Notes
-
[1]
De telles caractéristiques se retrouvent également sur le marché des entraîneurs (Llorca et Teste [2010]).
-
[2]
Il faut signaler que les mesures de la masse salariale peuvent différer d’une ligue à l’autre. Dans le cas de la France, la masse salariale, extraite des comptes des clubs fournis à la DNCG et publiés chaque année sous le vocable « rémunération du personnel chargée », représente les salaires (hors charges sociales) versés à tout le staff, incluant donc les paiements des coachs, managers, et pas seulement des joueurs. Cette mesure plus large de la masse salariale constitue ainsi un indicateur plus précis.
-
[3]
Etant donné le classement de la France à l’indice UEFA, seuls les deux premiers clubs du championnat sont assurés de participer directement à la Ligue des champions ; le club classé troisième doit passer par au moins un tour préliminaire ; quant au club qui arrive en quatrième position, il se qualifie en Ligue Europa, les autres places restantes dans cette compétition sont attribuées aux vainqueurs de la Coupe de France et de la Coupe de la ligue.
-
[4]
Les comparaisons entre les différentes ligues européennes des élasticités de la masse salariale à la performance des clubs sont toutefois délicates à interpréter dans la mesure où l’indicateur de dépenses salariales peut changer d’une ligue à l’autre, certaines, comme la France, incluant également les salaires des entraîneurs, alors que d’autres ne les prennent pas en compte.
-
[5]
Disparités fortes également entre les salaires des joueurs (cf. l’article de Bouvet [1996] pour une analyse du marché du travail et des salaires de joueurs de football).
-
[6]
Le financement du football peut ainsi s’analyser sous la forme de circuits (Bouvet [2012]).
-
[7]
Des mesures de régulation du marché des transferts sont également en préparation et pourraient porter sur l’instauration d’une taxe sur les transferts les plus onéreux (luxury tax), à l’échelle européenne (Andreff [2014]). Ce mécanisme ressemblerait à une sorte de taxe Tobin sur les transferts, à savoir que, lorsque le plafond fixé est dépassé, un pourcentage est prélevé sur le montant du transfert et est ensuite reversé au profit des clubs formateurs.
-
[8]
D’un autre côté, à travers l’exemple en Ligue 1 du club de Paris Saint-Germain, sanctionné par le fair-play financier lors de la saison 2014/2015, il apparaît que cela ne l’a pas empêché de détenir une masse salariale bien au-dessus de ses concurrents.
1Le football professionnel européen a connu de profonds bouleversements au cours des deux dernières décennies, au niveau de son organisation et de sa structure financière. D’une part, l’arrêt Bosman (1995) a provoqué une totale libéralisation et une dérégulation du marché des joueurs. D’autre part, les ressources financières des clubs se sont fortement accrues en raison notamment de l’importante augmentation des droits de retransmission télévisuelle.
2Il en a résulté une totale flexibilité du marché des joueurs de football marqué par des indemnités de transferts record et une inflation des salaires [1] (Llorca et Teste [2011]). Dans un tel système, les clubs les plus riches financièrement attirent les meilleurs joueurs, en payant plus (que ce soit en indemnités de transfert ou en salaires) que leurs concurrents.
3Or, le championnat de football français n’échappe pas à ce phénomène, suite notamment aux rachats de deux clubs français de football réputés (le Paris-Saint-Germain en 2011 et l’AS Monaco en 2012) par des investisseurs étrangers (respectivement le Qatar Sports Investments et le milliardaire russe Rybolovlev).
4Ces conditions nous amènent à nous demander si le succès sportif d’une équipe découle nécessairement de ses dépenses salariales, mesurées par la masse salariale du club. Autrement dit, existe-t-il une relation statistiquement significative entre les salaires dépensés par le club et sa performance sur le terrain ?
5Une telle relation a fait l’objet d’une littérature empirique croissante en économie du sport, que ce soit au niveau des sports professionnels nord-américains ou du football européen. Toutefois, aucune étude n’a été consacrée au championnat de France de football, alors qu’il constitue un champ d’application privilégié grâce à la disponibilité des données financières des clubs, extraites des rapports annuels de la DNCG (Direction nationale de contrôle de gestion) et de la Ligue de football professionnel.
6Par conséquent, nous proposons de contribuer à cette littérature en étudiant la relation entre la masse salariale d’un club et sa performance sportive dans le cas du championnat de France, à travers un panel de trente-six clubs ayant participé à la Ligue 1 sur la période 2005-2014. Pour ce faire, nous estimons tout d’abord l’impact des dépenses salariales sur la performance sportive du club, mesurée par le ratio de points qu’il a obtenus au cours de la saison. Puis, nous évaluons à l’aide de modèles Probit l’influence des dépenses de salaires de l’équipe sur la probabilité de satisfaire les objectifs spécifiques aux clubs, à savoir se qualifier pour les compétitions européennes (en atteignant une des quatre premières places du championnat de France) pour les clubs les plus ambitieux et les plus riches, et, pour les autres, éviter la relégation en ligue inférieure (c’est-à-dire éviter les trois dernières places du championnat).
7L’article s’organise de la façon suivante : dans une première partie, nous rapportons la revue de la littérature empirique concernant la relation entre masse salariale et performance dans les sports professionnels d’équipe. Dans une deuxième partie, nous présentons la base de données d’un point de vue descriptif ainsi que le modèle à estimer, avant de reporter les résultats économétriques obtenus dans la troisième section. La quatrième partie est consacrée aux interprétations et aux implications qu’offrent les résultats empiriques obtenus en termes d’analyse de l’industrie du football. Nous concluons enfin par les perspectives de recherches futures sur ce sujet.
Revue de la littérature sur la relation entre les dépenses salariales des équipes et leurs performances sportives dans les sports professionnels collectifs
8La relation entre les dépenses en salaire des clubs et leurs performances sportives fait l’objet d’un grand intérêt en économie du sport.
9La littérature empirique sur le sujet s’est concentrée tout d’abord sur le cas des sports professionnels américains (le baseball, le basket-ball, le football américain et le hockey sur glace) en raison de la disponibilité des données salariales par club et par joueur. On peut ainsi répertorier par ordre chronologique les études de Scully [1974], Zimbalist [1992], Scully [1995], Buchanan et Slottje [1996], Sanderson et Siegfried [1997], Fort et Quirk [1999], Hall, Szymanski et Zimbalist [2002], Forrest et Simmons [2002], Wiseman et Chatterjee [2003], Simmons et Forrest [2004] ou bien encore Berri et Schmidt [2010].
10Le résultat général de cette littérature sur les sports nord-américains est une relation floue et faiblement significative entre la masse salariale de l’équipe et sa performance sur le terrain. Par conséquent, « accroître les dépenses en salaire des joueurs et dans le coaching apparaît seulement comme une condition nécessaire mais non suffisante pour améliorer le pourcentage de victoires d’une équipe » (Scully [1995], p. 94). Pour dire cela autrement, « les équipes qui paient le plus ne sont pas nécessairement celles qui gagnent le plus » (Buchanan et Slottje [1996], p. 144).
11Parmi les raisons invoquées, on trouve l’application de restrictions institutionnelles sur la mobilité des joueurs, telles que le salary cap, la luxury tax, la draft de rookie (profitant aux équipes les plus faibles), le partage de revenus entre les clubs ou bien encore les règles de joueurs libres (free agents). Ces différentes mesures interventionnistes, en restreignant la répartition des victoires entre les équipes, créent ainsi un marché du travail monopolistique qui rompt la relation entre masse salariale et succès dans les sports professionnels par équipe. A cela s’ajoute également une structure des ligues nord-américaines qui repose sur des équipes de franchises, jouant dans des conférences quasiment de niveau équivalent au lieu d’une structure de ligue hiérarchique comme dans le football européen. Enfin, la séparation dans la saison sportive entre la saison régulière et les « play-offs » peut expliquer la faible variation du pourcentage de victoires durant la saison régulière, et le fait que la performance ne soit pas parfaitement corrélée avec la qualité de joueurs de talent dans l’effectif.
12S’agissant plus spécifiquement du football européen, peu d’études ont été développées jusque dans les années 2000 en raison notamment de la non-disponibilité des données financières des clubs professionnels en Europe. Le championnat anglais représente la majeure partie de la littérature sur le football européen. Les études de Szymanski et Smith [1997], de Szymanski et Kuypers [1999], de Hall, Szymanski et Zimbalist [2002], de Kuper et Szymanski [2009], de Carmichael, McHale et Thomas [2011] trouvent ainsi une forte corrélation entre la masse salariale et le classement obtenu dans le championnat sur une longue période de temps. D’autres études comparatives sur la relation entre masse salariale et performance sont développées par Forrest et Simmons [2002], Simmons et Forrest [2004] qui comparent les ligues nord-américaines avec les championnats anglais, italien et allemand ou bien Frick [2013] sur différents championnats européens. Le championnat allemand est également étudié par Frick [2006], Frick et Simmons [2008] ainsi que le championnat espagnol par Garcia-del-Barro et Szymanski [2009].
13Il ressort de cette littérature sur le football professionnel européen que la masse salariale a un impact significatif et élevé sur la performance sportive, contrairement aux sports nord-américains.
14Au final, à travers la comparaison entre la littérature sur les sports nord-américains et celle sur le football européen, il apparaît que la relation entre masse salariale et performance varie selon les ligues considérées, son degré de régulation, le marché du travail des joueurs, les caractéristiques physiques du jeu ou encore la structure du tournoi joué.
Base de données sur le championnat de France et modèles à estimer
15Dans le cas du championnat de France, l’observation de l’évolution de la masse salariale moyenne des clubs de Ligue 1 (cf. tableau n°1 ci-après) au cours de la période 2005-2014 révèle une nette croissance, notamment lors des années 2009 et 2014. Pour cette dernière année, la croissance des salaires en Ligue 1 a atteint en moyenne un taux proche de 22 % en raison des salaires exorbitants offerts par le PSG et Monaco pour rémunérer les joueurs superstars qu’ils ont recrutés lors de cette saison-là.
Evolution de la masse salariale et de la part des salaires dans les recettes des clubs de L1 de 2005 à 2014
Evolution de la masse salariale et de la part des salaires dans les recettes des clubs de L1 de 2005 à 2014
16En outre, si l’on raisonne en termes de part des salaires dans les recettes des clubs de Ligue 1, on note un niveau trop élevé (64 % en moyenne sur la période), même si la tendance est à la baisse depuis le pic de 2011 et 2012 (autour de 75 %). Toutefois, cela s’explique par une croissance des recettes supérieure à celle des salaires.
17Enfin, le tableau n°2 et celui situé en annexe rapportent les statistiques descriptives des deux variables, à savoir le ratio de points et la masse salariale, que nous utilisons dans nos régressions.
Statistiques descriptives de la masse salariale relative et du ratio de points
Statistiques descriptives de la masse salariale relative et du ratio de points
18Notre échantillon couvre les saisons 2005 à 2014 avec trente-six équipes qui ont participé à la Ligue 1 durant cette période, ce qui nous donne deux cents observations au total, puisque cette ligue comprend vingt clubs par saison.
19Le premier modèle à estimer afin d’étudier la relation entre la masse salariale relative d’une équipe et la performance du club est le suivant :
21avec POINTSij, l’indicateur de performance du club mesuré par le ratio de points atteint par le club i lors de la saison j sur le maximum de points possible. Le ratio de points est utilisé comme variable dépendante car il constitue une mesure cardinale de la performance ; MSij, la masse salariale de l’équipe [2] i à la saison j par rapport à la moyenne de la ligue dans cette année j ; PROMU, une variable « dummy » qui prend la valeur 1 pour les clubs promus à la fin de la saison précédente, sachant que dans le cas de la France trois clubs sont promus et relégués chaque saison de la Ligue 1.
22Par ailleurs, étant donné que l’objectif des équipes n’est pas nécessairement de gagner le plus de points possible mais de se qualifier pour les compétitions européennes, nous pouvons élargir notre analyse en évaluant l’influence de la masse salariale sur la probabilité de se qualifier aux compétitions européennes (la Ligue des champions et la Ligue Europa). Pour ce faire, nous utilisons comme spécification un modèle Probit avec pour variable dépendante le fait de se classer parmi les quatre premières places [3] de la Ligue 1 (contre six pour les championnats anglais, allemand et italien).
23Le modèle à estimer est le suivant :
25avec EURij, une variable dummy qui prend la valeur 1 lorsque le club i est classé à la saison j à l’une des quatre premières places de la ligue, qui sont qualificatives pour les compétitions européennes telles que la Champions League et l’Europa League.
26Pour la plupart des équipes toutefois, un objectif plus réaliste que celui d’atteindre la qualification à ces compétitions européennes est de se maintenir en Ligue 1 pour éviter l’échec sportif et les pertes financières en termes de revenus du club (droits TV, recettes de spectateurs et de sponsors) qui accompagnent la descente en Ligue 2. Par conséquent, nous utilisons un second modèle Probit pour estimer l’influence de la masse salariale sur la probabilité de se maintenir en Ligue 1 (ce qui revient à éviter les trois dernières places du championnat).
28avec RELij, une variable dummy qui prend la valeur 1 lorsque le club i est relégué à la saison j, c’est-à-dire lorsqu’il est classé à l’une des trois dernières place de la Ligue 1.
Résultats économétriques
29Le choix de spécification de la forme fonctionnelle du modèle à estimer est basé sur le test Ramsey RESET (Regression Equation Specification Error Test). Une variété de forme fonctionnelle (log-linéaire, linéaire-log, log-log et quadratique) échoue à améliorer la spécification linéaire. Nous rejetons effectivement la forme quadratique qui aurait permis de tester l’existence d’un rendement décroissant du salaire dans la mesure où le point de retournement figure en dehors de notre échantillon de données.
30En outre, d’après le test de Hausman, le modèle est estimé en tant que panel de clubs avec des effets fixes.
31Il ressort de cette estimation, dans le cas du championnat de France, une relation bien déterminée entre la masse salariale et la performance des clubs obtenue, confirmant ainsi la littérature sur ce sujet, puisque l’impact du salaire relatif sur la position finale dans la ligue est statistiquement significatif et économiquement pertinent. On peut donc affirmer que la masse salariale apparaît comme un déterminant significatif de la performance en Ligue 1 puisqu’elle génère de la performance. Autrement dit, les dépenses en salaires d’un club ont un rôle significatif pour prévoir le succès de l’équipe, mesuré par le ratio de points obtenus durant la saison.
32Il est intéressant de noter que le coefficient sur MS, qui est également l’élasticité de la masse salariale par rapport au ratio de points, est de 0,10, soit un niveau quasiment similaire à celui obtenu par Simmons et Forrest [2004] sur le championnat allemand [4].
Régression MCO avec des effets fixes (variable dépendante : le ratio de points)
Régression MCO avec des effets fixes (variable dépendante : le ratio de points)
Note : entre parenthèses figure le t de Student.33S’agissant des deux modèles Probit, la forme linéaire est acceptée et les résultats des estimations sont rapportés dans le tableau n°4.
Estimation des modèles Probit
Estimation des modèles Probit
34A partir de cette estimation des effets marginaux par les modèles Probit, nous pouvons conclure que la hausse de la masse salariale accroît la probabilité des équipes de se qualifier aux compétitions européennes (en atteignant l’une des quatre premières places de la Ligue 1) et réduit celle d’être reléguées (en évitant l’une des trois dernières positions du championnat).
35Pour résumer nos différents résultats empiriques sur le championnat de France, il s’avère que la variation dans la performance d’une équipe peut être expliquée par la variation dans les dépenses salariales. Autrement dit, plus un club dépense en salaires pour ses joueurs, meilleure est sa performance sur le terrain. Nous trouvons en effet qu’une masse salariale relative plus élevée conduit à un ratio de points plus élevé. En outre, des dépenses en salaires relatives plus élevées sont associées à une probabilité accrue d’atteindre une place qualificative pour les compétitions européennes. Enfin, une hausse des salaires relatifs de l’équipe réduit la probabilité d’être reléguée.
Justifications et implications de la relation significative entre masse salariale et performance des clubs
36Le résultat empirique que nous avons obtenu, à savoir un impact positif des dépenses en salaires des joueurs sur la performance peut se justifier par des facteurs tels que la structure ouverte des ligues européennes, la perspective de qualification à la lucrative Ligue des champions ou bien encore l’accroissement de la mobilité des joueurs et l’émergence d’un marché du travail des footballeurs efficient en Europe.
37D’une part, dans un système de promotion et de relégation des clubs à chaque saison (Andreff [2007]), les équipes sont davantage incitées à investir et à attirer des talents afin de se maintenir (Noll [2002]) ; Andreff [2009]). En conséquence, la crainte de la relégation (induisant un moindre prestige et surtout de moindres revenus) ou bien l’attrait de la promotion (impliquant davantage de revenus) créent une incitation forte à la compétition et à la concurrence (Szymanski et Valetti [2005]). Ainsi, les clubs les plus puissants sportivement et financièrement sont poussés à recruter plus cher et à dépenser massivement en salaires, pour assurer leur maintien dans le haut niveau.
38Dès lors, la probabilité de relégation des promus est très forte dans les championnats européens (Dherbecourt et Drut [2009]). En effet, les nouveaux entrants (les promus) ne sont généralement pas à même de concurrencer, de façon crédible, les grands clubs déjà solidement établis en Ligue 1 et disposant d’infrastructures de qualité (stade, centre de formation…) et de capital humain de haut niveau (joueurs, entraîneurs, préparateurs physiques). La relégation en division inférieure se traduit d’un point de vue financier par une forte diminution des recettes (réduction des droits TV, diminution de l’affluence), alors que certaines dépenses, comme les salaires des joueurs, ne peuvent pas aisément être revues à la baisse. En conséquence, les clubs relégués se trouvent dans l’obligation de vendre des joueurs, parfois au rabais, pour combler leur déficit financier et, de ce fait, voient diminuer leurs chances de remonter en ligue supérieure l’année suivante. Quant aux clubs qui disposent de ressources intermédiaires entre la moyenne des clubs de L1 et la moyenne des clubs de L2, ils connaissent généralement un phénomène d’aller-retour (relégation suivie de promotion, et ainsi de suite) qu’il leur est difficile d’enrayer (Noll [2002]).
39D’autre part, la perspective de participation à la lucrative Champions League constitue une forte incitation à dépenser plus en salaires et en transferts pour les clubs les plus ambitieux, désireux d’atteindre une des trois premières places de la ligue, qualificatives pour cette compétition. Et ce d’autant plus que cette dernière offre une rente financière pour les clubs y participant régulièrement (Pawlowski, Breuer et Hovemann [2010]).
40Par ailleurs, une autre justification de notre résultat réside dans le fait que, suite à l’arrêt Bosman (1995), il s’est produit un accroissement de la mobilité des joueurs (Frick [2007] ; Flores, Forrest et Tena [2010]). Dans ces conditions, l’émergence d’un marché du travail des footballeurs européens efficient favorise l’existence d’une relation positive et significative entre masse salariale et performance (Frick [2013]).
41En outre, le résultat empirique que nous avons obtenu revêt trois implications importantes dans l’analyse de l’industrie du football européen, s’agissant des déséquilibres compétitifs et financiers des clubs ainsi que de la régulation des salaires des joueurs.
42En effet, le concept d’équilibre compétitif, introduit par Rottenberg [1956], reflète une compétition équilibrée entre les clubs, mais aussi une incertitude concernant le club vainqueur à l’issue d’un match ou bien sur le champion lors d’une saison donnée ou d’une saison à l’autre (Szymanski [2003]). Or, l’impact positif des dépenses salariales sur la performance des équipes de Ligue 1, et donc les différences de masse salariale entre les clubs [5] jouent un rôle dans le creusement du déséquilibre compétitif existant au sein des ligues européennes (Szymanski [1999] ; Andreff et Bourg [2006] ; Gerrard [2006] ; Andreff [2009]). L’influence des salaires sur le résultat rejoint ainsi d’autres facteurs contribuant au creusement du déséquilibre compétitif entre les clubs, tels que le mode de répartition individuelle des droits TV (Bourg et Gouguet [2007]), la structure ouverte des championnats européens, la forte dépendance des recettes financières au résultat sportif, ou bien encore la participation répétée de certains clubs à la Champions League.
43Une deuxième conséquence de notre résultat empirique est que les dépenses salariales des clubs sont un des facteurs contribuant à l’instabilité financière des clubs, à savoir des déficits récurrents et un endettement croissant. En effet, à travers leurs déséquilibres économiques, il s’avère que ces équipes ne cherchent pas à maximiser les profits (Downward et Dawson [2000]), mais à maximiser la victoire sous une contrainte budgétaire (Kesenne [1996, 2000]), qualifiée de « molle » par Andreff [2009], et qui résulte de l’explosion des droits de retransmission TV, comme le montrent Baroncelli et Lago [2006], ou encore Aglietta, Andreff et Drut [2008]. Ces derniers trouvent notamment dans le cas du championnat de France une causalité allant de la hausse des droits de retransmission télévisuelle vers celle de la masse salariale des clubs. De ce fait, le niveau de plus en plus élevé de ces droits desserre la contrainte budgétaire des clubs qui se lancent dans une « course aux armements » sans limite. Il en résulte une gestion plus laxiste de leurs dépenses, que ce soit en matière de salaires ou de transferts des joueurs, ce qui les rend plus compétitifs d’un point de vue sportif, leur permet de remporter davantage de matchs, et donc d’attirer de nouveaux revenus (de retransmission télévisuelle notamment), pour financer des salaires et des transferts plus élevés dans un avenir proche. On assiste donc à un phénomène auto-entretenu d’inflation des salaires et des transferts, générée par les clubs à partir des droits TV qu’ils reçoivent, et qui sont régulièrement en hausse [6] puisque les clubs, via la ligue, négocient les droits de retransmission les plus élevés possible afin de financer des salaires exorbitants.
44Enfin, étant donné que la masse salariale influence significativement la performance des clubs et contribue fortement à leur déséquilibre financier, cela offre une condition nécessaire ou déjà suffisante en faveur de mesures de régulation des salaires [7] pour éviter un creusement des déséquilibres compétitifs et financiers. De tels dispositifs pourraient prendre la forme d’un « salary cap » (en vigueur dans les ligues professionnelles nord-américaines, mais également dans le rugby professionnel en France et en Angleterre), c’est-à-dire un encadrement systématique de la masse salariale des clubs, avec un plafond salarial maximal à ne pas dépasser, ou bien un pourcentage du budget ou des recettes. Chaque club dépassant ce plafond se verrait obligé de verser à la ligue une amende d’un montant relativement important, redistribué ensuite aux autres clubs. Une telle mesure limiterait de façon égalitaire la masse salariale des clubs, de manière à éviter la concentration de gros salaires dans un même club et à favoriser ainsi une concurrence sportive plus loyale sur le plan financier entre les équipes d’une même ligue. D’autre part, elle stopperait les politiques de salaires exorbitants menées par les « nouveaux riches ». Par ailleurs, afin de garantir l’équité sportive, un tel plafond concernerait les dépenses nettes des clubs en salaires, étant donné les disparités relatives à la fiscalité du travail entre les Etats européens.
45Nous avons trouvé que la relation entre la masse salariale de l’équipe et sa performance sur le terrain, mesurée par le nombre de points obtenus, est significative et forte dans le championnat de France. En outre, des dépenses en salaires relatives plus élevées sont associées à une probabilité accrue d’atteindre une place qualificative pour les compétitions européennes et réduisent la probabilité pour une équipe d’être reléguée.
46Ce nouveau résultat sur le cas de la France conforte ainsi la littérature portant sur les autres ligues européennes (anglaise, italienne, allemande et espagnole). Cela peut s’expliquer notamment par les caractéristiques du football professionnel européen, à savoir la structure ouverte de ces ligues, la perspective de qualification à la Ligue des champions ou bien encore l’absence de restriction à la mobilité des joueurs en Europe. En outre, le résultat empirique obtenu dans cette étude revêt trois implications dans l’industrie du football en matière de déséquilibres compétitifs et financiers des clubs ainsi qu’en faveur de mesures de régulation.
47Trois sujets restent en suspens et doivent être traités dans les recherches futures. Tout d’abord, on assiste dans de nombreuses ligues à des changements du nombre de clubs promus et relégués (un tel sujet fait d’ailleurs l’objet d’un vif débat actuellement en France entre la Ligue de football professionnel et la Fédération française de football). Or, il n’est pas du tout évident que ces changements aient un effet sur l’équilibre (ou le déséquilibre) économique et/ou compétitif de ces ligues. Par ailleurs, un sujet, peut-être même plus important, consiste à vérifier si la régulation du fair-play financier introduit par l’UEFA dans le football européen depuis 2011 a un impact sur les comportements des clubs qualifiés aux compétitions européennes en matière de dépenses salariales. On devrait s’attendre à une réduction des disparités de masses salariales entre les équipes [8]. Enfin, dernier point, une plus grande transparence de la part des clubs français en matière de publication des salaires individuels des joueurs et des entraîneurs de chaque équipe, comme c’est le cas en Allemagne et en Angleterre (cf. les études respectives de Frick [2005] et de Frick et Simmons [2008]), élargirait le terrain d’investigation de la relation entre masse salariale et performance de l’équipe à un niveau désagrégé sur le cas français.
Statistiques descriptives des variables points et masse salariale pour les 36 clubs de L1 sur la période 2005-2014
Statistiques descriptives des variables points et masse salariale pour les 36 clubs de L1 sur la période 2005-2014
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Notes
-
[1]
De telles caractéristiques se retrouvent également sur le marché des entraîneurs (Llorca et Teste [2010]).
-
[2]
Il faut signaler que les mesures de la masse salariale peuvent différer d’une ligue à l’autre. Dans le cas de la France, la masse salariale, extraite des comptes des clubs fournis à la DNCG et publiés chaque année sous le vocable « rémunération du personnel chargée », représente les salaires (hors charges sociales) versés à tout le staff, incluant donc les paiements des coachs, managers, et pas seulement des joueurs. Cette mesure plus large de la masse salariale constitue ainsi un indicateur plus précis.
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[3]
Etant donné le classement de la France à l’indice UEFA, seuls les deux premiers clubs du championnat sont assurés de participer directement à la Ligue des champions ; le club classé troisième doit passer par au moins un tour préliminaire ; quant au club qui arrive en quatrième position, il se qualifie en Ligue Europa, les autres places restantes dans cette compétition sont attribuées aux vainqueurs de la Coupe de France et de la Coupe de la ligue.
-
[4]
Les comparaisons entre les différentes ligues européennes des élasticités de la masse salariale à la performance des clubs sont toutefois délicates à interpréter dans la mesure où l’indicateur de dépenses salariales peut changer d’une ligue à l’autre, certaines, comme la France, incluant également les salaires des entraîneurs, alors que d’autres ne les prennent pas en compte.
-
[5]
Disparités fortes également entre les salaires des joueurs (cf. l’article de Bouvet [1996] pour une analyse du marché du travail et des salaires de joueurs de football).
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[6]
Le financement du football peut ainsi s’analyser sous la forme de circuits (Bouvet [2012]).
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[7]
Des mesures de régulation du marché des transferts sont également en préparation et pourraient porter sur l’instauration d’une taxe sur les transferts les plus onéreux (luxury tax), à l’échelle européenne (Andreff [2014]). Ce mécanisme ressemblerait à une sorte de taxe Tobin sur les transferts, à savoir que, lorsque le plafond fixé est dépassé, un pourcentage est prélevé sur le montant du transfert et est ensuite reversé au profit des clubs formateurs.
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[8]
D’un autre côté, à travers l’exemple en Ligue 1 du club de Paris Saint-Germain, sanctionné par le fair-play financier lors de la saison 2014/2015, il apparaît que cela ne l’a pas empêché de détenir une masse salariale bien au-dessus de ses concurrents.