Couverture de RFAP_179

Article de revue

Prendre en compte les enjeux environnementaux et de durabilité dans la formation initiale et continue. Un point de vue depuis le ministère de la transition écologique

Pages 639 à 656

Notes

1La nécessité de « modifier le Code de l’éducation pour une généralisation de l’éducation à l’environnement et au développement durable dans le modèle scolaire français » figure parmi les mesures proposées par la Convention citoyenne pour le climat qui a remis ses propositions en juin 2020 [1]. La loi « Climat résilience » inspiré des propositions de la Convention a fait droit à cette demande [2]. Quelques mois plus tôt, le ministère de l’enseignement supérieur introduisait une modification du Code de l’éducation à travers la Loi de programmation pour la recherche – LPPR – du 24 décembre 2020 qui indique que le service public de l’enseignement supérieur contribue, parmi dix autres items, « à la sensibilisation et à la formation aux enjeux de la transition écologique et du développement durable » [3]. Auparavant, la ministre en charge de l’enseignement supérieur avait mis en place un groupe de travail présidé par Jean Jouzel, membre éminent du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Ces trois éléments signalent l’actualité de cet enjeu de la formation, en réponse à la préoccupation montante des transitions.

2La présente contribution expose la façon dont le ministère de la transition écologique, au travers de sa direction à vocation transversale, le Commissariat général au développement durable (CGDD), perçoit les enjeux de formation aux enjeux environnementaux et de durabilité. Le point de vue exprimé ici rend compte d’une expérience pratique de porteurs d’une politique publique, l’éducation à l’environnement et au développement durable (EEDD). Il est nourri par le travail d’une équipe au sein du CGDD, la Délégation au développement durable, et plus particulièrement d’Edwige Duclay, Florence Drouy, Nicolas Graves, Gwenaël Roudaut, la responsabilité du texte ne relevant cependant que de son signataire.

3Il convient de rappeler en quels termes cet enjeu d’éducation et de formation en matière de développement durable et de transition écologique a été progressivement inscrit à l’agenda, à la fois à l’échelle internationale puis à l’échelle nationale. Les enjeux de formation des enseignants et de formation continue seront ensuite abordés. Face au foisonnement des initiatives émanant de la société civile et donc d’acteurs privés, la puissance publique a aujourd’hui un rôle important à jouer, discuté en conclusion.

De Rio (1992) aux objectifs de développement durable (2015) : éducation à l’environnement ou éducation au développement durable ?

4Dès le début des années 1990, l’éducation en vue du développement durable est promue par l’UNESCO, et s’est affirmée de plus en plus, notamment lors du Sommet de la Terre, tenu à Rio en 1992. Le vocable exprimant cet enjeu « d’éducation à… » (l’environnement/ la transition écologique/le développement durable) a varié au cours du temps. Or le choix des termes n’est pas neutre : le propre du développement durable est de souligner la multiplicité des enjeux que l’humanité se doit de résoudre en même temps. Plusieurs crises sont en effet en jeu qui s’articulent entre elles : environnementale, économique, sociale,démocratique. La transformation de nos modèles sociaux que cela appelle, suppose une redéfinition des savoirs et des pratiques, donc un processus d’apprentissage d’une ampleur considérable. La façon de désigner ce processus déterminera les dispositifs qui pourront être mis en place.

5Si l’Éducation nationale a choisi « éducation au développement durable » (EDD) comme terminologie de référence, le ministère en charge des affaires étrangères préférera parler d’« éducation à la citoyenneté et la solidarité internationale » (ECSI), à laquelle il intègre désormais les questions environnementales. Le ministère de la transition écologique compose, de son côté, avec un ensemble associatif bien implanté territorialement, marqué par la convergence de courants de l’éducation populaire et d’organisations naturalistes : dans une tentative d’unifier les deux, il préfère ainsi parler d’« éducation à l’environnement et au développement durable » (EEDD).

6Depuis le Protocole de Rio, une tension existe en effet entre enjeux environnementaux et enjeux de durabilité pris plus largement. Cette tension est particulièrement vive pour le ministère de la transition écologique qui doit à la fois porter une attention prioritaire aux enjeux environnementaux et les intégrer dans une perspective plus globale, celle du développement durable, dont la nature polysémique et la portée sont par ailleurs sujettes à controverse.

7Depuis septembre 2015 et l’adoption, par la communauté internationale, de l’Agenda 2030 et de ses 17 objectifs de développement durable (ODD), c’est cette référence universelle qui s’impose petit à petit. Il s’agirait donc aujourd’hui d’éduquer aux ODD. L’Agenda 2030 s’éloigne d’une conception avant tout environnementale du développement durable ; en même temps, par son insistance sur les inégalités et sur des cibles quantitatives à atteindre dans chaque domaine thématique visé par les ODD, il permet de contrecarrer les tentations d’en rester à une conception faible de la durabilité et à l’écoblanchiment [4].

8Pour autant, en dehors des sphères des acteurs engagés dans ces formations, l’aspiration à un développement de l’éducation à « la grande transition » [5] reste encore floue quant aux thématiques à traiter. L’éducation aux ODD doit permettre à chacun de comprendre la complexité et l’interdépendance des enjeux afin de faire des citoyens des acteurs de la transition écologique et solidaire. Autrement dit, il est nécessaire que chacun – adulte, jeune ou enfant – puisse s’emparer des enjeux écologiques et comprendre l’impact de son mode de vie sur le monde qui l’entoure et ainsi en tirer les conséquences quant aux changements nécessaires, au niveau individuel comme au niveau collectif. Cette éducation doit doter la société des outils nécessaires aux changements à opérer dans nos façons de produire, de consommer et de vivre sur une planète aux ressources limitées. Au-delà de la compréhension des enjeux, pour réussir la transition vers un mode de vie durable, il est nécessaire de faire évoluer les manières de penser et d’agir. Ainsi, la formation à la transition écologique et sociale requiert l’apprentissage d’un ensemble de connaissances permettant de comprendre les processus et les grands enjeux du changement global, et ce aussi bien pour les étudiants en formation initiale que pour l’ensemble des citoyens, actifs ou retraités. Les compétences à acquérir ne relèvent pas seulement de savoirs disciplinaires. Elles réclament la compréhension et le maniement des interdépendances, de la complexité, de l’incertitude, des irréversibilités. Cela suppose, notamment pour des cadres dirigeants,une approche systémique et une capacité à « raisonner en cycle de vie et pas seulement en retour sur investissement », comme l’expriment les tenants de l’économie circulaire.

9Au travers de ces éléments, on perçoit que l’éducation aux ODD a vocation à traiter de tout l’environnement économique, social, environnemental et culturel : déchets, eau, énergie, biodiversité, mais aussi mobilité, consommation, alimentation, habitat, tout comme solidarité, santé… Il s’agit au moins autant d’instiller de nouvelles dimensions de savoirs et de connaissances dans un système d’apprentissage existant que de transformer en même temps les modes de faire et le système d’apprentissage lui-même (Gibert, 2021). Ces éléments, largement débattus dans la sphère académique depuis des années, ont été bousculés récemment par l’évolution des consciences et l’activité sociale.

En France, une prise en compte croissante de l’éducation au développement durable

10Les manifestations dites « marches pour le climat » en amont de la COP21, en 2015, ont marqué le début d’une prise de conscience et de mobilisations sociales au regard des enjeux climatiques. Elles ont connu une accélération en 2018 avec la parution du rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement de 1,5oC et reprennent à partir de septembre 2021. Relayant dans le monde entier l’initiative de « grève-climat » de Greta Thunberg, ces manifestations ont débuté en France dans la foulée de la démission de N. Hulot.

11Peu après paraît le « Manifeste pour un réveil écologique », tribune issue essentiellement d’étudiants de grandes écoles, et dont l’effet sur les décideurs économiques a été important dans la mesure où ces derniers prennent alors conscience de la nécessité, pour assurer leurs futurs recrutements, de se montrer en phase avec les attentes des jeunes diplômés du supérieur. Les porte-paroles de ce document se sont vu ouvrir les portes de divers ministères – éducation, enseignement supérieur, écologie, mais aussi économie –, ainsi que les portes de nombreuses grandes entreprises inquiètes de voir les étudiants conditionner leur embauche à des engagements écologiques forts de leur part.

12Ces mouvements aujourd’hui profondément installés dans la société réclament un renforcement de l’éducation aux enjeux climatiques et environnementaux dans les formations. Ainsi le collectif « Pour un réveil écologique » a réalisé une enquête auprès de 39 universités et grandes écoles, pour évaluer l’intégration des enjeux écologiques dans leurs formations et dans leur fonctionnement. Selon le « baromètre » qui en est issu [6]https://pour-un-reveil-ecologique.org/fr/grand-barometre/, seuls 15 % des établissements de l’enseignement supérieur français s’engagent à prendre en compte les enjeux écologiques dans la formation de l’ensemble de leurs étudiants.

13Sur cette base, de nombreuses initiatives ont été prises, dans la sphère institutionnelle ou la société civile. Il s’agit en particulier d’identifier les leviers permettant de changer d’échelle en la matière, ce qui suppose, dans la sphère académique, de faire évoluer profondément les programmes d’enseignement, mais aussi les dispositifs concrets d’enseignement.

Une dimension intégrée dès le début des années 2000 par l’Éducation nationale

14Montrée du doigt par le monde étudiant pour sa supposée insuffisance, l’éducation au développement durable est pourtant prise en charge depuis longtemps par le ministère de l’éducation nationale. C’est à la rentrée de 2004 qu’une circulaire généralise cette dimension en se substituant à la seule éducation à l’environnement (pour un résumé de cette histoire : Floro et Lagardez, 2020). Depuis lors, les circulaires de rentrée se succèdent et voient l’ambition s’accroître petit à petit : 2007 [7], 2011 [8], 2013 [9], 2015 [10], jusqu’à celle du 24 septembre 2020 [11]. Cette dernière renforce le pilotage national et académique, met en valeur la labellisation des établissements scolaires, met en place un réseau d’écodélégués, et annonce la parution d’un document outillant les professeurs pour toutes les disciplines. Ce dernier, le Vademecum « Éducation au développement durable-Horizon 2030 », est publié à l’occasion de l’édition 2021 de la rencontre annuelle de l’institution scolaire qu’est le Forum des ressources pour l’éducation au développement durable (FOREDD).

15Le Vademecum représente une avancée significative par sa dimension globalisante (évoquant à la fois les programmes et pratiques pédagogiques, la gouvernance, le fonctionnement des établissements), sa redéfinition des concepts et la dimension pratique (nourrie d’exemples tirés de telle ou telle discipline). Cette évolution progressive de l’éducation au développement durable dans le système académique traduit un certain nombre de partis pris :

  • L’EDD est une éducation transversale, interdisciplinaire et non une discipline en soi.
  • Elle renvoie à une posture scientifique et de neutralité [12] propre à l’éducation nationale – au risque d’une mise à distance des « questions socialement vives » (Simonneaux et al., 2017) : essentiellement un enseignement de biologie et de sciences naturelles, ainsi que d’histoire-géographie, qui se voit petit à petit étendu à d’autres disciplines et à des projets plus transversaux, notamment au travers des projets d’établissements (labels « E3D » des établissements).
  • Il s’agit aussi de rester dans un cadre académique maîtrisé. Les relations de l’institution avec l’innovation pédagogique – notamment la pédagogie de projets, et l’ouverture aux expertises associatives – sont compliquées et empreintes d’une certaine défiance par rapport à des engagements naturalistes supposés trop idéologiques et trop militants. Ainsi, le principe d’agrément, par le ministère ou les rectorats, des associations proposant des activités éducatives complémentaires aux enseignements, est parfois jugé, par ces mêmes associations, d’application trop restrictive.

17Enfin, la portée transformatrice de l’EDD reste axée sur l’acquisition individuelle de savoirs et de comportements adéquats au niveau de l’individu. Ainsi, même si la réalisation de projets transversaux, portés par l’établissement ou des équipes pédagogiques, est encouragée, la question du modèle de société à construire pour répondre aux multiplescrises n’est pas traitée, à la fois du fait du rapport des enseignants à la neutralité, mais aussi parce que la matrice disciplinaire reste la plus prégnante.

L’enseignement supérieur

18Du côté de l’enseignement supérieur, contrairement à l’éducation nationale, le cadrage des formations est renvoyé pour l’essentiel à l’autonomie des établissements et à la liberté pédagogique. Dans le même temps, la demande professionnelle que pourraient exprimer les acteurs économiques reste relativement floue, même dans les secteurs et filières potentiellement les plus affectés par le changement de contexte environnemental. En conséquence, les évolutions des formations sont le fait d’initiatives propres aux établissements, résultant d’un positionnement dans le marché concurrentiel de la formation initiale ou répondant aux préoccupations de la communauté éducative – enseignants et/ou étudiants. Les établissements, universités ou écoles, développent donc leurs propres outils et cursus de façon peu concertée, même si des initiatives en ce sens se font jour.

Les écoles d’enseignement supérieur

19Au travers de son enquête et de sa note publiée au début de l’année 2021, intitulée « L’écologie au rattrapage » [13], le Collectif des étudiants pour un réveil écologique montre une mobilisation particulière des étudiants des grandes écoles à la française – écoles d’ingénieur, de sciences politiques ou écoles de commerce. Au sein de cet ensemble d’écoles, la plupart, voire toutes, mettent en place une « sensibilisation » aux enjeux environnement-climat en première année, par exemple sous forme de séminaires spécifiques. Ce n’est pas encore de la formation, mais la découverte d’un corpus spécifique, non abordé dans les cursus qui précèdent ces écoles. Les responsables d’enseignement constatent que les élèves à la sortie du lycée sont encore très marqués par des enseignements – et des raisonnements – strictement disciplinaires et ne sont que de manière exceptionnelle ouverts aux sciences sociales et humaines, lesquelles apportent pourtant la complexité nécessaire aux questions de durabilité. C’est plutôt en troisième année, celle de la spécialisation, que seraient développées, dans les écoles d’ingénieurs, des approches approfondies sur les enjeux de durabilité. Il reste que les questions écologiques sont souvent traitées à part, dans des options ou cursus spécialisés, et ne touchent ainsi qu’une partie des étudiants et étudiantes. Pour autant, de manière générale, la « pédagogie de projets » et une « approche par les compétences », voire des démarches plus systémiques, sont bien déployées dans les écoles d’ingénieurs. Or, ces démarches sont indispensables à la compréhension de ce qui se joue dans la transition écologique et sociale. En complément des formations au sens classique du terme, les engagements (associatifs, etc.) des étudiants sont explicitement valorisés dans les validations de cursus. Ces engagements, qu’ils soient individuels ou collectifs sont aussi des éléments de pratique du développement durable.

20Il reste qu’à ce jour, les cursus d’ingénieurs ne sont que faiblement évalués sur leur formation à l’environnement et au développement durable. En effet, l’accréditation des établissements est accordée au regard du référentiel de la Commission des titres d’ingénieurs – CTI [14] : celle-ci accorde aux établissements une habilitation à délivrer le titred’ingénieur. Son référentiel d’accréditation, actualisé régulièrement, énonce dans sa version de 202014 compétences-socles (CTI, 2020). Le mode d’emploi n’en est pas donné aux établissements : ce sont eux qui présentent à la CTI la démarche qu’ils ont adoptée. Les aspects de développement durable sont abordés dans un chapitre du référentiel qui porte sur « la mise en œuvre », et ils restent aujourd’hui limités [15].

21La CTI en est cependant consciente : elle a mis en place un groupe de travail sur les enjeux environnementaux et de développement durable, en vue d’une évolution du référentiel. La CTI envisageait que son colloque annuel porte en 2021 sur les enjeux de développement durable, mais l’actualité de la crise Covid l’a conduit à centrer l’évènement sur les formations sous forme distancielle. L’adaptation du référentiel est donc remise à 2022.

Les écoles d’enseignement supérieur sous tutelle du ministère de la transition écologique

22Le ministère de la transition écologique est un petit acteur institutionnel en matière de formation, même pour ce qui concerne les enjeux de la transition écologique, et ce sont bien le ministère de l’éducation nationale, celui de l’enseignement supérieur, et aussi celui de l’agriculture qui disposent des ressources et moyens d’intervention en la matière (870000 enseignants du second degré, 100000 enseignants dans le supérieur sous tutelle du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, 18000 agents dans l’enseignement agricole). Le ministère de la transition écologique réunit cependant en réseau onze établissements d’enseignement supérieur [16] formant des techniciens supérieurs, des ingénieurs ou cadres de niveau « bac +5 » et des doctorants. Parmi ces établissements, l’École nationale des ponts et chaussées (ENPC) a développé un référentiel et des démarches en matière d’éducation au développement durable [17].

Les réflexions en cours au ministère de l’enseignement supérieur

23À la suite des demandes insistantes des étudiants, la ministre en charge de l’enseignement supérieur a mis en place en février 2020 un groupe de travail dédié à ces enjeux, sous la présidence de Jean Jouzel, du GIEC. Les perturbations de l’année universitaire 2020-21 ont conduit à repousser les leçons à tirer du rapport élaboré par ce groupe. Celui-ci, remis en juillet 2020, a été publié en mars 2021 [18] alors que les travaux législatifs autour des mesures proposées par la Convention citoyenne pour le climat débutaient. À l’heure où nous écrivons, un nouveau mandat a été donné au groupe, sous la présidence maintenue de Jean Jouzel, afin qu’il poursuive et élargisse ses travaux (la remise du rapport de Jean Jouzel à la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche, et de l’innovation, est prévue pour septembre 2021).

Des collectifs de travail d’enseignants-chercheurs

24En parallèle des établissements et des ministères, des cadres associatifs existent, réunissant des praticiens, à l’image du RéUniFEDD, association soutenue par la Conférence des présidents d’université et la Conférence des grandes écoles, et dont les membres sont formateurs, chercheurs ou enseignants-chercheurs dans le supérieur, praticiens de l’éducationet de la formation au développement durable dans l’enseignement scolaire. L’association structure notamment un cadre coordonné de recherche, sous le nom « Formation, éducation, compétences et objectifs de développement durable » (FECODD), et qui donne lieu à un nouvel appel à projets en 2021 pour le déploiement d’outils éducatifs au développement durable [19].

La formation des hauts fonctionnaires

25La prise en compte des enjeux environnementaux et de durabilité dans la formation des cadres de la fonction publique est d’autant plus importante quand ces derniers sont amenés à occuper des fonctions de définition, de pilotage et d’évaluation des politiques publiques. Des enseignements consacrés au développement durable et à la transition écologique existent déjà au niveau de la formation initiale dispensée dans certaines écoles de service public. Dans le prolongement des préconisations du rapport Thiriez et suite aux déclarations du 8 avril 2021 du Président de la République Emmanuel Macron à l’occasion de la convention managériale de l’État, un tronc commun à 14 écoles de service public [20]va être mis en place, lequel a vocation à être le creuset de la formation des cadres de l’État, l’objectif étant, à travers cette formation commune, de définir une culture commune à l’ensemble des hauts fonctionnaires. Piloté par l’Institut national du service public (INSP) qui remplacera l’École nationale d’administration (ENA) à partir du 1er janvier 2022, il comprendra cinq modules, dont un consacré à la transition écologique [21]. D’un volume horaire d’une quinzaine d’heures, ce dernier devrait s’articuler autour de plusieurs séances, accompagnées de conférences et de travail personnel. Ce module visera tout d’abord à développer la capacité des futurs hauts fonctionnaires à appréhender les enjeux écologiques dans leur complexité, à saisir l’urgence écologique et les besoins de transformation profonde des modèles de développement et des représentations auxquelles elle appelle. Il visera aussi à développer la capacité des futurs hauts fonctionnaires à intégrer ces enjeux dans la diversité des contextes d’activité dans lesquels ils seront amenés à évoluer. Ceci renvoie, à la fois, à la recherche de cohérence dans la conception et la mise en œuvre de l’ensemble des politiques publiques, d’une part, et au développement d’une administration écoresponsable, d’autre part.

26Dans le champ de la formation continue, on note que les cycles de formation destinés aux hauts fonctionnaires voient un mouvement d’ouverture à des auditeurs venant du secteur privé et non seulement des agents publics. On retrouve cette ouverture, par exemple dans le Cycle supérieur du développement durable (CSDD) que conduit le ministère de la transition écologique, ou dans le Cycle interministériel de management de l’État. Elle répond à une préoccupation constante en matière de gouvernance du développement durable, consistant à réunir dans des instances communes les décideurs gouvernementaux, des entreprises, mais aussi des membres du secteur associatif.

27Au-delà de cette ouverture à de nouveaux publics, le cycle interministériel de management de l’État, pour les hauts cadres de la fonction publique tous ministères confondus, est en cours de réorganisation. Piloté par la mission « cadres dirigeants » du Secrétariat général du Gouvernement (SGG), il deviendra le Cycle des hautes études de service public et comprendra alors un module sur la transition écologique.

28Le ministère de l’intérieur engage de son côté l’introduction, au sein des formations du corps préfectoral, de sessions consacrées à la transition écologique, en s’appuyant sur les services du ministère de la transition écologique. Initiées en 2021, ces formations pourraient petit à petit se déployer dans les formations de prise de poste.

La formation des adultes

Former les enseignants

29Parmi les pistes qu’il conviendrait d’approfondir, figure tout d’abord la formation des enseignants, qu’ils soient du secondaire ou du supérieur.

La préparation, dans le supérieur, des professeurs de collèges et lycées

30La formation continue des enseignants du secondaire passe par les instituts supérieurs du professorat et de l’éducation (INSPE) qui travaillent en partenariat avec les universités de leur académie. Le réseau des INSPE agit ainsi en collaboration étroite avec la Conférence des présidents d’université (CPU), et en interrelation avec les deux ministères, de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur. On peut donc penser que c’est au travers de leur cursus de master (le master de l’enseignement, de l’éducation et de la formation – MEEF) que se joue la formation des professeurs aux thèmes « climat-environnement-développement durable ». Cependant, entre leur formation spécifique – nécessairement disciplinaire – et un bagage général fourni par les INSPE, avant tout pédagogique, le volume de connaissances et compétences à acquérir durant la formation d’un professeur de collège/lycée est déjà impressionnant.

31Dans le contexte actuel du rapport pédagogique, les besoins des futurs professeurs portent avant tout sur la solidité dans leur discipline et la réassurance face à leurs élèves. Certains défendent donc que c’est une fois titularisé et un peu aguerri devant des classes que l’enseignant peut revenir en formation pour travailler des logiques transdisciplinaires. Le levier pour une évolution de la formation des enseignants au développement durable pourrait être alors, en complément du contenu du master MEEF, le parcours des enseignants au travers des plans académiques de formation continue (PAF). Ce chantier reste largement à explorer.

En ce qui concerne les enseignants du supérieur

32Pour les enseignants-chercheurs, qui forment une grande partie des enseignants du supérieur, la question se révèle plus compliquée, car la formation continue n’est pas centralisée ni même orientée par l’Institution ; elle est plutôt renvoyée à une auto-activité de l’enseignant. L’enseignant-chercheur est en effet un spécialiste d’une discipline qui faitde la recherche et enseigne les résultats de cette recherche, il considère d’ailleurs souvent que sa formation continue appelle avant tout des approfondissements des savoirs dans son propre champ disciplinaire.

33Pour autant, depuis 2017, il existe une formation pédagogique obligatoire des maîtres de conférences. Cette formation s’appuie sur un « référentiel métier », établi en 2018, qui porte sur les aspects pédagogiques. Sa mise en place ayant déjà donné lieu à critique, en particulier pour son caractère jugé trop large, il n’a pas recueilli d’avis consensuel, de sorte que l’ajout de nouvelles dimensions telles que le développement durable paraît problématique.

34La demande étudiante de voir introduire dans tous les cursus du supérieur une formation aux enjeux de la « grande transition », se heurte à la fois aux principes d’autonomie des établissements, et à des questions pédagogiques et disciplinaires. En particulier parce que l’évaluation des enseignants-chercheurs et leur carrière dépendent essentiellement des productions de savoirs et publications reconnues dans leur seule discipline. Dès lors, le développement d’une prise en compte des enjeux environnementaux, climatiques, et de développement durable, par les enseignants du supérieur passe par la prise de conscience, l’incitation et une évolution des dispositifs d’évaluation et de qualification, plutôt que par la norme.

35Les critères des évaluations des enseignements établies par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) apparaissent comme un levier important, avec une limite qui est que le HCERES investit peu la certification des formations continues. Il se focalise plutôt sur la dimension « recherche », et sur les stratégies d’établissement.

36En matière de démarche volontaire, le label « DD/RS » (développement durable et responsabilité sociétale), développé en 2013 par la Conférence des présidents d’université et la Conférence des grandes écoles (CPU-CGE) et administré par l’association CIRSES (Collectif pour l’intégration de la responsabilité sociétale et du développement durable dans l’enseignement supérieur), représente aussi un outil confirmé et susceptible d’être déployé plus largement. Fondé sur une auto-évaluation puis une évaluation par les pairs, le label valide une démarche globale de l’établissement, en particulier dans son fonctionnement courant. Depuis 2016, le comité de labellisation DD & RS a accordé le label à 44 établissements d’enseignement supérieur et de recherche ; actuellement, 23 établissements ont un label actif (non échu) représentant plus de 200000 étudiants au niveau national. En définitive, c’est une combinaison de leviers qu’il conviendrait d’activer, depuis les certifications des titres, l’évaluation des établissements, les démarches volontaires.

Formation continue : référentiel et certification

37Les mots d’éducation et de formation renvoient largement à un imaginaire de la scolarité. En matière d’enjeux environnementaux, les enfants, outre qu’ils sont supposés plus disponibles pour les apprentissages, sont encore souvent vus comme des prescripteurs des changements de comportements – et ce même si ce point est controversé du fait de leurs comportements d’hyperconsommateurs et du fait, en réalité, d’attitudes plus sobres et économes qu’on constate chez les anciens plutôt que chez les jeunes. La cible des scolaires est donc largement privilégiée, elle se traduit par une demande plus directe et insistante en direction de l’éducation nationale.

38Pourtant, face à l’urgence climatique, l’idée se fait jour petit à petit qu’il ne peut être question d’attendre que cette classe d’âge arrive en situation professionnelle. Et la difficulté constatée, 30 ans après le Sommet de la Terre, à engager réellement la transition écologiqueà grande échelle, conduit à faire évoluer le diagnostic : ce sont bien les décideurs en place et, de fait, tous les salariés, quels que soient les métiers ou les filières, qu’il s’agit d’acculturer aux enjeux de cette transition. Le monde est en effet au bord de ruptures majeures, appelant à repenser totalement les métiers et à renvoyer en formation les professionnels (du bâtiment, des transports, de l’énergie et de l’industrie, mais aussi les juristes comme les comptables, ainsi que les cadres dirigeants de tous secteurs). L’enjeu de la formation continue est décisif pour la transition et pourrait bien se révéler prioritaire au regard de la temporalité des crises environnementales. Le problème est donc bien plus vaste que de réformer les programmes jusqu’au lycée et de former les enseignants du primaire au lycée. Outre le tournant des formations supérieures initiales, le défi est celui d’infuser les questions de durabilité dans le domaine de la formation continue. Or, la formation continue à la transition écologique ou au développement durable a été encore peu abordée via les branches professionnelles, et surtout par un retour des salariés sur les bancs de la formation générale. L’organisation de la formation continue fait appel à des référentiels de compétences enregistrés sur des registres nationaux et qui sont fortement connectés à des métiers. Ces dispositifs, certifiés, sont cadrés au plan législatif et réglementaire et mis en œuvre par l’établissement public France-compétences. Celui-ci mobilise deux répertoires nationaux :

  • Le Répertoire national des certifications professionnelles – RNCP –, qui correspond à des métiers (c’est donc différent des diplômes) ;
  • Le Répertoire spécifique (RS) qui porte, non sur des certifications de métiers, mais sur des compétences transversales telles que le management, le numérique, la maîtrise des langues.

40L’introduction d’un référentiel très transversal portant sur le développement durable (ou la transition écologique) indépendamment de la filière ou du métier pose question. Le développement durable est un concept ou une approche trop général pour être rattaché à une activité au sein d’un métier. Le terme même, on le sait, est polysémique et perçu de façons très différentes selon la branche professionnelle qui s’en empare. C’est un sujet transversal, qui renverrait plutôt à divers blocs de compétences à préciser par familles de métiers. L’idée d’un « socle de base des compétences en développement durable », tel que le réclament les étudiants du Manifeste pour un réveil écologique, fait d’ailleurs plutôt penser à une « sensibilisation » des étudiants ou des salariés qu’à des compétences professionnelles acquises. Il apparaît donc essentiel d’arrêter une doctrine, des principes et des méthodes, quant à la détermination d’un « socle de base de compétences en développement durable » ou à des référentiels de compétences. Des pistes existent, comme le guide de compétences DD/RS (développement durable et responsabilité sociétale) produit en 2016 par un groupe de travail de la Conférence des présidents d’université et de la Conférence des grandes écoles (CPU/CGE) [22]. Les détails de son élaboration ont été récemment décrits par Didier Mulnet et Alain Legardez (Mulnet et Legardez, 2020). Depuis, des efforts de synthèse pour approfondir un tel référentiel de compétences ou métacompétences ont été entrepris (Majou de La Debutrie, 2021), mais ne font pas encore l’objet d’une stabilisation. L’introduction d’un référentiel de compétences « développement durable » dans le « référentiel spécifique », ce qui serait facilement accessible à un ministère, est donc une piste plausible mais encore peu approfondie. Des précédents existent que sont :

  • Le « certificat CLEA », destiné aux personnes éloignées de l’emploi et géré par l’association paritaire Certif’pro, qui atteste qu’une personne a des compétences de base pour travailler ;
  • La « certification PIX », validant un socle de compétences numériques ;
  • Les enjeux relatifs à la prise en compte professionnelle des handicaps ont été introduits dans tous les certificats et référentiels de compétences.

42Une fois un référentiel de compétences « DD » [23] inscrit au répertoire national, chaque organisme certificateur – ils sont nombreux dans ce secteur très concurrentiel – devrait être contacté et sensibilisé pour intégrer cette dimension de développement durable dans ses propres référentiels. Il conviendrait en outre d’explorer, filière par filière ou avec quelques acteurs économiques les plus impatients sur le sujet, ce à quoi pourrait ressembler un tel référentiel de compétences une fois ajusté à une filière ou un corps de métier. Ce sont en effet les branches professionnelles qui travaillent de manière générale à la création des certifications de qualifications professionnelles. Elles sont alignées sur les conventions collectives de branches, plus que sur la segmentation des diplômes de l’enseignement. Ainsi, le projet pourrait prendre forme à partir d’un prototype autour d’un bloc de compétences pour une population donnée, avant d’envisager une montée en puissance pour définir d’autres blocs à certifier, pour des filières ou des métiers, ou des niveaux donnés. Une hypothèse, pour l’établissement d’un tel prototype de référentiel, serait que l’État et une branche professionnelle s’accordent sur un « engagement de développement de l’emploi et des compétences » (EDEC), à savoir un accord passé pour la mise en œuvre d’un plan d’action négocié, sur la base d’un diagnostic partagé et d’une vision anticipative des conséquences de la transition écologique sur les emplois et les compétences. En prolongement, l’idée se fait jour d’une certification des compétences de tout individu volontaire, étudiant ou salarié. La question de savoir qui piloterait, et même détiendrait un tel dispositif de certification apparaît stratégique. Le secteur des écoles de commerce estime qu’un marché pourrait assez vite se révéler, même si la demande patronale en la matière reste aujourd’hui assez floue. L’idée est que l’offre pourrait créer la demande, tant de la part des entreprises souhaitant s’assurer des compétences de leurs salariés, que d’individus souhaitant déposer sur leur réseau social professionnel leur certificat DD, à l’image des « badges » ou des « attestations de MOOC [24] ». Les écoles de commerce anticipent donc ce marché qu’elles considèrent dès lors comme un terrain d’investissement rentable. En quelque sorte, la course est lancée entre initiatives marchandes, initiatives associatives et initiatives publiques.

Un foisonnement d’initiatives de la société civile

43À côté des institutions d’enseignement, de nombreux acteurs ont en effet souhaité se positionner, que le Gouvernement aura tout intérêt à valoriser et associer. L’EEDD intègre nécessairement l’éducation formelle et informelle, l’information et la sensibilisation des citoyens et des consommateurs, ainsi que la participation des citoyens. Les méthodes pédagogiques de l’éducation au développement durable, portées par le secteur associatif, sont fondées sur la réflexion collective, le débat et la démocratie participative. Cette approche permet de questionner, à partir des enjeux environnementaux, les dimensions économiqueet sociale du développement durable et de souligner la nécessité d’un continuum éducatif, depuis le scolaire jusqu’à tous les actes de la vie personnelle ou de la vie en société.

44Un réseau associatif dense et territorialisé existe qui se consacre à des actions d’éducation à l’environnement et au développement durable [25]. Cet écosystème associatif, qui dispose de plusieurs centaines de professionnels auxquels s’ajoutent de nombreux bénévoles, constitue une particularité de ce secteur. Il est aujourd’hui rejoint par de nouveaux acteurs, bouleversant les méthodes, en particulier par la mobilisation des outils numériques s’éloignant des démarches en proximité avec la nature, mais permettant de démultiplier l’impact des actions engagées. Passons en revue quelques-unes de ces initiatives et acteurs majeurs, en nous limitant cependant aux projets concernant l’enseignement supérieur. La première de ces initiatives, Sulitest, est désormais bien installée sur la scène internationale, les suivantes émanant de différentes organisations françaises.

Sulitest

45Conçue comme un outil universel contribuant aux ODD, Sulitest est une association issue d’initiatives venant du monde enseignant, en particulier de Kedge business school, structurée dès l’origine en relation avec l’Organisation des Nations unies et l’Unesco, qui soutiennent le dispositif [26]. L’association a développé un outil du même nom, le Sulitest, qui est un outil en ligne de test de connaissances relatives aux enjeux de développement durable. À l’origine pensé et conçu pour un public étudiant, le dispositif a vu sa gamme s’élargir pour répondre à des besoins d’entreprises. Au-delà du test lui-même, l’outil en ligne est un instrument de sensibilisation, d’ailleurs utilisé par des établissements d’enseignements supérieur, en début de cursus de formation. D’autres fonctionnalités ont été développées à partir de ce premier test, en particulier des modules toujours plus diversifiés, sur les questions de biodiversité ou d’économie circulaire par exemple. Le caractère associatif, la gratuité des premiers services offerts, l’ancrage dans les travaux onusiens ont assuré au projet sa reconnaissance par de nombreux organismes qui ont suivi sa maturation avec intérêt. Reste que ce système de test en ligne porte plus sur des connaissances que des compétences proprement dites, ces dernières supposant la vérification d’un raisonnement de la part du postulant, et même sa capacité à gérer un projet concret, ce qui suppose d’autres formes d’accompagnement et évaluation. Une nouvelle étape de croissance du Sulitest est en passe d’être franchie, au travers d’un changement de modèle juridique et économique. Largement initiés par l’investissement personnel de deux enseignants, le déploiement à plus grande échelle et le positionnement sur le marché mondial de la certification appellent en effet une surface d’intervention bien supérieure. Sans que l’association disparaisse, Sulitest est en cours d’évolution vers la création conjointe d’une entreprise du secteur de l’économie sociale et solidaire, qui offrirait toujours en produit d’appel gratuit le test en ligne, mais compléterait son offre de services par une évaluation certifiée et payante, ainsi que des outils d’accompagnement individuels. L’entreprise naissante est en phase de recherche de fonds pour son amorçage, notamment auprès de fondations.

Le projet FORTES, du Campus de la transition

46Le Campus de la transition, présidé par Cécile Renouard, est un carrefour, un lieu de formation-recherche-expérimentation, inspiré par le Schumacher College, basé en Angleterre, à Totnes, qui a lui-même contribué au mouvement plus connu des Transition Towns de Rob Hopkins. L’objectif y est de former différemment en vue de la transformation, à la fois écologique et sociale. Le pari du Campus est qu’un petit lieu agile sera plus efficace pour engager l’action, que pour faire pivoter, de l’intérieur, les grandes machines éducatives. Alors que les mobilisations de jeunes pour le climat prenaient de l’ampleur, le ministère de l’enseignement supérieur a encouragé le Campus à piloter l’élaboration d’un livre blanc sur « l’enseignement supérieur à l’heure de la transition écologique et sociale ». Le Campus n’étant pas une institution académique, mais un lieu d’initiative et de débats, le projet dénommé « Fortes » qu’il a animé, a gommé les concurrences entre établissements et il a pu rassembler 70 acteurs. Le Manuel de la grande transition (Collectif FORTES, 2020), issu de cette dynamique, est un ouvrage qui vise à l’élaboration d’un socle commun de connaissances et compétences, au regard de la transition écologique et sociale. Sans exclure le grand public, il se présente d’abord comme un outil de formation destiné aux enseignants de l’enseignement supérieur. Il s’adresse aussi à des « étudiants de niveau licence ». La grande caractéristique de l’ouvrage est sa large couverture interdisciplinaire et transdisciplinaire, avec pour ambition d’influencer toutes les matières. Il est aussi sous-tendu par un système de valeurs : interroger ce qu’est une vie désirable. L’ouvrage constitue donc une somme en la matière, une contribution essentielle à l’identification d’un socle de compétences pour la transition écologique, désormais décliné dans des ouvrages de plus petits volumes répondant de plus près à des besoins pédagogiques et disciplinaires.

The Shift project

47Le Shift project est un think tank français dédié à la transition bas-carbone. Structuré en association loi 1901, il produit à la fois des expertises, émet des propositions d’action et déploie une activité de plaidoyer, en s’appuyant sur un réseau de bénévoles. La question de la formation fait partie de chantiers qu’il a investis (Shift project, 2019), notamment autour de son travail sur la formation de l’ingénieur du xxie siècle, conduit avec le groupe des instituts nationaux des sciences appliquées (INSA). Il a aussi produit une note d’analyse (Delaurens, 2020) sur la formation aux enjeux climatiques, au sein de l’ENA, se concluant par huit propositions visant essentiellement à ajouter une dimension thématique « climat » à différents stades du recrutement ou de la scolarité.

La Fresque du climat

48La Fresque du climat est une autre initiative associative, datant de décembre 2018, et conçue par un ancien consultant et dirigeant du think tank The Shift project. L’association propose un outil d’animation et de formation aux enjeux climatiques. Utilisable, de la même façon que le Sulitest, comme un outil de sensibilisation, elle pousse plus loin la dimension de formation, par ses prolongements pédagogiques. Elle repose sur un jeu sérieux collaboratif où les participants coconstruisent une fresque résumant les mécanismes du changement climatique. Le succès de l’outil est important, il a été mobilisé notamment durant la Convention citoyenne pour le climat et se diffuse de plus en plus vite grâce àun réseau formé d’animateurs et animatrices. Reconnue pour ses qualités de rigueur et d’expertise sur le fond du sujet, la Fresque a été mobilisée aussi par des administrations ou des établissements.

Les Grandes écoles de la transition

49Le projet des « Grandes écoles de la transition » [27] est un projet porté par un collectif marqué notamment par des acteurs de l’économie sociale et solidaire, préoccupés d’une transition prenant en compte l’inclusion sociale et mobilisant des outils éducatifs innovants (par exemple, les associations Ashoka ou TicketForChange). Le projet part du constat d’une difficulté à identifier, dans la profusion des formations, celles qui répondraient aux aspirations de salariés, chômeurs ou étudiants, soucieux de se projeter dans un « Nouveau Monde » et d’y occuper un emploi conforme à leurs valeurs. Les initiateurs du projet cherchent à relier le monde de l’entreprise avec les demandeurs de formation, au travers de dispositifs d’accompagnement des projets des salariés, en particulier pour des reconversions professionnelles. Inspiré par l’expérience fondatrice de la « Grande école du numérique », elle-même inspirée par « l’école 42 » de Xavier Niel, le projet des Grandes écoles de la transition reprend des marqueurs de ces initiatives, comme l’idée de parcours de formation en dehors des cadres académiques, la mobilisation d’une communauté engagée autour de valeurs, l’utilisation massive de l’outil numérique au travers d’une plateforme de mise en relation et de partage de savoirs et d’expériences. L’hypothèse qui le sous-tend est que la transformation sociétale nécessaire suppose une transformation en parallèle des systèmes de formation, moins descendants et mettant au centre des parcours d’apprentissage la formation par la réalisation de projets, individuels ou collectifs. Exprimant une certaine méfiance vis-à-vis des institutions étatiques, le projet – pour l’instant largement au stade de la conception – ambitionne d’instaurer un écosystème associatif expert, à même de réinventer le système de formation et de qualification pour que ce dernier ne se contente pas de transmettre des connaissances et compétences, mais bien qu’il les produise à partir d’acteurs engagés et de pratiques démonstratives de la transformation écologique.

Alumni for the Planet

50Autre acteur associatif disposant d’un large potentiel, les associations d’anciens élèves des écoles d’enseignement supérieur, mais aussi des universités, représentent un vivier de décideurs supposés, par conséquent, détenir les clés de la transformation nécessaire. Initié par son appel public en novembre 2020, un collectif d’anciens élèves d’écoles supérieures – avec le soutien de la Conférence des grandes écoles (CGE), la Conférence des présidents d’université (CPU) et la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI) – engage une démarche de mise en réseaux de diplômés, en vue de susciter des engagements en entreprise en faveur de la transition écologique.

51En combinant leur position sociale, souvent celle de cadres dirigeants, et l’engagement de la jeunesse en faveur de la transition écologique, les alumni sont appelés à se former et à agir concrètement, à partir de leurs réseaux professionnels, mais aussi de leurs réseaux de voisinage ou, plus encore, de leurs réseaux sociaux en ligne. Par des échanges d’expérienceet de bonnes pratiques, une culture de la transformation pourrait naître de cet ensemble. L’association Alumni for the Planet entend fédérer les associations d’alumni en ce sens et contribuerait ainsi à un mouvement associatif global pour la transition et la formation afférente. Elle agit au travers de conférences rendant compte de pratiques d’entreprises et d’expertise dans les enjeux environnementaux.


Pistes et enjeux pour l’action publique

52Dans un contexte qui appelle la cohabitation d’une pluralité de dispositifs, la puissance publique est attendue sur plusieurs enjeux. Afin de garantir les formations proposées, l’État a un rôle important à jouer, qui implique un positionnement dans le pilotage et l’organisation de la concertation avec les secteurs professionnels, tout comme avec le secteur enseignant. Concernant l’identification des besoins en compétences, la réflexion est désormais bien engagée, comme on l’a vu, mais doit encore se poursuivre avec les branches professionnelles. La question de la certification de compétences des salariés reste, elle, ouverte. Conformément aux principes du service public, l’État doit assurer l’accès à tous – y compris sur le plan financier – à un dispositif de qualité, ce qui revient à dire qu’un système purement concurrentiel, voyant des organismes de formation privés accaparer le marché, est exclu. La situation du certificat de compétences en langue, le TOEIC, est ici un chiffon rouge pour la France. Payante, pilotée par un organisme privé, en situation dominante à l’échelle de la planète, cette certification se heurte aux principes français de gratuité de l’enseignement. Par ailleurs, le système TOEIC a connu des failles importantes en termes de sécurisation, des systèmes de triche au test et de faux certificats ayant été dévoilés par le passé.

53L’État peut aller plus loin que par le seul contrôle d’initiatives privées, en étant à l’initiative de la mise en place de dispositifs certifiants, comme il l’a fait précédemment, en matière de compétences numériques, avec le dispositif PIX. Celui-ci, mis en œuvre désormais par un Groupement d’intérêt public, est un service public dont l’objectif est de cultiver la culture numérique des Français tout au long de la vie. Le dispositif, désormais bien installé, s’est implanté de manière généralisée dans l’enseignement scolaire et la certification a également une valeur sur le marché du travail. Mis en place progressivement à partir d’une petite équipe du ministère de l’éducation nationale, puis désormais instrument interministériel, le PIX a bénéficié d’un très fort soutien politique au plus haut niveau de l’État.

54Qu’un dispositif certifiant soit mis en place par l’État lui-même ou que celui-ci encadre les conditions de maniement par des organisations privées, l’enjeu reste bien de contrôler ou cadrer les conditions d’usage du certificat. Il s’agira, par exemple, d’assurer la gratuité générale ou pour tel ou tel public, de veiller à ce que le monde universitaire soit engagé aux côtés des grandes écoles, de veiller à ce que les structures françaises restent majoritaires ou disposent d’un poids suffisant, ou d’imposer l’utilisation obligatoire du français, par exemple.

55Dans un tel cadre, des structures mixtes sont aussi imaginables, associant ministères, établissements d’enseignement et organismes privés. La particularité du sujet à traiter, que ce soit la transition écologique ou le développement durable, est la disponibilité denombreux acteurs (enseignants, chercheurs, militants associatifs, simples citoyens engagés) à construire ensemble des outils de formation et d’évaluation de compétences. À l’exemple de Sulitest qui s’inscrit dans une communauté d’esprit, ouverte à la collaboration (même si l’association a choisi en janvier 2021 d’évoluer vers un statut d’entreprise), ou sur le modèle imaginé par les porteurs des « Grandes écoles de la transition », l’idée d’un dispositif, pour partie numérique, s’inspirant de la « fabrique de communs », est très présente parmi les acteurs se référant aux objectifs de développement durable. Il s’agirait de concevoir des lieux intermédiaires entre l’upper ground (le monde institutionnel, partiellement bloqué et bloquant, mais légitime et disposant de la surface d’intervention adaptée à la dimension des enjeux) et l’underground (l’expérimentation non institutionnelle, les marges), des lieux médians où cette rencontre nourrirait des espaces de créativité. L’État pourrait donc promouvoir une certaine dimension open source du dispositif, permettant d’associer une communauté d’acteurs volontaires pour nourrir la base de données de tests, exercices, ressources, enseignements associés.

56La définition d’une stratégie nationale en la matière devra également tenir compte des enjeux de positionnement et d’affirmation de la France par rapport aux autres pays. Dans un univers largement inspiré par le référentiel multilatéral du développement durable qu’est l’Agenda 2030, plusieurs éléments poussent certains acteurs à s’inscrire d’emblée dans un tel cadre multilatéral : c’est le cas de la communauté collaborative que préfigure Sulitest, des relations de travail entre établissements d’enseignement supérieur de différents pays, ou encore de l’intérêt de l’Unesco pour un système partagé par tous les pays. Sans nécessairement aller jusqu’à la construction d’une « École française » de la transition, l’existence d’un marché mondial et concurrentiel de la formation et les enjeux de diplomatie d’influence pourraient plutôt plaider pour une affirmation nationale d’un système conforme aux principes éducatifs français.

57Le jeu d’acteurs concernés est aujourd’hui à la fois ample et complexe, l’État ne se positionnant pas comme puissance organisatrice et initiatrice, mais plutôt comme porteur d’un certain nombre de garanties face à des acteurs dont les uns se situent au carrefour d’aspirations éducatives et marchandes, et d’autres dans un cadre plutôt caractérisé par une logique de production de biens communs, le tout faisant plus ou moins appel au haut degré d’expertise que réclame la mise en œuvre de la transformation écologique.

Bibliographie

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  • Simonneaux, Jean ; Simonneaux, Laurence ; Hervé, Nicolas ; Nédélec, Lucas ; Molinatti, Grégoire (2017), « Menons l’enquête sur des questions d’éducation au développement durable dans la perspective des Questions socialement vives », in Revue des Hautes écoles pédagogiques et institutions assimilées de Suisse romande et du Tessin, CAHR, 2017, p. 143-160.

Mots-clés éditeurs : formation, transition écologique, Éducation, développement durable, enseignement

Mise en ligne 10/11/2021

https://doi.org/10.3917/rfap.179.0125

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