Notes
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[1]
Sophie Denave définit les ruptures professionnelles comme un changement de profession et de domaine professionnel.
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[2]
C. Stephanus et J. Vero (2022) relèvent que 33 % des salariés aspiraient à se reconvertir en 2015, et que 34 % d’entre eux avaient réalisé leur reconversion en 2019 – soit 11,22 % de salariés reconvertis entre 2015 et 2019.
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[3]
Notre exploitation de l’enquête FQP 2014-2015 nous a permis de relever que parmi les personnes occupant un emploi de cadre ou profession intellectuelle supérieure en 2010, 0,5 % travaillaient dans l’artisanat cinq ans plus tard. En 2015, les personnes qui occupaient un emploi de cadre ou profession intellectuelle supérieure cinq ans plus tôt représentent 0,7 % des travailleurs de l’artisanat (indépendants et salariés confondus).
-
[4]
Lorsque nous mobilisons les catégories de travail « manuel » et « intellectuel », c’est en tant que catégories profanes, sans présumer de leur pertinence pour décrire le contenu des activités ainsi désignées.
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[5]
L’influence de tels ouvrages est difficile à mesurer, mais on peut relever que les thématiques ou les concepts qu’ils développent se retrouvent dans le discours des reconverti·es. C’est le cas de la notion de « bullshit jobs » (Graeber, 2018), reprise spontanément par sept de nos enquêté·es. D’autres évoquent plus largement la thématique du « manque de sens », que les ouvrages de Graeber, de Lochmann ou de Crawford abordent, parfois en citant explicitement ces ouvrages.
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[6]
Ocejo écrit : “Upscale, new elite versions of these classic, common occupations have become […] legitimate employment options for young, well-educated, and/or culturally savvy workers” (Ocejo, 2017, préface xix). Il ajoute: “these jobs […] provide meaningful work with many intrinsic rewards” (ibid.) [Notre traduction].
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[7]
Voir notamment : « En quête de sens, des jeunes diplômés français plaquent tout pour devenir artisans » (Sud Ouest, 16 mars 2018) ; « Des “bullshit jobs” au néo-artisanat : une génération en quête de sens » (émission « Cultures Monde » du 6 septembre 2017, France Culture) ; « Les formations en artisanat, porte de sortie pour d’anciens “premiers de la classe” » (Le Monde Campus, 12 février 2019, dont le sous-titre évoque la « quête de sens » des « bac + 5 [qui] se reconvertissent »). Cette thématique de la quête de sens irrigue plus largement les discours sur le travail, comme en témoigne une récente tribune de la secrétaire générale de la CFDT (« Marylise Léon : « Les travailleuses et travailleurs sont en quête de sens », Le Monde, 13 octobre 2023).
-
[8]
La notion renvoie à un ensemble de travaux qui, à partir de l’analyse de différentes professions (Jouvenet, 2007 ; Pilmis, 2010 ; de Verdalle, 2021), ont permis de rendre compte de la façon dont l’idéologie de la « cité par projets » pouvait se traduire dans les modalités de construction des parcours professionnels.
-
[9]
Ceci vaut d’autant plus que les cadres et professions intellectuelles, et plus encore les diplômés des deuxième et troisième cycles, figurent parmi les catégories les plus endogames (Bouchet-Valat, 2014). Notre population d’enquête a donc de fortes chances d’être en couple avec une personne dont les revenus sont relativement élevés. De fait, lorsque nos enquêté·es s’avéraient être en couple, c’était pour la quasi-totalité avec une personne occupant un emploi de cadre ou profession intellectuelle supérieure ou de profession intermédiaire.
-
[10]
Les « créatrices » correspondent à l’un des quatre profils types d’artisans d’art identifiés par A. Jourdain, fréquemment arrivées dans le métier à la suite d’une reconversion professionnelle.
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[11]
Ce type d’hybridation est à distinguer de « l’esthétique de l’hybridation » présentée plus haut : nous désignons ici des situations où des tâches qui ne sont pas strictement liées à l’activité artisanale sont menées en parallèle de celle-ci, et non l’application de dispositions esthétiques aux tâches constitutives du « cœur de métier » artisanal.
-
[12]
Cinq sont effectivement revenus à une activité analogue à celle exercée avant reconversion, quand deux autres ont fait part de leur souhait de cesser leur activité artisanale et pourraient connaître une contre-mobilité, mais restent indécis quant à leur avenir professionnel au moment où nous écrivons.
1 Les reconversions professionnelles semblent ne plus faire exception dans les parcours professionnels : 11,3 % de la population active avait connu au moins une rupture professionnelle en 2003 (Denave, 2015) [1], et 11,2 % des salariés avaient changé de métier entre 2015 et 2019 [2]. La crise sanitaire, si elle a parfois constitué un frein ou une contrainte supplémentaire pour des personnes ayant déjà formulé un projet de reconversion (D’Agostino et al., 2022), a également pu en susciter de nouvelles ou accélérer celles en cours (Dupray et al., 2022). Selon le quatrième baromètre de la formation et de l’emploi (Centre Inffo / CSA), ce sont en tout cas 21 % des actifs qui préparaient une reconversion en janvier 2023. Ainsi, les reconversions semblent se normaliser, dans un contexte où s’impose l’idée selon laquelle « on ne fait plus le même métier toute sa vie » (Gonnet, 2023).
2 Cela semble en particulier être le cas des reconversions volontaires. Contrairement aux reconversions subies, qui consistent à se former à un nouveau métier à la suite d’une perte d’emploi (Mazade, 2010), les reconversions professionnelles volontaires sont « caractérisées par le choix de réorienter sa trajectoire professionnelle, de se former pour exercer dans un autre secteur d’emploi ou acquérir des compétences nouvelles pour s’orienter vers un autre métier » (Négroni et Mazade, 2019). Elles consisteraient alors à mettre en œuvre un « projet » permettant de poursuivre une « vocation de soi » (Négroni, 2007) ou à réactiver des dispositions professionnelles contrariées dans l’ancien métier (Denave, op. cit.). Surtout, elles « répondraient à une forte demande d’épanouissement au travail » (Négroni et Mazade, op. cit.). Ainsi, le souhait de donner plus de sens à son travail serait le principal motif de reconversion, invoqué par 78 % des individus ayant engagé une reconversion professionnelle depuis 2018 (Dupray et al., op cit.).
3 Les travaux portant sur les reconversions ou, plus largement, sur les bifurcations ont mis l’accent sur leurs étapes et leurs conditions de possibilité (Négroni, op. cit. ; Denave, op. cit.), ou encore sur les « ingrédients » de la décision de bifurquer (Bidart, 2010). D’autres questions peuvent toutefois être posées, en particulier s’agissant des reconversions les plus « radicales », entre métiers ou secteurs d’activité éloignés. De telles mobilités professionnelles sont susceptibles de requérir des efforts plus grands pour se (re)former, avec des possibilités moindres de transférer ses compétences dans le nouveau métier. Elles pourraient également soulever des enjeux en termes de mobilité sociale, lorsque les positions de départ et d’arrivée ne sont pas équivalentes. S'agissant de la question du sens du travail, elle semble également se poser avec davantage d’acuité lorsque la reconversion est « radicale » et susceptible d’entraîner un important bouleversement subjectif.
4 Ces questions se posent notamment au sujet d’un type particulier de mobilités professionnelles : les reconversions de travailleur·euses très qualifié·es vers l’artisanat. Elles peuvent évoquer des mobilités professionnelles plus anciennes, comme celles qui accompagnaient le « retour à la terre » de néoruraux dès les années 1970 (Hervieu et Léger, 1979 ; Rouvière, 2015). Toutefois, et bien que relativement rares [3], elles font aujourd’hui l’objet d’une forte mise en lumière médiatique, avec la multiplication de portraits de ces « intellectuels devenus artisans » (Decréau, 2015). En parallèle, des essais faisant l’apologie du travail « manuel » [4] (Sennett, 2010 ; Jacquet, 2012) ou proposant un récit autobiographique de bifurcation (Crawford, 2009 ; Lochmann, 2019) ont pu favoriser les aspirations à ces reconversions [5].
5 Ils alimentent en tout cas une réflexion sur le « sens » du travail artisanal, qui pourrait contribuer à ce que des métiers artisanaux voient leur recrutement social s’ouvrir à des individus qui, sans nécessairement être « reconvertis » au sens où nous l’entendons (cf. encadré 1), sont issus des classes moyennes et supérieures. R.E. Ocejo (2017) a ainsi relevé la requalification récente de professions « classiques et ordinaires », comme la boucherie ou la coiffure, devenues des « options professionnelles légitimes » pour de jeunes travailleur·euses « éduqué·es » ou « culturellement averti·es » qui y trouvent un travail « sensé », source de « récompenses intrinsèques » [6].
6 Mais quel est le « sens » qui est attribué au travail artisanal par les reconverti·es ? Quand bien même les ruptures professionnelles se banaliseraient, les reconversions de travailleur·euses « intellectuel·les » vers l’artisanat n’en restent pas moins assez radicales pour être envisagées comme des « bifurcations » improbables (Bessin et al., 2010). En raison de la grande distance sociale entre les positions socioprofessionnelles de départ et d’arrivée, il ne semble pas satisfaisant de considérer qu’elles puissent simplement procéder d’une plus grande « fluidité » professionnelle qui favoriserait des « carrières nomades » (Cadin et al., 2003).
7 Pour comprendre la nature du sens recherché par les reconverti·es, il importe alors de prendre au sérieux la spécificité de ces mobilités. En apparence, elles semblent correspondre à des déclassements volontaires puisqu’elles supposent de quitter la catégorie des cadres et professions intellectuelles supérieures, qui concentre les emplois les plus qualifiés et les mieux rémunérés, pour s’engager dans des métiers « manuels », moins qualifiés et plus pénibles (Crasset, 2017). De telles « bifurcations descendantes » (de Rugy, 2021) peuvent alors procéder de la recherche de finalités spécifiques : par exemple, lorsqu’elles correspondent à un déclassement économique, la remise en cause de l’ordre économique dominant (de Rugy, 2018).
8 Nous proposons donc d’aborder les reconversions de travailleur·euses très qualifié·es vers l’artisanat comme une classe particulière de mobilités professionnelles, dont l’analyse permettrait de prolonger les travaux sur les bifurcations professionnelles en mettant en lumière des éléments spécifiques (comme des représentations ou des registres de justification partagés par ces reconverti·es).
9 En particulier, nous nous demandons en quoi l’artisanat permettrait de satisfaire une « quête de sens », expression récurrente dans le traitement médiatique de ces mobilités professionnelles [7]. Un écueil à éviter consisterait à considérer que le nouveau métier serait par essence plus « sensé ». Les métiers de reconversion auxquels nous nous intéressons n’ont pas toujours été considérés comme « sensés », ce qui pourrait constituer un indice du fait que le sens qui y est attribué aujourd’hui procède d’un processus de construction de sens. Pour le dire autrement, dans la mesure où ces reconversions constituent une « rupture de l’ordre social attendu » (Bidart, 2006), elles sont particulièrement propices à interroger la manière dont le sens peut être projeté et (re)construit dans un nouveau métier.
10 Nous mènerons cette réflexion en nous appuyant sur un corpus de 55 entretiens (cf. encadré 1). Ce matériau nous permettra tout d’abord de souligner que les enquêté·es témoignent d’un rapport expérientiel au travail, mais aussi plus largement à leur parcours professionnel, ce qui explique la centralité du registre du « sens » du travail dans leurs reconversions. Nous réfléchirons ensuite aux conditions auxquelles les reconverti·es peuvent envisager la bifurcation vers l’artisanat et y projeter du sens. Enfin, nous analyserons leurs modalités d’engagement dans l’activité artisanale, soulignant que le sens n’est pas « trouvé », mais bien construit dans l’activité.
1. Sens et valeur attribués au changement de métier
11 Il ressort que les reconverti·es font preuve d’un rapport « expérientiel » au travail qui éclaire leur attitude vis-à-vis de l’ancien métier comme du nouveau. Ce rapport expérientiel au travail se prolonge aussi comme rapport expérientiel au parcours professionnel, au prisme duquel on peut saisir le sens attribué à la reconversion elle-même.
1.1 « Vocation » pour l’artisanat et rapport expérientiel au travail
12 Si le désir de reconversion découle bien souvent d’une déception professionnelle ou d’une usure née du décalage entre ses dispositions et sa situation professionnelle (Denave, op. cit.), il s’est avéré que nos enquêté·es ne considéraient pas toujours leur ancien métier comme « absurde » ou « vide de sens » – contrairement à ce que pourrait laisser entendre le traitement médiatique de ces reconversions. On peut ainsi considérer que, pour près de la moitié de notre population d’enquête, la reconversion ne procédait pas d’un véritable ras-le-bol professionnel ou d’une forte déception amenant à rejeter l’ancien métier de manière radicale. Elle s’inscrivait plutôt dans un continuum allant de la lente érosion de l’illusio professionnel à la simple envie de connaître une autre expérience professionnelle, sans forcément rejeter définitivement l’ancienne, en passant par le renoncement à s’insérer durablement dans le métier. Pour illustrer la diversité de ces situations, on peut ainsi évoquer trois cas emblématiques des différentes attitudes possibles vis-à-vis de l’ancien métier.
13 Celui d’Émilie, tout d’abord, témoigne d’une perte d’intérêt progressive pour son ancien métier de responsable marketing, ce qui ne l’empêche pas de rester intéressée par les enjeux de « valorisation des produits ». Elle finit par se reconvertir en fromagerie, indiquant avoir été motivée, notamment, par le souci de « revenir […] aux produits qui racontent une histoire, pour lesquels il y a un terroir qui est valorisé ». Derrière l’apparente rupture professionnelle, il existe donc une forme de continuité subjective, le nouveau métier venant alors combler des attentes qui existaient déjà dans l’ancien métier, mais qui étaient de plus en plus difficilement satisfaites.
14 Le cas de Vincent, ensuite, est emblématique de situations où « l’occasion fait le larron », comme il le dit lui-même. Alors qu’il était encore responsable de la communication, il rencontre un boulanger sur un marché, qui l’invite à venir faire un essai dans son fournil. Convaincu par l’expérience, Vincent se reconvertit ensuite comme boulanger ; mais il n’a pas pour autant rompu définitivement avec son ancien secteur d’activité, puisque, quelques années plus tard et en parallèle de son nouveau métier, il officie également à temps partiel comme responsable de la communication et des relations clients dans une petite entreprise.
15 Enfin, le cas de Cyril fournit un exemple de situations où, bien qu’appréciant leur précédente activité et souhaitant s’y insérer durablement, les reconverti·es peuvent être conduit·es à y renoncer malgré tout. Après sept années de doctorat, suivie d’une année comme enseignant contractuel dans le secondaire, Cyril finit par bifurquer vers la boulangerie. Il indique pourtant qu’il « adorai[t] ce [qu’il] faisai[t] », mais qu’il s’est trouvé « incapable de le faire correctement » du fait de difficultés à finaliser la rédaction de sa thèse puis, au moment où il envisage de passer les concours d’enseignement, à réviser des cours « assis à [sa] table », « dans une logique de dissertation ».
16 La diversité des attitudes à l’égard de l’ancien métier amène ici à nuancer l’idée selon laquelle la reconversion consisterait à renouer avec une « vocation contrée » (Négroni, op. cit.), puisque les reconverti·es ne témoignent pas forcément d’une vocation préalablement constituée pour l’artisanat qui aurait été mise en veille au cours de leur première carrière. De plus, il s’est avéré que la reconversion ne procédait pas tant d’une vocation ancienne pour un métier donné que d’un attrait général pour l’artisanat saisi au prisme de caractéristiques génériques, voire idéalisées. Comme nous allons le voir, le désir de reconversion les a bien souvent amené·es à envisager d’abord de se tourner vers l’artisanat, avant de choisir le métier dans un second temps, parfois par élimination.
17 Sibylle, ex-chargée d’études en urbanisme, avait d’abord envisagé de se former en ébénisterie, mais avait renoncé faute de trouver un patron acceptant de l’accueillir en apprentissage. Lorsque l’envie de se reconvertir lui revient quelques années plus tard, elle pense d’abord au domaine du vin, pour lequel elle dit avoir « des affinités » ; mais face à « un milieu où il y a déjà beaucoup de monde sur le marché, où ça demande généralement beaucoup d’argent pour investir, et avec d’autres rythmes de travail qui [lui] convenaient moins », elle préfère finalement « [se tourner] vers le fromage, qui recrutait ».
18 Le choix du métier artisanal peut ainsi procéder d’un raisonnement tempéré, pesant le pour et le contre, comme en témoigne Lucas, désireux de se réorienter vers le bâtiment à l’issue de sa scolarité en école de commerce :
« La pierre, je trouvais ça trop froid ; le métal également. Du coup, c’était le bois […] Autour du bois, dans le bâtiment, t’as l’ébéniste pour l’ameublement, le menuisier qui est sur fenêtres, portes, parquets... mais qui pour moi est beaucoup trop en intérieur. Et après y avait le charpentier, où t’es soit en extérieur dans les structures, soit en atelier […]. J’y suis allé un peu à tâtons, avec le besoin d’être dehors. »
20 Le désir de reconversion peut ainsi s’accompagner de tâtonnements, voire d’hésitations : un enquêté s’est reconverti en couverture après avoir d’abord pensé à la charpente, quand un autre est devenu maçon de pierre sèche après avoir hésité à devenir paysan-boulanger.
21 La reconversion peut donc procéder d’un désir général de devenir artisan·e, avant d’opter pour un métier en particulier. L’artisanat est alors choisi pour les nombreuses vertus qui lui sont attribuées, envisagées comme autant de remèdes face à certains maux contemporains du travail (Sennett, op. cit.). Parmi les caractéristiques générales que nos enquêté·es valorisent dans l’artisanat, on trouve le localisme, l’ancrage dans une tradition ou un terroir, le respect de l’environnement, ou encore le caractère « authentique » des produits artisanaux… Autant de registres qui évoquent « l’économie de l’enrichissement » (Boltanski et Esquerre, 2017), consistant à valoriser des objets « en les associant à des récits » (ibid., p. 11) et en les ancrant dans un passé idéalisé (terroir, mode traditionnel de production…).
22 Plutôt qu’une vocation pour le métier artisanal qui aurait été « contrée » dans l’ancien métier, il nous semble intéressant de considérer que les reconverti·es nourrissent un rapport vocationnel au travail – ou, pour le dire autrement, un rapport « expérientiel » (Mercure et Vultur, 2010). Celui-ci correspond à l’attitude d’individus qui souhaitent que leur activité professionnelle soit épanouissante et constitue une expérience satisfaisante en elle-même. S’il motive la reconversion vers l’artisanat, aussi bien chez les reconverti·es en rupture nette avec leur ancien métier que chez celles et ceux qui entretiennent un rapport plus positif à celui-ci, c’est alors en vertu d’une vision idéalisée du travail artisanal, dont témoignent nos enquêté·es. Envisagé comme « utile », « authentique » et « concret » (Dain, 2021), le travail artisanal se voit attribuer des qualités qui renvoient aux trois dimensions du sens du travail – respectivement, son utilité sociale, sa cohérence avec des valeurs morales ou professionnelles, et la possibilité qu’il offre de se développer et de déployer sa créativité et ses compétences (Coutrot et Perez, 2022). Les reconverti·es valorisent par exemple le fait de pouvoir satisfaire leur clientèle et répondant à des demandes aussi essentielles, à leurs yeux, que de se nourrir ou de s’abriter. Ils et elles apprécient également la possibilité de voir leur production prendre forme sous leurs yeux, et de pouvoir déterminer leur manière de travailler en fonction de leurs goûts et valeurs personnels.
23 Finalement, la prise en compte du rapport expérientiel au travail des reconverti·es permet de ne pas considérer le « sens » du travail artisanal comme une caractéristique intrinsèque de celui-ci, et de le mettre en perspective avec ce que les reconverti·es recherchent – et projettent – dans leur travail.
24 Nous allons maintenant voir que les reconverti·es entretiennent également un rapport expérientiel au parcours professionnel, qui les conduit à attribuer du sens non seulement au nouveau métier, mais également à la reconversion elle-même.
1.2 Un rapport expérientiel au parcours
25 La reconversion de nos enquêté·es s’inscrit généralement dans un rapport au parcours professionnel valorisant le changement. Pensé comme une succession d’« étapes », voire d’« expériences », le parcours n’est pas nécessairement envisagé autour d’un métier ou d’une carrière linéaire.
26 La mobilité professionnelle peut être valorisée pour elle-même, dans la mesure où elle traduit une capacité à construire soi-même son parcours activement et à prendre ses distances vis-à-vis d’une trajectoire sociale probable – ou, pour le dire dans les termes d’un enquêté, une capacité à « prendre son destin en main ».
27 Denis, qui a bifurqué vers la maçonnerie alors qu’il avait obtenu, à 26 ans, un contrat à durée indéterminée en tant que journaliste, indique que c’est pour lui « une source de fierté d’avoir pris une voie différente », « de faire quelque chose de différent de [son] frère et de [son] père » (tous deux ingénieurs) et de pouvoir se dire que son orientation professionnelle ne lui a pas été « dictée par [son] éducation et [son] entourage. »
28 Plus généralement, les registres de justification mobilisés par les enquêté·es puisent largement dans la « cité par projets » (Boltanski et Chiapello, 1999) : la valorisation de l’autonomie, de l’adaptabilité, de la pluri-compétences contribuent alors à requalifier la reconversion professionnelle comme une audace, source de profits symboliques découlant du courage dont feraient preuve les reconverti·es. À la « grandeur » attribuée au mobile selon les principes de la cité par projets s’oppose la figure du « petit », qui se réfugierait à l’inverse dans des « statuts » pour éviter « ces épreuves par excellence que constituent les moments de passage d’un projet à un autre » (ibid., p. 194). Être mobile, ce serait alors se mettre à l’épreuve, entreprendre un nouveau projet et connaître ainsi une forme d’ascension sociale, qui ne correspondrait pas à un mouvement vers le haut ou vers le bas – comme dans les approches envisageant la mobilité sociale comme une « distance parcourue » (Hugrée, 2016) – mais à un mouvement tout court.
29 Dans cette perspective, la reconversion peut être inscrite dans une « carrière par projets » [8] où elle se voit conférer une valeur propre. Cela permet notamment de comprendre la bifurcation des enquêté·es qui appréciaient le plus leur ancien métier : le problème n’est alors pas d’exercer une activité qui ne leur plaît pas ou plus, mais la crainte de se retrouver « coincé » dans une routine dont on pourrait se lasser.
30 C’est ce qui a par exemple conduit Florent à quitter un emploi de chargé d’études qu’il trouvait « passionnant », estimant qu’il était préférable de partir « en haut de la vague », « avant que ça [le] saoule ». Devenu chocolatier, il n’avait pourtant pas de projet de reconversion dans ce secteur au moment de démissionner : c’est une envie de changement relativement indéfinie, sans objet, qui enclenche sa reconversion, alors qu’il estimait être arrivé « à la fin d’un cycle ».
31 Ce rapport au parcours, envisagé comme une succession de « cycles », est exprimé par une dizaine d’enquêté·es au moins, à travers diverses expressions : le sentiment d’avoir « fait le tour », « bouclé la boucle »… Par ailleurs, les expériences professionnelles qui se succèdent peuvent également être valorisées pour l’apprentissage en continu qu’elles permettent.
32 Joseph, ancien consultant devenu boucher, souligne ainsi que « quand on a fait cinq ans d’études et travaillé pendant cinq ans, [dans un métier] où on apprenait des choses mais toujours un peu dans le même domaine », il est « agréable » de s’engager dans un univers « complètement inconnu ». Il trouve ainsi « hyper gratifiant » de « tout apprendre de A à Z, de partir de zéro, jusqu’à maîtriser entièrement le domaine ».
33 La majorité des enquêté·es témoignent de même d’un rapport positif au fait de reprendre une formation et d’acquérir de nouvelles connaissances au cours de leur apprentissage. Ce rapport positif semble toutefois lié à la durée relativement courte des formations, les reconverti·es faisant également valoir leur souhait de pouvoir rapidement s’établir dans le métier. De ce point de vue, le plaisir d’apprendre semble moins constituer un moteur qu’une externalité positive du changement professionnel.
34 Finalement, la valorisation de la mobilité dans la construction de son parcours professionnel conduit les enquêté·es à envisager le changement de métier comme une « évolution » personnelle plutôt que sur le mode de la rupture. Cette évolution peut s’entendre à la fois au sens d’évolution professionnelle, mais aussi à l’échelle du parcours de vie : la reconversion peut ainsi s’accompagner de changements plus ou moins anticipés ou souhaités dans les autres sphères de vie.
35 Il est alors possible de distinguer plusieurs rapports aux transformations qui accompagnent le changement professionnel : la reconversion peut être perçue comme une opportunité, voire un moyen de mettre en œuvre un changement radical de mode de vie, mais les reconverti·es peuvent au contraire chercher à limiter les changements, ou à s’y ajuster en recherchant un nouvel équilibre entre sphères de vie (Dain, 2023). Quoiqu’il en soit, le sens attribué à la reconversion n’est pas indépendant des changements susceptibles de se produire dans les autres sphères de la vie, avec lesquelles il gagne à être mis en perspective.
36 Du fait du rapport expérientiel qu’entretiennent nos enquêté·es au travail, mais également à leur parcours, la reconversion vers l’artisanat leur permet d’attribuer du sens au nouveau métier, mais également au changement de métier lui-même. Toutefois, ces bifurcations n’en restent pas moins objectivement improbables. On peut alors chercher à identifier, par-delà les représentations et les registres de justification invoqués par les enquêté·es, les autres « ingrédients » de la bifurcation (Bidart, 2006, 2010) grâce auxquels des travailleur·euses « intellectuel·les » peuvent voir dans l’artisanat un horizon professionnel souhaitable, dans lequel il leur sera possible de trouver du sens.
2. Les conditions de possibilité de la reconversion vers l’artisanat
37 À l’issue de cette première partie, un risque serait d’assimiler les reconverti·es de l’artisanat à une nouvelle incarnation de la figure d’un individu autonome et mobile, seul « acteur » de son parcours professionnel (Dany, 2004). Le rapport expérientiel au travail ou au parcours ne s’exerce toutefois pas dans une sorte d’apesanteur sociale, et nous souhaitons désormais interroger les conditions auxquelles la reconversion vers l’artisanat peut effectivement être engagée. Ces conditions se déclinent à la fois en éléments objectifs et subjectifs et à différentes échelles (Bidart, 2006, p. 39) : le contexte macrosocial, aussi bien institutionnel que culturel et médiatique, mais aussi le contexte individuel et familial, au niveau duquel on peut interroger en particulier les ressources qui facilitent la reconversion.
2.1 Un contexte macrosocial favorable
38 Le contexte macrosocial peut influer sur les reconversions à travers les « valeurs » (Grossetti, 2004), c’est-à-dire les représentations ou normes disponibles, mais aussi les dispositifs susceptibles de faciliter effectivement la reconversion.
39 C. Négroni relevait déjà, dans les années 2000, que les reconversions professionnelles volontaires s’inscrivaient dans un contexte caractérisé par la « désinstitutionnalisation » et « l’individualisation des parcours de vie » (Négroni, op. cit., pp. 20-21). Elle retraçait l’histoire des politiques sociales de formation ayant conduit à la mise en œuvre de dispositifs favorables au développement des reconversions professionnelles volontaires, comme le Congé Individuel de Formation. Depuis, d’autres dispositifs ont prolongé les injonctions à « l’entreprise de soi » (Abdelnour et Lambert, 2014), c’est-à-dire à l’autonomisation des individus, en particulier dans la construction de leur parcours professionnel. Les dispositifs d’accompagnement à la création d’entreprise (Darbus, 2008), qui culminent dans la création du régime d’auto-entrepreneur, auraient par exemple encouragé le « tous entrepreneurs » (Abdelnour, 2017, p. 27).
40 En parallèle, un « nouveau référentiel d’action publique » en matière d’orientation professionnelle des adultes aurait été progressivement mis en place, dont le bilan de compétences constituerait l’un des dispositifs « phares » (Gonnet, 2022). Plus récemment, les lois du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » et du 14 février 2022 « en faveur de l’activité professionnelle indépendante » ont également pu contribuer à rendre le contexte plus favorable aux mobilités professionnelles, en particulier vers des métiers indépendants. La première encourage la mise en œuvre d’une démarche active, réflexive et autonome de construction de son parcours professionnel ; tandis que la seconde vise à rendre le statut d’entrepreneur individuel à la fois plus protecteur et plus facile d’accès.
41 Dans ce contexte institutionnel favorable aux mobilités professionnelles et à l’auto-emploi, les reconversions vers l’artisanat semblent facilitées, et ce d’autant plus qu’elles paraissent également bénéficier d’un changement de représentations.
42 Florent, l’ex-chargé d’études évoqué ci-dessus, reconnaît que le récit de sa reconversion comme chocolatier fait « pétiller les yeux » de ses interlocuteurs et qu’un tel changement professionnel « est vraiment valorisé socialement aujourd’hui ». Il avance qu’« il y a dix ans, vingt ans, ça l’était certainement moins ; y a quarante ans, cinquante ans, n’en parlons pas ».
43 Simon, ex-ingénieur du son devenu crémier-fromager, a pu se figurer cette évolution des représentations relatives aux reconversions vers l’artisanat à travers le changement de discours de sa mère. Cette dernière l’avait « toujours soutenu à balle », mais a très mal accueilli son projet de reconversion :
« Quand j’ai dit à ma mère “j’arrête tout, je vais faire du fromage”, elle m'a dit “mais n’importe quoi” ». Il considère que ses réticences sont liées à sa position sociale : « elle a fait l’agreg, Normale Sup’, prof en prépa… elle m’a dit : “bah oui, c’est que des beaufs, c’est que des bourrins, tu vas jamais t’en sortir là-dedans” ».
45 Pourtant, en l’espace de quelques années, son discours a changé radicalement :
« Hier, j'étais avec elle, et le fils d'un de ses potes fait un CAP (certificat d'aptitude professionnelle) boulangerie et elle avait des étoiles dans les yeux, à dire “c’est extraordinaire”, “vous êtes une génération incroyable”… »
47 La multiplication et la médiatisation de telles reconversions contribuent sans doute à les légitimer, et par extension, à en susciter de nouvelles. À cet égard, on peut relever que nos enquêté·es sont nombreux·ses, une fois installé·es, à recevoir des demandes de stage de personnes au profil similaire, envisageant une reconversion et préférant se tourner pour cela vers quelqu’un ayant déjà fait l’expérience d’une telle bifurcation. Surtout, la médiatisation des reconversions est susceptible non seulement de les rendre plus visibles et plus légitimes, mais également de stabiliser les représentations positives du travail artisanal qui les sous-tendent.
48 Comme nous l’évoquions plus tôt, nos enquêté·ês font valoir le caractère « concret », « utile » et « authentique » du travail artisanal lors des entretiens ; mais ils le font également face aux journalistes, qui diffusent alors cet imaginaire idéalisé du travail artisanal et contribuent à renforcer l’idée selon laquelle il s’agirait là d’un travail « sensé ».
49 Ainsi, le contexte institutionnel, culturel et médiatique semble favorable aux reconversions vers l’artisanat, les intégrant à l’horizon des possibles de travailleurs « intellectuels » : le fait de voir de nombreux portraits de reconverti·es dans la presse, ou d’en connaître autour de soi, peut contribuer à banaliser ces bifurcations ; la requalification du travail artisanal les rend plus désirables ; tandis que le développement de dispositifs favorisant la mobilité professionnelle ou l’accès à l’indépendance les facilite. Mais les reconversions ne procèdent toutefois pas seulement d’un contexte culturel et institutionnel favorable : la décision de bifurquer se prend, concrètement, en tenant compte d’éléments relevant du contexte individuel.
2.2 Des conditions propices à l’échelle individuelle
50 Ce sont à la fois les ressources à leur disposition ainsi que les étapes du parcours de vie où se trouvent les reconverti·es qui contribuent à rendre la reconversion plus ou moins opportune. En ce qui concerne les étapes de vie, on peut considérer qu’il existe un kaïros de la reconversion, c’est-à-dire un « moment adéquat ou favorable », une « occasion propice », une « période adaptée » (Bessin, 1998, p. 7). Celui-ci peut reposer sur plusieurs éléments.
51 Tout d’abord, la reconversion est facilitée pour les enquêté·es n’ayant pas d’enfants à charge (environ deux-tiers de notre population d’enquête) ou n’étant pas en couple au moment de la reconversion. Ils font alors valoir le fait que leur décision « n’engage qu’eux », pour reprendre les termes d’Arthur, et qu’ils peuvent ainsi assumer plus facilement la prise de risques associée à la reconversion. Comme l’indique Fabrice, âgé de 56 ans lorsqu’il quitte son emploi de cadre pour se lancer en maçonnerie de pierre sèche :
« Je savais que je perdais mes acquis comme cadre et comme salarié […], je prenais le risque. Faut dire que je suis célibataire, j’ai pas une famille... je fais ma vie ».
53 Pour celles et ceux qui n’ont pas encore d’enfants, mais en souhaitent, la décision de reconversion peut être accélérée, avec là encore l’idée qu’il sera plus difficile de prendre ce risque professionnel une fois parent. Un enquêté estime par exemple qu’il a profité, à 33 ans, du « bon créneau » pour entamer sa reconversion en fromagerie : estimant qu’il n’allait « peut-être pas tarder à avoir des enfants... », c’était donc « maintenant » qu’il fallait se figurer si ce métier « [lui] plaît ou non » – faute de quoi il aurait risqué de « regretter plus tard ». D’autres enquêté·es, plus âgé·es, attendent pour leur part que leurs enfants soient autonomes pour entamer une reconversion. Le statut conjugal a quant à lui un effet plus ambigu : la reconversion peut être facilitée pour les célibataires, en ce qu’elle n’engage que soi et ne reporte pas le risque sur un·e conjoint·e ; mais être en couple permet également d’assumer le risque professionnel de la reconversion à deux, comme nous allons le voir plus bas.
54 On retrouve ainsi le rôle essentiel, dans les reconversions, de « paris adjacents ». Ils correspondent à des décisions passées, relatives à « différentes sphères de la vie (famille, profession, loisirs, etc.) » et qui, « sans être initialement liées à une trajectoire d'activité donnée, finissent par contraindre l'activité et la trajectoire en question en rendant toute incohérence du comportement particulièrement coûteuse » (Jourdain, 2014a, p .22). Pour autant, pour les enquêté·es ayant un·e conjoint·e ou des enfants, ceux-ci ne constituent pas nécessairement une simple contrainte à la reconversion. Tout d’abord, la vie familiale peut s’articuler harmonieusement avec le nouveau métier, comme le montre le cas d’Émilie : enceinte au moment où elle engage sa reconversion comme fromagère, cette ancienne cadre voit dans l’accès à l’indépendance professionnelle une occasion d’adapter ses horaires de travail afin de pouvoir s’occuper de son enfant.
55 Les proches peuvent également faciliter la reconversion, par exemple en travaillant aux côtés des reconverti·es, de manière plus ou moins ponctuelle ; en assurant une forme de stabilité économique au ménage lorsqu’ils occupent par ailleurs un emploi salarié [9] ; ou tout simplement en apportant un soutien moral et en encourageant la décision de reconversion. Laure, ex-architecte d’intérieur, raconte ainsi que son conjoint, la voyant hésiter à s’engager dans une formation de boulangerie, l’a « tannée tous les jours pour [qu’elle s’]inscrive ».
56 Si des paris adjacents peuvent contraindre la construction du parcours professionnel, il convient par ailleurs de prendre en compte les ressources à disposition des reconverti·es qui, à l’inverse, sont susceptibles d’élargir leur espace des possibles professionnels et de faciliter la formulation du projet de reconversion. Étant issu·es des classes moyennes ou supérieures, par leur origine sociale (pour la majorité de nos enquêté·es) ou du point de vue de la position atteinte avant bifurcation, nos enquêté·es disposent généralement de ressources constituant des « filets de sécurité » qui les autorisent à envisager et entreprendre la mobilité professionnelle plus sereinement (Denave, op. cit).
57 Ceux-ci sont tout d’abord économiques. Certes, dans la plupart des cas, la reconversion s’accompagne d’une baisse de revenus, au moins à court terme, mais les reconverti·es peuvent compter sur d’autres ressources économiques. La plupart des enquêté·es bénéficient par exemple de l’allocation chômage au moment de leur reconversion, ce qui leur permet de compléter leurs revenus ou, pour les reconverti·es se mettant rapidement à leur compte, de ne pas devoir « sortir » un salaire des comptes de l’entreprise. De plus, un quart de nos enquêté·es ont pu compter sur une prime de licenciement ou une rupture conventionnelle, ce qui amortit là encore le coût relatif de la reconversion.
58 Par ailleurs, de manière analogue aux créateurs et créatrices de start-up, les ressources de nos enquêté·es facilitent également leur mise à leur compte (Flécher, 2023). Ils et elles peuvent en particulier bénéficier d’aides familiales pour financer leur entreprise ou constituer un apport suffisant pour solliciter un prêt bancaire. Ajoutons enfin que la reconversion peut être facilitée grâce au capital économique effectif, mais également potentiel : même sans les solliciter dans les faits, savoir que l’on peut compter sur ses proches permet de relativiser la prise de risque.
59 Tom, reconverti comme charpentier à l’issue de sa thèse de physique, souligne ainsi la « sérénité » que lui confère le fait de savoir que ses parents, tous deux chercheurs, « sont là » : il estime faire « partie de cette tranche de la société qui a la chance de pouvoir vadrouiller toute sa vie entre les métiers », et concède qu’il ne « risque rien » :
« si jamais j’ai besoin, j’aurai toujours de l’aide ».
61 Outre le capital économique, signalons que le capital culturel peut également faire office de « filet de sécurité » : le diplôme autorise en effet à envisager un retour à un emploi de cadre ou profession intellectuelle supérieure. Il peut également être converti en capital économique, faisant parfois office de garantie aux yeux des banques et facilitant l’accès à un crédit.
62 Sibylle, diplômée d’un Institut d’Études Politiques, retient ainsi de son expérience auprès des banques qu’il « vaut mieux que le banquier sache que vous avez plusieurs Master 2 plutôt qu’il pense que vous avez un CAP ». Elle a pu constater qu’on ne « vous parle pas de la même manière si vous êtes chef d’entreprise, artisan dans un commerce alimentaire, que si vous avez fait des études ».
63 Pour plusieurs enquêté·es, la maîtrise de compétences « scolaires » s’est également avérée avantageuse au moment de solliciter des aides financières, notamment institutionnelles, pour lesquelles il peut être demandé de monter un dossier et de présenter un projet d’entreprise devant un comité d’évaluation.
64 La prise en compte des différents éléments présentés dans cette partie permet d’éclairer les conditions auxquelles des travailleur·euses « intellectuel·les » peuvent voir dans la reconversion vers l’artisanat une option professionnelle souhaitable, susceptible de satisfaire leur « quête de sens » ou, pour le dire autrement, leur rapport expérientiel au travail.
65 Nous retrouvons certains ingrédients dont le rôle a déjà été mis en évidence dans d’autres cas de reconversions, comme les « filets de sécurité » (Denave, op. cit.), les dispositifs de politique publique (ibid. ; Négroni, op. cit.) ou les « paris adjacents » (Jourdain, 2014a).
66 Mais nous avons également souligné que nos enquêté·es pouvaient d’autant plus compter sur des filets de sécurité que leur origine sociale ou leur position sociale au moment de la reconversion sont relativement élevées ; que de nouveaux dispositifs ont continué à encourager la réorientation professionnelle et la mise à son compte, facilitant d’autant plus les reconversions vers l’artisanat ; ou encore que le contexte culturel et médiatique favorisait ce type particulier de reconversion.
67 Nous avons souligné en vertu de quoi les reconverti·es peuvent projeter du sens dans le fait de se reconvertir dans un métier artisanal. Toutefois, nous ne souhaitons pas considérer le sens comme une caractéristique intrinsèque du métier. Il reste donc à se demander comment les reconverti·es « trouvent » effectivement du sens dans le nouveau métier.
3. Quelles modalités d’engagement dans le métier artisanal ?
68 La mobilité professionnelle atypique de nos enquêté·es s’accompagne de modalités spécifiques d’engagement dans la nouvelle activité. Nous montrerons ainsi que les reconverti·es s’identifient peu au métier artisanal et adoptent un rapport particulier à celui-ci, inscrit dans une démarche d’esthétisation et de singularisation de l’activité (Perrenoud, 2008, 2012a).
69 On peut alors considérer que le sens attribué au travail artisanal renvoie moins à une caractéristique intrinsèque de celui-ci qu’aux possibilités qu’il offre de construire du sens en situation, dans l’exercice de l’activité. Contrepartie du rapport expérientiel au travail, l’engagement dans le métier est donc soumis à la condition de pouvoir s’y épanouir et y exprimer son style de vie. Pour le mettre en évidence, nous présenterons en particulier ce qui se produit lorsque les reconverti·es peinent à « trouver » du sens dans le nouveau métier.
3.1 Une faible identification au métier
70 Lorsqu’on leur demande s’ils ont le sentiment d’appartenir à un groupe social en particulier, les reconverti·es mentionnent rarement le groupe professionnel comme collectif de référence. Nos enquêté·es pensent plus spontanément leur appartenance sociale en référence à leur milieu social d’origine (lorsqu’ils se définissent comme membres des « catégories moyennes » « aisées », de la « classe moyenne-supérieure » ou d’un milieu « un peu bourgeois » ou « bobo »), ou à leur trajectoire (lorsqu’ils insistent sur le fait d’être à l’aise dans « tous les milieux », font part de leur sentiment d’échapper aux catégorisations, ou s’assimilent plutôt aux autres reconverti·es).
71 Denis, par exemple, indique qu’il n’a pas le sentiment d’« appartenir particulièrement à un groupe social », mais qu’il se sent en revanche « assez proche » des « gens de [son] âge qui se sont posé ou se posent la question de la reconversion professionnelle ». De ce point de vue, les reconverti·es ne « deviennent » pas tout à fait artisan·es, au sens où ils changeraient profondément d’identité.
72 À cet égard, nous avons relevé que leur mobilité professionnelle ne s’accompagnait pas d’une socialisation de « conversion » – qui suppose un changement radical, quasi-total de l’individu –, mais plutôt d’une socialisation de « transformation » – caractérisée par des changements de moindre ampleur, plus circonscrits (Darmon, 2016 [2006]). En particulier, nos enquêté·es apprennent le métier sans véritablement acquérir la « culture de métier », pourtant centrale dans la socialisation des professionnels de l’artisanat (Zarca, 1988). Cela se traduit à la fois par le fait que les reconverti·es mettent à distance certaines pratiques et valeurs des travailleurs de métier, et importent des dispositions et des pratiques socialement situées dans leur activité.
73 La mise à distance des travailleurs de métier peut par exemple prendre la forme d’un mépris de classe exprimé contre des figures stéréotypées : le « patron un peu bourru » dans le bâtiment ; le boulanger « en marcel », « la clope au bec » ; les « beaufs » de la fromagerie ou des chantiers ; ou même, dans un entretien, les « gens débiles » de la boulangerie.
74 Plus largement, elle passe par l’adoption de pratiques professionnelles distinctives. Les reconverti·es en boulangerie que nous avons rencontré·es refusent par exemple d’avoir recours à des produits surgelés ou à des farines contenant des additifs, pratiques qu’ils déplorent et attribuent aux boulangers « conventionnels ». Les maçon·nes enquêté·es se spécialisent quant à eux et elles dans des formes spécifiques du métier (maçonnerie de pierre sèche, de terre crue ou du bâti ancien) et rejettent certaines pratiques de la maçonnerie « conventionnelle », comme l’utilisation de ciment.
75 La mise à distance peut prendre, outre ces formes symboliques, des formes plus concrètes : nous avons ainsi pu constater la tendance des reconverti·es à recréer un relatif entre-soi professionnel – beaucoup de nos enquêté·es s’étant formé·es ou associé·es avec d’autres reconverti·es, ou ayant recruté des personnes sociologiquement proches.
76 Quant à l’importation de leurs goûts et dispositions dans la nouvelle activité, elle se traduit de manière particulièrement frappante dans l’adoption d’une « esthétique de l’hybridation », analogue à celle que les gentrifieurs déploient dans leurs logements (Collet, 2015) et consistant à appliquer des dispositions esthétiques aux aspects les plus ordinaires de leur nouvelle activité.
77 Achraf, reconverti en boucherie, fait ainsi part de sa volonté de s’intéresser » aux produits méprisés, vulgaires, dénigrés », le conduisant à souhaiter « anoblir » la merguez. Pour cela, il entend « créer une poudre d’épices » de la même manière qu’on peut « créer un parfum » : il s’agirait, plutôt que d’appliquer simplement une recette, d’élaborer une « pyramide olfactive » afin de faire d’un produit « assez anodin » quelque chose de « très original et intéressant ».
78 Le souci d’esthétisation de nos enquêté·es leur permet également de singulariser leur production : Laure convertit par exemple les dispositions créatives qui étaient au cœur de son ancien métier (architecte d'intérieur) dans sa nouvelle activité de boulangère. Ce faisant, elle entend exprimer une esthétique personnelle :
« Mon truc, c’est pas de pas faire comme les autres, c’est de faire comme je veux. […] Je pense pas que je fasse des choses qui ressemblent à tout le monde ».
80 Soucieuse de proposer des produits « proches de la terre, de Dame Nature », elle façonne notamment des petits pains à la forme allongée et irrégulière (plutôt qu’une forme ronde plus habituelle), qu’elle appelle « brindilles » et « branches ». Afin de leur donner « la bonne couleur », pour que « ça [fasse] vraiment des branches », elle ajoute du cacao à la pâte, mettant ainsi en œuvre une esthétique de la « naturalité ».
81 Ainsi, nos enquêté·es nouent un rapport à l’activité artisanale tout à fait analogue à celui des « artisans-créateurs » (Perrenoud, op. cit.) ou des « créatrices » dans l’artisanat d’art [10] (Jourdain, 2014b), inscrivant leur activité entre « l’art et le métier » (Perrenoud, 2012b), cherchant à l’esthétiser et à la singulariser afin de vivre « le métier comme style de vie » (Bajard et Perrenoud, 2013) et faisant de ce dernier un véritable « prolongement de soi » (Bajard, 2018). « L’ennoblissement artistique » (ibid.) peut ainsi s’appliquer à des métiers en dehors de l’artisanat d’art (Ocejo, op. cit.), sous l’impulsion de professionnel·les atypiques qui cherchent moins à adopter la culture de métier qu’à proposer une version de celui-ci compatible avec leurs goûts et leur style de vie. En cela, le métier artisanal ne serait « sensé » que dans la mesure où il permet de prolonger le style de vie.
82 Le « sens » ne serait alors pas une caractéristique intrinsèque du métier artisanal, mais serait construit en situation, dans l’exercice de l’activité. Pour s’en rendre compte, il est intéressant de présenter deux ensembles de cas particuliers qui témoignent du fait que, lorsque les reconverti·es peinent à « trouver » le sens recherché, ils peuvent aménager l’activité artisanale, voire y renoncer.
3.2 Hybridation, désengagement… trouver le sens en dehors de l’artisanat ?
83 Le rapport expérientiel au travail et au parcours des reconverti·es peut les conduire, lorsque l’activité artisanale ne s’avère pas tout à fait satisfaisante, à « hybrider » [11] leur activité professionnelle.
84 Franck, ingénieur désireux de se reconvertir en maçonnerie de pierre sèche, continue par exemple à travailler, à temps partiel et en télétravail, pour une entreprise d’informatique. S’il entend « faire des chantiers professionnellement, [...] pas faire comme si c’était un hobby », cette position lui évite de connaître le même sort que ses « collègues qui prennent des chantiers de merde parce qu’il faut bien qu’ils mangent » : il peut se permettre de choisir « les chantiers qui [l]'intéressent » car il tire déjà des revenus suffisants de son activité d’informaticien.
85 Charlotte, ancienne community manager reconvertie en fromagerie, a quant à elle pu se composer une activité sur mesure de « cyberfromagère » : après une mauvaise expérience dans une fromagerie, elle envisage tout d’abord d’arrêter, mais indique qu’elle ne « voulai[t] pas trop [s]’éloigner du milieu du fromage » non plus. Elle trouve finalement un mi-temps en fromagerie, et consacre désormais le reste de son temps de travail à la gestion, en freelance, des réseaux sociaux de plusieurs commerces de bouche.
86 De même, Lucas, le charpentier évoqué plus tôt, a repris une formation de conception assistée par ordinateur qui lui permet aujourd’hui d’occuper un poste sur mesure : il travaille à mi-temps sur les chantiers en tant que charpentier et à mi-temps en bureau, où il effectue du dessin pour les constructions.
87 Pour d’autres encore, cette hybridation est plus ponctuelle et repose sur l’ajout de tâches « intellectuelles » à l’activité artisanale : un boulanger organise par exemple des concerts ou des expositions dans le local de sa boulangerie ; un couple de chocolatiers propose des ateliers pédagogiques et a également organisé une conférence sur l’histoire du chocolat, à l’occasion de laquelle une chercheuse était invitée.
88 Outre ces situations d’hybridation, on repère également des cas de contre-mobilité. Certain·es reconverti·es, déçu·es ou lassé·es de l’expérience artisanale, reviennent en effet à un emploi de cadre.
89 Ainsi Gabriel, account manager, avait tenté, à 33 ans, de bifurquer vers la fromagerie. Alors qu’il s’imaginait « parler de fromage » comme on parle de vin « quand on va chez le caviste », il a déchanté en réalisant qu’en boutique, « tu passes ta journée à dire “bonjour monsieur, bonjour madame, et avec ceci ?” ». À l’issue de sa formation, il apprend que son ancienne entreprise n’avait toujours pas pourvu son poste, et s’arrange donc pour y être recruté à nouveau.
90 Benjamin, de même, est revenu à un emploi de cadre, même si celui-ci était différent de ce qu’il avait connu avant sa reconversion. Ancien directeur technique, il a fondé sa brasserie à 32 ans, puis l’a revendue cinq ans plus tard, confronté à une « charge de travail […] trop immense pour un seul homme » et lassé de devoir « penser à tout, tout le temps ».
91 Ainsi, lorsqu’il s’avère qu’il n’est pas ou plus possible d’exercer le métier comme on l’entend – et ce faisant d’y construire du sens –, les reconverti·es peuvent être amené·es à renoncer à l’activité artisanale. Ici, que ce soit à cause d’un manque d’autonomie ou d’un excès de charge de travail lié au fait d’être travailleur indépendant, Gabriel comme Benjamin ne parvenaient plus à trouver du sens dans leur activité.
92 On peut enfin évoquer le cas d’Olivier, qui se trouve dans une situation intermédiaire, entre hybridation et contre-mobilité. Musicien d’orchestre, il entame à 41 ans une reconversion comme couvreur, mais renonce finalement à s’engager à temps plein dans ce métier. En cause : de mauvaises relations de travail, avec notamment un chef d’équipe qui le prend en grippe, mais aussi plus largement des collègues « qui parlaient juste de ce qu’ils avaient entendu aux infos », ce qui n’était « pas hyper passionnant » aux yeux d’Olivier. Il revient donc finalement à son poste à l’orchestre, mais conserve une activité occasionnelle dans le bâtiment, effectuant régulièrement des chantiers qui constituent une sorte de « travail à-côté » (Weber, 1989), en parallèle de son travail de musicien.
93 Ces situations d’hybridation et de contre-mobilité concernent une part non négligeable de notre population d’enquête – respectivement une dizaine (dont la moitié exerce une autre activité en parallèle du métier artisanal, et l’autre se consacre à des tâches « intellectuelles » plus ponctuelles, intégrées à l’activité artisanale) et une demi-douzaine [12]. Elles éclairent les modalités de construction du sens en révélant, en creux, que les reconverti·es ne « trouvent » pas toujours du sens dans le travail artisanal.
94 Quand celui-ci n’est pas aussi satisfaisant qu’on l’espérait, qu’il risque de prendre le pas sur les autres sphères de la vie, que les relations avec les collègues sont décevantes ou encore que des contraintes économiques nécessitent de faire des concessions sur sa conception du « bon travail », les reconverti·es peuvent ajuster leur engagement professionnel de manière à construire le sens ailleurs ou autrement que dans le seul exercice de l’activité artisanale.
Conclusion
95 Les travaux sur les reconversions professionnelles mettent en lumière leur caractère processuel et en identifient les déterminants, mais adoptent pour cela une focale mettant davantage l’accent sur l’individu, le changement de métier s’expliquant en dernier lieu par une vocation ou des dispositions antérieurement constituées (Denave, op. cit. ; Négroni, op. cit.). En nous intéressant à des reconversions vers l’artisanat, nous avons cherché dans cet article à identifier les éléments communs contribuant à rendre possible une classe particulière (et particulièrement improbable) de mobilités professionnelles. Nous nous sommes principalement intéressé au registre du sens, fréquemment invoqué dans le discours profane et médiatique pour justifier ces reconversions vers l’artisanat. Des travaux ont déjà abordé la question du sens du travail, de ses dimensions et de sa place dans le rapport au travail des individus (voir par exemple Baudelot et Gollac, 2002 ; Méda et Vendramin, 2013 ; ou encore Coutrot et Pérez, op. cit.). Nous avons plus spécifiquement mis en lumière les modalités par lesquelles le sens pouvait être projeté, puis effectivement construit dans l’exercice de l’activité – et ce, de manière d’autant plus frappante que les métiers étudiés ne semblaient généralement pas être considérés, au moins jusqu’à récemment, comme particulièrement « sensés ».
96 Nous avons ainsi relevé un ensemble de conditions préalables pour que les reconverti·es puissent envisager un métier artisanal comme un horizon professionnel souhaitable, dans lequel il leur sera possible de « trouver » du sens : ces reconversions témoignent d’un rapport spécifique au travail ainsi qu’au parcours professionnel, dont la mise en œuvre est favorisée par une diversité d’ingrédients subjectifs et objectifs. De plus, il ressort que pour satisfaire ce rapport expérientiel au travail et au parcours, les reconverti·es font preuve de modalités spécifiques d’engagement dans l’activité artisanale, au sein de laquelle ils cherchent davantage à importer certaines pratiques et dispositions qu’à s’acculturer au métier. Ainsi, les reconverti·es ne « trouvent » pas du sens dans le travail artisanal, mais l’y construisent. Dès lors, il semble important de ne pas essentialiser le « sens » attribué aux métiers, mais plutôt caractériser ceux-ci par les marges de manœuvre qu’ils offrent pour entreprendre cette démarche de construction de sens.
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Mots-clés éditeurs : mobilité professionnelle, représentation du travail, identité professionnelle, reconversion professionnelle, métier de l'artisanat
Mise en ligne 21/03/2024
https://doi.org/10.4000/formationemploi.12404Notes
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[1]
Sophie Denave définit les ruptures professionnelles comme un changement de profession et de domaine professionnel.
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[2]
C. Stephanus et J. Vero (2022) relèvent que 33 % des salariés aspiraient à se reconvertir en 2015, et que 34 % d’entre eux avaient réalisé leur reconversion en 2019 – soit 11,22 % de salariés reconvertis entre 2015 et 2019.
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[3]
Notre exploitation de l’enquête FQP 2014-2015 nous a permis de relever que parmi les personnes occupant un emploi de cadre ou profession intellectuelle supérieure en 2010, 0,5 % travaillaient dans l’artisanat cinq ans plus tard. En 2015, les personnes qui occupaient un emploi de cadre ou profession intellectuelle supérieure cinq ans plus tôt représentent 0,7 % des travailleurs de l’artisanat (indépendants et salariés confondus).
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[4]
Lorsque nous mobilisons les catégories de travail « manuel » et « intellectuel », c’est en tant que catégories profanes, sans présumer de leur pertinence pour décrire le contenu des activités ainsi désignées.
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[5]
L’influence de tels ouvrages est difficile à mesurer, mais on peut relever que les thématiques ou les concepts qu’ils développent se retrouvent dans le discours des reconverti·es. C’est le cas de la notion de « bullshit jobs » (Graeber, 2018), reprise spontanément par sept de nos enquêté·es. D’autres évoquent plus largement la thématique du « manque de sens », que les ouvrages de Graeber, de Lochmann ou de Crawford abordent, parfois en citant explicitement ces ouvrages.
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[6]
Ocejo écrit : “Upscale, new elite versions of these classic, common occupations have become […] legitimate employment options for young, well-educated, and/or culturally savvy workers” (Ocejo, 2017, préface xix). Il ajoute: “these jobs […] provide meaningful work with many intrinsic rewards” (ibid.) [Notre traduction].
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[7]
Voir notamment : « En quête de sens, des jeunes diplômés français plaquent tout pour devenir artisans » (Sud Ouest, 16 mars 2018) ; « Des “bullshit jobs” au néo-artisanat : une génération en quête de sens » (émission « Cultures Monde » du 6 septembre 2017, France Culture) ; « Les formations en artisanat, porte de sortie pour d’anciens “premiers de la classe” » (Le Monde Campus, 12 février 2019, dont le sous-titre évoque la « quête de sens » des « bac + 5 [qui] se reconvertissent »). Cette thématique de la quête de sens irrigue plus largement les discours sur le travail, comme en témoigne une récente tribune de la secrétaire générale de la CFDT (« Marylise Léon : « Les travailleuses et travailleurs sont en quête de sens », Le Monde, 13 octobre 2023).
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[8]
La notion renvoie à un ensemble de travaux qui, à partir de l’analyse de différentes professions (Jouvenet, 2007 ; Pilmis, 2010 ; de Verdalle, 2021), ont permis de rendre compte de la façon dont l’idéologie de la « cité par projets » pouvait se traduire dans les modalités de construction des parcours professionnels.
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[9]
Ceci vaut d’autant plus que les cadres et professions intellectuelles, et plus encore les diplômés des deuxième et troisième cycles, figurent parmi les catégories les plus endogames (Bouchet-Valat, 2014). Notre population d’enquête a donc de fortes chances d’être en couple avec une personne dont les revenus sont relativement élevés. De fait, lorsque nos enquêté·es s’avéraient être en couple, c’était pour la quasi-totalité avec une personne occupant un emploi de cadre ou profession intellectuelle supérieure ou de profession intermédiaire.
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[10]
Les « créatrices » correspondent à l’un des quatre profils types d’artisans d’art identifiés par A. Jourdain, fréquemment arrivées dans le métier à la suite d’une reconversion professionnelle.
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[11]
Ce type d’hybridation est à distinguer de « l’esthétique de l’hybridation » présentée plus haut : nous désignons ici des situations où des tâches qui ne sont pas strictement liées à l’activité artisanale sont menées en parallèle de celle-ci, et non l’application de dispositions esthétiques aux tâches constitutives du « cœur de métier » artisanal.
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[12]
Cinq sont effectivement revenus à une activité analogue à celle exercée avant reconversion, quand deux autres ont fait part de leur souhait de cesser leur activité artisanale et pourraient connaître une contre-mobilité, mais restent indécis quant à leur avenir professionnel au moment où nous écrivons.