Couverture de FORM_160

Article de revue

Anatomie d’un programme de formation intensif : le service militaire volontaire

Pages 7 à 29

Notes

  • [1]
    Neither in É‪ducation, Employment or Training ou Ni en emploi, ni en études, ni en formation.
  • [2]
    Hébergement en caserne, port de l’uniforme, discipline, salut au drapeau…
  • [3]
    Une exception est un reportage de M6, dans l’émission Zone interdite, intitulé « Volontaires du nouveau service militaire : l’année qui va changer leur vie », d’une durée d’une heure trente. Diffusé le 5 février 2017, ce reportage aurait provoqué un afflux important, mais ponctuel, de candidatures.
  • [4]
    Pour des raisons techniques et informatiques, il n’a pas été possible d’administrer les questionnaires dans le centre SMV de Brest.
  • [5]
    Respectivement Certificat d’études primaires et Certificat de formation générale.
  • [6]
    Respectivement Certificat d’aptitude professionnelle et Brevet d’études professionnelles.
  • [7]
    Le test de Rosenberg s’appuie sur dix questions relatives à l’opinion de l’individu sur lui-même. Chaque question est notée de 1 (plus bas score) à 4 (plus élevé). Le score minimal est donc de 10 et le maximum de 40. Les valeurs pour une estime de soi très faible, faible, moyenne, etc, sont celles habituellement choisies par les études de psychologie (voir par exemple Guillon et Crocq, 2004).

Introduction

1 Le service militaire volontaire constitue l’un des programmes les plus originaux orienté vers le public des jeunes décrocheurs. Il transpose sur le territoire métropolitain un dispositif qui existe depuis 1961 dans les territoires ultra-marins : le service militaire adapté. Depuis son instauration en 2015, le service militaire volontaire a connu deux modifications majeures. Tout d’abord, parvenu au terme de son expérimentation en 2018, il a été pérennisé à compter du premier janvier 2019, dans le cadre des dispositions de la Loi 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à « la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant dispositions intéressant la défense ». Ensuite, il a été étendu géographiquement dès 2017, avec l’ouverture de deux nouveaux centres : à Brest (Finistère), géré par la marine, et à Ambérieu-en-Bugey (Ain), géré par l’armée de l’air. Ces centres rejoignent le dispositif initial constitué des régiments de Montigny-lès-Metz (Moselle), de Brétigny-sur-Orge (Essonne), de La Rochelle (Poitou-Charentes), et du centre Châlons-en-Champagne, tous administrés par l’armée de terre.

2 Cette double transformation, prolongement dans le temps et extension dans l’espace, est, dans le domaine des expérimentations sociales, le marqueur de la généralisation d’un programme (Jouen, 2008 ; Kerivel et James, 2018). Alors que l’expérimentation est au départ temporaire et localisée, sa vocation véritable est de changer d’échelle pour être généralisée. Certes, le dispositif reste d’une taille modeste. En 2019, les six centres SMV accueillent au total plus de 1 000 jeunes par an (contre 5 700 pour le service militaire adapté ou SMA), ce qui en fait un dispositif encore marginal d’un point de vue quantitatif, eu égard aux effectifs accueillis par d’autres : 140 000 jeunes en service civique, 100 000 en garantie jeunes, 15 000 dans les Écoles de la deuxième chance (E2C), un peu plus de 3 000 dans les Établissements pour l’insertion dans l’emploi (EPIDE). En revanche, d’un point de vue qualitatif, la singularité du SMV est sans doute d’être l’un des programmes ciblés sur les jeunes éloignés de l’emploi et de la formation les plus intensifs.

3 Une évaluation du SMV dans sa phase expérimentale (Anne etal. 2020) a conclu à un impact élevé sur le taux d’emploi des incorporés, de l’ordre de 30 points à la sortie du dispositif. Mais le passage d’une phase d’expérimentation à une phase de généralisation, même relative dans le cadre du SMV qui n’a pas de portée nationale, peut potentiellement modifier la nature du dispositif, a fortiori s’agissant d’un programme exceptionnel par son intensité. L’ouverture de nouveaux centres dans de nouveaux territoires, l’installation du dispositif dans la durée, la montée en puissance des effectifs incorporés, progressive mais réelle, comportent un risque de dilution des facteurs qui ont pu contribuer à l’efficacité du dispositif. Il est donc intéressant d’étudier de façon précise les caractéristiques et les attentes des jeunes incorporés, de façon à repérer d’éventuels changements dans la dimension longitudinale. C’est l’objet de cet article qui mobilise le dispositif d’enquête DESTINIE (Dispositif d’enquête de suivi des trajectoires d’insertion, d’inactivité et d’emploi), conçu pour décrire statistiquement les trajectoires socio-professionnelles des jeunes. Nous exploitons trois vagues d’enquêtes à l’incorporation des jeunes, pour les cohortes 2017-2018, 2018-2019 et 2019-2020, qui couvrent la fin de la phase d’expérimentation, l’extension géographique du dispositif et le début de sa pérennisation.

4 La première partie situe l’originalité du SMV dans l’ensemble des programmes de formation et d’accompagnement ciblés sur les jeunes en difficulté d’insertion. Les parties suivantes étudient les changements du point de vue des caractéristiques socio-démographiques des jeunes, puis de leurs attentes et des difficultés qu’ils rencontrent entre la phase d’expérimentation et la phase de généralisation, après 2019.

1. Les programmes de formation ciblés sur les jeunes : un panorama éclectique

5 La littérature économique sur les causes spécifiques du chômage des jeunes met en avant deux types de déterminants qui correspondent à deux ensembles de politiques publiques. D’un côté, des travaux soulignent l’influence des caractéristiques personnelles des jeunes, comme les défauts de la formation initiale, le manque d’expérience, le rôle des capacités cognitives et non cognitives, le savoir-être… La persistance d’un nombre élevé de jeunes sans emploi est associée à l’ampleur du décrochage scolaire, c’est-à-dire à la part de jeunes qui ne parviennent pas à terminer le second cycle de l’enseignement secondaire. Cette part est en France de 14,5 %, ce qui est à peine en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), et est beaucoup plus élevée qu’en Corée du sud (2 %), aux États-Unis et en Suisse (9 %), ou en Autriche (10 %) (OCDE, 2016). Ces travaux suggèrent de développer des politiques ciblées sur les jeunes, principalement dans le cadre de changements dans les contenus et les pratiques éducatives, au travers d’actions de tutorat et dans le cadre de formations professionnelles ciblées sur les jeunes (pour une synthèse, voir Eichhorst et al., 2015).

6 Un deuxième courant met en avant les difficultés des jeunes à accéder à l’emploi et cible le rôle des institutions du marché du travail, comme le salaire minimum, la protection de l’emploi et le système de négociation salariale. Il souligne la nécessité d’adapter ces institutions afin de promouvoir l’inclusion des jeunes travailleurs (pour un survol, voir Banerji et al., 2014). Parfois, les deux approches sont combinées au sein d’un même ensemble de recommandations (Cahuc et al. 2013 ; Carcillo et al., 2015).

7 En France, l’action publique a principalement suivi la première voie. Plutôt que de réformer les institutions du marché du travail pour donner davantage de place aux jeunes sur le marché du travail, il a été choisi de développer des dispositifs ciblés sur les jeunes avec une forte dose de formation. En d’autres termes, le choix a été d’améliorer l’employabilité des jeunes en favorisant le développement de leur capital humain plutôt qu’en réformant le fonctionnement du marché du travail dans son ensemble. Il est vrai que plusieurs tentatives d’adaptation des institutions ont connu par le passé des échecs retentissants. Signalons le Contrat d’insertion professionnelle (CIP), sous le gouvernement d’Édouard Balladur, en 1994, le Contrat nouvelle embauche du gouvernement de Dominique de Villepin, en 2005, transformé en Contrat première embauche (CPE) avant d’être retiré en 2006. Ces différents contrats étaient réservés aux jeunes de moins de 26 ans et prévoyaient des dérogations au droit commun, que ce soit au salaire minimum avec le CIP, ou aux règles du licenciement et aux montant des cotisations sociales avec le CPE.

8 C’est donc la voie de dispositifs spécifiques pour les jeunes, sans adaptation du droit commun, qui a été retenue. On peut dénombrer ainsi plusieurs dizaines de dispositifs nouveaux depuis le début des années 2000, en France. Certains de ces dispositifs sont conditionnés explicitement à un âge de moins de 25 ou 30 ans. D’autres n’ont pas de condition d’âge, mais concernent au premier chef les plus jeunes. Ces mesures prennent la forme de subventions directes à l’emploi (emplois francs, contrat d’apprentissage et de professionnalisation, emplois d’avenir, autres contrats aidés… ), d’un accompagnement plus ou moins renforcé et de mesures de formation (PACEA-Parcours contractualisé vers l’emploi et l’autonomie, porté par les missions locales, qui a remplacé, en 2017, le CIVIS, Contrat d’insertion dans la vie sociale ; Accompagnement intensif jeune, porté par Pôle emploi ; Insertion par l’activité économique ; Programmes régionaux ou départementaux ; Écoles de la deuxième chance ou EC2 ; Établissement pour l’insertion dans l’emploi ou EPIDE,…), ou de mesures mixtes.

9 Dans les années 2010, plusieurs dispositifs innovants ont été lancés en France, généralement après des phases d’expérimentation, comme la Garantie jeune, les EPIDE, le service militaire volontaire. Ils ont comme point commun d’offrir un accompagnement intensif et collectif en faveur des jeunes. Ces nouveaux dispositifs ne visent pas simplement les NEETs [1] dans leur ensemble. Ils cherchent à venir en aide, au sein de ces derniers, à ceux qui sont dans des situations de grande précarité ou de vulnérabilité sociale et qui, par conséquent, ne sont pas forcément atteints par les dispositifs de la politique de l’emploi existants.

10 Au sein de ces différents dispositifs, plusieurs visent des buts assez proches de celui du SMV. Soit par l’intensité du dispositif d’accompagnement, soit par la « militarité » de celui-ci. La Garantie jeunes, généralisée en 2017 après avoir été expérimentée, est un dispositif innovant, offrant à ses bénéficiaires un accompagnement renforcé, assorti d’une garantie de revenu venant en soutien de cet accompagnement (Erhel et Gautié, 2018). Lancée dans dix départements à l’automne 2013, l’expérimentation a été étendue à 62 nouveaux départements en 2015. En 2016, 19 départements supplémentaires ont rejoint le dispositif, soit un total de 91 départements.

11 Le dispositif repose sur une approche rénovée de l’accompagnement, intégrant une dimension collective (avec l’intégration des bénéficiaires par cohortes), et donnant la priorité aux mises en situation professionnelle (selon le principe dit du « Work first »), la multiplication des expériences en entreprise étant conçue comme le moyen privilégié de construction de l’autonomie et d’élaboration du projet professionnel. Cette approche implique aussi un nouveau type d’intermédiation, selon le principe de la « médiation active », visant à apporter un appui aux employeurs et à les intégrer comme acteurs à part entière de l’accompagnement (Comité scientifique d’évaluation de la Garantie jeunes, 2016, présidé par Jérôme Gautié). La médiation des missions locales doit permettre de multiplier les rencontres, et donc les opportunités d’embauches, d’influer sur les pratiques de recrutement et de sécuriser la relation de travail avec les jeunes. Une autre caractéristique de la Garantie jeunes est de reposer sur la mobilisation de partenaires locaux (du repérage des jeunes éligibles à leur accompagnement pendant et à la sortie du dispositif).

12 Concrètement, entre 16 et 18 ans, tout jeune qui n’est pas en études doit se voir proposer :

  • soit une entrée dans un parcours scolaire ou en apprentissage ;
  • soit un emploi, un service civique, un parcours d’accompagnement ou d’insertion sociale et professionnelle (comme la Garantie jeunes).

14 La mesure est entrée en application à la rentrée 2020 pour la classe d’âge née en 2004 et qui a eu 16 ans en 2020. Les missions locales sont chargées d’assurer le respect de cette obligation de formation. Elles invitent ces jeunes à se présenter, voire les convoque, et devront leur trouver une solution de formation adaptée. Cette obligation de formation cible 60 000 jeunes âgés de 16 à 18 ans.

15 Le service civique peut également être évoqué. Créé en 2010 à l’initiative de Martin Hirsch qui était alors haut-commissaire à la Jeunesse, le service civique est un engagement volontaire d’une durée de 6 à 12 mois, en France ou à l’étranger, qui peut être effectué auprès d’associations, de collectivités territoriales (mairies, départements ou régions) ou d’établissements publics (musées, collèges, lycées…), pour une mission d’au moins 24 h par semaine.

16 Les E2C, lancées en 1997, constituent un parcours de formation assorti d'un accompagnement individualisé à destination de jeunes « décrocheurs ». L’objectif est de proposer un programme intensif s’appuyant sur une reprise de formation initiale et sur une formation professionnelle en alternance, le tout complété par un accompagnement individualisé régulier.

17 Enfin, les EPIDE ajoutent une dimension assez proche de celle du SMV par l’inscription des jeunes dans un cadre d’inspiration militaire, du moins dans la première phase de déploiement du dispositif. Concrètement, les jeunes sont accueillis dans des internats et accompagnés par des encadrants militaires ou civiles. Le SMV s’inscrit dans ces nombreuses initiatives publiques visant à favoriser l’employabilité des jeunes connaissant des difficultés d’insertion.

2. Le positionnement original du service militaire volontaire

18 Le SMV a plusieurs originalités vis-à-vis de l’offre de droit commun de programmes de formation et d’accompagnement, parmi laquelle on peut intégrer le service civique, la Garantie jeunes, l'EC2 et l’EPIDE. Il touche un public plus restreint, est particulièrement intensif, tout en offrant une rémunération faible aux bénéficiaires, mais semble être particulièrement efficace en termes d’accès à l’emploi.

2.1. Une différence de taille

19 Il y a tout d’abord une différence de taille dans tous ces programmes. Même s’il a connu une montée en puissance rapide depuis 2015, où 300 jeunes seulement étaient accompagnés et formés, le SMV reste un programme de petite taille, avec un objectif de 1 200 jeunes par an en 2020, répartis dans les six régiments et centres du SMV. La couverture territoriale est partielle, avec plusieurs grandes régions dépourvues de centres.

20 L’accompagnement par la Garantie jeunes mobilise quant à lui l’ensemble des 440 missions locales et concernait, avant la crise sanitaire et le plan « un jeune une solution », environ 100 000 jeunes par an. La Garantie jeunes a connu elle aussi une progression très soutenue depuis son expérimentation entre 2013 et 2017. En 2016, elle concernait environ 50 000 jeunes, 76 000 en 2017, première année de sa généralisation, 90 000 en 2018 et 100 000 à partir de 2019. Selon le chiffrage de la Dares, entre octobre 2013 et juillet 2018, 229 000 jeunes ont intégré la Garantie jeunes (Dares, 2019).

21 Plus de 140 000 jeunes ont fait un service civique en 2018, contre 123 000 en 2017 et 92 000 en 2016. Depuis sa création en 2010, le service civique a attiré plus de 370 000 volontaires, qui s’engagent pour une période de six à douze mois, en France et à l’étranger.

22 Le réseau des E2C accompagne quant à lui 15 000 jeunes chaque année. Il fédère 130 établissements dans 12 Régions et 62 départements, dont cinq ultrapériphériques. La ministre du Travail a confirmé que 6 000 jeunes supplémentaires devraient être accueillis dans le réseau d’ici 2022, soit 1 500 jeunes de plus chaque année (+ 10 %), sur la base d’un financement dans le cadre du Plan d’Investissement dans les Compétences (PIC).

23 L’accompagnement par l’EPIDE existe depuis 2005 et est déployé dans 19 centres en France métropolitaine. Depuis sa création, l’EPIDE a accompagné environ 30 000 jeunes, pour une durée moyenne de 10 mois. Environ 3 500 jeunes en bénéficient chaque année.

24 La petite taille du programme du SMV relativement à l’offre alternative est évidemment un facteur qui pèse négativement sur la notoriété et l’attractivité du dispositif. La différence de taille, du seul point de vue des effectifs de jeunes accompagnés, est de 1 à 100 avec la garantie jeunes et de 1 à 150 avec le service civique.

2.2. Les programmes les plus intensifs sont les moins rémunérateurs…

25 Ensuite, le SMV est sans doute, avec l’EPIDE, l’un des programmes les plus intensifs, du point de vue de l’engagement des jeunes, du régime d’internat ou de la rigueur des règles collectives. Le SMV est le seul programme de formation de droit commun qui soit entièrement géré par l’armée, dans une logique interarmées. La militarité [2] est donc une dimension centrale de ce programme qui le distingue de tous les autres programmes et ajoute à son intensité (avec la pratique intensive du sport). Certes, l’accompagnement est réel dans le cadre de la Garantie jeunes, mais il est en partie individualisé. Le service civique, qui n’est pas ciblé sur les jeunes les plus éloignés de l’emploi, correspond plutôt au régime du mi-temps et est moins intensif.

26 Enfin, le SMV n’est pas le programme le plus rémunérateur pour les jeunes qui y participent. Le volontaire est pris en charge pendant toute la durée du SMV (logement, nourriture, habillement) et reçoit une solde de 313 € nets par mois. La situation est comparable à celle de l’EPIDE où les jeunes qui bénéficient d’un contrat de volontariat pour l’insertion (CVS en EPIDE) perçoivent une aide d’un montant maximal de 300 € mensuels, avec une restauration et un hébergement gratuits. C’est le cas aussi pour les jeunes qui intègrent une E2C. Ils ont un statut de stagiaire de la formation professionnelle et perçoivent une rémunération moyenne de 300 € par mois, financée par la Région (montant variable selon la situation du jeune et incluant la protection sociale).

27 En revanche, le montant maximum de l’allocation perçue dans le cadre de la Garantie jeunes s'élève à 497 € par mois depuis le 1er avril 2020. Il s’agit là d’une allocation sous condition de ressources qui a un caractère différentiel, comme le RSA (revenu de solidarité active). Dans le cas du service civique, l’aide maximale est de 577 € avec un engagement d’au moins 24 heures par semaine (au maximum 48 heures et en moyenne 28 heures).

28 Cette aide monétaire fournie aux jeunes est d’une durée plus courte avec le SMV, théoriquement de six à douze mois, mais en pratique, elle est le plus souvent versée pendant huit mois. La Garantie jeunes a une durée de douze mois renouvelable une fois pour une période de six mois. Le service civique dure six à douze mois.

29 Du point de vue du jeune, le SMV et les autres dispositifs les plus intensifs comme l’EPIDE et, dans une moindre, l’E2C, paraissent moins attractifs que la Garantie jeunes ou le service civique. Ces derniers offrent une aide financière plus élevée pour une durée plus longue.

30 Au total, la concurrence est inégale entre les différents dispositifs. Les programmes de plus petite taille, qui sont les moins connus, sont aussi les plus intensifs. Ils nécessitent par conséquent le plus d’efforts de la part des jeunes qui y participent. Mais ils offrent une rémunération apparente d’un montant plus faible. Un arbitrage rapide peut conduire à privilégier les formules à la fois les moins intensives et les plus rémunératrices, au détriment du recrutement du SMV.

2.3. … mais ils augmentent fortement les chances d’accéder à l’emploi

31 Un travail approfondi d’évaluation d’impact a accompagné l’expérimentation du SMV (Anne et al., 2020). À l’aide d’une méthodologie quasi-expérimentale consistant à comparer par doubles différences les trajectoires d’insertion des jeunes incorporés et des jeunes volontaires non incorporés, nous avons mis en évidence un impact de 30 points du programme sur les taux d’emploi des jeunes bénéficiaires à la sortie du dispositif et de 25 points six mois plus tard. Cet effet est plus de trois fois plus élevé que celui de la Garantie jeunes à un horizon comparable (+ 7,1 points 16,5 mois après l’entrée des jeunes dans le dispositif, selon le rapport d’évaluation de la Dares, 2018).

32 Les résultats de l’évaluation du service militaire volontaire dans sa phase expérimentale apportent du crédit aux rapports institutionnels qui plaident pour une plus grande concentration des moyens budgétaires sur les dispositifs les plus intensifs. De nombreux rapports publics ont d’ores et déjà souligné l’excessive variété des programmes en faveur de l’insertion des jeunes et leur grande complexité institutionnelle (Cour des comptes, 2016 ; France Stratégie et Dares, 2017). En particulier, dans son rapport de 2016 sur l’accès des jeunes à l’emploi, la Cour des comptes mettait en cause le ciblage insuffisant des contrats aidés, la faible intensité des mesures d’accompagnement et leur différenciation insuffisante au regard de la diversité des besoins des jeunes, ainsi que le trop faible contenu en formation de ces dispositifs. Elle plaidait pour un redéploiement des contrats aidés vers les dispositifs d’accompagnement et de formation les plus intensifs, comme la Garantie jeunes ou les E2C et l’alternance.

33 Or, le SMV est sans doute, avec l’EPIDE, l’un des dispositifs de formation et d’accompagnement les plus exigeants. Le programme est long, d’une durée le plus souvent comprise entre six et huit mois, pouvant aller jusqu’à douze mois. Les jeunes ont la qualité de stagiaires de la formation professionnelle. Ils sont soumis au régime de l’internat et résident dans des centres dédiés au sein d’enceintes militaires. Ils portent des tenues militaires et sont tenus de respecter une discipline stricte.

34 Encadré par des militaires, l’accompagnement consiste à développer la formation civique et citoyenne (tenue, ponctualité, respect des règles de vie en collectivité…), combinée à une remise à niveau scolaire (lire-écrire-compter), à un entraînement physique et une formation militaire initiale (à l’exclusion de toute manipulation d’armement). Les deux premiers mois du SMV sont consacrés à cette formation militaire initiale pendant laquelle les jeunes apprennent notamment à marcher au pas, à s’orienter en milieu naturel, à saluer et reconnaître les gradés. Cette formation se conclue par une cérémonie de « remise de calot », marquant symboliquement l’intégration des volontaires dans leur environnement militaire. Les jeunes sont regroupés en sections, selon leur future spécialisation professionnelle, et les chefs de sections sont des militaires engagés, tandis que les cours de remise à niveau sont dispensés par des civils en lien avec l’Éducation nationale.

35 Par la suite, les jeunes reçoivent une formation professionnelle élémentaire dans le cadre d’enseignements de base. Les formations professionnelles ciblent un petit nombre de métiers localement en tension (agents multi-techniques des métiers du bâtiment, agents de prévention et de sécurité, agents d’entretien d’espaces verts, serveurs, cuisiniers de la restauration, aide à la personne, etc.) et s’appuient sur des partenariats avec des entreprises de la région. Les jeunes connaissent ensuite une immersion professionnelle selon leur spécialité, avec un opérateur externe de formation professionnelle ou dans des chantiers internes. Ils peuvent aussi participer à des missions d’intérêt public, éventuellement qualifiantes. Ils sont considérés comme des militaires d’active et sont soumis au statut général des militaires.

2.4 Une faible sélection des jeunes

36 Pour compléter ce panorama des spécificités du SMV, il est utile de fournir des informations complémentaires sur les relais d’information et sur l’intensité de la sélection à l’entrée du dispositif.

37 Tout d’abord, notons que la hiérarchie des sources d’information est inversée pour le SMV relativement à la Garantie jeunes. Alors que les deux tiers des jeunes en Garantie jeune ont été informés de l’existence du dispositif par leur conseiller en mission locale, les professionnels de l’insertion ne sont des sources d’information que pour un jeune sur quatre dans le cas du SMV, dont le premier relais d’information est celui de la famille et des amis. Le SMV ne bénéficie pas de campagnes nationales d’information [3] et les jeunes ont appris son existence essentiellement par des sources locales. Nos interlocuteurs au sein du SMV mettent en avant l’efficacité d’actions de communication très proches du terrain, comme les affichages en mairie, la distribution de flyers dans les zones urbaines, la présence et la représentation du SMV lors d’évènements sportifs, la distribution de dépliants en boîte aux lettres, le flocage des véhicules aux couleurs du SMV, les films publicitaires dans des cinémas de proximité, les encarts dans la presse locale, payante ou gratuite, les partenariats avec des équipes sportives.

38 En outre, après avoir bénéficié d’une forte attractivité lors des premières années d’expérimentation, en 2015 et 2016, le SMV a été confronté à des difficultés croissantes de recrutement, en particulier pour les centres d’Île-de-France et du Grand Est. Il en a résulté une faible sélection des jeunes candidats au SMV. Certes, certains jeunes volontaires ne sont pas admis à cause des résultats de la visite médicale de sélection, du test d’illettrisme, ou encore suite aux résultats de l’entretien d’orientation (lorsque sont constatés des troubles du comportement ou une mauvaise adéquation avec la filière choisie). Mais au total, l’attrition n’est que d’environ 20 %. Elle correspond principalement à trois types de causes : l’inaptitude à la vie militaire ; des convenances personnelles ; des raisons médicales. Par la suite, le volontaire est en contrat définitif et l’attrition devient marginale.

39 Ces éléments sur les sources d’information et sur l’intensité de la sélection vont nous être utiles pour interpréter les résultats de nos observations. Sur toute notre période d’observation, entre 2017 et 2020, le mode de communication de proximité est demeuré une constante dans les centres SMV et il en a été de même pour la faible sélection des candidats.

3. Le dispositif d’enquête DESTINIE

40 Cet article exploite l’ensemble des vagues d’enquêtes réalisées de 2016 à 2020 avec le Dispositif d’enquêtes DESTINIE, qui est un système d’enquêtes répétées. Une première enquête est effectuée à l’entrée dans le programme, dans les trois mois qui suivent l’incorporation des jeunes. La passation effective des questionnaires a lieu dans les centres SMV en salle informatique. Les jeunes sont interrogés par section (soit des groupes de 10 à 25 jeunes) sur une durée de 10 à 30 minutes environ. Une deuxième enquête a lieu dans les trois mois qui suivent la sortie du dispositif et une troisième enquête six mois plus tard. Le dispositif est répété pour chaque cohorte de jeunes depuis 2016.

41 Ce système d’enquêtes renseigne les caractéristiques socio-démographiques des jeunes, leur parcours d’emploi et de formation avant l’entrée en SMV, leur situation de logement, leur capacité de mobilité et d’autres indicateurs d’insertion économique et sociale. Une des originalités du dispositif étant sa « militarité », des questions sur les valeurs et le civisme ont été intégrées. On administre également des questions permettant de mesurer l’estime de soi en utilisant l’échelle dite de Rosenberg (1965), la plus utilisée en psychologie. Les questionnaires sont posés en même temps et dans les mêmes termes à des jeunes non incorporés, qui étaient volontaires pour intégrer le dispositif, mais qui ne l’ont pas été. Ces jeunes non incorporés ont constitué le groupe témoin de l’évaluation d’impact (Anne et al., 2020).

42 Depuis 2017, nous avons suivi trois cohortes de jeunes passés par la SMV, soit au total un peu plus de 1 200 jeunes. La dernière cohorte étudiée dans cet article comportait 300 jeunes. Pour cette dernière cohorte, seuls les jeunes ayant intégré le SMV ont été interrogés, l’objectif étant d’observer d’éventuelles modifications dans les caractéristiques de ces jeunes à la suite de la pérennisation du dispositif et à l’élargissement du nombre de centres. Nous couvrons les entrées en SMV entre décembre 2019 et février 2020, soit 300 jeunes incorporés dans cinq centres SMV (Montigny-lès-Metz, Brétigny-sur-Orge, La Rochelle, Châlons-en-Champagne et Ambérieu-en-Bugey [4]). Ces centres sont de taille variable et il en va de même pour les cohortes incorporées, ce qui se retrouve dans la répartition des jeunes enquêtés : le premier régiment de Montigny-lès-Metz représente ainsi la moitié des questionnaires remplis. Ces différences de pondération sont relativement constantes au cours du temps.

43 Nous nous intéressons particulièrement aux différences entre les deux premières cohortes, d’un côté, et la troisième, de l’autre. Ces différences correspondent à la situation du SMV en phase expérimentale, puis en phase post-expérimentale.

4. Stabilité de la structure par sexe et âge

44 Nous commençons cette exploitation en étudiant les variables socio-démographiques. S’agissant de la structure par sexe, tout d’abord, on constate une sur-représentation des garçons, qui forment 79,8 % des effectifs en 2017-2018, 73,8 % en 2018-2019, et 72,4 % en 2019-2020. Majoritaires, les garçons représentent environ les trois quarts des effectifs incorporés. Cette proportion était assez proche dans les différentes enquêtes, avec une légère tendance à la baisse.

45 Quant à la structure par âge des jeunes volontaires, elle est aussi assez stable entre les différentes cohortes. On constate néanmoins une plus forte proportion de jeunes tout justes majeurs (et donc éligibles au dispositif) dans la dernière enquête. L’âge moyen des incorporés, au moment de l’incorporation, est de 20,1 ans en 2017 et en 2018, et il est de 19,7 dans la troisième enquête à l’entrée de 2019-2020.

46 S’agissant du niveau de diplôme, on observe davantage d’écarts entre les différentes cohortes suivies depuis 2017. Dans les deux premières, les non-diplômés constituaient la classe modale et les proportions de jeunes diminuaient avec le niveau de diplôme. Les jeunes de niveau bac et plus étaient minoritaires. Dans la cohorte de 2019-2020, le profil des parts de jeunes n’est plus régulièrement décroissant avec le niveau de diplôme. Il s’agit plutôt d’un profil de courbe en cloche qui est globalement plus horizontal (graphique 1). La part de jeunes sans aucun diplôme a nettement diminué, de plus de 10 points, tandis que la proportion de bac et plus a fortement augmenté. Au total, les très peu diplômés (au plus CEP, CFG [5] ou Brevet des collèges) représentent désormais 50 % des volontaires, contre 60 % pour les vagues 2 et 3, qui comptaient un tiers de jeunes sans aucun diplôme. Le nombre de diplômés est supérieur, tant pour les diplômes techniques inférieurs au baccalauréat (CAP et BEP [6] essentiellement) que pour le baccalauréat et au-delà.

Graphique 1. Répartition des volontaires par niveau de diplôme

Figure 0

Graphique 1. Répartition des volontaires par niveau de diplôme

Source : TEPP-CNRS, Destinie.

47 Globalement, les différences entre cohortes sont donc très limitées. Malgré les changements dans le contenu du SMV, dans son organisation, dans son cadre juridique et malgré l’ouverture de nouveaux centres, on constate au fil du temps une stabilité assez remarquable de la structure par âge, par sexe et, dans une moindre mesure, par niveau de diplôme des flux de jeunes incorporés.

5. Proximité des situations d’emploi avant l’incorporation

48 Une autre dimension importante du profil des jeunes incorporés concerne leurs situations vis-à-vis de l’emploi. Le public cible du dispositif est celui des jeunes en difficulté d’insertion. On peut vérifier l’adéquation des caractéristiques du public à cet objectif et son évolution dans le temps. De fait, les volontaires stagiaires sont, pour plus des deux tiers, en situation d’inactivité ou en recherche d’emploi avant leur entrée au SMV. Il s’agit bien de NEETs. Près d’un tiers était néanmoins dans une autre situation : 17 % déclaraient occuper un emploi le mois précédent leur incorporation, 7 % en formation et autant en études. Ces proportions sont relativement constantes dans les différentes cohortes. On note une incertitude dans le choix des réponses entre « sans emploi inactif » et « sans emploi en recherche d’emploi », visible dans l’écart entre la 1ère vague et les suivantes. La prudence conseille de regrouper les deux catégories pour repérer les NEETs qui constituent la cible explicite du SMV.

49 Un élément significatif du point de vue de la proximité des situations d’emplois réside dans la nature de l’emploi occupé. Lorsque les jeunes occupaient un emploi avant leur incorporation, c’était majoritairement un contrat court, à temps partiel et ne correspondant pas à leurs attentes en termes de temps de travail (graphique 2). Le point remarquable est que, sur tous ces aspects, on ne relève pas de différences nettes entre chaque vague annuelle d’incorporation.

Graphique 2. Caractéristiques de l’emploi pour les jeunes en emploi

Figure 1

Graphique 2. Caractéristiques de l’emploi pour les jeunes en emploi

Source : TEPP-CNRS, Destinie.

50 De même, s’agissant du comportement de recherche d’emploi, le constat prévaut d’une stabilité dans le temps des spécificités des caractéristiques des jeunes incorporés. D’une cohorte à l’autre, environ la moitié des jeunes a recherché un emploi en contactant une agence, une association ou un forum des métiers (Pôle emploi, mission locale, agence d’intérim...). Plus d’un quart a répondu à une offre d’emploi, envoyé une candidature spontanée, déposé une annonce, contacté des amis ou de la famille.

6. Prégnance des problèmes de mobilité

51 En 2019-2020, quand on les interroge sur les obstacles qu’ils rencontrent pour trouver un emploi (graphique 3), les jeunes volontaires mettent très largement en avant les problèmes de mobilité (58 % des jeunes le citent), loin devant le manque d’offres d’emploi dans leur secteur ou leur région (29 %). Si on les additionne, les items liés aux difficultés personnelles et à l’accompagnement touchent plus de la moitié des jeunes (sachant qu’ils avaient la possibilité de citer autant d’items qu’ils le souhaitaient ; les pourcentages ayant été recalculés pour chaque item sur le nombre total de volontaires). Ici encore, nous constatons que les difficultés sont globalement comparables quelle que soit la cohorte observée. On observe simplement qu’au sein de la dernière promotion de volontaires, la proportion de jeunes qui n’affichent aucune difficulté est plus forte. On note également qu’ils évoquent un peu moins fréquemment des problèmes de mobilité, bien que ce motif reste, de loin, le premier motif annoncé, avec deux jeunes sur trois qui l'évoquent.

Graphique 3. Difficultés ressenties pour trouver un emploi

Figure 2

Graphique 3. Difficultés ressenties pour trouver un emploi

Source : TEPP-CNRS, Destinie.

52 Une spécificité du SMV est de permettre aux jeunes volontaires de préparer et de passer le permis de conduire, avec des taux de réussite extrêmement élevés. L’évaluation « toutes choses égales par ailleurs », que nous avons menée en comparant les jeunes volontaires et ceux n’ayant pas intégré le SMV, a permis de montrer un effet massif sur l’obtention du permis de conduire : être passé par le SMV permettait d’augmenter de plus de 50 points de pourcentage la probabilité d’avoir le permis de conduire (Anne et al., 2020).

53 Pour mesurer l’importance de l’écart, on peut comparer avec une autre mesure visant à aider des jeunes à obtenir le permis de conduire : l’expérience « 10 000 permis pour réussir », lancée en 2009 par le Fonds d’Expérimentation pour la Jeunesse et qui a fait l’objet d’une évaluation expérimentale (Le Gallo et al. 2017). Dans ce cas, les jeunes recevaient à la fois une aide financière (1 000 €, soit les deux tiers du coût moyen) et une offre d’accompagnement. L’effet mesuré était positif, mais nettement moins puissant que celui du SMV : + 12 points de pourcentage à 12 mois et + 15 points à 24 mois. En un temps plus réduit, le SMV s’avère beaucoup plus efficace, ce qui renvoie sans doute à l’intensité de la préparation ainsi qu’à la capacité qu’ont les centres à faire passer eux-mêmes l’examen du Brevet militaire de conduite (transformé en permis de conduire civil à l’issue de la formation).

7. Le permis de conduire, première motivation des jeunes volontaires

54 Or, non seulement les jeunes volontaires sont très nombreux à citer la mobilité comme premier obstacle dans l’accès à l’emploi, mais ils mettent en avant le permis de conduire comme première motivation à leur candidature, à égalité avec le fait d’acquérir une formation et légèrement devant la vie militaire : il s’agit du premier motif « très important » avec 61 % et du second quasi ex aequo avec le fait d’être formé sur un métier, pour l’ensemble « important » et « très important » (86 % contre 88 %). Seuls 7 % des jeunes indiquent que ce motif n’est pas important… et il s’agit, pour plus des trois quarts, de personnes qui possédaient déjà le permis (A ou B) avant d’intégrer le SMV.

55 La dimension militaire reste cependant essentielle dans l’engagement au sein du SMV : seulement 16 % des jeunes considèrent que cette dimension n’est pas importante. La « militarité » est également une caractéristique forte du SMV qui peut constituer un élément d’attractivité ou de rejet pour les jeunes qui constituent la cible de ce programme et qui explique peut-être en partie la faible proportion de jeunes filles parmi les volontaires.

56 Les difficultés de mobilité peuvent recouvrir plusieurs dimensions. D’ailleurs, les acteurs associatifs qui interviennent auprès des jeunes pour favoriser leur autonomie de déplacement proposent une large variété d’actions (Anne et al.,op. cit.). Il ne s’agit pas uniquement d’aider au passage du permis de conduire, de lever des obstacles matériels dans l’accès à la mobilité ou de sensibiliser aux dangers de la route. Il s’agit aussi de lever les multiples obstacles immatériels à la mobilité qui peuvent être cognitifs ou non. Les jeunes peuvent ne pas connaître l’existence de territoires et d’opportunités éloignés de leur domicile et/ou l’existence de moyens de transport permettant de s’y rendre. L’accompagnement par les acteurs associatifs consiste alors à apporter des ressources permettant d’améliorer la connaissance des possibilités de mobilité. Il s’agit de compenser le déficit de connaissances et/ou de compétences qui fait obstacle à la mobilité au niveau individuel, si l’on suit les travaux des sociologues experts de la mobilité (Le Breton, 2005 ; Orfeuil et Ripoll, 2015).

57 C’est pour estimer l’importance de ces difficultés spécifiques chez les jeunes volontaires du SMV que l’enquête a intégré un ensemble de questions sur les difficultés de mobilité ressenties par ces jeunes. Dans leur cas, ces obstacles immatériels ne semblent pas en question. Les jeunes déclarent ne pas éprouver de difficultés pour se déplacer en ville, que ce soit à bicyclette ou en transports collectifs. Ils se sentent à l’aise pour se repérer sur un plan papier, pour plus de la moitié d’entre eux (graphique 4). Sur tous ces aspects, on ne décèle guère de différence entre les cohortes de jeunes incorporés.

Graphique 4. Difficultés liées à la mobilité des jeunes volontaires

Figure 3

Graphique 4. Difficultés liées à la mobilité des jeunes volontaires

Source : TEPP-CNRS, Destinie.

58 De même, ces jeunes se déclarent confiants dans leur capacité de mobilité résidentielle. Pour trouver un emploi, ils sont massivement prêts à déménager, y compris pour une autre région, n’importe où en France et même à l’étranger. Sauf pour la mobilité internationale, plus de la moitié des jeunes interrogés se déclarent prêts à envisager une mobilité résidentielle. Cette aptitude est un élément supplémentaire qui ne varie pas entre les cohortes de jeunes incorporés.

8. Stabilité des systèmes d’attitude et des comportements

59 Comme le système d’enquête DESTINIE couvre une grande variété de questions, il permet de confirmer la proximité des différentes cohortes de jeunes entrées dans le dispositif depuis 2017 sur des variables assez inattendues, relevant davantage des représentations et des attitudes. C’est le cas par exemple de la distribution de l’état de santé auto-déclaré par les jeunes (graphique 5). Invités à se classer sur une échelle de 1 à 10 pour qualifier leur état de santé, les jeunes se positionnent selon des distributions très proches chaque année d’incorporation, avec une moyenne de 8,4 en 2017-2018, contre 8,2 en 2019-2020. La distribution de l’estime de soi, mesurée par l’échelle dite de Rosenberg, est, elle aussi, très stable selon les cohortes, avec une majorité de jeunes positionnés autour d’une estime de soi moyenne ou faible et une minorité avec une estime de soi forte [7]. Enfin, on peut signaler les fortes ressemblances dans les déclarations des jeunes relatives à leur consommation d’alcool et de cannabis. Ceci confirme que les caractéristiques des jeunes au fil des cohortes sont assez proches dans des domaines a priori indépendants de la motivation à s’inscrire dans le SMV. Cela suggère une certaine proximité de comportements et de valeurs des jeunes incorporés au sein du service militaire volontaire.

Graphique 5a. État de santé

Figure 4

Graphique 5a. État de santé

Source : TEPP-CNRS, Destinie.

Graphique 5b. Estime de soi

Figure 5

Graphique 5b. Estime de soi

Source : TEPP-CNRS, Destinie

Graphique 5c. Consommation d’alcool et de stupéfiants

Figure 6

Graphique 5c. Consommation d’alcool et de stupéfiants

Source : TEPP-CNRS, Destinie

Conclusion

60 Le service militaire volontaire est sans doute l’un des dispositifs d’accompagnement et de formation des jeunes les plus intensifs existant aujourd’hui en France. D’une durée moyenne de huit mois, la formation est encadrée par l’armée et se déroule sous le régime de l’internat dans les six centres territoriaux qui sont opérationnels depuis 2017. Chaque année depuis 2019, plus de 1 000 jeunes sont formés à des métiers localement en tension.

61 Les jeunes en difficultés d’insertion qui rejoignent le service militaire volontaire ont des caractéristiques spécifiques qui demeurent remarquablement inchangées au fil des années et des cohortes d’incorporation, sans sembler être affectées ni par l’ouverture de nouveaux centres, ni par la pérennisation du dispositif en 2019. Ces jeunes sans diplômes âgés d’une vingtaine d’années sont pour les trois quarts des garçons. Ils sont en situation d’inactivité, éloignés à la fois de l’emploi et des systèmes de formation.

62 Le premier obstacle qu’ils évoquent dans leur insertion professionnelle réside dans leur difficulté de mobilité spatiale. Pourtant, ils sont confiants dans leur aptitude à la mobilité, à la fois pour des déplacements quotidiens à l’aide des moyens de transports en commun ou dans leur capacité à déménager pour se rapprocher d’un emploi. Mais ils butent sur l’accès au permis de conduire, ressenti comme le principal obstacle dans l’accès à l’emploi.

63 Certes, la dimension militaire de l’engagement est elle aussi considérée comme très importante par les jeunes, mais il ne s’agit pas ici d’un aspect surprenant s’agissant d’un service militaire volontaire. L’ampleur des difficultés de mobilité ressenties par les jeunes et l’importance accordée à la réussite du permis de conduire sont des éléments moins attendus qui constituent pourtant des invariants pour toutes les générations de jeunes ayant fait le choix d’intégrer ce programme.

64 Tous ces éléments ont un caractère persistant. D’une cohorte à une autre, les jeunes changent, mais leurs caractéristiques se reproduisent à l’identique. Cette permanence n’est pas liée à un effet uniformisant du programme, puisque les enquêtes que nous avons mobilisées sont toutes effectuées à l’entrée du programme. Elle n’est pas due non plus à un effet de sélection. Les jeunes volontaires sont en pratique assez peu sélectionnés par les centres. Elle renvoie selon nous à un effet d’auto-sélection. Les jeunes qui cumulent ces caractéristiques et qui cherchent à la fois une solution à leur problème de mobilité, une formation et une rigueur militaire dans l’accompagnement s’auto-sélectionnent pour candidater au SMV. De fait, ce programme semble avoir trouvé son public. D’un autre côté, la militarité du programme risque de rebuter certains jeunes dans son public cible qui pourraient pourtant profiter des effets positifs du programme sur la mobilité et l’accès à l’emploi. Et ce d’autant plus que le SMV apparaît particulièrement efficace par rapport à d’autres programmes d’accompagnement des jeunes NEETs, spécialement pour l’obtention du permis de conduire qui reste un des principaux obstacles à l’insertion de ces jeunes.

Bibliographie

    • Anne D., Le Gallo J., L’Horty Y. (2020), « Faciliter la mobilité quotidienne des jeunes éloignés de l’emploi : une évaluation expérimentale », Revue d’Économie Politique, 2020, vol. 130, pp. 519-544.
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    • Guillon M.-S. et Crocq M.-A. (2004), « Estime de soi à l’adolescence : revue de la littérature », Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, vol. 52, pp. 30-36.
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    • Orfeuil J.-P., Ripoll F. (2015), Accès et mobilités, les nouvelles inégalités, Infolio éditions.
    • Rosenberg M. (1965), Society and the adolescent self-image, Princeton University Press.

Notes

  • [1]
    Neither in É‪ducation, Employment or Training ou Ni en emploi, ni en études, ni en formation.
  • [2]
    Hébergement en caserne, port de l’uniforme, discipline, salut au drapeau…
  • [3]
    Une exception est un reportage de M6, dans l’émission Zone interdite, intitulé « Volontaires du nouveau service militaire : l’année qui va changer leur vie », d’une durée d’une heure trente. Diffusé le 5 février 2017, ce reportage aurait provoqué un afflux important, mais ponctuel, de candidatures.
  • [4]
    Pour des raisons techniques et informatiques, il n’a pas été possible d’administrer les questionnaires dans le centre SMV de Brest.
  • [5]
    Respectivement Certificat d’études primaires et Certificat de formation générale.
  • [6]
    Respectivement Certificat d’aptitude professionnelle et Brevet d’études professionnelles.
  • [7]
    Le test de Rosenberg s’appuie sur dix questions relatives à l’opinion de l’individu sur lui-même. Chaque question est notée de 1 (plus bas score) à 4 (plus élevé). Le score minimal est donc de 10 et le maximum de 40. Les valeurs pour une estime de soi très faible, faible, moyenne, etc, sont celles habituellement choisies par les études de psychologie (voir par exemple Guillon et Crocq, 2004).
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