Notes
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Pour faire court, l’économie des ressources naturelles était considérée comme un champ à part jusque dans les années 1980, mais aujourd’hui la distinction s’est estompée.
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On peut raisonnablement avancer que des évolutions similaires sont en cours dans d’autres domaines, par exemple la prise en compte de la biodiversité comme facteur productif, notamment en agriculture.
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Reconnaissons ici l’importance historique de l’impulsion donnée par Thomas C. Schelling, disparu récemment.
“And the times they are a-changing.”
Introduction
1Nul ne doute plus que le monde change ; il est rassurant de constater que la science économique change avec lui. Ce numéro de la Revue française d’économie se propose de rendre compte des évolutions d’un champ particulier : l’économie de l’environnement et des ressources naturelles, à travers une sélection de travaux.
2Pour cela, la RFE a œuvré en collaboration avec l’Association française des économistes de l’environnement et des ressources naturelles (Faere). Créée à Toulouse en 2013, cette association organise des congrès annuels qui fournissent un échantillon représentatif, autant que faire se peut, des travaux récents. Le congrès de 2015 a été organisé par la Toulouse Business School, et a attiré plus de cent contributeurs. Il apparaissait donc naturel de profiter de ce vivier de talents pour mener à bien ce numéro.
3Le résultat est maintenant entre les mains du lecteur, et nous espérons qu’il lui permettra de mieux comprendre les grands défis environnementaux de notre époque. La prise de conscience de ces défis est en fait assez récente, et a conduit nos sociétés à intensifier les efforts de recherche dans ce domaine. A quelque chose malheur est bon ; l’économie de l’environnement [1] attire de plus en plus de jeunes chercheurs. La difficile sélection opérée pour ce numéro en est le reflet et permet également de distinguer quelques évolutions récentes, qui méritent qu’on les examine rapidement dans cette introduction.
4Tout d’abord, les thèmes de recherche. Ils sont en fort renouvellement, et sont associés à un rapprochement avec d’autres champs de l’économie et d’autres disciplines [2]. Ainsi, les deux premiers articles de ce numéro traitent des liens entre environnement et santé. Bien sûr, on sait depuis longtemps que la croissance économique s’accompagne d’atteintes à l’environnement qui, in fine, ont un impact sur la mortalité et la morbidité des êtres humains et des animaux. Mais la prise de conscience de l’ampleur de ces impacts est récente, et l’étude des effets sur la croissance économique est encore à développer. Karine Constant et Natacha Raffin nous proposent un panorama synthétique des liens entre environnement, croissance et santé, en y adjoignant le thème des inégalités sociales. On sait en effet que les populations défavorisées sur le plan de la richesse sont aussi celles qui ont la plus forte exposition aux risques environnementaux. La prise en compte de cette dimension supplémentaire conduit naturellement à une nouvelle justification de politiques environnementales ambitieuses en termes de réduction des inégalités. Cela a bien sûr un impact sur la définition des politiques souhaitables : les enjeux soulevés par cette mise en perspective sont donc considérables. Sur un plan plus empirique, l’article d’Emmanuelle Lavaine montre bien l’apport de nouvelles méthodes de traitement des données pour mieux mesurer les dépenses de prévention de ces populations face à un risque environnemental, dans des situations où les informations officielles ne sont pas forcément crédibles. Les résultats mettent en lumière le rôle prépondérant des niveaux de revenu et d’éducation dans l’évolution de ces dépenses. Voilà de beaux sujets de recherche, qui viennent enrichir considérablement des agendas déjà chargés en macroéconomie ou en économie de la santé.
5Il faut également insister sur les avancées considérables rendues possibles par la disponibilité de bases de données précises et complètes. Cela a conduit à un fort développement de méthodes empiriques nouvelles, bouleversant ainsi toute la science économique. Beaucoup de jeunes chercheurs sont aujourd’hui des économistes appliqués, motivés non seulement par le désir de trouver des schémas explicatifs pour divers phénomènes, mais aussi par le défi associé à la mesure de leurs effets. Les institutions publiques réagissent également, en requérant de plus en plus souvent des évaluations de leurs politiques. L’article précédemment cité utilise la très populaire méthode des doubles différences (difference in difference) pour mesurer les réactions des ménages. Marie-Hélène Hubert s’appuie sur des modèles d’évaluation intégrée pour analyser et simuler des évolutions de long terme de la politique énergétique chinoise, et l’impact de considérables réserves de gaz de schiste selon différents scénarios de régulation environnementale. Cela suppose de disposer d’informations sur les gisements, les réserves et les coûts d’extraction, une tâche impossible à mener il y a seulement trente ans. Hélène Ollivier s’intéresse à l’industrie en Inde, et montre comment utiliser des données individuelles de production et de consommation énergétique pour expliquer pourquoi l’intensité en CO2 de l’industrie a fortement baissé entre 1990 et 2010, alors même que les politiques environnementales ne se sont guère développées dans ce pays. L’analyse, qui conduit à attribuer ces gains à une augmentation de l’efficacité des firmes causée par une ouverture des marchés au cours de cette période, s’appuie sur une base de données d’une très grande qualité qui permet l’emploi de méthodes fines de décomposition.
6Mais les méthodes plus conceptuelles, et les thèmes de recherche classiques comme le changement climatique, offrent eux aussi de nombreuses avancées. Les applications de la théorie des jeux aux oligopoles de producteurs de ressources naturelles sont en fort développement [3], et expliquent des phénomènes de plus en plus subtils. Il ne s’agit plus seulement de concurrence en quantités, de cartels ou de quotas : on étudie aujourd’hui, dans des jeux différentiels pleinement dynamiques, des situations d’information incomplète, en particulier sur les réserves de chaque pays. Le travail de Mathias Berthod explique ainsi pourquoi et comment différents pays de l’Opep ont tenté de tricher et de ne pas respecter les accords de cartel suite à la mise en place de quotas de production dans les années 1980. En fonction de leurs coûts d’exploration et d’extraction, ces pays ont en effet pu choisir, pour des raisons stratégiques, de déclarer de fausses réserves d’hydrocarbures. Dans un cadre beaucoup plus simple, Matthieu Glachant, Julie Ing et Jean-Philippe Nicolaï soulèvent un problème lié aux transferts technologiques de technologies dites « vertes » vers les pays du sud : ils améliorent certes la performance environnementale de ces pays, mais aussi leur compétitivité. Ceci modifie les décisions des firmes sur leur localisation, les décisions des gouvernements sur les politiques environnementales à mener, et donc in fine les émissions globales. Enfin, Etienne Billette de Villemeur et Justin Leroux démontrent qu’il reste de bonnes idées inexploitées, même sur un sujet autant étudié que la lutte contre le changement climatique. Ils examinent une proposition alternative à la taxe pigouvienne. Cette préconisation classique, qui consiste à taxer chaque année les émissions en fonction de tous les dommages qu’elles vont causer dans le futur, pose de redoutables problèmes pratiques d’évaluation de ces dommages. Les auteurs proposent donc que chaque émission constitue une dette que l’émetteur doit honorer chaque année en versant le montant correspondant au dommage annuel. Cette simplification offre l’avantage d’éviter certaines difficultés liées au choix du facteur d’escompte, et vient renouveler des débats fondamentaux pour notre avenir.
7De manière générale, la conclusion qui semble s’imposer à la lecture de ce numéro est que la prise en compte des dimensions environnementales apparaît à la fois essentielle et fructueuse, quel que soit le domaine de la connaissance. Nous réalisons peu à peu que nous évoluons dans des milieux naturels aux propriétés complexes, que nos comportements sont parmi les facteurs déterminants de la survie de ces milieux, et qu’enfin nos capacités productives et notre qualité de vie dépendent aussi de la nature. Félicitons-nous donc que l’économie de l’environnement soit en profond renouvellement, qu’elle intègre de nouvelles dimensions et de nouveaux chercheurs et qu’elle crée des associations actives comme la Faere !
Notes
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[1]
Pour faire court, l’économie des ressources naturelles était considérée comme un champ à part jusque dans les années 1980, mais aujourd’hui la distinction s’est estompée.
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[2]
On peut raisonnablement avancer que des évolutions similaires sont en cours dans d’autres domaines, par exemple la prise en compte de la biodiversité comme facteur productif, notamment en agriculture.
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[3]
Reconnaissons ici l’importance historique de l’impulsion donnée par Thomas C. Schelling, disparu récemment.