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Article de revue

La construction d’un service public de la donnée

Pages 491 à 500

Notes

  • [1]
    Article L. 321-4 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA).
  • [2]
    L’auteure tient à remercier tout particulièrement Simon Chignard, de l’équipe d’Étalab, pour les précieuses informations qu’il a pris le temps de lui livrer à ce sujet.
  • [3]
    Décrets n o 84-940 du 24 octobre 1984 et no 96-481 du 31 mai 1996 relatifs au service public des bases et banques de données juridiques.
  • [4]
    CE, 17 déc. 1997, Ordre des avocats à la cour d’appel de Paris, AJDA 1998, p. 362, concl. Combrexelle, note Nouel.
  • [5]
    Loi no 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, art. 2.
  • [6]
    Décret no 2002-1064 du 7 août 2002 relative au service public de la diffusion du droit par l’internet.
  • [7]
    Circulaires du 17 décembre 1998 relative à la diffusion de données juridiques sur les sites internet des administrations et du 7 octobre 1999 relative aux sites internet des services et des établissements publics de l’État.
  • [8]
    Décret no 2017-331 du 14 mars 2017 relatif au service public de mise à disposition des données de référence, codifié aux articles R. 321-5 et s. du CRPA.
  • [9]
    Étude d’impact du projet de loi « Pour une République numérique », 9 décembre 2015.
  • [10]
    Ibid.
  • [11]
    Administrations mentionnées au premier alinéa de l’article L. 300-2 du CRPA, agissant dans le cadre d’une mission de service public : soit, l’État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une mission de service public.
  • [12]
    Décret du 14 mars 2017 précité.
  • [13]
    Art. L. 1115-1 du code des transports.
  • [14]
    Art. L. 111-73-1 et L. 111-77-1 du code de l’énergie.
  • [15]
    Art. L. 135 B du livre des procédures fiscales.
  • [16]
    Art. 10 de la loi no 2000-321 du 12 avril 2000.
  • [17]
    Art. 53-1 de l’ordonnance no 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession.
  • [18]
    Complexe, mais pas impossible. Cf. les propos d’Henri Verdier, directeur de la Dinsic et Administrateur général des données, lors d’un entretien accordé à NextInpact le 27 avril 2018.
  • [19]
    Art. L. 321-4-I du CRPA.
  • [20]
    Art. L. 321-6 du CRPA.
  • [21]
    Ce qui a d’ailleurs justifié une intervention du législateur, au regard du principe de libre administration des collectivités territoriales défini par les articles 34 et 72 de la Constitution (cf. Étude d’impact, p. 36).
  • [22]
    Étude d’impact, citée note 9.
  • [23]
    Art. R. 321-8 du CRPA.
  • [24]
    CE, Ass. 16 nov. 1956, Union syndicale des industries aéronautiques, Rec., p. 434.
  • [25]
    TFUE, art. 106, §2 ; CJCE, 23 avril 1991, Höfner et Elser, aff. C-41/90.
  • [26]
    Voir, pour une illustration, la résurrection récente du service public hospitalier, désormais défini à partir des obligations qui en constituent le régime (Boussard, 2016, 565).
  • [27]
    Arrêté du 14 juin 2017 relatif aux règles techniques et d’organisation de mise à disposition des données de référence prévues à l’article L. 321-4 du CRPA et art. R. 321-7 CRPA.
  • [28]
    Art. R. 321-7 CRPA : « Cet arrêté fixe, en outre, les règles permettant de favoriser la réutilisation des données de référence et notamment celles relatives à leur format. »

1Le numérique stimule d’étonnantes constructions juridiques : celle du service public de la donnée, qui correspond à la « mise à disposition des données de référence en vue de faciliter leur réutilisation » [1] est une de ces surprenantes nouveautés. À l’heure où, dans la plupart des pays occidentaux, il est davantage question de démantèlement que de création de services publics, la consécration de ce service public par la loi Pour une République numérique (LRN) du 7 octobre 2016 a de quoi interroger [2].

2Reflet d’une certaine idéologie (Koubi, 2014, 41 ; Plessix, 853), le choix d’ériger une activité en service public, n’est, pour les pouvoirs publics, jamais neutre : qu’il soit le fruit du pouvoir constituant, législatif ou réglementaire, ce choix est significatif d’une volonté de la puissance publique d’assumer la maîtrise de la satisfaction d’un besoin qu’elle considère d’intérêt général et pour lequel elle juge l’initiative privée sinon totalement, au moins partiellement inadaptée. Juridiquement, le fait qu’une mission d’intérêt général (critère matériel) soit assurée ou assumée par une personne publique (critère organique), et par conséquent qualifiée de service public, emporte d’importantes conséquences et en particulier la présomption qu’un régime de droit public concernant les actes, les personnes et les biens qui y sont affectés, s’applique. Les enjeux de la consécration d’un service public de la donnée dépassent ainsi la simple charge symbolique.

3Aussi, avant d’en dessiner les contours, n’est-il pas inutile d’en retracer la lente maturation. D’où vient l’idée de faire de la mise à disposition des données de référence une mission de service public consacrée comme telle par le législateur ? Plusieurs facteurs ont été déterminants. D’abord, précurseur en la matière, l’accès aux données juridiques publiques, initialement organisé par décrets [3], a été qualifié de service public de la mise à disposition et de la diffusion des textes juridiques par le Conseil d’État en 1997 [4], puis par le législateur le 12 avril 2000 [5], pour devenir aujourd’hui le « service public de la diffusion du droit par l’Internet » [6]. Mais, si l’idée de diffuser de manière plus générale la plupart des « données publiques essentielles » a pu germer dès 1998 [7], le choix d’une diffusion sectorielle l’a historiquement emporté et l’ouverture des données publiques, telle que mise en œuvre depuis 2005, n’a jamais obtenu le « label service public » (Truchet) de la part du législateur, alors même qu’elle en a sans doute tous les attributs (Guglielmi, 2016).

4 Pour que l’idée de créer un service public de la donnée soit validée par le législateur en 2016, il a fallu que s’ajoutent à cette expérience des réflexions convergentes autour de l’importance d’assurer la circulation des « données essentielles » pour l’économie. Cette idée, que soulevait le rapport Mandelkern dès 1999, fut réactivée bien plus tard, en 2014, par des acteurs très différents : l’association influente GFII (Groupement français de l’industrie de l’information) (Berthault, 2017), des parlementaires, à l’occasion de la discussion sur la loi de transition énergétique au cours de laquelle a émergé l’idée d’un « service public de la donnée énergétique », ou encore de Serges Lasvignes, lors de son intervention à la conférence de Paris sur l’open data et le gouvernement ouvert le 24 avril 2014, lorsqu’il était secrétaire général du gouvernement. Tous ont soulevé l’importance de mettre en place un système de gouvernance efficace de ces données essentielles, dont l’État doit assurer la diffusion de la manière la plus optimale possible. Enfin, bien qu’ayant pris des formes différentes, les expériences de pilotage des données essentielles, menées notamment en Grande-Bretagne et au Danemark, ont aussi incontestablement influencé la création du service public des données de référence français (Administrateur général des données – AGD –, 2017, 47).

5Le discours est sous-tendu par l’idée selon laquelle parmi l’énorme quantité de données publiques produites, toutes ne se valent pas : certaines, parce qu’elles disposent d’« un potentiel d’usage plus élevé que d’autres » (AGD, 2017, 16), doivent être soumises à un statut particulier garantissant leur fiabilité et favorisant leur utilisation ; à défaut, elles pourraient tout simplement perdre leur statut de référentiels. En d’autres termes, pour conserver sa « souveraineté informationnelle » (AGD, 2017, 16), il est d’intérêt général que l’État maîtrise la gouvernance de ces données.

6C’est ainsi que la mise à disposition d’informations publiques, qui constituent une référence commune pour nommer ou identifier des produits, des services, des territoires ou des personnes (données pivots), qui sont réutilisées fréquemment par des personnes publiques ou privées autres que l’administration qui les détient (valeur de réutilisation), et dont la réutilisation nécessite qu’elles soient mises à disposition avec un niveau élevé de qualité (criticité de la qualité de leur mise à disposition), constitue, selon l’article 14 de la LRN devenu l’article L. 321-4 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), une mission de service public, confiée au service d’une administration d’État : la mission Étalab de la Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État (Dinsic).

7Bien que le choix ait été fait de restreindre l’objet du service public de la donnée aux seules données de référence – portant à l’heure actuelle sur neuf jeux de données [8] –, la création du service public de la donnée n’en demeure pas moins le signe d’une volonté des pouvoirs publics de faire du service public l’élément structurant de cette nouvelle infrastructure qu’est l’infrastructure des données (AGD, 2017). Pour permettre à ce service public au petit pied de prendre de l’ampleur, ils l’ont conçu comme une mission d’intérêt général évolutive, dont la gouvernance est publique, mais malgré tout ouverte et collaborative et le régime juridique à la fois exigeant et protecteur de cette infrastructure en construction.

Une mission d’intérêt général évolutive

8La mission du service public de la donnée consiste à mettre à disposition du public des données de référence. Cela signifie deux choses. D’une part, toutes les données publiques ne sont pas concernées, mais seulement celles qui jouent un rôle particulier dans la création de valeur économique et sociale. Il s’agit des « données pivots » (GFII) qui correspondent à des « briques de base » nécessaires à la construction de services autour des données qu’il s’agit de relier entre elles pour les enrichir (Cluzel-Métayer, 2017). D’autre part, le rôle du service public de la donnée n’est pas de créer de nouvelles données, mais « de constituer, dans un univers de données très dense et dont les sources ne sont pas toujours identifiables ou maîtrisées, une ressource fiable et authentifiée par la puissance publique » [9] et d’en permettre la circulation la plus large possible. Levier économique, l’utilisation de données parfaitement fiables est aussi un outil d’amélioration de l’action publique et du service rendu au citoyen : par exemple, l’utilisation d’un référentiel identique d’adresses, précis et correctement mis à jour doit renforcer la coordination et partant, l’efficacité, des services d’urgence ou de secours [10].

9Selon l’article L. 321-4-1 du CRPA, ces données stratégiques sont donc des informations publiques particulières. En tant qu’informations publiques figurant dans des documents communiqués ou publiés par les administrations [11] (Chevallier, 2016), elles peuvent être utilisées par toute personne qui le souhaite à d’autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été produits ou reçus. Elles entrent ainsi a priori dans le champ de l’open data. En tant que références communes pour nommer ou identifier des produits, des services, des territoires ou des personnes, fréquemment utilisées, elles bénéficient d’un traitement particulier, permettant d’en assurer la qualité et la diffusion optimale.

10Pour le moment, seuls neuf jeux de données entrent dans cette catégorie [12] : la base Sirene des entreprises (Insee), le Répertoire national des associations (Ministère de l’intérieur), le Plan cadastral informatisé (DGFIP), le Registre parcellaire graphique (Agence des services et de paiement), le Référentiel à grande échelle (IGN), la Base adresse nationale (IGN, La Poste, OpenStreetMap-France), le Référentiel de l’organisation administrative de l’État (DILA), le Répertoire opérationnel des métiers et des emplois (Pôle-emploi) et enfin, le code officiel géographique (Insee).

11Le choix d’un service public de la donnée restreint à ces bases spécifiques s’explique de deux manières. Premièrement, si le périmètre avait été d’emblée plus étendu, la gestion du service aurait été plus compliquée, comme en témoigne l’échec du National Information Infrastructure (NII) britannique mis en place en 2013, qui n’a pas réussi à gérer les quelque 233 jeux de données qu’on lui avait confiés (AGD, 2017, 47). Deuxièmement, il était logique de préférer lancer ce service public à partir de bases de données historiques, produites par des administrations dont la collecte et la diffusion d’informations est pour ainsi dire le métier. Même si elles doivent s’adapter à l’objectif de diffusion à l’égard du « grand public », l’Insee, l’IGN et la DILA sont déjà habituées à livrer des données de grande qualité aux professionnels de la réutilisation (Berthault, 2017).

12Néanmoins, loin d’être figée, la mission de ce service public a vocation à évoluer dans deux directions. Il s’agit, d’abord, d’étendre le périmètre du service et de mettre à disposition, à terme, une cinquantaine de jeux de données, ce qui permettrait de couvrir des champs plus diversifiés – on pense à l’éducation nationale ou à la santé –, tout en conservant une masse gouvernable. Il s’agit, ensuite, d’ajuster la mission de ce service public : en s’éloignant paradoxalement de la logique d’open data qui sous-tend le dispositif, l’objectif est de diffuser la donnée, non pas à « toute personne », mais à la « bonne personne ». L’avenir du service public de la donnée est en effet de pouvoir distribuer des bases de données, contenant des données personnelles, ou protégées par des secrets légaux, à des personnes autorisées. À titre d’exemple, à l’heure actuelle, le Répertoire national des associations n’est pas diffusé dans son intégralité car il comporte les noms des présidents d’associations ainsi que leur adresse personnelle. Dans une perspective d’amélioration de l’action publique, le service public de la donnée devrait pouvoir, à l’avenir, diffuser ce registre in extenso aux agents publics autorisés, grâce au développement de mécanismes d’identification et de contrôle d’accès, tels que FranceConnectAgents (AGD, 2017, 57).

13Cet enrichissement de l’offre peut-il aller jusqu’à porter sur toutes les « données d’intérêt général » ? En introduisant cette notion, la loi pour une République numérique entendait mettre en open data des données, parfois produites par des acteurs privés indépendamment d’une mission de service public, mais pouvant être très utiles pour les pouvoirs publics, comme pour les citoyens. Doivent ainsi être mises en open data les données de transport [13], d’énergie [14], les valeurs foncières [15], ou encore, de manière générale, des données essentielles aux conventions de subventions publiques [16] et des données et bases de données reçues ou produites à l’occasion de l’exploitation du service public faisant l’objet d’un contrat de concession et qui sont indispensables à son exécution [17]. Cela ne va pas sans difficultés, comme en témoigne le fait que le décret d’application permettant la mise à disposition des données de transport n’a toujours pas été adopté, trois ans après la loi dite « Macron » qui en consacrait le principe. Les inclure dans le périmètre du service public de la donnée sera sans doute complexe, surtout si l’on conçoit ces données de manière extensive, en intégrant celles produites par les GAFAM par exemple [18]. Pourtant, certaines de ces données vont rapidement devenir indispensables à la définition même du besoin d’intérêt général, que les pouvoirs publics, détenteurs de la légitimité démocratique, ne doivent pas abandonner à des acteurs privés qui en sont dépourvus.

14 L’heure est, en tout état de cause, à la recherche d’une collaboration des acteurs, plutôt qu’au cloisonnement public-privé, pour que les données stratégiques circulent de manière optimale. Dans cette perspective, le service public de la donnée repose sur un système de gouvernance ouvert.

Une gouvernance ouverte

15L’idée suivant laquelle la donnée publique est une information publique issue d’un document administratif produit par une administration, telle qu’elle résulte du CRPA, n’est plus tout à fait conforme à la réalité (Cluzel-Métayer, 2018). Le temps est venu d’accepter que la donnée, même « publique », puisse être coproduite, par des acteurs qui n’ont pas nécessairement de lien avec l’administration. Le choix d’une gouvernance ouverte du service public de la donnée témoigne de la prise en considération de cette évolution du mode de production des données. L’organisation de ce service public répond à deux séries de considérations : il s’agit, d’une part, de mettre en place un pilotage public permettant d’articuler production et diffusion des données de manière optimale ; il faut également, d’autre part, organiser la collaboration des autres acteurs, entreprises et simples citoyens à l’amélioration de ce service public.

16Le pilotage du service public de la donnée est confié à Étalab, mission relevant d’un service du Premier ministre, la Dinsic, mais il est précisé que « toutes les administrations mentionnées au premier alinéa de l’article L. 300-2 concourent à cette mission » [19]. Étalab, qui coordonne la politique d’ouverture et de partage des données publiques, a plusieurs missions, énumérées à l’article R. 321-8 du CRPA, au titre du service public de la donnée, parmi lesquelles celles de coordonner la mise à disposition des données de référence, d’en effectuer le référencement et de donner accès à ces données, ainsi qu’aux données qui y sont associées, sur le portail unique interministériel « data.gouv.fr », sachant qu’elle peut également assurer directement la mise à disposition de ces données. Son rôle n’est donc pas de produire ou d’inciter à produire de nouveaux jeux de données, mais d’optimiser la diffusion des données de référence déjà produites par les administrations, tout en s’assurant de leur qualité, de manière à favoriser l’émergence de services innovants grâce à leur réutilisation. Contrairement à l’expérience danoise du Grunddata Board reposant sur un pilotage centralisé du Ministère des finances et incluant la mission de production des données (AGD, 51), Étalab ne fait « que » gérer la diffusion des données, les administrations restant maîtresses de leur production. Comment se répartissent alors ces rôles entre producteurs et diffuseurs ? Fruit d’une consultation en ligne sur le projet de décret relatif au service public de la donnée, la question de cette articulation a finalement été tranchée dans le sens d’une régulation souple, laissant le choix aux producteurs de diffuser par eux-mêmes ou de déléguer cette tâche au diffuseur de leur choix [20]. Certains ont choisi Étalab (la DGFIP pour la base du cadastre, l’Insee pour la base SIRENE…), d’autres ont préféré diffuser eux-mêmes (le Ministère de l’intérieur pour le RNA, l’IGN pour le RGE par exemple). La question de la compensation de cette collaboration au service public de la donnée s’est posée notamment à propos des collectivités territoriales, qui doivent, à l’instar des autres administrations, y participer [21]. Dans la mesure où elles ne sont pas tenues de produire des données nouvelles, mais seulement d’améliorer la qualité des données qu’elles transmettent déjà à l’État en vertu d’obligations légales ou réglementaires, leur participation n’a été analysée ni comme un transfert, ni comme une extension de compétence [22], ce qui est sans doute discutable au regard du renforcement des exigences techniques effectivement requises dans la production de ces données. Au sein de l’État, un « réseau des administrateurs ministériels des données » est en train de se mettre en place afin d’améliorer cette coopération.

17Cette logique collaborative ne se limite pas aux administrations. Elle vise également les acteurs « privés » n’entrant pas dans le champ de l’article L. 300-2 du CRPA : entreprises, associations, citoyens sont également encouragés à la coproduction de ce service. Celle-ci se manifeste de deux manières.

18En amont, les acteurs privés peuvent être potentiellement sollicités pour participer à la production d’une base de données de référence. L’exemple le plus topique est celui de la Base Adresse nationale. Fruit d’une collaboration entre l’IGN, La Poste et une association, OpenStreetMap-France, cette base est le témoignage emblématique de l’intérêt d’une mise en commun des ressources, qui peuvent se concevoir comme des « communs numériques » (Dulong de Rosnay, 2017).

19En aval, dans une perspective d’amélioration du service public de la donnée, l’idée est de permettre aux réutilisateurs de contribuer à corriger le service. À cette fin, Étalab doit « mettre en œuvre un dispositif contribuant à l’amélioration de la qualité des données de référence en liaison avec les usagers du service public et les administrations, notamment en proposant aux administrations une solution mutualisée de signalement ou de correction d’éventuelles erreurs au sein de ces données » [23].

20Producteurs, diffuseurs et réutilisateurs sont ainsi tous appelés à coproduire ce service public, marqué par une gouvernance ouverte, dont la souplesse est cependant contrebalancée par un régime de diffusion particulièrement exigeant.

Un régime juridique éxigeant

21Du régime juridique applicable au service public de la donnée, il ressort deux caractéristiques : la première est qu’il s’agit, bien que les textes s’en disent rien, d’un régime administratif ; la seconde est que les obligations de ce service sont tout entières condensées autour de l’exigence de qualité des données.

22Ni la loi, ni le décret d’application ne précise la nature juridique de ce service public. Il est pourtant nécessaire de l’identifier pour savoir si le régime juridique applicable est de droit public ou de droit privé et pour déterminer la juridiction compétente en cas de litige. Au sens de la jurisprudence administrative, tous les indices concordent pour affirmer que le service public de la donnée est un service public administratif. Rappelons que le service public est présumé administratif à moins que par son objet, par son mode de financement et par ses modalités de fonctionnement, il soit assimilable à une entreprise : il est alors considéré comme un service public industriel et commercial [24]. Si l’objet de ce service public, à savoir la mise à disposition de données de référence, pourrait correspondre à celui d’une entreprise privée, le fait qu’il soit financé sur fonds publics, ne donnant lieu à aucune facturation à l’usager puisque les données sont fournies gratuitement, et que son fonctionnement – application des règles de la comptabilité publique, absence de recherche de rentabilité économique – soit nettement éloigné de celui d’une entreprise, permet de conclure à la qualification de service public administratif. En découle, en principe, l’application du droit administratif et la compétence du juge administratif pour régler les litiges qu’il pourrait générer.

23 Il n’est néanmoins pas exclu qu’au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, l’activité en question soit considérée comme une activité économique et soumise par principe aux règles de la concurrence [25]. Mais il est fort probable qu’elle entrerait sans peine dans le champ des dérogations permettant d’échapper à leur application dans la mesure où il ne semble pas que la puissance publique, en livrant gratuitement des données à tous les acteurs, y compris économiques, perturbe le jeu de la concurrence. Nous dirions au contraire qu’en libérant la donnée, ce service encourage l’activité économique, et que pour l’heure, aucun opérateur privé ne semble vouloir s’en charger, de manière désintéressée, en se soumettant à des contraintes de qualité aussi strictes.

24Les obligations mises à la charge des administrations dans le cadre de ce service public sont en effet assez contraignantes.

25À l’heure actuelle, la reconnaissance d’un service public va de paire avec la définition d’un régime juridique précis, mentionnant expressément les sujétions qui pèsent sur l’activité, laquelle ne pourrait, sans l’aide de la puissance publique, être réalisée. Permettant de justifier une dérogation à l’application des règles de la concurrence imposées par le droit européen, les obligations de service public sont ainsi en principe clairement établies [26]. Celles du service public de la donnée sont condensées autour de l’exigence de qualité des données diffusées, qui correspond ici à une nouvelle lecture des principes de continuité et d’adaptation constante.

26Le choix a été fait de ne pas imposer trop d’exigences aux administrations quant à la production des données, mais de leur en prescrire quant à leur diffusion. Qu’elles fassent le choix de diffuser les données par elles-mêmes ou non, l’arrêté du 14 juin 2017 fixe les règles techniques qu’elles doivent respecter [27]. Les données diffusées doivent ainsi être documentées, c’est-à-dire accompagnées des métadonnées qui s’y appliquent (source, date de dernière mise à jour, titre, description, périodicité de mise à disposition, format, couverture géographique, licence de réutilisation applicable, les mots clés) et le public doit être informé de leur processus de création et de mise à jour. Les données doivent être complètes, exactes et mises à jour : les administrations s’engagent sur une fréquence de mise à disposition différenciée des données mises à jour (pour la base Sirene, mise à disposition le lendemain de chaque jour ouvré, pour le RNA, mise à disposition mensuelle, pour le cadastre, mise à disposition trimestrielle…). Comme la fréquence et la fraîcheur des informations, leur disponibilité (taux de disponibilité : 99 % mensuel pour le téléchargement et 99,5 % pour les interfaces de programmation), leur authenticité et leur intégrité doivent être garanties. Une procédure de signalement au producteur doit être mise en place pour corriger les erreurs. Seule l’obligation d’utiliser des formats ouverts pour faciliter la réutilisation, bien que particulièrement attendue (AGD, 2017, 45) et envisagée par le décret [28] (art. R. 321-7), n’est curieusement pas prévue par l’arrêté. L’ensemble de ces prescriptions est néanmoins révélateur d’une volonté de soumettre les administrations concernées à un cahier des charges rigoureux, que seules quelques administrations, rompues à l’exercice de la diffusion de données, peuvent effectivement remplir. L’enrichissement de ce service public par l’élargissement de son périmètre supposera dès lors d’accompagner les administrations dans cette nouvelle mission, mais également de solliciter encore davantage des acteurs privés pour alimenter les bases de données de référence.

27 De cette collaboration pourrait résulter un service public amélioré par l’émergence de services innovants, mais aussi plus profondément par le perfectionnement de la définition de l’intérêt général, affinée par la mise en commun de données de qualité.

Références bibliographiques

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Mots-clés éditeurs : Données publiques, open data, mise à disposition, service public, données de référence, biens communs

Date de mise en ligne : 09/01/2019

https://doi.org/10.3917/rfap.167.0491

Notes

  • [1]
    Article L. 321-4 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA).
  • [2]
    L’auteure tient à remercier tout particulièrement Simon Chignard, de l’équipe d’Étalab, pour les précieuses informations qu’il a pris le temps de lui livrer à ce sujet.
  • [3]
    Décrets n o 84-940 du 24 octobre 1984 et no 96-481 du 31 mai 1996 relatifs au service public des bases et banques de données juridiques.
  • [4]
    CE, 17 déc. 1997, Ordre des avocats à la cour d’appel de Paris, AJDA 1998, p. 362, concl. Combrexelle, note Nouel.
  • [5]
    Loi no 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, art. 2.
  • [6]
    Décret no 2002-1064 du 7 août 2002 relative au service public de la diffusion du droit par l’internet.
  • [7]
    Circulaires du 17 décembre 1998 relative à la diffusion de données juridiques sur les sites internet des administrations et du 7 octobre 1999 relative aux sites internet des services et des établissements publics de l’État.
  • [8]
    Décret no 2017-331 du 14 mars 2017 relatif au service public de mise à disposition des données de référence, codifié aux articles R. 321-5 et s. du CRPA.
  • [9]
    Étude d’impact du projet de loi « Pour une République numérique », 9 décembre 2015.
  • [10]
    Ibid.
  • [11]
    Administrations mentionnées au premier alinéa de l’article L. 300-2 du CRPA, agissant dans le cadre d’une mission de service public : soit, l’État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une mission de service public.
  • [12]
    Décret du 14 mars 2017 précité.
  • [13]
    Art. L. 1115-1 du code des transports.
  • [14]
    Art. L. 111-73-1 et L. 111-77-1 du code de l’énergie.
  • [15]
    Art. L. 135 B du livre des procédures fiscales.
  • [16]
    Art. 10 de la loi no 2000-321 du 12 avril 2000.
  • [17]
    Art. 53-1 de l’ordonnance no 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession.
  • [18]
    Complexe, mais pas impossible. Cf. les propos d’Henri Verdier, directeur de la Dinsic et Administrateur général des données, lors d’un entretien accordé à NextInpact le 27 avril 2018.
  • [19]
    Art. L. 321-4-I du CRPA.
  • [20]
    Art. L. 321-6 du CRPA.
  • [21]
    Ce qui a d’ailleurs justifié une intervention du législateur, au regard du principe de libre administration des collectivités territoriales défini par les articles 34 et 72 de la Constitution (cf. Étude d’impact, p. 36).
  • [22]
    Étude d’impact, citée note 9.
  • [23]
    Art. R. 321-8 du CRPA.
  • [24]
    CE, Ass. 16 nov. 1956, Union syndicale des industries aéronautiques, Rec., p. 434.
  • [25]
    TFUE, art. 106, §2 ; CJCE, 23 avril 1991, Höfner et Elser, aff. C-41/90.
  • [26]
    Voir, pour une illustration, la résurrection récente du service public hospitalier, désormais défini à partir des obligations qui en constituent le régime (Boussard, 2016, 565).
  • [27]
    Arrêté du 14 juin 2017 relatif aux règles techniques et d’organisation de mise à disposition des données de référence prévues à l’article L. 321-4 du CRPA et art. R. 321-7 CRPA.
  • [28]
    Art. R. 321-7 CRPA : « Cet arrêté fixe, en outre, les règles permettant de favoriser la réutilisation des données de référence et notamment celles relatives à leur format. »

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