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Article de revue

Emploi agrégé, polarisation des emplois et inégalités de salaire : une comparaison transatlantique

Pages 11 à 64

Notes

  • [1]
    Dans cet article, nous considérons les données antérieures à la crise de 2008. En effet, les ruptures causées par cette crise sont au-delà de l’objectif de cet article.
  • [2]
    Le modèle propose une représentation stylisée des travailleurs qualifiés et des emplois. Les données pourraient suggérer que le monde réel implique une mobilité plus complexe. Cependant, nous croyons que notre modèle stylisé capte la mobilité impliquée dans la polarisation de l’emploi et des changements dans l’emploi global.
  • [3]
    Deux remarques s’imposent à ce stade. Tout d’abord, les coûts de licenciement ne sont pas des indemnités mais plutôt des coûts administratifs liés aux procédures de licenciement. Ils sont donc de pures pertes. Deuxièmement, les séparations endogènes se produisent dans notre modèle parce que certaines entreprises génèrent des résultats négatifs, en particulier sur le segment du marché du travail des tâches routinières. Rappelons que, dans un monde de changements technologiques constants, on peut s’attendre à ce que les salaires des employés effectuant des tâches routinières baissent, auquel cas l’entreprise ne génèrerait pas de résultats négatifs, même dans un monde où la baisse de productivité du travail est tendancielle. En revanche, lorsque les salaires sont rigides à la baisse, les entreprises peuvent être piégées par des coûts de production fixes et des baisses de productivité du travail. Cette situation entraîne des résultats négatifs, conduisant à des licenciements. Dans le modèle, pour chaque niveau d’aptitude sur des tâches routinières, et dans le cas où les salaires sont rigides, nous pouvons définir une date endogène de licenciement après laquelle l’entreprise ferme.
  • [4]
    Le modèle ne reproduit pas la chute du taux d’emploi observée depuis 2000. Mais, cette contraction est essentiellement expliquée par la réduction du taux d’activité des jeunes (restant plus long-temps dans le système éducatif) et l’augmentation des taux d’invalidité chez les adultes (voir OCDE [2014] emploi Outlook 2014, encadré 1.1 et tableau de l’annexe B), i.e. par des facteurs non modélisés.
  • [5]
    Afin de rendre le graphique comparable à celui d’Autor et Dorn [2013], nous prenons en compte l’augmentation de la productivité globale des facteurs qui est commune à tous les salaires au sein d’un pays. Cette augmentation de la PGF spécifique à chaque pays est calculée à l’aide des séries de PIB, d’emploi et capital.
  • [6]
    Dans Autor et Dorn [2013], le salaire réel horaire aux Etats-Unis croît de 17 % en bas de la distribution (respectivement 11 % dans le milieu et 25 % dans la partie supérieure de la distribution) entre 1980 et 2005. Le modèle surestime le gain de salaire pour les travailleurs effectuant des tâches abstraites car leur salaire dans le modèle répond à la hausse de la demande de main-d’œuvre.
  • [7]
    Les courbes de Lorenz sont effectivement des isoquants linéaires en raison de l’hétérogénéité limitée présente dans le modèle.
  • [8]
    Dans cette figure, nous ne donnons pas tous les indices de Gini, faute de données. En effet, les indices de Gini sont disponibles sur les salaires ou sur les revenus totaux (y compris les revenus du capital, non présents dans le modèle).
  • [9]
    Nous nous appuyons sur les fonctions valeurs car elles rendent compte de la valeur actualisée des revenus compte tenu des possibilités d’emploi futures pour chaque agent de l’économie. Nous calculons le flux de revenu monétaire qui équivaut à chacune des fonctions valeurs.
  • [10]
    Ce résultat fait écho aux conclusions de Flinn [2002].

1Cet article vise à évaluer les effets sur la dynamique du marché du travail de réformes structurelles dans des pays qui ont fait et continuent de faire face à un besoin de réallouer des quantités importantes d’emploi entre des secteurs et entre des professions lorsque la technologie change. Il se situe à l’intersection de deux champs de littérature :

  • le premier vise à identifier les raisons d’un taux d’emploi plus faible en Europe qu’aux Etats-Unis (ce que l’on appelle l’« European employment problem », depuis les travaux de Ljungqvist et Sargent [1998] et [2008]). Cette littérature met l’accent sur le rôle des institutions du marché du travail (IMT, ci-après) pour expliquer les divergences transatlantiques dans les taux d’emploi. Elle évalue aussi le rôle des réformes structurelles permettant d’améliorer les performances européennes mesurées par les niveaux d’emploi ;
  • le deuxième champ de littérature traite de la structure de l’emploi et de la dynamique des salaires entre différents groupes de compétences. Depuis Katz et Murphy [1992], plusieurs études ont montré comment le progrès technologique peut induire des changements dans la demande de main-d’œuvre en faveur de travailleurs qualifiés. En augmentant la productivité relative des « qualifiés », ce « progrès technologique biaisé » (PTB) s’est avéré très fructueux pour rendre compte i) de l’accroissement du salaire relatif des diplômés aux Etats-Unis (ajustement par les prix sur un marché concurrentiel), ainsi que ii) de l’accroissement des écarts d’emploi entre qualifiés et non qualifiés parmi les nations avancées (en Europe principalement) caractérisées par des rigidités de salaires réels (ajustement par les quantités sur un marché avec des prix non concurrentiels). Toutefois, cette littérature ne peut pas expliquer un autre fait stylisé majeur caractérisant l’évolution récente de la structure de l’emploi suggérant que les évolutions technologiques pourraient plutôt conduire à une polarisation de l’emploi (PE). En effet, ces trente dernières années aux Etats-Unis (et ces vingt dernières années en Europe) la croissance de l’emploi n’a pas été rapide uniquement pour les postes à salaires élevés, mais aussi pour les emplois faiblement rémunérés. Simultanément, les niveaux d’emploi ont baissé significativement parmi les postes rémunérés au milieu de la distribution des salaires. Ces postes seraient associés à des tâches qui peuvent être remplacées par des machines (Autor et Dorn [2013] ; Goos et al. [2009]). Contrairement à l’hypothèse de PTB, la PE implique qu’il y ait au sein des travailleurs non qualifiés des gagnants (employés dans les services, qui effectuent des tâches manuelles non répétitives – par exemple gardiennage, nettoyage, garde d’enfants, aide médicale, en particulier des seniors) et des perdants (travailleurs spécialisés ou effectuant des tâches systématiques ou routinières – par exemple les ouvriers de l’industrie, opérateurs ou assembleurs, ou ceux de la construction). Ces réallocations de grande ampleur engendrées par l’adoption de nouvelles technologies ne sont généralement pas prises en compte dans les modèles visant à capturer les conséquences de court et long termes des politiques structurelles. Cet article vise à combler cette lacune : il met l’accent sur le problème du niveau de l’emploi européen, à court et long termes, sans ignorer l’étude des réallocations de l’emploi et des dynamiques de salaires à travers différents groupes de compétences. Face à ce besoin de réallocations de l’emploi, les institutions du marché du travail peuvent créer des rigidités potentiellement capables d’empêcher les entreprises et les travailleurs de saisir les opportunités créées par les changements technologiques. Elles peuvent donc être cruciales pour comprendre le « problème de l’emploi européen » en interaction avec le changement technologique. Notre contribution propose alors de dépasser les modélisations de la polarisation des emplois où l’économie est au plein-emploi, comme le proposent Autor et Dorn [2013] : dépasser les déterminants liés à la technologie et aux préférences dans un monde où la réallocation s’opère sans friction est un préalable à un programme de recherche plus ambitieux (cf. Acemoglu et Autor [2011] pour une demande en ce sens) sur l’impact de l’interaction entre changements structurels et changements institutionnels.

2Un regard sur les données (figures nos1 et 2) suggère que l’interaction entre le niveau et la structure de l’emploi peut être complexe. Les données (voir l’annexe n°3 pour une définition des données) montrent en effet que la polarisation de l’emploi est présente aux Etats-Unis, en France et en Allemagne, avec une part croissante des emplois manuels de service et emplois dits abstraits ainsi qu’une baisse généralisée des travaux routiniers (figure n°1). Mais l’emploi global a évolué très différemment avec une hausse remarquable aux Etats-Unis entre 1980 et 2000, une hausse qui commence après 1990 en Allemagne et une baisse de l’emploi global en France jusqu’à la fin des années 1990 (figure n°2).

Figure 1

Part de l’emploi abstrait, routinier et manuel en France, en Allemagne et aux Etats-Unis

Figure 1

Part de l’emploi abstrait, routinier et manuel en France, en Allemagne et aux Etats-Unis

Source : calculs OCDE fondés sur CPS pour les données américaines, EU-LFS pour l’Allemagne et la France, Labor Force Survey pour la France [1].
Figure 2

Taux d’emploi en France, en Allemagne et aux Etats-Unis

Figure 2

Taux d’emploi en France, en Allemagne et aux Etats-Unis

Source : données de l’OCDE. Emploi rapporté à la population en âge de travailler (15-64 ans).

3Les figures nos 1 et 2 suggèrent que la polarisation de l’emploi doit être comprise en relation avec l’évolution du niveau du taux d’emploi global : les évolutions des parts d’emploi ont un sens différent dans des économies qui créent des emplois et dans celles qui en détruisent. En effet, lorsque le taux d’emploi augmente, une statistique croissante sur une part est suffisante pour indiquer de plus fortes créations dans cette catégorie d’emploi. Mais si le taux d’emploi décroît, les statistiques sur les parts d’emploi sont difficiles à interpréter. Prenons le cas de la France résumé dans les tableaux nos 1 et 2.

Tableau 1

Taux d’emploi

Tableau 1
Initial Final Manuel 37 33 Routine 63 46 Total 100 79

Taux d’emploi

Tableau 2

Parts d’emploi

Tableau 2
Initial Final Manuel 37 % 42 % Routine 63 % 58 %

Parts d’emploi

4Alors que la part de l’emploi manuel augmente dans le tableau n° 2, cette polarisation n’est pas une indication de création d’emplois manuels : comme le montre le tableau n° 1, elle est due à de moindres pertes d’emplois manuels que routiniers, dans un contexte de pertes d’emploi.

5Si l’on reprend la figure n° 1, on voit que la part de l’emploi américain dans les services n’a augmenté que de 6 % au cours des trente dernières années. Mais, compte tenu de la hausse rapide du niveau d’emploi global aux Etats-Unis dans les années 1980 et 1990, cette augmentation apparemment limitée de la part des tâches manuelles implique des réallocations de grande ampleur des emplois routiniers vers les emplois manuels. En outre, la croissance de l’offre de travailleurs qualifiés rend l’augmentation de la part des tâches manuelles aux Etats-Unis encore plus remarquable. Cela contraste avec les expériences européennes. Tout d’abord, la polarisation en France, mesurée par les parts d’emploi (figure n° 1), ne permet pas d’affirmer que la France créée des emplois dans les services pendant les années 1990 : elle en perd moins que dans les autres secteurs, en particulier moins que dans les emplois routiniers. Par exemple, dans le cas extrême où tout nouveau licencié d’un poste routinier reste définitivement sans emploi, une constance du nombre d’emplois dans les tâches abstraites et manuelles est suffisante pour conduire à une hausse de la part de l’emploi dans ces deux professions. Ce point est omis dans la littérature actuelle sur la polarisation des emplois qui ne traite pas des niveaux de l’emploi, mais seulement de sa structure. Enfin, comme le montrent Karabarbounis et Neiman [2014] les changements technologiques se produisent dix ans plus tard en Europe. Ainsi la chute du taux d’emploi des années 1980 en Europe n’est-elle pas liée aux nouvelles technologies. La chute observée peut s’expliquer par l’augmentation des inefficacités liées aux IMT. Après les années 1990, le changement technologique affecte de façon similaire les tâches, quel que soit le pays (France ou Allemagne), mais les expériences de ces deux pays européens sont différentes. La France ne « transforme » pas ce choc d’offre positif, permis par les nouvelles technologies, en une hausse du taux d’emploi, contrairement à l’Allemagne ou aux Etats-Unis dix ans plus tôt.

6Pour combler cette lacune, nous étendons l’approche d’Autor et Dorn [2013] en modélisant le marché du travail à l’aide de la théorie de la recherche d’emploi d’équilibre : des frictions sur le marché du travail sont introduites et interfèrent avec les choix d’occupation des travailleurs. Une telle modélisation capture i) le niveau endogène des emplois par tâches, ii) les délais coûteux de réallocation liés à des épisodes de chômage et iii) l’incidence des politiques avec un arbitrage entre les gains à court terme de préserver les emplois existants et les gains à long terme liés aux réallocations.

7Dans ce contexte, nous montrons que les réformes des IMT peuvent modifier la vitesse et l’amplitude des réallocations de l’emploi, selon le segment du marché du travail touché par la réforme. En particulier, des programmes généreux d’allocations chômage et de revenus de non-emploi peuvent réduire les incitations pour les entreprises à ouvrir de nouveaux emplois dans le bas de la distribution des salaires, entravant ainsi les réallocations des travailleurs non qualifiés. Des règles différentes de fixation des salaires peuvent également avoir des incidences très contrastées sur la réallocation. Le point crucial est l’ampleur de la rigidité des salaires réels et son effet asymétrique en fonction des professions. Dans les secteurs caractérisés par l’expansion de la demande de travail (dans lequel les salaires réels connaissent une pression à la hausse), des rigidités de salaires réels peuvent introduire une modération salariale, et encouragent donc les entreprises à créer des emplois. A l’inverse, dans les secteurs où la demande de travail est en baisse (pression à la baisse sur les salaires réels), les rigidités de salaires réels accroissent la fragilité des emplois. Mais des normes salariales, conduisant les employés à accepter des salaires proches de ceux issus de négociations passées, ne peuvent pas arrêter le processus de réallocation car les nouveaux emplois, peu demandés dans le passé, partent donc avec un historique de normes salariales peu élevé. A l’inverse, si les normes sociales proviennent d’un acteur externe, l’Etat par exemple dans le cas du salaire minimum, il est possible que le coût du travail ne soit plus compatible avec la faible rentabilité des emplois de reconversion dans les services. Dans ce cas, le processus de réallocation peut être interrompu, et seuls les travailleurs hautement qualifiés peuvent bénéficier des effets des nouvelles technologies. Ainsi les réformes des IMT peuvent-elles affecter le niveau de l’emploi, mais aussi sa structure.

8Le modèle permet en outre une évaluation des effets redistributifs de ces réformes structurelles du marché du travail, en prédisant les salaires et les revenus (qui comprennent les salaires et les revenus de non-emploi, c’est-à-dire des allocations de chômage et des programmes d’aide sociale). Comme nous faisons abstraction du système fiscal et de son évolution, les salaires engendrés par le modèle doivent s’interpréter comme des salaires « super bruts », déterminés par l’évolution des productivités et des prix relatifs : l’impact des évolutions différenciées des systèmes fiscaux est donc au-delà du champ de cette étude. De façon originale, nous exploitons la dynamique du modèle pour calculer une mesure d’inégalité fondée sur les revenus permanents (comptabilisation des revenus actuels et futurs tenant compte des chances d’emploi). La comparaison des indices d’inégalité statique et dynamique permet une meilleure compréhension des effets de répartition des réformes des IMT. Cela permet également de donner une mesure plus réaliste des inégalités perçues car les inégalités de revenu permanent tiennent compte des revenus actuels et des opportunités futures. Ainsi, si une générosité plus faible dans les programmes d’aide sociale et d’allocation chômage rend l’économie plus inégale si l’on se fonde sur les revenus courants (la mesure statique des inégalités), ces réformes, en augmentant les chances de trouver un emploi, comptabilisent les valeurs monétaires des possibilités futures d’emploi qui peuvent alors compenser l’augmentation initiale dans l’inégalité. Ceci suggère qu’une mesure statique des inégalités (basée sur les revenus actuels) pourrait servir à mesurer les conséquences redistributives de court terme des réformes, tandis que celle basée sur une mesure dynamique des inégalités (basée sur le revenu permanent et intégrant les possibilités futures d’emploi) capte mieux les conséquences à long terme.

9Si nos résultats quantitatifs doivent être interprétés avec prudence car le modèle est développé sous les hypothèses d’anticipations parfaites, il apparaît clairement des gains d’emploi aux Etats-Unis résultant de l’évolution technologique et de la polarisation de l’emploi, alors qu’en France, en raison principalement de la dynamique à la hausse du salaire minimum, le changement technologique réduit l’emploi global dans un contexte de polarisation de l’emploi. Le résultat très médiocre en termes d’emplois en France est certes compensé par une moindre augmentation des inégalités de revenus courants, mais aucunement lorsqu’une approche des inégalités de perspectives ou dynamiques est considérée.

Le modèle

10Le modèle est un modèle d’équilibre général dynamique et déterministe avec recherche d’emploi et frictions sur le marché du travail, mettant en exergue les choix d’occupation professionnelle et la polarisation des emplois induite par un changement technologique. Au niveau méthodologique, l’originalité de notre approche est de dépasser les analyses comparant des états stationnaires ou celles représentant l’impact d’un choc transitoire stationnaire : ici, nous analysons toute la dynamique de transition entre les mondes avant et après introduction des nouvelles technologies de l’information. Comme dans toute transition, des types d’emploi n’existeront que pendant cette période particulière, dont ceux nécessitant un apprentissage après une reconversion : ce cadre non stationnaire a nécessité la mise au point d’un algorithme spécifique. Les équations du modèle et l’étalonnage sont présentés dans l’annexe n°1.

11Les éléments constitutifs du modèle sont les suivants.

12– L’économie, composée de deux secteurs : le secteur des producteurs de biens et celui des services. Le secteur de la production de biens utilise trois inputs : i) les travailleurs hautement qualifiés occupant des emplois cognitifs non routiniers (tâches abstraites), ii) les travailleurs non qualifiés employés à exécuter des tâches répétitives (tâches routinières) et iii) du capital technologique (matériel, ordinateurs, machine). Les travailleurs non qualifiés effectuant des tâches routinières peuvent être facilement remplacés par des machines tandis que les travailleurs effectuant des tâches abstraites sont complémentaires aux tâches répétitives (qu’elles soient effectuées par des machines ou des travailleurs peu qualifiés). L’évolution technologique est capturée par une tendance à la baisse du prix des ordinateurs, qui crée une forte incitation pour les producteurs de biens à remplacer la main-d’œuvre non qualifiée par du capital. Le secteur des services emploie seulement des travailleurs non qualifiés effectuant des tâches manuelles non répétitives.

13– La population, composée de travailleurs qualifiés et non qualifiés. Les travailleurs qualifiés sont homogènes. Il existe en revanche un continuum de travailleurs non qualifiés qui diffèrent quant à leurs capacités à effectuer rapidement des tâches routinières. Le modèle détermine de façon endogène quels sont les travailleurs non qualifiés occupant des professions routinières et donc quels sont ceux dans des professions de service. Les non-qualifiés ont des compétences (hétérogènes) homogènes pour exécuter des tâches (routinières) manuelles. Cela reflète l’idée que les ouvriers dans les usines diffèrent dans l’accomplissement de leurs tâches sur la chaîne de montage, alors qu’ils ne diffèrent pas lorsqu’ils sont occupés dans les services manuels (pas de différence en termes de productivité lorsqu’ils exécutent des services manuels).

14– Les flux sur le marché du travail sont résumés par la figure n°3.

Figure 3

Flux sur le marché du travail

Figure 3

Flux sur le marché du travail

Groupe A : les qualifiés effectuent des tâches abstraites. En cas de perte d’emploi, ils restent sur ce segment et cherchent un nouvel emploi abstrait.
Groupe B : les travailleurs non qualifiés peuvent effectuer soit des tâches routinières dans le secteur des biens, soit des tâches manuelles dans le secteur des services. En cas de perte d’emploi d’une firme productrice de biens, le travailleur effectuant une tâche routinière peut changer de secteur s’il offre de meilleures perspectives de revenus (nous l’appelons « mover ») et il rejoint dans ce cas le segment des chômeurs à la recherche d’emplois manuels. Ces nouveaux offreurs de travail manuel diffèrent des autres chômeurs à la recherche d’un emploi manuel parce que i) leur allocation de chômage dépend de la rémunération de leur ancienne profession, ii) ils viennent d’arriver sur le marché des emplois manuels et ils souffrent d’un déficit d’informations sur ces tâches (nécessité d’apprendre un nouveau métier) et sur le processus d’embauche des entreprises de ce marché. Ces nouveaux offreurs de travail manuel apprennent progressivement les tâches et les spécificités du marché, mais initialement leur probabilité de trouver un emploi et leur productivité en tant que travailleurs manuels sont plus faibles que celles de leurs homologues. [2]

15– En raison du processus de recherche d’emploi et des frictions sur le marché du travail, l’embauche prend du temps. Il existe un segment de marché pour chaque niveau de capacité. Les probabilités de trouver un emploi ainsi que celles qu’un poste vacant soit pourvu sont endogènes et déterminées par le nombre d’entreprises et de travailleurs sur chaque segment du marché du travail. Les choix professionnels, en agissant sur le nombre de travailleurs à la recherche d’un certain type d’emploi, modifient directement le taux de chômage dans chaque secteur de l’économie, mais aussi les probabilités de trouver un emploi. Un poste peut être détruit pour des raisons exogènes. Des séparations endogènes peuvent se produire dans le cas de rigidités des salaires, auquel cas un coût de licenciement est payé par l’entreprise. [3]

16– La demande de biens et services provient des ménages qualifiés et non qualifiés qui consomment ces deux biens. Ces deux biens sont plus complémentaires que ne le sont le capital et l’emploi non qualifié dans la fonction de production du secteur des biens manufacturés. Il s’agit d’un élément crucial. En effet, l’adoption de nouvelles technologies par les producteurs de biens manufacturés leur permet d’augmenter leur production, ce qui provoque une baisse des prix des biens manufacturés et donc une augmentation de leur demande. Comme les biens manufacturés et les services sont des compléments, la demande de services augmente également. Si la complémentarité de la demande est plus importante que celle de l’offre, le prix relatif des services augmente, ce qui entraîne une augmentation de la demande de travail et des salaires réels dans le secteur des services. C’est par ce biais que les travailleurs non qualifiés sont incités à basculer vers les emplois de services.

17Quels sont les contextes institutionnels considérés ? Nous observons trois grands pays de l’OCDE représentant des contextes institutionnels différents (voir le tableau n°1), pouvant induire des évolutions contrastées sur le marché du travail au cours du processus de transition technologique :

  • les Etats-Unis, où les salaires sont flexibles et où les institutions facilitent les réallocations des emplois induites par la technologie (formation d’un grand nombre d’employés qualifiés, salaire minimum non contraignant, faibles revenus de non-emploi) ;
  • la France, cas polaire où le marché du travail est rigide, avec un salaire minimum élevé qui augmente au fil du temps en termes réels et où les évolutions des IMT peuvent conduire à un décrochage en termes de chômage global en limitant la réallocation des emplois ;
  • enfin, l’Allemagne, cas intermédiaire, où le marché du travail est assez rigide, mais sans salaire minimum national, les normes salariales étant sectorielles. De plus, l’évolution des IMT a d’abord freiné les réallocations, mais ensuite les réformes du gouvernement Schroeder et des réformes Hartz (réduction des revenus de non-emploi) ont inversé cette tendance lors de la transition technologique.

18Les salaires sont donc le résultat de trois arrangements institutionnels possibles.

19– Négociation à la Nash, où les salaires répondent aux changements de productivité du travail et des tensions sur le marché du travail. Cette modélisation est celle retenue pour les Etats-Unis.

20– Rigidités salariales spécifiques aux secteurs. Nous considérons que chaque branche d’activité a un salaire de référence spécifique (une norme sociale), conduisant le salaire réel à la moyenne pondérée entre le salaire négocié à la Nash et cette norme sociale (comme dans Hall [2005]). Cette modélisation vise à saisir les caractéristiques institutionnelles qui prévalent en Allemagne.

21– Dans le modèle calibré sur les données françaises, introduction d’un salaire minimum réel homogène pour toutes les occupations, dont l’évolution est conforme aux données. Plus précisément, le salaire est défini comme le maximum entre le salaire minimum et celui d’une négociation à la Nash. Lors de l’étalonnage de référence, le salaire minimum est supposé au début de la période considérée être la rémunération de tous les postes manuels et d’une faible fraction des emplois routiniers.

22Concernant l’étalonnage du modèle, certaines valeurs de paramètres sont basées sur des observations/estimations empiriques existantes et les autres sont calibrées pour que le modèle soit en mesure de reproduire un ensemble de moments sélectionnés dans les données. Puisque cet article se concentre sur les tendances en matière d’emploi, les moments choisis dans les données incluent des parts de l’emploi à deux dates différentes, le début et la fin de la période d’échantillonnage, ainsi que la moyenne sur la période de ces parts de l’emploi.

23Les institutions du marché du travail (salaire minimum, revenus de non-emploi et coûts administratifs de licenciement) et le mode de fixation des salaires sont propres à chaque pays, alors que nous considérons que les préférences des consommateurs, la technologie et la répartition des compétences au sein de la main-d’œuvre non qualifiée sont les mêmes entre les pays. En outre, étant donné que le modèle prédit la trajectoire complète de la composition de l’emploi et de son niveau suite à un changement technologique, nous devons définir des valeurs pour les trajectoires « historiques » des institutions du marché du travail, les changements technologiques et l’augmentation de la part de la main-d’œuvre qualifiée dans la force de travail.

24En particulier, nous supposons que :

  • l’évolution technologique (la chute du prix des ordinateurs) commence en 1980 aux Etats-Unis alors qu’elle ne commence qu’en 1990 dans les pays européens mais, grâce à un effet de rattrapage, le changement technologique est deux fois plus rapide en Europe qu’aux Etats-Unis ;
  • nous prenons en compte l’amélioration de l’éducation de la population : la part des travailleurs qualifiés augmente dans tous les pays, même si les niveaux en 1980 ne sont pas les mêmes ;
  • l’évolution des IMT est spécifique à chaque pays et correspond à des tendances générales fournies par les données de l’OCDE (voir l’annexe n°2 pour plus de détails) :
    1. Etats-Unis : nous calibrons un déclin continu des programmes d’aide (revenu inconditionnel, non lié à des activités de marché du travail), du taux de remplacement des allocations-chômage et du pouvoir de négociation des travailleurs.
    2. France : depuis les années 1980, nous intégrons une tendance à la hausse dans la générosité des programmes d’aide, du taux de remplacement, du pouvoir de négociation et du salaire minimum.
    3. Allemagne : notre calibration se caractérise par deux sous-périodes, avec, tout d’abord, comme en France, une tendance à la hausse de la générosité, puis, au début des années 1990, un renversement, avec une baisse du pouvoir de négociation des travailleurs (1990) et de la générosité des programmes d’aide, mais aussi du taux de remplacement (1995).

25Des informations complémentaires sur l’étalonnage sont disponibles dans l’annexe n°2.

L’ajustement du modèle aux données

L’emploi global

26La figure n°4 résume les prédictions du modèle concernant les niveaux de l’emploi global par pays et les taux d’emploi des qualifiés et des non-qualifiés. En ce qui concerne les taux d’emploi (panels supérieurs de la figure n°4), le modèle reproduit la tendance à la hausse constatée aux Etats-Unis jusqu’en 2000, c’est-à-dire les vingt années qui ont suivi le début de la transition technologique. [4] La figure montre aussi le taux d’emploi théorique pour les travailleurs qualifiés et non qualifiés. Dans le modèle, les travailleurs qualifiés et non qualifiés bénéficient de l’évolution technologique aux Etats-Unis : un équilibre est donc trouvé entre la chute des postes routiniers dans l’industrie et la croissance des emplois manuels du secteur des services.

Figure 4

Prédictions des évolutions de l’emploi global aux Etats-Unis, en France et en Allemagne

Figure 4

Prédictions des évolutions de l’emploi global aux Etats-Unis, en France et en Allemagne

27Ce même modèle est également capable de capturer la chute du taux d’emploi français. La reprise en 2000 n’est pas reproduite par le modèle. Une simulation additionnelle (cf. figure n°5) permet de montrer que ce rebond de l’emploi est lié au vaste programme français de réduction des charges sociales pour les travailleurs à faible revenu à partir de 1998. Il en résulte une augmentation du taux d’emploi des travailleurs non qualifiés. Ce changement de politique n’est pas pris en considération dans le modèle de base car lié à une politique spécifique à la France.

Figure 5

Prédictions des évolutions de l’emploi global en France, avec et sans allégement de charges sur les bas salaires

Figure 5

Prédictions des évolutions de l’emploi global en France, avec et sans allégement de charges sur les bas salaires

La polarisation de l’emploi

28Le modèle capte la polarisation de l’emploi dans tous les pays (cf. figure n°6) : les paramètres ont été calibrés de façon à minimiser la distance entre les prédictions du modèle et les données sur les parts d’emploi ; les prédictions théoriques, en particulier le début et la fin de la période analysée, sont donc assez bonnes. En outre, au-delà de ces points extrêmes, les trajectoires prédites sont conformes à celles observées. Les prédictions du modèle sont légèrement différentes des données pour l’Allemagne, mais la tendance reste proche de celle des données.

Figure 6

Prédiction des évolutions des parts d’emploi par tâche aux Etats-Unis, en France et en Allemagne

Figure 6

Prédiction des évolutions des parts d’emploi par tâche aux Etats-Unis, en France et en Allemagne

Les inégalités de salaire et de revenus du travail

29La polarisation de l’emploi induit des changements dans l’offre et la demande de main-d’œuvre pour l’ensemble des tâches. Ce phénomène génère des dynamiques de salaires divergentes sur les différents segments du marché du travail. Les inégalités de salaire et de revenus sont aussi touchées par les institutions du marché du travail. Dans le modèle, les mesures des inégalités peuvent être capturées de deux façons complémentaires. Tout d’abord, en regardant simplement la croissance relative des salaires payés pour les différents groupes (tâches). Deuxièmement, en exploitant la structure à agents hétérogènes du modèle afin de mesurer les changements dans les inégalités de salaire et de revenus grâce à des indicateurs plus standard comme l’indice de Gini. Pour ces deux mesures, le modèle prédit les coûts du travail, i.e. les salaires super bruts, et non les salaires nets, car nous faisons abstraction de la progressivité de la fiscalité et surtout de son évolution : ceci nous permet de mettre en évidence la dynamique des inégalités liée à la déformation des rentabilités relatives des emplois, ce qui est au cœur de notre étude, laissant de côté les changements liés aux évolutions différenciées des systèmes fiscaux (cf. Catherine, Landier et Thesmar [2015] pour une discussion du cas français).

Croissance des salaires par tâche

30La figure n°7 reporte l’effet prédit par le modèle de la polarisation de l’emploi sur la dynamique des salaires. Nous calculons l’augmentation prévue des salaires pour chaque groupe de tâche entre le début et la fin de la transition technologique. [5] Notre modèle est capable de capturer la polarisation des salaires américains mesurés par Autor et Dorn [2013], avec une plus grande croissance des salaires en haut et en bas de la distribution qu’au milieu. [6]

Figure 7

Changement de salaire réel par tâche aux Etats-Unis, en France et en Allemagne

Figure 7

Changement de salaire réel par tâche aux Etats-Unis, en France et en Allemagne

31Les cas de la France et de l’Allemagne illustrent l’impact des règles de fixation des salaires sur la dynamique des salaires. Ces mesures suggèrent que la polarisation des emplois ne se traduit pas en termes de salaire de la même façon dans tous les pays.

32– En Allemagne, le salaire est fixé en référence à une norme sectorielle dont la valeur est basée sur les derniers salaires (la « norme sociale »). Pour les travailleurs effectuant des tâches abstraites dont la demande augmente, le salaire de référence tend à amortir la hausse du salaire tel qu’illustré par la figure n°7. En revanche, pour les travailleurs effectuant des tâches routinières dont la demande est en baisse, le salaire de référence contribue à contenir la baisse des salaires, qui est donc inférieure à celle prédite pour les Etats-Unis.

33– En France, contrairement à l’Allemagne, la croissance des salaires, pour les travailleurs effectuant des tâches abstraites, capte les augmentations de leur productivité (le salaire super brut ne tenant pas compte de la hausse de la fiscalité sur les hauts salaires, et donc du ralentissement relatif des salaires nets en haut de la distribution). Pour ceux effectuant des tâches routinières et les travailleurs manuels, la croissance des salaires provient des augmentations du salaire minimum (en termes réels).

34Afin de bien saisir l’évolution des inégalités, il faut aussi tenir compte de l’évolution du nombre de travailleurs dans chaque groupe, ce que fait la section suivante.

Indice de Gini pour les salaires, les revenus du travail et les revenus permanents

35Le modèle définit un équilibre général avec agents hétérogènes, comprenant des travailleurs effectuant des tâches abstraites, un continuum de travailleurs effectuant des tâches routinières et des travailleurs manuels, ainsi que divers types de chômeurs. Les indemnités chômage sont indexées sur les salaires du dernier emploi, et les perspectives sont spécifiques au bassin d’emploi. Dans cette section, nous mesurons donc l’impact de la polarisation des emplois sur les inégalités des revenus (résumées par l’indice de Gini). Avec des changements dans la demande de main-d’œuvre et une dynamique des choix professionnels, la masse des travailleurs dans chaque bassin d’emploi évolue au fil du temps. Le coefficient de Gini reflète alors deux mouvements : celui dans les masses de travailleurs et celui dans les différentiels de croissance salariale indiqués dans la figure n°7. Les courbes de Lorenz pour chaque pays au début et la fin de la transition technologique sont reportées dans la figure n°8. [7] Nous pouvons alors calculer un coefficient de Gini sur les salaires et comparer les prédictions du modèle aux données.

Figure 8

Inégalité salariale et transition technologique. Courbes de Lorenz au début et la fin de la transition technologique pour chaque pays. Evolution des coefficients de Gini

Figure 8

Inégalité salariale et transition technologique. Courbes de Lorenz au début et la fin de la transition technologique pour chaque pays. Evolution des coefficients de Gini

Source : coefficients de Gini (Etats-Unis : Heathcote, Perri et Violante [2010] ; Allemagne : Fuchs-Schündeln, Krueger et Sommer [2010] ; France : Atkinson, Glaude, Olier et Piketty [1997]).

36– Les prédictions du modèle sur l’évolution de long terme des inégalités salariales américaines sont conformes à celles observées (voir quatrième panel). Toutefois, le modèle à tendance à surévaluer la vitesse d’ajustement de ces inégalités. Ceci s’explique en grande partie par la grande flexibilité du salaire des employés qualifiés qui croît trop rapidement dans le modèle.

37– Le modèle prédit également un Gini stable le long de la transition en Allemagne, ce qui correspond aux estimations effectuées sur les données de salaires allemands. Les données suggèrent un rebond de l’inégalité salariale en 2003, ce qui pourrait être lié aux « mini-jobs », partiellement pris en compte par la réforme des revenus de non-emploi, mais dont nous ne pouvons pas rendre complètement compte dans le modèle.

38– Enfin, le modèle sous-estime (surestime) le niveau du coefficient de Gini en début de période (en fin de période) pour la France. La France se caractérise dans le modèle par une augmentation de l’indice de Gini tout au long de la transition technologique, qui renvoie à la tendance à l’augmentation des salaires en haut de la distribution accompagnée de pertes croissantes d’effectifs au milieu de la distribution. Ceci fait écho à l’accroissement des inégalités de salaires super-bruts mesurées par Catherine, Landier et Thesmar [2015]. Ces deux mouvements dans les effectifs ne sont que partiellement amortis par la hausse du salaire minimum en bas de la distribution.

39Les différences dans les mécanismes de fixation des salaires existants expliquent les évolutions divergentes des inégalités en France et en Allemagne. En Allemagne, comme illustré sur la figure n°7, le salaire de référence limite l’augmentation des salaires pour les qualifiés et la baisse des salaires dans l’industrie, ce qui tend à réduire l’éventail des salaires dans l’économie. En France, même si le salaire minimum réel croissant atténue les inégalités par rapport au centre de la distribution, les inégalités salariales plus grandes qu’en Allemagne proviennent de la plus forte augmentation des salaires les plus élevés (rappelons ici qu’il s’agit des salaires super-bruts).

Inégalités de revenu courant et inégalités de revenus permanents

40Nous rapportons les coefficients de Gini prédits sur les revenus, incluant salaires et revenus de substitution (figure n°9 [8]). Comme les agents n’épargnent pas dans le modèle, le revenu comprend seulement les salaires et les revenus de non-emploi (aides sociales et allocations de chômage).

Figure 9

Inégalités de revenus courants

Figure 9

Inégalités de revenus courants

41Entre le panel du haut (les salaires) et le panel du bas (les revenus) toutes les courbes de Gini de la figure n°9 se décalent vers le haut. En effet, la population comprend maintenant des agents ayant de faibles revenus, i.e. les revenus associés au non-emploi. Aux Etats-Unis, la hausse des inégalités tient maintenant compte de la baisse de la générosité de ces revenus du non-emploi. C’est également le cas en Allemagne après 1995. L’Allemagne affiche désormais une hausse constante des inégalités de revenus. La différence initiale des inégalités mesurées par le Gini entre la France et l’Allemagne vient de l’aide sociale et des allocations chômage plus élevées en Allemagne en 1990.

42En France, les évolutions des indices de Gini sur les salaires et les revenus sont semblables. Comme il ressort de l’évolution des courbes de Lorenz, les travailleurs non qualifiés en poste ont tendance à perdre pendant le processus de transition : ils perdent des postes de tâche routinière et leurs salaires augmentent moins que sur les autres segments du marché du travail (figure n°7). De leur côté, les travailleurs qualifiés sont les gagnants de l’évolution technologique. Ce changement dans les chances d’emploi domine la hausse du salaire minimum et des revenus du non-emploi (hausse des programmes d’aide et des prestations de chômage). Ainsi, en France, les programmes d’assistance et les allocations de chômage de plus en plus généreux ne parviennent pas à atténuer la hausse des inégalités induite par la croissance des salaires de la partie supérieure de la distribution des salaires (ce qu’illustre la figure n°7). Néanmoins, la France est le pays où les travailleurs les plus pauvres sont relativement les moins pauvres : cette situation est naturelle lorsque la progressivité des cotisations sociales est prise en compte et lorsque l’on raisonne sur les revenus nets. Elle demeure dans une analyse des revenus bruts grâce à la hausse du salaire minimum et des allocations de non-emploi. Son coût est que le nombre de travailleurs non qualifiés sans emploi est de plus en plus grand.

43Le coefficient de Gini capture les inégalités de revenu courant (point de vue statique). Ainsi, il offre une image de la dispersion du revenu instantané. Toutefois, nous pensons que les inégalités perçues doivent aussi tenir compte des possibilités d’emploi futures qui changent avec l’évaluation des changements technologiques (point de vue dynamique).

44Pour ce faire, nous calculons une mesure des inégalités fondées sur le « revenu permanent », qui tient compte des possibilités d’emploi futures pour chaque groupe de travailleurs. [9] Ainsi, s’il n’y a aucune mobilité d’emploi à emploi dans l’économie (ou d’une occupation à l’autre), cette mesure est la même que l’inégalité des revenus courants. En revanche, si la mobilité est importante, l’état actuel ne fournit pas d’informations sur le revenu de demain. Ainsi tout travailleur peut incorporer dans son revenu actuel la valeur actualisée de ses revenus futurs (un gain si le travailleur est au bas de la distribution, une perte s’il est en haut). Les résultats sont présentés dans la figure n°10.

Figure 10

Coefficients de Gini avec les revenus actuels par rapport aux revenus permanents

Figure 10

Coefficients de Gini avec les revenus actuels par rapport aux revenus permanents

45– Etant donné que le taux d’emploi global augmente aux Etats-Unis et en Allemagne après 1995, les chances de devenir employé augmentent. De fait, les courbes de Gini relatives aux revenus permanents se déplacent vers le bas par rapport à leurs homologues sur le revenu courant. En France, la mobilité sur le marché du travail existe aussi, conduisant la courbe de Gini sur revenus permanents à se déplacer aussi vers le bas par rapport à son homologue ne tenant compte que des revenus actuels. Cependant, au début de la transition technologique, ce déplacement est faible (un écart de 0,01 entre les courbes de Gini sur le revenu permanent et actuel) par rapport à ce que l’on prédit pour les Etats-Unis ou l’Allemagne (écart de Gini de 0,02). Cette légère différence dans le cas français traduit le fait que la France n’améliore pas ses possibilités d’emploi comme le font l’Allemagne et les Etats-Unis.

46– Fait intéressant, lorsque l’on considère le revenu permanent, la France apparaît aussi inégalitaire que les Etats-Unis. Ceci montre que la contribution des plus faibles opportunités d’emploi l’emporte sur les hausses du salaire minimum, ainsi que sur celles des revenus accordés par les programmes d’aide et les allocations de chômage. [10]

Le changement technologique est-il une opportunité ou un risque ? Expériences contrefactuelles aux Etats-Unis et en France

47Quelle aurait été la croissance de l’emploi sans les changements technologiques, ou sans l’augmentation de l’offre de main-d’œuvre qualifiée ? En raison de la complexité du modèle et des effets d’équilibre général, il est difficile de mesurer les rôles respectifs du progrès technologique biaisé, de l’offre de travail et celui lié aux changements de IMT. Afin de comprendre les forces qui sont derrière les mouvements de l’emploi, nous effectuons une analyse contrefactuelle. Nous étudions deux scénarios alternatifs : nous calculons la transition en l’absence de progrès technologique biaisé, et ensuite en l’absence d’une hausse de la part des qualifiés dans l’offre de travail. Dans le premier scénario, l’évolution de l’emploi résulte donc des dynamiques de l’offre de travail et des IMT, alors que dans le deuxième scénario elle n’est le produit que des dynamiques des IMT et du progrès technologique biaisé.

Les Etats-Unis : quand les nouvelles technologies conduisent à des gains en emploi

48La figure n°11 montre que l’économie américaine connaît une polarisation de l’emploi : l’emploi routinier chute alors que les taux d’emploi sur les postes manuel et abstrait augmentent. Nos résultats sont cohérents avec Autor et Dorn [2013] qui soulignent que le progrès technologique biaisé est la force principale derrière l’évolution des parts d’emploi. Il en résulte une forte hausse du taux d’emploi global d’environ 8 points de pourcentage (entre le début et la fin de la transition, le taux d’emploi monte de 0,72 à 0,80).

Figure 11

Les Etats-Unis – trajectoire de référence et scénarios contrefactuels

Figure 11

Les Etats-Unis – trajectoire de référence et scénarios contrefactuels

49L’impact du progrès technologique biaisé tel qu’il opère dans notre modélisation peut être décomposé comme suit :

50• L’impact direct du changement technologique biaisé sur le marché du travail.

51– La baisse du prix des ordinateurs conduit à une baisse de la demande de tâches routinières. L’effet total est une baisse à la fois du nombre de ce type d’emplois et des salaires de ces travailleurs.

52– A l’opposé, le changement technologique biaisé augmente la productivité des tâches abstraites. Malgré un effet d’éviction induit par la négociation salariale, l’effet total est une augmentation à la fois du taux d’emploi et des salaires de ces travailleurs.

53– Ce choc d’offre entraîne un accroissement de l’offre de biens manufacturés et des départs des travailleurs non qualifiés vers des tâches manuelles.

54• Les effets d’équilibre général.

55– Ce choc d’offre génère également des revenus supplémentaires. Les demandes de biens et de services augmentent. Etant donné que le marché des biens est également affecté par le choc d’offre positif, l’augmentation du prix des services est nécessairement plus grande que celle observée dans le marché des biens. Par conséquent, le prix relatif des services augmente.

56– L’effet de rétroaction sur le marché du travail amplifie l’impact initial du choc d’offre. En effet, le rendement marginal des services augmente, ce qui conduit à attirer plus de travailleurs vers le marché du travail des services.

57Que ce serait-il passé en l’absence de changement technologique ?

58La figure n°11 montre que le niveau de l’emploi routinier aurait augmenté au début de la transition technologique en raison de la légère baisse supposée du pouvoir de négociation des travailleurs qui réduit les salaires négociés et incite les employeurs à poster plus de postes vacants. Il n’y aurait donc pas eu de réallocation entre secteurs. L’emploi dans les services diminue même légèrement, ce qui signifie que la hausse de l’emploi global est presque entièrement régie par le choc d’offre de travail qui accroît la part des qualifiés et donc le travail abstrait. En effet, le progrès technologique biaisé amplifie la hausse des emplois abstraits car il accroît le niveau de capital et donc la productivité de ces postes de travail. En l’absence de progrès technologique biaisé, la croissance de l’emploi aurait été de 4 points de pourcentage (de 0,72 à environ 0,76) plutôt que les 8 points de pourcentage dans l’économie de référence. Sans changement technologique, l’augmentation de l’emploi aux Etats-Unis aurait donc été deux fois plus faible.

59Lorsque nous supprimons l’augmentation du niveau d’éducation, en plus de la dérive liée au progrès technologique, l’économie enregistre alors une faible augmentation de l’emploi abstrait. A son tour, l’emploi global diminue par rapport au scénario de référence. L’écart entre la trajectoire de référence et ce scénario hypothétique est de 1,5 %, ce qui suggère que sans la hausse de l’offre de main-d’œuvre qualifiée la croissance de l’emploi américain aurait été de 20 % inférieure (1,5 point de pourcentage divisé par 8pp).

La France, ou comment transformer des opportunités technologiques en pertes d’emploi

60En France, l’économie de référence connaît une baisse de l’emploi de l’ordre de 7 % : sur la figure n°12, le taux d’emploi global passe de 0,63 à 0,56. Malgré l’augmentation de l’emploi dans les tâches abstraites, la chute de l’emploi peu qualifié (tâches routinières et tâches manuelles dans les services) explique la tendance à la baisse de l’emploi global. Alors que le secteur des biens manufacturés emploie de moins en moins de main-d’œuvre sur des postes où les tâches sont routinières, le secteur des services ne génère pas d’augmentation significative de l’emploi. En d’autres termes, il n’y a pas de réallocations des postes routiniers de l’industrie vers les tâches manuelles des services, certains travailleurs non qualifiés restant sans emploi.

Figure 12

La France – Trajectoire de référence et scénarios contrefactuels

Figure 12

La France – Trajectoire de référence et scénarios contrefactuels

61Les institutions du marché du travail peuvent modifier l’allocation et sa dynamique à travers les règles de fixation des salaires : le processus de négociation peut introduire une dynamique spécifique des options extérieures (allocations chômage et autres prestations de non-emploi) et enfin, un salaire minimum peut être un substitut au salaire négocié pour les travailleurs faiblement rémunérés. L’effet de base de l’hétérogénéité des IMT entre la France et les Etats-Unis est l’écart de taux d’emploi, et non la structure des emplois. En particulier, la montée du salaire minimum pendant la transition technologique peut annuler les effets positifs de ces nouvelles opportunités sur la demande de travail dans les services, conduisant les travailleurs licenciés des postes où ils effectuaient des tâches routinières à ne plus avoir aucune nouvelle opportunité.

Les emplois sur des tâches routinières

62La rigidité à la baisse des salaires réels sur les emplois les plus fragiles, induite par le salaire minimum, conduit un grand nombre de postes à converger au salaire minimum : cela génère une concentration de travailleurs faiblement rémunérés au salaire minimum. Sur ces postes, les ajustements en prix n’étant plus possibles, toute hausse du progrès technologique biaisé conduit alors à des licenciements.

Les emplois sur des tâches manuelles

63Dans le secteur des services, la croissance est assurée par la hausse du prix de service avec un coût unitaire constant, le salaire minimum. La croissance de l’emploi est cependant lente parce que le nombre de postes vacants est plus faible (effet du niveau du salaire minimum) et aussi parce que le nombre de travailleurs qui choisissent d’occuper ce segment du marché du travail est plus faible qu’aux Etats-Unis.

Les emplois en apprentissage dans les services

64Si le niveau du salaire minimum est très élevé, l’écart entre la productivité et le coût d’un nouvel employé dans les services peut être quasiment nul, conduisant alors à une absence d’opportunité de réallocation pour les exclus du secteur manufacturier.

65Alors que dans le scénario de référence le progrès technologique biaisé génère une chute de l’emploi, l’économie française sans progrès technologique biaisé aurait été mieux lotie. Toutefois, du fait de la hausse des distorsions induites par la dérive des IMT en France, le taux d’emploi global chute encore dans le long terme de 2 %, de 0,63 à l’état stationnaire initial à 0,61 environ à l’état stationnaire final. Cependant, cette baisse est inférieure à celle observée dans le scénario de référence (7 %). Nous concluons donc que sans changement technologique la baisse de l’emploi français aurait été réduite de 70 %.

66Il faut souligner que cette dynamique a été partiellement contrée par la politique de baisse des charges sur les bas salaires mise en place pour limiter les effets pervers du Smic sur l’emploi. Le graphique n°5 montre alors que le progrès technique est mieux accommodé dans ce contexte de modération du coût du travail non qualifié.

67Par ailleurs, une économie contrefactuelle sans élévation du niveau d’éducation et sans progrès technologique biaisé, affiche une baisse plus importante de l’emploi global (0,63 à 0,51) que dans le scénario de référence (0,63 à 0,56). Le modèle prédit également que, sans l’augmentation de la part de l’offre de travail qualifié, la chute de l’emploi aurait doublé. L’amélioration du niveau de scolarité amortit donc considérablement les conséquences défavorables de l’évolution technologique : une plus grande part de la population est à l’abri de l’exclusion provoquée par un marché du travail incapable de réallouer l’emploi des non-qualifiés.

68Cet article développe un modèle multi-sectoriel d’appariement avec des choix d’occupation professionnelle dans un contexte de changement technologique biaisé réduisant la demande d’emplois routiniers. Ce modèle permet de mesurer le poids de la dynamique des changements des institutions du marché du travail sur l’emploi global, la polarisation de l’emploi et les inégalités observées aux Etats-Unis et dans les pays européens. Nous considérons les cas des Etats-Unis, de la France et de l’Allemagne qui sont représentatifs de paramètres institutionnels différents et ont donc le potentiel de générer des trajectoires temporelles divergentes quant à l’évolution de la situation sur le marché du travail au cours du processus de transition technologique.

69Aux Etats-Unis, nous constatons des gains d’emploi résultant de l’évolution technologique et de la polarisation de l’emploi, alors qu’en France, en raison principalement de la dynamique à la hausse du salaire minimum, le changement technologique réduit l’emploi global dans un contexte de polarisation de l’emploi. Avec les expériences contrefactuelles, nous prédisons les variations hypothétiques de l’emploi global sans changement technologique ou sans augmentation de l’offre de main-d’œuvre qualifiée. Aux Etats-Unis, sans changement technologique (ou sans l’augmentation de la main-d’œuvre qualifiée), la croissance de l’emploi aurait été réduite de moitié (de 20 %). En France, les changements dans les institutions du marché du travail, en particulier l’augmentation du salaire minimum, affectent négativement les nouvelles opportunités d’emploi dans les métiers manuels : la réallocation des travailleurs des postes où les tâches sont routinières vers des emplois manuels des services est nulle avant le début des années 2000, faute de créations d’emplois dans les services. La polarisation de l’emploi en France ne fait que refléter la chute de l’emploi global : les pertes d’emploi au milieu de la distribution des salaires ne sont pas compensées par des hausses aux deux extrémités. Dans ce contexte, la part de l’emploi manuel augmente malgré tout, mais sans réelles créations nettes. Ainsi, en l’absence de changement technologique, la baisse de l’emploi français aurait été réduite de 70 % : la dérive des institutions du marché du travail transforme donc les opportunités technologiques en pertes d’emploi. Toutefois, la politique de baisse du coût du travail au niveau du Smic (baisse des charges sur les bas salaires expérimentée en France depuis le milieu des années 1990) a permis de réduire ces effets négatifs du progrès technique sur l’emploi en France. Le modèle prévoit également que, sans l’augmentation de l’offre de main-d’œuvre qualifiée, la chute de l’emploi français aurait doublé. L’amélioration du niveau de scolarité amortit les conséquences défavorables de l’évolution technologique. Il est donc clair que l’effort d’éducation doit être soutenu, mais qu’il n’est pas suffisant pour réduire le phénomène d’exclusion de l’emploi chez les non-qualifiés, i.e. pour ceux qui ont déjà été exclus du système scolaire. Dans ces moments de turbulences liés à de profonds changements technologiques, la rigidité du marché du travail français et ses normes protégeant ceux qui sont en emploi sans anticiper leurs futures réallocations vers de nouveaux emplois réduisent les chances d’insertion des moins qualifiés.

70Cette étude souffre de limites, nombreuses, qui seront levées dans de futurs travaux de notre programme de recherche. Ainsi, une première extension consistera à intégrer plus finement la fiscalité. Au-delà de son impact différencié sur les différents types d’emploi, la prise en compte d’un accroissement de la progressivité de l’impôt en France pourrait modérer nos conclusions sur l’évolution des inégalités en France lorsqu’elles sont mesurées à partir des salaires nets, comme Catherine, Landier et Thesmar [2015] l’ont déjà documentée.

71Notre modèle intègre les réponses des entreprises et des employés à des variations exogènes du prix des achats d’input en biens informatiques. La baisse de ce prix est exogène : les conditions de production de cet input peuvent être différentes dans chaque pays, en raison de l’hétérogénéité des conditions d’embauche. Il serait donc intéressant d’étudier le développement endogène de ce secteur innovant (la production de matériel informatique) et d’avoir alors une évolution endogène du prix de cet input.

72Une autre limite de notre analyse est de se centrer sur les institutions spécifiques au marché du travail. Toutefois, de nombreuses études empiriques ont montré que des inefficiences sont aussi présentes sur le marché des biens. Ces biais de concurrence et/ou barrières à l’entrée sont d’autres freins à la réallocation que nous devons prendre en considération. Une première extension avec un nombre endogène de firmes à la Melitz [2003] nous permet d’évaluer l’impact des réductions des barrières à l’entrée sur les marchés des biens manufacturés et des services (Albertini, Hairault, Langot et Sopraseuth [2016]). Mais, ces extensions devront à terme ternir compte de l’ensemble des contraintes liées à l’équilibre général, en particulier celles venant des incitations à investir en capital physique, souvent très dépendantes des inefficiences sur les marchés des biens, du travail mais aussi du crédit.

Cette recherche a été soutenue par la Deutsche Forschungsgemeinschaft, par le SFB 649 « risque économique » et le Cepremap (ENS, Paris).
Les auteurs remercient Andrea Bassanini, Michael Burda, Federico Cingano, Alain Delacroix, Raquel Fonseca, Grégory Jolivet, Stephano Scarpetta et Hélène Turon pour leurs commentaires utiles. Ils remercient également les participants à l’école d’hiver ETEPP d’Aussois [2015], aux séminaires des universités de Bristol [2015], de l’UQAM [2015] et de Louvain-la Neuve [2015], et à ceux des Conférences T2M (Berlin, [2015]), de la Société canadienne de sciences économiques (Montréal, [2015]), et de celle en l’honneur de C. Pissarides (ScPo Paris, [2015]).

Annexe 1

Le modèle

73Le modèle est un modèle d’équilibre général dynamique avec frictions d’appariement et où les choix d’occupation des travailleurs sont endogènes.

Le cadre général

tableau im15
Fonction de consommation Secteurs (technologie) Consommations intermédiaires Facteurs de production Tâches des travailleurs Type de travailleurs Technologie de production Biens (Cobb-Douglas) Y g Bien de haute technologie l a Abstraites, nonroutinières Très qualifiés Bien à faible contenu technologique l Routinières Non-qualifiés ces (l, k) r (élasticité de substitution : 1 k Hétérogènes 1−σ) ces (c, C s) (élasticité de substitution : Services (linéaire) Y s l m Manuelles Non-qualifiés Homogènes n Lm Mobilités récentes 1 1−ρ) o Lm Mobilités anciennnes

Le cadre général

Note : sous chaque mention CES, l’élasticité de substitution correspondante.

74L’économie est constituée de deux secteurs : l’un produisant des biens, l’autre des services. (Cette décomposition est faite dans le but d’éviter une complexité inutile d’une négociation salariale dans des grandes firmes).

75• Le secteur produisant des biens utilise deux biens intermédiaires : un bien de haute technologie et un bien à faible contenu technologique.

76Le bien de haute technologie est produit par des travailleurs très qualifiés dont les emplois sont abstraits et non routiniers La.

77Le bien de faible technologie est produit par i) des travailleurs non qualifiés dont les emplois sont routiniers Lr et ii) une technologie de production (équipement, ordinateurs, machines) K.

78Pour la production des biens à faible contenu technologique, les travailleurs non qualifiés peuvent être remplacés par des machines alors que pour les biens de haute technologie, les travailleurs très qualifiés sont complémentaires aux tâches répétitives (qu’elles soient effectuées par des machines et/ou par des travailleurs qualifiés).

79• Le secteur des services emploie uniquement des travailleurs non qualifiés Lm effectuant des tâches manuelles (telles que les aides à la personne, techniciens de surface, concierges, serveurs, etc.).

80L’offre de travail est composée de travailleurs qualifiés et non qualifiés.

81• Les travailleurs qualifiés sont homogènes et effectuent tous des tâches abstraites (non routinières et cognitives).

82• Il y a un continuum de travailleurs non qualifiés qui diffèrent selon leur niveau de qualification η. Le modèle détermine de façon endogène comment les travailleurs non qualifiés effectuent leur choix d’occupation, en calculant le seuil de qualification η en dessous duquel le travailleur choisit de chercher un emploi de type manuel. Les travailleurs non qualifiés sont homogènes (hétérogènes) dans l’accomplissement de tâches manuelles (routinières).

83La figure n°3 de l’article décrit les flux sur le marché du travail et les choix d’occupation. Le marché du travail est caractérisé par des frictions de recherche et d’appariement à la Mortensen et Pissarides [1994]. Il y a un sous-marché du travail pour chaque type d’occupation et chaque niveau de qualification η pour les emplois routiniers. La recherche d’emploi est supposée dirigée, i.e. les chômeurs ayant un niveau de qualification η ne cherchent que des emplois requérant ce niveau de qualification. Sur chacun de ces sous-marchés, le processus de rencontre entre une entreprise et un chômeur est aléatoire. Il n’y a pas de recherche d’emploi pendant un épisode d’emploi. Mt désigne le nombre d’embauches par période sur chaque segment du marché du travail (abstrait, routinier et les différents types d’emplois manuels). Il est déterminé par la fonction d’appariement à rendement constant :

84

equation im16

85Y > 0 est un facteur d’échelle mesurant l’efficacité de la fonction d’appariement, Vt définit le nombre d’emplois vacants et Ut correspond au nombre de personnes dans le non-emploi.

86

equation im17

87correspondent respectivement aux probabilités de trouver un emploi pour un chercheur d’emploi et de pourvoir un emploi vacant pour une firme. La tension sur le marché du travail est donnée par θt = Vt/Ut.

Fonctions valeurs, choix d’occupation et demande de biens

Offre de travail et revenus

88L’économie comporte des biens et des services. Toutes les équations qui suivent sont exprimées en termes de biens, dont le prix est normalisé à 1. Les fonctions valeurs des travailleurs et des chercheurs d’emploi sont définies à partir des flux de travailleurs décrits à la section précédente. Tous les travailleurs et les sans-emploi sont neutres au risque.

89• Valeur des travailleurs

90Qualifiés

91

equation im18

92Manuels

93

equation im19

94Routiniers, susceptibles de devenir manuels

95

equation im20

96Manuels, ex-routiniers « anciens »

97

equation im21

98Manuels, ex-routiniers « nouveaux »

99

equation im22

100Pour les sans-emploi on a :

101– qualifiés (non susceptibles de changer de catégorie)

102

equation im23

103– manuels (non susceptibles de changer de catégorie)

104

equation im24

105– routiniers, susceptibles de devenir manuels

106

equation im25

107– manuels, ex-routiniers « anciens »

108

equation im26

109– manuels, ex-routiniers « nouveaux »

110

equation im27

111L’équation 1 donne la valeur d’un travailleur dans un emploi de type abstrait. Son salaire est wa, s est le taux de séparation exogène et Ua,+1 représente la valeur d’un sans-emploi à la période suivante. L’équation (2) est l’équivalent pour un travailleur dans un emploi manuel. Dans la fonction valeur des travailleurs routiniers, le choix d’occupation est capturé par l’opérateur max (Ur,+1(η),Unm,+1) lorsque le travailleur est licencié (équation (3)). Le taux de séparation exogène s définit alors le rythme auquel les travailleurs sont confrontés au problème du changement d’occupation. Si les sans-emploi issus d’emplois routiniers décident de changer d’occupation, ils rejoignent le groupe des sans-emploi cherchant un emploi manuel. Dans ce groupe, nous distinguons trois catégories :

112• Les chercheurs réguliers d’emploi qui ont été licenciés d’un emploi de type manuel et qui obtiennent alors des indemnités au titre de l’assurance chômage zm (cf. équation (7)).

113• Les nouveaux « movers » qui viennent juste de rejoindre le groupe des travailleurs manuels après avoir été licenciés d’un emploi routinier (cf. équation (10)). Ils obtiennent une indemnité chômage basée sur leur précédente occupation (zr(η)) et leur niveau de qualification η, ce qui affectera leur salaire négocié lorsqu’ils trouveront un emploi de type manuel (wnm(η) de l’équation (5)).

114• Les anciens « movers » sont des ex-travailleurs routiniers ayant changé d’occupation et qui ont eu accès à un emploi manuel. Après s’être séparés de leur employeur dans cet emploi manuel, ils sont de nouveau à la recherche d’un emploi et bénéficient d’un niveau d’allocation chômage zm (cf. équation 9). Leur salaire négocié wom ne dépend pas du niveau de qualification η(cf. équation (4)). Ils se distinguent des chercheurs réguliers d’emploi car ils n’ont pas encore terminé les processus d’apprentissage des tâches manuelles.

115Pour des raisons pratiques, nous supposons que la recherche est dirigée de sorte que chaque type de sans-emploi cherche un emploi manuel (équations (7), (9) et (10)) correspondant à son type (équations (2), (4) et (5)).

116Tous les movers, qu’ils soient nouveaux ou anciens, peuvent obtenir un emploi manuel régulier avec une probabilité λ. Ce taux caractérise le rythme d’apprentissage pour devenir un travailleur manuel. Cette hypothèse est cohérente avec de nombreux travaux montrant que le capital humain est spécifique aux tâches et aux occupations des travailleurs (Poletaev et Robinson [2008], Kambourov et Manovskii [2009], Cortes [2015]). Ce capital humain est perdu en cas de changement d’occupation.

Préférence des ménages et demande de biens

117Le modèle comprend plusieurs types de ménages, un pour chaque type d’emploi et de chômeur. Nous supposons qu’il n’y a pas d’épargne et que tous les ménages ont les mêmes préférences. Leur panier de consommation est noté C et inclut des biens Cg et des services Cs.

118

equation im28

119equation im29 est l’élasticité de substitution entre les biens et les services.

120Pour chaque agent, la contrainte budgétaire est la suivante, le revenu I pouvant être soit l’un des salaires soit l’un des revenus de remplacement :

121

equation im30

122La règle de partage optimal du panier de biens de consommation est donnée par :

123

equation im31

124le prix des biens étant posé égal à l’unité. Les fonctions de demande sont :

125

equation im32

126L’indice des prix à la consommation est donné par :

127

equation im33

Production de biens

128La fonction de production dans le secteur des biens combine des travailleurs qualifiés et un input à faible contenu technologique, qui lui-même combine du travail non qualifié et du capital. Les travailleurs non qualifiés et le capital sont très facilement substituables pour effectuer des tâches routinières alors que les travailleurs qualifiés et les tâches répétitives sont plutôt complémentaires. Nous ne considérons pas la même technologie de production que Autor et Dorn [2013] car la négociation salariale des travailleurs qualifiés et non qualifiés nous oblige à garder des rendements d’échelle constants. Pour cette raison, nous présentons le programme de la firme productrice de biens comme une combinaison de deux biens différenciés, l’un produit par du travail abstrait La et l’autre par la combinaison du capital et de travailleurs non qualifiés.

129Le programme de la firme combinant ces deux biens intermédiaires est le suivant :

130

equation im34

131pz1 et pz2 sont les prix des biens intermédiaires de haute et de faible technologies utilisés pour produire des biens finaux. Ces biens intermédiaires sont échangés sur un marché concurrentiel. L’équation (11) correspond à la fonction de production.

132– Le comportement des entreprises produisant des biens de haute technologie est décrit par le programme :

133

equation im35

134sous les contraintes :

135

equation im36

136La production Yz1 est une fonction linéaire (équation (12)) du travail qualifié. Les entreprises payent un coût ca par emploi vacant posté en vue de l’embauche de travailleurs.

137– Le comportement des entreprises produisant des biens à faible contenu technologique est décrit par le programme :

138

equation im37

139sous les contraintes :

140

equation im38

141Πz2 représente le profit issu de la production Yz2. K est le capital technologique et pk son prix. Le coût de postage d’un emploi vacant est cca. L’équation (14) décrit la fonction de production où σ détermine l’élasticité de substitution entre les facteurs equation im39 représente la pondération dans la CES de chaque facteur. Les équations (15) et (13) décrivent l’évolution du nombre d’employés étant donné la probabilité q de pourvoir les emplois vacants V. L’équation (16) traduit une condition de profitabilité de la relation d’emploi en présence de coûts de licenciement FC : lorsque l’emploi est rentable alors Πz2 = Πz2L,(η)>0 et l’emploi est supérieur à zéro, alors que lorsque l’emploi n’est plus rentable, la firme paie un coût unitaire par licenciement égal à un montant FC pour les Lr(η) personnes concernées. Cette équation détermine à quelle date les emplois du secteur en déclin – les emplois routiniers – sont détruits.

Production de services

142Le programme d’une firme représentative consiste en la maximisation de son profit :

143

equation im40

144sous les contraintes :

145

equation im41

146AS > 0 est un paramètre d’échelle caractérisant la productivité relative des différents types d’emplois. La fonction de production (équation (17)) combine les différents types d’emplois manuels peu qualifiés : « new » et « old movers » (Lm, Lnm(η) et Lom). δ est un paramètre d’échelle capturant la plus faible productivité d’un nouveau travailleur manuel après un changement d’occupation. Enfin, ps est le prix relatif des services par rapport aux biens. L’équation (18) représente l’évolution de l’emploi manuel occupé par des travailleurs expérimentés : les destructions se font au taux exogène s et les embauches au taux endogène qm. Mais les entrées dans ce stock d’emploi viennent aussi des sorties du processus d’apprentissage qui s’opèrent au taux (1−s) λ, combinant la probabilité pour l’emploi de ne pas être détruit 1−s à celle de terminer sa formation λ. Les équations (19) et (20) donnent l’évolution des emplois manuels pour les travailleurs non expérimentés : la chance de rester dans cet état est donnée par la combinaison que l’emploi soit détruit 1−s et la probabilité de ne pas avoir terminé son apprentissage 1−λ. Les probabilités de contacts dépendent du salaire de réservation des individus et sont respectivement qom et qnm (η).

Fixation du salaire

147Les trois pays considérés diffèrent quant à la fixation du salaire. Avant d’entrer dans les spécificités institutionnelles de chacun, nous présenterons la négociation à la Nash entre un travailleur et une firme pour chaque type d’emploi (abstrait, routinier et manuel). Le salaire est fixé de sorte à maximiser le surplus joint d’une relation d’emploi :

148

equation im42

149VFt correspond à la valeur marginale d’un emploi pour une firme et VHt à la valeur marginale d’un emploi pour un travailleur. γ est un paramètre déterminant le pouvoir de négociation du travailleur permettant de s’accaparer une partie de la rente issue d’une relation d’emploi.

150Pour tous les emplois, nous appliquons la règle :

151

equation im43

152Etant donné que nous introduisons des rigidités réelles, représentées par le salaire minimum mw, l’équilibre est défini uniquement si wHr < wB < wFrwHr et wFr sont respectivement le salaire de réserve d’un travailleur et celui d’une firme. Ces salaires de réserve sont tels que VHr (wFr) = 0 et VHr (wHr) = 0. Nous ajoutons ces contraintes dans l’algorithme.

Equilibre général

153La production de services est égale à la consommation totale de services par les différents ménages (travailleurs et chômeurs, quels que soient les types d’emploi, abstrait, routinier ou manuel) :

154

equation im44

155L’équilibre est également déterminé par les conditions d’équilibre sur le marché des biens ainsi que la condition d’équilibre général d’offre et de demande de biens :

156

equation im45

157equation im46 représente les coûts d’embauche et pkK les coûts des ordinateurs où leur prix unitaire est exogène. Le prix relatif d’équilibre est déterminé par la demande relative de biens et services :

158

equation im47

159Il est important de noter que le prix relatif des services répond aux changements de production et donc à l’évolution des coûts des facteurs de production (ordinateurs et travail).

Annexe 2

La calibration

160Certains paramètres sont communs à tous les pays et d’autres sont spécifiques à chacun d’eux.

Paramètres communs

161Ils concernent les préférences, la fonction d’appariement et la vitesse d’apprentissage d’une nouvelle occupation. Le facteur d’escompte β est de 0,99 de sorte que le taux d’intérêt réel annuel est de 4 %. Les travailleurs qualifiés ne sont pas éligibles aux programmes sociaux (h = 0). Le taux de séparation est fixé à 1,25 %. Cette valeur est cohérente avec les taux de destruction des emplois en France et en Allemagne (Elseby et al. [2008]), sous-estimant alors le taux de destruction des Etats-Unis, ce qui minimise le phénomène de réallocation dans ce pays. L’élasticité de la fonction d’appariement est fixée à 0,5, suivant Petrongolo et Pissarides [2001]. La calibration du coût de postage d’un emploi vacant c est basée sur les informations fournies dans Barron et al. [1997]. Ces auteurs estiment ce coût à 17 % du salaire hebdomadaire (sur une base de 40 heures de travail avec neuf candidats par emploi vacant et deux heures de temps de travail par candidat). Nous obtenons c = 0,15 et supposons que le coût de postage d’un emploi vacant pour les travailleurs qualifiés est deux fois plus élevé que celui d’un emploi de non-qualifié : ca = 2c (Acemoglu [2001], Krause et Lubik [2006], Hagedorn et al. [2014]). Le coût de mobilité est résumé par le paramètre δ impliquant que la productivité des personnes ayant changé récemment d’occupation est 10 % plus faible que celle de ceux ayant une expérience dans les services. Ce point corrobore l’idée de Poletaev et Robinson [2008], ainsi que les estimations de Cortes [2015] selon lesquelles une partie importante du capital humain est spécifique aux tâches et aux occupations. Ainsi une partie non négligeable du capital humain est perdue en cas de changement d’occupation. Enfin, le processus d’apprentissage d’une nouvelle tâche dure en moyenne trois ans pour les travailleurs venant d’emplois routiniers et allant vers des emplois manuels (voir également Cortes [2015]).

Paramètres issus d’informations externes

tableau im48
Paramètre Valeur Les caractéristiques de l’appariement c Le coût de postage d’un emploi vacant pour les non-qualifiés 0,15 c a Le coût de postage d’un emploi vacant pour les travailleurs qualifiés 0,30 Ψ L’élasticité de la fonction d’appariement 0,5 s = s a Les taux de séparation 1,25 % Y Le facteur d’échelle mesurant l’efficacité de la fonction d’appariement 0,025 Les caractéristiques des préférences β Facteur d’escompte 0,99 h Programme sociaux pour les qualifiés 0 Les caractéristiques de l’apprentissage des ex-routiniers δ Paramètre d’échelle capturant la plus faible productivité d’un nouveau travailleur manuel après qu’il a quitté un emploi routinier 0,9 X Efficience de l’appariement pour les nouveaux arrivants sur le marché du travail des services (si égal à un, alors même efficience qu’un travailleur expérimenté dans la recherche d’emploi) 1 λ Taux mesurant le rythme de l’apprentissage permettant de devenir un travailleur manuel 0,025

Paramètres issus d’informations externes

Paramètres propres aux pays estimés à partir des données sur le taux d’emploi par tâche dans chaque pays

162Les autres paramètres sont spécifiques aux pays et sont calibrés par une méthode de minimisation de distance entre moments théoriques et moments empiriques (dans l’esprit d’une méthode d’inférence indirecte). Nous résumons cet ensemble de paramètres de la façon suivante :

163

equation im49

164avec

165

equation im50

166La dynamique des processus exogènes peut s’écrire ∀xx est une des variables exogènes des modèles (institution du marché du travail, prix des ordinateurs ou bien encore part de la population qualifiée) :

167

equation im51

168soit un total de 24 paramètres.

169Les moments cibles sont définis par le vecteur :

170

equation im52

171Nj,i(t) sont les taux d’emploi de la tâche j dans le pays i à la date t(t = 0 étant le début de l’échantillon et t = T la fin de l’échantillon), et Ei(Nj) est la moyenne empirique du taux d’emploi de la tâche j dans le pays i. La dimension de ce vecteur ΨT est de 27 : nous avons donc 27 restrictions imposées par les données. Nous estimons les 24 paramètres de Φ à l’aide de ces 27 moments identifiants en résolvant le problème de minimisation :

172

equation im53

173Ψ(Φ) représente les prédictions du modèle pour un vecteur de paramètres Φ. Les résultats de l’estimation sont reportés dans le tableau suivant.

Paramètres issus des estimations

tableau im54
Paramètre Valeur Caractéristiques des préférences ρ Paramètre de la fonction d’utilité CES des ménages 0,825 1 1− ρ Elasticité de substitution entre consommation de biens et de services 5,7 ν Paramètre de la fonction d’utilité des ménages, y caractérisant l’importance des biens relativement à celle des services 0,6 Caractéristiques de la technologie a Paramètre de productivité de la fonction de production, de type Cobb-Douglas, des biens 4,5 As Paramètre d’échelle caractérisant la productivité relative des différents types d’emplois 0,95 σ Paramètre de la fonction de production CES des biens à faible contenu technologique 0,78 1 1− σ Elasticité de substitution entre capital et travail dans la production des biens à faible contenu technologique 4,54 α Paramètre caractérisant l’importance relative des consommations intermédiaires de haute technologie dans la fonction Cobb-Douglas de production des biens 0,6 μ Paramètre de la fonction de production des biens à faible contenu technologique, y caractérisant l’importance relative du capital et du travail 0,5 η Borne inférieure de la distribution des aptitudes à effectuer une tâche routinière 0,8 η Borne supérieure de la distribution des aptitudes à effectuer une tâche routinière 1,65 ση Ecart type de la distribution normale des aptitudes 0,6 Normes salariales ω a,US Poids du salaire passé (la norme salariale) dans le salaire contractuel – emploi abstrait – Etats-Unis 0,95 ω a,F Poids du salaire passé (la norme salariale) dans le salaire contractuel – emploi abstrait – France 0,1 ω a,G ω r,G Poids du salaire passé (la norme salariale) dans le salaire contractuel – emploi abstrait et routines – Allemagne 0,55 Taux d’ajustements au long terme g pk
tableau im55
Vitesse d’ajustement du prix des ordinateurs à sa valeur de long terme 0,01 g La Vitesse d’ajustement de la part de l’offre de travail qualifié à sa valeur de long terme 0,01 grr Vitesse d’ajustement du ratio de remplacement des allocations chômage à leurs valeurs de long terme 0,03 gh Vitesse d’ajustement de revenus sociaux à leurs valeurs de long terme 0,03 gmw Vitesse d’ajustement du salaire minimum à sa valeur de long terme 0,02

Paramètres issus des estimations

174Afin de déterminer les trajectoires des institutions des marchés du travail, nous donnons les valeurs observées de fin et de début d’échantillon. Pour l’Allemagne qui a connu de profondes réformes à partir de 1995, nous séparons en deux l’échantillon : avant 1995 (Allemagne (1)) et après 1995 (Allemagne (2)). Les évolutions des institutions du marché du travail sont alors résumées dans le tableau suivant :

Institutions du marché du travail

tableau im56
Paramètre, pays Valeur en début de période Valeur en fin de période γ Paramètre mesurant le pouvoir de négociation des travailleurs Etats-Unis 0,30 0,15 France 0,45 0,50 Allemagne (1) 0,55 0,55 Allemagne (2) 0,55 0,40 rr Ratio de remplacement Etats-Unis 0,15 0,10 France 0,25 0,38 Allemagne (1) 0,28 0,37 Allemagne (2) 0,37 0,275 h Minima sociaux Etats-Unis 0,40 0,35 France 0,40 0,50 Allemagne (1) 0,45 0,45 Allemagne (2) 0,45 0,38 mw Salaire minimum Etats-Unis 0 0 France 0,65 0,75 Allemagne (1) 0 0 Allemagne (2) 0 0 fc Coûts de licenciement Etats-Unis 0 0 France 10 10 Allemagne (1) 5 5 Allemagne (2) 5 5

Institutions du marché du travail

Note : le premier chiffre correspond à la valeur initiale et le second chiffre à la valeur terminale. Pour l’Allemagne, (1) correspond à la sous-période allant de 1980 à 1995 et (2) à la sous-période allant de 1995 à 2010.

175Enfin, les deux dernières variables exogènes nécessitant des valeurs initiales et terminales sont la part de la population qualifiée et le prix des ordinateurs. Leurs valeurs sont reportées dans le tableau suivant :

tableau im57
Etats-Unis France Allemagne l = [0,33 – 0,40] s l = [0,25 – 0,33] s l = [0,30 – 0,37] s p = [1,08 – 0,48] k p = [1,08 – 0,48] k p = [1,08 – 0,48] k

176Ainsi, la calibration tient compte des tendances suivantes :

  • aux Etats-Unis, on observe des baisses continues des programmes d’aide sociale et des indemnités chômage, ainsi qu’un déclin du pouvoir de négociation des salariés,
  • en France, depuis le milieu des années 1980, on observe une hausse des revenus associés aux programmes sociaux, aux allocations chômage et au salaire minimum,
  • enfin, en Allemagne, on observe deux sous-périodes. Une première qui s’apparente au cas français puis une seconde débutant vers le milieu des années 1990 dans laquelle le pouvoir de négociation des travailleurs a fortement baissé et les programmes d’assistance et les indemnités chômage sont devenus moins généreux.

177Les faits empiriques à l’appui de notre calibrage des programmes d’aide sociale, des allocations chômage et du pouvoir de négociation sont reportés dans les figures qui suivent.

Prestations de protection sociale au titre de l’exclusion sociale, euros par habitant (à prix constants de 2005)

figure im58

Prestations de protection sociale au titre de l’exclusion sociale, euros par habitant (à prix constants de 2005)

Source : Eurostat.

Assistance temporaire aux familles nécessiteuses et aide aux familles avec enfants à charge aux Etats-Unis. Prestation mensuelle moyenne par destinataire en dollars constants de 2006

figure im59

Assistance temporaire aux familles nécessiteuses et aide aux familles avec enfants à charge aux Etats-Unis. Prestation mensuelle moyenne par destinataire en dollars constants de 2006

Source : U.S. Department of Health and Human Services.

Allocation chômage et pouvoir de négociation des travailleurs

figure im60

Allocation chômage et pouvoir de négociation des travailleurs

Source : taux de remplacement issus des données de l’OCDE. Le pouvoir de négociation est la moyenne du taux de syndicalisation et du taux de couverture. La base de données sur institutions est ICTWSS.

Bibliographie

Références

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  • M. U. Krause et T. Lubik [2006] : The Cyclical Upgrading Of Labor And On-The-Job Search, Labour Economics, pp. 459-477.
  • L. Ljungqvist et T. Sargent [1998] : The European Unemployment Dilemma, Journal of Political Economy, vol 106(3), pp. 514-550.
  • L. Ljungqvist et T. Sargent [2008] : Two Questions About European Unemployment, Econometrica, vol 76(1), pp. 1-29.
  • B. Petrongolo et C. Pissarides [2001] : Looking into the Black Box : A Survey of the Matching Function, Journal of Economic Literature, 39, pp. 390-431.
  • M. Poletaev et C. Robinson [2008] : Human Capital Specificity : Evidence from the Dictionary of Occupational Titles and Displaced Worker Surveys, 19842000, Journal of Labor Economics, 26, pp. 387-420.

Notes

  • [1]
    Dans cet article, nous considérons les données antérieures à la crise de 2008. En effet, les ruptures causées par cette crise sont au-delà de l’objectif de cet article.
  • [2]
    Le modèle propose une représentation stylisée des travailleurs qualifiés et des emplois. Les données pourraient suggérer que le monde réel implique une mobilité plus complexe. Cependant, nous croyons que notre modèle stylisé capte la mobilité impliquée dans la polarisation de l’emploi et des changements dans l’emploi global.
  • [3]
    Deux remarques s’imposent à ce stade. Tout d’abord, les coûts de licenciement ne sont pas des indemnités mais plutôt des coûts administratifs liés aux procédures de licenciement. Ils sont donc de pures pertes. Deuxièmement, les séparations endogènes se produisent dans notre modèle parce que certaines entreprises génèrent des résultats négatifs, en particulier sur le segment du marché du travail des tâches routinières. Rappelons que, dans un monde de changements technologiques constants, on peut s’attendre à ce que les salaires des employés effectuant des tâches routinières baissent, auquel cas l’entreprise ne génèrerait pas de résultats négatifs, même dans un monde où la baisse de productivité du travail est tendancielle. En revanche, lorsque les salaires sont rigides à la baisse, les entreprises peuvent être piégées par des coûts de production fixes et des baisses de productivité du travail. Cette situation entraîne des résultats négatifs, conduisant à des licenciements. Dans le modèle, pour chaque niveau d’aptitude sur des tâches routinières, et dans le cas où les salaires sont rigides, nous pouvons définir une date endogène de licenciement après laquelle l’entreprise ferme.
  • [4]
    Le modèle ne reproduit pas la chute du taux d’emploi observée depuis 2000. Mais, cette contraction est essentiellement expliquée par la réduction du taux d’activité des jeunes (restant plus long-temps dans le système éducatif) et l’augmentation des taux d’invalidité chez les adultes (voir OCDE [2014] emploi Outlook 2014, encadré 1.1 et tableau de l’annexe B), i.e. par des facteurs non modélisés.
  • [5]
    Afin de rendre le graphique comparable à celui d’Autor et Dorn [2013], nous prenons en compte l’augmentation de la productivité globale des facteurs qui est commune à tous les salaires au sein d’un pays. Cette augmentation de la PGF spécifique à chaque pays est calculée à l’aide des séries de PIB, d’emploi et capital.
  • [6]
    Dans Autor et Dorn [2013], le salaire réel horaire aux Etats-Unis croît de 17 % en bas de la distribution (respectivement 11 % dans le milieu et 25 % dans la partie supérieure de la distribution) entre 1980 et 2005. Le modèle surestime le gain de salaire pour les travailleurs effectuant des tâches abstraites car leur salaire dans le modèle répond à la hausse de la demande de main-d’œuvre.
  • [7]
    Les courbes de Lorenz sont effectivement des isoquants linéaires en raison de l’hétérogénéité limitée présente dans le modèle.
  • [8]
    Dans cette figure, nous ne donnons pas tous les indices de Gini, faute de données. En effet, les indices de Gini sont disponibles sur les salaires ou sur les revenus totaux (y compris les revenus du capital, non présents dans le modèle).
  • [9]
    Nous nous appuyons sur les fonctions valeurs car elles rendent compte de la valeur actualisée des revenus compte tenu des possibilités d’emploi futures pour chaque agent de l’économie. Nous calculons le flux de revenu monétaire qui équivaut à chacune des fonctions valeurs.
  • [10]
    Ce résultat fait écho aux conclusions de Flinn [2002].
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