Notes
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[1]
Je remercie Olivier Coutard (Latts-CNRS) pour sa relecture attentive d’une première version.
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[2]
Cette entreprise a reçu le prix du « business leader of the year » (2001) en Australie ; elle connaît des difficultés en 2004.
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[3]
En partenariat avec Aer Rianta (Irish) depuis 1997.
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[4]
Le succès dans l’appel d’offre de Beyrouth n’aura pas suite si on croit le rapport aux actionnaires 2001, p.6 et 40.
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[5]
Les Échos 29-08-2002.
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[6]
Cette société avait intéressé Vinci en 2001 mais la chute du trafic aérien après les attentats du 11 septembre 2001 l’a conduit à renoncer. Le groupe français détenait toujours au début de 2004 une participation de 14,9%.
-
[7]
Annual report 2001, p.60.
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[8]
Le premier chiffre correspond à « external sales » en millions d’euros, le second aux salariés.
-
[9]
Annual report 2001, p.68.
-
[10]
Hochtief Polska construit la plus grande tour de bureaux de Poznan.
-
[11]
Hochtief détient 48% de Ballast Nedam dont le chiffre d’affaires 2000 était de 2,1 G € (plaquette DAEI).
-
[12]
Contrat analogue au « design and build » dans lequel la firme réalise un équipement clef en main.
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[13]
Access Czech Republic Business Bulletin, december 10, 2001.
-
[14]
Source, Fimag annual report June 2005 et Bauholding Strabag SE, annual report 2004.
-
[15]
FT World Media Abstract, November 15 et September 27, 2002.
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[16]
BBC Monitoring European Political, July 22 et October 7, 2002.
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[17]
ENR June 2002.
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[18]
Voir pour cette histoire, « 1880-2005, 125 years Bilfinger Berger », plaquette éditée par le groupe.
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[19]
Les Échos, 16 septembre 1999.
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[20]
Civil Engineering, January 1999.
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[21]
ENR 7 juillet 2001 et Annual Report 2004, p. 41.
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[22]
Business Week, 22 décembre 2003.
1Après avoir présenté plusieurs opérateurs autoroutiers et quelques problèmes d’économie industrielle soulevés par la privatisation totale du secteur en France (Flux n° 62) nous poursuivons par l’étude de firmes de construction qui interviennent dans l’exploitation d’infrastructures ou d’équipements urbains. Le principe qui nous semble réunir toutes ces firmes, au-delà de leurs histoires et de leurs activités particulières, tient à la quête d’activités plus stables que la construction « classique». Elles se tournent vers de l’exploitation. Cette tendance s’exprime de différentes manières. Certaines se sont adossées à de l’exploitation d’autoroutes ; c’est le cas de Vinci et d’Eiffage en France, de Ferrovial et de Sacyr en Espagne. D’autres s’intéressent à la conception-construction-exploitation de grands équipements comme les ports (Dragados) et les aéroports (Hochtief). Des firmes appliquent le même concept de globalisation à des équipements (immeubles, usines) ou à des portions de réseaux (tunnels, parkings, tronçons d’autoroutes), on trouve Bouygues-Colas, Bilfinger Berger, Strabag. Enfin, comme nous le montrerons dans un numéro consacré au cas anglais, une réforme comme la loi PFI de 1992 a élargi le champ des interventions en appliquant cette approche globale non seulement à des réseaux (autoroutes, chemins de fer) mais aussi à des grands équipements publics : hôpitaux, universités, écoles, prisons. Les lois sur les PPP adoptées dans différents pays comme les politiques d’outsourcing de nombreuses grandes firmes industrielles ou de services confortent cette tendance.
2Dans cet article [1], nous nous intéressons aux majors allemandes : Hochtief, Strabag, Bilfinger Berger.
3Bien que première puissance économique en Europe, l’Allemagne ne peut se prévaloir des plus grands groupes du secteur. Depuis une forte croissance consécutive à la mise à niveau des Länder de l’Est, au début des années 1990, le bâtiment connaît une longue atonie. Tous les analystes convergent depuis plusieurs années : « no sector of the stagnant German economy is doing as badly as the construction industry… this is the worst crisis in the industry since the second world war » (Financial Times 11 Mai 2005, R. Milne). Le n°1 Philipp Holzmann a disparu au début de 2002 malgré un plan de sauvetage monté quelques années plus tôt avec le soutien du gouvernement Schröder. Walter Bau a déposé son bilan au début de 2005. Ne subsistent dans ce paysage que trois grands groupes : Hochtief, Strabag, Bilfinger. Et encore, Hochtief a largement réduit ses effectifs et s’appuie sur ses filiales étrangères.
4Le secteur n’est pas tiré par des grands programmes (comme en Espagne) pas plus qu’il n’est agité par des annonces de fusion-acquisition. Il reste très largement organisé à partir de firmes régionales de moyenne taille. On peut voir dans cette structure de l’industrie différente de l’Espagne ou de la France l’expression de facteurs généraux : i) la prégnance des économies régionales, ce qui limite une expansion naturelle de réseaux d’affaires nationaux, ii) la force d’une conception publique de l’organisation des services en réseaux qui n’a pas favorisé les privatisations, iii) le maintien d’une maîtrise d’ouvrage indépendante qui réduit les possibilités d’intégration pour les grandes firmes.
5Malgré tout, des évolutions sont susceptibles à terme d’affecter cette structure industrielle. L’Allemagne a adopté récemment une loi sur les PPP ; les grandes firmes vont tirer parti de leur savoir-faire intégré. Le secteur des transports va évoluer. Dans une logique des flux est-ouest (qui correspond aux circulations de marchandises), les entreprises allemandes se trouvent bien placées pour participer aux projets autoroutiers. C’est déjà le cas en Pologne. La Hongrie engage un programme de voies rapides chiffré à 4 G € entre 2005 et 2007 (en janvier 2004 les analystes ne savaient pas quelle serait la place du secteur privé). La modernisation du réseau autoroutier allemand est à l’ordre du jour.
Hochtief
6Hochtief est le plus ancien groupe de construction allemand fondé dans les années 1870 par les frères Helfmann à Frankfurt am Main. Il s’est développé sur le marché local, a connu des changements d’actionnaires. Jusqu’en 1986 la famille Finck détient 25% du capital par l’intermédiaire d’une holding (Custodia). À cette date RWE, qui commence une politique de diversification, acquiert 56%. Les choses resteront ainsi jusqu’en février 2004 date à laquelle le conseil d’administration du groupe électrique approuve la décision de se désengager. Cela faisait deux ans que les analystes financiers recommandaient des cessions et une concentration sur le métier principal de l’énergie. Les titres sont cédés à des investisseurs européens et étrangers. En 2005 la famille Finck (via Custodia) revient dans le tour de table d’Hochtief jusqu’à dépasser le seuil des 10%. Le groupe de construction stabilise ainsi son capital très dispersé depuis le retrait de RWE et qui l’exposait à des OPA inamicales. À la fin de 2005 l’équilibre s’établit comme suit : 10% Custodia, 9% détenus par Hochtief, 7% par RWE, quelques autres institutionnels et 58,7% en flottant (Frankfurter Allgemeine Zeitung, 10 Février 2006).
7Depuis la faillite de Philipp Holzmann en 2002, le groupe Hochtief est aussi le n°1 de la construction en Allemagne et le 4ème groupe européen. Il résiste mieux que d’autres au marasme persistant du secteur en Allemagne grâce à sa très forte implantation à l’étranger avec Ballast Nedam (NL), Leighton Holdings (Australie [2]) et surtout Turner (E-U) acquise en 1999 qui représente environ la moitié du chiffre d’affaires du groupe. En 2000, Aecon (Canada) et VSB a.s (Prague) ont rejoint la consolidation. En une dizaine d’années, le groupe est passé d’un portefeuille d’activités reposant à 80% sur le marché allemand à une activité internationale à 80%. Il aura supprimé les deux tiers de ses effectifs dans le BTP en Allemagne depuis le début de la crise ce secteur (Les Échos 27 août 2003). Parallèlement à ce redéploiement spatial, le groupe a pris le virage de l’exploitation. Il développe une forte présence dans deux infrastructures de transport : les aéroports et les équipements à péages (tunnels, autoroutes). Ses acquisitions aux États-Unis et en Australie le renforcent dans le project management. En 2005, les activités dans les aéroports comme dans dix contrats de PPP représentaient une valeur actualisée nette de 870 M €, dont 665,7 M € pour quatre aéroports et 204,6 M € pour les projets de PPP (Interim Report 2005 : 10).
8Le groupe détient des participations dans les sociétés concessionnaires de cinq aéroports : Athènes, Düsseldorf [3], Hambourg [4], Sydney, Tirana (Interim Report, 2005). Au printemps de 2005, afin de réduire sa dette il cède ses participations dans les quatre premiers à des investisseurs. Ce segment reste très compétitif. La privatisation de l’aéroport de Berlin qu’il remporte en 2002 est contestée et finalement n’aboutit pas [5]. En 2004, il renonce à acquérir TBI, l’opérateur anglais qui exploite Londres-Luton, Belfast, Cardiff et Stockholm-Skasta [6]. Il participe à la privatisation des aéroports de Dehli et de Mumbai mais le changement continuel des règles du jeu par les autorités indiennes a raison de l’intérêt du groupe allemand comme de l’opérateur de Singapour ; ils se retirent à l’automne 2005 (Financial Times, 14 septembre 2005). Il échoue aussi à la fin de 2005 pour l’aéroport de Budapest repris par BAA pour une durée de 75 ans, sous la forme d’un management contract (Financial Times, 9 décembre 2005). Il remporte le contrat de concession pour le nouvel aéroport de Rinas (Croatie).
9Hochtief poursuit une politique d’exploitation d’équipement avec une division spécifique (Facility Management) qui collabore avec les autres unités du groupe pour des contrats de PPP. Parmi les réalisations : un tunnel à Lübeck (1ère infrastructure de transport dans un schéma BOT en Allemagne), un périphérique à Santiago du Chili [7] et d’autres opérations analogues en Australie, États-Unis et Afrique du Sud. En 2003, Hochtief construit une liaison ferroviaire urbaine à Cologne ; cette ville s’est engagée dans un grand programme de modernisation de ses infrastructures qui mobilise plusieurs ténors du secteur. Leighton en Australie obtient une concession de 33 ans pour un tunnel à péage à Sydney. Turner aux États-Unis obtient, à la fin de cette année 2003, un contrat pour construire un nouveau terminal pour l’aéroport d’Oakland. L’activité de facility management est renforcée en 2003 par la reprise du département équivalent du groupe Siemens. À terme, le groupe vise un objectif de 50% de son chiffre d’affaires dans cette activité, contre 20% aujourd’hui.
Structure du groupe (données 2005)
10Hochtief AirPort (1,3 M € ; 48 sal. [8]) ; cette division fournit des services et du conseil et n’inclut pas les activités d’exploitation des aéroports, ce qui explique son faible chiffre d’affaire avec 1,3 M €. Elle a été affectée par la conjoncture du secteur après le 11 septembre 2001 : ralentissement du trafic, grèves de personnels des compagnies et décisions publiques différées (comme à Sydney). Au cours des neuf premiers mois de 2005 les cinq aéroports où le groupe intervient avaient enregistré 52,8 millions de passagers. La croissance de l’activité est aussi tirée par la croissance organique de chaque aéroport : construction d’hôtels, de parkings, de centres de conférence comme dans le cas de Düsseldorf présenté en 2005 (Interim Report). Comme dans le secteur autoroutier, le contrôle des nœuds de réseaux donne aux opérateurs la possibilité de développer des services qui viennent densifier ces nœuds pour en faire des capteurs de trafics, toujours plus puissants.
11Hochtief Development (723,8 M € ; 3866 sal.) est la division par laquelle le groupe participe aux « privatisations » des autoroutes en Allemagne (avec deux projets), à l’étranger et aux divers projets de PPP. Cette division se structure en trois branches : Hochtief PPP Solutions, Hochtief Projekt, Hochtief Facility Management. Par sa filiale canadienne Aecon, le groupe se positionne sur des opérations de concession ou de BOT : projet d’autoroute à péage entre Tel Aviv et Jerusalem [9] (durée 30 ans, dont les 4,5 ans de construction, évaluation à 1,3 G €).
12Hochtief Americas (5505 M € ; 6107 sal.) ; cette division qui correspond à Turner et à ses filiales a largement contribué au succès global des dernières années. Elle est très active dans la construction de bâtiments complexes : immeubles de grande hauteur incluant des bureaux, des parkings et du commerce, des bureaux pour de grandes firmes, des centres de recherche [10]. Des filiales restent actives dans les aéroports (Quito, achèvement en 2009).
13Hochtief Asia Pacific (3446 M € ; 16 952 sal.) ; cette division a connu des difficultés en 2004 mais globalement elle est tirée par l’économie de la région. Leighton (Aus) participe à plusieurs projets de centrales électriques en Asie : Thaïlande, Indonésie, Vietnam. Pour cela elle se trouve associée à Siemens KWU comme constructeur. Elle intervient dans le secteur minier australien et dans des infrastructures : chemin de fer souterrain à Hong Kong, autoroute urbaine à Melbourne. Associée à un groupe Chinois (China State Construction Engineering), elle réalise un grand complexe à Macao (casino et hôtel).
14Hochtief Construction Europe Division (2087 M € ; 8 994 sal.). En 2001 l’ancienne division « building and civil works » a été autonomisée pour former Hochtief Construction AG. Outre une activité « classique » dans le bâtiment, dans la construction d’immeubles elle a développé des compétences dans les infrastructures :
- Hochtief intervient dans la construction de tunnels (sur la Weser au sud de Bremer-haven ; St Gotthard : tunnel double de 57 km de long, achèvement en 2014 pour un coût de 1 G €). Une filiale autrichienne (Hugo Durst) intervient dans la liaison – Skylink – de l’aéroport de Vienne.
- Le groupe a aussi des compétences dans les liaisons ferroviaires à grande vitesse. Il construit des portions des lignes de l’ICE ; sa filiale anglaise a remporté un contrat pour une portion de 109 km pour le train à grande vitesse Londres/channel devant être mis en service en 2006. Avec sa filiale Ballast Nedam (NL) [11] il participe à la liaison rapide entre Taipei et Kaoshiung (Taiwan).
- Hochtief est présent dans les ports : contrat de « turnkey [12] » dans l’état indien du Karnataka ; contrat à Port Elisabeth (Afrique du Sud).
- En Argentine, le groupe construit une portion de 50 km d’autoroutes et 10 km de ponts autour du rio de la Plata pour relier les villes de Rosario et Victoria.
Strabag
15Ce qu’on appelle communément Strabag est une entreprise reposant sur deux branches, l’une en Autriche qui fonctionne comme niveau de consolidation et commande la branche autrichienne (Bau holding Strabag, 5,6 G € d’activité en 2003), l’autre en Allemagne (Strabag, 3,3 G € d’activité en 2003 et 2.8 G € en 2002).
16À l’origine, Strabag est une société familiale allemande dont l’origine remonte à 1895. Elle prend le nom de Strabag en 1930, est introduite en bourse en 1949. Elle est alors dirigée par Wilhem Werhahn, originaire de Cologne qui la développe autour d’une compétence technique dans les routes et les tunnels. En 1965 est créée une filiale autrichienne. Au cours des années 1990, tout en conservant sa compétence principale Strabag se développe en Europe de l’Est. Parmi les acquisitions importantes intervient, en 1996, celle de Stuag une entreprise autrichienne fondée en 1928. Strabag était alors classée au 4ème rang en Allemagne, derrière Philipp Holzmann, Hochtief et Bilfinger und Berger. (www.strabag.com, Group History)
17La branche autrichienne a pour origine l’entreprise Ilbau. En 1835, un artisan crée son affaire en Autriche. C’est bien plus tard, en 1954, qu’est créée l’entreprise Isola & Lerchbaumer qui prend le nom de Ilbau. Elle est transformée en société en commandite en 1975. Puis en 1987, une holding de contrôle Bau Holding AG est créée et introduite à la bourse de Vienne. L’ensemble est contrôlé par la famille Haselsteiner. Le dispositif distingue donc le contrôle par la holding et le pilotage effectif des affaires par Ilbau qui sera le vecteur d’intégration de la plupart des rachats d’entreprises de construction. Après la chute du mur de Berlin et la recomposition qui s’en suit elle se développe dans toute la région : Russie, Pologne, Slovaquie, République Tchèque, Croatie, Hongrie ; dans ce dernier pays la firme a un partenariat avec Bouygues pour la construction de l’autoroute M5.
18En 1998, Bau Holding AG change de dimension en rachetant la part du fondateur de Strabag (Wilhem Werhahn). Les deux firmes se complètent bien ; elles ont mené toutes les deux des acquisitions à l’est. Le nouveau Strabag achève en 2001 sa fusion avec Ilbau en République Tchèque qui renforce sa compétence sur les marchés publics routiers [13]. Strabag reste emblématique d’une stratégie « Mittel Europa » (voir encadré, les filiales par pays).
19Au milieu de l’année 2001, la direction procède à une réorganisation des structures de contrôle. La famille fondatrice possède 50% plus une action d’une structure de contrôle, BIBAG. Cette structure détient la majorité des droits de vote d’une holding cotée à Vienne « Bau Holding Strabag AG » qui détient elle-même 65% de chaque branche opérationnelle : en Autriche avec Bau Holding Beteiligungs AG (société non cotée) et en Allemagne Strabag Beteiligungs AG cotée sur le marché à Frankfurt (Annual report, 2001 : 4). Le groupe se trouve donc contrôlé par la famille fondatrice de Bau Holding grâce à un montage complexe qui la met à l’abri d’une OPA conventionnelle.
Nombre de filiales par pays
Nombre de filiales par pays
20Ce dispositif va faire l’objet de plusieurs transformations. En 2003, Bau Holding Strabag AG est retirée de la cotation à Vienne ; l’année suivante elle adopte le statut de société européenne. Cette même année 2004, des actifs sont remontés au niveau de la première holding de contrôle (BIBAG) ; elle devient le lieu du contrôle stratégique et de reporting, sous le nom de FIMAG. L’année 2005 est très importante. Le cinquième groupe allemand, Walter Bau, fait faillite. Le groupe Strabag va reprendre les principaux actifs de cet ensemble hétéroclite. FIMAG prend le contrôle de Dywidag International qui commande plusieurs sociétés : Ing. Bau, Walter Heilit ; c’est un ensemble de 3100 salariés et un chiffre d’affaires d’environ 1 G €. La reprise porte aussi sur 53,6% de E. Züblin (entreprise de Stuttgart), elle emploie plus de 7000 employés et a un chiffre d’affaires de 1,5 G €.
21À ce point du parcours on voit se renforcer une firme, très présente dans le centre de l’Europe, très peu connue et au fond très fermée car elle s’est construite à partir de firmes familiales non cotées. Aux deux branches allemande et autrichienne vient s’ajouter une partie du groupe Walter Bau. Ces rachats changent la géométrie du groupe, ses compétences et sa taille. Essayons d’en estimer l’activité. En 2004, FIMAG AG, nouvelle holding de contrôle, a un chiffre d’affaire consolidé de 5,96 G € ; il intègre toutes les filiales et en particulier Strabag AG la branche allemande, filiale à 65%. Cette dernière ressort dans les comptes consolidés pour 1,97 G € [14] mais son activité totale est de 3,4 G € (classements de la DAEI pour 2004), donc il faut ajouter une activité de 1,4 G €. Avec les apports de Walter Bau l’activité augmente d’environ 2,5 G €. Le groupe pèse autour de 9,5 G € (5,9 + 1,4 + 2,5) en fonction des re-classements qui sont à prévoir, ce qui le classe au 6ème rang européen.
Les grandes divisions en 2001 (rapport annuel de Bau Holding AG)
22Strabag est un groupe très présent dans les routes et les autoroutes en Allemagne, Autriche et Europe centrale. En 2003, il cherchait à s’implanter par un rachat en Pologne, où plusieurs ténors sont déjà présents (encadré). Comme tous les ténors, il se positionne sur la conception et l’exploitation en participant à des concessions ou des BOT. Cette orientation ne s’est pas démentie depuis la fusion. Observons que sa structuration en quatre segments sera peut-être affectée par l’intégration du groupe Walter Bau.
23Overground Engineering, (47% en Allemagne, Autriche 27%, Peco 23%). Cette activité de general contractor comprend des centres commerciaux, des immeubles de bureaux ou des hôtels. Le groupe par exemple réalise un centre commercial intégré de 60 000 m2 dans le centre de Prague avec des bureaux et des parkings ; l’achèvement est prévu pour l’été 2007. [15]
24Road contruction, (Allemagne 44%, Autriche 27%, Peco 21%), c’est l’activité la plus importante du groupe, pour laquelle il aligne une compétence intégrée. Il a repris le département route de Hochtief et à la fin de 2002 Deutsche Asphalt cédée par Philipp Holmann, (c’est une société de 1500 employés avec un chiffre d’affaires d’environ 150 M €). Le groupe participe activement au programme de développement du réseau dans les pays de l’Est. En 1997, le consortium qu’il anime avec Transroute et d’autres partenaires polonais remporte la concession de l’A2 en Pologne (364 km), face à une association de Bilfinger et de Dragados ; un premier tronçon entrait en exploitation quatre ans plus tard. En 2002, cette fois en Hongrie, il est sélectionné pour l’autoroute M7 et son complément routier M70 [16]. En Tchécoslovaquie, associé à l’ingénieriste américain Kellog Brown & Root (Halliburton), il prépare un projet d’autoroute en concession (80 km et 860 M$) [17].
25Tunneling & civil engineering (Allemagne 18%, Autriche 41%, Suisse 29%). À la première activité correspondent souvent des tunnels ferroviaires ; la seconde comprend des ponts ou des centrales électriques.
26Project development, c’est un département qui intègre les grands projets de construction : des acquisitions foncières jusqu’au suivi de tout le processus. À la fin de 2002 le groupe signe un contrat pour la construction de l’aéroport de Sofia.
Bilfinger Berger
27Bilfinger Berger, communément appelée B + B, est une firme issue du rapprochement de trois entreprises dont l’origine remonte à la fin du XIXe siècle. C’est aujourd’hui un ensemble très internationalisé, aux compétences reconnues dans les grands ouvrages — génie civil et travaux publics — qui se développe dans les services à l’industrie, les BOT et les contrats de PPP.
28La première entreprise est Grün et Bilfinger [18]. Son origine remonte à 1880 lorsque August Bernatz crée à Speyer une entreprise avec deux associés ; elle est chargée de la construction d’un réservoir en Lorraine (alors allemande) pour réguler le niveau du canal Rhin-Marne et d’un autre dans la Sarre, ce qui révèle une origine liées aux grands ouvrages ayant trait à l’environnement. L’entreprise s’installe à Mannheim et développe son activité dans les travaux hydrauliques. Bernatz s’associe avec August Grün qui en deviendra rapidement le directeur. Bernatz quitte la société en 1892, il est remplacé par Paul Bilfinger un ingénieur spécialiste des constructions de ponts. Quelques années plus tard son frère, lui aussi ingénieur, rejoindra la compagnie. Voilà donc formée l’entreprise Grün und Bilfinger qui déjà se caractérise par ses compétences techniques pour des grands ouvrages ; elle réalise notamment le pont sur le Rhin à Worms entre 1897 et 1900. Au tournant du siècle elle se développe dans les chemins de fer. Les capitaux à mobiliser sont plus importants, l’entreprise se transforme en société par actions en 1906 avec la Dredner Bank comme partenaire. Elle construit alors un chemin de fer en Hongrie, des ouvrages portuaires dans des colonies africaines. En 1912, elle est introduite en bourse.
29C’est en 1890 que sont fondées les deux autres firmes. Berlinische Bodengesellschaft, plus communément appelée Baugoag AG, est tournée vers le développement urbain, la construction de logements et de bâtiments publics et la promotion, tandis que Julius Berger fonde une entreprise qui dès le début interviendra dans les chemins de fer en Prusse et en Poméranie. En 1905 Julius Berger devient une société par actions et continue son expansion en construisant des routes, des ponts et en se recentrant sur la région de Berlin où elle installe son siège en 1910. La firme se développe aussi dans la construction d’un canal, d’un barrage et d’une centrale électrique. Retenons de ces premières années un fort héritage dans les travaux publics.
30Ces trois firmes vont participer à l’équipement de l’Allemagne pendant l’entre deux guerres et à sa reconstruction après 1945. Elles seront parfois associées comme pour la construction du canal de Kiel en 1909, ou un tunnel autoroutier à Hambourg en 1968. Elles se développent à l’international dans les pays voisins (Suisse ou pays de l’Europe Centrale) et dans quelques pays africains.
31Leurs routes vont finalement se croiser car elles ont la Dresdner Bank comme actionnaire commun. Une fois passé le boom de la reconstruction, vers 1965, le marché allemand faiblit. Il leur faut donc imaginer de nouvelles stratégies : développer l’international, se rapprocher. Un artisan de cette politique sera Jürgen Ponto le représentant de la banque – que l’on qualifie encore aujourd’hui chaleureusement de « père spirituel » du nouvel ensemble (Bilfinger Berger Magazine, 2-2005 : 33). Julius Berger AG et Bauboag AG fusionnent en 1969, la seconde firme se repositionne sur les immeubles de bureaux et de commerce. En deux étapes, en 1970 et 1971, c’est ensuite Grün et Bilfinger qui acquiert 93% du nouveau Julius Berger. Chaque firme conserve son indépendance, c’est-à-dire sa raison sociale, son management. C’est seulement en 1975 qu’elles fusionnent et prennent le nom de Bilfinger + Berger. Le siège sera à Mannheim. L’actionnaire principal est la Dresdner Bank avec 25%.
32Cette entreprise est intéressante, car outre sa taille elle est internationalisée et elle intervient de différentes manières sur le marché des infrastructures : hier comme simple constructeur, aujourd’hui en mettant en avant ses compétences de conception et en ajoutant de l’exploitation. Elle se positionne, à sa manière sur les DBO, BOT et autres PPP.
33En 1991, l’étranger représentait 36% de son activité. On compte à son actif et depuis longtemps quelques réalisations d’envergure : canal au Soudan (1959), un pont de 9 km au Venezuela et diverses constructions en Roumanie, Bulgarie, Russie, Turquie, Égypte. Le groupe est très actif au Nigeria depuis 1965. Il est aussi présent aux États-Unis par « Fru-Con » achetée au début des années 1980. Cette présence internationale s’est renforcée. Le groupe a été porté par le développement des pays de l’Est. Il a su également tirer parti de la crise de l’immobilier vers 1990 pour racheter différentes firmes familiales qui lui donnent accès à des marchés extérieurs :
- Il reprend au printemps 1992 la majorité de Beazer Asia, branche du groupe anglais qui à la suite de graves difficultés avait été repris en bloc et à l’amiable par le conglomérat Hanson. B + B se positionne ainsi sur les marchés d’Asie — Australie, Indonésie, Macau (pont), Hong Kong (Lantau pont, logements). Quelques années plus tard il rachète la totalité des actions de cette société ; elle est sortie de la cotation à Hong Kong.
- Autre victime de l’effondrement des marchés immobiliers en Angleterre, l’entreprise familiale Birse. B + B entre dans son capital à hauteur de 10% et se retire en 1996 avec des pertes.
- En 1993, le groupe s’implante en Australie en achetant Baulderstone Hornibrook qui a notamment construit l’Opéra de Sydney. Cette présence est confortée à la fin de 2004 avec la reprise de Abigroup, le deuxième groupe de construction du pays.
- En France, B + B intervient sur le chantier du TGV Nord et dans le port du Havre. En 1994, il rachète l’entreprise familiale Razel (2 GF de chiffre d’affaires), fondée elle aussi en 1880. Quelques années auparavant, à la suite de difficultés sur des chantiers africains, cette entreprise familiale avait dû se rapprocher de Dumez, avant d’être rachetée, restructurée et cédée.
35L’activité s’organise désormais en quatre grands segments (encadré).
36Le segment « civil » qui représente 36% de l’activité et un quart de l’ebitda correspond d’abord aux nombreuses interventions dans les grandes infrastructures de transport :
- construction et maintenance d’une autoroute de 10 km (M7) à l’ouest de Sydney (8-1998) ; suivi d’un tunnel à péage dans cette ville (Annual Report 2004, p. 40) ;
- chemin de fer et route à 4 voies au Nigéria (1999) :
- toujours en 1999, « project manager » pour le 3ème aéroport de Manille ;
- pont sur le Rhin, attribué par la DDE du Bas Rhin [19]. Diverses filiales ont construit des ponts à haubans (Vietnam, Sydney, Panama) ;
- réalisation, entre 1995-99, d’une autoroute à péage en Thaïlande qui relie en 54 km Bangkok à une ville de l’Est. Cette autoroute de 2 fois 3 voies a comme caractéristique d’être totalement en viaduc selon une technique de fabrication des pylônes mise au point par Jean Muller International [20] ;
- avec cette même technique, réalisation avec une entreprise locale d’une partie de la ligne surélevée pour le train à grande vitesse entre Taipeh et Kaoshiung [21] ; à Taipeh le groupe intervient pour un tunnel ;
- intervention dans la construction du métro de Varsovie ; chef de file pour une nouvelle ligne de métro à Cologne (coût de 470 M$) [22] ;
- intervention de sa filiale française, Razel, à la Réunion et en Algérie pour un barrage destiné à l’approvisionnement en eau d’Alger (2002).
37En 1996, Passavant associé à Razel, la filiale française, remporte le marché public pour la station d’épuration d’Arras (150 000 équivalent habitants). En 2000, B+B, ses deux filiales et la Stadtwerke de Mannheim annoncent la création « d’Aquamundo » pour intervenir sur le marché de l’eau potable à l’international. Parmi les dernières références : deux projets d’eau usée à Aarbergen, une usine de traitement des eaux usées dans les Émirats Arabes Unis, une station de traitement des boues en Chine (Bilfinger Mag, 1-05, p. 40).
38Le groupe est aussi présent par sa filiale GKW qui comprend une branche ingénierie pour le marché intérieur et une branche export avec GKW Consult. Cette société d’ingénierie et d’ingénieurs conseils de 400 personnes en 1992, basée à Mannheim, intervient dans les secteurs de l’eau, de l’assainissement, des déchets et de la planification urbaine. La société a ainsi conçu une station d’épuration en Corée (eq. 600 000 hab), une usine d’eau au Caire (600 000 m3/j). En 2005, le groupe se positionne en Roumanie avec la volonté d’intervenir dans l’amélioration des réseaux d’eau, le traitement des déchets et les grands équipements (port, aéroport, autoroutes).
39Le segment Building and Industrial, correspond à un tiers de l’activité mais proportionnellement à moins de résultat. Cela recouvre la construction d’immeubles de bureaux, de centres commerciaux, d’usines, d’immeubles résidentiels, d’écoles ou d’hôpitaux pour des clients publics ou privés. Le groupe a de solides références en Australie (Baulderstone Hornibrook, Abigroup), aux États-Unis (Fru Con) et en Allemagne.
40Le segment Services correspond au positionnement nouveau vers des prestations de moyenne durée. Le groupe accompagne ainsi le mouvement d’outsourcing dans l’industrie. En 2004 cette activité était de 1,65 G € en progression de 17% et sa contribution à l’ebitda du groupe (les deux tiers) démontrait la rentabilité de ce type d’approche. Les filiales, qui pour plusieurs interviennent aussi dans la construction « classique », se positionnent sur deux marchés : les services à l’industrie et la gestion de bâtiments (facility management). Dans les services à l’industrie Rheinhold et Mahla travaille dans l’industrie de process – installation de canalisations et d’égouts, échafaudages. J. Wolfferts est actif dans l’énergie. Avec le rachat de Babcock Borsig en 2005 le groupe se renforce dans les services pour l’industrie électrique. Les têtes de file dans la gestion de centres commerciaux ou d’immeubles de bureaux qui se développe en Allemagne sont HSG Group et une filiale de Thyssen Krupp reprise en 2004 (DiPro Professional Property Services).
41Cette approche par le service et une temporalité de moyenne ou de longue portée est aussi développée par le segment concession. Pour le moment sa contribution au chiffre d’affaires reste modeste (2%). Bilfinger Berger aborde ce marché par deux entrées : les concessions de transport et les contrats de PPP. Le portefeuille global était de 16 contrats à la fin de 2004, y correspondent des engagements en capital de 171 M € (Annual Report, 2004, p. 50). Dans les transports on retrouve en exploitation cinq projets déjà mentionnés : Expressway à Bangkok, tunnel à Lübeck et à Sydney, M7 à l’ouest de Sydney, M7 en Hongrie. En France B+B participe au projet de A19 avec la Sanef pour partenaire. Sept des onze contrats de PPP correspondent à l’Angleterre (écoles, hôpitaux). Tout ceci reste encore modeste. Mais si on se projette sur quelques années, le groupe acquiert des compétences qui pourront être étendues à d’autres clients, d’autres pays et d’autres secteurs en fonction de la demande et des opportunités.
42Nous vérifions ainsi que la manière de se positionner dans l’exploitation varie dans ses modalités : depuis la maîtrise d’une grande concession (Vinci dans les autoroutes en France) jusqu’à la multiplication des contrats séparés (Bilfinger Berger et Strabag), en passant par des concessions d’équipements ponctuels comme Hochtief dans les aéroports. Nous poursuivrons dans un prochain numéro avec la présentation des groupes espagnols qui présentent d’autres approches.
Notes
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[1]
Je remercie Olivier Coutard (Latts-CNRS) pour sa relecture attentive d’une première version.
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[2]
Cette entreprise a reçu le prix du « business leader of the year » (2001) en Australie ; elle connaît des difficultés en 2004.
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[3]
En partenariat avec Aer Rianta (Irish) depuis 1997.
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[4]
Le succès dans l’appel d’offre de Beyrouth n’aura pas suite si on croit le rapport aux actionnaires 2001, p.6 et 40.
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[5]
Les Échos 29-08-2002.
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[6]
Cette société avait intéressé Vinci en 2001 mais la chute du trafic aérien après les attentats du 11 septembre 2001 l’a conduit à renoncer. Le groupe français détenait toujours au début de 2004 une participation de 14,9%.
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[7]
Annual report 2001, p.60.
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[8]
Le premier chiffre correspond à « external sales » en millions d’euros, le second aux salariés.
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[9]
Annual report 2001, p.68.
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[10]
Hochtief Polska construit la plus grande tour de bureaux de Poznan.
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[11]
Hochtief détient 48% de Ballast Nedam dont le chiffre d’affaires 2000 était de 2,1 G € (plaquette DAEI).
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[12]
Contrat analogue au « design and build » dans lequel la firme réalise un équipement clef en main.
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[13]
Access Czech Republic Business Bulletin, december 10, 2001.
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[14]
Source, Fimag annual report June 2005 et Bauholding Strabag SE, annual report 2004.
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[15]
FT World Media Abstract, November 15 et September 27, 2002.
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[16]
BBC Monitoring European Political, July 22 et October 7, 2002.
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[17]
ENR June 2002.
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[18]
Voir pour cette histoire, « 1880-2005, 125 years Bilfinger Berger », plaquette éditée par le groupe.
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[19]
Les Échos, 16 septembre 1999.
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[20]
Civil Engineering, January 1999.
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[21]
ENR 7 juillet 2001 et Annual Report 2004, p. 41.
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[22]
Business Week, 22 décembre 2003.