Flux 2011/1 n° 83

Couverture de FLUX_083

Article de revue

Portrait d'entreprise

HUB 3: la gestion aéroportuaire a-t-elle changé de nature? Le rôle de BAA plc

Pages 68 à 82

Notes

  • [1]
    Voir: Halpern, Lorrain, 2010; Lorrain, 2010.
  • [2]
    Les activités aéroportuaires renvoient ici à deux types de revenus. Les revenus aéronautiques proviennent de différents services de trafic aérien, dont la facturation aux compagnies aérien-nes (taxes d’atterrissage, de stationnement, de carburant, etc.) qui fait l’objet d’une régulation dont les modalités varient selon les États et les aéroports. À ceux-ci s’ajoutent des revenus non aéronautiques mais néanmoins associés à l’activité aéroportuaire et pouvant faire l’objet d’une régulation (sécurité, risque aviaire, etc.).
  • [3]
    Les sources consultées pour ce portrait sont les archives du Financial Times (Factiva, LexisNexis UK), ainsi que les rapports d’activités annuels de BAA plc.
  • [4]
    Les revenus non aéroportuaires concernent le développement de commerces, restauration et services, le stationnement, les consignes à bagage, la gestion de biens, la consultance et la participation à l’exploitation / financement d’un autre aéroport.
  • [5]
    Sur la fixation quinquennale des tarifs et le maintien d’une possibilité de contrôle pour le Gouvernement britannique, voir Halpern, Lorrain, op. cit., 2010.
  • [6]
    Le CAA est un régulateur unique à l’échelle nationale et distinct du Département des transports. Il est chargé d’émettre les licences d’exploitation et de superviser la fixation (et la révision périodique) du montant des taxes aéroportuaires, avec une attention particulière pour les aéroports dits régulés.
  • [7]
    La construction du Terminal 5 nécessite aussi l’acquisition de terrains (coût: 2b£).
  • [8]
    Financial Times, 16/10/1995
  • [9]
    À ceci s’ajoute la suppression, en 2008, des crédits d’impôts (1144 m£) au titre de la Industrial Building Allowance, une niche fiscale introduite en 1945 pour financer la reconstruction des infrastructures stratégiques.
  • [10]
    Pour BAA Ltd, le montant de la dette nette est de 11423 m£, et pour ADI Finance 1 Limited, elle s’élève à 12344 m£.
  • [11]
    Voir Halpern, Lorrain, 2010, op. cit.; Lorrain, 2007; 2005.
  • [12]
    UK Government (2003), Aviation White Paper: The future of Air transport.
English version

1Parmi les infrastructures remplissant une fonction d’échange, d’organisation et de gestion des flux dans les territoires, les aéroports ont longtemps fait office de simples outils au service du transport aérien, y compris ces aéroports de dimension internationale que sont Paris-Charles de Gaulle, Londres-Heathrow et l’aéroport de Frankfurt/ Main (voir tableau 1 en fin d’article). Depuis leurs origines, la gestion de ces plates-formes a été confiée, selon des modalités réglementaires, financières et territoriales distinctes, à des opérateurs aéroportuaires, placés sous la tutelle des autorités publiques, nationales ou régionales selon les cas. À cette famille d’anciennes entreprises publiques, se rattachent BAA plc (anciennement British Airport Authority, renommée BAA Airports plc lors de sa privatisation en 1987), Aéroports de Paris (ADP) et Fraport AG (aéroport de Francfort), qui constituent les principaux opérateurs aéroportuaires européens.

2Les opérateurs aéroportuaires ont profondément évolué depuis leur création dans les années 1940, selon des rythmes et des modalités distincts. Ils ont progressivement échappé à leurs autorités de tutelle, en partie grâce à leur autonomisation financière et à l’ouverture partielle ou totale de leur capital. Ils ont procédé à la réforme de leurs modes opératoires, ainsi qu’à la modernisation et à l’extension des infrastructures dont ils avaient la charge grâce à des investissements continus. Ils ont diversifié leurs activités sur les plates-formes (immobilier, commerce, services au sol, etc.) et à l’international (conseil, gestion, conception, etc.). Au vu de l’activité économique qu’ils génèrent, ces gestionnaires d’infrastructure comptent aujourd’hui parmi les premiers acteurs économiques des grandes métropoles européennes dont ils assurent la desserte (voir tableau 2 en fin d’article), et contribuent à ce titre aux réflexions liées à l’aménagement et au développement des métropoles européennes. Cette évolution continue explique que ces groupes aéroportuaires suscitent l’intérêt croissant de grandes entreprises de construction (par exemple, Ferrovial) et, fait nouveau, de groupes financiers (par exemple, la banque australienne Macquarie), en quête d’une diversification de leur portefeuille d’activités passant par des activités de long terme qui permettent de compenser les cycles des marchés de construction. Pour autant, l’activité de gestion aéroportuaire a-t-elle changé de nature (Graham, 2008)?

3Ce troisième volet de portraits d’entreprise consacrés à celles qui gèrent des aéroports permettra de s’interroger sur l’évolution des activités de gestion aéroportuaire [1]. Quels sont les effets liés à la double logique de privatisation et, dans certains cas, de financiarisation des activités aéroportuaires sur les opérateurs qui en assurent la gestion? Quelles ont été les stratégies développées par les opérateurs dans différents pays européens pour bénéficier de capacités accrues de financement et renforcer leur autonomie dans les choix liés à leur développement?

4Le choix consistant à centrer l’analyse sur les trois principaux opérateurs aéroportuaires en Europe permet de rendre compte des décisions prises par ces « pionniers » de la privatisation aéroportuaire dans leurs systèmes nationaux respectifs, de leurs similitudes et de leur singularité, ainsi que des modalités de reproduction de l’expérience (réalisée ou en cours) auprès d’aéroports secondaires. L’évolution de ces opérateurs repose en effet sur la combinaison de trois logiques, observée dans les trois cas mais selon des modalités distinctes: une logique d’autonomisation (organisationnelle, budgétaire), une logique de diversification des activités qui confère une place plus ou moins importante aux activités aéroportuaires dans leurs revenus annuels [2], et enfin, une logique de valorisation des ressources offertes par leur position au sein du système aéroportuaire national.

5Nous procéderons en deux temps, en commençant par un portrait consacré au rôle précurseur de BAA Airports plc, remplacé en 2008, après restructuration, par BAA Limited [3]. Les aéroports britanniques constituent en effet les pionniers reconnus à l’échelle internationale de la privatisation des activités aéroportuaires (Graham, 2008, pp. 37-41). Ce marché se caractérise dans ce pays par un degré de privatisation sans équivalent en Europe, par sa grande ouverture aux capitaux étrangers et par un rythme soutenu d’opérations financières sur la période. Ce premier portrait permettra de rendre compte des contraintes, notamment en temps de crise économique, liées à un choix de développement centré sur les activités non aéroportuaires [4]. L’évolution de l’opérateur depuis sa privatisation en 1986 se comprend à partir de trois facteurs: un régime de régulation économique fondé sur les prix, un régulateur qui maintient une lecture restrictive du principe de rentabilité de l’activité aéroportuaire, et enfin, un cadre institutionnel qui a longtemps garanti le monopole exceptionnel des aéroports londoniens et de son opérateur. Les cas d’ADP et Fraport seront analysés dans un autre portrait d’entreprise.

BAA plc

BAA Limited Londres
Création en 1986 de BAA Airports plc en vue de la privatisation de l’opérateur public BAA
Rachat en 2006 par un consortium emmené par Ferrovial (Espagne) pour 16,4 G£ (dette incluse)
Transformation en 2008 en BAA Limited et cession d’actifs
Chiffre d’affaires : 2.25 G£ (2007) et 2,07 G£ (2008)
Gestionnaire de 6 aéroports britanniques : Londres-Heathrow, Stansted, Aberdeen, Édimbourg, Glasgow, Southampton; participations aux États-Unis et en Australie
Cession des aéroports de Gatwick et de Naples, et des participations à Budapest et en Italie
Nombre de passagers : 155 millions (2007) et 106 millions (2008) ; dont Londres-Heathrow: 1er aéroport européen; 3e rang mondial.
Dette (incluant les prêts internes) : 16, 8 G£ (2007) et 11,4 G£ (2008)

BAA plc: pionnier de la privatisation aéroportuaire

6En 1945, le développement du transport aérien est directement pris en charge par l’État, de manière centralisée et par le biais d’entreprises publiques. L’expansion rapide du trafic aérien et les contraintes (financières, organisationnelles) liées au développement des aéroports britanniques montrent les limites de ce mode de gestion, structurellement déficitaire. La création de la British Airports Authority en 1966 permet de confier l’exploitation des aéroports londoniens à une autorité unique, responsable devant le Parlement, et bénéficiant d’un certain degré d’autonomie (Airports Authority Bill, 1965).

7L’extrême rentabilité de BAA suscite l’intérêt du Gouvernement Thatcher, et l’entreprise figure parmi les premiers candidats à la privatisation suite à l’Airport Act (1986). Bien qu’un démantèlement préalable ait été envisagé par le régulateur, les conservateurs privilégièrent un projet de privatisation en bloc de l’entité, renommée BAA Airports plc (ci-dessous BAA plc). Sa mise en bourse est organisée selon une formule de privatisation par ouverture de capital qui reste inédite à ce jour: la totalité des parts est mise en vente le même jour (le 16 juillet 1987), avec une distinction entre ¾ des actions, estimées à un prix unique (245 p/action), et ¼ des actions mises aux enchères. Publicisée à grands frais, l’opération connaît un succès considérable et rapporte 1,5 G£ au Gouvernement britannique (Forsyth, Niemeier, 2008, p. 5 et p. 24) [5]. Cet apport financier, qui dépasse de loin les estimations du Gouvernement (1,1 G£) (FT, 20/03/1987), se traduit en hausse du capital pour l’entreprise et ce meilleur bilan lui permet d’emprunter sur les marchés financiers pour diversifier ses activités. Entre 1987 et 1993, le nombre de passagers augmente de 42%, l’action triple sa valeur et les profits augmentent de 130% (IDCH, 2000).

Chronologie succincte: évolution du groupe BAA Airports plc (1966-2008)

1966 Création d’un opérateur unique pour assurer la gestion des aéroports de Londres (Heathrow, Stansted et Gatwick) et Prestwick (Écosse)
1971 Acquisition des aéroports d’Aberdeen, Édimbourg et Glasgow
1972 Création de la Civil Aviation Authority (CAA) [6]
1987 Création d’un consortium public suite à l’Airport Act (1986) et privatisation (1987): BAA plc conserve la gestion des 7 aéroports.
1990 Acquisition de l’aéroport de Southampton
1992 Vente de l’aéroport Prestwick à PIK Ltd
1996 Le Gouvernement britannique vend ses 2,9% restant des actions de BAA plc mais conserve une Golden Share.
1997 Acquisition (65%) et exploitation de l’aéroport de Naples-Capodichino
2003 Achat de 4% des parts de NATS, organisme de service du transport aérien
2006 Achat par FGP TopCo

Comment financer les programmes d’investissements?

8Il faut revenir sur le métier d’opérateur et sur les contraintes et les coûts qui y sont associés. Pour BAA plc, la principale contrainte réside dans les modalités de fixation des revenus aéroportuaires, qui restreint l’augmentation moyenne de revenu par passager en dessous du seuil de l’inflation selon la formule définie en 1986 par le CAA et réévaluée, en moyenne, tous les 5 ans. Trois aéroports londoniens (Heathrow, Gatwick et Stansted), et l’aéroport de Manchester (jusqu’en 2008) font l’objet d’un mode de financement par les prix, sur la base d’une analyse globale des coûts opérationnels, du chiffre d’affaires et des investissements projetés (single till price cap). Au cours des 7 évaluations réalisées entre 1986 et 2008 pour ces aéroports dits régulés (voir tableau 3 en fin d’article), le CAA a eu tendance à privilégier les revenus du capital sur les autres facteurs initialement prévus par le législateur – notamment les projets d’investissements (Graham, 2008, p. 158 et suiv.). De ce fait, la politique tarifaire pratiquée par BAA plc dans les aéroports londoniens permet tout juste de maintenir la part des activités aéroportuaires dans le chiffre d’affaires (40% de son revenu annuel en 1990 mais 5% des profits seulement). En outre, les profits réalisés dans les aéroports londoniens permettent aussi de financer les opérations auxquelles BAA plc est assujetti sur des plates-formes moins lucratives comme Prestwick (Écosse).

9Le régulateur peut aussi prendre en compte certains coûts exceptionnels auxquels l’opérateur aurait eu à faire face au cours de la période précédente (maintien de la sécurité du fait de menaces d’attentat, fin du commerce hors taxe intra-européenne, intempéries, grèves etc.). Concrètement, l’opérateur est autorisé à reporter une partie de ces coûts sur d’autres acteurs du transport aérien, notamment les compagnies aériennes. À partir de 1991, le groupe obtient la permission de reporter sur les compagnies aériennes jusqu’à 85% des coûts en matière de maintien de la sécurité et du manque à gagner suscité par la fin du commerce hors taxe intracommunautaire prévue en 1999. En revanche, la hausse des redevances aéroportuaires demeure extrêmement restrictive dans les aéroports londoniens, ce qui permet aussi d’assurer leur compétitivité. Dans ce contexte, les revenus aéroportuaires génèrent peu de profits pour BAA plc et sont intrinsèquement liés à la hausse du trafic aérien dans les aéroports gérés par le groupe (voir figure 1 en fin d’article).

10L’évolution de la gamme tarifaire à Londres-Heathrow sur la période a permis quelques ajustements à la marge qui tiennent compte d’un enjeu de hiérarchisation du trafic par les créneaux disponibles (slots), et de la volonté de répartir le trafic en fonction du type de trafic (commercial vs. affaires) et des compagnies aériennes (internationales vs. régionales). Plus précisément, le peak pricing permet d’optimiser l’offre aéroportuaire aux heures de pointe en contraignant les compagnies aériennes afin qu’elles optimisent les créneaux horaires les plus onéreux en les attribuant aux destinations les plus rentables et en augmentant la capacité des avions. Ce système, qui favorise les anciens champions nationaux (grandfathering), est également associé à une politique de maximisation des infrastructures aéronautiques, comme par exemple l’augmentation des redevances de stationnement des avions, désormais calculées par tranches de 15 minutes au lieu de 60 minutes. Dans ce contexte, plus encore que les licences bilatérales nécessitées pour la desserte, la politique pratiquée par les principaux opérateurs aéroportuaires en termes d’attribution des créneaux horaires et de grille tarifaire, en fonction des heures de pointe, structure les choix opérés par les compagnies aériennes pour ajuster leurs réseaux ou nouer des alliances stratégiques (Forsyth, 2007, p. 46).

11Sur la période considérée, la politique tarifaire pratiquée par BAA plc dans les aéroports londoniens reste dans la moyenne internationale (Graham, 2008, p. 74), mais elle est largement inférieure à celles d’ADP et Fraport AG qui restent fondées sur les coûts jusqu’à une période récente. Pour les détracteurs de la formule, le régime britannique repose sur une attractivité par les prix, qui se fait, à long terme, au détriment de la qualité des services et des investissements (Czerny, 2006; Yang, Zhang, 2011).

Principales étapes de développement de Londres-Heathrow

1944 Construction de 2 pistes
1946 Ouverture de l’aérodrome au trafic commercial (63000 passagers)
1951 Lancement du 1er programme d’investissements
1955 Ouverture du Terminal Europe (futur Terminal 2)
1969 Ouverture Terminal 1
1986 Ouverture Terminal 4; lancement du 2e programme d’investissements
1998 Mise en service de Heathrow Express Rail Link (450m£)
2007 Seconde tour de contrôle
2008 Ouverture du Terminal 5; lancement du 3e programme d’investissements
2011 Ouverture du satellite 5C

L’autonomisation financière de BAA plc: le poids des activités commerciales

12Le financement de programmes d’investissements dépend donc de la capacité de BAA plc à faire la preuve de sa rentabilité auprès des actionnaires en maintenant un flux de revenus stables, ce qui lui permet d’emprunter sur les marchés financiers (émission d’actions et d’obligations) et auprès de différents établissements financiers. Les deux principes qui guident la stratégie de BAA plc sont la diversification des sources de revenus à travers le développement des activités commerciales et une politique restrictive en matière d’offre aéroportuaire. D’une part, BAA plc limite volontairement le développement des infrastructures aéronautiques tout en appliquant, dans les limites autorisées par le CAA, une politique tarifaire contraignante pour les compagnies aériennes. D’autre part, l’opérateur procède à la construction systématique de locaux supplémentaires pour développer ses revenus non aéroportuaires, et en particulier le développement de commerces. Pour ce faire, BAA plc bénéficie de deux avantages: le maintien, jusqu’en 2003, d’une Golden Share au profit du Gouvernement britannique, qui le met à l’abri d’une opération d’acquisition, et une situation de monopole sur les aéroports londoniens, maintenue contre l’avis du CAA (FT, 28/03/1989).

13Considérons tout d’abord la stratégie de maximisation des infrastructures existantes appliquée par BAA plc jusqu’en 2008. Le groupe limite volontairement l’extension de l’offre aéroportuaire au profit des terminaux d’accueil des passagers qui permettent de développer les activités commerciales. Dans les aéroports londoniens, le choix de BAA plc, avec le soutien de British Airways, consiste à concentrer l’extension de l’offre aéroportuaire à Stansted. Par ailleurs, tout projet de construction d’une piste additionnelle à Gatwick est gelé jusqu’en 2019 suite au contrat signé en 1979 avec le West Sussex County Council. La direction de BAA plc s’engage, avec succès, dans un long bras de fer avec le CAA, qui préconisait la construction de pistes additionnelles comme solution à la saturation des aéroports britanniques (FT, 02/02/1989).

14Après le départ de Jeremy Marshall, son PDG jusqu’en 1990, BAA plc s’oppose moins fermement au principe de construction d’une nouvelle piste, mais le groupe obtient gain de cause à moyen terme dans ses choix d’opérationnalisation des objectifs du Livre blanc de 1985: un niveau minimal d’investissements à Gatwick; les investissements réalisés à Heathrow se concentrent sur la modernisation des installations existantes, la construction du Terminal 5 (1,2 b£) [7] et d’une desserte ferroviaire rapide dans le cadre d’une joint-venture avec British rail; enfin, Stansted concentre l’essentiel des projets d’extension des installations aéronautiques.

« From chewing-gum to a 72,000 £ diamond at Gassan Diamonds » [8]

15Jeremy Marshall lance par ailleurs le développement de ce qui allait devenir la principale source de revenus de BAA plc (voir figure 2 en fin d’article), indépendamment de la hausse continue des revenus aéroportuaires: les activités commerciales ou retail income (+50% entre 1992 et 1994). L’opérateur profite du revenu généré par la hausse des charges aéroportuaires, autorisée par le CAA en prévision de la fin des ventes hors taxes pour les vols intracommunautaires (FT, 25/07/1988), pour intensifier l’ouverture de nouveaux espaces dédiés aux commerces dans ses aéroports. Après le Terminal 1 de Heathrow, cette stratégie est étendue au reste des aéroports gérés par le groupe, avec la mise à disposition de plusieurs milliers de mètres carrés de locaux commerciaux. Ces aéroports sont aujourd’hui de vastes centres commerciaux, dans lesquels coexistent un large éventail de commerces allant des produits de luxe (Cartier, Yves Saint Laurent, Burberry’s, etc.) à des chaînes de restauration rapide (McDonald’s, Burger King, Starbucks, etc.), répartis sur un total d’un million de m2. La mise en service du Terminal 5 de Heathrow en 2008 constitue l’aboutissement de cette stratégie, autant qu’elle en souligne les limites. Ce terminal dispose de 23000 m2 d’espaces dédiés aux commerces, services et restaurants, mais sa mise en service déchaîna les critiques, dans la mesure où les investissements liés à son insertion dans les installations existantes, notamment le système de livraison des bagages, ont été sous-estimés par l’opérateur.
Pour soutenir la diversification de ses activités, BAA plc confie à Lynton Management Limited (acquise en 1988 pour 220 m£) une mission de valorisation systématique des réserves foncières disponibles à l’intérieur des plates-formes: 8 ha à Heathrow (bureaux), 20 ha à Londres (entrepôts) et enfin, 240 ha à Londres (bureaux, entrepôts et hangars destinés aux services aéroportuaires) (FT, 02/02/1990). À travers sa filiale, le groupe BAA plc s’engage aussi dans de vastes opérations d’aménagement en plein cœur de Londres: la construction de bureaux à Marylebone (anciens terminaux ferroviaires) pour 200 m£ (FT, 09/01/1990); un complexe d’hôtellerie, magasins et logements de luxe dans la gare St Pancras, en partenariat avec Marriott et Manhattan Lofts pour 40 m£. BAA Lynton Management limited appartient aujourd’hui à BAA plc et Aviva Life Funds, et assure la gestion des biens immobiliers (bureaux, entrepôts) et espaces dédiés au fret sur et autour des plates-formes de BAA plc.

L’internationalisation de BAA plc: la diversification des contrats

16Le succès remporté par l’opérateur avec le développement des activités liées au commerce à Heathrow lui ouvre le marché nord-américain en 1992, et engage le groupe sur la voie de l’internationalisation. En 1999, au terme d’une décennie d’expansion, BAA plc réalise 80% des ventes dans les aéroports britanniques; les activités commerciales représentent plus de la moitié des revenus du groupe, y compris dans les plates-formes non londoniennes. À partir de 1998, le développement du commerce hors taxe est confié à World Duty Free, filiale à 100% qui gère les contrats du groupe pour un revenu annuel estimé à 21 m£ en 2008.

17L’internationalisation ne se limite pas au développement de commerces. À l’image de ses principaux concurrents, l’opérateur se lance dans la course aux contrats (conseil, développement, exploitation) sur un gigantesque marché estimé, en 1990, à 16,4 b£ par l’Association Internationale des Aéroports Civils. Apparu à la fin des années 1980, ce marché s’est constitué autour des besoins, d’une part, des aéroports de première génération pour financer leur développement, et d’autre part, des anciens pays du bloc de l’Est. Organisé sous forme d’appels d’offres à géométrie variable, les contrats BOT étant rares à l’époque, ce marché suscite une forte concurrence entre les principaux groupes aéroportuaires mondiaux. Quel que soit leur statut, ceux-ci sont en effet contraints d’accroître leurs revenus pour financer leurs propres projets de développement et réduire leur dépendance au marché intérieur. Ces appels d’offres constituent aussi une opportunité de développer des liens avec différents partenaires (banques, groupes d’ingénierie, compagnies aériennes) dans le cadre de joint-venture dont l’objectif principal est de minimiser les risques pour les parties en présence.

BAA plc: leadial dans le commerce aéroportuaire et hors-taxe

1992 Contrat développement / exploitation de commerces à l’aéroport de Pittsburg (durée: 15 ans)
1995 Joint venture avec McArthur Glen Realty (États-Unis) pour l’ouverture, en Europe, de centres de marques
1996 Acquisition de Allders International, spécialisé dans le commerce hors-taxe
1997 Acquisition de Duty-free international (États-Unis) pour 400m£
1998 Création de World Duty Free (États-Unis, Europe), filiale spécialisée dans le commerce hors-taxe
1998 Contrat développement / exploitation de commerces à Newark Airport
1999 Contrat avec Eurotunnel (durée: 15 ans) pour la gestion des zones commerciales; contrat d’exploitation des zones commerciales de l’aéroport Shanghai Pudong (5 ans)
2000 Contrat à l’aéroport Boston Logan (durée: 10 ans)
2002 Extension du contrat AirMall avec l’aéroport de Pittsburgh (durée: 10 ans)
2003 Cession de la majeure partie des parts dans McArthurGlen
2004 Contrat en vue du développement de commerces à l’aéroport Baltimore / Washington
2008 Vente de World Duty Free (546,6 m£).

18BAA plc développe quatre types d’activités à l’international: le conseil, la construction et/ou l’extension des infrastructures aéroportuaires, l’exploitation et le développement de commerces (voir supra). Les activités de conseil sont surtout menées dans le cadre du British Privatisation Export Council, un consortium constitué en 1990 d’anciennes entreprises publiques britanniques pour valoriser leur expertise en matière de privatisation à l’échelle internationale.

19En ce qui concerne la construction et/ou l’extension aéroportuaire, BAA plc se heurte au départ à la concurrence exercée par d’autres consortiums européens sur les marchés est-européen et russe (FT, 27/06/1990). Le groupe est moins bien positionné que Fraport AG, par exemple, qui remporte avec la Deutsche Bank et AEG, un contrat de construction (272 m£) à l’aéroport Moscou-Sheremetyevo. Des négociations sont engagées avec un succès inégal en Italie: elles échouent à Rome-Fiumicino, mais BAA plc obtient un contrat BOT pour l’aéroport Naples-Capodichino, en 1997, dont il assure ensuite l’exploitation. BAA plc multiplie les offres mais cette branche reste déficitaire jusqu’en 1999, année durant laquelle ces contrats produisent 6 m£ d’excédents ou 2,5% de la part totale des revenus d’activités du groupe.

20Les contrats remportés dans la zone Asie – Pacifique expliquent cette évolution, et saluent l’engagement précurseur de BAA plc dans cette zone, notamment en Chine (1990). Après une offre malheureuse déposée en 1995 pour la construction d’un troisième terminal à l’aéroport de Manille (Philippines), BAA plc s’engage à hauteur de 20% dans un consortium chargé de la construction du nouvel aéroport de Hong Kong. En 1999, BAA plc participe à la création de Allied Airport Management (49% des parts, 1,53 m£): l’enjeu est gigantesque puisqu’il s’agit de répondre systématiquement à tous les appels d’offres pour les contrats d’exploitation d’une durée de 10 à 15 ans des aéroports de taille moyenne en Chine (FT, 30/08/1999). Enfin, BAA plc s’engage dans la privatisation des aéroports australiens, un marché estimé à 1,5 b£ et permettant jusqu’à 15% de participations croisées dans les principaux aéroports. À l’issue de ce processus qui met BAA plc en concurrence avec Schipol Group, l’opérateur investit à Melbourne (1996) puis dans quatre autres aéroports australiens (2001).

Internationalisation (hors développement de commerces): quelques grandes étapes

1994 Contrat d’exploitation pour l’aéroport d’Indianapolis (États-Unis) (durée: 10 ans)
1995 Contrat de construction d’un nouvel aéroport à Hong Kong remporté par le consortium British Chinese Japanese Joint-venture (montant total: 820 m£)
1997 Contrat d’exploitation de l’aéroport de Harrisburg (durée: 10 ans); concession pour le développement de l’aéroport de Melbourne (Australie), dans le cadre du consortium APAC - Australia Pacific Airports Corporation
1998 Concession (dans le cadre du consortium APAC) pour l’exploitation de l’aéroport de Launceston (Australie)
1999 Création de Allied Airport Management avec la China Airport Construction Company; contrat de conseil en vue de la privatisation de l’aéroport de Beijing
2001 Acquisition des investissements de TBI dans les aéroports australiens: Perth, Darwin, Alice Springs et Tennant Creek
2005 Acquisition de l’aéroport de Budapest

Vers un tournant dans le business modèle de BAA Limited?

21L’opérateur aurait ainsi pu maintenir un business modèle fondé sur la maximisation de l’offre aéroportuaire et le développement des activités commerciales, si la Cour de Justice Européenne, saisie par la Commission européenne, n’avait pas rendu une décision en 2003 remettant en cause le maintien d’une Golden Share dans les anciens champions nationaux des États membres. À court terme, BAA plc perd sa protection contre les propositions de rachat: compte tenu de sa dépendance aux marchés financiers, les offres de rachat se font pressantes jusqu’à ce que celle de Ferrovial aboutisse en 2006, malgré les réticences de l’opérateur (Halpern, Lorrain, 2010). À moyen terme, BAA plc perd aussi son principal rempart contre la remise en cause de son statut exceptionnel. Enfin, l’opérateur se trouve dans une situation financière difficile, qui s’explique en partie par la priorité accordée au développement des activités non aéroportuaires et aux modalités de financement de cette politique: en 2007, l’endettement de BAA plc est estimé à 16779 m£ (voir tableau 4 en fin d’article), un niveau que Grupo Ferrovial ne peut pas suivre (Halpern, Lorrain, 2010, p. 148). Cet ensemble de facteurs précipite en 2006-2007 une refonte majeure du groupe, visant d’une part à assainir sa situation financière et, d’autre part, à davantage valoriser les activités aéroportuaires dans la structure globale de revenus de BAA Limited.

L’assainissement des finances du groupe BAA plc: la création de BAA Limited

22Cinq ans après le rachat de BAA plc par Grupo Ferrovial, avec la Caisse des dépôts et placements du Québec et GIC Special Investments (FGP TopCo), où en est l’opérateur? Le principal changement concerne la structure de BAA plc, profondément remaniée en octobre 2008 pour assainir la situation financière du groupe (voir schéma ci-après). La société BAA plc (Airport Development and Investment Com-pany) disparaît en tant que telle au profit de BAA Limited (ci-dessous BAA Ltd), une holding gestionnaire de l’ensemble des actifs du groupe. Cette structure ouvre la voie à un système complexe de prêts et transferts financiers internes, en fonction du niveau d’endettement et de revenus de chaque filiale.

23Cette refonte permet en effet de différencier les structures de financement des aéroports régulés (BAA (SP) Limited) et non régulés (BAA (NDH1) Limited), tout en permettant de préparer la vente de Gatwick. Une plate-forme commune de financement et de rachat de la dette cumulée par le consortium est mise en place (ADI Finance 1 Limited). Cette opération permet aussi de renégocier la dette cumulée de BAA Ltd, sur la base d’un investissement à long terme réparti entre des prêts bancaires (4,8 b£) et l’échange des obligations émises par BAA plc par des obligations de BAA Ltd (4,5 b£). À cette occasion, la totalité des fonds propres de l’opérateur (2,75 b£) est réinjectée dans BAA (SP) Limited, tandis qu’un emprunt distinct de 1,255 b£ est contracté auprès des établissements bancaires pour financer les aéroports non régulés. Enfin, les actionnaires du groupe procèdent à l’injection de 400 m£ supplémentaires au profit de BAA Ltd. Malgré cela, BAA Ltd affiche un revenu net de 23 m£ seulement, contre 476 m£ en 2007 [9].

24Le groupe opère aussi une série d’opérations visant à assainir sa situation financière et à recentrer sa capacité d’investissement sur les activités aéroportuaires. La vente de Gatwick, pour un montant de 1379 m£, ne permet pas de générer le revenu escompté. Vendu en pleine crise économique, cet aéroport en situation de sous-investissement chronique et aux perspectives de développement limitées est source de 277,3 m£ de pertes pour BAA (SP) Limited. À ceci s’ajoutent des facteurs conjoncturels: la crise économique pèse, en 2008-2009, sur le trafic aérien international (voir tableau 1 en fin d’article) et sur le volume des opérations liées aux activités les plus rentables pour l’opérateur (commerces, immobilier, foncier). En 2010, une série d’événements imprévus (éruption du volcan Eyjafjöll, intempéries, grève des personnels de la compagnie BA) freine le développement du trafic aérien dans les aéroports londoniens. Pour autant, l’opérateur dispose de nombreux atouts: en 2010, BAA Ltd est le 1er groupe aéroportuaire en Grande-Bretagne et en Europe pour le transport passagers (voir tableau 4 en fin d’article), et l’aéroport Heathrow se maintient au 4e rang mondial depuis 2000. Malgré un niveau d’endettement qui reste préoccupant (10401 m£ en 2010) [10], BAA (SP) Limited affiche un chiffre d’affaires de 2067 m£ (EBITDA 966,9 m£) (voir tableau 5 en fin d’article).

Structure simplifiée du groupe Ferrovial – BAA (2010)

figure im1

Structure simplifiée du groupe Ferrovial – BAA (2010)

Source: Compilé par l’auteur à partir de BAA (2010)

Principales opérations de BAA plc puis BAA Ltd depuis 2006

2007 Vente de l’aéroport de Budapest
Cession de Airport Property Partnership, un portefeuille de 33 actifs, au Arora Family Trust (265 m£)
2009 Vente de Gatwick; acquisition de la Heathrow Express Operating Company (montant: 3,8 m£)
2009 Cession de World Duty Free (546 m£) à AutoGrill
2010 Cession des parts de BAA plc dans l’aéroport de Naples

25Outre ces changements organisationnels et financiers, la création de BAA Ltd accélère le recentrage sur les activités aéroportuaires. Heathrow tient une place centrale dans ce programme d’investissements, estimé à 2 b£ pour les seuls aéroports londoniens sur la période 2008-2013: modernisation de terminaux anciens (3 & 4), finalisation du Terminal 5, et lancement du gigantesque chantier visant à la refonte du Terminal 2. Ce programme d’investissements financé sur fonds propres a donné lieu, en 2010, à deux emprunts sur le marché des obligations, le premier d’un montant de 400 m£ à horizon 2018, le second d’un montant de 500 m£ à horizon 2016 (BAA, 2010, p. 14). BAA (SP) Limited bénéficie aussi d’un apport de capital de 500 m£, résultant d’un emprunt sur les marchés financiers contracté par ADI Finance 1 Limited et d’un transfert en provenance de BAA Ltd. Cette évolution est soutenue par le régulateur avec une augmentation des charges aéroportuaires sur la période (voir tableau 3 en fin d’article) qui permet à l’opérateur de générer des revenus supplémentaires pour financer son programme d’investissements (BAA plc, 2008, p. 9). Pour la première fois depuis 1986, le régulateur procède à une évaluation par aéroport, en prenant en compte la situation différenciée des aéroports londoniens qui se reflète dans la structure des revenus de l’opérateur avant et après la restructuration (voir figures 2, 3 et 4).

Un avenir pavé d’incertitudes

26Trois incertitudes majeures pèsent sur l’avenir du groupe: une concurrence accrue au sein des aéroports londoniens, son démantèlement et la localisation d’une nouvelle piste dans un aéroport londonien. L’exacerbation de la concurrence au sein des aéroports londoniens est directement liée à l’évolution du marché britannique des activités aéroportuaires. Jusqu’à une période récente, BAA Ltd bénéficiait d’un monopole exceptionnel. La privatisation des aéroports britanniques, engagée depuis 1986, et la financiarisation des activités aéroportuaires, phénomène plus récent, ont accéléré l’entrée d’une dizaine d’acteurs internationaux qui contribuent à la diversité et à la fragmentation de ce marché (voir tableau 6 en fin d’article):

  • Ferrovial (Espagne), entré sur le marché en 2003 (aéroport de Belfast), et propriétaire de BAA Ltd [11].
  • Abertis (Espagne), créé en 2003 à partir de la fusion de deux entreprises actives dans le domaine des autoroutes à péage en Espagne (Acesa et Aurea). En 2004, Abertis achète 90% du groupe britannique TBI Airports, tandis que les 10% restants sont acquis par AENA Desarollo Internacional S.A. Au Royaume-Uni, le groupe possède les aéroports de Cardiff, Londres-Luton et Belfast International. Le groupe possède également des infrastructures en Bolivie, en Suède et aux États-Unis; il assure un service de gestion aéroportuaire dans plusieurs aéroports américains.
  • Peel Airports Limited, filiale du groupe Peel dont l’aéroport de Vancouver est l’actionnaire majoritaire. Le groupe détient et exploite 4 aéroports en Grande-Bretagne, pour un total de 15 millions de passagers.
  • Global Infrastructure Partners (General Electric + Crédit Suisse) avec Highstar capital, qui détient et exploite le Londres City Airport et Gatwick.

BAA (SP) Limited Londres
Filiale de BAA Ltd, créée en 2008.
Gestionnaire de 3 filiales du groupe: Heathrow et Stansted Airports Limited, Heathrow Express Operating Company Limited.
Nombre de passagers en 2010: 84,3 millions (dont Heathrow: 1er aéroport européen; 4e rang mondial).
Nombre d’employés en 2010: 15337
En 2010, 2067 m£ de chiffre d’affaires (EBITDA 966,9 m£). Montant des actifs gérés: 12776 m£
Montant net de la dette (incluant les prêts internes à BAA plc): 10401 m£

27Du point de vue de BAA Ltd, deux groupes menacent ses parts de marché sur deux segments distincts. Man-chester Airports Group (MAG plc), d’une part, concurrence BAA Ltd à partir de l’aéroport de Manchester, point nodal d’un réseau secondaire bien intégré dans le trafic aérien national et européen. Ce consortium public, constitué à l’initiative de la ville de Manchester, s’est progressivement hissé au deuxième rang des activités aéroportuaires en Grande-Bretagne. Contrairement à BAA plc et bien qu’il s’agisse aussi d’un aéroport régulé de 1986 à 2008, le développement de MAG plc a reposé sur une diversification limitée des activités commerciales et sur des investissements continus dans les installations aéronautiques.

28D’autre part, l’entrée en lice de Global Infrastructure Partners (GIP) remet directement en cause la position dominante de BAA plc sur les aéroports londoniens. Ce fonds d’investissement, spécialisé dans les infrastructures (eau, énergie, transports) est entré sur le marché aéroportuaire britannique en 2006 avec le rachat de Londres City Airport (742 m£), et a consolidé sa position avec l’acquisition de Gatwick en 2009. Pour nombre d’observateurs, cet aéroport constitue une alternative crédible aux projets d’extension de l’offre aéroportuaire dans les aéroports londoniens.

29Deuxième incertitude, le cadre britannique de régulation des activités aéroportuaires a profondément évolué depuis 2006, sans que les contours du nouveau régime ne soient stabilisés. En 2009, la Commission de la Concurrence, chargée de mener une enquête suite aux suspicions d’entorse à la concurrence signalées par l’Office of Fair Trading, entérine le principe de démantèlement du monopole de BAA plc et recommande la vente de l’aéroport de Stansted, et au choix, des aéroports de Glasgow ou Édimbourg.

30Cette décision est motivée au nom de l’application des règles de la concurrence, et de la qualité de services rendus aux principaux clients et usagers dans les aéroports de BAA Ltd. Depuis peu, les contraintes liées à la qualité des services rendus (objectifs, sanctions) ont d’ailleurs été renforcées dans les aéroports londoniens. Tenant compte des critiques exercées à l’encontre du système de fixation des taxes aéroportuaires privilégié en 1986, la Commission de la concurrence ouvre aussi la voie à la refonte du régime de régulation économique des trois aéroports londoniens, pour qu’il soit plus incitatif pour les investissements. Cette décision s’inscrit par ailleurs dans un projet de réforme générale des activités aéroportuaires, annoncée en 2009 et reprise par le Gouvernement Cameron, en vue de l’alignement du régime actuel sur celui des utilities. Dans ce contexte, la Commission de la concurrence elle-même a rouvert le dossier de BAA: à bien des égards, la partie n’est pas encore jouée.

31Aux facteurs institutionnels et de structuration du marché aéroportuaire s’ajoutent enfin des incertitudes politiques sur la localisation d’une nouvelle piste dans les aéroports londoniens, véritable serpent de mer de la politique britannique depuis 1985. Quelque vingt années plus tard, la position de BAA Ltd à ce sujet a évolué, mais il n’est pas certain que l’opérateur dispose d’une capacité équivalente à peser sur les choix politiques en cours. Le débat sur la localisation de la nouvelle piste, relancé par le Gouvernement Blair en 2003 [12], a oscillé entre Stansted (2004) puis Heathrow (2009), en raison du programme d’investissements annoncé par BAA Ltd dans cet aéroport. L’entrée au gouvernement du parti libéral-démocrate de Nick Clegg, favorable à une solution combinée avec le train à grande vitesse, remet en cause cette décision et se traduit par plusieurs m£ de pertes pour le groupe BAA Ltd qui avait lancé des études exploratoires.

MAG plc Londres
Ouverture du capital en 1988 (Airports Act), avec la création d’un consortium public: ville de Manchester (55%) et 9 collectivités locales voisines (5% chacune).
Acquisition de 3 plates-formes: East Midlands (Nottingham), Bornemouth et Humberside.
Depuis 2001, création de MAG Development, filiale à 100%, qui s’occupe de la gestion du foncier sur les 4 plates-formes: développement de l’offre immobilière (entrepôts, bureaux), acquisition de parcelles supplémentaires.
MAG plc passe de 784 millions £ d’actifs gérés en 1997 à 1565,2 millions £ d’actifs gérés en 2010, avec un chiffre d’affaires de 348,9 millions £ en 2010.

BAA plc et le régulateur : quelques étapes

1990 1re enquête de l’Office of Fair Trading à l’encontre de BAA plc pour suspicion d’abus de position dominante
2000 Competition review: BAA plc peut conserver ses aéroports londoniens
2003 Arrêt de la Cour de Justice Européenne à l’encontre du maintien de golden shares
2006 Enquête de la Commission de la concurrence sur le marché des aéroports britanniques
2008 Mise en vente de Gatwick
2009 La Commission de la concurrence demande la vente de Stansted et, au choix, d’un aéroport en Écosse; décision contestée avec succès par BAA plc (Competition Appeals tribunal); enquête par le Département des Transports sur la régulation économique des aéroports britanniques
2010 Décision confirmée en appel (Court of Appeal)
2011 BAA plc se voit refuser le droit de faire appel de cette décision devant la Cour suprême

32Cette incertitude politique a aussi pour effet indirect de relancer des programmes d’investissements d’envergure dans les aéroports londoniens, chaque opérateur cherchant à démontrer sa capacité à financer les investissements que nécessite la construction d’une nouvelle piste. Suivant la démarche adoptée à Londres-City Airport depuis 2006, GIP a d’abord annoncé un programme d’investissements visant à moderniser les installations existantes de Gatwick, sans exclure un projet de construction d’une nouvelle piste à moyen terme. Si l’on en croit les études menées en interne par BAA plc avant la mise en vente de l’aéroport, la construction d’une deuxième piste permettrait à elle seule d’accueillir 80 millions de passagers annuels (contre 35 millions aujourd’hui) – pour rappel, Heathrow accueillait 67 millions de passagers en 2008 (The Sunday Times, 21/10/2009). En ce qui concerne BAA Ltd, le programme d’investissements est centré sur l’aéroport Heathrow (1200 m£), avec des compléments à Stansted (109 m£) et dans les aéroports écossais (Glasgow, 31 m£; Edinburg, 40 m£).

33La trajectoire du groupe BAA depuis 1986 montre ainsi les limites, à long terme, d’un business modèle centré sur la maximisation de sa situation de rente de monopole, une tendance exacerbée par le cadre de régulation des aéroports britanniques. D’une part, la politique tarifaire en matière de fixation des redevances aéroportuaires n’a pas suffisamment incité l’opérateur à investir (Forsyth, 2007, p. 48). D’autre part, la part acquise par les activités commerciales dans les revenus annuels de l’opérateur a accru sa dépendance au marché (Morisson, 2009, p. 114). Depuis la vente de Gatwick et les incertitudes liées à l’avenir de Stansted, BAA Ltd a opéré une volte-face sur la question de l’offre aéroportuaire, et se montre désormais en faveur de sa localisation à Heathrow. Sa situation financière et les déboires rencontrés lors de l’ouverture du Terminal 5 placent l’opérateur dans une situation difficile pour défendre un projet conduisant à accroître la centralisation du système aéroportuaire national dans cet aéroport. Pour autant, un tournant semble se dessiner dans la conception qu’a l’opérateur de son métier: résolument engagé dans le développement des activités non aéroportuaires, qui constituent plus de la moitié de son revenu annuel, l’opérateur redéfinit son rôle de gestionnaire d’infrastructure et tend à se rapprocher de ses principaux concurrents en Europe, Fraport AG et ADP.

Tableau 1

Classement des aéroports mondiaux (en millions de passagers)

Tableau 1
2000 2008 2010 (résultats provisoires, nov.) Rang Ville (aéroport) Total Rang Ville (aéroport) Total Rang Ville (aéroport) Total 1 Atlanta 80,1 1 Atlanta 90 1 Atlanta 89,1 2 Chicago O’hare 72,1 2 Chicago O’hare 69,3 2 Beijing 73,3 3 Los Angeles 66,4 3 Londres Heathrow 67 3 Chicago O’hare 66,6 4 Londres Heathrow 64,6 4 Tokyo Haneda 66,7 4 Londres Heathrow 66,4 5 Dallas/Fort Worth 60,7 5 Paris CDG 60,8 5 Tokyo Haneda 63,8 6 Tokyo Haneda 56,4 6 Los Angeles 59,4 6 Los Angeles 58,7 7 Francfort 49,4 7 Dallas/Fort Worth 57 7 Paris CDG 58,3 8 Paris CDG 48,2 8 Beijing 55,9 8 Dallas/Fort Worth 56,7 9 San Francisco 41 9 Francfort 53,4 9 Francfort 53 10 Amsterdam 39,6 10 Denver 51,2 10 Denver 52 Source: Airport Council International / Data centre, mars 2011.

Classement des aéroports mondiaux (en millions de passagers)

Tableau 2

Les opérateurs aéroportuaires, acteurs économiques de leurs territoires (2009)

Tableau 2
Aéroports de Paris (a) Fraport (b) British Airports (c) Chiffre d’affaires 2633,4 m€ 2010,3 m€ 2012 m£ Nombre de passagers (millions) 83 50,93 147,6 Fret & courrier (millions tonnes) 2,1 2,6 1,49 Nombre d’employés 12096 12081 15337 Entreprises sur sites 1100 500 — Source: Compilé par l’auteur à partir des rapports annuels 2010 des trois opérateurs.

Les opérateurs aéroportuaires, acteurs économiques de leurs territoires (2009)

Tableau 3

Évolution de la formule de fixation des prix à Heathrow (1986-2010)

Tableau 3
1987-1990 1992-1993 1994 1995-1996 1997-2002 2003-2008 2008-2009 2009-2013 -1 -8 -4 -1 -3 + 6,5 + 23,5 +7,5 Source: Compilé par l’auteur à partir de Graham (2008, p. 158)

Évolution de la formule de fixation des prix à Heathrow (1986-2010)

Figure 1

Évolution du trafic passagers 2000-2009 (en millions de passagers) dans les aéroports du groupe BAA

Figure 1

Évolution du trafic passagers 2000-2009 (en millions de passagers) dans les aéroports du groupe BAA

Source: BAA Airports Ltd (2010)
Tableau 4

Comparaison du chiffre d’affaires (en millions de £) de BAA Airports plc et BAA Limited avant (2007) et après (2008) restructuration

Tableau 4
BAA Airports plc BAA Limited Montant net des actifs 21140 22186 Produit des activités ordinaires 2247 2590 EBITDA 1092 Résultat net 577 23 Capital investi 1147 1200 Endettement net 16779 — Nombre de passagers 155,7 151,4 Recettes commerciales / passagers (en £) 3,27(a) — (a) Seulement les aéroports britanniques (sans Naples) Source: Rapport annuel 2006 BAA Airports plc.

Comparaison du chiffre d’affaires (en millions de £) de BAA Airports plc et BAA Limited avant (2007) et après (2008) restructuration

Figure 2

Répartition des revenus de BAA Airports plc en 2006

Figure 2

Répartition des revenus de BAA Airports plc en 2006

Source: Rapport annuel 2006 BAA Airports plc.
Figure 3

Répartition des revenus de BAA Limited en 2008

Figure 3

Répartition des revenus de BAA Limited en 2008

Source: Rapport annuel 2008 BAA Limited.
Tableau 5

Évolution du chiffre d’affaires (en millions de £) de BAA (SP) Limited (2008-2010)

Tableau 5
2008 (a) 2009 2010 Montant net des actifs 12470 11730,5 12776 Produit des activités ordinaires 1826 1977 2074 EBITDA 756,2 885,2 966,9 Capital investi 1031 1002 841,1 Endettement 9426 8579 9921 Nombre de passagers 85,9 89,2 84,3 Recettes commerciales/ passagers (en £) 4,45 4,72 5,29 (a) Londres-Gatwick exclu Source: compilé par l’auteur à partir des rapports annuels de BAA(2008-2010).

Évolution du chiffre d’affaires (en millions de £) de BAA (SP) Limited (2008-2010)

Figure 4

Répartition des revenus de BAA (SP) Limited en 2010

Figure 4

Répartition des revenus de BAA (SP) Limited en 2010

Source: Rapport annuel 2010 BAA (SP) Limited.
Tableau 6

Propriété des principaux aéroports britanniques en 2010

Tableau 6
Date d’ouverture du capital Propriétaire actuel Aéroport (rang) 100% privé 1987 BAA-Ferrovial London-Heathrow (1) 1987 Global Infrastructure Partners (2009) London-Gatwick (2) 1987 BAA-Ferrovial London-Stansted (3) 1987 BAA-Ferrovial Édimbourg (6) 1987 BAA-Ferrovial Glasgow (8) 1987 BAA-Abertis Aberdeen (14) 1987 Infratil Ltd Prestwick (19) 1990 BAA-Ferrovial Southampton (18) 1990 Peel Airports Ltd Liverpool (10) 1994 TBI-Abertis (depuis 2005) Belfast International (13) 1994 EISER infrastructure fund (2008) Belfast City (17) 1995 TBI-Abertis Cardiff Wales (20) 1997 Ferrovial-Macquarie Bristol (9) 2005 Peel Airports Ltd Doncaster Sheffield (21) 2006 Global Infrastructure Partners + (2008) London City Airport (16) Mixte 1997 Metropolitan Council- Macquarie Birmingham (7) 1998 TBI-Abertis (concession 30 ans) London-Luton (5) 2001 Local authorities + Macquarie- Copenhague Newcastle (11) 2003 Local authorities + Peel Airports LTD Durham Tees Valley (31) 100% public (local) 1984 Scottish Governement (1995) 11 aéroports (incl. Inverness, Dundee) 1987 Manchester Airports Group (Manchester + 9 Borough councils) Manchester (4) 1993 Manchester Airports Group (2001) Nottingham East Midlands (12) 1995 Manchester Airports Group Bornemouth (23) Source: Compilé par l’auteur à partir de différentes sources, dont Graham (2008, p.39) ; Starkie (2008, p.22-26).

Propriété des principaux aéroports britanniques en 2010

Bibliographie

Bibliographie

  • BAA Airports Ltd, 2010, Forecas-ting & statistics: 10 year record, Lon-don, BAA plc: http://www.baa.com/
  • BAA limited, 2010, BAA’s regulated airports, Investor reports 2008-2010, London, BAA plc
  • CAA, 1989, Traffic Distribution Policy for the London Area and Strategic Options for the Long Term, A Consultation Document, ref CAP 548.
  • Czerny A., 2006, “Price-cap Regulation of Airports: Single-till Versus Dual-till”, Journal of Regulatory Eco-nomics, 30(1), pp. 85-97.
  • Forsyth P., 2007, “The Impacts of Emerging Aviation Trends on Airport Infrastructure”, Journal of Air transport Management, 13, pp. 45-52.
  • Graham A., 2008, Managing Air-ports: An International Perspective, Oxford / Burlington (MA), Elsevier, 3rd ed.
  • Halpern C., 2006, La décision publique entre intérêt général et intérêts particuliers, Thèse de doctorat, IEP de Paris
  • Halpern C., Lorrain D., 2010, « HUB (aéroports et ports). Ferrovial/BAA: une transaction de trop? », Flux, n°79/80, janvier-juin, pp.140-152.
  • Humphreys I., Ison S., Graham F., 2007, “UK Airport Policy: Does the Government have any Influence?”, Public money and management, nov., pp. 339-343.
  • IDCH (ed.), 2000, “BAA plc”, International Directory of Company Histories, Vol. 33. St. James Press: http://www.fundinguniverse.com/company-histories/BAA-plc-Company-History.html
  • Lorrain D., 2005, « Autoroutes en Europe », Flux n°62, octobre-décembre, pp. 58-74.
  • Lorrain D., 2007, « Les groupes de construction espagnols », Flux n°66/67, octobre 2006-mars 2007, pp. 149-162.
  • Lorrain D., 2010, « Macquarie: une banque dans les infrastructures », Flux, n°81, juillet-septembre, pp. 67-78.
  • Morisson W.G., 2009, “Real estate, factory outlets and bricks: A note on non-aeronautical activities at commercial airports”, Journal of Air transport Management, 15, pp. 112-115.
  • Yang A., Zhang A., 2011, “Price-cap regulation of congested airports”, Journal of regulatory economics, Volume 39, Number 3, pp. 293-312 (Published online: 19 January 2011).

Logo cc-by-nc

Date de mise en ligne : 01/03/2011.

https://doi.org/10.3917/flux.083.0068

Notes

  • [1]
    Voir: Halpern, Lorrain, 2010; Lorrain, 2010.
  • [2]
    Les activités aéroportuaires renvoient ici à deux types de revenus. Les revenus aéronautiques proviennent de différents services de trafic aérien, dont la facturation aux compagnies aérien-nes (taxes d’atterrissage, de stationnement, de carburant, etc.) qui fait l’objet d’une régulation dont les modalités varient selon les États et les aéroports. À ceux-ci s’ajoutent des revenus non aéronautiques mais néanmoins associés à l’activité aéroportuaire et pouvant faire l’objet d’une régulation (sécurité, risque aviaire, etc.).
  • [3]
    Les sources consultées pour ce portrait sont les archives du Financial Times (Factiva, LexisNexis UK), ainsi que les rapports d’activités annuels de BAA plc.
  • [4]
    Les revenus non aéroportuaires concernent le développement de commerces, restauration et services, le stationnement, les consignes à bagage, la gestion de biens, la consultance et la participation à l’exploitation / financement d’un autre aéroport.
  • [5]
    Sur la fixation quinquennale des tarifs et le maintien d’une possibilité de contrôle pour le Gouvernement britannique, voir Halpern, Lorrain, op. cit., 2010.
  • [6]
    Le CAA est un régulateur unique à l’échelle nationale et distinct du Département des transports. Il est chargé d’émettre les licences d’exploitation et de superviser la fixation (et la révision périodique) du montant des taxes aéroportuaires, avec une attention particulière pour les aéroports dits régulés.
  • [7]
    La construction du Terminal 5 nécessite aussi l’acquisition de terrains (coût: 2b£).
  • [8]
    Financial Times, 16/10/1995
  • [9]
    À ceci s’ajoute la suppression, en 2008, des crédits d’impôts (1144 m£) au titre de la Industrial Building Allowance, une niche fiscale introduite en 1945 pour financer la reconstruction des infrastructures stratégiques.
  • [10]
    Pour BAA Ltd, le montant de la dette nette est de 11423 m£, et pour ADI Finance 1 Limited, elle s’élève à 12344 m£.
  • [11]
    Voir Halpern, Lorrain, 2010, op. cit.; Lorrain, 2007; 2005.
  • [12]
    UK Government (2003), Aviation White Paper: The future of Air transport.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.168

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions