Notes
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[1]
Dans la suite de cet article, nous désignons par « employés et ouvriers non qualifiés » des salariés, diplômés ou non, qui occupent des emplois dits « non qualifiés », selon la nomenclature PCS des professions et catégories socio-professionnelles de l’INSEE. La non-qualification fait donc référence à l’emploi et non pas à la personne ni au travail (Rose, 2012).
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[2]
C’est là le débat qui oppose Sen à Rawls (Sen, 1992).
Introduction
1 Les reconversions professionnelles sont considérées comme un levier pour répondre aux mutations du monde du travail, sous l’impulsion de dynamiques technologiques, démographiques, sociétales et économiques. Des métiers porteurs de transformation ou en tension connaissent un déficit de main-d’œuvre (Pisani-Ferry & Mahfouz, 2023), quand d’autres sont menacés.
2 Pour répondre à ces transformations, la Loi du 5 septembre 2018 « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel », d’une part, encourage les salariés à se tourner vers les secteurs en tension, et, d’autre part, appelle les individus à une prise en charge accrue de la sécurisation de leur parcours professionnel, dans la continuité des réformes sur la formation depuis plus de vingt ans. La figure est celle du « sujet entrepreneur », responsable de son parcours, capable de rebondir de projet en projet (Boltanski et Chiapello, 1999) et désormais de métier en métier. À cet effet, les lois de 2014 et 2018 et le Plan d’Investissement dans les Compétences (PIC) ont déployé des instruments que le Plan de relance puis le plan de réduction des tensions de recrutement ont renforcé pour favoriser « des parcours de reconversion » susceptibles de répondre non seulement aux besoins de court terme, mais aussi préparer l’avenir dans les métiers de la transition écologique, du numérique, de l’industrie et des services.
3 Les dispositifs de formation à l’initiative des personnes deviennent les leviers d’une nouvelle responsabilisation des salariés affranchis des prescriptions de leurs employeurs. Le Compte Personnel de Formation (CPF), sous ses deux formes, rénové et de transition, ainsi que le Conseil en Évolution Professionnelle (CEP) sont emblématiques de cette volonté de construire de nouvelles libertés dans un programme de transformation du modèle social français et d’adaptation aux mutations de l’économie.
4 Au même titre que les politiques d’individualisation du social (Astier, 2007), ces stratégies sont ambivalentes dans la mesure où elles oscillent entre la volonté de laisser plus de place à la liberté individuelle et le souci de normaliser les comportements. Elles portent une tension entre deux perspectives, selon qu’elles mettent en première ligne une ouverture des possibilités de choisir et d’agir des personnes ou au contraire les attentes, les exigences et les prises de responsabilité qui pèsent sur elles.
5 Cette ambivalence se pose avec acuité pour les salariés en emploi non qualifié [1] qui forment un segment de main-d’oeuvre à part. Une plongée dans les statistiques révèle que leur volume ne faiblit pas depuis les années 1990, faisant craindre une atrophie de la classe moyenne au profit d’une polarisation de l’emploi et d’une panne de la mobilité sociale. En 2020, l’emploi non qualifié représente encore presque un salarié sur cinq, avec une plus grande exposition au chômage, à la fragmentation de l’emploi et à la précarité.
6 L’emploi non qualifié a changé de visage et s’est largement recomposé. L’image de l’ouvrier industriel masculin à temps complet des Trente Glorieuses s’est éclipsée au profit de la femme employée à temps partiel du secteur tertiaire (aides à domicile, caissières, assistantes maternelles, etc.). Leurs conditions d’emploi sont souvent peu favorables (faibles salaires, contrats courts, temps partiels, etc.), sous l’effet notamment d’une représentation syndicale et de négociations collectives moins présentes que dans l’industrie.
7 Visés prioritairement par les politiques actives de l’emploi, ces salariés sont appelés à devenir les acteurs de leur vie professionnelle alors que les voies pour construire leur parcours sont loin d’être tracées et qu’ils apparaissent tout à la fois comme la figure de la dualisation du segment secondaire du marché du travail (Amossé et al., 2012) et la cible des politiques de reconversions (PIC, Plan de résorption des tensions, abondement majoré du CPF, etc.).
8 Notre propos consiste ici à appréhender, à partir des cinq vagues de l’enquête DEFIS (Dispositif d’Information Sur les Formations et les Itinéraires des Salariés)) (Encadré 1), la capacité de reconversion des salariés en emploi peu qualifié. Il s’agit d’éclairer les tensions à l’œuvre sur un double registre au cœur de l’Approche par les Capabilités (AC), celui de la liberté de choisir (Les politiques de reconversion offrent-elles des procédures, des ressources et des appuis permettant à toutes les catégories de salariés de se déterminer, de s’exprimer et de faire entendre ce qui est de valeur pour elles ? ) et celui du pouvoir d’agir (Les politiques de reconversion assurent-elles à toutes les catégories de salariés les mêmes opportunités d’obtenir une formation qui a de la valeur à leurs yeux et de réaliser une reconversion qui a du sens pour leur avenir ?).
9 Se doter d’instruments inspirés de l’AC permet d’évaluer la portée des politiques à l’œuvre. Tel est l’enjeu de la première partie qui mobilise l’AC pour une analyse critique des politiques de reconversion, après être revenue sur la définition de la reconversion. La deuxième partie s’arrime à la liberté de choix i.e. du vouloir en questionnant les souhaits de reconversion et leurs conditions d’émergence en 2015. La troisième partie interroge le pouvoir de réalisation de leurs propres souhaits à partir de la dynamique des parcours et des mobilités professionnelles observés sur la période 2015-2019. Une dernière partie conclut sur l’inégale mise en capacité des diverses classes de salariés à réaliser une reconversion et souligne les difficultés spécifiques auxquelles font face ceux qui occupent les métiers peu qualifiés.
1 Évaluer la liberté de se reconvertir à partir de l’approche par les capabilités
10 Cette première partie pose la question des outils d’analyse permettant de soumettre la liberté proclamée à l’épreuve d’une analyse empirique. Elle prend comme point de départ la définition de la reconversion et la conceptualisation de la liberté proposée par Sen (1992, 1999) pour formuler une grille d’analyse.
1.1 La reconversion, nouvelle catégorie de l’action publique ?
11 L’avènement de la reconversion en pierre angulaire des politiques du marché du travail ne s’est pas opéré du jour au lendemain. Palazzechi (1999) rappelle que son histoire contemporaine débute à la Libération, avec la création de l’ANIFRMO (Association Nationale Interprofessionnelle pour la Formation Rationnelle de la Main-d’Oeuvre (ANIFRMO) qui devient, en 1966, l’AFPA (Association pour la Formation Professionnelle des Adultes). Puis, passé la reconstruction, c’est surtout pour accompagner l’exode rural et les requalifications collectives que la notion sera convoquée. Ancré dans une société en évolution rapide et porté par une dynamique de régulation du marché du travail, le Fonds National pour l’Emploi (FNE) est créé en 1963, comme socle de la politique publique, pour résoudre des problématiques de secteurs en réduction d’activité (mines, textile traditionnel) alors que de nouveaux secteurs émergents recrutent (électronique, nucléaire, plasturgie). Cette requalification collective se confirme à l’occasion des plans sociaux qui jalonnent les années 1980 (Tuchszirer, 2005). Les restructurations des industries traditionnelles (chantiers navals, sidérurgie, charbonnage) engendrent des licenciements et entraînent de nombreuses reconversions (Villeval, 1985).
12 Mais à partir des années 1990, la nécessité d’anticiper et de sécuriser les parcours professionnels fait émerger de nouvelles modalités de reconversion et d’accompagnement des transitions (Bouvart et Donne, 2023). Centrées sur la personne plus que sur l’entreprise, de nombreuses modifications législatives élargissent la notion, au-delà de la réponse à donner aux salariés concernés par les grands plans de licenciement (Compain et Vivier, 2021). D’un côté, le plan social, institué par la loi Soisson du 2 août 1989, puis les ruptures conventionnelles apparues en 2008, visent à limiter le nombre de licenciements collectifs. De l’autre, de nouvelles modalités de formation et d’accompagnement individuels des parcours se développent. En 1991, cette idée se manifeste d’abord par la création du bilan de compétences, pour permettre aux actifs d’analyser les compétences accumulées au gré des expériences et qu’ils doivent être à même de réinvestir, de manière circulaire. La loi de 2002 instituant la Validation des Acquis de l’Expérience (VAE) offre une nouvelle composante de la gestion individuelle des parcours professionnels. Deux ans plus tard, le Droit Individuel à la Formation (DIF), puis en 2014 le CPF, le CEP ou l’entretien professionnel sont d’autres innovations qui participent d’une baisse des reconversions, dans le cadre des licenciements économiques, et d’une individualisation de celles-ci pourtant ancrées à l’origine dans des logiques collectives.
13 Le fait que les reconversions individuelles soient aujourd’hui devenues une priorité politique explique sans doute le besoin d’en préciser la notion, au terme d’une refonte des cadres juridiques de la formation professionnelle. Avec la Loi du 5 septembre 2018, la définition de la reconversion professionnelle entre dans le code du travail. Elle en précise le contenu : « La reconversion (…) a pour objet de permettre au salarié de changer de métier ou de profession, ou de bénéficier d’une promotion sociale ou professionnelle par des actions de formation ». Le terme de reconversion s’oppose à celui de reclassement puisque ce dernier évoque le replacement en emploi sans changement de qualification ni de branche d’activité, tandis que la reconversion est associée au passage à un métier différent, y compris dans la même entreprise. La formation intervient comme une composante centrale à cet effet.
14 La reconversion se distingue aussi de deux notions plus larges : la mobilité (Duhautois et al., 2012) ou la transition (Gazier, 2017). Alors que la mobilité inclut une myriade de changements (mobilité sociale, professionnelle, géographique), l’idée de transition se concentre sur la mobilité professionnelle et se rapporte aux changements de situations sur le marché du travail (changement d’emploi, de statut, passage entre emploi, chômage, inactivité, congés divers, promotions…). Enfin, l’idée de bifurcation engage une rupture durable et irréversible de la situation d’origine (Grossetti, Bessin et Bidart, 2010).
15 En tant que catégorie de l’action publique, la reconversion suscite l’attente d’une appropriation individuelle des dispositifs existants à travers laquelle les actifs ne sont plus de simples destinataires de l’action publique, mais en deviennent les acteurs dans une logique de parcours dont la sécurisation passe par la mobilisation de droits (Zimmermann, 2022).
16 Ce changement de paradigme pourrait amener à qualifier de subies les reconversions professionnelles liées à la désindustrialisation à partir des années 1980, et de volontaires celles émergeant depuis les années 2000. Mais l’équation nous paraît plus complexe. Il ne suffit pas de distribuer des droits pour que la situation des personnes s’en trouve concrètement modifiée. Un tel déplacement fait certes de la personne le centre de gravité de la reconversion, appelée à développer et concrétiser, par la formation, des projets professionnels garants de son avenir. Mais le caractère choisi des reconversions demande sans doute à être questionné et objectivé.
17 La manière dont liberté et responsabilité s’articulent en pratique fait l’objet de variations importantes, selon le poids attribué à la responsabilité individuelle et sociale et les moyens accessibles aux personnes en vue d’exercer leur responsabilité et leur liberté. L’AC offre un point d’appui pour questionner l’action publique en matière de reconversion et repenser les rapports entre liberté et responsabilité.
1.2 Une conception précise de la liberté et du partage des responsabilités
18 Le concept de capacité (capabilities), dérivé des travaux d’A. Sen (1999), signale une approche de la liberté qui excède la seule liberté de choisir pour intégrer deux autres composantes tout aussi essentielles : le pouvoir d’agir et la responsabilité sociale. Après une brève présentation de l’AC, nous prendrons appui sur ses principales dimensions pour exposer une grille d’analyse.
19 Pour R. Salais, « le grand basculement qu’introduit l’approche (…) est relatif au choix de la référence par rapport à laquelle l’action publique (…) doit être conçue, mise en œuvre et évaluée. Pour Sen, la seule référence éthiquement légitime de l’action publique est la personne, précisément son état quant à l’étendue des libertés réelles dont elle dispose pour choisir et conduire la vie qu’elle entend mener » (Salais, 2005, p. 10). La capacité désigne, suivant la formule récurrente dans les écrits de Sen, l’éventail des possibles accessibles à une personne en vue de conduire la vie qu’elle a des raisons de valoriser.
20 Deux composantes de la liberté doivent être prises en compte. D’un côté, les personnes doivent disposer de la liberté de choisir, c’est-à-dire de mécanismes qui leur permettent de se déterminer, de se projeter dans l’avenir, mais aussi de s’exprimer et faire entendre ce qui est de valeur pour elles (Bonvin, 2008). Elle inclut la perspective de ne pas travailler dans des conditions que la personne ne valorise pas. Elle suppose des informations partagées par tous. Elle ne se forge pas dans un monologue avec soi-même, mais se nourrit de la délibération. Ainsi, en matière de reconversion, l’entretien professionnel, le bilan de compétences, ou le CEP peuvent étayer la liberté de choisir, à condition qu’ils ne restent pas des droits formels, mais réels pour tous. Intrinsèquement liée à la capacité à aspirer, à participer et à s’exprimer, la liberté de choisir questionne la connaissance qu’ont les personnes des dispositifs de reconversion et la possibilité de pouvoir concrètement jouir d’espaces et de temps délibératifs.
21 De l’autre côté, les personnes doivent disposer d’un pouvoir d’agir articulé à leurs aspirations. L’AC met l’accent sur les ressources et les opportunités accessibles à une personne, mais aussi et c’est là sa spécificité par rapport à d’autres visions de la justice, sur les facteurs qui permettent de convertir ces ressources en réalisation [2]. Ce pouvoir d’agir repose sur des droits, des services d’accompagnement, des ressources matérielles, financières. Mais une des spécificités de l’AC est de montrer que la redistribution de ressources ne suffit pas et qu’en l’absence de facteurs de conversion adéquats, les droits demeurent formels. Ces facteurs peuvent être de nature individuelle, organisationnelle, institutionnelle ou sociale et ont la particularité d’être interactifs. Cette précision est fondamentale : agir sur le développement des compétences ne suffit pas dans la mesure où les facteurs sociaux et environnementaux ne sont pas pris en compte (Bonvin et Farvaque, 2007, Zimmermann, 2011). Parmi les facteurs qui impactent le pouvoir d’agir intervient notamment un contexte social favorable à l’échelle de l’entreprise. À travers la reconnaissance des finalités que poursuivent les salariés au travail, les opportunités de formation, d’apprentissage, de mobilité, de développement qu’elle offre, les inégalités qu’elle jugule ou les projets individuels qu’elles soutient, une entreprise peut s’avérer plus ou moins capacitante (Vero et Zimmermann, 2018).
22 Une telle conception trace une voie ambitieuse pour les politiques publiques, qui ne se réduit pas à favoriser l’adaptabilité des personnes au marché du travail, mais tend à promouvoir leur liberté réelle. Alors que les politiques publiques font de l’employabilité et des compétences le levier de la reconversion et de la sécurisation des parcours, la prise en compte de la liberté d’agir amène à déplacer l’analyse de la stricte notion de compétences vers celle, plus large, de capacités. L’action publique est ainsi appelée à développer un pouvoir d’agir tout en reconnaissant la liberté de choix en matière de modes de vie ou de manières d’être. Cette conception entretient des liens étroits avec la manière de concevoir la responsabilité individuelle. Pour Sen, il ne saurait y avoir de responsabilité individuelle si la capacité d’agir n’est pas garantie. Elle appelle l’existence d’espaces d’information et de discussion qui permettent de se déterminer et de se projeter dans l’avenir ; de constituer des choix et de les faire valoir, de même que l’existence d’opportunités et de moyens pour réaliser l’option choisie. Si les dispositifs publics, l’entreprise ou le fonctionnement du marché du travail n’offrent pas ces conditions élémentaires, le salarié ne peut les créer à lui seul, aussi entreprenant soit-il. Dans l’optique des capacités, il ne saurait y avoir de responsabilité individuelle si les moyens de la liberté ne sont pas donnés. L’exercice de toute responsabilité exige une latitude de choix entre différentes options possibles (liberté de choisir) et un pouvoir de conversion de l’option choisie en réalisation effective (pouvoir d'agir). Ce déplacement du curseur peut sembler modeste, mais il implique des déplacements notables sur la manière de concevoir et d’évaluer les situations des personnes et sur celle de penser les rapports entre liberté et responsabilité.
1.3 Une grille d’analyse de la capacité de reconversion
23 L’AC s’attelle ainsi à une double tâche. Sur le plan normatif, elle place l’égale liberté d’agir en principe de justice et vise à organiser des mécanismes permettant de l’égaliser le plus possible entre des membres d’une collectivité. Sur le plan descriptif, l’AC problématise la liberté en sous-catégories susceptibles d’être soumises à l’évaluation empirique. Sen ne propose pas pour autant de méthode d’évaluation empirique des capacités « clefs en mains » et laisse au chercheur le soin de définir une méthodologie adaptée.
24 Nous proposons de les aborder empiriquement à partir de quatre dimensions : les aspirations et les processus, les opportunités et les réalisations de valeur (Vero et Zimmermann, 2018).
25 La première dimension concerne les aspirations. À l’encontre d’une conception étroite de l’homo economicus qui veut que tout agent ne soit mû que par son propre intérêt, Sen reconnaît la pluralité des motifs de l’agir et critique la conception du comportement de la théorie économique érigeant des « idiots rationnels » (Sen, 1993). Les capacités sont tributaires de l’intention et des préférences d’une personne donnée et l’approche leur réserve une place centrale. Par ailleurs, elles ne se réduisent pas à une norme préétablie définie en toute généralité et ne doivent pas être subordonnées à l’unique objectif d’un retour rapide à l’emploi. Imposer une telle norme est sujet à au moins deux critiques. Il est à craindre un certain degré de paternalisme (situation où l’expert se croit autorisé à imposer sa vision aux autres) et d’ethnocentrisme (où l’expert se trompe sur l’universalité de son point de vue). Cela étant, la construction des aspirations engage une capacité à aspirer et à se déterminer et pose la délicate question des préférences adaptatives (Watts, 2013), à savoir qu’une personne qui vit depuis des années dans une situation de choix restreint finit par se résigner à cette situation ; elle n’est alors plus en mesure de se projeter dans d’autres espaces de possibles que celui de son quotidien, aussi restreint soit-il. Dans ce cas, la restriction vécue entrave jusqu’à la liberté de se projeter.
26 La deuxième dimension renvoie aux processus qui façonnent les aspirations et les choix de reconversion et aux mécanismes qui permettent de se projeter dans l’avenir, de se déterminer et de s’exprimer pour faire entendre ce qui est de valeur pour soi. La liberté de choisir suppose de disposer d’informations, d’espaces et de temps de délibération. Elle ne se forge pas dans un monologue avec soi-même. La confrontation de la pluralité des opinions est un élément décisif pour se déterminer et opérer des choix. Ainsi, l’information sur les dispositifs, qu’il s’agisse du CPF, du CEP ou des espaces de délibération comme l’entretien professionnel peuvent venir étayer le processus de choix. Celui-ci est à la fois interactif et temporel. Non seulement il engage la relation d’une personne à son environnement, mais il requiert aussi l’existence d’espaces et de temps d’information et de discussion dans l’entreprise pour former des choix et les faire valoir. Si l’entreprise n’offre pas ces conditions élémentaires, le salarié ne peut les créer à lui seul, aussi entreprenant soit-il. En tant que processus temporel, il se déploie dans le temps et amène à explorer la dynamique des parcours qui conduisent à choisir un projet de reconversion. L’AC met ces dimensions temporelles et relationnelles du processus au premier plan (Zimmermann, 2011).
27 La troisième dimension questionne les opportunités de reconversion. La capacité dépend autant de l’accès aux ressources qu’à la possibilité de les convertir. Ainsi le CPF ou le CPF de transition sont des ressources pour réaliser une reconversion de valeur. Mais un des principaux apports de l’AC est de signifier que la détention de ressources, ici de droits formels, ne suffit pas à garantir la capacité réelle d’en faire usage. Encore faut-il que le salarié puisse convertir ces droits en réalisations effectives. Des facteurs multiples, qualifiés de facteurs de conversion, interviennent à ce stade. Ils peuvent aussi être des facteurs d’obstruction : manque d’information, contraintes de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, etc. Ils ont la particularité d’être interactifs et peuvent être de trois types : individuels, sociaux ou environnementaux. Les opportunités réelles de reconversion, i.e. le pouvoir d’agir, reposent sur de nombreux facteurs qui ne sont pas réductibles aux compétences, au talent ou aux efforts, mais relèvent de l’environnement et des ressources rendues accessibles par ce dernier.
28 La quatrième et dernière dimension est fondée sur les réalisations de valeur. Les salariés peuvent-ils accéder à une formation qui réponde à leurs propres attentes ou exclusivement à celles de l’entreprise, du marché du travail, des politiques publiques ? Peuvent-ils espérer de la formation une fois réalisée une reconversion sécurisée dans le domaine et au niveau souhaité, avec les conditions d’emploi et de travail qu’ils attendent ou au contraire une adaptation aux besoins de l’économie, voire un plus grand risque de retour sur le marché du travail ? Cette dimension est au cœur de la notion de capacité, mais elle ne suffit pas à appréhender sa force heuristique, sans introduire les trois autres dimensions complémentaires que sont les aspirations, opportunités et processus. Les réalisations de valeur ne sont pas forcément synonymes de carrière ascendante, prise de responsabilités, ou de retour rapide à l’emploi, ou tout du moins ne s’y limitent-t-elles pas. Elles sont dans le pouvoir de réalisation de ses propres fins dont la concrétisation est la condition d’une action porteuse de sens et de valeur. Les réalisations de valeur s’analysent comme processus temporel et interactif, une co-production dans le temps entre la personne et son environnement. Elles dépendent de nombreux facteurs qui ne sont pas réductibles à la personne, ses compétences, son talent ou ses efforts.
29 Ces quatre dimensions – aspirations, processus, opportunités et réalisations de valeur – constituent les dimensions structurantes d’une grille d’analyse de la capacité de reconversion. Dans l’AC, elles sont étroitement enchevêtrées. D’un côté, les aspirations et les processus éclairent le versant liberté de choix et supposent de répondre à la question suivante : les politiques de reconversion offrent-elles des procédures, des ressources et des appuis permettant à toutes les catégories de salariés de se déterminer, de s’exprimer et faire entendre ce qui est de valeur pour chaque personne ? (Partie 2). De l’autre, les opportunités et les réalisations de valeur permettent-elles d’avancer sur le terrain du pouvoir d’agir ? : les politiques de reconversion assurent-elles à toutes les catégories de salariés les mêmes opportunités d'obtenir une formation et un nouveau métier dans un emploi de qualité ? (Partie 3).
2 Vouloir changer de métier : quelle liberté de choix pour les salariés peu qualifiés ?
30 Cette seconde partie s’intéresse à la liberté de se projeter, de se déterminer et de choisir un projet professionnel. La conception de projets est devenue centrale dans l’organisation des sociétés capitalistes (Boltanski et Chiapello, op. cit.). Dans cette logique, il est attendu des personnes qu’elles jouent un rôle actif, qu’elles fassent preuve d’engagement, sachent communiquer et repérer les bonnes sources d’information. La loi de 2018 attend des personnes qu’elles orientent activement leur vie en se projetant dans l’avenir. Mais comment la projectivité est-elle activée ? Alors que les politiques d’activation tendent à la réduire à une capacité anthropologique qui serait distribuée de manière égale (l’objectif global de cette projectivité étant l’adaptation au marché du travail), l’AC vise à interroger la nature de cette capacité, ses ressorts culturels, sociaux et institutionnels (Bonvin, Zimmermann, 2022).
31 Pour cela, l’attention se portera sur les processus qui façonnent les aspirations à la reconversion et les mécanismes qui permettent de se projeter dans l’avenir, de se déterminer et de s’exprimer pour faire entendre ce qui est de valeur (2.1), puis sur le contexte dans lequel s’expriment les aspirations (2.2).
2.1 Ouvriers et employés non qualifiés évoluent dans des environnements plus opaques
32 Pour qu’un salarié soit mis en capacité de choisir une reconversion, l’AC requiert qu’il dispose des ressources nécessaires pour espérer avoir prise sur son devenir ; des ressources de participation, mais aussi de contestation pour agir sur la situation présente et la transformer. Une des originalités de l’AC réside dans la notion de « capacité d’expression » qui souligne la centralité de la question démocratique dans l’œuvre de Sen. La participation a une dimension constructive car « elle permet aux citoyens d’apprendre les uns des autres » (Bonvin, op. cit.). La formation des aspirations n’est pas une affaire d’individu, mais de délibération. Les préférences, aspirations, ne sont pas données indépendamment de la délibération, mais élaborées et révisées au cours de celle-ci.
33 Créer les conditions favorables à une capacité d’expression et d’écoute autour des enjeux de reconversion suppose le déploiement d’un processus participatif. D’un côté, la participation individuelle, assise sur la relation de face-à-face entre un salarié et son supérieur hiérarchique. De l’autre, la représentation collective, fondée sur la participation par délégation.
34 Parmi les processus associés à la reconversion, il faut mettre particulièrement l’accent sur l’information à disposition des salariés et leur participation sur le plan réglementaire. La Loi de 2014 confère aux employeurs l’obligation d’organiser, tous les deux ans, un entretien professionnel consacré aux « perspectives d’évolution professionnelle ». Depuis 2016, il doit comporter une information sur la VAE. À partir de 2018, il inclut une information sur le CPF (activation par le salarié et abondements éventuels par l’employeur) et le CEP. Bien que constituant une évolution significative en direction de la « capacité d’expression », cette obligation soumise aux entreprisses ne suffit pas pour que l'on considère que tous les salariés sont en mesure d’échanger avec leurs managers (Guillemot et Sigot, 2019).
35 En 2015, selon l’enquête DEFIS, les salariés en emploi non qualifié ont moins de ressources d’information et de participation pour se déterminer et construire un projet professionnel. Si en moyenne, 67 % des salariés déclarent avoir eu un entretien professionnel entre 2015 et 2019, c’est le cas de seulement 48 % des ouvriers non qualifiés et de 59 % des employés non qualifiés, contre 89 % des cadres et 78 % des professions intermédiaires (Figure 1).
36 Ce sont plus souvent des rendez-vous manqués parmi les salariés en emploi peu qualifié et notamment les ouvriers. L’entretien professionnel est pourtant un rendez-vous obligatoire qui est appelé à jouer un rôle déterminant.
Figure 1. La capacité d'expression au prisme de l'information sur les dispositifs et de la participation aux entretiens professionnels
Figure 1. La capacité d'expression au prisme de l'information sur les dispositifs et de la participation aux entretiens professionnels
Champ : Ensemble des salariés du champ DEFIS restés dans la même l’entreprise entre décembre 2013 et l’été 2015.Sigles : PI : professions intermédiaires. EQ : employé qualifié. OQ : ouvrier qualifié. ENQ : employé non qualifié. ONQ : ouvrier non qualifié.
Lecture : Seuls 48 % des ouvriers non qualifiés (ONQ) ont participé à un entretien professionnel alors que c’est le cas de 89 % des cadres.
37 L’information sur le CEP et CPF suit la même tendance. Entre 2015 et 2019, les salariés peu qualifiés sont aussi moins nombreux à avoir connaissance de leur droit au CPF ou au CEP, pourtant essentiel dans l’accompagnement vers un projet professionnel de reconversion.
38 Ainsi, le niveau de qualification imprime clairement sa marque : les moins qualifiés évoluent dans des univers plus opaques. Or, la capacité des salariés à se projeter dans un nouvel horizon professionnel est tributaire d’un accès à l’information et à l’accompagnement. Les entreprises sont ici susceptibles de jouer un rôle crucial qui n’est pas toujours rempli auprès des salariés en emploi peu qualifié.
39 Ainsi, envisagée à travers le prisme des processus et de la capacité d’expression individuelle, la liberté de choisir apparaît plus entravée pour les salariés en emploi peu qualifié. Ces derniers ne peuvent se projeter dans un futur vers un nouveau métier qu’à la marge de ce que l’environnement autorise. Or, les choix des salariés les moins qualifiés en termes d’évolution professionnelle reposent moins souvent sur des processus de délibération et une information. Selon ces deux critères, les salariés du bas de l’échelle sont moins souvent mis en capacité de se déterminer.
2.2 Plus d’aspirations à changer de métier pour les employés non qualifiés
40 Les aspirations offrent le potentiel de transformer des vies et font l’objet d’analyses croissantes en anthropologie (Appaduraï, 2004), en sociologie (Hart, 2016 ; Baillergeau et Duyvendak, 2019 ; Hobson et Zimmermann, 2022), en sciences de l’éducation (Gale et Parker, 2015) et d’un intérêt renouvelé en économie (Lambert et Vero, 2012), notamment en économie comportementale (Sugden, 2018 ; Dold et Lewis, 2023). À l’instar de Hart (op. cit., p. 326), les aspirations peuvent être décrites comme « orientées vers l’avenir, portées par des motivations conscientes et inconscientes, et (…) révélatrices des engagements d’un individu ou d’un groupe envers une trajectoire ou un point final particulier ». Les aspirations sont des informations précieuses en ce qu’elles disent ce qui a acquis de la valeur pour un individu ou un groupe socio-économique spécifique.
41 Néanmoins, au-delà des déclarations des personnes, il importe d’analyser si les conditions sont réunies pour disposer concrètement d’une capacité à former des aspirations. À cet égard, Appadurai invite à considérer les aspirations non seulement comme des productions individuelles, mais aussi comme formées « dans l’épaisseur de la vie sociale » (Appadurai, op. cit.). L’AC complète cette vision en établissant un lien entre la formation d’aspirations et les possibilités offertes aux individus de les réaliser (Lambert et al., 2012 ; Hobson, op. cit. ; Hart, op. cit. ; Ray, 2016).
42 Quand bien même des aspirations sont formulées, elles posent la délicate question des préférences adaptatives, à savoir qu’une personne adapte ses préférences aux possibilités qui s’offrent à elle. Une étude menée par Lambert et Vero (op. cit.) illustre ce phénomène en matière de formation. Comme le note Sen (1985) : « Il est certainement facile d’accepter que l’information sur les désirs ait une valeur de témoignage dans certains contextes, en nous indiquant ce qu’une personne apprécie ou non. (...) Mais de là à considérer le désir comme la base de l’évaluation, le saut est grand et précaire ». Cela souligne l’importance de prendre en compte les préférences adaptatives et d’interroger ensemble les aspirations et le contexte dans lequel la projectivité est activée.
43 En 2015, selon l’enquête DEFIS (encadré 1), changer de métier est le souhait de 33 % des salariés. Ce sont les employés non qualifiés qui aspirent le plus à ce changement (45 %), suivis des employés qualifiés (36 %) puis des ouvriers non qualifiés (34 %). À l’opposé, ouvriers qualifiés, professions intermédiaires (29 %) et cadres y songent moins fréquemment que la moyenne des salariés.
44 Sur les dix métiers que les salariés souhaitent le plus fréquemment quitter pour une reconversion, quatre relèvent du statut d’employés non qualifiés : emplois administratifs d’entreprise, caissiers et employés de libre-service, métiers de l’hôtellerie-restauration, agents d’entretien ou aides à domicile. Beaucoup de ces métiers « de la deuxième ligne » (Amossé et al., 2021), n’exigeant ni études particulières, ni grande expérience professionnelle, ont été mis en lumière au moment de la crise sanitaire et sont la cible des politiques publiques en raison des tensions de recrutement (Dares et France Stratégie, 2022). Si la crise a joué un rôle de déclencheur des reconversions (D’Agostino et al., 2022), les salariés du bas de l’échelle n’ont pas attendu la pandémie pour exprimer leurs souhaits de changer de métier (Figure 2).
Les enquêtes DEFIS (Dispositif d’Enquêtes sur les Formations et Itinéraires des Salariés) forment un dispositif d’enquêtes couplées employeurs-salariés sur la formation des salariés. Réalisées par le Céreq et France compétences, elles visent à cerner le contexte organisationnel en 2015, au moyen de son volet « employeurs » et à lier celui-ci avec la description que font les salariés de leurs aspirations, travail, expériences de formation et parcours (volet « salariés ») ainsi qu’avec les informations extraites de bases de données administratives comme les DADS (Déclaration annuelle des données sociales). 4 500 entreprises ont été interrogées en 2015. Elles sont représentatives des entreprises de dix salariés et plus du secteur privé marchand, en décembre 2013, ainsi que des entreprises de trois à neuf salariés de certains secteurs. 16126 salariés sont interrogés dès 2015 sur une durée de cinq ans (de 2015 à 2019).
L’étude s’appuie sur la fusion du volet employeurs de 2015 et des cinq vagues d’enquêtes du volet salariés, conduites entre 2015 et 2019. L’échantillon est restreint aux salariés présents dans la même entreprise en décembre 2013 (constitution de l’échantillon) et en 2015 (date initiale de l’enquête) afin de lier le contexte organisationnel de l’entreprise interrogée en 2015 avec les souhaits de reconversion des salariés collectés la même année. Il compte 12 597 individus en 2015 et 4 072 en 2019. Les souhaits de reconversion sont recueillis en 2015 et leur réalisation est observée sur les mois et années suivants, au cours des diverses vagues d’enquêtes (2016, 2017, 2018 et 2019). L’analyse ne se limite pas à examiner deux points entre 2015 et 2019, mais intègre tous les changements de métiers relevés sur la fenêtre d’observation.
Figure 2. Plus d'aspirations à changer de métier pour les employés non qualifiés
Figure 2. Plus d'aspirations à changer de métier pour les employés non qualifiés
Champ : Salariés en décembre 2013 des entreprises du secteur privé restés dans leur entreprise jusqu’à l’été 2015.Lecture : 71 % des employés administratifs d’entreprise, non qualifiés, souhaitent changer de métier en 2015. Il s'agit majoritairement de femmes (57 %) et leur âge moyen est de 37 ans.
2.3 Ouvriers et employés non qualifiés : quand la relation salariale est en jeu
45 Pour préciser le sens à donner à cette aspiration, trois régressions logistiques ont été réalisées : les souhaits de reconversion des salariés peu, moyennement et très qualifiés sont analysés dans des modèles différents à partir du même jeu de variables, ce qui rend comparables les résultats (Figure 3). Ils permettent de dépeindre la diversité des contextes dans lesquels émergent les souhaits selon les groupes socio-professionnels. À l’origine des projets de reconversions se trouvent des ressorts multiples et souvent combinés, mais une composante est omniprésente : l’insatisfaction. Un constat qui confirme la thèse mise en avant par Dubois et Melnik- Olive (2017), Negroni et Mazade (2019), France compétences (2022). Cette insatisfaction ne surgit pas de nulle part. Elle ne relève pas non plus d’une seule logique.
Trois modèles logistiques pour décrire les aspirations à la reconversion
Trois modèles logistiques permettent de modéliser la probabilité de souhaiter changer de métier selon que les salariés sont cadres et professions Intermédiaires, ou ouvriers et employés qualifiés ou encore ouvriers et employés non qualifiés. Les variables explicatives puisent à la fois dans le volet employeurs et salariés de l’enquête. La variable dépendante est construite à partir de la question : « Souhaiteriez-vous pour les cinq prochaines années changer de métier ou profession ? oui/non ».
La qualification de l’emploi (DADS ou Déclaration annuelle des données sociales)
La qualification de l’emploi en 2015 est déterminée à partir des DADS de 2015, classée en code PSE-ESE (professions et catégories socioprofessionnelles des emplois salariés des employeurs privés et publics). On a distingué les cadres (CS agrégée 3), des professions intermédiaires (CS agrégée 4), des ouvriers qualifiés (CS 62, 63, 64 et 65), des ouvriers non qualifiés (CS 67, 68 et 69) et des employés (CS agrégée 5). La distinction entre employés qualifiés et non qualifiés a été établie selon la nomenclature Chardon (2002) « qui repose sur l’adéquation entre le contenu des emplois et la spécialité de formation des personnes qui les exercent ». Une profession d’employé « est ainsi définie comme qualifiée si son accès en début de carrière nécessite de posséder une spécialité de formation spécifique » (Amossé et Chardon, 2006).
46 Pour les salariés en emploi peu qualifié, si l’idée d’une reconversion est associée à de la pénibilité ou à un contenu du travail jugé inintéressant, sa singularité se donne à voir ailleurs. D’une part, elle repose sur leurs conditions d’emploi, plus précaires : pluriactivité, multi employeurs, temps partiel, contrat temporaire, salaire instable et variable, etc., semblent être plus propices à la formulation de souhaits de reconversion. D’autre part, c’est plus souvent face à un plan social ou de licenciement que la reconversion est envisagée. La projection dans un nouveau métier est donc plus ici une affaire de sécurité liée à la relation salariale. Envisager une reconversion est plus rarement pensé de manière préventive, en dehors de toute menace, ou en réponse aux seules conditions de travail, au contenu de celui-ci ou à sa pénibilité. Ce constat peut paraître surprenant car ce sont les salariés les moins qualifiés qui sont, tout à la fois, les plus exposés aux mauvaises conditions de travail et de rémunération et, paradoxalement, les moins enclins à se projeter dans une reconversion pour ce motif. Dans les faits, ils ont plus souvent un travail répétitif (80 %), s’estiment plus fréquemment mal payés pour le travail accompli (61 %), occupent plus souvent un emploi ne correspondant pas à leur qualification (37 %), éprouvent davantage de difficultés à concilier vie personnelle et professionnelle (22 %), ou de l’ennui au travail (14 %). Pourtant, ces difficultés accrues ne sont pas corrélées avec le souhait de reconversion. Pareil constat pourrait signaler une « préférence adaptative » ou une « contrainte intériorisée » entravant la liberté de choix. Ce constat contraste avec le contexte dans lequel se forgent les aspirations des salariés dans les emplois qualifiés.
47 Pour les employés ou ouvriers qualifiés, vouloir investir un nouveau métier se forge aussi dans le refus de la précarité. Mais la logique dominante est une réaction face au travail lui-même et à son manque de reconnaissance : l’impression de ne pas être assez payé compte tenu du travail réalisé, le sentiment que l’emploi occupé ne correspond pas à ses qualifications. C’est aussi quand le travail signale une organisation taylorienne : quand les salariés effectuent des tâches répétitives, monotones, sont astreints à des conditions de travail pénibles ou quand la conciliation entre la vie personnelle et professionnelle est difficile à atteindre.
48 Enfin, vouloir changer de métier s’appuie sur d’autre ressorts pour les cadres et professions intermédiaires : quand un changement dans l’équipe de direction intervient, quand ils anticipent un risque de perte d’emploi. Les reconversions semblent plus souvent anticipées et maîtrisées. Elles ont aussi plus souvent à voir avec des décalages entre les aspirations personnelles et le travail : rechercher un travail plus intéressant, travailler moins souvent en flux tendu, ne plus être en porte-à-faux avec sa vie personnelle. La dimension économique, si elle n’est pas totalement omise, passe plus souvent au second plan. Autant d’éléments qui amènent à penser que le virage tient plutôt à une recherche d’épanouissement : un travail et une vie qui aient du sens.
49 Les aspirations des salariés en emploi peu qualifié apparaissent formées dans un contexte plus opaque et précaire. Leur souhaits accrus de reconversion est à lier à leur « grande rotation » et une adaptation accrue de leurs préférences aux possibilités offertes par le marché du travail. Ce résultat signale qu’ils sont davantage dépourvus de capacité de projection dès lors que leurs aspirations sont formées à l’aune de la précarité, de l’insécurité et de l’opacité. Leurs aspirations plus fréquentes ne reflètent pas une plus grande capacité à aspirer ni une plus grande liberté de choix, mais semblent résulter d’une adaptation nécessaire au marché du travail, voire d’une normalisation du comportement et d’une mise en conformité avec les attentes des politiques publiques de prise en charge de son parcours et de reconversion.
Figure 3. Ce qui pousse ou freine les salariés à se projeter dans une reconversion en 2015, selon la CPS
Figure 3. Ce qui pousse ou freine les salariés à se projeter dans une reconversion en 2015, selon la CPS
ENQ-ONQ : Employés & ouvriers peu qualifiés – EQ-OQ : Ouvriers & employés qualifiés – PI-Cadres : Professions intermédiaires & Cadres.Note : Ce tableau présente les variables significatives de trois régressions expliquant le souhait de changer de métier ou de profession (1) ONQ-EN ; (2) OQ-EQ ; (3) cadres et PI. Les trois modèles incluent le même ensemble de variables. Seules les variables significatives pour au moins l’un des modèles sont reportées. Les variables non significatives regroupent : le salaire, le diplôme le plus élevé, l’appartenance de l’entreprise à un groupe, la déclaration par le salarié d’un environnement modifié par une restructuration, l’organisation du travail en équipe autonome, les démarches qualité et les finalités de la politique de formation, les expériences antérieures de formation, l’évolution du marché correspondant l’activité principale de l’entreprise.
**, *** indiquent respectivement que la variable est significative au seuil de 5 % et 1 %.
Lecture : toutes choses égales par ailleurs, quand une entreprise met en place un plan social ou de licenciement, les salariés en emploi peu qualifié déclarent significativement plus souvent vouloir changer de métier ou de profession. Ce n’est pas le cas des ouvriers et emplois qualifiés d’une part, ni des cadres et professions intermédiaires d’autre part.
Champ : salariés d’entreprises de 10 salariés ou plus du secteur privée (hors agriculture)
3 Pouvoir d’agir : quel contrôle des salariés en emploi peu qualifié sur le parcours souhaité ?
50 Cette troisième partie s’intéresse au pouvoir d’agir des salariés à travers l’examen des opportunités et réalisation de valeur. La notion de « pouvoir d’agir » désigne la possibilité de mener à terme un changement souhaité et défini par la personne concernée. Elle suppose le développement d’opportunités mises à disposition pour agir en ce sens, des droits et des moyens adéquats, mais aussi la possibilité de convertir ces ressources en réalisations qui soient de valeur pour celui ou celle qui opère le choix.
51 Le pouvoir d’agir en matière de reconversion s’écarte donc d’une conception de l’employabilité qui a souvent accompagné les politiques de l’emploi à l’échelle des institutions publiques ou des entreprises (Gazier, op. cit.). Si l’objectif d’employabilité peut se décliner de diverses manières (Ibid.), le pouvoir d’agir se démarque de la figure de l’individu détenteur de capitaux qu’il est invité à faire fructifier, dans une logique d’adaptabilité au marché du travail. La question n’est pas de savoir si les travailleurs sont plus flexibles ou adaptables. Il s’agit plutôt de savoir si les conditions sont effectivement réunies pour que les salariés disposent d’une liberté réelle de travailler et de se développer professionnellement, le cas échéant par une reconversion professionnelle ; cette liberté constituant une condition préalable pour prendre une part active dans la transition externe d’un emploi à l’autre ou dans la transition interne à une entreprise. À cette fin, nous analyserons, dans un premier temps, les opportunités de reconversion à disposition des diverses catégories de salariés avant d’élargir le débat aux réalisations de valeur.
3.1 Des inégalités dans les opportunités de reconversion qui affectent les salariés peu qualifiés
52 La sécurisation des parcours professionnels, modalité française de la flexisécurité européenne (Commission européenne, 2007), a été pensée dans un contexte de fragilisation du modèle fordiste d’emploi et de protection sociale. Celui-ci formait pourtant l’ossature d’une régulation sécurisée au travers de laquelle les travailleurs échangeaient subordination contre sécurité dans le cadre d’emplois à temps plein et à vie dans la même entreprise. Aujourd’hui, la sécurisation des parcours valorise la responsabilité individuelle et la liberté à travers le déploiement de dispositifs de formation et d’accompagnement des transitions et des reconversions.
53 Le CEP ou le bilan de compétences sont appelés à jouer un rôle central dans l’accompagnement des reconversions professionnelles, pour définir un projet, le mettre en œuvre à travers des dispositifs de formation ou d’accès à une certification. Mais il ne suffit pas d’octroyer un droit formel à l’accompagnement (y compris assorti de gratuité dans le cadre du CEP) pour que, d’un seul coup, tous les salariés soient en mesure de s’en saisir.
54 L’AC insiste sur le rôle de l’information et de la participation aux processus délibératifs comme facteur de conversion de droit formel en droit réel et comme facteur de réduction des inégalités d’opportunités (Sigot et Vero 2009 ; Lambert et al., 2012). La responsabilisation de la personne en matière de reconversion dépend autant des droits qui lui sont attribués que des conditions de leur effectivité, faisant de la conversion des droits formels en droits réels dotés d’effets un enjeu central. Aussi, se soucier du pouvoir d’agir suppose-t-il d’analyser le droit des reconversions, mais aussi de sortir du droit pour s’aventurer sur le terrain de sa mise en œuvre, notamment au guichet de l’État-providence ou dans l’entreprise.
55 Moins bien informés dans leur entreprise, ouvriers et employés non qualifiés font globalement aussi un usage plus modéré du CEP que les salariés moyennement ou très qualifiés entre 2015 et 2019 (Figure 4). L’écart se creuse davantage avec le CPF et le CIF. Le taux de recours au CPF le moins fréquent s’observe pour les employés et ouvriers non qualifiés (respectivement 6 % et 7 %) comparativement à l’usage fait par les employés et ouvriers qualifiés (15 % et 21 %) ou les cadres et professions intermédiaires (25 % et 24 %). Si le CPF finance des formations plutôt courtes, la tendance s’inverse avec le CIF (devenu CPF de transition en 2018) qui est la pierre angulaire d’une vision qui lie formation, promotion et mobilité sociale. Celui-ci a la particularité de permettre au salarié de suivre une formation de son choix sur le temps de travail, en conservant son poste ainsi que sa rémunération, sur une durée d’un an, voire plus, selon les accords de branche. Contrairement au CPF, il ne suppose pas de recherche de moyens complémentaires sous forme d’abondement. Mais seulement 3 % des employés non qualifiés et 7 % des ouvriers non qualifiés en ont bénéficié. Ce sont pourtant de longues formations qui sont appelées à esquisser de réelles opportunités de reconversion pour les salariés peu qualifiés.
Figures 4a et 4b. La mobilisation des outils d’accompagnement des reconversions entre 2015 et 2019
Figures 4a et 4b. La mobilisation des outils d’accompagnement des reconversions entre 2015 et 2019
Champ : Ensemble des salariés du champ DEFIS restés dans la même entreprise entre décembre 2013 et l’été 2015Lecture : Entre 2015 et 2019, 6 % des employés non qualifiés ont mobilisé leur CPF ; 43 % ont été formés dans le cadre de leur entreprise et 4 % ont bénéficié dans leur entreprise d’une formation d’une durée supérieure à 400 h.
56 Les opportunités de reconversion et l’accès à la formation demeurent fortement inégalitaires, dans le cadre de l’entreprise ou en dehors. C’est pourquoi le constat d’une inégalité d’opportunité de reconversion entre les groupes socio-professionnels pose la question des moyens accessibles aux salariés les moins qualifiés pour exercer non seulement leur liberté de choisir, mais aussi leur pouvoir d’agir. Celui-ci ne peut se fonder sur la seule responsabilité individuelle, mais appelle une responsabilité sociale. Le pouvoir d’agir des salariés, notamment dans les emplois peu qualifiés, ne dépend pas du seul volontarisme individuel, mais est fortement tributaire de celui des entreprises, partenaires sociaux et institutions publiques.
3.2 Reconversion souhaitée, contrainte ou empêchée : des réalisations contrastées selon la catégorie sociale
57 La reconversion professionnelle désigne une grande variété de changements. Au-delà des changements de statut, entre salariat et travail indépendant, et des passages par le chômage, la formation ou l’inactivité, de nombreux autres changements peuvent affecter la situation professionnelle des salariés. Les reconversions internes désignent celles qui se font chez le même employeur. À l’inverse, les reconversions externes signalent un changement d’entreprise. Les unes comme les autres peuvent passer par un changement de métier de plus ou moins grande envergure.
58 Diverses mesures de distance ont été proposées pour définir la proximité entre métiers (Chamkhi et al., 2023). Pour apprécier si la reconversion est de plus ou moins grande ampleur, on peut basiquement distinguer les métiers selon leur domaine professionnel. On considère alors qu’il y a un changement de métier plus important si l’on change de domaine professionnel. La reconversion peut aussi être promotionnelle et s’accompagner soit d’un passage dans la catégorie socio-professionnelle supérieure, soit d’une augmentation du niveau de salaire associée à des responsabilités ou une autonomie accrue. Au contraire, elle peut être qualifiée de descendante ou d’horizontale selon qu’elle correspond à une régression ou à une absence de mouvement dans l’échelle sociale des professions, du salaire, de l’autonomie et des responsabilités.
Repérage des changements de métier
Les métiers sont repérés à partir de la nomenclature des Familles Professionnelles de 2009 (FAP-2009). Celle-ci est issue d’un rapprochement entre deux nomenclatures, la nomenclature PCS des professions et catégories socio-professionnelles de l’INSEE et le Répertoire opérationnel des métiers et des emplois (ROME) de Pôle emploi (devenu France Travail). Un indicateur repérant les changements de métier a été créé à partir des codes PCS-ESE des emplois salariés issus des DADS (Déclarations annuelles des données sociales), entre 2015 et 2019 et la nomenclature des FAP en 225 familles professionnelles agrégées en 22 domaines. Le premier caractère du code FAP commence par une lettre qui désigne le domaine professionnel. Ainsi la lettre R identifie le domaine « Commerce ». La première lettre et les quatre caractères suivants forment la famille professionnelle. En confrontant la FAP des individus aux différentes dates de l’enquête, on distingue ceux qui ont changé de métier, mais dans le même domaine professionnel, de ceux qui ont changé de métier vers un autre domaine professionnel et de ceux qui n’ont pas changé de métier. Ont pu être observées diverses reconversions pour des caissières (R0Z61,) soit vers un métier dans le même domaine, i.e. employée non qualifié de libre-service, magasinière (R0Z60), soit vers le métier d’assistante maternelle (T2B60), relevant d’un autre domaine ; la lettre T identifie le domaine professionnel des services aux particuliers et aux collectivités. Un individu a pu changer de métier une ou plusieurs fois sur la séquence 2015-2019 ou aucune.
Reconversion et mobilité de niveau de qualification
La base de données DADS des années 2015 et 2019 permet d’identifier la qualification de l’emploi de chaque salarié au moment de l’enquête de 2015 et 2019, ainsi que les changements de métier (FAP) sur la période. Cela permet de distinguer les mobilités de métier caractérisées par un basculement dans un emploi de qualification supérieure ou inférieure.
Reconversions et mobilité promotionnelles ou descendante
À chaque vague d’interrogation, l’enquête DEFIS recueille auprès des individus, salariés sur la période précédente, leur évolution salariale, le niveau de responsabilité et d’autonomie. Ces données permettent de construire des indicateurs de mobilité promotionnelle ou de déclassement entre deux enquêtes. La mobilité promotionnelle associe une augmentation du niveau de responsabilité ou d’autonomie à une hausse de revenus, tandis que la mobilité de déclassement associe une baisse du niveau de responsabilité ou d’autonomie à une baisse de revenus. Ces mobilités sont repérées entre deux vagues et non sur toute la période 2015-2019, un individu peut avoir connu une ou plusieurs mobilités promotionnelles et/ou de déclassement.
59 La reconversion professionnelle renvoie donc à divers phénomènes qui ne sont pas exclusifs les uns des autres. Ces diverses dimensions sont analysées ici, mais dans le cadre d’une AC, il apparaît essentiel de distinguer les réalisations au regard des aspirations, i.e. la possibilité de réaliser le changement de métier que l’on a souhaité ou de ne pas accomplir la reconversion que l’on n’a pas souhaitée. Si un changement de métier peut être le résultat d’un choix, il peut aussi être fait de non-choix et de contraintes.
60 De ce point de vue, les parcours des ouvriers et employés réputés non qualifiés se caractérisent par leur plus grande exposition à des situations de décalage entre les souhaits exprimés en 2015 et les parcours réalisés entre 2015 et 2019 (Figure 5). En 2015, ce sont les employés non qualifiés qui aspirent le plus à changer de métier (45 %). Quatre ans plus tard, ce sont aussi eux qui sont le moins souvent passés d’un métier à un autre (32 %). C’est pour eux que les projets de reconversion sont plus souvent empêchés. À l’inverse, les ouvriers non qualifiés se signalent comme ceux qui réalisent le plus souvent un changement de métier (54 %), malgré de modestes aspirations (34 %). C’est pour cette catégorie de salariés que les reconversions sont le plus souvent contraintes. Enfin, les autres salariés ont des reconversions situées entre ces deux cas polaires. Les groupes socio-professionnels ne sont donc pas une catégorie homogène du point de vue de la dynamique des reconversions. Entre « reconversion empêchée », « reconversion contrainte » avec laquelle il faut composer et « reconversion souhaitée », les diverses catégories ne sautent pas d’un métier à l’autre avec le même pouvoir de reconversion. La reconversion souhaitée décrit des situations où un souhait de reconversion en 2015 a pu se concrétiser par un changement de métier entre 2015 et 2019. Au contraire, une reconversion empêchée souligne la différence entre la reconversion qu’un salarié « souhaite faire » en 2015 et le constat qu’il « n’a pas réussi à la faire » entre 2015 et 2019. Enfin, une reconversion « contrainte » indique une situation où un salarié « fait un changement de métier » entre 2015 et 2019, et le constat qu’il « n’a pas souhaité le faire » en 2015.
Figure 5. Souhaits et effectivité des changements de métier entre 2015 et 2019 ( %)
Figure 5. Souhaits et effectivité des changements de métier entre 2015 et 2019 ( %)
Champ : salariés en décembre 2013 des entreprises du secteur privé restés dans leur entreprise jusqu’à l’été 2015.Lecture : 45 % des employés non qualifiés souhaitent changer de métier en 2015 et seuls 32 % ont changé de métier entre 2015-2019.
3.2.1 Un pouvoir de reconversion le plus souvent empêché pour les employés non qualifiés
61 Du côté des employés non qualifiés, l’analyse synthétique des mobilités montre qu’objectivement, ils passent moins souvent d’un emploi à l’autre. Près de la moitié d'entre reux (48 %) restent chez le même employeur et dans le même métier alors qu’ils sont les plus nombreux à se projeter dans un passage vers un autre métier (Figure 6). Ces reconversions empêchées ou contrariées constituent une entrave importante à leur pouvoir d’agir. Néanmoins, pour ceux qui réalisent un parcours de reconversion, les changements de métier ont comme caractéristique commune de se dérouler principalement au sein même du groupe socio-professionnel des employés non qualifiés, activant ainsi une forme de circulation interne entre salariés de domaines professionnels variés : 75 % des changements de métier riment avec un changement de domaine professionnel. On a pu ainsi relever le cas de caissières reconverties en assistantes maternelles, quittant le domaine du commerce pour celui du service aux particuliers ou aux collectivités.
62 Pour celles et ceux qui accomplissent un changement de métier, l’enquête Defis fait ressortir l’intensité des reconversions professionnelles externes et la plus grande exposition au chômage et aux parcours heurtés. Ces déplacements par les canaux des marchés du travail externe tracent moins souvent des parcours de mobilité promotionnelle. Celles-ci s’entendent soit comme un passage dans la catégorie socio-professionnelle supérieure, soit comme une augmentation du niveau de salaire associée à une autonomie ou à des responsabilités accrues. C’est le lot de seulement 15 % des employés (Figure 7). Les marchés externes, les déplacements de métier de grande envergure et l’absence de promotion occupent aussi une place importante dans les reconversions peu fréquentes des employés non qualifiés.
3.2.2 Intensité des reconversions externes, plus souvent contraintes et « sur place », au sein de leur catégorie pour les ouvriers non qualifiés
63 En l’espace de quatre ans, plus d’un ouvrier non qualifié sur deux a connu une reconversion, ce qui en fait le parcours le plus répandu de ce segment, et seulement un sur trois n’a pas changé de situation professionnelle (Figure 6). Ces chiffres illustrent l’exposition particulièrement forte des ouvriers non qualifiés aux reconversions, sur la période 2015-2019, en dépit de leurs moindres souhaits exprimés en 2015. Cette importance des mobilités de métier se conjugue avec une plus grande exposition aux marchés externes. Ainsi, parmi les ouvriers non qualifiés qui sont passés d’un métier à l’autre, 56 % ont aussi changé d’entreprise à cette occasion (contre 38 % en moyenne). Ce groupe socio-professionnel constitue le volant de main-d’œuvre le plus flexible.
64 Leur changement de métier se caractérise aussi par des reconversions d’envergure. Celles-ci s’opèrent majoritairement dans des domaines professionnels distincts de celui d’origine. C’est le cas d’agents d’entretien de locaux et de nettoyeurs reconvertis en ouvriers non qualifiés de la manutention, ou encore d’ouvriers non qualifiés des industries chimiques en agents d’entretien.
65 Mais cette rotation de métier n’offre pas pour autant de réelles chances de promotion. En effet, les faibles perspectives de carrière promotionnelles sont aussi un marqueur fort de leurs reconversions (Figure 7). Aussi, pour les ouvriers non qualifiés, la logique de reconversion semble s’appuyer sur des dynamiques imprévues ou subies, majoritairement orientées vers un autre domaine professionnel, peu sécurisées, et moins souvent promotionnelles. Elles s’engagent aussi le plus souvent dans le cadre de contrats temporaires (Stephanus et Vero, 2021). Fréquemment accusés de s’enfermer dans le non-emploi, cette catégorie de travailleurs révèle au contraire une adaptabilité accrue au marché du travail, caractéristique au cœur des politiques d’employabilité qui impliquent de sacrifier des réalisations de valeur ou de renforcer la précarisation de l’emploi sur le marché du travail. L’accès à la sécurité apparaît subordonné à l’exercice d’un nouveau métier cantonné dans des formes d’emploi précaires, ce qui constitue une restriction forte en termes de pouvoir d’agir.
Figure 6. Caractérisation des reconversions et mobilités entre 2015 et 2019 selon la CS du métier d'origine en 2015
Figure 6. Caractérisation des reconversions et mobilités entre 2015 et 2019 selon la CS du métier d'origine en 2015
Champ : Salariés des entreprises de 10 salariés et plus du secteur privé.Lecture : 48 % des employés non qualifiés n’ont connu aucun changement entre 2025 et 2019 ; 10 % ont connu une reconversion avec changement de domaine professionnel dans la même entreprise ; 7 % ont changé d’emploi mais pas de métier.
3.2.3 Des reconversions modérées dans le même domaine professionnel, la même position sociale, mais moins souvent subies pour les ouvriers qualifiés
66 Loin d’être un phénomène marginal, l’exposition aux marchés externes n’est pas une particularité des salariés non qualifiés. Pour les ouvriers qualifiés, vouloir changer de métier se conjugue avec un changement d’employeur et des risques accrus de passage par le chômage sur la période 2015-2019. À l’instar des salariés du bas de l’échelle, changer de métier ne signifie souvent pas changer de position sociale (Figure 7). Mais les reconversions de ce groupe professionnel restent relativement modestes au regard de celles observées sur l’ensemble des catégories de salariés et sont les plus en phase avec le niveau de souhaits exprimés en 2015.
3.2.4 Des reconversions internes et ascendantes concentrées sur les employés qualifiés, les professions intermédiaires et les cadres
67 Pour les employés qualifiés, les professions intermédiaires et les cadres, les reconversions sont plus en phase avec le niveau des souhaits et s’effectuent plus souvent dans la même entreprise. C’est vrai pour 66 % des reconversions de cadres (72 % pour les professions intermédiaires ou employés qualifiés). Si les reconversions internes offrent aux cadres de larges débouchés dans d’autres domaines professionnels (88 % des cas), le champ des possibles se réduit pour les professions intermédiaires (69 %) et devient minoritaires pour les employés qualifiés (30 %) qui voient leur reconversion, certes relativement sécurisée, mais plus souvent limitée à leur domaine d’origine (Figure 6).
68 Un autre trait structurant des reconversions au sein de ces trois groupes socio-professionnels concerne la plus grande fréquence de changement de métiers associée à des promotions ou des prises de responsabilités d’encadrement, qui débouchent plus souvent sur des catégories socio-professionnelles plus élevées (Figure 7).
Figures 7. Parcours promotionnel et reconversion professionnelle
Figures 7. Parcours promotionnel et reconversion professionnelle
Champ : Salariés des entreprises de 10 salariés et plus du secteur privé.Lecture : 23 % des employés non qualifiés ont changé de métier vers une PCS de niveau supérieur ; 15 % ont changé de métier et connu une augmentation salariale associée à une responsabilité ou une autonomie accrue. ; 25 % d’entre eux ont changé de métier et connu l’une des deux situations précédentes.
Conclusion
69 À l’heure où l’agir individuel est mis en avant par les politiques publiques de formation et de reconversion professionnelle et où les termes mêmes de la Loi de 2018 insistent sur la liberté de choisir son avenir professionnel, on examine ici les formes et les implications concrètes de leur mise en œuvre, entre 2015 et 2019, pour les salariés en emploi peu qualifié, en mobilisant l’enquête DEFIS du Céreq.
70 Du point de vue de la méthode, l’article développe une grille d’analyse empirique à partir de quatre dimensions : les aspirations et les processus, les opportunités et les réalisations de valeur. Parce que la capacité de reconversion ne dépend pas seulement de ses qualités individuelles, mais de son environnement au sens large, l’individualisation des politiques et l’injonction de responsabilité ne valent que si les individus peuvent se projeter dans un avenir souhaitable et obtenir des réalisations de valeur.
71 Les résultats soulignent que les salariés en emploi peu qualifié n’ont ni la même liberté de choix, ni le même pouvoir d’agir en matière de reconversion. D’un côté, les entreprises ont un rôle à jouer qui n’est pas toujours investi ; de l’autre, le marché du travail et les institutions publiques n’autorisent que peu de capacité d’agir pour les salariés dans les emplois peu qualifiés.
72 Pour autant, les aspirations des employés peu qualifiés restent obstinément élevées, même lorsque les expériences suggèrent peu d’espoir de réalisation, ce que Berlant (2011) a appelé l’« optimisme cruel », l’attachement continu à des rêves inatteignables. Celui-ci se manifeste à travers la mise en œuvre de stratégies individuelles au service d’un rêve et l’omission inconsciente (ou consciente) des institutions qui empêchent cette aspiration de se réaliser. Pour Berlant, « l'optimisme cruel est la politique du génie. Il s'agit de faire croire aux gens que quelque chose est possible, tout en sachant pertinemment que ce n'est pas le cas » (Ibid).
73 Ainsi le principe de libre choix pose la question des moyens accessibles pour exercer non seulement sa liberté, mais aussi sa responsabilité. Diverses mesures récentes ont été déployées pour favoriser les reconversions des salariés les moins qualifiés. La loi de 2018 a engagé une monétisation du CPF, mais la somme de 8 000 euros prévue pour les moins qualifiés (5 000 euros pour les qualifiés) continûment employés, au bout de dix ans de cotisations, est de niveau modeste pour des reconversions qui nécessitent un parcours parfois long dont le coût global doit intégrer les actions de formation, un revenu de remplacement et, dans certains cas, des frais de mobilités (Compain et Vivier, 2021).
74 À côté de ce droit universel axé sur des formations de courte durée, la loi consacre des dispositifs explicitement positionnés sur les reconversions professionnelles des salariés. Parmi les mesures phares de la loi figure une nouvelle modalité de mise en œuvre du CPF, dans le cadre d’un Projet de Transition Professionnelle (PTP).
75 Si à certains égards, ce dernier peut évoquer le CIF, il s’en écarte par deux aspects. D’une part, en raison de l’obligation de l’adapter au marché du travail, conditionnant désormais l’usage du dispositif à une utilisation fléchée et conforme aux besoins de l’économie. La liberté de choisir doit donc s’entendre, dorénavant, comme la liberté de s’adapter au marché du travail. D’autre part, il s’en écarte par les ressources allouées aux salariés. La division par deux du budget qui a accompagné le passage du CIF au CPF de transition suffit à expliquer à elle seule que ce dispositif ne puisse être en mesure de corriger fondamentalement des inégalités d’accès à la reconversion très fortement marquées.
76 Par ailleurs, la loi de finances pour 2023 a introduit l'article L6323-7 dans le Code du travail, qui stipule que les titulaires d'un compte personnel de formation (CPF) doivent participer au financement des formations éligibles. Le montant de ce ticket modérateur, obligatoire à compter du 2 mai 2024 est désormais connu. Il est fixé à 100 euros. Il sera revalorisé, au 1er janvier de chaque année, en fonction de l'inflation. Les conditions d’accès aux droits à la reconversion se durcissent. La mise en place d’une participation financière à la charge des titulaires du CPF risque de contraindre l’accès à la formation, de constituer une désincitation à mobiliser son compte et de générer de nouvelles inégalités entre ceux qui occupent les emplois les moins qualifiés et aux plus bas salaires et les catégories socio-professionnelles les plus élevées.
77 Cette tendance à la diminution des ressources distribuées et à leur conditionnalité accrue aux exigences du marché du travail encadre plus étroitement la liberté tout en renforçant la responsabilité individuelle. Comme l'envisageait B. Zimmermann (2020), la liberté de choisir sa reconversion professionnelle devra désormais s'entendre comme liberté de financer.
78 De tels constats questionnent les marges de manœuvre dont disposent les salariés les moins qualifiés pour se reconvertir. Ils interrogent les moyens d’y remédier, à travers une amélioration de la lisibilité des dispositifs de reconversion, un renforcement de droits réels à des formations ambitieuses et qualifiantes pour les salariés les moins qualifiés, une juste répartition des efforts financiers, des entreprises plus capacitantes et une régulation du marché du travail. Si chaque travailleur est appelé à devenir « acteur dans son évolution professionnelle » et à en porter la responsabilité, cela implique qu’il dispose des moyens lui permettant d’assumer une telle responsabilité.
79 De tels moyens ne sont pas du seul ressort des salariés, mais engagent employeurs, partenaires sociaux et institutions publiques. Les transitions numérique et écologique entrainent des réallocations intersectorielles majeures (Pisani et Mafhouz, op. cit.), qui imposent l’anticipation des évolutions des métiers, mais aussi la garantie de la sécurité dans la perspective du développement des capacités de tous les travailleurs.
80 À cet égard, les dispositifs actuels de reconversion apparaissent insuffisants et devraient laisser place à des politiques plus ambitieuses. Mieux concrétiser les promesses de la liberté de choisir son avenir professionnel supposerait sans doute le développement d’une logique de formation différée où chaque individu disposerait d’un droit de tirage social sur les dispositifs éducatifs (Supiot, 1999) et des organisations plus participatives, développantes, pluralistes, justes et responsables (Vero et Zimmermann, 2018).
81 Il nous semble également nécessaire de favoriser une régulation du marché du travail avec le souci de trouver des compromis entre les divers acteurs. C’est donc à la démocratisation des processus de décision qu’appelle une politique de capacités, pour permettre aux travailleurs de réfléchir et construire eux-mêmes leur avenir. Tout ne doit pas être décidé par les experts. Comme le rappellent Bonvin et Moachon (2013, p. 788) dans leur réflexion sur le droit du travail, « il convient de laisser de la place à l’action située des personnes concernées ».
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Notes
-
[1]
Dans la suite de cet article, nous désignons par « employés et ouvriers non qualifiés » des salariés, diplômés ou non, qui occupent des emplois dits « non qualifiés », selon la nomenclature PCS des professions et catégories socio-professionnelles de l’INSEE. La non-qualification fait donc référence à l’emploi et non pas à la personne ni au travail (Rose, 2012).
-
[2]
C’est là le débat qui oppose Sen à Rawls (Sen, 1992).