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Article de revue

Les jeunes en emploi peu qualifié pendant la crise sanitaire : quelles spécificités de leurs trajectoires professionnelles ?

Pages 179 à 205

Notes

  • [1]
    La recherche conduisant à ces travaux a bénéficié du soutien de l’ANR SQUAPIN (ANR-18-CE26-0021). Pour plus d’informations, se référer au site du programme de recherche Squapin : https://squapin.hypotheses.org/
  • [2]
    7 481 individus sont exclus de notre échantillon, dont 1 709 personnes occupant un emploi peu qualifié dans leur dernier emploi, s’il existe (certains jeunes n’ayant jamais été en emploi depuis leur entrée dans la vie active). Inclure cette population pour cette recherche aurait entrainé une dégradation des indicateurs d’insertion, sans pour autant avoir d’incidence sur les écarts observés entre les salariés selon leur niveau de qualification (voir les auteurs pour plus de détails).
  • [3]
  • [4]
    L’ensemble des caractéristiques de la population sont présentées en Annexe 1 de la version électronique de l’article.
  • [5]
    La reprise d’études est une situation très minoritaire et concerne environ 1 % de l’ensemble des personnes enquêtées en emploi salarié au moment du premier confinement.
  • [6]
    Les départs étudiés sont ceux observés dans la période de mars à octobre 2020 ; il ne s'agit pas d'une simple comparaison des situations professionnelles entre les deux dates (exploitation longitudinale).
  • [7]
    Cette hausse a été calculée en soustrayant au pourcentage de la mobilité 2020, celui observé en 2019, divisé par ce dernier, puis multiplié par 100. Par exemple, pour les salariés peu qualifiés, la hausse est obtenue de la façon suivante : [(76-71) /71] x 100.
  • [8]
    L’interprétation de ces résultats doit néanmoins être prise avec précaution en raison de l’existence éventuelle d’une causalité inverse. En effet, la réponse sur le fait de « repenser son projet professionnel », qui est une déclaration au moment de l’enquête, pourrait tout à fait découler d’une interprétation valorisante/optimiste d’une situation de chômage ou d’inactivité. Une mobilité « forcée » débouchant sur une situation de non-emploi est propice, compte tenu du contexte et de l’horizon très incertain d’un retour à la normale de l’activité à l’automne 2020, à une réflexion sur ses aspirations et projet professionnel et donc opposée à la relation causale que nous supposons.
  • [9]
    L’information concernant l’évolution des conditions de travail pendant le premier confinement n’a pas été incluse dans les modèles car la question était adressée uniquement aux personnes restées dans le même emploi entre mars et octobre 2020.
  • [10]
    À noter que par construction, les cadres ne peuvent pas connaitre d’augmentation de leur niveau de qualification et à l’inverse, les ouvriers et employés ne peuvent pas avoir un niveau de qualification inférieur.
  • [11]
    Le test de student réalisé concernant la trajectoire ascendante ne montre aucune différence statistiquement significative entre les salariés peu qualifiés et les employés et ouvriers qualifiés.

Introduction

1 La pandémie de covid-19 a créé un choc sur l’économie mondiale, provoquant des bouleversements sur le marché du travail, aussi bien quantitatifs (suppression d’emplois, baisse d’activité, perte de rémunération) que qualitatifs, en modifiant les modes d’organisation et les conditions de travail (télétravail ou au contraire travail sur site avec intensité accrue) (Erhel et al., 2021). La France, figurant parmi les premiers pays à instaurer un confinement et des mesures de restriction d’activité, n’a pas donc pas été épargnée ni socialement ni économiquement par cette crise (Insee, 2020). Elle a vu sa croissance économique chuter (Baleyte et al., 2021), et connu de nombreuses destructions d’emplois (Barhoumi et al., 2020, Frel-Cazenave et Guggemos, 2021).

2 Dans un tel contexte, les jeunes en début de carrière constituent une population vulnérable et sont plus exposés aux effets de la conjoncture économique que leurs ainés arrivés plus tôt sur le marché du travail (Blaize et al., 2020 ; Clerc et al., 2021 ; Epiphane et al., 2019 ; Gaini et al., 2013 ; Pénicaud, 2022). C’est le cas des jeunes les moins diplômés (Flamand, 2016), en particulier ceux qui ont quitté le système éducatif sans titre scolaire (Danzin et al., 2011). La plupart d’entre eux occupent des emplois peu ou pas qualifiés (Audric-Lerenard et Tanay, 2000) ayant la particularité de cumuler de nombreux désavantages : mauvaises conditions de travail, temps partiel subi, horaires décalés et fragmentés, faibles salaires, missions d’intérim et contrat à durée déterminée (Amossé et Chardon, 2006). Les salariés peu qualifiés pourraient ainsi être davantage confrontés en période de crise sanitaire à une détérioration de leur situation professionnelle, susceptible de se traduire par une sortie de l’emploi vers le chômage ou l’inactivité. Dans cette perspective, l’analyse des mobilités externes des salariés se révèle particulièrement intéressante. Ces types de mobilités ont « l’avantage de concerner les transitions qui s’opèrent sur le marché du travail, les seules sur lesquelles les pouvoirs publics ont une marge importante d’intervention, celles qui sont d’ailleurs au cœur des débats sur la ‘‘flexicurité’’ » (Amossé et al., 2011, p. 81).

3 Cette recherche [1] examine ainsi les mobilités et les trajectoires des jeunes occupant un emploi salarié peu qualifié au moment de la survenue de la crise sanitaire. Ce terrain d’étude reste à ce jour encore inexploré dans ce contexte, mais mérite l’attention au vu des éléments qui différencient ces jeunes tant au niveau de leurs dotations scolaires, de leur statut dans l’emploi que de leurs conditions de travail. Sur le plan théorique, ce travail offre l’occasion de discuter de la différenciation des trajectoires individuelles en termes de segmentation du marché du travail en période de récession. Dans quelle mesure les mobilités externes connues durant cette période ont-elles amélioré, en particulier pour les salariés du bas de l’échelle, leur situation professionnelle (trajectoire ascendante) ou au contraire dégradé celle-ci (trajectoire descendante) ? En d’autres termes, ont-elles été des voies d’entrée vers le marché primaire ou ont-elles plutôt engendré un éloignement de l’emploi ? Les expériences durant le premier confinement (intensification de l’activité, etc.), ont-elles pu conduire certains jeunes à repenser leur projet professionnel ; de même, les dispositifs publics mis en place durant cette période (chômage partiel, etc.) ont-ils été déterminants dans la (non) mobilité de cette population et dans la nature de leur trajectoire professionnelle post-premier confinement ? Enfin, existe-t-il des disparités selon les secteurs d’activités ?

4 Pour répondre à ces interrogations, nous mobilisons les données de l’enquête Génération, menée fin 2020 par le Céreq auprès de jeunes primo-sortants du système éducatif en 2017. Cette source, représentative au niveau national de l’ensemble des jeunes sortis de formation initiale cette année-là, permet le suivi mensuel de leurs trois premières années de vie active. Nous nous restreignons aux jeunes en emploi salarié au début du premier confinement pour caractériser leurs parcours durant les premiers mois de la crise selon leur niveau de qualification dans l’emploi.

5 Cet article comporte trois parties. La première décrit le cadre théorique de la segmentation sur lequel s’appuie principalement ce travail pour examiner la question des mobilités. Elle propose également une revue de littérature sur les inégalités de parcours au prisme de la qualification dans l’emploi. La seconde partie décrit l’enquête « Génération 2017 » du Cereq et les méthodologies mobilisées, aussi bien les modèles d’estimation (logits multinomiaux) que la construction des principaux indicateurs (i.e mobilité, trajectoire…). La troisième présente les résultats concernant les expériences vécues au moment du premier confinement, et les parcours professionnels (mobilités et trajectoires) des jeunes durant les sept premiers mois qui ont suivi le début de la crise.

1 La théorie de la segmentation pour analyser les mobilités sur le marché du travail

6 Dans cette partie, nous développons le cadre théorique sur lequel s’appuie principalement cet article ainsi que la littérature portant sur les mobilités des individus, en partie au regard de la qualification dans l’emploi. Les hypothèses sont succinctement formulées.

1.1 La théorie de la segmentation : un cadre intéressant pour l’analyse des mobilités professionnelles

7 Développée au cours des décennies 70 et 80 par Doeringer et Piore (1971), cette théorie caractérise le marché du travail par la coexistence de deux principaux segments : d’un côté, un marché primaire dans lequel se trouvent des emplois typiques (CDI à temps plein) occupés surtout par des salariés diplômés, plutôt bien rémunérés et jouissant de bonnes conditions de travail et de perspectives de promotion interne ; et de l’autre côté, un marché secondaire dans lequel se trouvent des emplois atypiques (temps partiel ou à durée déterminée), moins bien rémunérés et occupés par les travailleurs moins diplômés. D’un point de vue théorique, ces segments se caractérisent par leur relative imperméabilité. En effet, les mobilités intersectorielles sont rares, et les actifs du segment secondaire, inscrits dans la file d’attente aux emplois attractifs, peinent à accéder au marché primaire, qui serait synonyme d’une amélioration de leur situation professionnelle.

8 Amossé et al. (2011) apportent un éclairage supplémentaire sur les mouvements des individus selon les segments. Dans le marché secondaire, les ruptures de la relation d’emploi seraient fréquentes sans nécessairement permettre aux individus de retrouver rapidement un emploi (transition temporaire vers le chômage) ou d’en retrouver un autre de qualité relativement meilleure que celui occupé précédemment (transition sans amélioration de la situation professionnelle). Pour Petit (2002), la possibilité de « faire carrière » constitue une clé de lecture de ces différents segments et serait une spécificité du marché primaire. Dans ce dernier, les trajectoires divergent entre la strate supérieure ou inférieure (Amossé et al., 2011). Sur le marché primaire supérieur, les ruptures du lien d’emploi sont fréquentes, mais les mouvements observés se traduisent souvent par des promotions ou de meilleures conditions d’emploi. Les actifs de ce sous-segment du marché du travail sont dotés d’un meilleur capital scolaire, leur permettant d’accéder à des emplois de qualité et de « faire carrière ». En revanche, sur le marché primaire inférieur, les ruptures de la relation d’emploi sont rarissimes et pourraient ouvrir la voie à des difficultés d’accès à l’emploi et à des périodes de chômage plus ou moins durables. Ici, l’évolution de carrière résulte davantage d’une mobilité au sein de l’entreprise, fondée principalement sur leur ancienneté (promotion interne).

9 Cette caractérisation globale du marché du travail en deux principaux segments est également décrite dans le contexte français (cf. Piore, 1978 ; Jaoul-Grammare, 2007 ; Amossé et al., 2011 ; Lemistre, 2012 ; Coutrot, 2019), même si certains tels que Valette (2005) ou Picart (2017) indiquent l’existence d’autres (sous) segments.

10 Sans prétendre à tester la théorie de la segmentation dans le cas français, l’article propose de l’utiliser comme grille d’analyse des mobilités et des trajectoires des jeunes en début de carrière au regard de leur niveau de qualification dans l’emploi. Nous considérons que les salariés peu qualifiés seraient plus nombreux que les autres actifs occupés, notamment les cadres et les professions intermédiaires, à appartenir au marché secondaire du fait de leurs faibles dotations scolaires et des caractéristiques de leurs emplois : ils occupent plus fréquemment des emplois à durée limitée (CDD, Intérim, contrat aidé), à temps partiel non souhaité, avec un faible niveau de salaire. Ces considérations, qui semblent d’ailleurs s’accorder avec les observations empiriques de Jaoul-Grammare (2011) dans le contexte français, guideront à la fois l’exposé des hypothèses et l’interprétation des résultats.

11 La partie suivante propose de discuter des fréquences des mobilités des individus ainsi que de leurs parcours professionnels sur le marché du travail, à l’aune notamment de leur catégorie socioprofessionnelle. Les hypothèses de recherche sont ici succinctement formulées.

1.2 Des parcours différenciés au regard de la qualification dans l’emploi

12 Comme évoqué en introduction, le choix est fait ici de s’intéresser aux mobilités externes. Plus fréquentes que les mobilités internes, elles recouvrent à la fois les transitions entre emplois et les transitions de l’emploi vers le chômage (mobilité externe « emploi-chomage ») (Amossé, 2003 ; Dupray et Recotillet, 2009). Représentant la majeure partie des mouvements de main-d’œuvre en France, les mobilités externes sont particulièrement fréquentes sur des postes peu qualifiés occupés en début de carrière (Dupray, 2005) et s’accompagnent de plus en plus d’un passage par le chômage (Germe et al, 2003 ; Larquier & Remillon, 2008 ; Amossé & Halima, 2010).

13 Figurant bien souvent parmi les premières variables d’ajustement des entreprises durant les périodes d’incertitudes économiques, la perspective d’une transition du marché secondaire vers le marché primaire apparaît moins probable pour les salariés peu qualifiés durant la crise du covid-19 que celle menant à une dégradation de la situation professionnelle, voire à une exclusion du marché du travail, comme le mettaient déjà en évidence Audric-Lerenard et Tanay (op. cit.), Germe et al. (op. cit.) ou Flamand (op. cit.). Ces auteurs montrent que le risque de se retrouver au chômage est plus élevé pour les ouvriers et employés peu qualifiés (ou qualifiés) que pour les cadres et professions intermédiaires. Il est également plus élevé pour les jeunes, les moins diplômés et les travailleurs en contrat précaire (CDD, intérim) (Danzin et al., 2011).

14 Dès lors, on s’attendrait à ce que les salariés peu qualifiés soient plus susceptibles que les autres de connaitre au moins une mobilité externe pendant la crise sanitaire, y compris celle se traduisant par des sorties de l’emploi vers le chômage ou l’inactivité (transition emploi-chômage/inactivité) (hypothèse 1). Cette mobilité serait plus fréquente pour les premiers que pour les seconds durant cette période par rapport à celle précédant la crise (hypothèse 2a). Elle se traduirait plus souvent par une dégradation de la situation professionnelle des salariés peu qualifiés (en termes de contrat, salaire …) (hypothèse 2b), et conduirait à un accroissement des inégalités déjà constatées.

15 Mais indépendamment du niveau de qualification de l’emploi, des facteurs liés à la crise ont pu également alimenter les mouvements de la main-d’œuvre sur le marché du travail. La partie suivante propose de discuter du rôle potentiel des situations et expériences vécues durant le premier confinement sur les mobilités des individus.

1.3 La situation et les conditions d’emploi pendant la crise sanitaire : un élément déterminant dans la mobilité ?

16 Si la crise sanitaire a freiné l’insertion des jeunes entrés récemment sur le marché du travail (Couppié et al., 2022), elle semble également avoir modifié leur rapport au travail, au point de conduire certains à repenser leur projet professionnel (Jugnot et Vignale, 2022) et le cas échéant à quitter leur emploi.

17 Les raisons qui ont conduit à un tel questionnement pendant la crise sont diverses et en partie liées à l’expérience vécue au travail durant cette période. Pour les personnes poursuivant leur activité lors du premier confinement, l’intensification de l’activité et/ou la détérioration de leurs conditions de travail ont pu favoriser l’émergence d’une telle réflexion et occasionner ainsi leur départ de l’entreprise. L’intensification semble avoir particulièrement concerné les femmes, les travailleurs des secteurs de la santé, de l’action sociale et de l’enseignement, ainsi qu’une partie des cadres et professions intermédiaires en télétravail (Beatriz et al., 021). Pour d’autres, la période de confinement a pu être une occasion de s’interroger sur le sens ou l’utilité sociale de leur travail et la satisfaction financière (ou non) que celui-ci leur procure. Si une perte de sens peut occasionner in fine un départ de l’emploi, elle semble, d’après les travaux de Leroyer et al., (2021), concerner davantage les professions supérieures et les personnes travaillant exclusivement en télétravail, notamment les cadres (Albouy et Legleye, 2020 ; Givord et Silhol, 2020 ; Lambert et al., 2020, Dupray et al., 2022), ainsi que celles exerçant leur activité dans les secteurs de l’administration, de la santé ou de l’action sociale.

18 Ainsi, on peut s’attendre à ce que les salariés indiquant avoir connu une intensification de leur activité durant le premier confinement soient plus susceptibles de quitter leur emploi que ceux n’ayant pas connu de modification de leur volume d’activité (hypothèse 3a). Il en est de même pour celles et ceux déclarant avoir repensé leur projet professionnel en raison de la crise sanitaire (hypothèse 3b). Les effets de ces facteurs sur la mobilité seraient certainement plus marqués chez les salariés ayant un niveau de qualification élevé si l’on s’en tient aux travaux évoqués précédemment.

19 Si l’analyse de la relation entre les expériences vécues et les mobilités externes durant la crise parait a priori plus pertinente au niveau sectoriel ou au sein de domaines ou familles d’activités professionnelles (voir par exemple l’étude de Amossé et al., 2021 sur les conditions de travail et d’emploi des métiers de la deuxième ligne), il n’apparaît cependant pas moins intéressant d’examiner ce lien au prisme de la qualification dans l’emploi, d’autant plus qu’il existe un risque de polarisation assez fort de certaines catégories socioprofessionnelles dans certains secteurs. Par exemple, les salariés peu qualifiés se concentrent généralement dans les secteurs du commerce, de l’hôtellerie-restauration ou de la construction, alors que les cadres et les professions intermédiaires se trouvent plus souvent dans des secteurs comme les activités spécialisées scientifiques et techniques (voir, par exemple, Audric Lerenard et Tanay, op. cit. ; Le Bayon et al., 2022).

20 Face au quasi-arrêt de l’activité économique durant le premier confinement en mars 2020, les acteurs politiques, en France, ont instauré un certain nombre de mesures visant à réduire l’impact socio-économique de la crise sur la population. Ainsi, le dispositif de chômage partiel devait permettre de transférer l’essentiel des charges salariales des entreprises vers l’État, contre des garanties de maintien de l’emploi, et limiter les licenciements, notamment des plus vulnérables dans l’emploi. Les bénéficiaires de ce dispositif, qu’ils occupent un emploi qualifié ou non, devraient ainsi moins souvent connaitre de mobilité externe pendant cette période, notamment hors de l’emploi (hypothèse 4).

21 Si les expériences vécues durant la crise et les dispositifs de chômage partiel ont pu être déterminants dans la (non) mobilité et les trajectoires des jeunes, d’autres éléments ont pu également expliquer ces mouvements.

1.4 Des mobilités qui restent multifactorielles

22 En début de carrière, les mobilités externes semblent plus souvent relever des hommes que des femmes, des non-diplômés, des salariés exerçant leur activité dans des entreprises de taille modeste ou dans le secteur privé (Dupray, 2005). En revanche, l’ancienneté dans l’entreprise contribue davantage à un maintien de l’individu dans son emploi, avec plutôt des mobilités internes. La parentalité peut être également déterminante dans la mobilité ou non des individus, mais se caractériserait davantage chez les femmes par une sortie de l’emploi vers le chômage (voir par exemple Dupray et Recotillet, 2009).

23 De fortes disparités peuvent aussi s’observer entre les secteurs ou domaines d’activités, en raison, pour partie, des gestions différenciées de la main-d’œuvre (Flamand, op. cit.). Par exemple, Amossé (2003) montre qu'en France, les mobilités externes sont plus fréquentes dans la construction, le commerce ou encore l’hôtellerie-restauration, où les transitions de l’emploi vers le chômage sont, selon les travaux de Flamand (op. cit.), plus nombreuses par rapport à celles observées, par exemple, dans la banque. Il est donc probable que les salariés exerçant dans l’hébergement et la restauration – secteurs particulièrement touchés par la crise sanitaire (Marquis, 2020 ; Charton et Durieux, 2021) et dans lesquels se concentrent les employés peu qualifiés (voir par exemple Audric Lerenard et Tanay, op cit., p. 5) – soient davantage concernés par une mobilité externe, notamment de l’emploi vers le chômage ou l’inactivité.

2 Les parcours des jeunes sur le marché du travail à l’aune de données longitudinales

24 Pour étudier les jeunes débutant sur le marché du travail, nous mobilisons l’enquête Génération 2017 du Céreq. Ces données décrivent leur parcours scolaire et leur cheminement mois par mois au cours de leurs trois premières années de vie active. Elles permettent ainsi de retracer la diversité des parcours et de saisir l’effet du contexte économique sur les situations professionnelles et les conditions de travail.

25 Des questions en lien avec la crise sanitaire leur ont été posées. L’observation s’étale entre mars et octobre 2020, environ sept mois, et correspond à la période entre le début de la crise, avec une baisse importante de l’activité économique, et la levée des restrictions à l’été 2020, marquée par une légère reprise économique.

26 L’étude porte sur les jeunes en emploi salarié lors du premier confinement, soit en mars 2020 [2]. Ainsi, notre échantillon d’analyse comprend 17 679 individus, âgés en moyenne de 24 ans en 2020. En s’appuyant sur la nomenclature de la PCS 2020 [3] et conformément à la définition proposée par Amossé et Chardon (2006), les employés ou ouvriers peu qualifiés sont 2 840 en mars 2020. En moyenne moins diplômés que les autres salariés, ils occupent le plus souvent des emplois typiques du marché secondaire [4]. Ils sont plus fréquemment en emploi à durée déterminée, regroupant les contrats aidés, l'intérim et les autres formes de contrats temporaires (+ 10 points par rapport aux ouvriers et employés qualifiés ; + 20 points par rapport aux cadres et professions intermédiaires), exercent plus souvent leur activité à temps partiel (respectivement + 15 points et + 21 points), et bénéficient de la rémunération (médiane) mensuelle la plus faible (un écart défavorable respectivement de 156 euros et 623 euros). Ceci tend ainsi à conforter l’idée selon laquelle les salariés peu qualifiés se localiseraient plus que les autres dans le marché secondaire, même si une part importante de ces salariés occupent des emplois à durée indéterminée (dans 55 % des cas) et exercent leur activité à temps plein (69 %).

3 Les jeunes en emploi peu qualifié pendant la crise : des mobilités et trajectoires singulières ?

27 Dans cette partie, nous étudions les mobilités et les trajectoires professionnelles des jeunes en emploi peu qualifié, entre mars et octobre 2020. Dans un premier temps, nous décrivons les expériences qu’ils ont vécues pendant le premier confinement (volume d’activité, chômage partiel, etc.) (3.1) puis, dans un second temps, leur parcours professionnel comparativement à celui de leurs homologues en emploi plus qualifié durant les sept premiers mois qui ont suivi le début de la crise. Nous étudions les fréquences des mobilités externes et les facteurs qui y conduisent, au regard du niveau de qualification de l’emploi et des caractéristiques socio-démographiques (3.2), des expériences vécues pendant la crise (3.3), du parcours de l’individu sur le marché du travail et des caractéristiques de l’entreprise (3.4) ainsi que du secteur d’activité (3.5). La partie 3.6 s’intéresse plus spécifiquement aux trajectoires des salariés qui ont connu une mobilité externe vers une autre entreprise.

3.1 Pendant le premier confinement, une situation des salariés peu qualifiés marquée par une interruption de leurs activités…

28 Les situations vécues par les jeunes durant le premier confinement sont différentes selon la catégorie socioprofessionnelle. Alors que les cadres et les professions intermédiaires ont été concernés par des congés ou une réduction de leur temps de travail (RTT), les salariés peu qualifiés et leurs homologues occupant un emploi qualifié en tant qu’ouvrier ou employé ont quant à eux plus souvent bénéficié du chômage partiel. Ce filet de sécurité a concerné 42 % des salariés peu qualifiés durant cette période – proportion proche de celle des ouvriers et employés qualifiés (43 %) contre 35 % des cadres et des professions intermédiaires (Tableau 1).

29 Ces dissemblances, observées par Givord et Silhol (op. cit.) sur l’ensemble des actifs en France, pourraient en partie être attribuables à l’appartenance sectorielle de l’individu, qui elle-même apparaît assez liée à la qualification et au statut de ce dernier dans son emploi. Les ouvriers et les employés, qualifiés ou non, travaillent plus que les autres dans les secteurs du transport, du commerce et de l’hébergement-restauration ou encore dans ceux de la construction et de l’industrie (cf. Annexe 1 en version électronique), soit des secteurs fortement touchés par la crise sanitaire et au sein desquels le recours au chômage partiel a été massif, comme le révèle une étude de la Dares (Otte, 2021).

Tableau 1. Situation en mars 2020, au moment du premier confinement.

(1) Congés ou RTT imposés par l’employeur (2) Chômage partiel ou techniqueVolume d’activitéPart des individus déclarant avoir repensé leur projet professionnel du fait de la crise sanitaire
12(1) et (2)Aucun des deux Plus qu’avantAutant qu’avantMoins qu’avantPas travaillé
Cadres/Professions intermédiaires152213502434231932
Ouvriers/Employés qualifiés103013461729223228
Ouvriers/Employés peu qualifiés63111521923174133
Ensemble122613492130222731

Tableau 1. Situation en mars 2020, au moment du premier confinement.

Lecture : Dans l’ensemble, 39 % (26 % + 13 %) des salariés indiquent avoir bénéficié du chômage partiel durant le premier confinement.
Champ : Ensemble des individus en emploi salarié en mars 2020.
Source : Céreq, Enquête 2020 auprès de la Génération 2017.

30 Au moment du premier confinement, un tiers des salariés déclarent n’avoir connu aucune modification de leur volume d’activité (30 %), pendant que près d’un cinquième indiquent avoir connu une intensification de leur volume de travail (21 %). Cette proportion est proche de celle des salariés indiquant avoir connu une baisse de leur volume d’activité (22 %), avec cependant des disparités importantes selon la position professionnelle dans l’emploi (Tableau 1). Les cadres et les professions intermédiaires – moins concernés que les autres par les interruptions d’activité – sont ceux qui déclarent le plus souvent avoir connu une intensification de leur activité durant le premier confinement (24 %), suivis des salariés peu qualifiés (19 %), puis des ouvriers et employés qualifiés (17 %).

31 Cette moindre proportion des salariés peu qualifiés est imputable aux interruptions plus fréquentes de leur activité durant cette période. En effet, 41 % de ces salariés affirment n’avoir pas travaillé durant cette période, soit neuf points de plus par rapport aux ouvriers et employés qualifiés, et 22 points par rapport aux cadres et professions intermédiaires, qui ont pour la plupart assuré la continuité de leur activité par le biais du télétravail (72 %, pour seulement 5 % des salariés peu qualifiés).

32 Les bouleversements provoqués par la crise sanitaire et le confinement semblent avoir modifié le rapport à l’emploi de certains jeunes, au point de conduire près d’un tiers d’entre eux à repenser leur projet professionnel (31 %). Les salariés peu qualifiés sont ceux qui l’expriment le plus fréquemment (33 %), presque autant que les cadres et les professions intermédiaires (32 % contre 28 % des ouvriers et employés qualifiés).

33 Les situations vécues pendant le premier confinement et les changements occasionnés par la crise sanitaire, aussi bien dans les modes d’organisation et les conditions de travail des salariés que dans leur rapport au travail, ne seront pas sans conséquence sur leur parcours ultérieur. Alors que certains resteront dans le même emploi, d’autres connaitront une mobilité externe vers un autre emploi (mobilité externe : emploi-emploi) ou une sortie de l’emploi vers le chômage, l’inactivité ou la reprise d’études (mobilité externe : emploi – non-emploi). La partie suivante tente ainsi d’apprécier les fréquences associées à ces flux tout en analysant les facteurs, individuels ou contextuels, qui ont conduit à ces mobilités.

3.2 … Et sept mois après le début de la crise : les salariés peu qualifiés plus mobiles, et moins en emploi que les autres

34 En octobre 2020, soit sept mois après le premier confinement, près de neuf salariés sur dix occupent toujours un emploi (91 %), avec cependant de fortes disparités selon la position dans l’emploi au début de la crise sanitaire (Tableau 2). 85 % des salariés peu qualifiés sont en emploi à cette période ; c’est cinq points de moins que les ouvriers et employés qualifiés, et neuf points de moins que les cadres et professions intermédiaires. La majorité des jeunes en emploi à cette période sont restés dans l’entreprise au sein de laquelle ils exerçaient en mars 2020 (82 %).

35 Au total, près de deux jeunes salariés sur dix ont connu une mobilité externe (18 %) menant, dans des proportions équivalentes, soit à un autre emploi soit à du chômage, de l’inactivité ou de la reprise d’études [5]. Ces mobilités, qu’elles conduisent ou non à un emploi, concernent plus fréquemment des ouvriers et des employés peu qualifiés (28 %, pour au plus 19 % des salariés ayant une qualification dans l’emploi plus élevée).

Tableau 2. Situation en octobre 2020, et type de mobilité

 Situation et type de mobilitéTotal
En emploiNon-emploi
1-Même emploi pendant la crise2-Mobilité externe : emploi vers de l’emploi dans une autre entreprise3-Mobilité externe : emploi vers du chômage4-Mobilité externe : emploi vers de l’inactivité5-Mobilité externe : emploi vers de la formation/reprise d’études
Cadres/Professions intermédiaires877411100
Ouvriers/Employés qualifiés819721100
Ouvriers/Employés peu qualifiés72131122100
Ensemble829621100

Tableau 2. Situation en octobre 2020, et type de mobilité

Lecture : 91 % (82 + 9) des personnes en emploi salarié en mars 2020 sont en emploi en octobre 2020 ; les autres sont au chômage (6 %), en inactivité (2 %), en formation ou en reprise d’études (1 %).
Champ : Ensemble des individus en emploi salarié en mars 2020.
Source : Céreq, Enquête 2020 auprès de la Génération 2017.

36 Le Tableau 3 souligne que cette hiérarchie par niveau de qualification s’observe aussi sur toute la période étudiée (de mars à octobre 2020) [6], même si les mobilités externes à cette période ont été moins fréquentes par rapport à l’année qui a précédé la crise sanitaire (18 % contre 23 % pour l’année 2019). Ceci s’explique probablement par la tendance naturelle à la baisse des mobilités en début de carrière, avec l’ancienneté sur le marché du travail, mais aussi par la spécificité de cette crise et des interventions de l’État qui ont sans doute permis, à travers, entre autres, l’assouplissement des conditions d’accès au chômage partiel, de préserver les emplois, notamment des plus vulnérables dans l’emploi.

37 Mais bien que les mobilités externes soient dans l’ensemble moins fréquentes entre mars et octobre 2020 que durant la même période en 2019, force est de constater qu’il y a proportionnellement plus de transitions vers des situations autres que l’emploi (+ 6 points) (Tableau 3), signe d’une exposition au chômage ou à l’inactivité plus élevée pour les jeunes en cas de mobilité externe durant la crise. Les salariés peu qualifiés restent les plus vulnérables, 76 % de ceux qui ont quitté leur emploi de mars 2020 ont été hors de l’emploi pendant au moins un mois dans les sept mois qui ont suivi. Toutefois, entre 2019 et 2020, la hausse des mobilités hors de l’emploi est relativement plus importante pour les cadres et professions intermédiaires, contribuant ainsi à contenir, voire à réduire les écarts constatés avant la crise entre ces groupes (+ dix-huit points, contre + sept points pour les salariés peu qualifiés, et + trois points pour les ouvriers et employés qualifiés) [7].

Tableau 3. Taux de mobilités entre mars et octobre, selon l’année étudiée

Catégorie socio-professionnelle en mars 2020Mobilités externesParmi les départs observés entre mars et octobre, part d’individus qui connaissent au moins un mois hors de l’emploi entre ces deux dates
Départ de l’emploi entre mars et octobre 2020 (1)Départ de l’emploi entre mars et octobre 2019 (2)Année 2020 (3)
(crise covid-19)
Année 2019 (4)
(avant crise)
Cadres/Professions intermédiaires13196454
Ouvriers/Employés qualifiés19246866
Ouvriers/Employés peu qualifiés28357671
Ensemble18236963

Tableau 3. Taux de mobilités entre mars et octobre, selon l’année étudiée

Lecture : 18 % des jeunes salariés en mars 2020 ont quitté leur emploi avant octobre 2020, dont 69 % vers une autre situation que de l’emploi.
Champ : Ensemble des salariés : (1) en mars 2020 ; (2) en mars 2019 ; (3) en mars 2020 et ayant quitté leur emploi entre mars et octobre 2020 ;
(4) en mars 2019 et ayant quitté leur emploi entre mars et octobre 2019.
Source : Céreq, Enquête 2020 auprès de la Génération 2017.

38 Le modèle logit multinomial des déterminants des mobilités conforte les résultats observés précédemment en statistiques descriptives, et notre hypothèse 1 (cf. page 6). À caractéristiques égales par ailleurs, les salariés peu qualifiés sont plus susceptibles que les ouvriers et employés qualifiés de connaitre une mobilité externe (plutôt que de rester dans la même entreprise) ; contrairement aux cadres et aux professions intermédiaires qui ont la plus faible probabilité de connaitre une telle mobilité (Tableau 4). Cette plus forte propension à la mobilité des salariés peu qualifiés, notamment de l’emploi vers le chômage, l’inactivité ou la reprise d’études, est en partie liée à la précarité de leur statut d’emploi : ils occupent, plus que les autres salariés, des emplois à durée limitée (contrat aidé, intérim…) (cf. Annexe 1 en version électronique) qui constituent des éléments très déterminants de la mobilité des jeunes vers le chômage, l’inactivité ou la reprise d’études.

39 Ainsi, du point de vue de la théorie de la segmentation, les salariés du marché secondaire, surreprésentés parmi les salariés peu qualifiés, connaissent des mobilités plus élevées, conduisant pour beaucoup à des sorties de l’emploi. Cependant, ils ne semblent pas subir, plus que les autres salariés, les conséquences de la dégradation du marché du travail : la hausse des mobilités externes vers le non-emploi étant relativement moins élevée pour les premiers que pour les seconds par rapport à l’année qui a précédé la crise (cf. Tableau 3), ce qui semble discordant avec l’hypothèse 2a (cf. page 6).

40 Cette interprétation doit toutefois être nuancée. En effet, les salariés peu qualifiés ont été bien plus nombreux que leurs homologues à connaitre une interruption de leur activité pendant le confinement, ce qui a pu conduire, même pour ceux qui ont bénéficié du chômage partiel, à une perte de rémunération plus ou moins conséquente.

Tableau 4. Facteurs associés à la mobilité externe (odds-ratios)

 Modèle multinomial
(Référence : rester dans le même
emploi)
Mobilité externe : emploi
vers de l’emploi dans une
autre entreprise
Mobilité externe : emploi vers du non-emploi
Plus haut niveau de diplôme
(ref : Supérieur court)
Non-diplôménsns
Secondaire0,84ns
Supérieur longnsns
Genre (ref : Homme)Femmens1,17
Enfant (ref : Non)Oui0,711,27
Contrat de travail
(ref : CDI, Fonctionnaire)
Contrat aidé1,843,28
Emploi à durée déterminée2,874,17
Intérim2,924,77
Catégorie socio-professionnelle
(ref : Ouvriers/employés qualifiés)
Cadres/Professions intermédiaires0,740,79
Ouvriers/Employés peu qualifiés1,16*1,15*
Secteur d’activité (NAF)
(ref : Commerce - réparation d’automobiles et de motocycle)
Les secteurs figurant dans ce tableau sont ceux qui étaient significatifs dans le modèle au regard des seuils critiques (p value) définis. Les secteurs suivants étaient inclus dans le modèle, mais n’avaient pas d’effet significatif sur les mobilités des jeunes : Agriculture, sylviculture et pêche ; Industrie manufacturière, industries extractives et autres ; Construction ; Transports et entreposage ; Information et communication ; Activités financières et d’assurance ; Activités immobilières ; Activités spécialisées, scientifiques et techniques ; Santé humaine et action sociale
Hébergement et restauration1,27ns
Activités de services administratifs et de soutien0,73ns
Administration publiquens0,50
Enseignementns1,38
Autres activités de services0,76*ns
Secteur d’activité (ref : public)Privé1,271,88
Non renseignénsns
Taille entreprise
(ref : Petite et moyenne)
Intermédiaire0,800,84
Grandens0,78
Non renseigné0,760,70
Temps de travail
(ref : Temps plein)
Temps partiel1,31ns
Situation pendant la crise
(ref : Aucun des deux)
Congés (ou RTT imposés par l’employeur)nsns
Chômage partiel, chômage technique0,790,67
Congés (ou RTT imposés par l’employeur) & Chômage partiel0,600,69
Volume de travail pendant la crise
(ref : Autant qu’avant la crise)
Plus qu’avantns0,76
Moins qu’avant1,451,67
Vous n’aviez pas travaillé1,801,88
A repensé son projet professionnel avec la crise sanitaire
(ref : Non)
Oui1,152,56
Nombre de mois au chômage avant la crisens1,03
Ancienneté dans l’emploi0,960,98
Temps d’accès au premier emploi0,971,01*

Tableau 4. Facteurs associés à la mobilité externe (odds-ratios)

Chiffres : significatifs au seuil de 5 % d’erreur, * : à 10 %, ns : non-significatif.
Lecture : Toutes choses égales par ailleurs, sur l’ensemble des salariés en mars 2020, les jeunes en contrats aidés ont 1,84 fois plus de chances que ceux en CDI ou fonctionnaires de quitter l’emploi occupé en mars 2020 pour en occuper un autre en octobre 2020 (ou 3,28 fois plus de chance de se retrouver en non-emploi) plutôt que de rester dans cet emploi. À l’inverse, plus l’ancienneté dans l’emploi augmente, plus faible est la probabilité de quitter cet emploi.
Champ : Jeunes en emploi salarié en mars 2020.
Source : Céreq, Enquête 2020 auprès de la Génération 2017.

41 Certains déterminants des mobilités des salariés sont différents selon la catégorie socioprofessionnelle (Annexe 2 en version électronique). Par exemple, alors qu’être diplômé du supérieur accroît, toutes choses égales par ailleurs, le risque de sortie de l’emploi des salariés peu qualifiés, cela augmente la probabilité de mobilité vers un autre emploi des ouvriers et employés peu qualifiés, et n’est pas significativement déterminant de la mobilité des catégories supérieures.

42 Quant au genre, il n’est significatif que chez les salariés peu qualifiés. Les femmes ont une probabilité plus élevée que les hommes de connaitre une mobilité externe, aussi bien vers l’emploi que vers le chômage ou l’inactivité. Ceci pourrait être mis en regard avec leur situation dans l’emploi au début de la crise : elles occupaient un peu plus que les hommes des emplois dont la durée est limitée (55 % contre 51 %).

43 L’effet de la parentalité apparaît également variable selon le public considéré. Pour les ouvriers et les employés, qualifiés ou non, ayant au moins un enfant, la probabilité de quitter son emploi pour un autre semble plus faible que celle de rester dans l’emploi occupé au moment du premier confinement. Ces derniers paraissent ainsi privilégier la stabilité dans l’emploi plutôt que de risquer une mobilité pouvant les conduire à une éviction durable de l'emploi (Annexe 2 en version électronique), compte tenu notamment de leurs faibles dotations scolaires. Chez les cadres et les professions intermédiaires, l’effet de la parentalité s’observe positivement, mais uniquement dans le cas d’une mobilité menant au chômage, à l’inactivité ou à la reprise d’études (Annexe 2 en version électronique). Pour cette catégorie de la population, vraisemblablement détentrice d’une épargne plus conséquente, cette situation de non-emploi a pu être un choix suite à leur départ de l’entreprise, dans l’attente d’une meilleure opportunité qui répondrait à leurs exigences à la fois en matière de statut d’emploi, de responsabilités et/ou de niveau de rémunération, mais aussi de respect de leurs contraintes familiales (proximité de la crèche/l’école, horaires de travail, etc.).

3.3 Une mobilité externe limitée par le chômage partiel et liée aux expériences vécues pendant la crise sanitaire

44 Si les mobilités externes sont prépondérantes chez les salariés peu qualifiés, ces fréquences auraient été sans doute plus élevées en l’absence du dispositif de chômage partiel. En effet, conformément à l’hypothèse 4 (cf. page 7), nous observons, toutes choses égales par ailleurs, que les salariés ayant bénéficié d’un tel dispositif sont moins susceptibles de quitter l’emploi occupé en mars 2020 que les non-bénéficiaires (Tableau 4). Pour les salariés peu qualifiés ayant bénéficié de ce dispositif, le taux de sortie de l’emploi vers le chômage, l’inactivité ou la reprise d’études est 0,45 fois moins élevé que celui des non-bénéficiaires appartenant à ce groupe, signe du rôle protecteur conféré à ce dispositif (Annexe 2, en version électronique). L’effet du chômage partiel est également perceptible pour les autres niveaux de qualifications.

45 Le départ de l’emploi occupé en mars 2020 semble, pour de nombreux jeunes, imputable à la crise sanitaire et à la réflexion qu’elle a induite sur leur projet professionnel. En effet, les salariés indiquant avoir repensé leur projet professionnel en raison de la crise sanitaire quittent davantage l’entreprise dans laquelle ils étaient employés au moment du premier confinement (résultat conforme à l’hypothèse 3b, cf. page 6 ). La probabilité de se diriger vers le chômage, l’inactivité ou la reprise d’études est 2,36 fois plus élevée pour les salariés peu qualifiés dans ce cas que pour leurs semblables n’ayant pas évoqué une telle réflexion (1,36 fois plus élevée dans le cas d’une mobilité vers un autre emploi). Ce constat est valable aussi pour les salariés plus qualifiés [8].

46 En revanche, contrairement à notre hypothèse 3a (cf. page 6), connaitre une mobilité externe vers du non-emploi est moins probable pour les salariés ayant connu une intensification de leur activité durant le premier confinement que pour ceux n’ayant eu aucune modification de leur volume d’activité. Cette probabilité est toutefois plus élevée pour les salariés n’ayant pas pu exercer leur activité durant le premier confinement ou indiquant avoir connu une réduction de leur volume d’activité professionnelle pendant cette période. Plusieurs pistes pourraient être avancées pour expliquer ce résultat, observable également chez les salariés occupant un emploi plus qualifié. Une première piste serait de considérer que cette intensification a pu concerner avant tout les salariés les plus intégrés, engagés ou attachés à leur activité, et donc plus disposés à rester dans l’entreprise en dépit des circonstances du moment. Ce pourrait être le cas des salariés du secteur de la santé qui sont restés fortement mobilisés afin de faire face à la crise du covid-19, alors même que le système de santé connaissait déjà une crise structurelle depuis plusieurs années. Une seconde piste serait l’existence d’autres facteurs non pris en compte dans les modèles, relatifs par exemple à la dégradation des conditions de travail [9], qui ont pu être des éléments plus déterminants de la mobilité des individus durant la crise.

3.4 Des mobilités liées au parcours antérieur de l’individu sur le marché du travail et aux caractéristiques de l’entreprise

47 Les mobilités des individus sont également liées à leur parcours antérieur à la crise sanitaire. Toutes choses égales par ailleurs, les salariés ayant été fréquemment en marge de l’emploi connaissent davantage un départ de l’emploi vers le chômage, l’inactivité ou la reprise d’études. C’est le cas aussi pour les jeunes qui ont accédé tardivement à leur premier emploi à l’issue de leurs études. En revanche, l’ancienneté au sein de l’entreprise tend à réduire cette probabilité.

48 Les caractéristiques de l’entreprise dans laquelle exerce le salarié au moment du premier confinement sont également déterminantes dans la mobilité. Par exemple, les salariés peu qualifiés du secteur privé quittent davantage leur emploi pour un autre. Ils ont également une plus forte probabilité de sortir de l’emploi. Il en est de même pour les salariés des petites et moyennes entreprises par rapport à ceux des grandes entreprises ou de taille intermédiaire. Ceci pourrait être le reflet de pratiques différenciées de gestion de la main-d’œuvre des entreprises (Askenazy et al., 2022) en temps de crise et parfois préexistantes. En effet, les petites entreprises plus vulnérables durant les périodes de crise que les établissements de plus grandes tailles licencieraient davantage afin d’assurer la survie de l’entreprise. Ces plans de licenciements pourraient concerner en premier lieu les salariés les plus vulnérables, comme les ouvriers et employés peu qualifiés. La faible mobilité externe dans le secteur public, en particulier de l’emploi vers le chômage ou l’inactivité, pourrait s’expliquer par la protection plus grande, à travers notamment le statut de fonctionnaire, qui reste majoritaire dans ce secteur, bien que le recours aux contractuels soit de plus en plus fréquent dans ce milieu depuis quelques années (DGFP, 2022).

3.5 Des réalités différentes pour les salariés selon le secteur d’activité

49 Les expériences vécues pendant le premier confinement ainsi que les parcours des jeunes durant la période divergent fortement selon le secteur d’activité. Indépendamment de la catégorie socioprofessionnelle, les salariés du secteur de l’enseignement et de l’hébergement-restauration ont une probabilité plus élevée de quitter leur emploi que ceux du commerce et de la réparation (automobile et motocycles) (Tableau 4). Cependant, l’impact du secteur de l’enseignement s’observe chez les cadres et professions intermédiaires quand celui de l’hébergement-restauration concerne les salariés peu qualifiés.

50 En examinant la catégorie des ouvriers et employés peu qualifiés, nous observons que les personnes travaillant dans les secteurs de l’industrie (34 %), de l’hôtellerie-restauration (31 %), puis de la santé et de l’action sociale (29 %) sont celles qui ont connu le plus de mobilités externes durant cette période (Annexe 3 en version électronique). Les mobilités dans les secteurs de l’industrie et de la santé se caractérisent plus fréquemment par un éloignement de l’emploi, alors que celles de l’hébergement-restauration sont plus souvent des mobilités vers un emploi, pour plus de deux tiers d’entre eux dans un autre secteur. Pour le premier groupe de secteurs, ceci pourrait être en grande partie lié à la fragilité des statuts d’emploi : plus de la moitié des actifs y occupent des emplois à durée déterminée. C’est le cas notamment des salariés de l’industrie qui, dans près de la moitié des cas, avaient le statut d’intérimaire au moment du premier confinement.

51 Pour les secteurs de la santé et de l’action sociale, cette mobilité pourrait être également, voire davantage, liée à l’intensification de l’activité durant cette période. Plus nombreux à avoir poursuivi leur activité pendant le confinement (72 % pour seulement 28 % des salariés du secteur de la restauration-hébergement), ces salariés indiquent le plus souvent avoir travaillé davantage qu’en temps normal pendant cette période (45 %, soit au moins 12 points de plus que les salariés des autres secteurs). Quant au second groupe de secteurs, l’hôtellerie-restauration, les départs de l’entreprise pourraient résulter de l’incertitude autour de la reprise d’activité. En effet, cette incertitude a pu conduire certains à repenser leur avenir professionnel – c’est le cas de la moitié d’entre eux, soit plus que tout autre salarié – et par conséquent leur mobilité en dehors de ce secteur. S’ils ont été, avec les salariés peu qualifiés du secteur de la construction, ceux qui ont le plus interrompu leur activité pendant le premier confinement, ils ont été aussi ceux qui ont le plus bénéficié du chômage partiel, ce qui a sans doute permis de limiter leur sortie de l’emploi.

52 L’analyse sectorielle, bien que partielle puisqu’elle porte essentiellement sur les salariés peu qualifiés et les principaux secteurs employeurs de cette population, apporte ainsi un lot d’enseignements, complétant le regard par niveau de qualification qui constitue le cœur de cette étude. Elle révèle des disparités importantes entre les salariés, liées, pour certaines, à la crise et aux mesures restrictives du gouvernement, et pour d’autres, aux pratiques managériales et de recrutement des employeurs de certains secteurs.

53 Si les salariés peu qualifiés ont davantage connu des mobilités vers du non-emploi, comment se caractérisent les trajectoires de ceux qui ont pu obtenir un emploi dans une autre entreprise ? Leur situation dans leur nouvel emploi apparaît-elle encore plus dégradée que celle qu’ils occupaient au début de la crise ? Comment se positionnent-ils globalement par rapport aux autres salariés ?

3.6 Des trajectoires vers une autre entreprise comparables entre les salariés peu qualifiés et les autres

54 Nous examinons ici les types de trajectoires empruntés par les jeunes qui ont connu une mobilité externe vers une autre entreprise au terme des sept premiers mois qui ont suivi le début de la crise. Pour rappel, ce type de mobilité concerne un peu moins d’un salarié sur dix, et relève davantage des professions supérieures (54 % des mobilités externes) que des salariés peu qualifiés (cf. Tableau 2).

55 D’une manière générale, les salariés peu qualifiés ayant connu une mobilité vers de l’emploi ont des trajectoires aussi favorables que celles de leurs homologues en emploi plus qualifié (Figure 1[10]). En considérant simultanément l’évolution de leur salaire, de leur statut d’emploi et de leur contrat de travail, ces derniers sont aussi nombreux que les cadres et professions intermédiaires à avoir connu une trajectoire ascendante durant la période (47 %), et un peu plus nombreux que les employés et ouvriers qualifiés (44 %), sans pour autant que cette différence soit statistiquement significative [11]. Leur taux de trajectoires descendantes est quant à lui inférieur de 10 points à celui des ouvriers ou employés qualifiés. Les salariés peu qualifiés connaissent en revanche plus de trajectoires contrastées (qualifiées d' » indéterminées ») où s’entremêlent l’amélioration d’un critère et la détérioration d’un autre. En affinant ce premier constat global, on s’aperçoit que l’amélioration de leur situation est principalement due à l’accès à un emploi de qualification supérieure : ils sont 36 % à être concernés par une promotion, contre par exemple 18 % des ouvriers et employés qualifiés. En revanche, le passage d’un contrat précaire à un contrat stable se révèle plus souvent l’apanage des ouvriers et employés qualifiés. L’accès à une meilleure rémunération s’observe dans des proportions quasi-similaires pour l’ensemble des salariés (un écart d’au plus deux points entre les salariés peu qualifiés et les autres).

Figure 1. Évolution du niveau de qualification, du type de contrat et du salaire entre l’emploi occupé entre mars 2020 et octobre 2020

Figure 0

Figure 1. Évolution du niveau de qualification, du type de contrat et du salaire entre l’emploi occupé entre mars 2020 et octobre 2020

Lecture : Dans l’ensemble, en considérant à la fois les évolutions de la qualification, du type de contrat de travail et les salaires, 47 % des salariés peu qualifiés ont connu une amélioration de leur situation professionnelle.
Champ : ensemble des jeunes ayant connu une mobilité externe vers une autre entreprise entre mars et octobre 2020.
Source : Céreq, Enquête 2020 auprès de la Génération 2017.

56 Ces résultats vont ainsi à l’encontre de notre hypothèse 2b (cf. page 6) et paraissent contre-intuitifs du point de vue de la théorie de la segmentation et de l’exposé d’Amossé et al. (2011), suggérant plutôt des transitions dépourvues d’une amélioration de la situation professionnelle pour les actifs du marché secondaire, segment dans lequel les salariés peu qualifiés sont les plus représentés. Les trajectoires ascendantes constituent davantage une spécificité du marché primaire, où se concentrent les professions supérieures telles que les cadres.

57 Si ce résultat peut paraître surprenant, il est important de souligner que ce mouvement ascendant des salariés peu qualifiés est le fait aussi bien des non-diplômés que des diplômés. Pour les premiers, il relève avant tout d’une hausse de salaire ; une hausse certainement liée à l’intensification de l’activité durant la période qui a conduit mécaniquement à une rémunération plus importante ; alors qu’il s’agit principalement, pour les seconds, d’un repositionnement, notamment des diplômés du supérieur, vers des emplois de niveau de qualification supérieure. En début de carrière, les jeunes diplômés peuvent, suivant la conjoncture, occuper des emplois peu qualifiés dans l’attente de meilleures opportunités d’emploi sur le marché travail, créant ainsi l’éviction des non-diplômés de ces emplois qui leur étaient pourtant en théorie réservés. Ces phénomènes de relégation ou de reclassement avaient été discutés et pour partie mis en évidence par Di Paola et Moullet (2022) sur une cohorte de jeunes observés pendant sept ans sur le marché du travail, à l’issue de leur sortie du système éducatif en 2010.

58 Le niveau de qualification de l’emploi n’impacte pas significativement le type de trajectoire (ascendante ou non ; modèle non présenté : cf. les auteurs). Seules les autres caractéristiques individuelles et contextuelles exercent une influence sur le type de trajectoire. Par exemple, les diplômés de l’enseignement supérieur ont une plus forte probabilité de connaitre une trajectoire ascendante plutôt qu’une stabilité dans l’emploi, confortant ainsi l’analyse développée précédemment. Des disparités peuvent là aussi exister selon le secteur d’activité ; cependant, le nombre insuffisant d’individus ne nous permet pas de mettre ceci en lumière par des analyses pertinentes.

Conclusion

59 Cette recherche propose, à partir des données de l’enquête Génération du Céreq, d’examiner les mobilités et les trajectoires des jeunes sortis du système éducatif français en 2017, et occupant un emploi salarié au début de la crise sanitaire. Plus précisément, elle s’interroge sur les parcours de ces jeunes au cours des sept premiers mois qui ont suivi le début de la crise sanitaire (entre mars et octobre 2020), et ce au regard notamment de leur niveau de qualification dans l’emploi et des situations qu’ils ont vécues pendant le confinement.

60 Ainsi, les salariés peu qualifiés ont plus que les autres connu une interruption de leur activité durant la crise sanitaire ainsi qu’une mobilité externe, menant dans un peu plus de la moitié des cas à une sortie de l’emploi. Cette plus grande exposition au chômage ou à l’inactivité, observable également avant la crise, est en partie attribuable à la fragilité de leur statut d’emploi, typique du marché secondaire (emploi à durée limitée, temps partiel, salaire faible, etc.). Les bouleversements occasionnés par la crise tant dans les modes d’organisation que dans les conditions de travail expliquent également cela. Ils ont d’ailleurs conduit près d’un tiers des jeunes enquêtés à repenser leur projet professionnel. Ces derniers, qu’ils occupent des emplois peu qualifiés ou non, sont plus susceptibles de quitter leur emploi pour un autre ou de se retrouver au chômage, en inactivité ou en reprise d’études au terme des sept premiers mois qui ont suivi le premier confinement.

61 Bien que les salariés peu qualifiés aient été plus mobiles vers le non-emploi durant la période comprise entre mars et octobre 2020, l’écart avec les professions supérieures s’est légèrement réduit comparativement à celui observé au cours de l’année et de la période ayant précédé la crise. La mobilité des cadres et professions intermédiaires hors de l’emploi s’est en effet davantage accrue durant cette période que celle des salariés les moins qualifiés. De même, les trajectoires de ces jeunes sont proches de celles des salariés plus qualifiés lorsqu’ils changent d’employeurs pendant cette période. Ils ont autant que les autres connu une trajectoire ascendante, découlant principalement de l’accès à une qualification supérieure dans l’emploi, une promotion relevant avant tout des diplômés, en particulier de l’enseignement supérieur.

62 Ces résultats contrastent quelque peu avec la théorie de la segmentation et l’analyse développée par Amossé et al., (2011) suggérant que les trajectoires ascendantes sont une spécificité du marché primaire, segment dans lequel les salariés peu qualifiés sont minoritaires. Ces derniers, plus représentés que les autres dans le marché secondaire, devaient davantage connaitre des trajectoires moins favorables, notamment en période de crise, du fait de leur plus grande vulnérabilité dans l’emploi.

63 Ce constat global masque toutefois de fortes disparités selon le secteur d’activité.
Par exemple, parmi les salariés peu qualifiés, les jeunes travaillant dans le secteur de l’hôtellerie-restauration ont été nettement plus contraints que les autres à interrompre leurs activités pendant le premier confinement, quand ceux de la santé ont été au contraire davantage sollicités durant cette période. Les premiers, face à l’incertitude qui a régné autour de la reprise de leurs activités, ont pour la plupart quitté ce secteur lorsqu’ils effectuaient une mobilité vers un autre emploi, alors que les seconds ont plus fréquemment connu des mobilités hors de l’emploi, en raison certainement de l’intensification et de la dégradation de leurs conditions d’emploi et de travail durant la crise. Une partie de ces transitions, hors ou dans l’emploi, pourrait aussi être liée aux pratiques, parfois préexistantes à la crise, de certains employeurs ayant massivement recours à des contrats à durée déterminée dans la gestion de leur main-d’œuvre. Pourtant, ces modes de gestion, très ancrés notamment dans le secteur de l’industrie, ne sont pas sans conséquences sur le parcours professionnel des individus, et pourraient à terme renforcer la dualisation du marché du travail en fragilisant davantage les actifs les plus fragiles.

64 Si les transitions hors de l’emploi ont concerné dans l’ensemble moins d’un salarié sur dix, elles ont sans doute été limitées par les mesures exceptionnelles du gouvernement. Les estimations toutes choses égales par ailleurs réalisées ici montrent une exposition au chômage ou à l’inactivité significativement moins élevée pour les jeunes ayant bénéficié du chômage partiel lors du premier confinement que pour les non-bénéficiaires. Une telle mesure, pour ne citer que celle-ci, a sans doute permis de protéger l’emploi, en particulier des populations les plus vulnérables, et ainsi d'éviter un accroissement des inégalités – déjà conséquentes – entre les salariés peu qualifiés et les autres. Bien que coûteux, ce dispositif pourrait constituer, pour les crises à venir, un levier important dans l’arsenal des mesures à déployer en faveur notamment des actifs les plus fragiles dans l’emploi, c’est-à-dire ceux pour lesquels le risque d’exclusion durable du marché de travail s’avère élevé.


65 Annexes

Tableau A1 : Caractéristiques des jeunes en emploi salarié en mars 2020 (% en colonne)

Figure 1

Tableau A1 : Caractéristiques des jeunes en emploi salarié en mars 2020 (% en colonne)

66 Lecture : 50 % des cadres et profession intermédiaires sont diplômés du second cycle de l'enseignement supérieur, contre 6 % des ouvriers et employés qualifiés et 2 % des salariés peu qualifiés

67 Champ : Ensemble des individus en emploi salarié en mars 2020

68 Source : Céreq, Enquête 2020 auprès de la Génération 2017

Tableau A2 - Facteurs associés à la mobilité externe par niveau de qualification (odds-ratios)

Figure 2

Tableau A2 - Facteurs associés à la mobilité externe par niveau de qualification (odds-ratios)

69 Chiffres : significatifs au seuil de 5 % d’erreur, * : à 10 %, ns : non-significatif.

70 Lecture : Toutes choses égales par ailleurs, sur l'ensemble des salariés ouvriers ou employés qualifiés en mars 2020, les jeunes diplômés du supérieur ont 1,33 fois plus de chances que sortants de l'enseignement secondaire (diplômés ou non) de connaitre une mobilité externe vers l'emploi dans une autre entreprise entre mars et octobre 2020 plutôt que de rester dans cet emploi.

71 Source : Céreq, Enquête 2020 auprès de la Génération 2017.

Tableau A3 - Analyse sectorielle sur les salariés peu qualifiés

Figure 3

Tableau A3 - Analyse sectorielle sur les salariés peu qualifiés

72 Lecture : 34% (14 + 20) des salariés du secteur de l'industrie ont connu une mobilité externe entre mars et octobre 2020.

73 Champ : ensemble des salariés peu qualifiés en emploi en mars 2020

74 Champ : *ensemble des salariés peu qualifiés ayant travaillé pendant la crise sanitaire.

75 Nb : seuls les principaux secteurs, et ceux pour lesquels les effectifs étaient suffisants (>150 individus) pour réaliser des analyses pertinentes, ont été retenus dans ce tableau.

76 Source : Céreq, Enquête 2020 auprès de la Génération 2017.

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Notes

  • [1]
    La recherche conduisant à ces travaux a bénéficié du soutien de l’ANR SQUAPIN (ANR-18-CE26-0021). Pour plus d’informations, se référer au site du programme de recherche Squapin : https://squapin.hypotheses.org/
  • [2]
    7 481 individus sont exclus de notre échantillon, dont 1 709 personnes occupant un emploi peu qualifié dans leur dernier emploi, s’il existe (certains jeunes n’ayant jamais été en emploi depuis leur entrée dans la vie active). Inclure cette population pour cette recherche aurait entrainé une dégradation des indicateurs d’insertion, sans pour autant avoir d’incidence sur les écarts observés entre les salariés selon leur niveau de qualification (voir les auteurs pour plus de détails).
  • [3]
  • [4]
    L’ensemble des caractéristiques de la population sont présentées en Annexe 1 de la version électronique de l’article.
  • [5]
    La reprise d’études est une situation très minoritaire et concerne environ 1 % de l’ensemble des personnes enquêtées en emploi salarié au moment du premier confinement.
  • [6]
    Les départs étudiés sont ceux observés dans la période de mars à octobre 2020 ; il ne s'agit pas d'une simple comparaison des situations professionnelles entre les deux dates (exploitation longitudinale).
  • [7]
    Cette hausse a été calculée en soustrayant au pourcentage de la mobilité 2020, celui observé en 2019, divisé par ce dernier, puis multiplié par 100. Par exemple, pour les salariés peu qualifiés, la hausse est obtenue de la façon suivante : [(76-71) /71] x 100.
  • [8]
    L’interprétation de ces résultats doit néanmoins être prise avec précaution en raison de l’existence éventuelle d’une causalité inverse. En effet, la réponse sur le fait de « repenser son projet professionnel », qui est une déclaration au moment de l’enquête, pourrait tout à fait découler d’une interprétation valorisante/optimiste d’une situation de chômage ou d’inactivité. Une mobilité « forcée » débouchant sur une situation de non-emploi est propice, compte tenu du contexte et de l’horizon très incertain d’un retour à la normale de l’activité à l’automne 2020, à une réflexion sur ses aspirations et projet professionnel et donc opposée à la relation causale que nous supposons.
  • [9]
    L’information concernant l’évolution des conditions de travail pendant le premier confinement n’a pas été incluse dans les modèles car la question était adressée uniquement aux personnes restées dans le même emploi entre mars et octobre 2020.
  • [10]
    À noter que par construction, les cadres ne peuvent pas connaitre d’augmentation de leur niveau de qualification et à l’inverse, les ouvriers et employés ne peuvent pas avoir un niveau de qualification inférieur.
  • [11]
    Le test de student réalisé concernant la trajectoire ascendante ne montre aucune différence statistiquement significative entre les salariés peu qualifiés et les employés et ouvriers qualifiés.
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