 266 285 R2 ajusté 0,609 0,945 0,669 0,946 0,945 0,948

Effet du nombre de critères satisfaits par les règles budgétaires sur la dette par habitant

Note : erreurs-types entre parenthèses. Toutes les spécifications incluent des effets fixes provinciaux et annuels.
* p < 0,10, ** p < 0,05, *** p < 0,01.

36Le tableau n°8a contient les résultats des estimations prenant en compte les biais d’endogénéité potentiels en instrumentant le nombre de critères de règles satisfaits par le nombre de sièges obtenus à l’assemblée législative provinciale et par le parti vainqueur des dernières élections. Le choix de cet instrument est justifié par la relation bivariée entre l’indicateur de sévérité de la règle et la taille de la majorité parlementaire, sans que cette dernière n’affecte directement le niveau de dette. Dans les spécifications 1 et 4, cet instrument intervient seul, alors que, dans les quatre autres spécifications, il apparaît aussi dans l’équation de première étape en interaction avec les conditions macroéconomique (taux de chômage lorsque la dépendante est le ratio dette/PIB et croissance économique lorsque la dépendante est la dette per capita).

Tableau 8a

Effet du nombre (instrumenté) de critères satisfaits par les règles budgétaires sur la dette

Tableau 8a
(1) (2) (3) (4) (5) (6) Ratio dette/ PIB Ratio dette/ PIB Ratio dette/ PIB Dette par habitant Dette par habitant Dette par habitant Règles budgétaires (nombre de critères satisfaits) -,0518** (,0241) -,0353** (,0172) -,00701 (,0106) -,00207** (,000854) -,00258*** (,000874) -,000881* (,000478) Ratio dette/PIB (t-1) ,806*** (,0587) Dette par habitant (t-1) ,829*** (,0741) Taux de chômage -,00636 (,00586) -,00333 (,00469) ,000709 (,00263) Croissance économique ,00396 (,00327) ,00474 (,00351) ,00155 (,00154) Notation S&P -,019*** (,0052) -,0204*** (,00455) -,00599** (,0024) -,000562** (,000229) -,000481** (,000243) -,000149* (,0000885) Part des revenus autonomes dans les revenus totaux -,993*** (,15) -,913*** (,119) -,295*** (,0936) -,0155*** (,00545) -,0178*** (,00574) -,0101*** (,00275) Idéologie du parti au pouvoir ,00204 (,00646) -,000728 (,00538) -,000657 (,00284) ,000207 (,000233) ,000273 (,000249) ,0000638 (,000109)
Tableau 8a
(1) (2) (3) (4) (5) (6) Ratio dette/ PIB Ratio dette/ PIB Ratio dette/ PIB Dette par habitant Dette par habitant Dette par habitant Part de la population de 17 ans et moins ,602 (,507) ,382 (,421) -,0306 (,235) ,0209 (,0217) ,0298 (,0229) -,0015 (,011) Part de la population de 65 ans et plus ,31 (1,04) ,748 (,871) -,364 (,436) ,143*** (,0349) ,135*** (,0375) -,00738 (,0169) Constante ,817*** (,241) ,753*** (,211) ,307** (,12) -,00522 (,00794) -,00596 (,00858) ,00945** (,00392) Observations 267 267 266 266 266 266 Overall R2 0,6391 0,6614 0,9532 0,5281 0,5206 0,9267 Instruments Sièges gouv Sièges gouv*Chômage Sièges gouv*Croissance x x x x x x x x x x Test Davidson-MacKinnon 2,71 1,12 ,04 1,45 3,90** 2,85*

Effet du nombre (instrumenté) de critères satisfaits par les règles budgétaires sur la dette

Note : erreurs-types entre parenthèses. Toutes les spécifications incluent des effets fixes provinciaux et annuels.
* p < 0,10, ** p < 0,05, *** p < 0,01.

37Le tableau n°8b fournit les résultats des estimations de la régression de première étape. Ces résultats sont intéressants car ils permettent d’identifier les déterminants des règles, un sujet peu documenté dans la littérature empirique existante. Notre variable instrumentale, la part des sièges du parti au pouvoir, apparaît comme un déterminant fortement significatif (dans les six spécifications) de la sévérité des règles : un parti fort car disposant d’une large majorité de sièges au Parlement aura tendance à adopter des règles plus contraignantes. Autrement dit, ce résultat confirme qu’un gouvernement majoritaire a plus de chances d’engager une politique budgétaire restrictive qu’un gouvernement de coalition (Blais et al. [2010]). L’orientation idéologique du parti au pouvoir semble également jouer un rôle, les partis de droite étant associés à des règles plus contraignantes (un résultat robuste, quelle que soit la spécification considérée). La situation économique de la province apparaît également comme un déterminant significatif (lorsque la variable dépendant est le ratio dette/PIB) de l’adoption de règles plus sévères : les gouvernements provinciaux ont tendance à renforcer la sévérité de leurs règles budgétaires lorsque l’économie va bien (lorsque le taux de chômage baisse). Un taux de chômage élevé atténue également l’effet positif d’un parti fort sur le nombre de critères des règles.

Tableau 8b

Équations de première étape – déterminants du nombre de critères satisfaits

Tableau 8b
(1) (2) (3) (4) (5) (6) Règles budgétaires (nombre de critères satisfaits) Règles budgétaires (nombre de critères satisfaits) Règles budgétaires (nombre de critères satisfaits) Règles budgétaires (nombre de critères satisfaits) Règles budgétaires (nombre de critères satisfaits) Règles budgétaires (nombre de critères satisfaits) Part des sièges du parti au pouvoir ,0156*** (,00557) ,038*** (,0117) ,0333*** (,0115) ,0178*** (,00559) ,0159*** (,00584) ,0134** (,00549) Sièges du parti au pouvoir * Taux de chômage -,00262** (,00121) -,00236** (,00118) Sièges du parti au pouvoir * Croissance économique ,0681 (,0624) ,0256 (,059) Taux de chômage -,161*** (,0577) -,00899 (,0906) -,0217 (,088) Croissance économique 1,56 (1,1) -1,68 (3,17) ,434 (2,99) Notation S&P ,108 (,0719) ,115 (,0713) ,0268 (,073) ,179*** (,0678) ,174** (,0679) ,0764 (,066) Part des revenus autonomes dans les revenus totaux -5,53*** (1,43) -4,74*** (1,47) -7,1*** (1,55) -5,41*** (1,46) -5,39*** (1,46) -5,22*** (1,36) Idéologie du parti au pouvoir ,174** (,0749) ,157** (,0747) ,134* (,0728) ,145* (,0751) ,141* (,0751) ,138* (,0704)
Tableau 8b
(1) (2) (3) (4) (5) (6) Règles budgétaires (nombre de critères satisfaits) Règles budgétaires (nombre de critères satisfaits) Règles budgétaires (nombre de critères satisfaits) Règles budgétaires (nombre de critères satisfaits) Règles budgétaires (nombre de critères satisfaits) Règles budgétaires (nombre de critères satisfaits) Part de la population de 17 ans et moins 16,2*** (5,9) 15,7*** (5,85) 15,5*** (5,68) 20,4*** (5,82) 19,9*** (5,83) 19,9*** (5,46) Part de la population de 65 ans et plus -16,2 (12,8) -17,6 (12,7) -9,84 (12,5) -5,19 (12,3) -5,76 (12,3) 19,5 (12,4) Ratio dette/PIB (t-1) -4,01*** (1,06) Dette par habitant (t-1) -133*** (23,7) Constante ,694 (3,35) -,923 (3,4) 1,97 (3,41) -3,35 (2,97) -2,94 (3) -4,75* (2,83) Observations 268 268 266 266 266 266 R2 ajusté 0,600 0,606 0,630 0,591 0,591 0,641

Équations de première étape – déterminants du nombre de critères satisfaits

Note : erreurs-types entre parenthèses. Toutes les spécifications incluent des effets fixes provinciaux et annuels.
* p < 0,10, ** p < 0,05, *** p < 0,01.

38Globalement, la décision d’instrumenter notre relation est confirmée par le résultat du test d’exogénéité de Davidson-MacKinnon lorsque la variable dépendante est la dette per capita. Or, pour les spécifications 1 à 4, ce même test rejette l’hypothèse d’endogénéité.

39Pour autant, il est possible de tirer plusieurs enseignements, même prudents, de l’effet de la règle budgétaire sur le niveau de dette publique. Les résultats confirment l’impact significatif et négatif du nombre de critères satisfaits par les règles budgétaires sur la dette, à l’exception de la spécification 3.

Conclusion

40La montée en puissance des déficits publics dans les pays développés depuis l’été 2008 a ouvert une ère nouvelle pour les décideurs publics : comment gérer cette reprise de la croissance de l’endettement public ? Quelles stratégies budgétaires mettre en avant pour combiner relance économique et limitation du fardeau fiscal ? Ce débat n’est pas nouveau mais l’actualité économique impose d’élaborer une analyse rigoureuse des différentes options.

41De nombreuses juridictions ont recours à des règles pour encadrer leur politique budgétaire. Par exemple, le Royaume-Uni privilégie la règle d’or (déficit d’investissement) alors que les États américains préfèrent souvent des règles de type TELs (Tax and Expenditures Limits) [9]. Ces règles budgétaires sont souvent accompagnées de restrictions sur les conditions d’emprunt, soit en fonction des objectifs d’emprunt soit en fixant des plafonds ou encore en fonction de garanties à apporter.

42Presque toutes les provinces canadiennes ont aussi une forme ou une autre de règle budgétaire. En nous basant sur une nomenclature plus fine de ces règles (calquée sur la littérature récente sur les États américains) que dans les autres études existantes portant sur le Canada, nous avons mis en évidence des juridictions sans règles budgétaires (certaines provinces de l’Atlantique), des juridictions avec des règles nombreuses (certaines provinces de l’ouest) et, enfin, des juridictions présentant des degrés intermédiaires de sévérité (définie en termes de nombre de règles). L’Ontario et le Québec appartiennent à ce dernier groupe.

43Nos résultats montrent que des règles plus nombreuses sont associées à des niveaux d’endettement plus faibles. Par exemple, les règles albertaines satisfont à la fois les critères nos 1 et 2, qui correspondent à une législation prohibant sans échappatoire les déficits, alors que le Québec combine plutôt les critères nos 1 et 3 en raison de la flexibilité dont dispose le gouvernement de compenser d’éventuels déficits par des surplus au cours des exercices suivants. Par ailleurs, l’Alberta et la Colombie-Britannique satisfont certains critères relatifs à l’exécution du budget en cours d’exercice financier, ce qui confère à leurs règles budgétaires un degré de sévérité plus élevé.

44L’expérience des provinces canadiennes montre donc, selon nous, que la panoplie des règles peut être large, et que leur accumulation semble bien contraindre l’évolution de la dette publique. En outre, la contrainte que font peser les agences de notation semble également importante. Ce dernier résultat ouvre d’ailleurs la voie à des questionnements sur l’interaction entre les règles budgétaires et l’appréciation de leur efficacité par les agences de notation. Nous renvoyons ces questionnements à des recherches futures, de même que la question des conséquences de l’imbrication de règles budgétaires entre le niveau « local » et le niveau « central », notamment en présence de transferts budgétaires et fiscaux entre ces niveaux de gouvernement.

Les auteurs sont reconnaissants au ministère des Finances du Québec pour son soutien financier. Etienne Farvaque a également bénéficié d’une bourse de l’ambassade du Canada, sous le programme Brec, et de l’hospitalité du Cirano. Ils remercient Amélie Lecocq, Marianne Tenand et Julie St-Cerny qui ont été d’efficaces assistantes de recherche et les rapporteurs de la Revue française d’économie qui ont permis d’améliorer cet article.

Bibliographie

Références

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  • M. Eslava [2011] : The Political Economy of Fiscal Deficits : A Survey, Journal of Economic Surveys 25(4), pp. 645-673.
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  • S. Tapp [2013] : The Use and Effectiveness of Fiscal Rules in Canadian Provinces, Canadian Public Policy, 39 (1) : pp. 45-70.
  • G. Tellier et L. Imbeau [2004] : Budget Deficits and Surpluses in the Canadian Provinces : A Pooled Analysis, présenté à la conférence annuelle du European Public Choice Society de Berlin (avril).

Notes

  • [1]
    Notons enfin que, dans le cadre de travaux indirectement liés à l’efficacité des règles budgétaires, Tellier et Imbeau [2004] ont, à l’instar de Tapp [2013], estimé un effet positif de la sévérité des règles budgétaires sur le solde budgétaire des provinces. Une vision plus critique de l’efficacité des règles, basée sur une analyse des provinces de l’ouest, a également été présentée par Simpson et Wesley [2012].
  • [2]
    Cette section est adaptée de Farvaque et al. [2012].
  • [3]
    Pour être complet, signalons que le gouvernement fédéral n’a en fait connu qu’un seul épisode de règle budgétaire inscrite dans la législation, soit la loi limitant les dépenses publiques en vigueur de 1992 à 1995.
  • [4]
    Les territoires (Nunavut, territoires du Nord-Ouest et Yukon) sont exclus de l’analyse en raison de leur cadre budgétaire distinct.
  • [5]
    La définition de la dette nette repose sur les données que nous utilisons, qui sont une compilation des comptes publics des 10 provinces. Les périmètres comptables peuvent donc varier d’une province à l’autre. Cela étant, le concept de dette nette utilisé ici, qui a l’avantage d’être rapporté pour l’ensemble des provinces et l’ensemble de la période, se rapproche du concept de dette financière nette utilisé par l’OCDE. De manière générale, les passifs financiers seront donc seuls inclus dans le calcul.
  • [6]
    Rappelons que notre indicateur mesure le nombre de règles en vigueur et donc, par extension, le degré de sévérité du cadre budgétaire. Évidemment, il reste possible d’avoir plus de règles et cependant un cadre global moins sévère. Si la définition des règles retenue dans le cas canadien réduit la possibilité d’une telle situation, il reste que, de façon optimale (et notamment en vue de généraliser les leçons à tirer de l’expérience canadienne), il faudrait concevoir un indicateur qui prenne en compte à la fois la dureté des règles et un degré de tension sur la contrainte qu’elles font peser (par exemple, y a-t-il des clauses de sortie, ou des exceptions clairement stipulées, à l’application de la règle ?). Les résultats doivent donc s’interpréter en conservant cette nuance à l’esprit.
  • [7]
    L’une de ces différences a trait à des données manquantes pour les notations S&P pour l’Ile-du-Prince-Édouard avant 2001.
  • [8]
    Les notations Moody’s et S&P ne sont jamais incluses ensemble dans une même régression en raison de la forte corrélation entre les notations des deux agences. Rappelons ici que, dans nos données, il existe une petite différence dans le nombre d’observations pour lequel les notations S&P sont disponibles. Voir le tableau n°3 ainsi que la note et la discussion qui s’y rattachent pour plus de détails. L’inclusion de ces variables de notation est une alternative à l’inclusion de la dette retardée pour contrôler le niveau passé de la dette. Les effets fixes provinciaux y contribuent également, tout en limitant un potentiel problème d’endogénéité des variables de notation.
  • [9]
    Sutherland et al. [2005], ou Dove [2017].
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