Notes
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La Gazette des communes – le quotidien 18 mai 2020.
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Nous renvoyons aux contributions respectives de Virginie Donier et de Bernard Dolez, publiées dans le présent dossier thématique.
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Nous lui rendons hommage.
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Cf. ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports, Guide relatif au fonctionnement des écoles et protocole sanitaire à appliquer à partir du 11 mai 2020 assoupli par de nouvelles dispositions du 22 juin 2020 : Gazette du Palais, 10 août 2020.
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Le refus du maire de rouvrir l’école a été parfois sanctionné par le juge administratif au motif que le droit à l’éducation est un droit fondamental.
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Pour la presse régionale, les principales sources sont L’Union et L’Ardennais, L’Est Éclair, Les Dernières nouvelles d’Alsace, La Voix du Nord, Var Matin, Nice Matin… Pour la presse nationale : Le Monde, Le Figaro, Libération…
Le maire, premier recours dans la crise sanitaire du Covid-19
1Face à une situation de crise sanitaire d’une ampleur mondiale, le maire, autorité déjà populaire parmi les Français, est brusquement passé de l’ombre d’une gestion quotidienne à la lumière médiatique. Il est devenu, en quelques semaines, le principal recours des populations locales face aux nombreuses actions immédiates à engager pour répondre aux multiples conséquences liées à la crise sanitaire. Le rapport de la mission d’information de la conférence des présidents de l’Assemblée nationale sur l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes les dimensions de l’épidémie de « Coronavirus-Covid-19 » du 9 avril 2020 aborde toute l’étendue des difficultés à résoudre [1]. Au cœur de la période de confinement, la presse spécialisée pose également la question suivante : « Les collectivités vont-elles sauver la France ? Face à la crise du Covid-19, l’État se montre incapable d’assurer son rôle… » [2] Dans le même temps, l’Association des maires ruraux de France (AMRF) a produit un plan d’action Covid-19 et recensé les nombreuses actions témoignant d’un engagement inédit et immédiat des communes rurales auprès des habitants les plus fragiles [3].
2Pour lutter contre le Covid-19, le Gouvernement a décidé de mettre en place, dès le 23 mars 2020, l’état d’urgence sanitaire. Cette situation exceptionnelle sera prolongée le 11 mai pour une durée de 2 mois [4]. Un nouveau projet de loi reprenant un certain nombre de dispositions a été examiné à partir du 17 juin par l’Assemblée nationale puis le Sénat. Quel a exactement été le rôle des maires dans ce contexte très particulier de gestion de crise au cours de la période s’étendant de son déclenchement au deuxième tour des élections municipales qui s’est finalement tenu le 28 juin 2020 ? Le présent article propose un décryptage de cette situation particulière sous l’angle à la fois de l’étude juridique et de l’expérience de l’auteur en tant qu’ancien maire d’une commune rurale.
3Les grands fléaux sanitaires ne sont pas nouveaux. Ils ont frappé à plusieurs reprises au cours de notre histoire. Mais cette fois, les autorités nationales et locales ont dû faire face à une pandémie fulgurante et mettre en œuvre des politiques sanitaires aux conséquences multiformes sur les citoyens de tout âge. D’autre part, du point de vue de la vie démocratique locale cette crise sanitaire liée au Covid-19 intervient au pire moment : celui du renouvellement de l’ensemble des conseils municipaux, des maires des communes françaises et des intercommunalités qui en dépendent. Dans un contexte de pandémie montante, dans 30143 communes, les conseils municipaux ont été élus au premier tour du scrutin le 15 mars 2020. Seules 4922 communes regroupant 16,5 millions d’électeurs (essentiellement des villes) ont élu au deuxième tour le 28 juin 2020 leurs conseils municipaux et, par la suite, leur maire. Toute élection ayant été suspendue pendant la période de crise sanitaire. Pour les 30000 communes du premier cas, les conseils municipaux n’ont pas pu désigner leurs maire et adjoints. Pour ces 431739 élus, il fallut attendre le 23 mai 2020 pour que l’installation de leur conseil permette l’élection du maire et des adjoints. Pendant cette période de « vacance » des autorités locales, en application des ordonnances publiées dans le prolongement de la loi du 23 mars 2020, l’ensemble des maires et adjoints de toutes les communes en fonction avant le 15 mars ont été maintenus en fonction avec « des pouvoirs spéciaux » exorbitants du droit commun sans avoir à faire délibérer leur conseil pour prendre leurs décisions.
4Au cours de cette période exceptionnelle, les maires des communes françaises ont employé toute une gamme de moyens pour combattre localement les effets désastreux liés au Covid-19. Leurs actions pratiques et concrètes ont révélé des capacités inédites d’intervention dans de très nombreux domaines. De ce fait, le maire est apparu comme la première autorité garante de la protection de la population. Son action « à la base » a montré le caractère fondamental de la commune dans les pires moments de la crise. L’État lui-même a fait du maire l’interlocuteur et le co-acteur privilégié avec le préfet, rompant ainsi avec une décennie de défiances. Plusieurs grands domaines d’action relatifs à la gestion locale de la crise sanitaire illustrés par des exemples tirés de l’actualité seront ainsi présentés. L’objectif du présent article est d’en proposer une analyse. Il est important de faire l’analyse de ces actions pour en évaluer la rapidité, l’étendue, l’efficacité et le caractère opérationnel face aux nombreux problèmes posés.
Les actions concrètes du maire face à la diffusion de la pandémie de Covid-19
5Juste après le premier tour des élections municipales le 15 mars 2020, un décret du 16 mars portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19 a prévu, dans son article 1er, le confinement obligatoire à domicile de tous les Français à compter du 17 mars à 12 heures. Seules les sorties en déplacements dérogatoires pouvaient être autorisées pendant un temps limité, avec production d’une attestation dans cinq cas dûment justifiés. En résumé :
- déplacements entre domicile et lieu d’exercice de l’activité professionnelle lorsqu’ils sont indispensables à l’exercice d’activités ne pouvant être organisées sous forme de télétravail (sur justificatif permanent) ou déplacements professionnels ne pouvant être différés ;
- déplacements pour effectuer des achats de première nécessité dans des établissements autorisés ;
- déplacements pour motif de santé ;
- déplacements pour motif familial impérieux, pour assistance aux personnes vulnérables ou garde d’enfants ;
- déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective, et aux besoins des animaux de compagnie.
7Ce confinement est donc l’interdiction de sortir de son domicile dans le but de bloquer la diffusion du virus. Il va durer pendant près de deux mois avec des conséquences graves et inédites pour les populations des communes françaises.
8La flambée de l’épidémie frappera de nombreux Français et parmi eux des élus locaux. Certains cas furent très douloureux pour les élus et assesseurs ayant participé au scrutin municipal du 15 mars (le maire de la commune de Saint-Brice-Courcelles, commune de 3500 habitants, dans le département de la Marne, près de Reims, devait décéder du Covid-19 le 27 mars) [5].
9Les conseils municipaux n’ayant pu être installés, deux mesures exceptionnelles sont alors prises par le Gouvernement : tous les maires en exercice avant les élections municipales du 15 mars sont maintenus en fonction ainsi que leurs adjoints. Des pouvoirs exceptionnels leur sont accordés sans la nécessité d’une délibération du conseil municipal. L’État a ainsi érigé le maire en ultime garant de la vie des Français.
10Immédiatement, dans les communes, les maires se sont mobilisés, prenant de nombreuses initiatives et faisant preuve d’engagement dans des domaines pour le moins divers que l’on peut résumer au travers des exemples listés ci-dessous.
11La question sanitaire : elle s’est concentrée sur les mesures de protection contre la diffusion du virus liées au port d’un masque filtrant, de gants, d’une visière de protection, à l’utilisation de gel hydroalcoolique… Autant d’équipements qui ont fait cruellement défaut pour les soignants et la population dès le début de l’épidémie. L’absence de masque de protection a fait l’objet d’une vive polémique avec l’État et la direction de la santé publique. Face à cette pénurie, de nombreux maires ont mobilisé associations, couturières pour confectionner des masques tissus distribués gratuitement aux plus fragiles, voire à toute leur population. Ces actions ont constitué une véritable leçon pour les services de l’État jugés imprévoyants par beaucoup de Français.
12L’ensemble des structures scolaires ont été immédiatement fermées, en particulier les écoles maternelles et primaires relevant de la compétence communale. Des accueils ont partout été mis en place pour les enfants des soignants pendant toute cette période sous la double action des maires et de l’Éducation nationale. La phase de déconfinement à partir de la fin mai sera encore plus difficile à gérer pour les maires du fait des « mesures barrières » à mettre en œuvre pour protéger les enfants et assurer la désinfection des locaux scolaires. Sujets d’autant plus délicats que les maires ont pu craindre une mise en jeu de leur responsabilité pénale en cas d’infection sanitaire.
13Les personnels municipaux sous l’autorité des maires ont joué un grand rôle dans le maintien de service de première nécessité : ordures ménagères, eau, assainissement… Ils ont été le relais permanent du maire auprès de la population.
14Les questions sociales ont fait l’objet d’une attention particulière. Le ravitaillement des personnes âgées a souvent été organisé par les mairies ayant recours à des bénévoles (distribution de bon d’achat dans certaines communes). Les médiathèques et bibliothèques fermées pour les circonstances ont assuré le portage des livres aux plus anciens en leur offrant parfois les ouvrages.
15La question du ravitaillement a, elle aussi, été cruciale. Les maires ont très souvent contribué à assurer un approvisionnement des petits commerces de proximité (les boulangeries, épiceries et vente par circuit court de produits de première nécessité et les fruits et légumes). Cette mobilisation fut d’autant plus difficile en zone non urbaine que les transports routiers ont souvent été désorganisés par le développement du virus. La situation des marchés a été une source importante de difficultés dans les villes. Du fait de l’aggravation des risques, ceux-ci ont dû être suspendus par les mairies, sauf dérogation exceptionnelle. Les problèmes d’alimentation des populations sont devenus encore plus cruciaux.
16La fermeture des bureaux de poste, la diminution importante de la distribution du courrier et le non-approvisionnement des distributeurs d’argent liquide (DAB) ont créé une véritable panique dans les communes rurales. Les maires sont intervenus avec insistance pour demander la réouverture des « DAB ». Ils furent progressivement entendus. Des réouvertures ponctuelles ont été obtenues pour les postes et les distributeurs.
17La désinfection des espaces publics, écoles, mais aussi trottoirs, voiries, locaux administratifs a été organisée avec parfois, comme à Bordeaux, des divergences entre le maire et le préfet sur l’efficacité de ces mesures. Plus largement, les questions d’environnement ont suscité crispation et parfois incompréhension, en particulier pour la fermeture des déchetteries. Le maire, en tant qu’employeur, doit assurer la sécurité de ses agents. Des engagements pouvant conduire à développer le télétravail à domicile pour réduire les contacts tout en assurant une continuité de service public ont été pris. Évidemment, dans le cas des déchetteries, les protections sanitaires des personnels pouvaient s’avérer insuffisantes. Ces infrastructures furent souvent fermées temporairement.
18Toutefois, beaucoup de maires ont regretté qu’au cours du confinement, les demandes répétées d’accueil prioritaire, dans les écoles réquisitionnées, des enfants des personnels municipaux (éboueurs, policiers, etc.) au même titre que les enfants des soignants aient été rejetées. Dans des domaines ne relevant pas de leur compétence directe, des maires ont pu se faire les observateurs vigilants du bien-être et de la protection de leurs administrés. Ainsi le maire de Toulouse a regretté publiquement l’absence de dépistage des personnels et des pensionnaires dans les EHPAD, aggravant ainsi la circulation du virus.
19Dans les petites villes et les communes rurales, les maires se sont trouvés bien seuls face au nombre de circulaires souvent très lourdes à appliquer. Ainsi, le maire de la Fercé-sur-Sarthe, vice-président de l’association nationale des maires ruraux (AMRF), a souligné la lourdeur de ces circulaires et les ruptures numériques liées à la mauvaise couverture du réseau empêchant d’assurer correctement la continuité pédagogique des enfants confinés. Des solutions ont été, dans certains cas, mises en œuvre en ayant recours à la gendarmerie locale chargée de distribuer aux parents et enfants les documents de travail élaborés par les instituteurs des écoles (nombreux cas dans les vallées des Vosges et zones de montagne). La commune de Villeneuve-la-Garenne a proposé gratuitement la mise en place d’un soutien scolaire dans la mesure où certaines familles n’ont pas les mêmes ressources pour « assurer l’école à la maison » (via Skype, Zoom, courriel…). La commune de Bagnac-sur-Célé a quant à elle mis en place des actions pour que les personnes âgées en EHPAD puissent garder le contact avec leurs proches (tablettes numériques…).
20L’Association des maires de France (AMF) a produit un rapport sur les initiatives et bonnes pratiques en période de Covid-19 [6]. À titre d’exemple, la ville de Sevran a développé des relations avec les citoyens pour les aider dans différents domaines : impression d’attestations, courses de première nécessité, médicaments, échange de savoirs… La ville de Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire) a engagé cinq actions fortes pour accompagner les commerçants pendant la période de confinement : exonération des droits de terrasses et places de taxis, création d’une page Facebook… Gennevilliers (Hauts-de-Seine) a mobilisé des médiateurs pour faire respecter le confinement, en particulier par les jeunes.
21Les actions d’entraide se sont généralisées dans de très nombreuses communes à l’initiative des maires. À Hattenville (Seine-Maritime), petite commune de 741 habitants, le maire a pris l’initiative de recenser les personnes âgées, isolées ou handicapées de son territoire puis a passé un accord avec un prestataire pour livrer, sur demande, une fois par semaine, des produits de première nécessité à domicile. Un service du même type a été mis en place à Lissac avec une veille téléphonique auprès des personnes vulnérables. De même, une livraison quotidienne de repas aux personnes âgées a été mise en place à Merville-Franceville-Plage (Calvados). À Bram (Aude), ce sont les agents municipaux qui ont été mobilisés pour prodiguer conseils et astuces pour supporter le confinement.
22Plus complexes à gérer ont été les mesures relevant de la police administrative, car sujettes à possibles débats, tant au niveau local que national. Les maires des villes ont dû utiliser leur pouvoir de police en mettant en place des interdictions totales de sortir (couvre-feux) pour des raisons de sécurité en soirée. Ces mesures ont parfois été contestées par les préfets du fait de leur caractère trop général ou trop large. L’article L. 2212-2, alinéa 5, du CGCT confie au maire, au titre de son pouvoir de police administrative générale, « le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires […] les maladies épidémiques ou contagieuses […] de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours ». En cas de danger grave ou imminent, il prescrit l’exécution de mesures de sûreté exigées par les circonstances.
23Dans la situation du Covid-19, c’est le couple « préfet de département, maire » qui a géré ces mesures d’urgence avec parfois des approches contradictoires ou conflictuelles.
24La question de l’obligation du port du masque sanitaire imposée par un maire à toute sa population a suscité des polémiques et des conflits juridiques : dans une décision prise le 17 avril 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi par la Ligue des droits de l’homme, a suspendu l’exécution de l’arrêté du maire de Sceaux qui imposait de se couvrir le nez et la bouche dans l’espace public. Le Conseil d’État a confirmé cette décision sur la base de la nécessité pour les maires de respecter une certaine cohérence avec les mesures d’urgence décidées par l’État. Cette position a souvent été commentée comme trop centralisatrice.
25Pour la période de déconfinement annoncée pour le 11 mai 2020 et préparée par Jean Castex, maire de Prades (Pyrénées-Orientales), haut fonctionnaire missionné par le Gouvernement, l’Association des maires de France (AMF) et l’Association des maires ruraux de France (AMRF) ont publié une série de recommandations. L’AMF a proposé le déconfinement en neuf thèmes :
- accompagner et garantir la sécurité sanitaire ;
- réussir la réouverture des écoles et des crèches ;
- ouvrir certains services et espaces publics ;
- faire fonctionner les institutions communales et intercommunales ;
- adapter la gestion du personnel ;
- agir pour la reprise économique ;
- organiser les déplacements et la mobilité ;
- décider du calendrier culturel et sportif ;
- prendre en compte les particularités des territoires ruraux. En plus de ces neuf thèmes très généraux, l’AMF a défini trois conditions préalables au déconfinement :
- le dispositif doit être encadré nationalement, mais adaptable jusqu’à l’échelon local ;
- les mesures doivent être territorialisées, car la situation n’est pas la même sur tout le territoire ;
- le temps de la décision ne doit pas amputer celui de la préparation de la mise en œuvre…
27Ces demandes reflètent bien les priorités des maires qui de par leurs fonctions sont au plus près des préoccupations de leurs administrés ainsi que de la réalité et des spécificités territoriales. Les maires ont été confrontés avec beaucoup de difficultés à la réouverture des écoles maternelles et primaires. Une note de plus de 60 pages a décrit les mesures sanitaires barrières à mettre en œuvre, les règles d’organisation et de désinfection des locaux, les cantines… autant de sujets à gérer avec l’Éducation nationale et les parents d’élèves [7]. Certains maires ont refusé de rouvrir leur école du fait des risques encourus, craignant une mise en jeu de leur responsabilité pénale [8]. Toutefois, le mois de juin a été celui de la reprise effective de l’action éducative.
28Autre changement important dès le 23 mai 2020 : comme nous l’avons écrit précédemment, ont été élus les maires de 30143 communes ayant désigné leur conseil dès le premier tour des élections municipales ayant eu lieu le 15 mars. Pour les 4422 communes restantes, le second tour des élections municipales reportées au 28 juin, l’élection des maires suivra l’installation de ces nouveaux conseils.
29Pendant ces deux difficiles périodes du confinement et de déconfinement, le maire et le préfet de département ont finalement agi de façon complémentaire pour gérer la crise sanitaire sur l’ensemble du territoire.
Que faut-il retenir de cet engagement des maires ?
30Le maire est apparu localement et médiatiquement comme le point d’ancrage de la nation en pleine tourmente. Quotidiennement, il est devenu le principal acteur dans la presse locale et nationale [9]. Son action s’est étendue à tous les sujets auxquels la population, les familles, les personnes isolées ont été confrontées.
31On remarque en revanche que les autres échelons décentralisés (les intercommunalités, métropoles, communautés d’agglomération, communautés de communes, conseils départementaux) se sont surtout mobilisés après la phase de confinement lié au Covid-19 pour mettre en place des mesures d’aide dans leurs domaines de compétences. Seuls les présidents de région ont émergé dans cette crise sanitaire. Les conseils départementaux ont été, quant à eux, peu visibles même s’ils ont pu prendre des engagements sur l’achat de masques de protection ou dans des mesures d’aides au secteur touristique.
32Désormais, il est clair que la commune et le maire sont les bases incontournables de notre organisation politique. Les autres strates sont des relais, des mises en commun pour une gestion ordinaire en période normale.
33Du millefeuille institutionnel tant décrié, la commune et son maire, la région et son président sont ressortis de cette crise comme les acteurs fondamentaux aux côtés de l’État.
34On avait peut-être oublié que la fonction de maire est apparue à l’époque médiévale avec la formation des communes. La grande charte de Beaumont en Argonne, octroyée en 1182 par l’archevêque de Reims « Guillaume aux Blanches Mains », constitue le véritable fondement des libertés locales par lequel la population (la bourgeoisie) désigne ses représentants et son premier magistrat aux noms variés (premier échevin…) (Petit-Dutaillis, 1970, p. 51 sqq.). Rappelons que ce grand prélat était l’oncle de Philippe Auguste et fut régent du royaume pendant la troisième croisade. Du fait de cette double influence, cette charte qui confiait la justice, l’administration et les finances de la ville à un « maire » et à des jurés constitués chaque année par l’assentiment des habitants, a été appliquée à des centaines de communautés dans une aire géographique dépassant les limites même du royaume.
35La monarchie était intervenue peu à peu dans la nomination des maires, en développant son pouvoir, en les transformant en office vénal. La Révolution de 1789 mit fin aux fonctions des anciens maires ou échevins en uniformisant l’administration des communes avec un maire choisi dans le conseil municipal élu. Cette courte phase de décentralisation absolue fut rapidement suspendue par la Convention et le Premier Empire. Les maires furent alors nommés et leurs fonctions limitées et contrôlées par le corps préfectoral. Après une lente évolution au xixe siècle, le maire se transforma peu à peu d’agent nommé par le pouvoir central en représentant élu de la commune (Legendre, 1968).
36La commune a toujours eu pour raison profonde de procurer aux hommes le cadre naturel d’une communauté de vie qui leur permette de s’épanouir ou de satisfaire leurs aspirations essentielles : « Au long des siècles, la vocation de la commune a été de répondre à une double préoccupation fondamentale de ses habitants : le bien commun et le désir d’autonomie » (Bernard, 1969).
37Le maire devant son assemblée et sa communauté est le véritable instigateur du pouvoir local. Son rôle peut être compris comme du césarisme démocratique municipal. Certains analystes décrivent son action comme du « présidentialisme municipal » (Sorbets, 1983). « Être maire passe pour le plus attachant des mandats électifs… Cette constatation a une double explication : le maire exerce un pouvoir effectif et il l’exerce dans un cadre riche de contacts directs, de relations personnelles » (Carcassonne, 1983). Cette spécificité est le fruit de l’histoire. Elle est spécifiquement française (Mény, 1983, p. 19 sqq.). Le maire symbolise deux caractères très forts : République et démocratie.
38Le rôle du maire dans le combat contre l’épidémie de Covid-19 a aussi montré la polyvalence souvent méconnue de son statut même si, dans le cas présent, il a exercé ses fonctions dans un cadre juridique exceptionnel.
39Le maire peut agir en plusieurs qualités (Bénoit, 1976, p. 1984) : comme autorité locale et chef de l’administration communale, soit comme autorité de police, soit comme délégataire du conseil municipal et enfin comme représentant de l’État dans la commune. Cet article n’a pas pour objet de détailler le régime juridique d’ailleurs assez complexe et mal connu, des décisions prises par le maire. Mais comme le met en évidence la crise du Covid-19, il convient toutefois de constater qu’il est à la croisée des pouvoirs provenant de sources diverses. En cela, il est le premier garant de la décentralisation et des trois caractères fondamentaux qui la définisse :
- l’efficacité administrative dans la satisfaction des besoins locaux ;
- la légitimité qui suppose la mise en œuvre du principe démocratique dans la gestion communale et le respect des aspirations des gouvernés ;
- l’effectivité, c’est-à-dire la maîtrise réelle par la collectivité des matières et domaines qu’elle doit régir (Némery, 1981, p. 23 sqq.).
41Le maire n’est pas seul dans cet exercice premier : il doit conjuguer son pouvoir avec son assemblée communale délibérante dont il est l’exécutif (sauf pour les mesures prises dans le cadre du Covid-19) ; en cela il est le moteur de la démocratie communale ; mais aussi historiquement et actuellement, il est l’interlocuteur permanent du préfet et de l’administration préfectorale. Il concentre l’efficacité par la proximité et la légitimité par son élection. Il dispose de pouvoirs propres en plus de ceux en tant qu’exécutif du conseil municipal. Il est accessoirement agent de l’État dans des domaines très spécifiques.
42Pendant les périodes du confinement et du déconfinement, nombreux ont été les cas d’accord et de désaccord concernant les mesures pratiques à mettre en œuvre pour lutter contre le Covid-19 (arrêtés de « couvre-feu », port obligatoire des masques, désinfection des voiries, réouverture des écoles avec des normes sanitaires…). En fait, ces conflits ont été peu nombreux à être réglés par le juge administratif. Ils furent plutôt réglés par le dialogue et la concertation. L’État, d’ailleurs, ne s’y est pas trompé en confiant aux préfets de département le soin de régler avec les maires les mesures de terrain à mettre en œuvre. Certains auteurs ont même parlé d’une véritable « cohabitation » maire, préfet, décentralisation, déconcentration dans cette lutte territoriale de l’épidémie de Covid-19.
43Les maigres résultats de la participation électorale dans les scrutins communaux de mars 2020 et surtout de juin 2020 pour les villes et métropoles traduisent-ils un désintérêt pour les enjeux communaux et locaux ? Nous ne le pensons pas. Il faut plutôt y voir une lassitude des engagements civiques si forts pendant le Covid-19 des citoyens et aussi une crainte des risques de contagion qui avait pu être constatée lors des élections municipales de mars 2020.
44Plusieurs indicateurs semblent démontrer l’attachement profond pour l’institution communale. À cinq jours du second tour des élections municipales de juin 2020, le baromètre Odexa pour la presse régionale quotidienne notait que 73 % des maires étaient jugés comme des acteurs à la hauteur de la situation, contre 36 % pour le Gouvernement. Ce ne sont que des sondages, mais ils nous donnent une tendance crédible de l’opinion des Français.
45Plus important encore, 902465 citoyens ont été candidats au premier tour des élections municipales, répartis en 20765 listes pour élire près de 500000 conseillers municipaux ainsi que 67000 conseillers intercommunaux pour gérer les 1259 intercommunalités (source : ministère de l’intérieur). Ces chiffres montrent l’engagement considérable des Français pour les mandats communaux.
46Le débat scientifique sur l’organisation de nos démocraties à la base et au sommet avait déjà été engagé avant l’épidémie de Covid-19. Cette importante crise sanitaire n’a fait qu’accélérer la réflexion sur les fondements de notre système et sur les nouvelles perspectives à engager.
47Jacques Chevallier, dans les Mélanges en l’honneur du professeur Gérard Marcou, considère que « la restructuration en cours du système d’organisation territoriale, peut être envisagée comme un facteur de déstabilisation ou au contraire, de consolidation des identités locales » (Chevallier, 2017, p. 100). Dans ces mêmes mélanges, Bernard Dolez (Dolez, 2017) analyse les propositions contenues dans l’ouvrage du Club Jean-Moulin Les Citoyens au pouvoir, 12 régions, 2000 communes publié en 1968 aux éditions du Seuil. Le club Marc Bloch avait dès 2018 formulé des propositions pour redonner à la décentralisation une place prépondérante (Club Marc Bloch, 2018).
48Le rôle joué par les maires dans la crise du Covid-19 nous a rappelé avec force la dimension humaine, locale, pratique, instantanée du pouvoir local et probablement sa grande supériorité sur les constructions institutionnelles récentes présentées comme les seules voies du changement. L’avenir de nos communautés et de notre nation se construit aussi sur le passé. Pas sur le passé archaïque ou nostalgique, mais sur le passé des pratiques démocratiques, concrètes, efficaces et participatives. Il s’agit de saisir la façon dont le passé est parfois réactivé par des sujets qui se le réapproprient (Moatti et Riot-Sarcey, 2018). Dans la crise du Covid-19, les maires des communes françaises l’ont vite compris, eux les petits porteurs de la République et de la démocratie.
49Dès la fin du confinement des Français lié à la pandémie de Covid-19, on a assisté à une remontée en puissance des intercommunalités (communautés de communes, communautés d’agglomération, communautés urbaines, métropoles) paralysées par le gel du processus électoral pendant une période de deux mois et aussi à une remobilisation des interventions des conseils départementaux dans leur domaine de compétence propre.
Bibliographie
Références bibliographiques
- Auby, Jean-Bernard et Renaudie, Olivier (2016), Réforme territoriale et différenciation(s), Berger-Levrault – Sciences Po, coll. Au fil du débat.
- Bénoit, Francis-Paul (dir.) (1976), Encyclopédie des collectivités locales, Dalloz.
- Bernard, Paul (1969), Le Grand Tournant des communes de France, Armand Colin, coll. U.
- Carcassonne, Guy et al., (1983), « Introduction », Pouvoirs, revue française d’études constitutionnelles et politiques, no 24, janvier.
- Chevallier, Jacques (2017), « Réflexions sur la notion de territoire », in Mélanges en l’honneur du professeur Gérard Marcou, IRJS Éditions/Bibliothèque de l’Institut de recherche juridique de la Sorbonne – André Tunc, p. 97-104.
- Club Jean-Moulin (1968), Les citoyens au pouvoir, 12 régions, 2000 communes, Le Seuil.
- Club Marc Bloch (2018), Citoyen ! Plaidoyer pour une démocratie renouvelée, L’Harmattan, coll. Logiques juridiques.
- Dolez, Bernard (2017), « 12 régions, 2000 communes. Du Club Jean Moulin à la réforme territoriale », in Mélanges en l’honneur du professeur Gérard Marcou, IRJS Éditions/Bibliothèque de l’Institut de recherche juridique de la Sorbonne – André Tunc, p. 153-168.
- Legendre, Pierre (1968), Histoire de l’Administration de 1750 à nos jours, PUF, coll. Thémis.
- Moatti, Claudia et Riot-Sarcey, Michèle (dir.) (2018), Pourquoi se référer au passé ?, éditions de l’Atelier.
- Mény, Yves (1983) « Le maire, ici et ailleurs », Pouvoirs, revue française d’études constitutionnelles et politiques, no 24, janvier, p. 19-28.
- Némery, Jean Claude (1981), De la liberté des communes dans l’aménagement du territoire, LGDJ, tome 141.
- Petit-Dutaillis, Charles (1970), Les Communes françaises, Albin Michel.
- Sorbets, Claude (1983), « Est-il légitime de parler d’un présidentialisme municipal ? », Pouvoirs, revue française d’études constitutionnelles et politiques, no 24, janvier, p. 115-116.
Mots-clés éditeurs : commune, Maire, pouvoir de police, circonstances exceptionnelles
Mise en ligne 28/01/2021
https://doi.org/10.3917/rfap.176.0095Notes
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La Gazette des communes – le quotidien 18 mai 2020.
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Nous renvoyons aux contributions respectives de Virginie Donier et de Bernard Dolez, publiées dans le présent dossier thématique.
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Nous lui rendons hommage.
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Cf. ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports, Guide relatif au fonctionnement des écoles et protocole sanitaire à appliquer à partir du 11 mai 2020 assoupli par de nouvelles dispositions du 22 juin 2020 : Gazette du Palais, 10 août 2020.
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Le refus du maire de rouvrir l’école a été parfois sanctionné par le juge administratif au motif que le droit à l’éducation est un droit fondamental.
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Pour la presse régionale, les principales sources sont L’Union et L’Ardennais, L’Est Éclair, Les Dernières nouvelles d’Alsace, La Voix du Nord, Var Matin, Nice Matin… Pour la presse nationale : Le Monde, Le Figaro, Libération…