Notes
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[1]
Voir Aghion et al. [2013], Acemoglu et al. [2014].
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[2]
Voir le compte rendu d’une table ronde sur le thème Emploi et technologie qui s’est tenue le 12 avril 2013 à l’université de Cornell : « Employment & Sustainability : Report of the Cornell ILR School » [2013] Roundtable on Employment and Technology », www.pbs.org.
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[3]
Il ne s’agit nullement ici de minimiser le rôle de la crise financière de 2008 dans les mauvaises performances de l’économie américaine en termes d’emplois. Mais force est de constater que depuis la fin officielle en 2011 de la récession liée à cette crise, l’emploi est loin d’avoir retrouvé les niveaux atteints avant la crise, alors que précédemment les créations d’emplois dans les phases d’expansion compensaient les destructions dans les phases de récession. Il paraît donc légitime de se poser la question du rôle éventuel de la technologie dans les contre- performances contemporaines.
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[4]
Les pays européens ne sont évidemment pas à l’abri de ces difficultés. Voir : i) European Commission, Towards Knowledge Driven Reindustrialisation, 2013 ; ii) European Commission, Industrial Performance Scoreboard, 2013 ; iii) Innovation Union Scoreboard, 2014. Pour une explication des différences entre les Etats-Unis et l’Union européenne, voir Encaoua [2009].
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[5]
« L’économie collaborative » est fondée sur des « logiciels libres » (ou « open source ») reposant sur la collaboration, l’entraide, le partage et la mutualisation du travail des producteurs et des utilisateurs. A l’organisation traditionnelle qui fait systématiquement appel à des producteurs qui vendent des biens ou des services aux consommateurs, s’ajoute un mode de consommation à base d’échanges entre particuliers. A partir de plates-formes, ceux-ci peuvent partager des biens qu’ils ont achetés, les revendre ou les troquer, ou encore partager des ressources immatérielles (espace, temps, argent, compétences). Dans le contexte actuel, « l’économie collaborative » révèle l’intérêt des citoyens pour reconstituer des groupes autour d’aspirations communes et pour collaborer à l’activité économique sous des formes nouvelles.
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[6]
Si on étend la durée de la première période, depuis la fin du 19ème s., la baisse est tout autant accentuée. Le taux de croissance annuel moyen de la productivité du travail est passé de 2,33% durant la période de 81 ans qui s’étend de 1891 à 1972 au niveau de 1,57% durant la période suivante de 40 ans de 1973 à 2013. Mais la baisse durant la seconde période n’a pas été uniforme au cours du temps, comme cela est illustré dans la suite.
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[7]
La part de l’industrie a beaucoup baissé en termes de GNP nominal (de 30% dans les années 1950 à 10% actuellement) et l’indice des prix industriels a lui-même beaucoup baissé.
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[8]
La productivité globale des facteurs (PGF) mesure la part de la croissance du PNB inexpliquée par l’accroissement des facteurs capital et travail, c’est-à-dire avant incorporation des gains liés respectivement au remplacement des anciennes générations de capital par les nouvelles générations de capital et les compétences améliorées des nouvelles générations de travailleurs.
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[9]
L’allongement de la 1ère période qui débute dans le tableau n° 2 en 1891 cherche à montrer que les effets positifs de la deuxième révolution industrielle ont duré beaucoup plus longtemps que ceux de la période 1996-2004 qui a suivi le développement d’Internet.
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[10]
Le niveau de vie se décompose en Y/N=Y/H × H/L × L/N. Le 1er terme de la décomposition mesure la productivité du travail, le 2ème terme le nombre d’heures travaillées par employé, et le 3ème terme le taux d’emploi dans la population. Le niveau de vie peut avoir un taux de croissance plus élevé ou moins élevé que celui de la productivité du travail selon que le nombre moyen d’heures travaillées par habitant s’accroît ou diminue. Ainsi, le nombre d’heures travaillées par habitant s’est-il accru lors de l’entrée des femmes sur le marché du travail américain entre 1965 et 1990.
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[11]
La baisse du nombre d’heures travaillées par habitant traduit un double phénomène : i) une baisse de la proportion du nombre de travailleurs en âge de travailler (25-54 ans) qui cherchent un emploi ; de 1960 à 2012, cette proportion, mesurant le taux de participation à la force de travail, a baissé de 96,9% à 88,5% ; ii) une hausse du taux de chômage durant les cycles conjoncturels.
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[12]
Pour un tour d’horizon de la littérature empirique sur la relation entre productivité et emploi, voir Frey et Osborne [2013].
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[13]
Le même phénomène apparaît dans l’Union européenne. En 2011, la productivité du travail a crû de 1,4% par rapport au pic observé en 2008, mais le nombre d’emplois dans l’industrie et les services connexes est inférieur de 11% au niveau enregistré à cette date (Innovation Union Scoreboard [2014]).
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[14]
Jaimovich et Siu [2012] illustrent le phénomène des destructions nettes d’emplois en comparant les créations d’emplois durant les phases d’expansion aux destructions d’emplois durant les phases de récession au cours des trois derniers cycles qu’a connus l’économie américaine.
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[15]
De plus, ce phénomène de polarisation des emplois selon le salaire ne serait pas spécifique aux Etats-Unis. D’après Goos et al. [2009] il serait également observable sur d’autres continents, notamment en Europe.
-
[16]
Acemoglu et Autor [2011] présentent l’évolution des salaires (horaires et par semaine) de 1964 à 2008 dans les différents centiles de la distribution. Il apparaît que les salaires du 90ème centile ont connu une croissance explosive alors que ceux du 10ème centile sont restés relativement stables au cours de la période.
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[17]
L’excellent chapitre d’Acemoglu et Autor (ch.12) dans le Handbook of Labor Economics [2011], que nous recommandons vivement au lecteur, définit ainsi les tâches routinières : « By routine, we do not mean mundane (e.g., washing dishes) but rather sufficiently well understood that the task can be fully specified as a series of instructions to be executed by a machine (e.g., adding a column of numbers) »… « Routine tasks are characteristic of many middle skilled cognitive and manual jobs, such as bookkeeping, clerical work, repetitive production, and monitoring jobs ».
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[18]
Comme le fait remarquer Acemoglu ([2002], p. 7), l’idée que le progrès technique a toujours favorisé le travail qualifié est propre à la période contemporaine. Durant le 19ème s. et une partie du 20ème siècle, le progrès technique a plutôt favorisé le travail non qualifié. Ce n’est donc qu’après le milieu du 20ème s. qu’un biais technique en faveur du travail qualifié serait apparu. Il y aurait donc une discontinuité historique concernant l’impact du progrès technique sur la demande de travail qualifié. Voir Frey et Osborne [2013].
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[19]
Nous rejoignons ici une thèse développée par Edmund Phelps qui contraste les innovations contemporaines avec celles apparues aux 19ème et 20ème siècles, innovations qui auraient eu la vertu « d’enchanter le monde » comme le suggère le titre de son ouvrage, Mass Flourishing [2013].
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[20]
La réponse est clairement non. C’est ainsi, par exemple, que le droit des brevets introduit explicitement deux critères pour qu’une invention soit brevetable : celui de la nouveauté évaluée par rapport à l’état de l’art et celui de l’inventivité nécessaire pour exclure les inventions triviales au vu de l’état de l’art.
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[21]
Apparemment, c’est là un paradoxe : n’est-ce point la vertu première d’une entreprise que de veiller à satisfaire au mieux les attentes de ses clients ? C’est vrai, à ceci près que les attentes des utilisateurs d’une technologie dominante ne signalent pas nécessairement ce qui est en train d’émerger sous la forme d’une innovation de rupture.
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[22]
Dans le domaine de la santé, la croissance des coûts des soins hospitaliers, conjuguée à une demande sociale en forte hausse, transforme progressivement les structures de soins et leur gouvernance. Des consultations médicales sur Internet utilisant une Web Cam et un téléphone commencent à voir le jour aux Etats-Unis, notamment dans les zones rurales insuffisamment dotées de structures hospitalières. Des consultations collectives regroupant des patients présentant les mêmes symptômes commencent également à être mises en œuvre. De même, des mesures de prévention comportant l’identification de patients à risque commun permettent de réduire les coûts des soins de santé. Sans compter les opérations chirurgicales réalisées à distance grâce à des technologies spécifiques. Beaucoup de ces innovations de rupture ne sont possibles que grâce à des technologies numériques, permettant d’établir le diagnostic. Dans l’enseignement primaire et secondaire, le projet MET (Measures of Effective Teaching) initié en 2009 par la fondation Gates aux Etats-Unis montre que les techniques d’enseignement habituelles, identiques pour tous les élèves et contrôlées par des examens, ne sont pas les plus adéquates. De nouvelles formes d’enseignement comportant un rôle plus actif des élèves grâce à la recherche d’informations sur Internet et à des mesures d’évaluations collectives, voient le jour. De même, dans l’enseignement supérieur, les cours ouverts en ligne et destinés à un très large public (MOOC) émergent dans différents pays.
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[23]
Le rôle des pouvoirs publics comme initiateur de technologies de rupture est analysé dans Mazuccato [2013]. L’histoire d’Internet (Greenstein [2010]) aux Etats-Unis illustre les différentes étapes qui ont prévalu avant l’introduction d’Internet sur le marché des applications : soutien de la DARPA (département de la Défense), transfert de la technologie aux universités pour une utilisation en réseau, introduction enfin sur le marché de cette innovation de rupture par un large accès au public et un foisonnement d’applications commerciales. Pour le rôle des pouvoirs publics dans les sciences de la vie, voir Cockburn et Stern [2010].
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[24]
Voir Akcigit et al. [2013].
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[25]
Voir le rapport de la Cour des Comptes [2013].
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[26]
Le laser est une bonne illustration d’une découverte fondamentale à l’origine d’innombrables applications. Scotchmer [2004] répertorie plus de 250 brevets dérivés de la découverte du laser en 1950. On peut également citer le graphène, matériau de carbone pur, aussi fin qu’un atome et qui a d’excellentes propriétés en termes de conductivité électrique, de résistance et de flexibilité. Il a valu à son découvreur le prix Nobel de physique en 2010 et, depuis cette date, il fait l’objet de multiples applications. Deux ans après la découverte, les applications réelles et potentielles sont nombreuses : écrans plats et tactiles, électrodes de batteries, cellules solaires, composants électroniques, encres et peintures électroniques, reconstitution de tissus en médecine régénérative, capteurs, etc.
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[27]
Voir Aghion et al. [2013], Helpman [1998], Commission européenne [2013].
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[28]
Cette suggestion se résume également en les termes de l’alternative suivante : plutôt que chercher à accroître le transfert des connaissances en demandant aux laboratoires et universités publiques de vendre leurs découvertes à des acteurs privés, ne vaut-il pas mieux inciter les entreprises à développer des partenariats avec les centres de recherche fondamentale en faisant bénéficier ces entreprises de mesures fiscales plus favorables ?
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[29]
Une nouvelle demande de voitures ne doit pas être confondue avec une demande de voitures nouvelles qui remplaceraient les anciennes.
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[30]
Beaucoup de ces emplois ne sont pas pourvus du fait des difficultés d’appariement entre les qualifications requises et celles offertes par les systèmes d’éducation traditionnels et de formation professionnelle. C’est apparemment une difficulté importante et récurrente que rencontrent les technologies recourant à l’informatique.
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[31]
Voir le rapport spécial que le magazine The Economist a consacré à la troisième révolution industrielle sous le titre Manufacturing and Innovation (21 avril 2012).
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[32]
Le Design Museum de Londres a ainsi présenté récemment une exposition intitulée : « The Future is Here : A New Industrial Revolution ». Selon le conservateur Alex Newson, le design vit une transformation radicale, car « de la conception à la fabrication, le public a toutes les chances d’avoir enfin son mot à dire. Par exemple, grâce au crowdsourcing (production participative sur plate forme Internet), une entreprise ne se contente plus de demander des avis, des informations et des solutions à quelques chercheurs implantés ici ou là : elle préfère désormais solliciter l’ensemble de la planète. En outre, avec l’impression 3D, il est désormais possible de créer un objet tout seul depuis son ordinateur ». (Le magazine du Monde, 5 octobre [2013]).
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[33]
Christensen [2012] explique différemment le faible nombre d’innovations d’autonomisation. L’utilisation d’indicateurs de rentabilité des investissements à court terme ne permettrait pas ce type d’innovations dont la durée de récupération du capital est en général assez longue. Les indicateurs de rentabilité de court terme conviennent lorsque la ressource la plus rare est le capital mais deviennent inappropriés lorsque les ressources rares deviennent les idées et la main-d’œuvre qualifiée. Selon cette explication, au lieu de prendre en compte les nouvelles contraintes de rareté, les indicateurs traditionnels de choix des investissements qui retiennent des taux de rentabilité financière à court terme, conduisent à des innovations de remplacement et de rationalisation, plutôt qu’à des innovations autonomisantes.
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[34]
Des solutions au coût prohibitif de l’éducation font appel à des formations en ligne assurant un enseignement universitaire gratuit et destiné à de larges audiences ; elles se développent un peu partout dans le monde.
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[35]
« L’interopérabilité est la capacité que possède un produit ou un système, dont les interfaces sont connues, à fonctionner avec d’autres produits ou systèmes existants ou futurs et ce, sans restriction d’accès ou de mise en œuvre. Il convient de distinguer « interopérabilité » et « compatibilité ». La compatibilité est une notion verticale (un outil peut fonctionner dans un environnement donné en respectant toutes les caractéristiques de cet environnement) et l’interopérabilité est une notion transversale (« divers outils peuvent communiquer, quand on sait pourquoi, et comment, ils peuvent fonctionner ensemble », Wikipedia, « interopérabilité »).
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[36]
Citons par exemple la plate-forme américaine Smart Citizen destinée à générer des formes de participation collective dans les villes via des connexions entre citoyens, connaissances, lieux spécifiques et informations. L’objectif de la plate-forme est de servir de point nodal pour que les habitants se réapproprient les activités de leur ville et mutualisent leurs connaissances et savoir-faire.
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[37]
Les objets volants tels que les avions ou les fusées sont caractérisés par une technologie dite O-ring, selon laquelle chaque composante, y compris les plus infimes comme le serrage d’un boulon, doit être parfaitement ajustée pour que l’ensemble fonctionne. En un certain sens, l’interopérabilité des équipements et des infrastructures nécessaires pour une économie fonctionnant sous le régime du quaternaire, ressortit également des principes d’une technologie O-ring (voir Kremer [1993]).
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[38]
Une citation de l’ancien président d’AOL, Steve Case, résume parfaitement le débat : « The next 25 years won’t be focused on creating more Internet or social-media companies ; it will be about using Internet and mobile technology to change education, healthcare, government and energy… Healthcare alone is one-sixth of our economy. It creates enormous opportunity for entrepreneurship. »
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[39]
Par exemple des capteurs sont maintenant embarqués sur des biens réalisant des fonctions précises telles que transporter des personnes ou des marchandises, diffuser des programmes télévisuels, laver des vêtements ou de la vaisselle, être guidé par satellite, informer sur le fonctionnement d’un lieu ou d’une personne, etc.
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[40]
Le premier exemple de cette façon de satisfaire les besoins est celui des photocopieurs que Xerox mettait à disposition de ses clients en facturant leur seul usage. Aujourd’hui, de nombreuses activités fonctionnent selon ce principe. Par exemple des solutions telles que SaaS (software as a service) dans le cloud computing permettant aux utilisateurs de louer du logiciel, conduisent à ce que la durabilité du produit ne soit plus une question pertinente et rendent de ce fait obsolète l’obsolescence planifiée des produits.
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[41]
Pour ne donner qu’un exemple, réduire le temps de voyage que permet l’usage du TGV, ne prend tout son sens pour un voyageur que si, parvenu à la gare de destination, il ne perdait pas un temps précieux à trouver un taxi ou tout autre moyen de locomotion et ne subissait pas des embouteillages avant d’aboutir à son point d’arrivée.
1Confronté aux épreuves de la grande crise de 1929, John Maynard Keynes exprimait son optimisme quand à la sortie de crise dans un essai au titre évocateur Economic Possibilities for our Grandchildren (Keynes [1930]), dans lequel il explorait une voie intermédiaire entre la révolution et la stagnation, ce qui devait permettre aux « petits enfants d’être plus riches que leurs grands-parents ». Mais il avertissait également dans cet essai que cette voie comportait elle-même des risques, dont celui d’un sous-emploi technologique résultant d’une accélération des innovations : la découverte de moyens d’économiser le recours au travail humain pourrait être plus rapide que la découverte de nouvelles façons d’utiliser ce travail. Cette anticipation est restée, jusqu’à un passé récent, largement ignorée des économistes, tant la croyance était forte que le progrès technique était toujours pourvoyeur de prospérité et d’emplois. Cette croyance a largement été alimentée par l’observation des conséquences des deux premières révolutions industrielles. Deux idées importantes concernant les relations entre innovation, croissance et emploi ont ainsi été forgées : i) par son effet sur la productivité des facteurs et sur les nouveaux produits créés, l’innovation est le moteur de la croissance économique, ii) par la demande de nouveaux produits qu’elle induit et les gains de productivité qui permettent un pouvoir d’achat accru, l’innovation est à terme globalement favorable à l’emploi pour peu que le système éducatif et le système de formation des compétences répondent de manière satisfaisante aux nouveaux besoins de l’économie.
2Depuis l’article pionnier de Robert Solow [1957], de multiples travaux empiriques ont confirmé ces liens jusqu’à une période récente. La théorie de la croissance endogène a grandement contribué à justifier et diffuser ces idées. [1]
3Cependant, dans la phase des vagues d’innovations contemporaines, phase que l’on assimile souvent à la troisième révolution industrielle ou encore à l’ère du numérique, ces idées font l’objet de vives controverses, notamment aux Etats-Unis, pays phare en matière d’innovation. D’une part, la croissance des gains de productivité connaîtrait un certain ralentissement depuis le milieu des années 1970, conduisant à une croissance économique faible après la longue récession de 2008. D’autre part, et c’est là la contre-performance la plus préoccupante, les destructions d’emplois l’emporteraient globalement sur les créations d’emplois, créant de vives inquiétudes sur le rôle des innovations contemporaines. [2]
4Ces inquiétudes sont au cœur d’une question importante : les forces de l’économie de marché, dont l’innovation est certainement une composante essentielle, deviendraient-elles les fossoyeurs de l’emploi et de la prospérité économique [3] ? Ou bien ne s’agirait-il là que d’une phase transitoire, à la recherche de nouvelles perspectives permettant aux innovations contemporaines d’être porteuses d’une prospérité économique retrouvée, comme l’ont été celles des deux révolutions industrielles antérieures ? La question est suffisamment importante pour soulever de vifs débats, dans la mesure où il s’agit avant tout de disposer, au vu d’observations détaillées, d’un diagnostic correct de la situation présente, permettant éventuellement de dégager des perspectives nouvelles, ouvertes par la révolution numérique en cours.
5Avec ce questionnement en toile de fond et l’exigence méthodologique de disposer de statistiques qui ne se réduisent pas à l’observation de la conjoncture de court terme, cet article poursuit un double objectif. D’une part, celui d’examiner les différents arguments qui sous-tendent les inquiétudes et controverses sur la remise en question des effets traditionnels des innovations contemporaines. D’autre part, celui de présenter quelques interprétations suggérant des voies ouvertes par l’évolution des technologies numériques qui constituent le cœur des innovations contemporaines.
6Pour traiter du premier objectif, nous concentrons notre analyse sur l’examen de statistiques et travaux récents portant sur les Etats-Unis, en vue de mettre en relief les difficultés liées à la productivité et à l’emploi dans l’économie la plus avancée sur le plan technologique. [4] Ces statistiques mettent en évidence les deux points suivants. D’une part, un certain ralentissement du taux de croissance de la productivité de l’économie américaine dans son ensemble, mais qui n’affecte pas le secteur de l’industrie. D’autre part, un décrochement récent de l’évolution de l’emploi par rapport à l’évolution de la productivité. En un mot, le ralentissement des gains de productivité s’accompagnerait d’un taux de chômage important et persistant. De plus, la durée des cycles économiques serait elle-même profondément affectée : les périodes durant lesquelles l’économie américaine reste en récession sont de plus en plus longues depuis quelques années.
7La contre-performance en termes d’emplois a été plus précisément explicitée en montrant qu’elle n’est pas uniforme sur l’ensemble des emplois. Ceux correspondant aux extrêmes de la distribution des revenus (i.e. les emplois dont les salaires sont les plus faibles et ceux dont les salaires sont les plus élevés) sont épargnés : les créations nettes d’emplois sont positives. En revanche, les emplois aux rémunérations intermédiaires connaissent des destructions nettes. Ce constat est plutôt alarmant car il revient à dire que ce seraient les classes moyennes qui, aujourd’hui, sont le plus affectées par la crise de l’emploi aux Etats-Unis. Cette crise est d’ailleurs d’autant plus douloureusement ressentie qu’elle s’accompagne d’une très forte inégalité des revenus. Au vu de ces caractéristiques, on ne peut exclure a priori le rôle des technologies numériques contemporaines dans la crise de l’emploi et, en tout état de cause, une analyse détaillée des causes paraît des plus nécessaires.
8Une première constatation est que la bipolarisation des destructions et créations d’emplois en termes de revenus se rapporte, en fait, à un autre phénomène : les destructions d’emplois seraient beaucoup plus marquées dans les activités requérant des tâches routinières, c’est-à-dire celles qui sont suffisamment codifiables sur le plan numérique pour pouvoir être effectuées par des automatismes, que ces tâches soient par ailleurs de type manuel ou cognitif. Inversement, dans les activités non routinières, aussi bien de type manuel que cognitif, les créations d’emplois l’emporteraient sur les destructions. L’impact des technologies numériques serait de ce fait important dans la crise contemporaine de l’emploi.
9Une seconde cause se situe au-delà de la notion générique d’innovation, dans la mesure où les effets potentiels sur l’emploi peuvent être fort différents. Parmi les diverses décompositions qui ont été proposées, l’une d’elles mérite une attention particulière. Elle consiste à distinguer trois types d’innovations, selon la logique de leur mise en œuvre : les innovations de remplacement, celles de rationalisation et les innovations d’autonomisation, ces dernières étant définies par trois propriétés : i) ce sont des innovations de rupture, ii) à l’origine d’une demande nouvelle, iii) initiatrices de transformations sociales dans les modes de vie. Les innovations autonomisantes seraient à l’origine de créations nettes d’emplois, tandis que les deux autres types d’innovations auraient des effets plus ambigus. Les transformations sociales dont les innovations autonomisantes sont porteuses deviennent ainsi des composantes essentielles du progrès technique proprement dit. Pour illustrer, si le passage du moteur à vapeur au moteur électrique, exemple type d’innovation autonomisante, a profondément marqué la seconde révolution industrielle, les technologies numériques contemporaines, tout en satisfaisant les deux premières propriétés des innovations autonomisantes, seraient encore à l’état latent quant à la troisième propriété, à savoir la capacité de transformer les modes de vie, révélant par là même le besoin de chercher un modèle social susceptible de résoudre la crise actuelle de l’emploi.
10Ce diagnostic ouvre la voie à l’exploration des conditions qui permettraient aux innovations technologiques contemporaines de déployer leur potentiel pour une prospérité renouvelée. C’est précisément le second objectif de l’article. De nature plus prospective, il consiste à examiner quelles pourraient être ces conditions, en s’appuyant, entre autres, sur une comparaison entre la révolution industrielle que nous vivons, et les deux révolutions industrielles qui l’ont précédée. Une des idées de base est que si les deux premières ont permis un décuplement des capacités physiques des travailleurs en présence de nouvelles machines et une transformation radicale des modes de vie par le passage d’une production artisanale à une production industrielle avec une nouvelle organisation du travail, la troisième révolution industrielle offre un décuplement des capacités mentales grâce à différents savoir-faire numériques, sans pour autant que les aspirations au « mieux vivre » que permettent ces technologies ne soient encore pleinement exploitées. De ce fait, la perspective préconisée ici est celle d’une transformation sociale consistant à passer de la situation actuelle d’une production de biens, séparée des conditions de leur usage, c’est-à-dire des services qui leur sont associés, à une production nouvelle de « produits », consistant en une mise à disposition sur les lieux de vie des utilisateurs, tout à la fois, du bien, d’équipements associés, de services qui l’accompagnent et de personnel dédié à cet accompagnement. Cette mise à disposition est maintenant possible grâce aux progrès réalisés en termes de connexion des objets et des personnes. L’organisation sociale autour de ces « produits », que nous proposons d’appeler des « solutions », permettrait la mobilisation d’un ensemble de personnes assurant à la fois la connexion de l’utilisateur au serveur, l’entretien du bien tout au long du cycle de vie et la satisfaction des besoins/services permettant aux utilisateurs de bénéficier du nouvel usage. La vente séparée de biens et de services céderait ainsi la place à une mise à disposition sous forme locative des conditions d’usage du produit intégré, évitant à l’utilisateur de devoir être propriétaire des composantes intermédiaires que sont le bien et les services correspondants. Associée en amont à la conception de nouveaux biens et de nouvelles technologies requérant des emplois qualifiés, l’organisation sociale autour de ces « solutions » permettrait l’émergence de nouvelles formes d’emplois satisfaisant des besoins d’interaction humaine. Deux caractéristiques de ces emplois potentiels sont à souligner. D’une part, ils ne sont pas délocalisables par nature. D’autre part, faisant appel à des interactions humaines, ils requièrent des tâches non routinières car non codifiables, et de ce fait ces emplois peuvent difficilement être remplacés par des automatismes numériques.
11Il convient de bien souligner que ce sont les possibilités techniques ouvertes par les technologies numériques qui rendent possibles l’émergence et la viabilité de cette nouvelle forme d’organisation sociale. Un certain nombre de pratiques contemporaines qu’on désigne communément sous les termes d’économie partagée ou d’économie collaborative [5], ont déjà recours à de nouvelles formes de coordination. Des technologies numériques, notamment celles de l’Internet des objets, permettent à présent un tel passage grâce à des capteurs embarqués sur des objets ou dans des lieux de vie et reliés aux personnes via le réseau Internet. Les implications en matière de coordination de plate-formes, d’équipements et d’emplois laissent penser que cette transformation sociale, qui fait passer de la propriété à la location de « solutions », pourrait radicalement améliorer les conditions de vie individuelle et collective et ouvrir une voie fructueuse pour sortir de l’atonie de la croissance et du chômage persistant actuels.
12L’article se décompose selon le plan suivant. Dans une première section sont présentées les deux principales contre-performances des innovations contemporaines, à savoir une croissance ralentie des gains de productivité et une bipolarisation des emplois selon le caractère routinier ou non routinier des tâches. Différents types d’innovations, distinguées selon leur impact sur l’emploi, sont présentés en deuxième section. La troisième section examine différents arguments à l’appui de la thèse selon laquelle les contre-performances ne seraient qu’une étape transitoire, signalant l’opportunité de nouvelles modalités d’organisation sociale susceptibles de conduire à un progrès social. Enfin la quatrième section présente quelques éléments de prospective économique pour évaluer les effets potentiels sur l’emploi de cette nouvelle organisation sociale. La dernière section présente les conclusions.
Les contre-performances des innovations contemporaines
Innovation et croissance : ralentissement des gains de productivité ?
13L’innovation est-elle le moteur de la croissance économique ? Depuis l’article fondateur de Solow [1957], la réponse par l’affirmative est largement partagée : aussi bien du fait de la croissance de la productivité du travail, de l’efficience des nouvelles générations de capital que du fait de la création de nouveaux produits, le progrès technique dû à l’innovation conduit à déplacer la frontière de production, assurant ainsi la possibilité de produire plus avec les mêmes moyens, afin de garantir la poursuite de la prospérité économique. Sans ce déplacement de la frontière de production, la croissance du revenu par habitant s’arrêterait en raison de la décroissance des rendements des facteurs de production. Le progrès technique est ainsi à l’origine d’une croissance intensive qui fait plus que compenser les rendements décroissants de la croissance extensive. C’est le credo dominant de nos jours : favoriser l’innovation devient un objectif de plus en plus important des pouvoirs publics, tant la croyance en les effets positifs du progrès technique induit par l’innovation semble bien ancrée.
14Mais cette conviction commence aujourd’hui à recevoir de sérieux coups de boutoir. D’abord, il faut rappeler que la croissance est un phénomène récent qui date de moins de trois siècles. Ensuite, les statistiques américaines sur la productivité et surtout sur l’emploi ne sont guère encourageantes.
Croissance de long terme : un phénomène historiquement daté
15Commençons par rappeler que la croissance économique n’a pas toujours été au rendez-vous de l’histoire. Alors que des découvertes et des inventions notoires ont jalonné les siècles, nous savons aujourd’hui que la croissance du revenu par habitant a été faible, voire inexistante, jusqu’au milieu du 18ème siècle (Bradford Delong [2000]). Une des explications avancées de cette longue stagnation est que, à partir de la fin de la première révolution industrielle, de nouvelles relations entre la science et la technologie ont prévalu. Selon l’historien américain Joel Mokyr [2000], on serait passé d’une logique « prescriptive » des connaissances, consistant à chercher des réponses à des questions de type « comment ça marche », à une logique propositionnelle permettant de répondre à des questions de type « pourquoi ça marche ». Cette seconde logique conduit à une interaction beaucoup plus forte entre la science et la technologie. Ce passage fructueux permet en effet un élargissement des champs d’application de chaque découverte. Mais ce passage a été lent et a nécessité des transformations sociales profondes, aussi bien au niveau des méthodes de recherche et de diffusion des savoirs, qu’à celui des modes de vie et d’organisation du travail (Encaoua [2012]).
16Les première et deuxième révolutions industrielles ont ainsi permis de mettre fin à la stagnation séculaire du revenu national par habitant. Mesuré en termes de moyenne annuelle du revenu national par habitant et par siècle, le niveau de vie ne croît en Europe que depuis le milieu du 18ème s., et aux Etats-Unis un peu plus tard. Cette croissance est même devenue substantielle au 20ème s., au point de permettre un doublement du niveau de vie tous les 30 ans. Il en a été de même pour la croissance de la productivité du travail, mesurée par la valeur réelle de la production par heure travaillée. La croissance de la productivité du travail a tiré la croissance du niveau de vie.
17Aujourd’hui, des inquiétudes sur la poursuite de ces performances voient le jour. Le ralentissement récent des gains de productivité et surtout la persistance d’un taux de chômage important aux Etats-Unis ont donné lieu à divers travaux (Gordon [2012 et 2013], Baily et al. [2013], Brynjolfsson et McAfee [2011 et 2014], Autor [2013], Acemoglu et Autor [2011]) qui ont le mérite d’ouvrir un débat important sur lequel nous nous penchons.
Gains de productivité : croissance ralentie ?
18Selon Robert Gordon [2012], l’évolution du taux de croissance annuel moyen de la productivité du travail (valeur réelle de la production réelle par nombre d’heures travaillées) aurait marqué un net ralentissement dans l’économie américaine dans son ensemble depuis le milieu des années 1970 : atteignant en moyenne près de 3% par an, sur une période de 24 ans, depuis les années d’après-guerre jusqu’à celles qui ont précédé le premier choc pétrolier (1948-1972), le taux annuel moyen a baissé ensuite de moitié (1,57%) depuis cette date et durant la période de 40 ans (1973-2013) qui lui a succédé. [6] Cependant, cette baisse globale de la productivité du travail dans l’économie américaine n’a pas affecté le secteur manufacturier (Baily et al. [2013], Gordon [2013]). Mais le faible poids de ce secteur dans l’économie américaine [7] n’a pas permis de compenser la baisse dans les secteurs non manufacturiers, conduisant à un constat immuable : « Manufacturing is performing a magnificent ballet on a shrinking stage ». En outre, le constat d’une baisse de la productivité du travail aux Etats-Unis à partir de 1973 doit lui-même être nuancé selon le découpage de la période qui suit en plusieurs sous-périodes, conduisant aux résultats du tableau n°1.
Taux de croissance annuel moyen de la productivité du travail aux Etats-Unis dans le secteur manufacturier, non manufacturier et dans l’ensemble de l’économie américaine
Taux de croissance annuel moyen de la productivité du travail aux Etats-Unis dans le secteur manufacturier, non manufacturier et dans l’ensemble de l’économie américaine
19On observe bien, et ceci est très important, que la croissance de la productivité du travail dans le secteur manufacturier américain est restée relativement stable autour de 2,5% par an en moyenne durant toute la période s’étendant de 1948 à 2011, avec une pointe particulière à 4,6% durant la sous-période 1996-2004, correspondant à l’introduction d’Internet et des TIC. Après cette remontée de courte période, la productivité dans le secteur manufacturier a retrouvé son rythme de croissance antérieur. L’inquiétude sur la baisse de productivité dans le secteur manufacturier américain doit donc être levée. Mais comme la part du secteur manufacturier dans l’économie américaine est devenue assez faible (de l’ordre de 10%), l’inquiétude subsiste dans le secteur non manufacturier où la baisse de la productivité du travail se confirme à partir de 1973. A nouveau la période 1996-2003 fait exception, grâce aux effets d’Internet. Des chiffres récents confirment par ailleurs cette baisse. Le taux de croissance moyen de la productivité du travail dans l’économie sur les 12 derniers trimestres, jusqu’à fin 2012, n’a été que de 0,3% par an de 2009 à 2012. Il est difficile de savoir à ce stade si cette contre-performance traduit un phénomène lié à l’évolution des innovations ou si elle reflète simplement l’intensité de la crise de 2008 dont les effets ne sont pas encore dissipés. Toutefois, un autre phénomène important et relativement récent a concerné le secteur manufacturier américain. C’est le découplage entre la croissance de la productivité horaire du travail et le salaire horaire médian. Alors que la productivité horaire du travail dans le secteur industriel a poursuivi un trend croissant, le salaire horaire médian, qui a suivi une évolution très proche de la productivité horaire jusqu’au milieu des années 1970, a décroché à partir de cette date (Acemoglu et al. [2014], Fleck et al. [2011]). Ce phénomène est corroboré par la baisse de la part des revenus du travail dans le revenu national au cours des trois dernières décennies. Nous y reviendrons en traitant de l’impact de l’innovation sur l’emploi. La question s’est également posée de savoir si l’évolution de la productivité globale des facteurs (PGF) [8] suivait la même tendance que la productivité du travail dans l’économie américaine dans son ensemble. Avant 1973, le taux de croissance moyen de la PGF a été de 2,48% par an lorsque l’on mesure cette productivité à partir de 1891 et de 2,26% par an si on la mesure à partir de 1922. Après 1973, le taux de croissance moyen de la PGF n’a plus été que de 1,17% par an, soit près de la moitié. La productivité a donc bien connu un ralentissement de croissance à partir de 1973, qu’elle soit mesurée par rapport au seul travail ou par rapport à l’ensemble des facteurs. En distinguant à nouveau quatre sous-périodes, Gordon [2013] parvient aux résultats du tableau n° 2. [9]
Evolution de la productivité du travail (PT) et de la productivité globale des facteurs (PGF) sur l’ensemble de l’économie américaine
Evolution de la productivité du travail (PT) et de la productivité globale des facteurs (PGF) sur l’ensemble de l’économie américaine
20On observe ainsi que les variations de la productivité globale des facteurs épousent celles de la productivité du travail. Sauf durant la sous-période 1996-2004 correspondant à l’arrivée d’Internet, les innovations postérieures à 1973 ont apparemment eu des effets distincts de ceux réalisés par les innovations antérieures à cette date. Observant les niveaux, on note qu’après la remontée de courte durée liée aux effets d’Internet, le niveau du taux de croissance de la PGF (0,83% par an) a été plus bas encore que celui de la période précédant Internet (1,04% par an). Du point de vue des durées, on observe également que le taux de croissance annuel moyen de la PGF de l’économie américaine est resté substantiel (de l’ordre de 2,5% par an) sur une longue période de 81 ans avant de décroître à 1,32% pendant 24 ans, de remonter à 2,48% par an pendant une courte période de 8 ans, et de baisser à nouveau à 1,35% par an durant la période la plus récente. Deux phénomènes se conjuguent ainsi dans l’économie américaine dans son ensemble : i) une baisse de productivité, comme nous venons de le voir et, d’autre part, ii) une réduction de la durée pendant laquelle les effets positifs de l’innovation se sont exercés : ils ont été plus courts après 1973 qu’avant cette date.
21Enfin les effets de la croissance de la productivité se transposent aisément à l’évolution du niveau de vie, mesuré de manière très fruste par le ratio de la valeur réelle du produit national brut (GNP) sur le nombre d’habitants. [10] Le tableau n°3 livre ainsi diverses informations. Durant la longue période 1891-1972, le niveau de vie a crû légèrement en dessous de la productivité du travail, l’écart de - 0,29% étant dû au fait que le nombre d’heures travaillées a décru progressivement de 60 h à 40 h par semaine durant cette période. Dans la période 1972-1996, le niveau de vie a crû à un taux légèrement supérieur à celui de la productivité du travail du fait de l’entrée des femmes sur le marché du travail. Mais après 1996, à cause de la hausse du chômage, le nombre d’heures travaillées par habitant a décru fortement, d’abord de 0,55% par an durant la période 1996-2004, puis de 0,99% de 2004 à 2011, ce qui a entraîné une croissance du niveau de vie bien plus faible que celle de la productivité du travail. [11]
Taux de croissance annuel moyen du niveau de vie, de la productivité du travail et du nombre d’heures travaillées par habitant aux Etats-Unis
Taux de croissance annuel moyen du niveau de vie, de la productivité du travail et du nombre d’heures travaillées par habitant aux Etats-Unis
Innovation et emploi : le phénomène de bipolarisation des emplois
22Bien plus que son effet sur la productivité, la contre-performance la plus notable de l’innovation concerne les effets sur l’emploi. Commençons par rappeler que le lien entre innovation et emploi est de nature complexe. [12] Premièrement, globalement, la relation n’est ni monotone ni robuste au plan du découpage temporel. La raison en est que le niveau de l’emploi global dépend de multiples facteurs, notamment subjectifs (décision d’entrée et/ou de sortie du marché du travail, etc.), démographiques (importance des cohortes d’entrée dans la vie active), structurels (durée des études, choix professionnels, etc.). Ces facteurs varient au cours du temps indépendamment de l’innovation. Deux effets contraires de l’innovation sur l’emploi sont possibles a priori. D’une part, un effet de substitution du travail par le capital : une productivité accrue du travail due à l’introduction d’une technologie plus efficace conduit à une réduction du volume d’emploi nécessaire. D’autre part, un effet revenu : une productivité accrue du travail conduit à une augmentation des rémunérations, donc du pouvoir d’achat, ce qui entraîne in fine un accroissement de la demande globale et donc de l’offre d’emploi. Dans les périodes où l’effet revenu l’emporte sur l’effet de substitution, la relation entre productivité et emploi est croissante. A l’inverse, lorsque l’effet de substitution est plus élevé que l’effet revenu, une relation décroissante prévaut. Cela revient à dire qu’une des raisons de la complexité de la relation entre productivité et emploi réside dans la nécessaire distinction entre les effets de court terme et ceux de long terme. Même si l’effet de court terme d’une productivité accrue est négatif, la relation peut s’inverser à long terme. Par exemple, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, la croissance de la productivité du travail a ralenti alors même que les Etats-Unis connaissaient un taux d’emploi des plus élevés.
23Deuxièmement, il convient également de distinguer les effets directs et indirects. L’augmentation du pouvoir d’achat qui résulte d’un accroissement de productivité dans un secteur peut en effet se reporter sur un accroissement de la demande dans d’autres secteurs et exercer ainsi un effet positif sur l’emploi. En outre, si le salaire réel rapporté à la productivité du travail baisse à la suite des gains de productivité, la part des salaires dans la valeur ajoutée diminue, ce qui implique un accroissement de la part du capital qui, à son tour, devrait stimuler l’investissement et in fine l’emploi.
24L’effet total de l’innovation sur l’emploi est généralement positif. En effet, on s’attend à ce que, au moins à moyen et long terme, la relation entre productivité et emploi soit croissante, même si les ajustements se font avec un décalage temporel plus ou moins grand. Au total, retenons que les transformations de la relation entre innovation et emploi se manifestent au travers de deux canaux : celui de la productivité du travail et celui de l’effet des technologies sur la composition des emplois.
Productivité et emploi : un décrochage récent
25Un lien positif entre innovation et emploi, via l’évolution de la productivité, a longtemps prévalu dans l’économie américaine. Si l’on se reporte aux statistiques précédentes sur l’évolution de la productivité du travail aux Etats-Unis, le chômage élevé de la période la plus récente s’expliquerait par le ralentissement de la croissance de la productivité du travail, ce que résume bien Phelps [2013] dans son dernier ouvrage : « Throughout the West, heightened joblessness was as emblematic of the era as slower growth of productivity ».
26Mais le lien empirique entre l’évolution temporelle de la productivité et celle de l’emploi semble être aujourd’hui de nature différente et c’est là le point le plus inquiétant : le chômage peut croître alors même que des gains de productivité sont présents ! Certains voient là un phénomène marquant de notre époque, lié à la nature des innovations contemporaines. Dans un ouvrage récent, Brynjolfsson et McAfee [2011], observateurs enthousiastes de l’innovation, développent une forte inquiétude : les innovations contemporaines, celles de la génération Internet, que l’on regroupe sous le terme de technologies numériques, seraient porteuses à la fois de gains de productivité et de destructions d’emplois ! Bien entendu, ce n’est pas la première fois que les dangers du progrès technique sur l’emploi sont brandis. Différents auteurs, dont Alfred Sauvy en France, Jeremy Rifkin aux Etats-Unis, sans omettre John Maynard Keynes dont on a rappelé l’inquiétude dans l’introduction, n’avaient pas manqué de le faire auparavant et l’histoire regorge d’épisodes où différentes catégories sociales ont vu leur situation basculer après l’introduction d’une nouvelle technologie rendant obsolète leur activité. Mais certaines caractéristiques du progrès technique contemporain méritent qu’on approfondisse l’argument. Si Brynjolfsson et McAfee n’ont pas d’inquiétude sur le taux de croissance futur des gains de productivité de l’économie américaine, ils n’en expriment pas moins la crainte que cette croissance ne puisse induire un nombre suffisant d’emplois pour vaincre le chômage persistant aux Etats-Unis. Leur argumentation s’appuie, entre autres, sur l’observation d’un décrochage récent et manifeste, entre l’évolution de l’emploi et l’évolution de la productivité du travail. Jusqu’à une date récente mais que Brynjolfsson et McAfee ne précisent pas exactement, le volume d’emploi et la productivité du travail ont connu des évolutions parallèles et très proches l’une de l’autre aux Etats-Unis, traduisant une chaîne vertueuse que l’on pensait immuable. Mais, à partir des années 2000, il n’en est plus ainsi. Même si la productivité continue de croître, à un taux certes plus faible qu’auparavant, l’emploi global stagne ou même fléchit. [13] L’écart se creuse en 2011, année officielle du renversement de la récession qui a suivi la crise de 2008, au point que des destructions d’emploi l’emportent sur les créations, alors même que l’économie américaine a renoué avec la croissance. Certes, on peut penser que cela est le résultat temporaire de la très grave crise financière de 2008. Mais l’importance du phénomène des destructions nettes d’emplois [14] nous invite à aller plus loin. En effet, entre mai 2007 et octobre 2009, le taux de chômage aux Etats-Unis s’est accru de 5,7%, ce qui constitue l’écart le plus élevé de l’après-guerre. En outre, alors qu’en 2010 l’investissement en équipements et en logiciels reprenait vie pour atteindre 95% de son niveau d’avant la crise, les créations d’emplois nouveaux ont été pratiquement inexistantes ; seules les destructions d’emplois ont connu un léger fléchissement. Enfin, depuis 2011, la récession a officiellement cessé et le taux de chômage aux Etats-Unis persiste au niveau élevé de 6,5%, et ce malgré la désaffection d’un grand nombre de travailleurs découragés qui renoncent à se présenter sur le marché du travail en tant que demandeurs d’emplois. Tout cela revient à dire que les entreprises ont bien plus accru ces dernières années leur stock de capital que leur stock de main-d’œuvre, alimentant ainsi la hantise d’un progrès technique destructeur d’emplois.
27Comprendre l’origine du découplage entre productivité et emploi est un enjeu majeur. Les explications sont loin d’être unanimes. Par exemple, Miller et Atkinson [2013] soulignent le fait qu’il existe toujours un délai de réaction de l’emploi aux gains de productivité. Les années où la productivité est la plus élevée précèdent en général celles où le taux d’emploi est le plus élevé. En examinant les variations de la productivité et celles de l’emploi aux Etats-Unis sur la période 1929-2009, un rapport du McKinsey Global Institute [2011] montre ainsi que l’accroissement de productivité est corrélé avec l’accroissement subséquent de l’emploi. Toutefois, après avoir découpé la période 1930-2010 en sous-périodes de 10 ans chacune, Miller et Atkinson [2013] constatent que c’est seulement à la dernière période qu’est observée la simultanéité d’une productivité croissante et d’un emploi décroissant. Est-ce alors le caractère exceptionnel de la crise de 2008 qui explique cette association atypique ? Une fois encore, des doutes sont permis car d’autres travaux ont mis en évidence une caractéristique importante des emplois durant les trois dernières décennies.
Bipolarisation des emplois selon la nature des tâches
28Au-delà du solde négatif induit par les destructions d’emplois dans les phases de récession de l’économie américaine (Jaimovich et Siu [2012]), différents travaux dont ceux de Acemoglu [1999], Autor, Levy et Murnane [2003], Autor et Acemoglu [2011], Jaimovich et Siu [2012], Autor [2013], Frey et Osborne [2013], ont mis en évidence une autre caractéristique du marché du travail contemporain aux Etats-Unis : la bipolarisation des emplois.
29Ces travaux sont partis de l’idée que l’équivalence traditionnelle et implicite à la notion de fonction de production, entre compétences (ou qualifications) et tâches, devait être remise en cause dès lors que des arbitrages pouvaient être mis en œuvre pour l’allocation d’une tâche donnée au facteur travail ou au facteur capital. L’allocation d’une ou plusieurs tâches à l’un de ces deux facteurs dépend d’au moins deux caractéristiques : l’état de développement technologique qui permet ou non la substitution et le prix relatif des facteurs. La substitution du facteur travail par le facteur capital dans l’accomplissement d’une tâche est fonction des prouesses technologiques, notamment celles du numérique. Le recours au numérique est possible dès lors que les gestes et procédures élémentaires dans l’accomplissement d’une tâche sont suffisamment codifiés pour être reproduits sur le plan numérique. La tâche correspondante acquiert alors le statut de tâche routinière. Forts de ce constat, les travaux cités ont alors observé que deux catégories précises d’emplois ont vu leurs parts dans l’emploi global s’accroître au cours des trois dernières décennies. Il s’agit respectivement des emplois requérant des tâches manuelles et non routinières (emplois généralement rémunérés par des salaires faibles), et ceux requérant des tâches cognitives et non routinières (emplois rémunérés par des salaires élevés). A l’inverse, les parts dans l’emploi global des emplois requérant des tâches manuelles et routinières ainsi que ceux utilisant des tâches cognitives et routinières (tous deux rémunérés par des salaires moyens), ont décru au cours des trois dernières décennies.
30Même si d’innombrables problèmes se posent quant à l’identification de la nature des tâches, le phénomène de bipolarisation des emplois paraît lui-même assez robuste. Cette bipolarisation se retrouve par ailleurs lorsque l’observation se focalise uniquement sur la distribution des salaires. En classant les emplois par rémunération croissante, différents travaux recensés dans Autor et Acemoglu [2011] sont parvenus à la conclusion que, durant les trois sous-périodes de dix ans chacune, s’étalant de 1979 à 2009, la distribution des emplois selon les revenus du travail a une forme en U qui s’accentue au cours du temps : le nombre de travailleurs recevant des rémunérations extrêmes (i.e. les moins bien payés et les mieux payés) s’est accru au cours des trois dernières décennies, alors que le nombre de travailleurs recevant des rémunérations intermédiaires a décliné. Autrement dit, il y aurait eu création nette d’emplois aux salaires extrêmes et destruction nette d’emplois aux salaires intermédiaires. [15] Pour illustrer, près des trois-quarts des emplois créés aux Etats-Unis depuis la récession de 2008 sont rémunérés à un niveau à peine supérieur au salaire minimum, alors même que le nombre de très hauts revenus n’a jamais été aussi grand (Cowen [2013]). Outre l’étendue de l’inégalité des revenus qu’il suggère [16], ce résultat constitue une source d’inquiétude importante : ce seraient les cols bleus américains, c’est-à-dire ceux de la classe moyenne dont les revenus du travail ne sont ni trop bas ni trop élevés, qui auraient le plus subi la perte d’emploi durant les 30 dernières années. Les travaux mentionnés plus haut, notamment ceux d’Acemoglu et Autor [2011], montrent que ce phénomène de bipolarisation des emplois selon les salaires est, en fait, une conséquence des nouvelles technologies. En effet, le phénomène caractérise bien une bipolarisation des tâches selon qu’elles sont routinières [17] ou non routinières. Les emplois où la substitution du travail humain par des automatismes numériques (et/ou par de la sous-traitance dans des pays à bas salaires) a été la plus élevée sont des emplois requérant des tâches routinières, passibles d’être réalisées par des automatismes numériques, qu’il s’agisse de travaux manuels (ex. cols bleus dans une usine) ou de travaux cognitifs requérant des capacités d’adaptation à l’environnement (ex. employés de banque). Ces deux types de travaux sont rémunérés par des salaires moyens et la substitution capital/travail a été rendue possible non seulement grâce aux progrès du numérique et de l’intelligence artificielle, mais également sur le plan économique grâce au faible coût d’utilisation des automatismes numériques (et/ou des salaires des pays émergents où le salaire est bas). Le recours à des technologies numériques a un coût de plus en plus faible du fait des progrès incorporés dans ces technologies. Symétriquement, les emplois où la substitution capital/travail a été relativement absente sont ceux qui exigent des tâches non routinières, c’est-à-dire non suffisamment codifiables pour pouvoir être réalisées par des automatismes, qu’il s’agisse de tâches manuelles faiblement rémunérées (ex. personnel infirmier) ou de tâches cognitives fortement rémunérées (ex. programmeurs, etc.).
31Même si le processus d’automatisation (et/ou de sous-traitance à l’étranger) de certaines tâches accroît l’offre d’emplois pour réaliser des tâches complémentaires non routinières, cela n’a pas suffi à compenser les destructions d’emplois dues à l’automatisation des tâches routinières. Au total, selon cette analyse, les technologies numériques contemporaines exerceraient bien un effet négatif sur l’emploi global et cet effet serait d’autant plus important que l’ensemble des tâches pouvant être codifiées s’élargit. C’est une remarque importante qui nous servira dans la partie prospective consacrée à la recherche de solutions pour réconcilier progrès technique et emploi.
32Mais avant cela, commençons par faire le parallèle avec l’argument avancé par Robert Gordon [2012] pour qui les innovations de la révolution industrielle contemporaine auraient un effet à la fois de moindre ampleur et de moindre durée que les innovations de la deuxième révolution industrielle. Une hypothèse hâtive, mais non dénuée d’intérêt, reviendrait à dire que les innovations contemporaines diffèrent de celles de la deuxième révolution industrielle, en ce sens qu’elles ne satisfont pas les mêmes propriétés. Plus précisément, les innovations de la deuxième révolution industrielle satisfont les deux propriétés suivantes :
- Elles ont conduit à un accroissement de l’emploi global grâce au développement de technologies permettant au travail humain d’être plus productif. Ces technologies ont permis de remplacer du travail artisanal, nécessairement qualifié, par du travail moins qualifié, réalisé par des ouvriers postés, travaillant sur des machines.
- Elles ont considérablement amélioré les conditions de vie du plus grand nombre de citoyens dans les pays où ces innovations ont été réalisées, notamment en libérant des pans entiers de la vie courante par l’introduction d’un confort domestique et urbain qui ont amélioré les conditions d’existence.
33Par contraste, les innovations de l’ère numérique contemporaine seraient caractérisées par deux propriétés quelque peu différentes :
- Tout en permettant des gains de productivité, elles permettent de substituer des automatismes requérant beaucoup de travail qualifié à du travail humain moins qualifié. En ce sens, elles introduisent un biais en faveur du travail qualifié alors que les innovations de la 2ème révolution industrielle introduisaient un biais en faveur du travail non qualifié (en remplaçant du travail artisanal par du travail posté en usine).
- Comme le travail non qualifié reste la ressource humaine la plus abondante dans l’économie, les innovations de la révolution industrielle en cours ne permettent pas à tous les postulants d’obtenir un emploi et de bénéficier de conditions de vie plus favorables. En substituant des automatismes numériques à du travail physique, les innovations numériques contemporaines requièrent des compétences qui sont concentrées entre les mains d’un petit nombre d’agents seulement. C’est la raison pour laquelle, sauf à supposer que les efforts nécessaires d’éducation, de formation et de qualification seront rapidement déployés et rendus effectifs dans un avenir proche, ces technologies ne sont pas encore perçues par le plus grand nombre comme apportant une réelle amélioration du mieux-vivre.
34Dans une perspective centrée sur l’emploi et qui cherche à trouver des solutions compatibles avec les propriétés 1’ et 2’ des innovations contemporaines, des transformations sociales donnant naissance à des emplois non substituables par des mécanismes numériques et non délocalisables dans des pays à bas coûts salariaux sont nécessaires. Les pistes de réflexion que nous avançons consistent à chercher les moyens de se battre avec les machines plutôt que de se battre contre elles. Si les technologies numériques sont allées en un certain sens assez loin dans la substitution capital/travail et ont introduit dans les pays développés un biais significatif en défaveur du travail non qualifié, plus précisément du travail requérant des tâches devenues routinières, [18] c’est parce qu’elles ne satisfont pas encore les besoins du plus grand nombre de citoyens, au sens où un mieux-vivre individuel et collectif n’a pas encore accompagné ces innovations. Que faire pour que les innovations contemporaines enchantent le monde à nouveau, en créant des emplois et en offrant des conditions du mieux-vivre ? Deux pistes de réflexion sont possibles. La première (2ème section) consiste à analyser la direction des innovations souhaitables, notamment en fonction de leur impact sur l’emploi, par comparaison avec les innovations des révolutions industrielles précédentes. La deuxième (3ère section) consiste à tenter de répondre directement à la question du type d’organisation sociale pour parvenir aux objectifs recherchés. [19]
Types d’innovations et impacts sur l’emploi
35Selon le Manuel d’Oslo [1ère édition 1992, 3ème édition 2005], une innovation consiste en la mise en œuvre d’un produit ou d’un procédé nouveau ou sensiblement amélioré, d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle, que ce soit au niveau interne de l’entreprise ou au niveau de ses relations externes. Cette définition met l’accent sur deux caractéristiques générales de l’innovation : la nouveauté et le support de la nouveauté. Commode sur le plan statistique, cette définition a donné lieu aux classifications usuelles : innovation de produit, de procédé, de design, etc. Cette définition souffre néanmoins de deux défauts. Premièrement, en mettant l’accent sur la nouveauté, elle conduit à une utilisation invasive du terme innovation, au point de le transformer en un cliché, pour ne pas dire incantatoire. [20] Il est clair que l’ubiquité d’un terme n’est jamais fructueuse pour en dégager l’intérêt. Deuxièmement, cette définition laisse entièrement de côté des aspects importants pour caractériser le rôle et la place d’une innovation dans sa chaîne de valeur, en répondant aux quatre questions suivantes : i) est-elle initiatrice d’une nouvelle chaîne de valeur ? ii) est-elle à l’origine d’une demande nouvelle ? iii) est-elle du domaine d’intervention des pouvoirs publics ? iv) quelles dimensions sociales et/ou sociétales sous-tendent le succès d’une innovation ?
36Différents travaux, essentiellement de nature managériale, proposent des typologies d’innovations permettant d’apporter, ne serait-ce que partiellement, des réponses à ces questions.
Innovation de rupture et innovation incrémentale
37Une première notion, celle d’innovation de rupture, développée dans la littérature managériale, cherche à élucider les raisons pour lesquelles certaines grandes entreprises ne parviennent pas à maintenir leur leadership au cours du temps. La réponse que donnent certains experts en management de l’innovation (Bower et Christensen [1995], Christensen [2012], Tellis [2006]) est que ces entreprises sont captives des préférences des agents qui constituent le cœur de leur clientèle traditionnelle. Elles cherchent à renforcer ce qu’elles considèrent comme étant leur avantage auprès de leur clientèle la plus fidèle, au détriment de technologies émergentes qui ne concernent au départ qu’une faible partie du marché. Les entreprises leaders seraient donc captives des besoins de leurs clients sans percevoir les dangers que recèlent les technologies émergentes ! [21] Les technologies de rupture sont ainsi définies par deux caractéristiques : i) ce sont des technologies qui possèdent au départ des performances inférieures à celles des technologies existantes, et ne satisfont pas de ce fait les exigences de la majorité des utilisateurs des technologies en place ; ii) l’évolution graduelle des performances des nouvelles technologies et/ou l’abaissement du coût de production que ces dernières permettent, sont tels que leur marché s’agrandit, au point qu’elles finissent par supplanter, aux yeux du grand public, les technologies existantes.
38C’est à l’élucidation d’un véritable processus de « destruction créatrice » qu’invite ainsi la notion d’innovation de rupture. Un tel processus affecte la dynamique d’évolution d’une activité, par le biais des entrées, des sorties, de la consolidation ou de la rétraction des entreprises, de l’âge des entreprises innovantes, de leur potentiel de croissance, etc., tous changements qu’exprime le terme anglais « churning ». Les effets de cette dynamique sur les gains de productivité sont importants (Encaoua [2009]). En outre, comme le fait remarquer Helpman [1998], toute suite d’innovations incrémentales trouve sa source dans une innovation de rupture. C’est le cas des technologies génériques dont l’usage se répand à plusieurs activités (General Purpose Technology). Certaines de ces innovations sont de type « demand pull », au sens où ce sont les exigences sociales des nouveaux modes de vie qui servent de moteur à l’innovation ; d’autres sont de type « technology push », au sens où la technologie évolue selon un rythme qui lui est propre et les transformations sociales sont davantage induites par l’innovation qu’elles n’en constituent le moteur (Crampes et Encaoua [2003]). Différents exemples d’innovations contemporaines de rupture peuvent être trouvés dans les domaines de la santé, de l’éducation, etc. [22]
39Comment émergent les innovations de rupture ? C’est une question difficile : les incitations privées sont souvent insuffisantes, ce qui explique que les mécanismes de marché ne conviennent pas toujours à en assurer l’advenue. Tout autant que les talents et la créativité des entrepreneurs, c’est tout l’écosystème mis en place par les pouvoirs publics qui devient crucial. [23] Par exemple, une question importante à laquelle sont confrontés les pouvoirs publics dans leur effort pour infléchir la direction des innovations est de savoir s’il vaut mieux financer la recherche fondamentale, source fréquente d’innovations de rupture, ou subventionner davantage les entreprises pour les inciter à investir en R&D. [24] Le débat sur cette question est loin d’être tranché, mais nous suggérons ici une piste d’argumentation. Plutôt que de subventionner l’ensemble des dépenses de R&D des entreprises par une mesure fiscale uniforme du type Crédit impôt recherche (CIR), mesure incitative censée accroître l’intensité de la R&D [25], on pourrait moduler le niveau du CIR selon que l’entreprise elle-même participe ou non à la recherche fondamentale. Le crédit fiscal dont bénéficierait une entreprise serait alors d’autant plus élevé que l’entreprise participe à une activité de recherche fondamentale, que ce soit en son nom propre dans ses laboratoires, ou en partenariat avec des laboratoires universitaires. Cette mesure aurait un double avantage. Premièrement, en incitant les entreprises à participer plus activement à la recherche fondamentale, cette mesure favoriserait l’émergence d’innovations de rupture, à l’origine de nouvelles chaînes de valeurs, alors qu’en incitant fiscalement les entreprises à la R&D on aboutit le plus souvent à des innovations de renouvellement ou de remplacement qui prolongent les activités traditionnelles de l’entreprise. En outre, les découvertes issues de la recherche fondamentale ont ceci de particulier qu’elles sont à l’origine d’externalités de retombée ou de diffusion (spillovers) très importantes, car les applications auxquelles elles donnent naissance sont souvent multiples. [26] Les découvertes de la recherche fondamentale ont en effet une forte chance de donner naissance à des inventions et innovations affectant plusieurs secteurs de l’économie, devenant ainsi le véhicule d’un progrès technique important à l’échelle d’une région, d’un pays ou même d’un continent. [27] Deuxièmement, cette modulation du CIR aurait pour effet de desserrer la contrainte de financement public des universités dans une période de forte restriction budgétaire. [28]
Trois types d’innovations selon leur effet sur l’emploi
40Au-delà des notions d’innovation de rupture et incrémentale, une typologie proposée par Christensen [2012], fondée sur une logique de finalité, distingue trois types d’innovations ayant des effets différenciés sur l’emploi : innovations de remplacement, de rationalisation et d’autonomisation. Les innovations de remplacement, vraisemblablement les plus nombreuses dans l’économie contemporaine, ont pour objet d’introduire des biens incorporant des améliorations techniques et/ou de nouvelles fonctionnalités. Même si ces innovations ne sont pas nécessairement incrémentales, elles ne sont pas pour autant le support d’une demande nouvelle élevée dans la mesure où elles renouvellent simplement la demande adressée à une version antérieure. Les consommateurs bénéficient des améliorations et fonctionnalités nouvelles, mais très souvent, une fois l’innovation de remplacement mise au point, la production des biens correspondants ne nécessite pas une main-d’œuvre très qualifiée, ce qui explique que la production puisse être soit délocalisée dans des pays à coûts salariaux faibles, soit automatisée à partir d’une commande numérique. Le nombre d’emplois non qualifiés, consacrés à la production de biens incorporant des améliorations ou de nouvelles fonctionnalités, n’augmente donc pas de manière significative dans les pays où est née cette innovation. On doit également noter que ces innovations sont souvent induites par la concurrence sur les marchés globalisés et de ce fait elles paraissent indispensables à la survie des entreprises. Par exemple, l’industrie automobile est le siège d’un grand nombre d’innovations sous diverses formes : facilité et sécurité de conduite, réduction ou substitution de carburant, niveau d’intelligence embarquée, etc. Mais, comme dans les pays occidentaux le taux d’équipement automobile est déjà élevé, la demande de nouvelles voitures ne s’accroît pas très fortement. Remplacer une voiture utilisant un carburant traditionnel par une voiture hybride ou par une voiture électrique constitue une innovation bénéfique à la fois pour les utilisateurs et pour l’environnement, mais, pour autant, peu propice à un accroissement marqué de nouvelles voitures [29] dans les pays développés. Il en est de même de l’industrie des smartphones. Une fois la conception mise au point dans le pays d’origine, la fabrication recourt à une main-d’œuvre moins chère dans d’autres pays. Au total, on peut penser que les innovations de remplacement sont au mieux neutres du point de vue de l’emploi, c’est-à-dire qu’elles parviennent tout au plus à maintenir les niveaux d’emplois existants sans pour autant en créer de nouveaux en grande quantité.
41Les innovations de rationalisation sont des innovations de procédé permettant d’abaisser le coût de production et/ou de distribution des biens et services qui ont déjà atteint leur maturité. Tout comme les innovations de remplacement, elles satisfont un impératif Darwinien, à savoir la nécessité d’innover pour survivre, mais elles y parviennent le plus souvent en réduisant le nombre d’emplois pour accroître l’efficacité productive. Par ailleurs, elles libèrent du capital du fait des économies qu’elles apportent à la production et la distribution des biens. Par exemple, l’introduction du système du juste à temps a permis à Toyota d’abaisser la valeur des stocks d’une valeur initiale de deux ans à une valeur de deux mois, libérant ainsi d’importants montants de capital. Ces innovations exercent au total deux effets sur l’emploi. A court terme, le remplacement de certains emplois par des technologies numériques et/ou le recours à de la sous-traitance délocalisée conduit à une destruction d’emplois. A moyen et long terme, l’effet est plus ambigu. A court terme, l’effet est le plus souvent négatif. Mais à plus long terme, l’accroissement de productivité peut conduire à l’entrée de nouvelles entreprises, ce qui peut éventuellement accroître l’offre d’emplois, par un effet de capitalisation. Les technologies de production fragmentée des composants automobiles et d’assemblage automatique dans des usines robotisées constituent un exemple type d’innovations de rationalisation. En même temps qu’elles économisent du travail, ces technologies libèrent du capital et la question est de savoir si le capital libéré est réinvesti dans d’autres innovations de rationalisation ou s’il se dirige vers des innovations autonomisantes nouvelles.
42Les innovations autonomisantes, encore qualifiées de créatrices de nouveaux usages, sont des innovations de rupture possédant deux propriétés supplémentaires. Premièrement, elles conduisent à produire de nouveaux biens ou offrir de nouveaux services à des coûts de plus en plus faibles au fur et à mesure que le nombre de consommateurs s’accroît. Elles ont pour effet de transformer des biens ou des procédés existants, complexes, coûteux et réservés à un petit nombre de consommateurs en des biens ou procédés plus simples, moins coûteux et accessibles au plus grand nombre. Elles créent donc de nouvelles classes de consommateurs et induisent de ce fait une véritable nouvelle demande de marché, se traduisant par des créations d’emplois. Deuxièmement, elles s’accompagnent souvent de transformations sociales dans les usages et les modes de vie, conférant aux utilisateurs une plus grande autonomie de fonctionnement. Leur usage se diffuse à de nombreuses activités. Par exemple, l’informatique partagée (cloud computing) rend accessible à l’ensemble des entreprises les technologies de traitement de l’information réservées jusque là aux seules grandes entreprises. Elle permet, en outre, un extraordinaire développement de l’industrie des logiciels qui offre ainsi de nouveaux emplois de concepteurs, de programmeurs et d’informaticiens. [30] De manière générale, l’introduction d’une innovation d’autonomisation nécessite un investissement en capital bien plus important qu’une innovation de remplacement, et le plus souvent cet investissement nécessite un très long délai de recouvrement. Internet fait partie aujourd’hui des innovations autonomisantes, comme l’ont été en leur temps l’imprimerie, le moteur à vapeur, le moteur électrique, l’éclairage public et individuel, la voiture automobile, le laser ou encore l’appréciable confort domestique induit par le raccordement à l’eau courante, la présence de sanitaires dans les logements ou encore le raccordement au réseau électrique.
43Ces trois types d’innovations coexistent à tout moment dans une économie. Toutefois, les combinaisons d’investissements en capital qu’elles engendrent peuvent conduire à des configurations globales différentes. Par exemple, si le capital libéré par des innovations de rationalisation se reporte sur des innovations autonomisantes, cela entraîne un renouvellement de la demande globale conduisant à plus de croissance économique et de création d’emplois. Dans ce cas, l’effet négatif de court terme des destructions d’emplois dues aux innovations de rationalisation peut être plus que compensé par l’effet positif de créations d’emplois dues aux innovations autonomisantes. Ce scénario idéal conduit ainsi à des cycles d’activité relativement courts comme cela a été le cas de l’économie américaine depuis la fin de la deuxième guerre mondiale jusqu’au milieu des années 1970. Pendant cette période, le capital libéré par les innovations de rationalisation s’est reporté sur des innovations autonomisantes, et le processus de destruction créatrice s’est matérialisé par le fait que les créations d’emplois l’ont emporté sur les destructions d’emplois, entraînant une baisse du taux de chômage. Jusqu’au milieu des années 1970, tout s’est donc passé comme s’il existait des forces ré-équilibrantes qui remettaient les cycles en marche. Mais, depuis cette date, c’est à un scénario différent que l’on assiste. Le capital libéré par les innovations de rationalisation ne se dirige plus vers de nouvelles innovations autonomisantes mais plutôt vers de nouvelles innovations de rationalisation ou de remplacement. Une double conséquence en résulte. D’une part, comme on l’a vu, les créations d’emplois durant les phases d’expansion ne suffisent plus à compenser les destructions d’emplois durant les phases de récession. D’autre part, la durée des périodes de récession devient elle-même de plus en plus longue. Entre 1948 et 1981, les phases de récession ont duré à peu près six mois avant de retrouver des niveaux d’emploi analogues à ceux atteints avant la récession. Les phases de récession plus récentes ont été beaucoup plus longues. La récession américaine de 1990 a duré 15 mois avant de retrouver le niveau d’activité antérieur. La récession de 2001 a duré encore plus longtemps : 39 mois. Quant à la dernière récession, elle a duré de 2008 à 2011, soit 48 mois. De plus, son issue n’a pas permis de rétablir l’emploi au niveau antérieur à la crise de 2008. Tout laisse donc penser que les forces ré-équilibrantes ne jouent plus leur rôle ou, au mieux, mettent beaucoup plus de temps pour y parvenir, alors même que le rythme global des innovations ne semble pas fléchir. Que faire pour que les innovations autonomisantes redeviennent prédominantes ? C’est une question difficile et sans approfondir davantage, on peut simplement avancer l’idée que cela devrait être un objectif de politique industrielle des pouvoirs publics, afin d’infléchir la direction des innovations.
44Finalement, à ce stade de notre analyse, la question clé de savoir si les contre-performances des innovations contemporaines sont structurelles ou transitoires, reste entière. Dans la section qui suit, nous développons l’idée que les potentialités de transformations sociales ouvertes par les technologies numériques contemporaines n’ont pas encore été suffisamment exploitées. Autrement dit, même si certaines de ces technologies ont bien un caractère d’innovations de rupture, elles n’ont pas encore entraîné les nécessaires transformations sociales pour acquérir le statut de véritables innovations autonomisantes. Des modes d’organisation et de coordination nouveaux pourraient conduire à un renouvellement des usages et des modes de vie, passibles à leur tour d’alimenter une nouvelle croissance économique. Il ne s’agit pas de dire quelles seront les innovations autonomisantes à venir, ce qui serait en tout état de cause impossible à prévoir. Mais on peut toutefois suggérer deux pistes de réflexion. La première piste, ébauchée plus haut, consiste à explorer l’hypothèse que de nouvelles innovations autonomisantes ont plus de chance de provenir de la recherche fondamentale que de la recherche appliquée au sein des entreprises. Cette hypothèse conduit à une politique de soutien renforcé à la recherche de base et pas seulement à la R&D des entreprises. La deuxième piste, que nous ouvrons à présent, consiste à explorer l’hypothèse que le potentiel d’autonomisation des innovations numériques se matérialisera, vraisemblablement, autant par les transformations des modes de vie, et une réinvention des usages qu’elles appellent, que par leur contenu technologique proprement dit.
Révolutions industrielles et nouvelle économie : perspectives ouvertes par la révolution numérique
45Pour mieux comprendre la signification de la révolution industrielle dans laquelle nous sommes engagés, commençons par rappeler brièvement ce que furent les deux premières.
Les deux premières révolutions industrielles
46Les deux premières révolutions industrielles ont été marquées par un double phénomène : i) un décuplement des capacités physiques des hommes au contact des technologies de la mécanique, conduisant à des gains de productivité notables ; ii) une révolution des modes de vie par le passage d’une production artisanale à une production industrielle et la disponibilité d’un grand nombre de biens de confort domestique.
La 1ère révolution industrielle avec la machine à vapeur
47La première révolution industrielle a commencé au milieu du 18ème s., d’abord en Grande-Bretagne, puis en France, avec l’introduction de la machine à vapeur fonctionnant au charbon. Cette nouvelle technologie permettait de décupler les capacités humaines infiniment plus que n’avait pu le faire la force physique ou animale employée jusqu’alors. Naturellement, cette technologie a été utilisée dans des activités qui rassemblaient un grand nombre de personnes effectuant un travail pénible avec, jusque-là, une efficacité très faible en vue de satisfaire des besoins de base (se nourrir, se vêtir, etc.). C’est ainsi que les premières machines à vapeur ont remplacé les charrues et ont actionné les navettes des métiers à filer et à tisser, jusqu’alors actionnées manuellement. Ces technologies ont aussi été utilisées pour permettre des déplacements et des échanges bien plus rapides et plus aisés que l’on y parvenait autrefois en utilisant la seule force animale. Les trains et les bateaux à vapeur ont commencé à apparaître sans pour autant devenir des moyens de transport de masse. On s’est ainsi mis progressivement à faire beaucoup plus efficacement ce que l’on faisait auparavant de manière artisanale. D’artisanaux, les biens sont devenus industriels. La première conséquence a été la baisse substantielle du nombre d’emplois dans les campagnes et dans les bourgs, au fur et à mesure que l’agriculture se mécanisait et que les ateliers étaient remplacés par des usines mécanisées. La nature et l’organisation du travail en ont aussi été transformées. Les lieux d’habitation ont été séparés des lieux de travail. Par exemple les tisserands qui utilisaient leur lieu d’habitation comme lieu de fabrication ont été réunis dans des usines sur des chaînes de production, sous l’autorité de contremaîtres. Le travail manuel à domicile avec un outil rudimentaire est devenu du travail posté dans des usines sur des chaînes de production incluant des machines qui décuplaient la force des hommes. D’artisanal, le travail est également devenu industriel.
48Mais durant cette première phase, ces transformations radicales de l’organisation de la production et du travail sont restées limitées à un petit nombre d’activités, celles qui pouvaient se prêter à la technologie, relativement lourde, de la machine à vapeur. En outre, ces transformations n’ont pas permis de révolutionner la vie domestique quotidienne de l’ensemble de la population. Elles n’ont donc débouché ni sur le plein emploi ni sur de forts taux de croissance.
La 2ème révolution industrielle : de la machine à vapeur au moteur électrique
49La deuxième révolution industrielle, qui s’ébauche à partir du milieu du 19ème s., a vu naître des inventions technologiques majeures telles que l’électricité et le moteur à combustion interne. Comme la machine à vapeur, le moteur à combustion interne décuplait les capacités physiques des hommes, mais en recourant à des équipements beaucoup moins lourds. Un très grand nombre de nouveaux biens industriels ont pu voir le jour au fur et à mesure que des inventeurs ont perçu que les moteurs électriques pouvaient servir à de multiples usages : automobiles, trains électriques, tramways, avions à hélices puis à réaction, mais aussi à toutes sortes d’équipements qui ont transformé la vie quotidienne des consommateurs et en ont énormément réduit la pénibilité (appareils électroménagers pour cuire, réfrigérer, laver, aspirer la poussière, cuisiner, etc.). Les modes de vie en ont été radicalement modifiés.
50Les villes aussi ont dû se structurer pour accompagner ces tout nouveaux modes de vie en développant des infrastructures de réseaux. Le même réseau d’électricité sur lequel les entreprises branchaient leurs machines pour fabriquer les biens a pu être utilisé par les ménages pour brancher commodément, dans tous les logements, tous les appareils électroménagers qui avaient pu être inventés. De même, on a mis en place sur tout le territoire un réseau d’eau sur lequel tous les logements ont pu être branchés pour avoir accès à l’eau courante et disposer du confort sanitaire dans tous les domiciles. Une très grande quantité de biens ont pu être produits et utilisés dès lors que ces équipements partagés ont été accessibles sur tout le territoire.
51Un cercle vertueux a pu alors s’enclencher. L’explosion d’une nouvelle demande est allée de pair avec la création de très nombreux emplois pour fabriquer les biens permettant à toute la population d’accéder progressivement à ce nouveau mode de vie. Le plein emploi s’est installé et les entreprises qui dégageaient régulièrement des gains de productivité entretenus par le progrès technique incorporé dans les machines (et sur les technologies adjacentes qui les accompagnent, comme ce fut le cas de la chimie en particulier) ont pu les distribuer sous forme de pouvoir d’achat. Le plein emploi a, en effet, permis d’équilibrer les rapports de forces et donc d’augmenter les salaires à proportion des gains de productivité. Le phénomène a touché suffisamment de biens différents et d’entreprises pour que les niveaux de rémunération des travailleurs leur permettent d’acheter les biens produits.
52Des services publics et sociaux ont pu être organisés à partir de prélèvements opérés sur la richesse créée par l’industrie pour répondre aux besoins dont la satisfaction ne passait pas par l’achat d’un bien marchand (santé, éducation, culture, transport collectif…).
53Mais il a fallu attendre des décennies pour que les nouveaux modes de production se structurent de façon efficace en articulant de façon productive, comme on vient de le décrire, capital et travail. Concernant le capital, il a fallu attendre que chaque producteur puisse utiliser des équipements produits par d’autres, en les intégrant à ses chaînes de production sans avoir à les produire. Lorsque ces équipements sont partagés par tous les producteurs et tous les consommateurs on les appelle réseaux ou infrastructures. Lorsqu’ils sont partagés uniquement par les producteurs d’un même secteur d’activité, on les appelle biens d’équipement. Les équipements partagés ont un triple intérêt : i) ils permettent de spécialiser chaque entreprise sur son cœur de métier ; concevoir des voitures devient possible sans avoir à concevoir et fabriquer des machines permettant de construire les chaînes de production des voitures ; ii) en spécialisant certaines entreprises dans la fabrication des machines, le processus d’accumulation et de diffusion à l’ensemble de l’industrie des savoirs et savoir-faire sur les nouvelles technologies est accéléré : le partage de certains maillons de la chaîne de production permet en effet de partager les coûts fixes entre toutes les entreprises utilisatrices et donc de réduire les coûts pour atteindre plus rapidement le seuil de rentabilité ; iii) enfin ces maillons ont donné aux consommateurs un accès simple à tous les nouveaux biens qui sont nés des nouvelles technologies.
54Séparer dans les nouvelles chaînes de production ce qui peut être partagé de ce qui doit rester le fait d’entreprises en concurrence est une opération très délicate. Durant les phases de révolution industrielle, la séparation nécessite des modalités de coordination nouvelles et complexes. C’est pourquoi ces infrastructures n’émergent que très progressivement en passant généralement par de longues et coûteuses phases pendant lesquelles coexistent des équipements propriétaires plus ou moins performants et non compatibles entre eux, ce qui alourdit les coûts fixes et complique l’accès aux nouveaux modes de vie. Ce n’est qu’après de longues décennies que de véritables infrastructures partagées par tous et un secteur de biens d’équipement spécialisé par secteurs d’activité se sont constitués.
55Concernant le travail, il a fallu repenser l’habitat et l’organisation de l’espace de façon à concentrer les travailleurs près des usines. Il a fallu également les former à un travail posté répétitif pour une production de masse durant des plages horaires spécifiques, et les encadrer par des contremaîtres selon un mode d’organisation et de contrôle hiérarchique. C’est ainsi que des écoles d’ingénieurs spécialisées dans les différentes nouvelles technologies ont été créées. Des formations professionnelles adaptées à cette nouvelle organisation du travail ont également été mises en place.
Une vision techno-centrée de la 3ème révolution industrielle
56Il est difficile de rassembler tout ce qui a pu être dit sur la troisième révolution industrielle, marquée par un développement important des technologies numériques. Néanmoins, même si on ne dispose pas encore d’une visibilité suffisante on peut percevoir quelques tendances. [31]
57Premièrement, dans de nombreuses activités, le modèle de la production de masse semble menacé. Les technologies contemporaines en matière d’intelligence artificielle, de reconnaissance des commandes vocales, de conception et de fabrication assistée par ordinateur, grâce notamment à l’impression 3D, permettent d’envisager une nouvelle phase donnant naissance à des produits individualisés, relativement différenciés entre eux, et dont le coût unitaire n’est pas plus élevé que celui obtenu en bénéficiant des économies d’échelle dues à la production de masse. Tout se passe comme si les composants de certains produits étaient programmés en fonction des spécificités des demandes individuelles, l’assemblage final de ces composants s’appuyant alors sur les propriétés de l’architecture modulaire que permet la programmation informatique. Ainsi, même si nous n’en sommes qu’aux prémisses, il n’est pas interdit de penser que les nouvelles technologies permettent de passer d’un système de production de masse avec des marchés relativement segmentés à un système de production et de design de produits fortement différenciés et possédant des marchés globalisés. [32]
58Deuxièmement, la révolution numérique déplace les lieux de rareté. Ce ne sont pas uniquement les capitaux nécessaires pour financer les coûts fixes de la production de masse qui constituent les ressources les plus rares, mais également les idées et les compétences. Elles constituent les nouvelles contraintes auxquelles sont confrontées les sociétés industrielles pour concevoir, développer, produire et utiliser les nouvelles technologies et les logiciels qui les font fonctionner.
59Concernant les idées, il est commun de penser, comme nous y invite la métaphore des géants de Newton (standing on the shoulders of giants), que le potentiel de création de nouvelles idées d’une génération est une fonction croissante du patrimoine de connaissances dont hérite cette génération. Mais Jones [2005] suggère que l’inverse pourrait tout autant être vrai. Plus les connaissances accumulées, nécessaires à la production d’une nouvelle idée, sont nombreuses et difficiles à maitriser, plus les chances d’apparition d’idées véritablement nouvelles s’avèrent faibles. Cette hypothèse contribuerait à expliquer pourquoi les innovations autonomisantes sont plus rares aujourd’hui que les innovations de remplacement ou de rationalisation. [33] En réalité, des formes de coopération pour l’exploration et le développement collectif de nouvelles idées (crowdsourcing) se mettent en place, tout comme l’appel à financement participatif (crowdfunding). L’apprentissage et l’enseignement commencent également à bénéficier d’audiences élargies grâce à l’utilisation de technologies numériques appropriées (MOOC).
60Le travail qualifié est une autre source de rareté. Dans leur ouvrage, Goldin et Katz [1998] montrent que l’insuffisance de l’offre de travail qualifié a constitué un frein important à la croissance économique. L’ajustement de la demande de travail qualifié à l’offre s’est opéré par un prix plus élevé du travail qualifié conduisant à une forte croissance des inégalités salariales durant les vingt-cinq dernières années. [34]
61Troisièmement, une tendance perceptible des technologies numériques est qu’elles permettent de réaliser de substantielles économies en matière de coût du travail. Comme illustré plus haut, de plus en plus de travaux humains, y compris dans des domaines qui paraissaient jusqu’à récemment inenvisageables à faire exécuter par des machines, peuvent maintenant être réalisés grâce à des automatismes, à l’utilisation d’interfaces permettant la reconnaissance vocale, et à différents mécanismes d’intelligence artificielle. Cela n’est évidemment pas favorable à l’emploi, mais on peut penser que la réduction des coûts du travail qu’ils engendrent rend moins profitable le recours à la sous-traitance dans les pays à bas coûts salariaux. Les raisons ayant poussé certaines industries à délocaliser leur production dans des pays à bas salaires perdraient de ce fait tout intérêt, ce qui devrait conduire à une relocalisation des emplois dans les pays d’origine.
62Quatrièmement, la perception collective du modèle de la révolution numérique en cours semble avoir été circonscrite jusqu’à présent au développement de moyens de communication et de divertissement qui proposent toute une série d’instruments, de plus en plus performants et de taille de plus en plus réduite (smartphones, tablettes, jeux vidéo, réseaux sociaux, etc.). Les potentialités de ces instruments pour améliorer les conditions du « mieux vivre ensemble » sont encore loin d’être pleinement exploitées. Mais le point important est que ces instruments permettent déjà tout un ensemble d’activités nouvelles dont la communication et le divertissement ne sont que la partie visible de l’iceberg. Des activités telles que l’éducation, la santé, les services à la personne, le traitement à domicile de la dépendance, la gestion des données, les moyens de stockage de l’énergie, les transports, etc., sont en voie d’être totalement révolutionnées par des technologies numériques, notamment au travers de l’Internet des objets. Ce dernier se réfère à un univers où les objets ont des adresses IP, tout comme les ordinateurs reliés à Internet. Ils peuvent alors communiquer entre eux selon des protocoles prédéfinis, être pilotés à distance, voire se piloter en tant que systèmes autorégulés pour certaines fonctions (CGSP [2013]). Surveiller des flux de produits dans une usine, mesurer le degré d’humidité dans un champ de culture, suivre les écoulements d’eau dans un réseau ou surveiller à distance la santé de patients atteints de maladies chroniques sont quelques-unes des perspectives que l’Internet des objets ouvre maintenant aux entreprises, aux particuliers et aux institutions des secteurs public et privé. Mais si la plupart des objets communicants ont la capacité d’inter-opérer avec d’autres, la difficulté consiste à piloter cette interopérabilité [35] pour qu’elle puisse être offerte, utilisée, réutilisée par tous (CGSP [2013]).
63Au fond, les usages du numérique transforment le monde social. Déjà, des équipements numériques participent au développement de ce qu’il convient d’appeler aujourd’hui l’économie du partage ou encore l’économie collaborative, permettant, par exemple, une location occasionnelle ou permanente de logements, de voitures, un financement participatif de projet (crowdfunding), un appel à de l’intelligence collective pour la résolution d’un problème (crowdsourcing), un partage de ressources musicales ou visuelles en ligne (streaming), une offre d’enseignement à distance et à grande échelle (MOOC), un appariement en ligne entre offreurs et demandeurs d’emplois, l’organisation et le rassemblement autour d’activités de convivialité au sein d’un voisinage, d’un quartier, voire d’une ville [36], etc.
Vers une 4ème révolution industrielle ? La production de « solutions »
64L’énumération précédente, loin d’être pourtant exhaustive, montre que la liste des nouvelles possibilités des technologies numériques est devenue si longue et si impressionnante par son potentiel à satisfaire autrement les besoins humains, qu’elle constitue en quelque sorte une définition en extension de la nouvelle économie qui se met en place. Nous proposons une autre définition à partir de la mise en évidence de nouveaux éléments – appelées solutions – qui vont révolutionner les modes de vie.
65Reprenons l’analyse des faits de façon à saisir le moment où les technologies numériques apportent une véritable révolution des modes de vie.
Les débuts de l’informatique : faire tout autrement ce qu’on faisait déjà
66La troisième révolution industrielle a commencé dans les années 1960 avec l’arrivée des ordinateurs. Ceux-ci permettaient de décupler les capacités mentales des hommes. Ils ont d’abord été utilisés pour opérer des calculs très lourds, à la fois impossibles à effectuer sans disposer de puissants moyens informatiques de calcul et nécessaires pour concevoir et mettre au point de nouveaux biens très sophistiqués comme des fusées ou des avions. [37] Puis, l’informatique a permis de faire fonctionner des robots et des mécanismes numériques qui ont conduit à automatiser les gestes répétitifs des ouvriers à la chaîne ainsi que ceux de certains employés dans l’exécution de tâches routinières (distribution d’argent, paiement par carte bancaire ou par téléphone, vente et contrôle de billets, etc.). Cette automatisation des tâches routinières a libéré un grand nombre de travailleurs et amorcé une longue phase de chômage, comme la mécanisation l’avait fait au cours de la première révolution industrielle.
Un élargissement des technologies numériques
67En même temps que l’informatique se développait, les technologies numériques n’ont cessé de se complexifier et diversifier depuis trois décennies. Du côté de la collecte d’information, les capteurs enregistrent, stockent et traitent de plus en plus d’informations. Ils peuvent être embarqués sur des objets qui n’ont plus besoin d’être connectés au réseau électrique. Des progrès très importants ont aussi été obtenus dans les échanges d’informations. Le rapprochement entre les sciences de l’information et les TIC, dont les télécommunications font partie, a permis de faire circuler sur un même réseau le son, l’image et le texte. La mise en place d’un réseau Internet mondial exploite ces nouvelles potentialités en mettant à disposition du monde entier un fabuleux outil d’échanges d’informations. Un grand nombre de nouvelles machines individuelles apparaissent : l’i-pod remplace le walkman, le smartphone remplace le téléphone fixe et pour partie l’ordinateur, l’iPad remplace l’ordinateur personnel, etc. Toutes ces innovations ont, certes, commencé à modifier les modes de vie en enrichissant la panoplie des objets de loisirs. Elles ont en particulier permis de satisfaire tout autrement le besoin « d’information pour l’information », c’est-à-dire pour la culture ou pour le lien social. Cette satisfaction ne s’opère plus en effet comme c’était le cas auparavant, c’est-à-dire en achetant des biens (livres, encyclopédies, disques, CD, DVD…) dans des lieux spécifiques ou en se déplaçant vers des lieux dédiés (théâtre, cinéma…), mais par une simple mise à disposition d’informations recherchées à partir des lieux de vie des utilisateurs.
68La troisième révolution industrielle a permis finalement de faire beaucoup plus efficacement ce que l’on faisait avant et donc de poursuivre l’œuvre des innovations des technologies de la mécanisation, mais sans pour autant être le support d’une prospérité retrouvée ni l’instrument d’un progrès social inclusif. Le succès des réseaux sociaux montre néanmoins la volonté et la capacité des citoyens du monde entier à changer de mode de vie dès lors qu’on leur donne les moyens de le faire. [38] Au total, cette troisième révolution industrielle, tout comme la première, a permis de dégager des gains de productivité mais sans création importante d’emplois car les innovations jusqu’ici disponibles n’ont pas permis d’exploiter leurs potentialités en termes d’usages et de modes de vie.
L’entrée dans une quatrième révolution industrielle avec l’Internet des objets
69Bien que nous ayons vécu depuis deux siècles dans une économie où les produits satisfaisant nos besoins sont des biens et des services, l’attention des économistes a porté presqu’exclusivement sur les technologies de production des biens plutôt que des services. La raison est peut-être que les technologies n’ont pas permis jusqu’à présent d’inventer de nouveaux services révolutionnant les modes de vie et dégageant des gains de productivité renouvelés, comme cela a été le cas pour les biens. Avec les progrès du numérique, et en particulier avec l’Internet des objets, il va désormais pouvoir en être tout autrement.
70Commençons par rappeler qu’au sens économique du terme, un service est « une mise à disposition temporaire de biens ou de personnes ayant des savoir-faire spécifiques ». Les capteurs posés sur une grande variété de biens que nous connaissons [39] permettent désormais de collecter et de transmettre en continu et à distance de l’information sur l’état de ces biens. Les systèmes numériques, constitués d’un mélange de matériel et de logiciel, embarqués dans des objets, touchent ainsi toutes sortes d’activités. Deux exemples concernent la mobilité et la domotique. On peut localiser dans la rue le véhicule dont on a besoin dès lors qu’il est muni d’un capteur et que nous sommes munis d’un smartphone auquel un capteur a été adjoint, de sorte qu’on peut disposer d’une voiture sans avoir à l’acheter (fonction mobilité). De même, dès lors qu’ils sont munis de capteurs spécialisés, les dysfonctionnements domestiques peuvent être repérés à distance et en temps réel, sans qu’on ait à intervenir (fonction domotique). Avec de telles potentialités, la valeur ajoutée apportée par un producteur au consommateur ne consiste plus à produire un bien pour le vendre en se désintéressant de l’usage qui en est fait, mais bien plutôt à en vendre l’usage à travers une plate-forme, c’est à-dire à mettre à disposition temporaire sur les lieux de vie d’un utilisateur une combinaison intégrant le bien et les services, dont les personnes nécessaires pour en assurer à la fois le bon entretien tout au long du cycle de vie et la relation personnalisée avec l’utilisateur. Cette mise à disposition satisfait bien la définition générale que l’on vient de rappeler de la notion de service. Mais cela est si différent de ce qu’ont été les services tout au long du cycle de croissance précédent que nous préférons employer le terme de « solution ». Cette dernière consiste finalement à disposer de l’usage courant d’un bien, le plus simplement du monde, sans avoir à l’acheter, c’est-à-dire sans en devenir nécessairement propriétaire. L’usage peut en effet être séparé de la propriété du bien. [40] De plus, les capteurs ne vont pas seulement permettre de passer de la vente de biens à la location de solutions qui en permettent l’usage, ils vont aussi, et c’est cela le plus important, faire émerger un grand nombre de nouveaux biens-capteurs destinés à donner naissance à de nouvelles solutions. Ces capteurs auront pour seule fonction de fournir de l’information à distance et en continu sur l’état des personnes (paramètres de santé, chute …), ou de l’environnement (température des pièces, présence de fumée…). En cas de dysfonctionnements, les solutions mettront à disposition des personnes pour apporter des réponses aux besoins révélés par les données captées. Si l’intervention demandée à la personne est très simple, un automatisme déclenché à distance remplacera la personne.
71Au fur et à mesure que les solutions se diversifieront, les consommateurs demanderont à disposer de bouquets de solutions. Les demandes de bouquets seront exprimées sur le marché. Les bouquets seront constitués de solutions relatives à un lieu de vie (domicile, mobilité, etc.), à des âges de la vie (silver économie), à des besoins spécifiques (se loger, se déplacer, se soigner, se nourrir), etc. Ils permettront que se réalise enfin une véritable coordination entre les différentes étapes conduisant à la satisfaction d’un besoin. [41]
72La nouvelle économie dans laquelle nous pourrions entrer de la sorte constituerait une véritable révolution copernicienne puisqu’elle fait passer d’une situation où le consommateur achète séparément des biens et des services en se rendant presque toujours dans des lieux dédiés, à une situation tout à fait différente dans laquelle il achète des solutions par lesquelles les producteurs mettent à disposition sur son lieu de vie les biens et les personnes adaptés à la satisfaction de ses besoins tels qu’ils sont révélés en continu par les informations captées. Des automatismes remplaceront la mise à disposition de personnes chaque fois que cela sera possible (photographie de la personne qui a fait une chute permettant de vérifier s’il est utile de la conduire à l’hôpital, etc.). La transmission au consommateur des informations captées lui permettront dans certains cas de répondre lui-même à son besoin (bracelet indiquant l’activité physique, la nourriture prise, l’enregistrement du comportement, le vêtement indicateur de la forme physique, de l’état de santé, etc.). Les biens deviennent ainsi progressivement des consommations intermédiaires des nouveaux produits finals que sont les solutions. La distinction habituelle entre biens et services s’estompe pour donner lieu à ce que l’on appelle des solutions. Le secondaire et le tertiaire se marient pour donner naissance à l’économie quaternaire (Debonneuil [2007, 2010, 2014]). Elle fera passer d’une économie dans laquelle la croissance était fondée sur l’« avoir plus » à une autre, poursuivant l’objectif de l’« être mieux ». C’est non seulement un objectif ambitieux, mais il est à la fois réalisable grâce aux technologies contemporaines et souhaitable du fait des perspectives qu’il ouvre.
Les conditions pour démarrer un nouveau cycle de croissance
73L’économie quaternaire est un concept en gestation. Il confirme que c’est par de nouvelles formes d’exploitation individuelle et collective des potentialités des innovations technologiques de la révolution numérique que ces innovations acquièrent le statut de technologies autonomisantes. Comme on l’a déjà expliqué, c’est en effet par la combinaison simultanée de sa capacité à rompre le statu quo technologique et de son impact pour modifier les modes de vie qu’une technologie de rupture parvient au statut de technologie autonomisante. On peut même aller plus loin en arguant que c’est la manière même dont les besoins individuels et collectifs seront satisfaits par les technologies numériques qui confèrera vraisemblablement le caractère autonomisant à ces technologies, gage de leur succès.
74Cette définition de la nouvelle économie qui s’installe au travers de nouveaux produits finals que sont les solutions permet surtout d’évaluer la révolution qu’il va falloir opérer pour passer d’une économie de biens et de services achetés séparément à une économie où les nouveaux produits productifs sont des solutions. L’ampleur des mutations qu’il faudra opérer est considérable. Par exemple, il faudra repenser la totalité des services publics et sociaux qui ont été mis en place dans une économie où les services n’étaient pas considérés comme productifs. Mais il faudra surtout réviser l’organisation de la production et de la distribution. Il y faudra de nouveaux acteurs, de nouvelles formes de capital et de travail. Bref, il faudra opérer des changements majeurs qui nécessitent de très nombreuses et nouvelles coordinations d’acteurs que les marchés du capital et du travail ne peuvent réaliser qu’au travers de longues et coûteuses phases de tâtonnement.
75Concernant le capital, l’accumulation des savoir-faire devra se réaliser non seulement sur des biens d’équipement (machines et maintenant capteurs) dont les performances techniques sans cesse améliorées par l’innovation permettront de dégager des gains de productivité, mais également au travers de solutions permettant de satisfaire des besoins. Elle se fera progressivement sur des services d’équipement, par définition communs aux producteurs et aux utilisateurs, et constitués de programmes automatisant de plus en plus l’organisation des mises à disposition de biens, de personnes et d’informations qui relevaient autrefois de processus totalement séparés. Les performances de ces services d’équipement automatisés s’amélioreront d’année en année du fait des progrès des technologies numériques, en particulier des capteurs, et permettront d’entretenir les gains de productivité dégagés par les solutions. L’investissement, presqu’exclusivement matériel dans le cycle précédent, va progressivement devenir immatériel dans la mesure où il concernera également des processus organisationnels. Pour que ce capital s’accumule rapidement, il faudra en effet trouver le moyen d’en partager tous les maillons sans avoir à les dupliquer. Le risque est grand que, comme lors de la mise en place de la phase précédente, l’on doive passer par une longue période au cours de laquelle tous les maillons de ces nouvelles chaînes de production seront sans cesse réinventés et réappropriés, au lieu d’être partagés par tous lorsque cela est plus économique.
76De plus en plus de producteurs sont en train de prendre conscience qu’il est possible de créer des solutions en combinant Internet, le téléphone mobile et les capteurs. Pour faire de l’Internet des objets une réalité, les entreprises ont intérêt à s’assurer que leurs produits peuvent échanger des données entre eux de façon standardisée pour fonctionner ensemble. Ces entreprises sont en train de concevoir les premiers programmes automatisant largement ces mises à disposition (Debonneuil [2014]). Pour cela, elles mettent en œuvre des plate-formes utilisant Internet pour recueillir les données collectées par les capteurs exploités dans chaque solution développée. Par exemple, dans le domaine éducatif, des plate-formes communes à plusieurs unités d’enseignement et de recherche sont dédiées au développement de différents dispositifs (MOOC, e-learning, documentation, valorisation, publication, édition, diffusion, recherche et partage d’expertise, etc.).
77De manière plus générale, certaines entreprises prennent déjà conscience que la valorisation de leur activité ne repose pas exclusivement sur leurs propres produits mais surtout sur l’exploitation, via une plate-forme commune, des effets de réseaux que leur activité induit. Pour illustrer, Apple a créé une plate-forme de vente d’une multitude d’objets produits par une myriade d’autres entreprises, dans la mesure où tous ces objets peuvent être utilisés sur l’iPhone d’Apple. De manière similaire, de nombreuses entreprises sont déjà en train d’installer des plate-formes de surveillance à distance et de relations avec les clients, permettant entre autres d’organiser la mise à disposition temporaire de personnes pour traiter des dysfonctionnements repérés. Par exemple, on voit se multiplier des solutions construites sur des plate-formes propriétaires, mettant à la disposition de personnes en perte d’autonomie des biens-capteurs permettant d’assurer les fonctions de téléassistance, de pilulier électronique, de contrôle de paramètres médicaux à distance, etc., pour aider ces personnes à vivre en bonne santé chez elles au lieu d’aller en maison de retraite. On voit aussi de plus en plus de villes proposer à tous leurs habitants des mises à disposition de véhicules partagés, autour de plates-formes différentes selon les véhicules et selon les villes. En outre, le progrès technologique pourrait déboucher assez vite sur l’interconnexion de différentes solutions élémentaires. Une mise à disposition d’une solution en appellera en effet une autre. Par exemple, une solution sous forme de télésurveillance d’une personne en perte d’autonomie, permettant de détecter immédiatement et à distance si la personne est tombée et d’envoyer le cas échéant un intervenant pour s’en occuper, débouchera sur une autre solution consistant en la possibilité de faire une radiographie ou une photographie des blessures de la personne sur place et à l’envoyer à un médecin dont le diagnostic à distance permettra de savoir s’il faut ou non l’hospitaliser. De même des solutions dévolues à la mobilité de déplacement des citadins des grandes villes proposeront très vite d’aller d’un point A à un point B en empruntant une succession de véhicules partagés, collectifs ou individuels (voiture en libre-service à la sortie d’une gare par exemple). Au total, si l’on veut éviter d’avoir à construire une nouvelle plate-forme à chaque regroupement de solutions qui auront été construites avec des plate-formes propriétaires, il faudra mettre en place une infrastructure de plate-formes, partagée par tous les producteurs et tous les consommateurs. Les standardisations nécessaires seront particulièrement utiles lorsqu’il faudra automatiser des services publics existants (services sanitaires et sociaux, services éducatifs, services administratifs,…).
78Du côté du travail, les technologies numériques vont également révolutionner les qualifications des emplois en amont. De façon générale, le travail posté dans les usines diminuera progressivement du fait de l’automatisation de la production de biens. Il ne restera plus que deux grands types de qualifications, chacune d’elles donnant lieu à une très large diversité d’emplois.
79Un premier type de qualification correspond à ce qu’on pourrait appeler travail de conception, autour des fonctions d’invention, de construction de prototypes et de mise au point de nouveaux biens. Dans certaines activités, les emplois correspondants pourront progressivement s’effectuer depuis le domicile du salarié, réduisant ainsi tous les dommages urbains, psychologiques et de santé occasionnés par la séparation du lieu de travail et du lieu de vie.
80Un deuxième type de qualification correspond à ce qu’on pourrait appeler travail d’interaction, consistant en une intervention sur les lieux de vie aussi bien pour entretenir les biens durant leur cycle de vie qu’en face à face avec des personnes pour leur venir en aide à différentes étapes de leur vie. Un grand nombre d’emplois de ce deuxième type pourraient ainsi être créés. Pour les seuls emplois sur les lieux de vie, un calcul élémentaire montre que si chaque Français utilisait une solution nécessitant l’intervention d’une personne pendant une heure par semaine, cela conduirait à créer près de deux millions d’emplois à temps plein (Cahuc et Debonneuil [2004]. Ces emplois possèdent en plus deux attributs importants. Ils sont à la fois non délocalisables par nature et non substituables par des technologies numériques, dans la mesure où les interactions qu’ils comportent sont de nature humaine et donc de type non codifiable par essence.
81Au fur et à mesure que les personnes mises à disposition pourront faire appel à d’autres personnes et d’autres biens à distance, les emplois sur les lieux de vie se diversifieront eux-mêmes et offriront des possibilités d’évolution aussi larges que celles offertes autrefois aux salariés de l’industrie, avec en particulier des possibilités d’évolution vers des postes d’encadrement. Certes il faudra que les salariés acceptent d’occuper des emplois dont beaucoup seront en face à face avec des personnes ou avec leur environnement (surveillance des équipements du logement, des appareils électroniques et électroménagers, offre de soins à distance, à domicile, etc.). Gageons qu’ils auront tôt fait de se rendre compte que ces emplois valent bien ceux consistant à faire des gestes répétitifs devant des machines et destinés en outre à disparaître. Sur les plans économique et symbolique, l’intérêt attaché à tous ces métiers tient essentiellement à leur capacité à dégager des gains de pouvoir d’achat, à tirer une valorisation individuelle et sociale de la relation bilatérale et à donner lieu à des évolutions de carrière. Dès lors que les solutions sont productives, elles permettront d’offrir de telles évolutions et de dégager des gains de pouvoir d’achat pour un très grand nombre de salariés qui pourront avoir accès à la production de toutes les solutions qu’ils auront contribué à produire. C’est la renonciation à l’avoir plus et la convergence vers un mieux-être qui permettront l’émergence de cette nouvelle révolution, sans compter les effets positifs sur l’environnement, non analysés dans cet article (Crifo et al. [2009]).
82Dans cet article, nous avons cherché à évaluer le bien-fondé des inquiétudes contemporaines liées aux contre-performances des innovations, inquiétudes selon lesquelles les technologies numériques ne permettraient plus de résoudre le problème de la croissance, ni celui encore plus grave de l’emploi, alors même que les technologies de la deuxième révolution industrielle y étaient parvenues depuis l’après-guerre jusqu’au milieu des années 2000. Au prix d’un détour statistique des évolutions longues aux Etats-Unis, pays phare de l’innovation, le constat est apparu plutôt mitigé. D’une part, l’analyse montre que les fortes inquiétudes sur l’atonie de la productivité paraissent exagérées. D’autre part, les statistiques sur l’emploi restent inquiétantes, ce qui a permis et permet encore d’alimenter le spectre d’une « croissance sans emplois ». Mais dire simplement, comme le font plusieurs économistes, que les innovations de la 3ème révolution industrielle substituent des mécanismes automatiques à du travail humain, et de ce fait ont un impact négatif sur l’emploi, est une explication qui nous semble devoir être fortement nuancée. A l’heure où la matière grise est devenue l’input le plus prisé et le plus rare, qui remplace progressivement le travail physique de l’homme, il serait totalement erroné de conclure que la réponse à l’inquiétude sur l’emploi consiste à ralentir le rythme du progrès technique. De tout temps, le progrès technique a commencé par détruire des emplois avant d’en créer d’autres. Mais le problème que posent aujourd’hui les technologies numériques est qu’elles parviennent à remplacer certaines tâches traditionnellement réalisées par des travailleurs, que ces tâches soient de type manuel ou cognitif, par des automatismes, grâce aux progrès en termes de codification numérique de ces tâches. Cela conduit à une bipolarisation des emplois. D’une part, ceux où la destruction l’emporte sur la création ; ils concernent les emplois à tâches routinières, recevant des salaires intermédiaires, et touchant essentiellement la classe moyenne. D’autre part, ceux où la création d’emplois l’emporte sur la destruction ; ils concernent les emplois à tâches non routinières, recevant des salaires se situant aux deux extrêmes de la distribution, à savoir les très bas salaires et les très hauts salaires. Contrairement aux innovations de la deuxième révolution industrielle qui ont introduit un biais en faveur du travail non qualifié en remplaçant le travail qualifié des artisans par du non qualifié d’ouvriers grâce au travail posté dans des chaînes de production, les innovations contemporaines introduisent un biais nettement en défaveur du travail non qualifié.
83Pour tenter de répondre à ces problèmes, cet article a exploré deux pistes de réflexion.
84La première consiste à distinguer différents types d’innovations pour comprendre les performances contrastées en termes d’emplois. La typologie retenue conduit à regretter l’insuffisance des innovations autonomisantes par rapport aux innovations de remplacement et de rationalisation. Si les premières ont des effets positifs sur l’emploi, il n’en est pas de même des deux dernières, surtout dans le cadre d’une concurrence globalisée qui permet une délocalisation d’activités de productions dans des pays à bas coûts salariaux. Mais comme les innovations de remplacement et de rationalisation sont aujourd’hui plus fréquentes que les innovations autonomisantes, les inquiétudes sur l’emploi sont en quelque sorte justifiées.
85La deuxième piste de réflexion consiste à déplacer l’accent mis sur la technologie en examinant les conditions sociales qui permettent aux innovations de livrer leur potentiel, notamment en matière de création d’emplois. Pour cela, on a rappelé les caractéristiques des deux premières révolutions industrielles et des transformations sociales qui les ont accompagnées, afin de mieux comprendre pourquoi la troisième révolution industrielle n’a pas encore conduit à des performances analogues. Un diagnostic correct de la situation présente permet ainsi de parvenir à des perspectives bien moins sombres que celles issues des inquiétudes précédentes.
86Une des leçons qu’il convient de retenir à l’issue de ce parcours est qu’il serait erroné de se polariser exclusivement sur l’innovation technologique, car une telle polarisation passe sous silence deux facteurs : d’une part, le rôle déterminant du renouvellement des usages et des modes de vie que l’utilisation sociale des innovations appelle et, d’autre part, l’importance fondamentale des apprentissages tout au long de la vie. En tant que catalyseurs du progrès technique, les usages et les modes de vie caractérisent le mieux les modalités du renouvellement. Selon cette argumentation, la situation actuelle de sous-emploi massif pourrait n’être que transitoire, due à une insuffisante adaptation de l’organisation sociale aux potentialités des innovations numériques contemporaines. Se profile ainsi une transition vers une nouvelle organisation sociale, où les offres de biens et de services ne seraient plus distinguées mais plutôt combinées sous une forme que nous avons convenu d’appeler des « solutions ». Elles constituent des réponses appropriées des producteurs aux besoins des consommateurs sachant que la connaissance de ces besoins est maintenant accessible grâce notamment aux technologies de l’Internet des objets, qui permettent aux humains et aux objets de notre quotidien d’être interconnectés (communications machine to machine). Certains capteurs seront mis sur des biens et les producteurs pourront mettre ces biens à disposition des consommateurs qui n’auront plus besoin de les acheter. D’autres capteurs auront pour seule fonction de fournir de l’information à distance et en continu sur l’état physique des personnes ou de leur environnement (température, présence de fumée, etc.). Les solutions consisteront alors à mettre à disposition des personnes et à déclencher des automatismes à distance pour apporter des réponses aux dysfonctionnements révélés par les données captées.
87Deux types de qualifications, possédant des ramifications multiples en termes d’emplois, se dessinent alors. D’une part, des qualifications pour la conception technologique des biens dont la production sera de plus en plus automatisée. D’autre part, des qualifications de mise en relation afin de mettre à disposition des utilisateurs des « solutions ». Les emplois associés à ce deuxième type de qualifications possèdent une double caractéristique : ils sont à la fois non délocalisables et non substituables par des technologies numériques. On peut donc s’attendre à la création d’un nombre substantiel d’emplois nouveaux. Les emplois associés à la mise en relation nécessiteront de nouvelles formes de spécialisations, notamment celle de pouvoir réagir rapidement à des situations inédites et de communiquer des informations précises à d’autres interlocuteurs. De manière plus générale, dans l’ère du numérique, l’éducation, la formation et l’apprentissage sont rendus de plus en plus fondamentaux durant tout le cycle de vie et ce depuis le plus jeune âge, non seulement pour s’adapter aux transformations technologiques qu’appellent les innovations contemporaines mais également pour revendiquer les transformations sociales dans les usages et les modes de vie que requièrent les changements technologiques. Dans l’ère du numérique et de la mondialisation, la prospérité économique se gagne autant sur les terrains de la formation des connaissances et de leur transmission que sur ceux des usages de l’innovation qui doivent conduire à une perception renouvelée des modes de vie.
Les auteurs remercient vivement les deux rapporteurs anonymes de la Revue française d’économie pour leurs remarques et leurs critiques. Elles ont grandement contribué à cette nouvelle version dont les auteurs restent néanmoins seuls responsables. Ils remercient également Christine Halmenschlager, Pierre-Michel Menger et Jean-Marc Vittori pour leurs stimulantes lectures critiques.
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Notes
-
[1]
Voir Aghion et al. [2013], Acemoglu et al. [2014].
-
[2]
Voir le compte rendu d’une table ronde sur le thème Emploi et technologie qui s’est tenue le 12 avril 2013 à l’université de Cornell : « Employment & Sustainability : Report of the Cornell ILR School » [2013] Roundtable on Employment and Technology », www.pbs.org.
-
[3]
Il ne s’agit nullement ici de minimiser le rôle de la crise financière de 2008 dans les mauvaises performances de l’économie américaine en termes d’emplois. Mais force est de constater que depuis la fin officielle en 2011 de la récession liée à cette crise, l’emploi est loin d’avoir retrouvé les niveaux atteints avant la crise, alors que précédemment les créations d’emplois dans les phases d’expansion compensaient les destructions dans les phases de récession. Il paraît donc légitime de se poser la question du rôle éventuel de la technologie dans les contre- performances contemporaines.
-
[4]
Les pays européens ne sont évidemment pas à l’abri de ces difficultés. Voir : i) European Commission, Towards Knowledge Driven Reindustrialisation, 2013 ; ii) European Commission, Industrial Performance Scoreboard, 2013 ; iii) Innovation Union Scoreboard, 2014. Pour une explication des différences entre les Etats-Unis et l’Union européenne, voir Encaoua [2009].
-
[5]
« L’économie collaborative » est fondée sur des « logiciels libres » (ou « open source ») reposant sur la collaboration, l’entraide, le partage et la mutualisation du travail des producteurs et des utilisateurs. A l’organisation traditionnelle qui fait systématiquement appel à des producteurs qui vendent des biens ou des services aux consommateurs, s’ajoute un mode de consommation à base d’échanges entre particuliers. A partir de plates-formes, ceux-ci peuvent partager des biens qu’ils ont achetés, les revendre ou les troquer, ou encore partager des ressources immatérielles (espace, temps, argent, compétences). Dans le contexte actuel, « l’économie collaborative » révèle l’intérêt des citoyens pour reconstituer des groupes autour d’aspirations communes et pour collaborer à l’activité économique sous des formes nouvelles.
-
[6]
Si on étend la durée de la première période, depuis la fin du 19ème s., la baisse est tout autant accentuée. Le taux de croissance annuel moyen de la productivité du travail est passé de 2,33% durant la période de 81 ans qui s’étend de 1891 à 1972 au niveau de 1,57% durant la période suivante de 40 ans de 1973 à 2013. Mais la baisse durant la seconde période n’a pas été uniforme au cours du temps, comme cela est illustré dans la suite.
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[7]
La part de l’industrie a beaucoup baissé en termes de GNP nominal (de 30% dans les années 1950 à 10% actuellement) et l’indice des prix industriels a lui-même beaucoup baissé.
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[8]
La productivité globale des facteurs (PGF) mesure la part de la croissance du PNB inexpliquée par l’accroissement des facteurs capital et travail, c’est-à-dire avant incorporation des gains liés respectivement au remplacement des anciennes générations de capital par les nouvelles générations de capital et les compétences améliorées des nouvelles générations de travailleurs.
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[9]
L’allongement de la 1ère période qui débute dans le tableau n° 2 en 1891 cherche à montrer que les effets positifs de la deuxième révolution industrielle ont duré beaucoup plus longtemps que ceux de la période 1996-2004 qui a suivi le développement d’Internet.
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[10]
Le niveau de vie se décompose en Y/N=Y/H × H/L × L/N. Le 1er terme de la décomposition mesure la productivité du travail, le 2ème terme le nombre d’heures travaillées par employé, et le 3ème terme le taux d’emploi dans la population. Le niveau de vie peut avoir un taux de croissance plus élevé ou moins élevé que celui de la productivité du travail selon que le nombre moyen d’heures travaillées par habitant s’accroît ou diminue. Ainsi, le nombre d’heures travaillées par habitant s’est-il accru lors de l’entrée des femmes sur le marché du travail américain entre 1965 et 1990.
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[11]
La baisse du nombre d’heures travaillées par habitant traduit un double phénomène : i) une baisse de la proportion du nombre de travailleurs en âge de travailler (25-54 ans) qui cherchent un emploi ; de 1960 à 2012, cette proportion, mesurant le taux de participation à la force de travail, a baissé de 96,9% à 88,5% ; ii) une hausse du taux de chômage durant les cycles conjoncturels.
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[12]
Pour un tour d’horizon de la littérature empirique sur la relation entre productivité et emploi, voir Frey et Osborne [2013].
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[13]
Le même phénomène apparaît dans l’Union européenne. En 2011, la productivité du travail a crû de 1,4% par rapport au pic observé en 2008, mais le nombre d’emplois dans l’industrie et les services connexes est inférieur de 11% au niveau enregistré à cette date (Innovation Union Scoreboard [2014]).
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[14]
Jaimovich et Siu [2012] illustrent le phénomène des destructions nettes d’emplois en comparant les créations d’emplois durant les phases d’expansion aux destructions d’emplois durant les phases de récession au cours des trois derniers cycles qu’a connus l’économie américaine.
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[15]
De plus, ce phénomène de polarisation des emplois selon le salaire ne serait pas spécifique aux Etats-Unis. D’après Goos et al. [2009] il serait également observable sur d’autres continents, notamment en Europe.
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[16]
Acemoglu et Autor [2011] présentent l’évolution des salaires (horaires et par semaine) de 1964 à 2008 dans les différents centiles de la distribution. Il apparaît que les salaires du 90ème centile ont connu une croissance explosive alors que ceux du 10ème centile sont restés relativement stables au cours de la période.
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[17]
L’excellent chapitre d’Acemoglu et Autor (ch.12) dans le Handbook of Labor Economics [2011], que nous recommandons vivement au lecteur, définit ainsi les tâches routinières : « By routine, we do not mean mundane (e.g., washing dishes) but rather sufficiently well understood that the task can be fully specified as a series of instructions to be executed by a machine (e.g., adding a column of numbers) »… « Routine tasks are characteristic of many middle skilled cognitive and manual jobs, such as bookkeeping, clerical work, repetitive production, and monitoring jobs ».
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[18]
Comme le fait remarquer Acemoglu ([2002], p. 7), l’idée que le progrès technique a toujours favorisé le travail qualifié est propre à la période contemporaine. Durant le 19ème s. et une partie du 20ème siècle, le progrès technique a plutôt favorisé le travail non qualifié. Ce n’est donc qu’après le milieu du 20ème s. qu’un biais technique en faveur du travail qualifié serait apparu. Il y aurait donc une discontinuité historique concernant l’impact du progrès technique sur la demande de travail qualifié. Voir Frey et Osborne [2013].
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[19]
Nous rejoignons ici une thèse développée par Edmund Phelps qui contraste les innovations contemporaines avec celles apparues aux 19ème et 20ème siècles, innovations qui auraient eu la vertu « d’enchanter le monde » comme le suggère le titre de son ouvrage, Mass Flourishing [2013].
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[20]
La réponse est clairement non. C’est ainsi, par exemple, que le droit des brevets introduit explicitement deux critères pour qu’une invention soit brevetable : celui de la nouveauté évaluée par rapport à l’état de l’art et celui de l’inventivité nécessaire pour exclure les inventions triviales au vu de l’état de l’art.
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[21]
Apparemment, c’est là un paradoxe : n’est-ce point la vertu première d’une entreprise que de veiller à satisfaire au mieux les attentes de ses clients ? C’est vrai, à ceci près que les attentes des utilisateurs d’une technologie dominante ne signalent pas nécessairement ce qui est en train d’émerger sous la forme d’une innovation de rupture.
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[22]
Dans le domaine de la santé, la croissance des coûts des soins hospitaliers, conjuguée à une demande sociale en forte hausse, transforme progressivement les structures de soins et leur gouvernance. Des consultations médicales sur Internet utilisant une Web Cam et un téléphone commencent à voir le jour aux Etats-Unis, notamment dans les zones rurales insuffisamment dotées de structures hospitalières. Des consultations collectives regroupant des patients présentant les mêmes symptômes commencent également à être mises en œuvre. De même, des mesures de prévention comportant l’identification de patients à risque commun permettent de réduire les coûts des soins de santé. Sans compter les opérations chirurgicales réalisées à distance grâce à des technologies spécifiques. Beaucoup de ces innovations de rupture ne sont possibles que grâce à des technologies numériques, permettant d’établir le diagnostic. Dans l’enseignement primaire et secondaire, le projet MET (Measures of Effective Teaching) initié en 2009 par la fondation Gates aux Etats-Unis montre que les techniques d’enseignement habituelles, identiques pour tous les élèves et contrôlées par des examens, ne sont pas les plus adéquates. De nouvelles formes d’enseignement comportant un rôle plus actif des élèves grâce à la recherche d’informations sur Internet et à des mesures d’évaluations collectives, voient le jour. De même, dans l’enseignement supérieur, les cours ouverts en ligne et destinés à un très large public (MOOC) émergent dans différents pays.
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[23]
Le rôle des pouvoirs publics comme initiateur de technologies de rupture est analysé dans Mazuccato [2013]. L’histoire d’Internet (Greenstein [2010]) aux Etats-Unis illustre les différentes étapes qui ont prévalu avant l’introduction d’Internet sur le marché des applications : soutien de la DARPA (département de la Défense), transfert de la technologie aux universités pour une utilisation en réseau, introduction enfin sur le marché de cette innovation de rupture par un large accès au public et un foisonnement d’applications commerciales. Pour le rôle des pouvoirs publics dans les sciences de la vie, voir Cockburn et Stern [2010].
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[24]
Voir Akcigit et al. [2013].
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[25]
Voir le rapport de la Cour des Comptes [2013].
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[26]
Le laser est une bonne illustration d’une découverte fondamentale à l’origine d’innombrables applications. Scotchmer [2004] répertorie plus de 250 brevets dérivés de la découverte du laser en 1950. On peut également citer le graphène, matériau de carbone pur, aussi fin qu’un atome et qui a d’excellentes propriétés en termes de conductivité électrique, de résistance et de flexibilité. Il a valu à son découvreur le prix Nobel de physique en 2010 et, depuis cette date, il fait l’objet de multiples applications. Deux ans après la découverte, les applications réelles et potentielles sont nombreuses : écrans plats et tactiles, électrodes de batteries, cellules solaires, composants électroniques, encres et peintures électroniques, reconstitution de tissus en médecine régénérative, capteurs, etc.
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[27]
Voir Aghion et al. [2013], Helpman [1998], Commission européenne [2013].
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[28]
Cette suggestion se résume également en les termes de l’alternative suivante : plutôt que chercher à accroître le transfert des connaissances en demandant aux laboratoires et universités publiques de vendre leurs découvertes à des acteurs privés, ne vaut-il pas mieux inciter les entreprises à développer des partenariats avec les centres de recherche fondamentale en faisant bénéficier ces entreprises de mesures fiscales plus favorables ?
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[29]
Une nouvelle demande de voitures ne doit pas être confondue avec une demande de voitures nouvelles qui remplaceraient les anciennes.
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[30]
Beaucoup de ces emplois ne sont pas pourvus du fait des difficultés d’appariement entre les qualifications requises et celles offertes par les systèmes d’éducation traditionnels et de formation professionnelle. C’est apparemment une difficulté importante et récurrente que rencontrent les technologies recourant à l’informatique.
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[31]
Voir le rapport spécial que le magazine The Economist a consacré à la troisième révolution industrielle sous le titre Manufacturing and Innovation (21 avril 2012).
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[32]
Le Design Museum de Londres a ainsi présenté récemment une exposition intitulée : « The Future is Here : A New Industrial Revolution ». Selon le conservateur Alex Newson, le design vit une transformation radicale, car « de la conception à la fabrication, le public a toutes les chances d’avoir enfin son mot à dire. Par exemple, grâce au crowdsourcing (production participative sur plate forme Internet), une entreprise ne se contente plus de demander des avis, des informations et des solutions à quelques chercheurs implantés ici ou là : elle préfère désormais solliciter l’ensemble de la planète. En outre, avec l’impression 3D, il est désormais possible de créer un objet tout seul depuis son ordinateur ». (Le magazine du Monde, 5 octobre [2013]).
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[33]
Christensen [2012] explique différemment le faible nombre d’innovations d’autonomisation. L’utilisation d’indicateurs de rentabilité des investissements à court terme ne permettrait pas ce type d’innovations dont la durée de récupération du capital est en général assez longue. Les indicateurs de rentabilité de court terme conviennent lorsque la ressource la plus rare est le capital mais deviennent inappropriés lorsque les ressources rares deviennent les idées et la main-d’œuvre qualifiée. Selon cette explication, au lieu de prendre en compte les nouvelles contraintes de rareté, les indicateurs traditionnels de choix des investissements qui retiennent des taux de rentabilité financière à court terme, conduisent à des innovations de remplacement et de rationalisation, plutôt qu’à des innovations autonomisantes.
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[34]
Des solutions au coût prohibitif de l’éducation font appel à des formations en ligne assurant un enseignement universitaire gratuit et destiné à de larges audiences ; elles se développent un peu partout dans le monde.
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[35]
« L’interopérabilité est la capacité que possède un produit ou un système, dont les interfaces sont connues, à fonctionner avec d’autres produits ou systèmes existants ou futurs et ce, sans restriction d’accès ou de mise en œuvre. Il convient de distinguer « interopérabilité » et « compatibilité ». La compatibilité est une notion verticale (un outil peut fonctionner dans un environnement donné en respectant toutes les caractéristiques de cet environnement) et l’interopérabilité est une notion transversale (« divers outils peuvent communiquer, quand on sait pourquoi, et comment, ils peuvent fonctionner ensemble », Wikipedia, « interopérabilité »).
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[36]
Citons par exemple la plate-forme américaine Smart Citizen destinée à générer des formes de participation collective dans les villes via des connexions entre citoyens, connaissances, lieux spécifiques et informations. L’objectif de la plate-forme est de servir de point nodal pour que les habitants se réapproprient les activités de leur ville et mutualisent leurs connaissances et savoir-faire.
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[37]
Les objets volants tels que les avions ou les fusées sont caractérisés par une technologie dite O-ring, selon laquelle chaque composante, y compris les plus infimes comme le serrage d’un boulon, doit être parfaitement ajustée pour que l’ensemble fonctionne. En un certain sens, l’interopérabilité des équipements et des infrastructures nécessaires pour une économie fonctionnant sous le régime du quaternaire, ressortit également des principes d’une technologie O-ring (voir Kremer [1993]).
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[38]
Une citation de l’ancien président d’AOL, Steve Case, résume parfaitement le débat : « The next 25 years won’t be focused on creating more Internet or social-media companies ; it will be about using Internet and mobile technology to change education, healthcare, government and energy… Healthcare alone is one-sixth of our economy. It creates enormous opportunity for entrepreneurship. »
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[39]
Par exemple des capteurs sont maintenant embarqués sur des biens réalisant des fonctions précises telles que transporter des personnes ou des marchandises, diffuser des programmes télévisuels, laver des vêtements ou de la vaisselle, être guidé par satellite, informer sur le fonctionnement d’un lieu ou d’une personne, etc.
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[40]
Le premier exemple de cette façon de satisfaire les besoins est celui des photocopieurs que Xerox mettait à disposition de ses clients en facturant leur seul usage. Aujourd’hui, de nombreuses activités fonctionnent selon ce principe. Par exemple des solutions telles que SaaS (software as a service) dans le cloud computing permettant aux utilisateurs de louer du logiciel, conduisent à ce que la durabilité du produit ne soit plus une question pertinente et rendent de ce fait obsolète l’obsolescence planifiée des produits.
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[41]
Pour ne donner qu’un exemple, réduire le temps de voyage que permet l’usage du TGV, ne prend tout son sens pour un voyageur que si, parvenu à la gare de destination, il ne perdait pas un temps précieux à trouver un taxi ou tout autre moyen de locomotion et ne subissait pas des embouteillages avant d’aboutir à son point d’arrivée.