Notes
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[1]
Dans la profession l’unité de mesure est le TEU (twenty equivalent unit) ou équivalent vingt pieds (EVP), soit un conteneur de près de 6 m de long. Les conteneurs de 40 pieds correspondent donc à 2 EVP dans les statistiques portuaires. Les plus grands ports au monde – Shanghai, Hong Kong et Singapour – ont un trafic supérieur à 25 millions de TEU par an, soit un multiple de 100.
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[2]
L’auteur tient à remercier Jacques Charlier pour son aide dans la mise à jour des données portuaires en Afrique de l’Ouest.
-
[3]
Ce retour en Afrique de MSC est d’ailleurs un retour aux activités historiques du groupe. Le début de l’entreprise en 1970 est en effet lié à l’acquisition par Gianluigui Apponte, toujours directeur de l’entreprise, d’un premier navire dédié aux liaisons maritimes entre Naples et le continent africain.
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[4]
Cette fermeture de corridors liée aux crises politiques a une conséquence forte sur le coût du transport pour les chargeurs ouest-africains. Une étude menée par l’Agence Française de Développement en février 2003, portant sur les effets de la crise en Côte d’Ivoire sur la réorganisation du trafic de transit indiquait par exemple, pour un itinéraire Lomé-Bamako, un accroissement de 50% du tarif de transport par rapport au tarif de l’axe Abidjan-Bamako (unité tonne / CFA) et une augmentation de 103% du tarif pour un conteneur 20 pieds pour l’utilisation de l’axe terrestre Tema-Bobo Dioulasso en remplacement de l’axe ferroviaire ivoirien (AFD, 2003).
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[5]
L’Observatoire des Pratiques Anormales (OPA), mis en place sous l’égide de l’Union Économique et Monétaire ouest-africaine (UEMOA), permet de mesurer finement cette problématique. L’OPA constitue une plateforme de suivi des pratiques nuisibles à la fluidité du transport et du transit routier interétats dans la sous-région ouest-africaine, en vue de leur élimination. Ces travaux permettent de signaler la discontinuité forte introduite par les passages frontaliers s’ajoutant à d’autres barrages et alourdissant au final la facture transport pour le chargeur.
1Les deux portraits précédents consacrés aux hubs portuaires (Flux n?87, Flux n?88) ont permis de clarifier le rôle de quelques grands opérateurs dans la mise en place d’un réseau portuaire mondial. La conteneurisation, épine dorsale de la mondialisation (Frémont, 2007), se développe alors par le développement conjoint des stratégies des grandes compagnies de lignes régulières et des opérateurs de terminaux. Le premier portrait (Debrie, 2012a) a permis de mesurer ce processus de concentration aux mains de quelques armateurs (Maersk-Sealand, CMA-CGM, MSC...) et de quelques opérateurs de terminaux (Dubaï Ports, HPH, PSA...). Le second portrait (Frémont, 2012), consacré au plus important de ces acteurs de la mondialisation (le groupe AP Møller et sa filiale maritime Maersk-Sealand), a autorisé une identification précise des logiques de réseau associées (hub and spoke) et les modalités de diffusion progressive de la conteneurisation. Le présent portrait s’intéresse aux stratégies des opérateurs sur la façade ouest-africaine. Il s’agit de comprendre les modalités d’intégration d’un espace longtemps marginalisé dans ce réseau mondial. Étudier les marges de ce système permet alors de mesurer la diffusion progressive d’un système conteneurisé, aujourd’hui totalement généralisé.
2L’intégration progressive du continent africain dans ce système est récente. En 1992, seulement deux ports africains connaissaient un trafic supérieur à 250 000 conteneurs EVP [1] (Las Palmas et Durban). Ils sont aujourd’hui vingt-huit à dépasser ce volume de conteneurs en Afrique du Nord, du Sud, de l’Ouest et de l’Est (voir Carte) [2]. Certes, la catégorie des ports au volume supérieur à 1 million de conteneurs EVP montre une contribution plus secondaire du continent aux échanges mondiaux. Seulement sept ports rentrent dans cette catégorie, principalement en Afrique du Nord (Alexandrie, Damiette, Port Saïd, Tanger Med, Las Palmas) complétés des deux ports principaux d’Afrique du sud (Durban) et d’Afrique de l’Ouest (Lagos). Il reste que ces ports sont caractérisés par des taux de croissance élevés et l’émergence progressive de logiques de concentration portuaire. L’Afrique de l’Ouest témoigne (voir Tableau 1) de cette intégration progressive structurée autour des trois ports principaux de Lagos (Nigéria), Tema (Ghana), Abidjan (Côte d’Ivoire) et, plus secondairement, des ports de Dakar (Sénégal), Cotonou (Bénin) et Lomé (Togo). La dernière décennie est ainsi caractérisée par le passage d’une logique de conteneurisation faible, assurée port par port par des opérateurs maritimes utilisant des petits navires mixtes gréés (avec leur propre matériel de manutention), à une logique de diffusion de la conteneurisation autour de quelques ports maritimes équipés progressivement de terminaux traitant des navires conteneurisés de taille croissante.
Les trafics de conteneurs dans les ports africains (2012)
Les trafics de conteneurs dans les ports africains (2012)
Data :Containerisation InternationalLes principaux ports à conteneurs en Afrique de l’Ouest
Les principaux ports à conteneurs en Afrique de l’Ouest
Trafic supérieur à 250 000 EVP (Équivalent 20 pieds). Sources : autorités portuaires (2013) et Charlier (2013)3Cette diffusion, corollaire de la croissance forte de certaines économies ouest-africaines sur la période, se traduit par des stratégies d’opérateurs maritimes et portuaires spécifiques. Ces activités ont été initialement développées par le groupe Bolloré dans le cadre d’une stratégie d’acquisition et de création d’entreprises de transport et de logistique aujourd’hui regroupées dans la filiale Bolloré Africa Logistics. À ce réseau Bolloré s’est rapidement ajouté le développement des activités maritimes et portuaires du groupe AP Møller, en particulier des activités de sa filiale maritime Maesrk-Sealand et de sa filiale de manutention portuaire APMT. Enfin, de façon très récente, s’introduisent depuis quelques années des grands groupes mondiaux qui cherchent des points d’entrée sur le continent africain. L’arrivée à Dakar en 2007 de Dubaï Ports, troisième opérateur mondial de terminaux (49 terminaux exploités dans le monde), filiale de Dubaï World, société holding propriété des Émirats arabes unis, marque cet élargissement concurrentiel, tout comme celle, à Lomé en 2009, de l’armateur Mediterranean Shipping Compagny (MSC), deuxième armateur mondial de lignes régulières en termes de capacités (445 porte-conteneurs) [3]. Plus récemment encore, la participation de China Merchants (CM) – société couvrant trois secteurs (maritime, finance, immobilier) et appartenant majoritairement à l’État de la République populaire de Chine – aux activités portuaires à Lagos ou à Lomé des groupes Bolloré et MSC signale cet intérêt croissant des opérateurs asiatiques. Le projet d’envergure de développement de terminaux portuaires à Lekki au Nigéria porté par le groupe philippin International Container Terminal Services (ICSTSI), société de gestion portuaire en charge notamment de l’exploitation portuaire du Manille International Container Terminal, en partenariat avec l’opérateur singapourien Toleran, pourrait d’ailleurs compléter prochainement cet élargissement.
La stratégie Bolloré en Afrique : intégration verticale et diversification des investissements
4La question portuaire en Afrique de l’Ouest reste donc largement liée aux activités du groupe Bolloré. Dans un contexte de déréglementation (plans d’ajustement structurel et projets sectoriels des transports), les deux décennies 1980 et 1990 ont été marquées par un jeu d’acquisitions successives dans le secteur du transport, complété d’une extension interne dans les années 2000. Les activités du groupe composent un dispositif centré sur les ports. Ces activités s’étendent de la manutention sur les terminaux portuaires jusqu’à l’exploitation ferroviaire en passant par la gestion de terminaux intérieurs. Ce schéma, initié par le rachat des principales entreprises couvrant la relation logistique entre la France et l’Afrique, a été enrichi par l’obtention successive de concessions dans le cadre de la généralisation des partenariats publics-privés. L’implantation du groupe en Afrique de l’Ouest, à l’origine liée à l’acquisition de deux entreprises de tabac (Job et Bastos) revendues au début des années 2000, s’est rapidement centrée sur le secteur du transport et de la logistique. L’acquisition en 1986 de la Société Commerciale d’Affrètement et de Combustible (SCAC), société spécialisée dans le transit entre la France et le continent africain, celle de l’armateur Delmas en 1991, spécialisé sur les relations Europe-Afrique (revendu à la CMA-CGM en 2006), celle du groupe SAGA en 1997 (renommé SDV), spécialisé dans les services logistiques en Afrique de l’Ouest ou encore l’acquisition du transitaire Transintra, des filiales africaines AMI du groupe CMB ou de l’armement OTAL, spécialisé dans les lignes maritimes africaines en 1999, témoignent d’une introduction rapide. Elle autorise un dispositif d’offre intégrée porte-à-porte (transport, manutention, formalités administratives) sur différentes destinations à partir des ports. Plus que la description précise des activités du groupe, c’est bien ce mouvement d’intégration verticale, reposant sur une logique de hiérarchisation du réseau organisée autour de quelques axes de dessertes portuaires, qu’il s’agit de signaler. Les concessions portuaires (Abidjan, Tema, Lagos, Lomé…), les concessions ferroviaires (concession SITARAIL sur l’axe Abidjan-Ouagadougou obtenue en 1995, concession CAMRAIL à partir du port de Douala obtenue au Cameroun en 1999), l’exploitation de terminaux intérieurs (Bamako, Ouagadougou, Sikasso…) constituent ainsi l’architecture d’un réseau portuaire intégré ouest-africain.
5Ce dispositif s’est considérablement développé ces dix dernières années. Le développement de la conteneurisation en Afrique de l’Ouest suit une trajectoire similaire aux autres façades portuaires, trajectoire basée sur la générali sation d’un modèle « landlord port » dans la terminologie de la Banque Mondiale, ou modèle concessif, dessinant une organisation portuaire publique (régulation, propriété des infrastructures, aménagement) et privée (financement et exploitation des terminaux) nouvelle. La diffusion de ce modèle implique des ouvertures à la concurrence nombreuses sur la période récente pour l’exploitation de ces terminaux. Dans ce cadre concurrentiel, le groupe Bolloré maintient une position centrale en obtenant les concessions des terminaux à conteneurs dans plusieurs villes (voir Tableau 2) : Conakry (2011, concession de 25 ans, concession initialement octroyée au groupe GETMA-Necotrans), Freetown (2011, concession de 25 ans), Cotonou (2007, concession de 25 ans), Lagos (terminal de Tican, 2006, concession de 20 ans) ou encore Doula (2004, concession de 25 ans). Les résultats récents (2013) de l’appel d’offres pour la concession du nouveau terminal d’Abidjan (TC2) donnant la concession portuaire à un consortium composé de Bolloré, APM Terminal et Bouygues, témoignent du développement des terminaux à conteneurs et d’un élargissement d’une concurrence nouvelle sur les façades portuaires ouest-africaines.
La généralisation des concessions de terminaux portuaires en Afrique de l’Ouest (2004-2013)
La généralisation des concessions de terminaux portuaires en Afrique de l’Ouest (2004-2013)
6La création de la marque Bolloré Africa Logistics, en 2008, a permis de fédérer l’ensemble des activités du groupe en Afrique. Elle témoigne de l’importance d’un dispositif initié au milieu des années 1980, regroupant en 2014 près de 250 filiales présentes dans 45 pays africains. La marque a généré un chiffre d’affaires de 2,7 milliards d’euros en 2013. Le groupe a investi en 2013 près de 300 millions d’euros en infrastructures principalement portuaires sur les douze terminaux exploités dans les ports d’Abidjan, de Lagos, de Conakry, de Lomé, de Tema, de Bangui, de Douala, de Freetown, de Libreville, de Pointe-Noire et de Moroni. À ces ports maritimes s’ajoute le développe ment de « ports secs », entrepôts clos et sécurisés parfois sous douane. Ce développement de terminaux intérieurs (23 ports secs exploités par Bolloré Africa Logistics) s’inscrit donc dans une stratégie d’intégration verticale basée sur une diversification des investissements sur la chaîne de transport portuaire (terminaux maritimes, terminaux intérieurs, lignes ferroviaires, transport routier, activités de transit). La revente de l’armateur Delmas à la CMA-CGM en 2006 signale une réorientation stratégique récente sur le volet portuaire et terrestre du transport de conteneurs et un retrait du segment maritime. Elle correspond à la prise de conscience d’une concurrence des grands opérateurs de lignes régulières qui progressivement intègrent des ports africains dans leur réseau maritime mondial. Ce retrait de l’activité maritime, juste avant la crise de 2007, aux conséquences lourdes sur l’industrie de transport maritime (surcapacité de la flotte mondiale, effondrement des taux de fret maritimes), s’est avéré largement gagnant dans un secteur où l’activité de manutention portuaire est restée rentable dans un contexte de croissance des économies ouest-africaines. 3 650 000 conteneurs ont ainsi été manutentionnés par le groupe en 2012 sur l’ensemble de l’Afrique. Au-delà de la diversification en cours des activités de Bolloré (communications, publicités, véhicules électriques), l’activité transport et logistique est toujours largement majoritaire dans les bénéfices du groupe.
La façade portuaire ouest-africaine : nouveau terrain concurrentiel ?
7Le développement d’une concurrence nouvelle entre grands opérateurs sur la façade portuaire ouest-africaine est largement commenté dans la presse spécialisée au gré des résultats d’appels d’offres souvent contestés (voir l’encadré). Cette concurrence est d’abord marquée par l’arrivée en Afrique de l’Ouest dans les années 1990 du premier armateur mondial de lignes régulières Maersk-Sealand. Présent dès 1986 pour la desserte maritime de Dakar, d’Abidjan et Lomé, le développement d’une stratégie d’intégration et donc d’investissement sur les terminaux portuaires et intérieurs est effectif après 1992. Cette date correspond à la condamnation sous juridiction européenne du groupe Bolloré pour non-respect des pratiques concurrentielles. Condamné pour abus de position dominante, le groupe français doit alors sortir du système dit du 40/40/20 mis en place sous le contrôle de la CNUCED – Conférence des Nations unies sur le Commerce et le Développement – (40% des flux pour les armements nationaux du pays exportateur, 40% pour ceux du pays importateur, 20% ouverts à la concurrence). La faiblesse ou l’absence des armements nationaux, conjuguées à la relation préférentielle économique encore effective au début des années 1990 entre une partie de l’Afrique de l’Ouest et la France, permettaient à l’armement Delmas (repris par Bolloré en 1991) de capter une partie majoritaire des trafics. La condamnation sous juridiction européenne de ce système marque le développement d’une concurrence nouvelle pour la desserte des côtes ouest-africaines.
8Progressivement, AP Møller intègre un dispositif similaire à celui de Bolloré, exploitant d’ailleurs parfois en joint-venture (Abidjan, Douala, Tema, Bamako) ou en concurrence les terminaux portuaires et intérieurs. Le groupe dessert la côte ouest-africaine en tant qu’armateur, opérateur de terminaux et intègre de façon croissante les segments terrestres. Premier armateur de lignes régulières et deuxième opérateur de terminaux portuaires dans le monde, le groupe AP Møller (110 000 salariés, chiffre d’affaires de 49 milliards de dollars en 2011) est donc au total présent sur le continent sur l’ensemble des activités : la ligne régulière (Maersk-Line), l’exploitation de terminaux portuaires (APM Terminal), la logistique et l’organisation du transit terrestre (DAMCO) ainsi que le transport d’énergie (Maersk-Oil). Les activités en Afrique représentent 10% du chiffre d’affaires du groupe. Le groupe exploite notamment neuf terminaux portuaires dans huit pays africains complétés d’un dispositif de 23 ports secs. L’annonce récente d’un projet de méga-port mixte (conteneurs, vracs, hydrocarbures) en eaux profondes sur la zone franche de Badagry au Nigéria, porté par le groupe AP Møller dans un consortium en association avec une filiale du groupe MSC, témoigne de cet intérêt croissant de l’opérateur pour la desserte des façades africaines.
9Dotés d’une stratégie d’intégration similaire, il reste que les deux groupes présentent une différence de profil évidente. Dans l’activité transport et logistique, la présence internationale de Bolloré est largement résumée à ces activités africaines sur les activités portuaires et terrestres, avec un retrait récent des activités maritimes (revente de Delmas). Le groupe AP Møller est quant à lui un opérateur maritime global (global carrier) qui intègre le segment africain dans son réseau mondial à partir de ces principaux hubs de transbordement sur le segment central Est/Ouest (Algesiras, Tanger Med, Tanjung Pelepas). Le lancement récent (mars 2013) d’un nouveau service assuré par des navires de 2500 EVP entre l’Afrique de l’Ouest (Lomé, Cotonou) et l’Asie à partir des hubs malaisiens de Maersk-Sealand (Port Kelang, Tanjung Pelepas) témoigne de cette logique d’insertion des ports africains dans le réseau maritime mondial et d’une ouverture croissance des façades ouest-africaines vers les façades asiatiques.
10Cette généralisation du modèle de concession portuaire a donc permis sur la période récente au groupe Bolloré et au groupe AP Møller de densifier leurs réseaux de terminaux portuaires en Afrique de l’Ouest. Sur la période 2005-2013, les nouvelles concessions portuaires pour l’exploitation des terminaux à Tema, à Lagos, à Pointe-Noire, à Abidjan ou à Conakry reviennent au groupe Bolloré ou/et à la filiale de manutention AP Møller Terminal (voir Tableau 2). L’octroi en 2013 du deuxième terminal à conteneurs d’Abidjan au consortium associant Bolloré/Bouygues/APMT en atteste. Il permet de signaler la consolidation progressive d’un système conteneurisé autorisé par la généralisa tion du modèle « landlord port ». La construction du quai (1100 m), du terre-plein (37,5 ha) et l’approfondissement du chenal sont alors financés par le Port Autonome d’Abidjan. Le consortium, pour un total de 400 millions d’euros, finance les équipements de manutention (6 portiques de quai et 15 portiques de parcs), les travaux de superstructure comprenant le dernier mètre du terre-plein et les systèmes d’informations. Ce partenariat public-privé basé sur un modèle de concession généralisé en Afrique atteste d’un modèle portuaire présent dans la plupart des grands ports à conteneurs dans le monde. Mais outre l’illustration d’un modèle dit du Landlord Port, l’exemple d’Abidjan illustre également un élargissement concurrentiel évident. L’appel d’offres pour la construction et l’exploitation de ce terminal a été le terrain d’une concurrence entre le groupe MSC (deuxième armateur mondial de lignes régulières), le groupe singapourien PSA (troisième opérateur mondial de terminaux) associé à Marsa Maroc et le Groupe CMA-CGM (troisième opérateur mondial de lignes régulières) associé à Necotrans.
11Plus globalement, l’arrivée récente sur la côte ouest-africaine de Dubaï Ports World (concession du terminal de Dakar et projet « Port du futur »), celle de l’armateur Mediterranean Shipping Compagny (concession d’un terminal à conteneurs à Lomé), voire les projets de développement de terminaux à Lekki au Nigéria (ICTSI) ou encore la présence de China Merchants Holding International au Nigéria (Lagos, en association avec Bolloré) ou Lomé (en association avec MSC) témoignent de cette donne portuaire plus concurrentielle. Certes, les ports africains présentent des profils différents dans l’organisation institutionnelle. Les travaux de Hartmann (2010) permettent ainsi de signaler une différence en fonction de la taille des ports (une gestion davantage publique pour les petits ports, une participation privée plus importante pour les grands ports nationaux) et une participation privée traditionnellement plus forte dans les pays anglophones que dans les pays francophones. Mais la période récente (2007-2013) se caractérise par la généralisation des concessions portuaires et donc une introduction dans presque tous les ports des opérateurs privés (ibid.). Le cas de Dubaï Ports, présent à Dakar, Maputo et Djibouti, en est l’exemple le plus frappant. Il illustre les modifications en cours de la desserte des façades africaines. Et cette intégration est aujourd’hui largement orientée vers l’Asie, même en Afrique de l’Ouest où les ports échangent désormais moins de conteneurs avec l’Europe qu’avec l’Asie (Chaponnière, 2010). Le développement des lignes maritimes accompagne alors cette évolution. Les armateurs chinois COSCO et China Shipping, l’armateur de Singapour Pacific International Lines, ont mis en place des lignes directes qui relient la côte ouest-africaine à l’Asie, complétant ainsi les lignes de Maersk-Sealand, de MSC et de la CMA-CGM. L’ouverture en 2011 d’une filiale Bolloré Africa Logistics China, en charge de développer des prestations logistiques Chine-Afrique, précise également cette nouvelle logique d’insertion des ports africains.
Concession, concurrence, conflits
À Abidjan, l’octroi en 2013 du deuxième terminal à conteneurs au consortium Bolloré/APMT/Bouygues a également provoqué une série de recours déposés devant les instances de l’Union Économique Monétaire ouest-africaine (UEMOA), recours qui pointent néanmoins la position dominante de Bolloré et APMT à Abidjan (exploitant déjà le premier terminal à conteneurs).
À Conakry, le groupe Bolloré a récupéré la concession du terminal à conteneurs suite à la résiliation par le président guinéen Alpha Condé et par décret pour non-respect des obligations en 2011 de la concession octroyée pour 25 ans au groupe Necotrans (GETMA). Suite à cette résiliation, la plainte posée par le groupe GETMA auprès du parquet de Paris témoigne de cette conflictualité et des recours juridiques associés. L’accusation de « concurrence déloyale » et de com plicité « de violation par l’État de ses engagements contractuels » n’a pas été retenue par le tribunal, actant de l’absence de preuve d’un éventuel rôle du groupe Bolloré dans cette résiliation. Et la condamnation du groupe Bolloré (2,1 millions d’euros à verser au groupe Necotrans qui réclamait 100 millions d’euros de dommages et intérêts) renvoie uniquement aux remboursements des investissements effectivement réalisés par la société GETMA dans la concession. Cette histoire récente témoigne néanmoins d’une conflictualité très commentée et débattue dans la presse africaine.
Armateurs et opérateurs de terminaux, un nouveau schéma portuaire ?
12Cet intérêt accru des grands opérateurs de terminaux portuaires pour la desserte de l’Afrique de l’Ouest se traduit par la construction en Afrique d’infrastructures adaptées aux standards de la conteneurisation, permettant d’assumer des économies d’échelles croissantes (Alix Y, 2011). Le terminal 2 du port d’Abidjan pourra, à terme, exploiter des porte-conteneurs de 8500 EVP et pourrait, au même titre que les terminaux des ports du Nigéria, introduire des logiques de concentration portuaire. Les parts de transbordement sont encore assez faibles dans un contexte de déséquilibre des trafics et d’instabilité toujours récurrent mais elles augmentent et dessinent le début d’un système de concentration portuaire (Abidjan, Lagos, Téma) et de redistribution sur les ports secondaires. L’augmentation considérable entre 1995 et 2007 des trafics de transbordement à Abidjan, malgré les crises politiques, semble en témoigner, tout comme l’arrivée sur la ligne Asie-Afrique de l’Ouest, en juillet 2011, d’un navire Maersk-Sealand de 4500 EVP traité à Abidjan et Lagos et augmentant de 25% la capacité antérieure. Certes, la question de la surcapacité portuaire est posée par la multiplication de ces projets concurrents sur une façade ouest-africaine desservant un marché non extensible. Une récente étude commanditée par l’Agence Française de Développement (AFDCATRAM) démontrait ces éventuels problèmes de surcapacités portuaires à Lomé (concurrence Bolloré/MSC) ou encore Abidjan et Dakar (1,5 à 2 millions d’EVP en capacité pour chaque port). Les 3 millions de conteneurs EVP échangés sur la côte ouest-africaine en 2011 sont évidemment encore faibles au regard de l’addition des capacités à venir sur les ports. Mais les opérateurs, dans un contexte de croissance très forte des trafics conteneurisés, placent les terminaux ouest-africains sur l’échiquier mondial introduisant ces logiques d’économies d’échelles dans l’exploitation portuaire.
13Mais si les statistiques récentes démontrent la consolidation du système portuaire ouest-africain, il importe de noter que ces ports sont d’abord associés à des marchés intérieurs nationaux (Nigéria, Côte d’Ivoire, Ghana, Sénégal). Les logiques de transbordement sont ainsi plus réduites en Afrique de l’Ouest. On retrouve ici la spécificité de l’espace économique ouest-africain, qui modifie les stratégies générales des opérateurs. L’organisation d’un système portuaire est partout le résultat de l’articulation entre les logiques globales des réseaux maritimes et portuaires (un réseau hub and spoke global) et son développement sur des espaces qui proposent des caractéristiques spécifiques. Et c’est la prise en compte des ports dans leurs contextes qui autorise une compréhension de cette articulation de facteurs organisationnels (la morphologie du réseau), institutionnels (la régulation) et géographiques (les spécificités de l’espace desservi) (Debrie, 2012b).
14En Afrique de l’Ouest, il importe à ce titre de signaler la conséquence du contexte d’instabilité dans les stratégies d’entreprises. Les trafics portuaires (voir Carte) témoignent certes des lignes de force de la façade mais masquent la variabilité très forte des trafics entre ports ces vingt dernières années, liée à ce contexte d’instabilité qui entraîne des fermetures brutales de corridor. Les deux dernières crises ivoiriennes en sont l’illustration extrême (2002-2003 et 2010-2011) [4]. La nécessité d’activer régulièrement des circuits alternatifs (crises togolaises dans les années 1990, crises ivoiriennes dans les années 2000, fermetures techniques de corridor sur l’ensemble de la période…) interdit pour les opérateurs une concentration trop forte des investissements sur un hub et des axes préférentiels de desserte de l’arrière-pays. La fonction de hub de transbordement du port d’Abidjan, même en croissance, est ainsi limitée par ce contexte. Ce dernier justifie une diversification des investissements adaptée par ailleurs à des trafics déséquilibrés. Ce déséquilibre structurel des économies ouest-africaines se traduit par une équation difficile à résoudre dans l’organisation des compagnies de lignes régulières, impliquant une gestion des flux de conteneurs pleins à l’import mais vides à l’export, dans un espace économique qui a longtemps rendu difficile la rentabilité des escales. L’espace ouest-africain propose ainsi une combinaison de caractéristiques – à laquelle il faudrait d’ailleurs ajouter la problématique douanière qui complexifie les passages frontaliers [5] – qui impose des pratiques d’opérateurs spécifiques basées sur un binôme port-marchés nationaux. Il reste que la croissance forte des économies ouest-africaines (dont les prospectives des grands organismes internationaux signalent le prolongement à court et moyen termes) explique cette généralisation concurrentielle et les investissements en terminaux associés. Elle diffuse la conteneurisation et ces logiques de réseau. Il reste à en mesurer l’impact sur la compétitivité des économies ouest-africaines, toujours largement handicapées par le coût du transport. Les gains de productivité et de retour sur investissements sont élevés pour les opérateurs internationaux. Ces gains participent d’une rationalisation interne aux réseaux des opérateurs dans un secteur d’activité rentable. Son intérêt pour le chargeur ouest-africain, c’est-à-dire sur la baisse du coût de transport pour les clients de ce réseau conteneurisé, apparaît moins évident à mesurer.
Bibliographie
Bibliographie
- AFD, 2013, Étude de marché sur les terminaux portuaires à conteneurs en Afrique de l’Ouest et du centre, MLTC-CATRAM
- Alix Y., 2011, “Growing containerised trade between West Africa and European and Asian economies”, UNCTAD, Trade Logistics Branch, Transport Newsletter, n°51, pp. 12-14. [En ligne] URL : http://unctad.org/en/Docs/webdtltlb20114_en.pdf (consulté le 25 novembre 2014)
- Chaponnière J.-R., 2010, “Le basculement de l’Afrique vers l’Asie. Enjeux pour les ports africains”, Afrique Contemporaine, 2010/2, n°234, pp. 25-40. DOI : 10.3917/afco.234.0025
- Charlier J., 2013, “The changing geography of world and african container port traffics”, 11th Intermodal Africa South Conference, Port Elisabeth, 20-22 novembre 2013
- Debrie J., 2012a, « Hubs portuaires 1 : les grands opérateurs mondiaux », Flux, 2012/1, n°87, pp. 63-72. [En ligne] URL : http://www.cairn.info/revue-flux-2012-1-page-63.htm (consulté le 18 novembre 2014)
- Debrie J., 2012b, “The West African port system : global insertion and regional particularities”, EchoGéo, n°20 | 2012. [En ligne] URL : http://echogeo.revues.org/13070 (consulté le 25 novembre 2014)
- Frémont A., 2012, « AP Møller : leader mondial du transport maritime », Flux, 2012/2, n°88, pp. 60-70. [En ligne] URL : http://www.cairn.info/revue-flux-2012-2-page-60.htm (consulté le 18 novembre 2014)
- Frémont A., 2007, Le monde en boîte : conteneurisation et mondialisation, INRETS, Synthèse n°53
- Hartmann O., 2010, « Comment les pays enclavés s’articulent-ils à la mondialisation ? », Afrique Contemporaine, 2010/2, n°234, pp. 41-58. DOI : 10.3917/afco.234.0041
Notes
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[1]
Dans la profession l’unité de mesure est le TEU (twenty equivalent unit) ou équivalent vingt pieds (EVP), soit un conteneur de près de 6 m de long. Les conteneurs de 40 pieds correspondent donc à 2 EVP dans les statistiques portuaires. Les plus grands ports au monde – Shanghai, Hong Kong et Singapour – ont un trafic supérieur à 25 millions de TEU par an, soit un multiple de 100.
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[2]
L’auteur tient à remercier Jacques Charlier pour son aide dans la mise à jour des données portuaires en Afrique de l’Ouest.
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[3]
Ce retour en Afrique de MSC est d’ailleurs un retour aux activités historiques du groupe. Le début de l’entreprise en 1970 est en effet lié à l’acquisition par Gianluigui Apponte, toujours directeur de l’entreprise, d’un premier navire dédié aux liaisons maritimes entre Naples et le continent africain.
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[4]
Cette fermeture de corridors liée aux crises politiques a une conséquence forte sur le coût du transport pour les chargeurs ouest-africains. Une étude menée par l’Agence Française de Développement en février 2003, portant sur les effets de la crise en Côte d’Ivoire sur la réorganisation du trafic de transit indiquait par exemple, pour un itinéraire Lomé-Bamako, un accroissement de 50% du tarif de transport par rapport au tarif de l’axe Abidjan-Bamako (unité tonne / CFA) et une augmentation de 103% du tarif pour un conteneur 20 pieds pour l’utilisation de l’axe terrestre Tema-Bobo Dioulasso en remplacement de l’axe ferroviaire ivoirien (AFD, 2003).
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L’Observatoire des Pratiques Anormales (OPA), mis en place sous l’égide de l’Union Économique et Monétaire ouest-africaine (UEMOA), permet de mesurer finement cette problématique. L’OPA constitue une plateforme de suivi des pratiques nuisibles à la fluidité du transport et du transit routier interétats dans la sous-région ouest-africaine, en vue de leur élimination. Ces travaux permettent de signaler la discontinuité forte introduite par les passages frontaliers s’ajoutant à d’autres barrages et alourdissant au final la facture transport pour le chargeur.