Flux 2005/4 n° 62

Couverture de FLUX_062

Article de revue

Autoroutes en Europe (1)

Pages 58 à 74

Notes

  • [1]
    Ce « portrait d’entreprise » se trouve fondé comme les précédents sur notre dispositif de veille. Nous avons soumis une première version à quelques-uns des protagonistes de cette histoire qui ont eu l’amabilité de réagir : opérateur d’autoroute, Macquarie. Je remercie ces personnes pour leurs précieux commentaires. Le texte qui suit n’engage que son auteur.
  • [2]
    Les Autrichiens ont un système de télépéage, également récent, qui concerne les camions de plus de 12 tonnes et pour les autoroutes.
  • [3]
    En France le réseau de Cofiroute (à l’ouest) privé dès le départ constitue une exception. Cette société regroupe les principaux groupes de construction et leurs filiales routières. Une autre autoroute, l’A4 vers l’est avait été également financée par un schéma privé mais le trafic n’étant pas là, les groupes privés se sont retirés et après de longues négociations, le réseau à été repris par les CDC et fusionné avec un autre réseau pour former l’actuelle Sanef.
  • [4]
    En 2002, Autostrade détient 7.8% d’Acesa tandis que celle-ci a 3,85% de son homologue italien et 10% du portugais Brisa ; Brisa a 5.77% d’Acesa
  • [5]
    Financial Times, August 22, 2001
  • [6]
    Lorrain, D. (2002), Capitalismes urbains : la montée des firmes d’infrastructures. Entreprises et Histoire, n°30, septembre, p. 18 suiv.
  • [7]
    Rapport annuel Ferrovial 2001, p12. Financial Times, March 18, 2002
  • [8]
    Pour les prises de position, Le Monde 1er août 2005. C. Saint Étienne, Faut-il privatiser les autoroutes ? Le Monde 29 septembre 2005.
  • [9]
    Sur Enron voir C. Defeuilley, (2001) « Portrait d’entreprise », Flux, n°46, Oct. Décembre, pp. 76-84. (2002) La faillite d’Enron, Entreprises et Histoire, n°30, septembre, pp. 88-99.
    Sur Waste Management, D. Lorrain, (2002) Portrait d’entreprise, Flux n°48/49, avril-septembre, pp. 116 suiv.
  • [10]
    Le « modèle » Macquarie a ceci de particulier : une séparation entre les fonds où se trouvent les actifs sous-jacents et la Banque. C’est cette dernière qui se trouve soumise à la pression des marchés. Ceci étant, comme le montre l’exemple de Suez en 2003/05, si la société mère joue un rôle d’amortisseur des pressions des marchés, elle ne peut tout absorber. Lorsque l’écart entre ce que génère une exploitation et les retours attendus devient trop important, elle ferme. On voit mal comment cette même logique ne s’appliquerait pas aux fonds spécialisés du modèle Macquarie (équivalent des exploitations de la firme de réseau). Sur Suez voir notre article. « La firme locale-globale, Lyonnaise des Eaux, 1980-2004 », Sociologie du Travail, n°3 2005, sur le point discuté, pp. 352-356.
  • [11]
    Le Monde 30 juillet 2005.
  • [12]
    Sur cette question des nœuds de réseaux, de leur organisation et des enjeux liés, voir de nombreux travaux conduits au Latts par F. Margail, A. Sander, P. Zembri. En particulier leurs articles reproduits dans « RIT dans le texte », 1992, 1993, 1994, 1995, 1996, 1997.
  • [13]
    Le Monde, 13 septembre 2005, p. 11.
  • [14]
    Les autres sont Auto Tomi et SIAS
  • [15]
    Les Échos, 29 mai 2001, p. 69.
  • [16]
    Interview du président d’Edizione Holding, Les Échos 17-12-2001, p. 26.
  • [17]
    Cette entreprise italienne s’est développée sur les autoroutes, les aéroports ; elle réalise 55% de son activité aux États-Unis grâce à la reprise de HMS Host ; en France, acquisition de Frantour à la SNCF.
  • [18]
    Sur cette opération voir entre autres : Les Échos, 13/9/1999 ; 25/10 ; 29/11 ; 6/12. À l’époque Edizione Holding (groupe Benetton), avec 18%, commande un syndicat d’actionnaires – Schemaventotto - qui détient 30% du capital. Les autres associés du syndicat sont Acesa (3,85%), Brisa (0,15%), INA (assurance, 2%), Unicredito Italiano (2%), la fondation bancaire de Turin (4%).
  • [19]
    Financial Times January 29, 2003. Les Échos 24 février 2003
  • [20]
    La décision concernant le programme d’investissements a été reportée plusieurs fois ; une première proposition portait sur 4.7 G€ (Reuters 10/03)
  • [21]
    Les Échos 24 février 2003
  • [22]
    Sur tous ces points, voir Negri A. (1990), Benetton un exemple d’entreprise européenne (entreprise et territoire régional), Annales de la Recherche Urbaine, n°46, printemps pp. 87-94.
  • [23]
    Ont affiché leur intérêt pour reprendre les 60% de l’État dans Grandi Stazioni, la société de gestion des gares italiennes, où Edizione Holding détient déjà 40% via Eurostazioni (Pirelli, Catalgirone et la SNCF). En décembre 2001, le groupe annonçait un programme de restructuration de douze grandes gares italiennes pour un total de 415 M€ (Les Échos 17 décembre 2001).
  • [24]
    Si on en croit l’interview d’un dirigeant, le groupe est plus intéressé par les aéroports de taille moyenne (Florence, Bologne) que par les très grands, Les Échos du 17/12/2001. Le groupe est présent dans l’aéroport de Turin ; il a exprimé son intérêt pour la privatisation de l’aéroport de Rome
  • [25]
    Les Échos, 3 mars 2000.
  • [26]
    « Les Benetton pourraient vendre l’entreprise de restauration Autogrill », Le Monde, 23 avril 2004.
  • [27]
    Les Échos, 27 juin 2001, p10.
  • [28]
    Autostrade est notée Aa2 par Moody et AA- par Standard & Poor’s, soit une signature jugée très saine.
  • [29]
    Financial Times May 13, 2004.
  • [30]
    D’après, Reuters.com et Yahoo Profile, automne 2005
  • [31]
    Bel G. et Fageda X., (2005) « Is a mixed funding model for the highway network sustainable over time ? The Spanish case ». In Ragazzi et Rothengatter (eds.), Procurement and Financing of Motorways in Europe, Elsevier.
  • [32]
    Trois concessions d’origine : Tarragona/Valencia/Alicante (225 et 149 km), Sevilla/Cadiz (94 km)
  • [33]
    Les Échos, 26 mars 2002
  • [34]
    La Tribune, 8 février, 2002
  • [35]
    Outre des réseaux en Espagne, Iberpistas détient 25% de la compagnie d’autoroutes chilienne, Elqui.
  • [36]
    Financial Times, March 18, March 26, 2002. Les Échos, 26 mars, 2002.
  • [37]
    Les Échos, 12 juin 2002
  • [38]
    Cette opération est d’abord annoncée avec l’équilibre suivant : 21,1% la Caixa, 12,2% Dragados. Il changera avec l’intégration des concessions détenues directement par Dragados et celle d’Iberpistas. L’équilibre de 2005 est de 23,99% La Caixa et 17,58% ACS.
  • [39]
    Avant la fusion, Aurea détenait une option pour acquérir 14 sections d’autoroutes construites par Dragados. Financial Times, March, 18, 2002.
  • [40]
    Fiche Reuters.com, Octobre 2005
  • [41]
    Annual report 2002, p. 47
  • [42]
    On remarquera que la politique de privatisation des entreprises de services publics, suivie en Espagne (Électricité) et au Portugal (Électricité, autoroute) a été celle des petits pas. L’État s’est désengagé progressivement, ce qui a permis de changer les habitudes en douceur et de renforcer les intérêts nationaux.
  • [43]
    Annual report 2001, p. 10-13.
  • [44]
    Structure du capital : Andrade Gutierrez 17,42%, Camargo Corrêa 17,90%, Brisa 17,90%, Serveng Civilsan 17,90%, flottant au nouveau marché 28,88%.
    http://www.ccrnet.com.br/ccrweb/sobreaccr/index.cfm
  • [45]
    Camargo Corrêa, Annual Report 2004, p. 65.
  • [46]
    Financial Times, September 27, 2005.
  • [47]
    Taux de change 1,61 A$ pour 1€, Financial Times, October 29-30, 2005.
  • [48]
    Plaquette Macquarie « Présentation de MIG et des fonds gérés par Macquarie », octobre 2005.
  • [49]
    Financial Times, September 25, 2003
  • [50]
    Parmi ses rivaux dans la zone pacifique, mentionnons AMP Henderson Airports Funds ; Henderson fait partie des grands promoteurs de Hong Kong au même titre que Cheung Kong, Sun Hung Kai et New World. Mentionnons l’autre grand groupe australien présent dans les infrastructures de transport : Transfield, tramways de Melbourne (avec Egis), autoroute à péage autour de Melbourne (30 km) avec Obayashi et Transroute.
  • [51]
    Taux de change 1,77 A$ pour 1€, Financial Times, September 13, 2002.
  • [52]
    Financial Times, July 7, 2005, à l’automne le total géré sera de 94 GA$
  • [53]
    Le groupe fait partie des trois consortia en lice pendant l’été 2001 pour la privatisation de Kingsford Smith à Sydney ; il l’emporte un an plus tard (avec 53,3%). En décembre 2001, il obtient l’aéroport de Birmingham. En juillet 2002, il acquiert son 4e aéroport en 18 mois en reprenant 44,7% de l’aéroport de Rome pour 480 M€. Le consortium italien Leonardo Holdings, formé de Falck et de Impregilo (Fiat) qui avait racheté cet actif à l’État, conserve 51%.
  • [54]
    Chiffre donné dans le Annual Review, p. 12-13, différent des 816 M€ mentionnés du côté espagnol (Ferrovial, AR 2001).
  • [55]
    Asian Wall Street Journal, Jan 7, 2003.
  • [56]
    Cette autoroute de 108 km, privatisée en 1999, a un trafic de 260 000 véhicules par jour (Financial Times, March 21, 2002)
  • [57]
    Canada Newswire, Dec 31, 2002.
  • [58]
    Birmingham Post, Nov 19, 2003. The Guardian, May 7, 2003.
  • [59]
    AWSJ, Jan 7, 2003, p. M3. Korea Herald, May 27, 2003. Également plaquette MIG, octobre 2005
  • [60]
    Financial Times, November 3, 2003. Le consortium d’origine qui se retire comprend NCC (2e groupe de construction Suédois), Vattenfall (1er électricien suédois), Alstom et Mowlen, Project Finance, March 2004
  • [61]
    Project Finance, sept. 2002.
  • [62]
    Godefroy, T. et Lascoumes, P. (2004) Le capitalisme clandestin, La Découverte, Paris. Sur les Bermudes voir pp. 44, 94, 104. La note 15 du rapport financier 2002 fait mention de six fonds localisés aux Bermudes, c’est une optimisation compte tenu de la législation américaine sur les assurances.
  • [63]
    À propos de l’approche à court terme caractéristique des marchés australiens on pouvait lire en 2002 : « its reliance on retails investors leaves it vulnerable to mum and dad market sentiment » et plus loin l’auteur précise en citant une analyse du Credit Suisse First Boston « Some US pension funds are able to position part of their investments portfolios for 30-year investments horizons while Autralia’s institutional investors have the discipline of quaterly reporting on investment performance » (Fiona Haddock, « Why is open season on Macquarie ? », Asiamoney, sept. 2002.
English version

1Le secteur des autoroutes [1] en Europe vient d’une tradition publique par ses opérateurs et par un financement principal par l’impôt ; cela se traduit concrètement par une quasi-gratuité de circulation sur les réseaux des pays d’Europe du Nord, d’Allemagne et d’Autriche [2]. À l’inverse, la France et les pays d’Europe du Sud - Italie, Espagne, Portugal - ont eu recours depuis longtemps au péage mais avec des opérateurs publics au départ en France [3], en Italie, au Portugal et pour une partie du réseau en Espagne. Ce caractère public se manifeste aussi par la forte dimension nationale de l’activité ; chaque pays a développé son infrastructure avec « son » ou « ses » opérateurs nationaux. Cette situation est rapidement en train de changer. Des gouvernements ont décidé de privatiser leurs opérateurs : Brisa au Portugal (1997-99), Autostrade en Italie (1999), ASF en France (2002-05) et le processus se poursuit avec APRR et Sanef (2004-05). L’Angleterre a introduit des partenariats de moyenne durée avec la loi PFI de 1992. Plus durablement ce mouvement de privatisation s’accompagne d’une généralisation des péages car c’est au fond la seule technique qui permet de faire supporter les coûts des déplacements par les utilisateurs et non par les contribuables nationaux. Ce principe a d’autant plus de force que dans un espace européen des flux ceux qui gèrent les flottes de camions ne correspondent pas forcément aux pays qui offrent le plus grand linéaire utilisé. Donc le péage est une technique qui permet de rapprocher le paiement de l’usager ; c’est ainsi que l’Allemagne traversée par de nombreux flux a mis en place en 2004 son système Toll Collect qui s’applique aux camions sur les autoroutes et les routes.

2Le secteur se trouve donc pris dans le processus de libéralisation qui, depuis la fin des années 1980, a restructuré le secteur des services en réseaux et fait évoluer les firmes. Des anciens opérateurs publics élaborent des stratégies de croissance. On notera l’accord intervenu entre opérateurs du sud : Autostrade et Acesa, Acesa et Brisa. L’échange de titres témoigne de leur volonté d’examiner en commun un développement dans d’autres pays [4]. Les deux leader espagnols, Acesa (Caixa) et Aurea (Dragados) ont fusionné en 2002 pour former Abertis. Plusieurs firmes de construction se développent dans l’exploitation-maintenance. Elles construisent largement leur avenir en dehors de la construction. En Angleterre, on mentionnera Amec-Spie, Balfour Beatty, Carillion, John Laing, Costain. En Espagne [5], Dragados génère 27% de sa valeur par ses concessions d’autoroute mais seulement 4,2% du chiffre d’affaires ; 53% de la valeur de FCC provient des services ; 57% de celle d’Aciona a pour origine ses participations dans Vodaphone et Airtel. Vinci associée à Eiffage est entrée à hauteur de 17,2% dans les ASF à l’occasion d’une ouverture du capital pendant l’été 2002. Depuis, sa participation a été portée à 20% et la direction de la firme exprime clairement sa volonté de se développer dans l’exploitation. On peut penser que l’orientation des firmes de construction vers une activité d’exploitation est durable. Elle représente une réponse contre-cyclique à leur activité historique [6]. Elle s’explique aussi par une logique d’intégration industrielle. Dans Cofiroute, Vinci concession détient 65,34%, Eiffage par sa filiale Fougerolle a 16,89% et Bouygues par sa filiale routière, Colas 16,67%.

3Intervient aussi comme explication à ces changements la prise en compte des besoins et la mise à niveau des infrastructures routières dans une Europe élargie : Réseau transeuropéen. L’Espagne a annoncé un plan d’investissement de 114 G€ pour la période 2000/06, soit 2,5 fois le montant investi au cours de dix dernières années [7]. L’Italie met au point un programme de modernisation : autoroutes, gares, aéroports. L’Angleterre met la priorité sur les autoroutes et les chemins de fer. Les ambitions sont les mêmes dans les pays de l’Est où les projets d’autoroutes, de modernisation du rail et de privatisation des aéroports sont nombreux.

4Pour ces raisons rapidement résumées, le secteur autoroutier devient attractif pour des firmes déjà présentes dans les infrastructures. Comme le montre l’opération de privatisation des Autoroutes du Sud de la France (ASF), des Autoroutes Paris Rhin Rhône (APRR) et de la Société des Autoroutes du Nord Est de la France (Sanef), en cours au moment où nous écrivons ce texte, le nombre des firmes susceptibles d’intervenir est potentiellement élevé. Celles qui ont exprimé un intérêt correspondent à des opérateurs d’autoroute - français ou non -, à des firmes de construction, à des banques ou des fonds d’investissements ayant une stratégie dans les infrastructures.

5Dans le texte qui suit nous présentons les trois opérateurs d’autoroutes du Sud de l’Europe : Autostrade (Italie), Abertis (Espagne), Brisa (Portugal) et la banque Australienne Macquarie. Dans un prochain numéro nous poursuivrons avec les groupes espagnols de construction – ACS-Dragados, Ferrovial, FCC – et les allemands. Nous terminerons ce dossier avec un troisième « portrait » consacré au BTP anglais et à ses transformations depuis la mise en place de la loi PFI (1992).

Questions de régulation et d’économie industrielle

6Actuellement, les observateurs français des trois privatisations en cours ont uniquement abordé l’aspect financier des choses : est-ce une bonne opération pour l’État – et pour les contribuables français – de vendre maintenant des firmes qui généreront demain, avec certitude, des résultats d’exploitation croissants [8] ? Problème d’arbitrage entre court et long terme. Mais bien d’autres questions se posent. Nous sommes étonnés de les voir absentes du débat.

7Une première série de questions concerne la stabilité des opérateurs. L’arrière-plan intellectuel des hauts fonctionnaires français qui préparent ces réformes est celle d’un monde constant, qu’il s’agisse d’établissements publics, de sociétés nationalisées ou des grandes firmes privées de services urbains. La situation française se caractérise, en effet, par une formidable stabilité du paysage autour de quelques ténors. Ceci a grandement facilité le suivi par les acteurs publics. Or, la lecture que nous faisons des marchés libéralisés, quel que soit le secteur, quel que soit le pays (voir les portraits d’entreprise depuis 1999) est que la libéralisation a introduit un principe de mouvement. Il provient d’une transformation des exigences des propriétaires et d’un nouveau regard des managers. Les privatisations ont partout fait entrer au capital des fonds de pension, des fonds d’investissements et des banques d’affaires. Ces acteurs ont des exigences en retour sur capitaux investis ; ils comparent et font des arbitrages ; cela veut dire qu’ils peuvent investir aujourd’hui dans un secteur et dans un pays et en sortir demain ; l’histoire récente de la distribution électrique en Angleterre en étant un exemple. Les libéralisations ont aussi changé l’attitude des managers ; ils vont réfléchir à la manière de se développer alors qu’ils vivaient dans leurs monopoles publics et territoriaux ; ils vont se diversifier, se développer à l’international, nouer des partenariats. Autant de comportements qui peuvent être facteurs de succès mais conduire aussi à des déboires s’ils ne sont pas bien maîtrisés ; les aventures internationales de quelques firmes anglaises de l’eau étant là pour le rappeler.

8Même si le « modèle » Macquarie n’est pas celui des fonds d’investissements classiques, on peut s’interroger sur la durée de son engagement. Son entrée dans les autoroutes est très récente ; c’est une activité parmi d’autres dans un groupe financier ; qu’en sera-t-il demain si ces investissements ne tiennent pas leurs promesses ? De même, les groupes espagnols ont été très nombreux à faire des offres. Ils viennent de connaître plus de dix ans de croissance soutenue mais malgré cette conjoncture exceptionnelle, ils ne comptent pas parmi les plus grands en Europe. ACS-Dragados produit d’une fusion de 2002 pointe au 5e rang, FCC et Ferrovial sont autour du 11e rang, Acciona est plus petit. Tous les observateurs s’interrogent sur les conséquences de l’atterrissage du secteur immobilier dans leur pays ; dans ces conditions ne peut-on considérer que les autoroutes françaises et leurs cash flows réguliers arrivent à point pour lisser des résultats qui autrement se trouveraient malmenés ?

9Ce secteur, comme d’autres services publics, était calme, dominé par la logique technique de l’exploitation et par la logique politique de la détermination des tarifs. Il va se trouver profondément bouleversé par l’irruption de la logique des marchés financiers internationaux et leur logique de rentabilité immédiate : shareholders value et publication de quarterly reports. Or, on peut penser que la continuité du service, que la maîtrise du temps long ont d’autant plus de chance de se trouver satisfaites que l’opérateur est stable. À l’inverse, on peut considérer que le changement permanent des opérateurs ne facilite pas les choses, ni le respect des engagements de long terme, ni la continuité des politiques industrielles. À la lumière des nombreuses affaires – Waste Management, Enron [9], WorldCom et quelques autres – qui ont marqué la fin du siècle, on ne peut exclure des dérapages extrêmes : lorsque l’obligation de rentabilité [10] s’exprime au détriment de la logique technique des travaux de maintenance et de grande réparation. Ce sont des équilibres subtils. Pour qu’ils soient respectés cela suppose d’autres grilles d’analyse pour les pouvoirs publics. En un mot, on ne régule pas des firmes privées internationales comme un oligopole public dirigé par des membres des grands corps.

10Une deuxième grande série d’interrogations concerne des questions d’économie industrielle qui tournent autour de l’intégration et de la recherche d’efficacité.

11Partons d’un fait divers. Au cours du mois d’Août 2005, lorsque ce dossier fut officiellement lancé, le groupe Bouygues a rapidement fait savoir par voie de presse [11] qu’il ne participerait pas à ces privatisations car sa vocation était industrielle et non pas financière. Ce faisant, le groupe répondait, sans le dire, à des textes publiés au même moment par le ministère des Finances précisant que les travaux autoroutiers seraient plus que jamais organisés selon des procédures d’appels d’offre. Autrement dit, en entrant au capital de l’un ou l’autre opérateur, un groupe de BTP ne serait pas assuré de faire travailler sa filiale spécialisée. On retrouve ainsi un problème très ancien, déjà posé avec les opérateurs de réseaux urbains, à qui il fut souvent reproché par la Cour des Comptes d’intégrer les travaux et de faire travailler leurs filiales dans le cadre d’une délégation de service public : filiales d’ingénierie pour des stations, filiales de travaux sur le réseau.

12À ce jour, nous vivons en France sur une hypocrisie intellectuelle et une confusion. D’un côté, le dogme est celui de l’appel d’offre de travaux. Il repose sur l’implicite de la supériorité du marché : la mise en compétition sur des marchés concurrentiels serait la meilleure manière d’atteindre une solution optimale. Mais ce dogme – et c’est là l’hypocrisie - se trouve constamment mis en cause par le fait d’accepter l’existence de grandes firmes. C’est un trait constant des politiques industrielles françaises que de reposer sur quelques « champions » nationaux. De sorte que la doctrine des hauts fonctionnaires en charge des politiques publiques navigue entre deux formats opposés : le marché compétitif (qui a pour effet de limiter la taille des firmes) ou l’oligopole intégré. On accepte le second tout en affirmant que le premier serait meilleur. Il serait sans doute utile d’aller au bout de la réflexion sur les avantages/inconvénients de l’intégration. Le dossier des autoroutes y est une puissante invitation.

13Le premier avantage de l’intégration est de réduire les coûts de transaction. La grande firme par ses procédés internes et ses mécanismes de sous-traitance apporte un substitut au marché pour allouer les moyens humains et techniques. Cet argument classique des économistes institutionnels (Coase, 1937 ; Williamson, 1995) a d’autant plus de force qu’on se trouve dans un secteur où la programmation de l’entretien du réseau, où l’investissement de longue durée sont des facteurs essentiels de la qualité globale. Donc on peut soutenir que dans ce type d’industrie un opérateur stable et intégré va être capable de travailler sur le bon horizon et de s’organiser avec efficacité. Explorer cette voie, suppose d’admettre qu’il existe plusieurs combinatoires des facteurs productifs. Cela déplace aussi les points stratégiques suivis par la puissance publique ; elle doit se concentrer sur des indicateurs de résultat, de qualité, etc., et non plus sur les moyens.

14Le risque de cette approche étendue à tout un secteur est qu’au bout d’un moment, la puissance publique dispose de très peu de connaissances sur la fonction de production des firmes ; situation qui présente des risques de capture. Une solution peut être de conserver un secteur témoin.

15On peut résumer le problème comme suit. Si la puissance publique privatise tout un secteur elle peut compenser la perte d’information potentielle sur les marchés et sur les fonctions de production par la mise en concurrence des travaux. Si elle conserve un secteur témoin (une firme reste publique et lui donne des informations sur les fonctions de production) alors elle peut accepter la logique de l’oligopole intégré et faire du benchmarking.

16Il nous semble d’autant plus important de clarifier ces choix que la privatisation des autoroutes intervient au moment où se met en œuvre la décentralisation des routes au profit des départements. Les observateurs de ces questions n’ont pas lié ces deux réformes ; pourtant le parallèle est évident et les implications très importantes. On peut tenir pour acquis qu’un certain nombre de départements vont confier à des firmes privées le développement et l’entretien du réseau routier ; toutes les pièces du puzzle sont en place. Une loi PPP a été promulguée ; les références d’autres pays européens - dont l’Angleterre - vont dans ce sens ; les firmes sont prêtes à intervenir ; les élus locaux qui ont déjà beaucoup à faire ne verront pas d’un mauvais œil la délégation d’une responsabilité nouvelle. Il est donc possible que l’on se trouve dans quelques années dans des situations inédites, dans lesquelles nous aurons une firme privée engagée dans l’exploitation d’une autoroute payante et la même firme ou ses filiales, détentrice de contrats de PPP sur des portions de routes nationales gratuites qui pourraient offrir une alternative au réseau payant. Sans machiavélisme aucun, on peut penser que l’acteur qui aura la connaissance du réseau et de ses nœuds stratégiques sera à même de programmer les travaux en vue de fluidifier et de guider les trafics au mieux de ses intérêts. Ce type de situation pose donc une question nouvelle en terme de régulation. Les économistes se sont intéressés aux prix (beaucoup), à la qualité de service (un peu), nous voyons poindre un problème de suivi très fin de la morphologie des réseaux et de leurs opérateurs. L’économie des réseaux a cette propriété particulière que le développement d’une firme peut passer par le gain de parts de marchés (nouveaux clients, nouveaux services) et par la conquête de territoires. Sur le long terme, la possession d’un réseau qui innerve des territoires n’est pas sans effets sur cette forme de la compétition.

17La question de l’intégration par les opérateurs a été uniquement pensée à partir des fonctions principales d’opérateur de réseau, et des travaux de construction et d’entretien du réseau. L’observation des firmes et de leurs intérêts fait ressortir une nouvelle forme d’intégration : le contrôle des nœuds de trafic [12]. Que vient faire le groupe Benetton dans Autostrade et Autogrill ? Il ne s’agit pas d’un intérêt pour l’exploitation d’infrastructure ; en fait l’activité autoroutière commande des nœuds de réseaux dans lesquels il est possible d’avoir une activité de distribution de produits grand public, de marque, activité principale de Benetton. Certaines aires de services sont déjà devenues des mini-marchés qui pourraient aisément se transformer en grandes surfaces ; le foncier, les parkings et le trafic sont déjà là. C’est quelque chose d’intéressant et de nouveau. Pendant longtemps les autoroutes furent traitées comme des tuyaux dans lesquels les flux circulaient au plus vite – donc les consommations se faisaient à l’entrée et à la sortie, exception faite des achats de carburant. Depuis quelques années cette conception se transforme : arguments de la sécurité, de la découverte des paysages. L’autoroute devient un réseau complet avec ses nœuds. Certains s’organisent comme des lieux de service et de consommation. Des distributeurs peuvent donc s’intéresser à ce type d’activité non pour sa composante principale mais pour ses services dérivés. Ce genre de comportement s’il se généralisait aurait des conséquences en termes d’aménagement du territoire ; ce qui va être consommé dans le réseau ne le sera pas à l’entrée ou à la sortie. Cela change aussi la régulation. On se retrouve dans des comportements assez semblables à ceux qui ont caractérisé certaines concessions à la fin du xixe siècle. Des firmes sidérurgiques, ou des électriciens s’intéressaient aux concessions de tramways pour écouler leur production de sorte qu’ils s’impliquèrent peu dans l’exploitation et bon nombre de ces concessions périclitèrent. Autrement dit, un problème de suivi des firmes est de comprendre la chaîne de la valeur et le moment où la firme réalise son résultat. Selon ce moment, on peut penser qu’il faille adapter le schéma de régulation.

18Il est une autre question d’intégration, celle des externalités. En principe, le péage autoroutier intègre les coûts d’investissement et de fonctionnement du réseau sur le long terme et il devrait incorporer certaines des externalités négatives : dommages aux riverains, coût de certains accidents graves et on devrait ajouter les conséquences de la congestion. Ne pas le faire introduit une distorsion dans la comparaison rail-route. Ce sont des débats assez nouveaux qui vont certainement prendre de l’importance, et les économistes commencent à chiffrer ces externalités qui viennent s’ajouter au coût immédiat. Par exemple, on vient d’apprendre que le coût du gigantesque bouchon généré par l’intersection de l’autoroute de l’Est à l’entrée de Paris (A4) et du second périphérique (A86) s’élevait à 280 M€ par an [13]. L’Union Européenne travaille à la mise au point d’une directive qui devrait définir les coûts de congestion à incorporer dans le tarif. Cette question des externalités est importante dans le cas présent car la France occupe une position centrale dans de nombreux flux intra-européens. De sorte que si la tarification n’incorpore pas les externalités négatives que génèrent les flottes de camions étrangers, le coût se trouve reporté in fine sur les riverains et les contribuables français et l’opération s’inscrit en subvention croisée invisible faite au bénéfice de ces flottes de transport.

19En supposant que les péages incorporent bien tous les coûts, la partie liée aux externalités négatives vient gonfler les chiffres d’affaires ; elle devrait s’équilibrer par l’écriture de provisions de long terme visant à couvrir des charges à venir ; l’opération est neutre en termes de résultats ; elle dégage du cash flow. Si des règles d’usage de ces provisions ne sont pas définies, la recette additionnelle « d’externalité » va se répercuter en hausse du résultat d’exploitation. En cas de privatisation totale et dans l’hypothèse d’actionnaires porteurs d’une forte logique financière, le produit va se trouver capté et distribué aux actionnaires. De sorte que plus tard, lorsque les problèmes surviendront, faute d’avoir les recettes correspondantes, l’externalité se trouvera passée sur les contribuables. Donc on se trouve avec les choix suivants. Ne rien changer aux mécanismes actuels revient à faire une subvention déguisée aux transporteurs (pour partie étrangers) et à reporter les externalités négatives sur les riverains et les contribuables. Internaliser ces externalités dans les péages sans définir de règles d’usage des provisions revient à offrir une prime aux actionnaires et à reporter les problèmes.

20Le fait de totalement privatiser un secteur pose donc des problèmes nouveaux. Ils ne sont pas insurmontables mais faute d’en avoir la connaissance, la puissance publique risque de conduire des opérations qui, en long terme, ne seront pas équilibrées entre les différentes parties prenantes (les stakeholders) : les usagers, les actionnaires, les salariés et dirigeants, les firmes, la Nation.

Autostrade

tableau im1
Autostrade Milan Groupe privé qui résulte de la privatisation d’un actif de l’IRI à la fin de 1999 Actionnaires principaux Schema Ventotto 62% Schema Ventotto (Edizione Holding groupe Benetton 60%, Abertis 13%, Unicredito Italiano) Chiffre d’affaires 2004, 2,88 G€ (2,52 G€ en 2003 ; 2,23 G€ en 2001) Capitalisation en janvier 2004, 8,04 G€ Longueur du réseau, 3408 km (3120 km au moment de la privatisation).

21Autostrade est le premier opérateur autoroutier européen avec un réseau de 3410 kilomètres en exploitation, contre 2940 km pour ASF. En Italie, il exploite environ 56% du réseau à péage [14] et cette activité génère environ 80% du profit d’exploitation, c’est dire sa sensibilité aux hausses tarifaires décidées par le gouvernement. Globalement c’est une société aux revenus confortables ; le commentaire publié par la revue américaine Forbes est clair : « with (historically flat) revenue in 2001 of 2 G$, a 42% operating margin, a 16% net margin, and hardly any debt, Autostrade is a cash cow » (www.forbes.com/global/2002). Parmi ses autres activités, il faut mentionner une prise de participation de 32% dans la 4e licence de téléphonie cellulaire italienne, Blu, acquise à la fin de 1999. Deux années auparavant Autostrade avait loué son réseau à fibre optique à Olivetti qui entrait dans le secteur des télécommunications. Le groupe a aussi exporté ses compétences d’opérateur : à Birmingham pour lea M6 Toll associé à Macquarie, à Washington D.C. pour l’autoroute à péage de 23 km qui conduit à l’aéroport international Dulles. Autre caractéristique de cette firme, elle a développé depuis longtemps des outils électroniques pour gérer son réseau et pour offrir des services aux usagers. Son « télépass » en Italie avec 45,2% des transactions en fait le premier système de péage électronique en Europe et il continue à se développer. Cette compétence lui a permis de participer au développement du télépéage poids lourds en Autriche pour le compte d’Asfina ; il était opérationnel en 2004. Cette technologie est rivale du système allemand, « Toll Collect ». Un instant en 2004, alors que la technologie allemande tardait à entrer en service, les autorités allemandes ont brandi la menace d’une entrée d’Autostrade. Cette exportation d’une compétence sera sans doute dans les années à venir un vecteur du développement du groupe.

22Autostrade a été créée en 1956 par l’État italien pour développer la 1re autoroute à péage du pays entre Milan et Naples (Autostrada del Sol). Ensuite sous l’ombrelle du puissant holding public – I.R.I. – elle s’est trouvée au cœur de l’équipement autoroutier italien. En 1986, l’IRI a introduit 13% du capital en bourse. La cession des 87% restants, en 1999, marque l’achèvement du processus de retrait de l’État comme acteur économique direct, et la fin de l’IRI comme véhicule des politiques publiques. En quelques années, cette plaque tournante de l’économie italienne aura cédé pour près de 52 G€ d’actifs, soit l’équivalent de 5,5% du PIB de 1999 [15]. Parmi les cessions, mentionnons : plusieurs banques, des groupes sidérurgiques, des entreprises agroalimentaires, des firmes de distribution. Dans les infrastructures le mouvement est tout aussi considérable avec Telecom Italia, Enel, la société de restauration Autogrill (1995), Autostrade (1999), Aéroport de Rome (après mai 2000).

23C’est dans ce cadre que le groupe familial Benetton, originaire de Vénétie et du secteur textile, s’est porté acquéreur en 1995 d’Autogrill, société de restauration largement implantée sur le réseau autoroutier italien. Cette opération « a servi de tremplin à une diversification » [16]. En six ans le chiffre d’affaires d’Autogrill est passé de 670 millions à 3,35 milliards d’euros [17]. Puis Benetton est devenu l’actionnaire de référence d’Autostrade lors du placement de 1999 [18]. On relèvera que le syndicat de contrôle d’Autostrade associe alors, au côté des Benetton, deux autres opérateurs autoroutiers : Acesa l’espagnol (filiale de la Caixa) et Brisa le groupe portugais qui vient aussi d’être privatisé. En 2002, les services représentaient les 2/3 du chiffre d’affaires du groupe.

24En janvier 2003, avec l’appui de la banque Mediobianca, le syndicat de contrôle lance une OPA sur le capital flottant (techniquement cela passe par un autre véhicule, Newco28) [19]. L’opération rencontre un succès et se dénoue à l’automne par la fusion entre Newco28 et Autostrade. L’opérateur autoroutier est désormais détenu à 62% par Schema Ventotto, holding où la famille Benetton a une participation de 60%. Il est donc solidement arrimé et à l’abri de tout risque d’OPA. La robustesse effective de ce montage dépendra à terme de facteurs politiques italiens - sur les tarifs et le programme d’investissement [20]- et du comportement des autres actionnaires de Schema Ventotto. Considérant la dette induite par cette opération, évaluée globalement à 6.45 G€ [21], et ses effets sur les résultats, l’agence Moody dégrade le classement d’Autostrade à A2.

25Cette politique de diversification d’un groupe d’habillement plus connu pour ses campagnes de publicités pour des « marques » que pour la gestion discrète d’infrastructures appelle plusieurs commentaires :

  • La volonté de sortir du textile stricto sensu est une idée ancienne dans la politique Benetton. La société créée en 1965 commence par une activité de bonneterie féminine en laine cardée ; elle s’adapte à la demande, glisse vers la bonneterie générale et au milieu des années 1970 ouvre ses premiers magasins de marque. À partir de 1982, Benetton se diversifie dans des secteurs complémentaires : la chaussure courante, la chaussure de sport ; les lunettes, les montres, les parfums, le linge de maison. Cette politique aboutit en 1989 à la création d’une nouvelle marque « United Colors of Benetton [22] ». En 1984, Benetton s’engage dans une activité financière en créant In Factor S.A. avec deux autres banques. « Le projet avoué est que dans quelques années le chiffre d’affaires… soit constitué pour part égale par la vente des produits de l’habillement et par des activités financières » (Negri, op. cité, p. 88).
  • Les ventes de 1995 et de 1999 offrent donc l’opportunité de poursuivre la diversification. Reste à comprendre le sens de l’engagement. Au lendemain de l’entrée des Benetton dans l’exploitation d’autoroute on pouvait s’interroger : effet d’aubaine, ou véritable stratégie ? Aujourd’hui les choses sont plus claires. Le groupe affiche clairement une entrée à partir du service à la personne, ce qui le conduit à s’intéresser aux nœuds d’échange : gares [23], aéroports [24], stations d’autoroute. Et cela fait sens pour une firme qui vend des marques. Étant opérateur de réseau il contrôle les nœuds de réseau. Et ces lieux peuvent être gérés peu ou prou selon les mêmes techniques que les boutiques déjà possédées ; cette diversification apporte indiscutablement une économie d’envergure et étend le portefeuille des points de vente.
  • Se posent tout de même des problèmes de régulation, sur la complémentarité entre l’exploitation d’autoroute et ces services. En 1999, l’autorité antitrust italienne, considérant les conflits d’intérêts potentiels entre l’exploitation du réseau et l’allocation des restaurants (Autogrill) avait donné son accord à la reprise d’Autostrade à la condition que les services de restauration sur son réseau soient cédés [25]. La question n’est toujours pas tranchée malgré de réguliers rappels [26].
  • Désormais, libéré des contraintes d’une tutelle publique, comment le nouvel Autostrade va-t-il se comporter ? Les dirigeants d’Edizione Holding affichent leur volonté de se développer en Europe. En 2001, la direction se disait prête à investir de 4 à 6 G€ d’ici à 2005 : « Autostrade est intéressé à construire les 2/3 des 3000 kilomètres d’autoroutes manquant pour amener l’Italie à la moyenne européenne » [27]. L’endettement net du groupe se montait à 1,24 G€, en recul de 22% grâce à une gestion plus efficace, des gains semblent encore pouvoir être obtenus [28]. Afin de financer un programme sur dix ans le groupe émet en mars 2004 un emprunt obligataire de 6,5 G€ [29].
  • Comme pour les autres groupes présentés ici, le résultat des privatisations françaises aura des conséquences sur cette firme : ses engagements de capitaux, ses alliances, son accès à de nouveaux nœuds de réseaux.

Abertis[30]

tableau im2
Abertis Madrid Groupe privé autoroutier qui résulte de la fusion en 2002-2003 de deux opérateurs : Acesa et Aurea Actionnaires 30 : La Caixa 24%, ACS 17,6%., Caixa d’Estalois de la Catalunya 5,7%, Sitreba 5,5%, flottant 47,2% Chiffre d’affaires 2004, 1,53 G€ (1G€ après fusion en 2002) Capitalisation automne 2005, 13,56 G€ (01-2004, 6,32 G€) Longueur du réseau, 1500 km (1245 km au moment de la fusion)

Abertis[30]

26Abertis résulte de la fusion, décidée en 2002 et effective en 2003, des deux premières sociétés d’autoroutes espagnoles : Acesa et Aurea. L’une et l’autre trouvent leur origine dans le programme autoroutier lancé, en 1967, par le gouvernement sous une forme privée – PANE – programme qui fait suite aux recommandations d’un rapport de la Banque mondiale de 1962 [31]. Acesa a été créée en 1967, en Catalogne, pour exploiter les autoroutes de la région. À la même époque, le groupe de construction Dragados remportait trois concessions dans le sud du pays [32] qu’il fusionnera en 2000 avec Aumar ; l’ensemble deviendra Aurea.

27Évoquons d’abord l’histoire de cette fusion car elle illustre le principe de mouvement mentionné en introduction et la vitesse de redéfinition des frontières entre les firmes. Au début de l’année 2002, le premier opérateur autoroutier espagnol Acesa (Autopistas Concesionaria Espana SA) était filiale de la Caixa (31,7%), de deux autres banques espagnoles et de Suez (5,1%) [33] ; tandis que le deuxième, Aurea, était contrôlé à 36,3% par Dragados, premier groupe de construction du pays. Dragados avait une importante activité d’exploitation d’infrastructures, dans les autoroutes, les aéroports et les chemins de fer et ne cachait pas sa volonté de se développer dans cette direction. Avec le soutien de son actionnaire principal le Banco Santander Central Hispano [34], Dragados fusionne alors avec le premier constructeur néerlandais – HBG – et engage des négociations avec les quatre familles qui contrôlent le troisième opérateur autoroutier espagnol : Iberpistas [35]. Au milieu du mois de mars 2002 tout semble aller pour le mieux. La fusion avec HBG n’attend plus que l’approbation des autorités européennes, tandis qu’un accord préliminaire est annoncé avec les actionnaires d’Iberpistas [36]. Cette mécanique va s’enrayer en très peu de temps et déboucher sur un paysage totalement différent.

28Acesa, l’autre firme autoroutière, ne reste pas inerte face à une alliance qui met en cause sa place de n°1 et elle a de bonnes raisons de réagir car elle détient une participation d’environ 8% au capital d’Iberpistas, qui peut s’analyser comme l’expression d’une volonté de coopérer. Donc Acesa lance une OPA non sollicitée de 775 M€ sur Iberpistas ; Aurea contre-attaque immédiatement par une offre de 18% supérieure. On semble s’acheminer vers une compétition tendue, à rebondissement, comme ce fut souvent le cas en Angleterre dans des situations analogues. Pourtant, vers le 25 mars, Dragados annonce avoir obtenu un accord de plus de la moitié des actionnaires d’Iberpistas pour son offre. L’opération a-t-elle abouti ?

29En fait, le dénouement va être différent car l’équilibre global des forces se modifie. La compétition pour le contrôle d’Iberpistas opposait, en fait, par filiales interposées, la Caixa – la grande banque de Catalogne - et le Banco Santander (aussi appelé SCH) premier actionnaire de Dragados avec 24%. Des difficultés importantes en Amérique Latine affaiblissent le SCH, l’obligent à réaliser des actifs et son soutien à Dragados faiblit. Il cède en avril une participation de 23,5% au 4e groupe espagnol de construction ACS (Actividades de Construccion & Servicios). Cette prise de contrôle de Dragados par ACS modifie totalement le paysage. Premièrement, le nouvel actionnaire impose dès juin 2002 une sortie de l’opération avec HBG pour réaliser une fusion ACS - Dragados [37]. Deuxièmement, sur le front des autoroutes, la compétition va se transformer en une entente. Acesa et Aurea engagent une opération de fusion au début de l’été 2002 [38] et forment le quatrième opérateur autoroutier en Europe après Autostrade, ASF et APRR. Leur accord prévoit l’intégration ultérieure d’Iberpistas : effective le 1er janvier 2004. En septembre 2003, il était question d’un apport des concessions de Dragados [39] à Abertis. Cette stratégie est confirmée en novembre par le président d’ACS et il a l’intention de l’appliquer à toutes les filiales.

30Abertis domine très largement le secteur en Espagne (voir encadré). Si on ajoute aux concessions directement possédées, des prises de participations dans plusieurs autres, le groupe exploite un réseau de 1500 km et réalise un chiffre d’affaires 2004 de 1,53 G€. Il exploite donc environ la moitié du réseau payant (2900 km) et « son chiffre d’affaire représente entre 70 et 80% du secteur » (Bel et Fageda, op. cité : 8). Ces résultats s’expliquent aussi par l’internationalisation avec des participations minoritaires dans d’autres opérateurs européens - Autostrade, Brisa - et des interventions sous différents types de contrats au Chili, en Argentine, en Colombie, à Puerto-Rico et en Angleterre. Est aussi à relever une politique d’intégration verticale avec des activités de logistique et l’exploitation de parkings.

31Les péages représentent 85% du chiffre d’affaires ; les trois quarts de cette activité proviennent des quatre concessions espagnoles : Acesa, Aumar, Iberpitas (A6), Aucat. Le reste vient des concessions sud-américaines : Argentine (CGO, 52 km), Chili (229 km) et Puerto-Rico.

32Les diversifications apportent 15% de l’activité.

  • Le groupe est actif dans les parkings par sa filiale Saba, 90 000 places environ avec une présence dans plus de 60 villes [40]. Cette société originaire de Catalogne, apportée par Acesa, intervient aussi dans le reste de l’Espagne, en Andorre, au Portugal, en Italie, au Maroc (Rabat) et au Chili. En France, la firme a été candidate, fin 1997, à la reprise de Scetauparc (CDC) qui finalement se fera au bénéfice d’un groupe belge.
  • Le groupe a aussi une activité de logistique. Acesa Logistica intervient dans la zone franche du port de Barcelone (105 000 m2 d’entrepôts, 23 000 m2 de bureaux). Dans les infrastructures de télécommunications et de médias ; la filiale Tradia loue des infrastructures pour le téléphone cellulaire, la radio et la télévision.
    Parmi les faits de l’année 2003 mentionnons :
  • L’amélioration des activités en Argentine (CGO, 52.5 km).
  • Un partenariat avec les ASF qui fait sens si on considère la continuité physique des deux réseaux.
  • Le rachat à Auna de la société de transmission d’infrastructures de TV et de médias (Retevision Audiovisual) pour 82 M€ plus 341 M€ de dette.
  • Un contrat remporté par Acesa Logistica pour construire et développer la logistique du port de Séville (26 ha). Cette société participe à une société qui doit développer la plate-forme multimodale de Avala (au nord entre Zaragoza et Bilbao [41]).
Autrement dit, le développement d’Albertis se fait dans plusieurs directions et on peut tenter d’esquisser un futur de son développement. Premièrement, le groupe va continuer à travailler pour intégrer ses différentes filiales, pour dégager des économies de gestion et offrir un service plus simple au client ; l’électronique joue un rôle important dans cette politique. Une seconde voie est celle du développement dans des activités directement complémentaires comme les parkings ou la logistique. Dans le cadre d’une politique de réseaux trans-européens cette activité va être appelée à prendre de l’importance. Une troisième voie, attendue, est celle de l’internationalisation. Le résultat de la privatisation des autoroutes françaises va être évidemment un facteur déterminant dans le futur du groupe. Mais quels que soient ces choix, il reste que le groupe va se positionner dans les pays de l’Est où les efforts de mise à niveau sont importants et rester en Amérique Latine. Il est une quatrième voie de développement que le groupe va certainement parcourir : celle de la modernisation de l’important réseau d’autoroutes publiques ou de routes à quatre voies. Comme l’expliquent fort bien Bel et Fageda (op. cité), leur gratuité entraîne une inégalité de traitement des usagers selon le trajet qu’ils font, et pose la question du financement de la maintenance ; la solution « publique » a pu fonctionner dans les années 1980 et 1990, lorsque les budgets publics le pouvaient et que l’Union Européenne contribuait largement. Cette période est révolue car l’entrée de dix nouveaux pays va conduire à une réaffectation des subventions. Enfin, ici comme ailleurs il ne faut pas exclure les effets d’aubaine, ils peuvent conduire un groupe comme Abertis à se diversifier selon une logique conglomérale dans des activités qui ont peu à voir avec le cœur de métier. Cette hypothèse ne peut être exclue en prospective de moyen terme car le capitalisme urbain espagnol reste encore familial ; la consolidation des firmes est récente et le paysage est loin d’être stabilisé. Deux facteurs vont peser sur le secteur ; quel sera le comportement des grandes banques ? Elles ont joué dans les vingt dernières années un rôle essentiel dans la constitution des alliances et leur modification. Comment se fera l’atterrissage du secteur de la construction qui surperforme depuis 1990 tous les marchés européens ? Que va-t-il se passer lorsque le marché va ralentir ? Quelles en seront les conséquences par effet de domino sur les groupes d’autoroutes qui ont des liens multiples avec les firmes de construction ?

tableau im3
Le paysage autoroutier espagnol. 2900 km à péage et 9500 km gratuits (dont des routes à 4 voies) Abertis, 1240 km. Résulte de la fusion entre Acesa, Aumar/Aurea et Iberpistas. Le groupe détient aussi des participations dans 4 concessions (274 km) et un tunnel (30 km) Itinere, 471 km. Ce groupe, contrôlé par Sacyr-Vallehermoso, a remporté en juin 2003 la privatisation de ENA et gagné d’un coup trois concessions et 410 km. Avasa, 294 km. Cet opérateur est contrôlé par Abertis et Sacyr-Vallehermoso. Europistas, 277 km environ et 45 km en contrat de service. Cette société se trouve en position d’actionnaire majoritaire de plusieurs sociétés d’autoroutes comme Autosol, Autopistas Madrid Sur.

Brisa

tableau im4
Brisa Lisbonne Groupe privé qui s’est développé à partir du désengagement de l’État du secteur autoroutier Chiffre d’affaires 2004, 600 M€ (523 M€ en 2003 ; 477 M€ en 2001) Capitalisation janvier 2004, 3,23 G€ Actionnaires : de Mello 20,2% ; Abertis 10,1%, Pensoesgere 9,6%, Deutsche Bank 6,3%, flottant 43,5% Longueur du réseau 1106 km (au Portugal) Présent dans CCR (17,90%) qui exploite 1450 km de concessions au Brésil et en Amérique Latine

33Brisa, est à l’origine un opérateur public d’autoroutes, créé en 1972, devenu privé à la suite du retrait de l’État entre 1997 et 1999 [42]. Il a une position de monopole au Portugal jusque 2032, avec un réseau concessif de 1106 km (après achèvement des travaux de construction). Par ailleurs, il a soumissionné pour quatre nouvelles concessions en shadow toll et attend les résultats pour une section de 102 km. Donc son développement au Portugal n’est pas achevé même s’il occupe une position dominante. Le Portugal a un réseau à péage de 1800 km (dont 1140 km d’autoroutes et le reste en routes) et 950 km d’autoroutes gratuites, la plupart financée par Shadow Toll.

34La politique menée jusqu’à présent a été celle du développement dans le cœur de métier (autoroutes et routes). Cela se traduit par les décisions des premières années après la privatisation :

  • Investissements importants au Portugal pour achever le réseau, 200 M€ en 2000 et 808 M€ en 2001 [43].
  • Développement de services complémentaires. Brisa a développé un système de télépéage (Via Verde) qui représente 58% des transactions. « Après l’Italie c’est le plus grand utilisateur de péage électronique avec 1,6 million de véhicules équipés d’un transpondeur » (www.tollroadnews.com, 2004.10.13). Ce système a été étendu aux parkings de la société Emparque (40 000 places de parkings). Brisa a aussi développé un service d’assistance et de contrôle technique des véhicules. On observera que plusieurs ingénieristes américains, comme Parsons, se sont positionnés vers 2001/02, sur ce marché du contrôle technique des véhicules et ont reçu des licences de la part d’États, de comtés ou de villes.
  • Participations dans d’autres sociétés d’autoroutes (minoritaires dans Autostrade) et plus conséquente au Brésil, Companhia de Concessoes Rodoviarias qui est le leader du secteur dans le sous-continent. Si on en croit les informations communiquées devant des investisseurs fin octobre 2003, Brisa envisage de céder plusieurs participations – ONI 17%, EdP 2% ; a contrario elle conserve Abertis, CCR l’opérateur brésilien et Autostrade (www.portugaloffer.com/brisa). On relèvera que la participation dans ONI avait d’abord un sens industriel. Cet opérateur de réseaux de télécommunications a multiplié les accords avec des opérateurs de réseaux pour avoir accès à leurs infrastructures ; ce fut le cas avec EdP et GdP. Avec son réseau autoroutier qui relie les principaux grands centres urbains, Brisa s’imposait comme un partenaire. Un accord a été signé en février 2000, il associe aussi Telcel.
Dans l’avenir, une recomposition du secteur pourrait résulter d’une révision de la politique du shadow toll annoncée par le gouvernement Portugais en octobre 2004. Les termes anglais « toll » ou français de « péage virtuel » utilisés pour décrire ce mécanisme ne doivent pas abuser ; il n’y a pas de péage. Le financement de l’investissement reste public, comme l’est celui de l’opérateur privé dont la rémunération dépend d’un flux de trafic. C’est donc une formule, différente du contrat de service, qui permet d’introduire des firmes dans l’exploitation de réseau en leur évitant de supporter les risques liés à des investissements très lourds. Mais cela suppose que des financements publics soient disponibles. Le Portugal, comme l’Espagne, a bénéficié de financements européens et se trouve pareillement touché par un déplacement des flux au profit des nouveaux adhérents, à l’Est. Donc l’équation budgétaire se pose. Comme l’écrit le rédacteur d’une newsletter américaine « Like so many ’innovatory finance’ gimmicks shadow tolls don’t establish any new revenue stream, and therefore tend to be a short-term expedient – as Portugal is discovering ». (www.tollroadnews.com, 2004.10.13). Mais le problème reste entier car selon l’analyse de quelqu’un de Standard & Poors, sur les tronçons en shadow toll, le trafic est réduit ; « they don’t have a great toll potential ». Or les investissements réalisés qu’il faudrait amortir par le péage sont élevés. Selon une étude de PriceWaterhouse, la concession IP5, qui relie à la frontière espagnole, et financée en 2001, tournait autour de 1,5 G€. Autrement dit, le système des autoroutes portugaises va sans doute connaître des transformations et ceci ne manquera pas d’affecter les firmes du secteur et Brisa en particulier.

Companhia de Concessoes Rodoviarias

35Cette société, plus communément appelée, CCR exploite un réseau de 1450 km au Brésil, ce qui en fait le premier opérateur du pays et de tout le continent sud-américain. Ce réseau représente environ 15% des autoroutes privatisées par le gouvernement et il génère 41% des recettes de péages (CCR News Release, May 16, 2005). La firme a été formée en 1998 à l’initiative de plusieurs grandes entreprises brésiliennes de construction. Elle est introduite au nouveau marché (Bovespa) en 2002. Comme le montre la décomposition du capital [44], Brisa n’est qu’un actionnaire parmi d’autres avec 17,90% et intervient d’abord en apportant son savoir-faire d’opérateur ; mais on peut penser que le pouvoir décisionnel, comme l’accès aux réseaux politiques, reste bien aux mains des grands actionnaires Brésiliens : Andrade Gutierrez, Camargo Corrêa et Serveng Civilsan.

36Pour l’année 2002, la contribution de CCR dans les comptes de Brisa a été négative : conséquence du ralentissement économique après la crise en Argentine et des effets de change. Depuis, CCR a retrouvé le chemin de la croissance grâce à une hausse du trafic (+7% en 2004 [45]) et à la seconde phase du programme de privatisation des autoroutes qui porte sur 11 000 kilomètres. En 2005, CCR s’est renforcée par l’acquisition de ViaOeste dans l’État de Sao Paulo. Seule ombre au tableau, l’expropriation de sa filiale Rodonorte par l’État de Parana.

Macquarie [46][47][48][49]

tableau im5
Macquarie Bank Sydney Banque d’investissement australienne En 2005, gestion de fonds pour 94 milliards de dollars australiens 46 (GA$) soit 58,3 G€ 47, dont 20 G€ dans 19 fonds d’infrastructures 48 (onze cotés en bourse et neuf non cotés) En 2003, gestion de fonds pour 57 GA$ dont 23 GA$ dans les infrastructures, l’immobilier et les fonds spécialisés 49 Capitalisation janvier 2004, 3,66 G€

37Le groupe australien Macquarie est une banque d’affaires (investment bank) internationalisée qui a développé une activité dans les infrastructures à partir du marché australien [50] ; à cela viennent s’ajouter des activités de banque commerciale et des services financiers « sélectionnés ». Cette banque est peu connue en France parce qu’elle vient des antipodes, qu’elle est active plutôt dans cette partie du monde mais aussi parce qu’elle est très récente. Qu’on en juge. En 1969, une « merchant bank » anglaise, Hill Samuel & Co Limited ouvre une filiale en Australie. « Les opérations commencent en janvier 1970, à Sydney, avec seulement trois personnes » (www.macquarie.com.au/au/about). La dérégulation des marchés financiers en 1981 conduit à une transformation en banque de « trading » sous le nom de Macquarie Bank. Les autorisations sont obtenues en février 1985 et cette nouvelle activité – et ce nouveau destin – commence en mars. L’introduction en bourse se fera environ une décennie plus tard en juillet 1996. Ce parcours, comme d’autres « portraits d’entreprises » présentés dans cette rubrique, nous invite une fois de plus à sortir de la lecture stable et quasi institutionnelle que nous avons tendance à projeter sur les firmes d’infrastructures à partir de notre expérience européenne. Dans d’autres parties du monde où les règles et les opportunités sont différentes, des nouveaux acteurs émergent à grande vitesse.

38Macquarie Bank peut se présenter avant tout comme une entreprise de services financiers qui travaille à partir des fonds apportés par d’autres acteurs. Donc plus le total en gestion est important et plus les revenus perçus par la banque augmentent ; et tant que chaque activité sous gestion affiche une bonne rentabilité, les fonds affluent ; le succès appelle le succès. Examinons cette équation à deux moments.

39En 2002, les actifs (total assets) gérés se montent à 30,2 milliards de dollars australiens [51] soit 17G€. Pour gérer ces fonds la banque a perçu un revenu de 1600 MA$ (total income) et a enregistré des dépenses de 1245 MA$ (total expenses), ce qui génère un revenu d’exploitation (profit before income tax) de 355 MA$.

40En 2005, la progression est spectaculaire, puisque Macquarie gère un portefeuille d’actifs de 91 milliards de dollars australiens (56,5 G€) [52] soit trois fois plus qu’en 2002. Pour cela, elle a reçu des revenus de 3655 MA$, contre des dépenses de 2494 MA$, ce qui laisse un résultat d’exploitation de 1161 MA$. Ce résultat représente 31,8% des revenus ; et une fois payé l’impôt et passées en écriture diverses opérations, reste un profit distribuable aux actionnaires ordinaires de 823 MA$, soit 22,5% des revenus (Annual Review 2005, p. 3).

Les activités de Macquarie

41La banque est structurée en plusieurs sous-parties qu’il n’est pas sans intérêt de présenter pour mieux situer la place des infrastructures dans tout l’ensemble (Macquarie Bank, Annual Review 2002 et 2005). Nous avons classé les différents segments en fonction de leur contribution au profit de l’exercice 2004/05 (51% par exemple pour Investment Banking).

  • Investment Banking Group (51%). Cette activité dans laquelle se trouvent les fonds d’infrastructures comprend elle-même plusieurs sous-parties : Macquarie Capital (2%), Financial Products (4%), Macquarie Securities (7%) et Corporate Finance (38%). Ce dernier segment comprend d’abord et à l’origine une activité classique sur les marchés d’actions (equity capital market, ECM), puis la gestion de fonds spécialisés dans les infrastructures est venue s’y greffer. Depuis quelques années, avec la libéralisation de divers secteurs, cette activité explose. Les actifs en gestion ont doublé en un an de 13,5 à 27,1 GA$ (exercice au 31-03-2005) grâce à la création de nouveaux fonds, chacun étant dédié à un groupe de projets.
  • Banking et Property Group (22%). La banque apporte un service de financement et de gestion sur le marché immobilier. En 2004, un rapprochement avec un fonds américain de Principal (jusqu’à présent Lend Lease) lui permet de sortir du marché australien et de se développer dans l’immobilier de bureaux. Depuis 2005, à la suite d’un rapprochement, cette activité est portée par Macquarie Goodman Group (8,6% Macquarie) cotée en bourse avec une capitalisation de 5 GA$.
  • Treasury and Commodities Group (13%) est en charge d’opérations sur les marchés des métaux, de l’énergie, des opérations de change. Le groupe a développé une activité sur le commerce des produits agricoles en particulier le coton, aux États-Unis, en Australie et récemment au Brésil.
  • Equity Markets Group, (9%) intervient sur l’émission de warrants et de produits dérivés en Australie (25% du marché), à Hong Kong, au Japon, en Afrique du Sud et au Brésil. Le rachat en 2004 de l’activité de courtage de ING pour la zone Asie Pacifique renforce considérablement cette branche. Une activité de hedge fund a été lancée en 2005 sous deux unités (Newton, Equinox).
  • Financial Services Group, (4%) il s’agit d’une activité complémentaire à la banque de détail, ouverte depuis juin 2000 ; elle se développe en Australie, Nouvelle Zélande et Afrique du Sud.
  • Funds Management Group (1%) offre un service de gestion en Australie ; les fonds en gestion ont augmenté de 14% pendant l’exercice 2001/02 pour s’établir à 25,5 GA$. La banque a aussi développé cette activité à l’étranger - Malaisie, Corée du Sud – où la progression est très forte. Les fonds en gestion ont fortement progressé en 2004/05 pour s’établir à 42 GA$.

Macquarie dans les infrastructures

42À la fin de 2005 Macquarie gérait 20 fonds d’infrastructures, dont onze cotés pour un total d’actifs de 14,7 G€ et neuf non cotés pour 5,44 G€ (plaquette 2005). Parmi les plus importants on compte :

  • Macquarie Infrastructure Group (MIG, coté, 6,0 G€),
  • Macquarie Airport (MAp, coté, 3,4 G€) qui vient épauler…
  • Macquarie Airport Group (MAG, non coté, 585 M€),
  • Macquarie Communications Infra (MCIF, coté, 1,5 G€)
  • Diversified Utilities & Energy Trust (DUET, coté, 720 M€)
  • Macquarie Infrastructure Company (MIC, coté, 628 M$),
  • Macquarie European Infrastructure Fund (MEIF, non coté, 1,5 G€),
  • Korean Road Infrastructure Fund (KRIF, non coté, 996 M€).
Le véritable tournant se situe vers 2001/02 avec quelques acquisitions importantes. Macquarie prend, en 2001, une participation significative dans l’autoroute 407 en Ontario présentée comme the world’s largest privatised toll road ; ses partenaires sont alors SNC Lavalin (qui se retirera plus tard) et Ferrovial ; le portage passe par MIG, structure cotée. Toujours en 2001, Macquarie prend une participation dans l’aéroport de Bristol où Ferrovial détient 50%. Trois autres aéroports suivront rapidement [53] : Sydney (2002), Birmingham (2001) et Rome (2002). Cette activité est portée par MAG et par un fonds introduit à la bourse de Sydney, Macquarie Airport (MAp) qui prend une participation de 36,7% dans MAG. En 2002, le portefeuille en gestion est alors de 6,67 G€ (11,8 GA$), il a presque doublé. La coopération avec le groupe espagnol est rapidement étendue. Avec un apport de 960 M€ (1,7 GA$ [54]) Macquarie acquiert 40% de Cintra, la filiale spécialisée qui exploite des autoroutes, des aéroports et des parkings. Le nouvel ensemble exploite 18 con-cessions autoroutières dans le monde. Ce partenariat prometteur s’achèvera en 2005 en raison de divergences d’analyse sur la stratégie à suivre.

43Cette activité, pour laquelle le groupe est associé à l’exploitation en tant qu’actionnaire, est complétée par une activité « classique » de service financier. Il participe à des montages financiers pour des projets d’infrastructures : expressway en Corée, conseil de Brambles (déchets), mise sur le marché de Gasnet, émissions obligataires pour Tenaga (Malaisie) et un constructeur de route, etc. Par ces composantes, Macquarie offre un profil complet, international, qui porte autant sur la partie financement de projet, que sur des opérations immobilières ou de l’exploitation d’infrastructures.

44En 2002-03, l’engagement dans le secteur des infrastructures se confirme. Le groupe gère des fonds qui financent plus de 30 autoroutes à péage dont les plus marquantes sont la Midland Expressway en Angleterre (encadré), l’autoroute 407 au Canada, une autoroute près de San Diego pour 35 ans [55]. Au printemps 2002, Macquarie Bank emprunte 1 GA$ sur les marchés (560 M€) sur lequel il est prévu d’affecter 69% au rachat de la part de SNC Lavalin dans l’autoroute 407 à Toronto [56]. La participation de MIG dans cette concession passe de 24.5% à 43% ; le reste est détenu par Cintra (Ferrovial 60% et Macquarie 40%). En 2003, les actionnaires investissent dans la construction d’une voie nouvelle afin de conserver la fluidité du trafic [57].

M6 Toll

Il s’agit d’un tronçon de 27 miles, au nord de Birmingham, destiné à contourner un tronçon très embouteillé. Il est considéré comme le projet autoroutier privé en cours le plus important du pays. Une concession de 50 ans (jusqu’en 2054) a été attribuée au consortium Midland Expressway Ltd (MEL) formé par Macquarie Infrastructure Group (75%) et Autostrade (25%). Les deux partenaires l’ont emporté en septembre 2000 face à un consortium composé de Carillion, Alfred McAlpine, Balfour Beatty et Amec, soit l’establishment anglais du secteur. Le contrat de finance, design, build, operate & maintenance a été obtenu pour 485 M£. En novembre 2003, à quelques semaines de l’entrée en service, soit deux mois d’avance sur le calendrier prévisionnel, MEL était critiqué sur le niveau du péage, considéré comme trop élevé pour les poids lourds : 11 livres [58].

45Au début de 2003, le groupe crée en Corée du Sud un fonds de 206,3 M$ (247 GWon) : Korean Road Infrastructure Fund (non coté). Ce fonds va exploiter à Séoul et dans d’autres grandes villes quatre autoroutes, trois tunnels et un pont avec des contrats de 20 ans ou plus [59]. Le groupe obtient aussi un tronçon autoroutier au Japon (Hakone Turnpike). En décembre 2004, les fonds sous gestion dans KRIF s’élevaient à 996 M€. En Australie il forme un partenariat avec l’opérateur autoroutier Transurban Group en vue de répondre aux appels d’offres dans le pays ; dans cette association, la banque Macquarie aurait un droit de préemption pour les mandats de conseil financier. Macquarie constitue aussi un fonds européen dont la première opération majeure est le rachat de South East Water (une Statutory Water Company jusqu’alors propriété de la Saur). Cette acquisition est suivie par l’achat pour 45 M€ de l’entreprise qui gère la liaison ferroviaire entre Stockholm et son aéroport international (Arlanda) [60].

46En 2004, Macquarie se positionne parmi les repreneurs d’actifs régionaux de National Grid qui possède et gère le réseau de transport électrique en Angleterre et au Pays de Galles. La grande affaire de la fin de l’année est la reprise de l’aéroport international de Bruxelles, privatisé. Le consortium dirigé par MAp reprend 70% (la part groupe était au final de 52%). Le financement se fait en actions (400 M$) et par un emprunt « innovant » qui génère 525 M$. Le groupe crée plusieurs fonds pour porter ses nouveaux développements : Macquarie European Infrastructure Fund (non coté, total au 31 décembre 1,5 G$), Diversified Utility & Energy Trusts, fonds coté en Australie tourné vers le marché de l’énergie dans ce pays (total au 31 décembre 720 M$), Macquarie Infrastructure Company, fonds coté à New York tourné vers les pays industriels (total 628 M$).

47L’année 2005 voit se multiplier les opérations. Pendant l’été Macquarie fait partie des cinq consortia sélectionnés pour la privatisation de l’aéroport de Budapest ; outre les offres de trois opérateurs d’aéroports européens, on trouve aussi Hochtief et parmi les candidatures écartées, celles d’Abertis et de Ferrovial. Il soumissionne au même moment pour les aéroports de Mumbai et Dehli ; dans cette opération les consortia de Hochtief et Singapour se sont retirés jugeant les conditions de la compétition peu satisfaisantes ; subsiste une entreprise de la famille Ambani associée à une firme turque. Au mois d’Août, le groupe, associé à Eiffage soumissionne pour le dossier des autoroutes en France. En septembre, associé à un groupe chimique, il rachète le groupe d’explosif norvégien Orica pour 1,7 G$ (lié au groupe Nobel). La vente est faite par le dernier propriétaire, un fonds d’investissement suédois, et Macquarie l’emporte devant deux autres fonds d’investissements américains : Bain et Apollo. Pendant l’été, il est fait annonce dans la presse économique d’une offre de Macquarie pour la reprise du London Stock Exchange, se trouvant sous la pression de deux offres l’une de l’opérateur de la bourse de Frankfurt et l’autre d’une alliance des bourses de Paris, Amsterdam et d’autres. Annonce de diversion ou engagement réel ?

Le « modèle » Macquarie et sa discussion

48Pour les représentants du groupe, le « modèle » Macquarie est différent des fonds d’investissements qui recherchent la plus-value et se retirent. Un fonds Macquarie se définit par un objet social précisé dans ses composantes géographiques et sectorielles et les actifs de base qui se constituent. Les équipes de la Banque choisissent soigneusement des actifs qui offrent des retours sur investissements suffisants avec des risques limités. Dans un premier temps, les actifs sont logés dans un fonds non coté développé par la Banque et des investisseurs. Chaque fonds est créé avec ses propres clauses, son objet, ses règles de rentabilité ; il est géré par une structure de projet. Selon les règles internes, chaque fonds est indépendant des équipes de Macquarie Bank pour éviter tout risque d’interférence ; cette indépendance serait assurée par les règles dites de « chinese wall ». En principe, un fonds qui se développe va être introduit en bourse. Le poids de Macquarie va se trouver dilué mais cela ne devrait rien changer à la gestion. « La vocation de Macquarie est de gérer ses fonds quels que soient les actionnaires et ce pour toute la durée du fonds… pour des infrastructures elle est presque perpétuelle ».

49Cet engagement du groupe dans les infrastructures appelle plusieurs remarques :

  1. Il est clair que le développement de Macquarie dans les infrastructures est récent et que cette stratégie relève plus d’un positionnement démarqué par rapport à d’autres fonds que d’une compétence particulière dans ces secteurs. Au sein de Macquarie Bank, les infrastructures constituent une activité parmi d’autres au milieu d’un vaste ensemble dont la culture comme la substance reste financière.
  2. Le déploiement dans les infrastructures peut s’interpréter comme une manière d’exercer plus facilement un métier principal. Par exemple, on peut lire ce commentaire à propos de l’acquisition de Sydney Airports Corp. pour 5,59 GA$, qui passe par un financement de 3,95 milliards de dollars australiens en prêt principal et une couverture obligataire : « Macquarie assure le rôle du sponsor, du conseil financier, du conseil du groupe pour toute l’opération » [61]. De même, peu de temps après sa reprise de South East Water, le groupe a mobilisé ses compétences obligataires pour restructurer la dette et dégager ainsi un résultat positif ; il envisage d’appliquer les mêmes techniques aux réseaux de National Grid. Cette stratégie correspond plus généralement à un positionnement des fonds d’investissements dans différents secteurs industriels. On pouvait lire il y a quelques mois un interview de Robert Merton qui, après l’effondrement du fonds LTCM, revient dans le métier avec un nouveau fonds : « notre groupe utilise [des sciences financières] qui ont été développées au cours des 30 dernières années et des technologies financières… ces technologies ont déjà été largement utilisées dans les marchés financiers mais nous voulons les utiliser pour prendre appui en d’autres secteurs » (FT May 5, 2005).
  3. En quoi cet apport qui tient plus à la partie financière qu’à une connaissance de l’exploitation peut-il affecter la durée des engagements ? Macquarie se défend de fonctionner comme un fonds classique qui entre dans une firme, la valorise et la revend sur une durée de 18 mois à 5 ans, pour recommencer le scénario dans un autre secteur. Chaque ensemble d’actifs est sécurisé dans un fonds, piloté par des règles strictes dont Macquarie reste le garant ultime même si le groupe venait à se désengager du capital du fonds après qu’il ait été introduit en bourse. C’est, nous semble-t-il, un point très intéressant du modèle Macquarie. Seul le temps permettra de trancher. Mais dès à présent il est possible de pointer des zones d’ombre.
  4. Les courbes des fonds collectés et du résultat net (Annual report 2005, p. 2) ont été exponentielles depuis 1996. Le succès appelant le succès, le groupe a collecté toujours plus de fonds ; mais il l’a fait sur la base de la promesse de la reproduction de ses succès passés. La question qui se pose est de savoir ce qui se passera lorsque les fonds, pour des raisons qui peuvent être multiples, ne tiendront pas leurs promesses. On peut penser que les gestionnaires de fonds primaires qui allaient vers Macquarie feront des arbitrages au profit d’autres secteurs d’activité. Donc la machine à collecter du cash se grippera.
  5. Face à ce risque, à haute probabilité sur l’horizon de long terme des infrastructures, les responsables de Macquarie objectent la stabilité de leur modèle. Le ralentissement des avoirs collectés ne devrait pas affecter chaque fonds, « chaque fonds est géré comme une sicav ». Leur valeur ne peut tendre vers zéro car l’activité qui lui sert de support (le sous-jacent dans le langage des analystes) est constituée d’actifs fixes. Reste cependant un problème qui est celui de la dynamique des besoins. L’histoire des réseaux et des firmes nous montre que les groupes et les contrats qui ont duré sont ceux qui ont su s’adapter à des nouvelles demandes ; or souvent cette adaptation a nécessité de nouveaux financements. Le modèle Macquarie d’aujourd’hui nous semble fonctionner sur une vision de fonds sanctuarisés, bordés par des contrats complets ; c’est très bien dans un monde stable ; mais si le monde devient turbulent, si pour rester il faut s’adapter, alors la question de la capacité à mobiliser de nouveaux capitaux se posera. Et si la rentabilité relative du secteur des infrastructures est en deçà des attentes, alors le système se bloquera.
  6. Avant le blocage, on peut penser au regard de l’expérience d’autres firmes confrontées au grippage de leur modèle à cash, fondé sur des anticipations à la hausse, (Vivendi sous Messier, Enron vers 2000, Waste Management vers 1995/96) que la première réaction sera de pallier les difficultés par plus de créativité financière. Elle peut s’exercer comme aujourd’hui pour « éviter les frottements fiscaux » avec l’usage des paradis fiscaux pour domicilier certains fonds [62]. Elle peut aussi puiser dans la panoplie des instruments financiers toujours plus sophistiqués, internationaux et peu lisibles (que sait-on de l’engagement effectif des hedge funds ?). La règle du « chinese wall » est une règle qui ne repose que sur l’auto-limitation des acteurs et ce principe vertueux devient d’autant plus difficile à tenir que les situations se tendent. En un mot, un modèle équilibré au départ, mais trop soumis aux exigences de retour sur investissement dans un groupe qui est lui-même financier [63], peut dans certaines circonstances perdre son objet principal : gérer une infrastructure en réseau qui ne se réduit pas au marché.
  7. L’alliance en France d’anciens opérateurs publics, de groupes de construction et d’un fonds comme Macquarie représente donc une configuration totalement nouvelle qui dépasse et de beaucoup un apport en capital. Et ce sera certainement un défi pour la puissance publique que de réguler ce type d’acteur.


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Date de mise en ligne : 01/01/2008.

https://doi.org/10.3917/flux.062.0058

Notes

  • [1]
    Ce « portrait d’entreprise » se trouve fondé comme les précédents sur notre dispositif de veille. Nous avons soumis une première version à quelques-uns des protagonistes de cette histoire qui ont eu l’amabilité de réagir : opérateur d’autoroute, Macquarie. Je remercie ces personnes pour leurs précieux commentaires. Le texte qui suit n’engage que son auteur.
  • [2]
    Les Autrichiens ont un système de télépéage, également récent, qui concerne les camions de plus de 12 tonnes et pour les autoroutes.
  • [3]
    En France le réseau de Cofiroute (à l’ouest) privé dès le départ constitue une exception. Cette société regroupe les principaux groupes de construction et leurs filiales routières. Une autre autoroute, l’A4 vers l’est avait été également financée par un schéma privé mais le trafic n’étant pas là, les groupes privés se sont retirés et après de longues négociations, le réseau à été repris par les CDC et fusionné avec un autre réseau pour former l’actuelle Sanef.
  • [4]
    En 2002, Autostrade détient 7.8% d’Acesa tandis que celle-ci a 3,85% de son homologue italien et 10% du portugais Brisa ; Brisa a 5.77% d’Acesa
  • [5]
    Financial Times, August 22, 2001
  • [6]
    Lorrain, D. (2002), Capitalismes urbains : la montée des firmes d’infrastructures. Entreprises et Histoire, n°30, septembre, p. 18 suiv.
  • [7]
    Rapport annuel Ferrovial 2001, p12. Financial Times, March 18, 2002
  • [8]
    Pour les prises de position, Le Monde 1er août 2005. C. Saint Étienne, Faut-il privatiser les autoroutes ? Le Monde 29 septembre 2005.
  • [9]
    Sur Enron voir C. Defeuilley, (2001) « Portrait d’entreprise », Flux, n°46, Oct. Décembre, pp. 76-84. (2002) La faillite d’Enron, Entreprises et Histoire, n°30, septembre, pp. 88-99.
    Sur Waste Management, D. Lorrain, (2002) Portrait d’entreprise, Flux n°48/49, avril-septembre, pp. 116 suiv.
  • [10]
    Le « modèle » Macquarie a ceci de particulier : une séparation entre les fonds où se trouvent les actifs sous-jacents et la Banque. C’est cette dernière qui se trouve soumise à la pression des marchés. Ceci étant, comme le montre l’exemple de Suez en 2003/05, si la société mère joue un rôle d’amortisseur des pressions des marchés, elle ne peut tout absorber. Lorsque l’écart entre ce que génère une exploitation et les retours attendus devient trop important, elle ferme. On voit mal comment cette même logique ne s’appliquerait pas aux fonds spécialisés du modèle Macquarie (équivalent des exploitations de la firme de réseau). Sur Suez voir notre article. « La firme locale-globale, Lyonnaise des Eaux, 1980-2004 », Sociologie du Travail, n°3 2005, sur le point discuté, pp. 352-356.
  • [11]
    Le Monde 30 juillet 2005.
  • [12]
    Sur cette question des nœuds de réseaux, de leur organisation et des enjeux liés, voir de nombreux travaux conduits au Latts par F. Margail, A. Sander, P. Zembri. En particulier leurs articles reproduits dans « RIT dans le texte », 1992, 1993, 1994, 1995, 1996, 1997.
  • [13]
    Le Monde, 13 septembre 2005, p. 11.
  • [14]
    Les autres sont Auto Tomi et SIAS
  • [15]
    Les Échos, 29 mai 2001, p. 69.
  • [16]
    Interview du président d’Edizione Holding, Les Échos 17-12-2001, p. 26.
  • [17]
    Cette entreprise italienne s’est développée sur les autoroutes, les aéroports ; elle réalise 55% de son activité aux États-Unis grâce à la reprise de HMS Host ; en France, acquisition de Frantour à la SNCF.
  • [18]
    Sur cette opération voir entre autres : Les Échos, 13/9/1999 ; 25/10 ; 29/11 ; 6/12. À l’époque Edizione Holding (groupe Benetton), avec 18%, commande un syndicat d’actionnaires – Schemaventotto - qui détient 30% du capital. Les autres associés du syndicat sont Acesa (3,85%), Brisa (0,15%), INA (assurance, 2%), Unicredito Italiano (2%), la fondation bancaire de Turin (4%).
  • [19]
    Financial Times January 29, 2003. Les Échos 24 février 2003
  • [20]
    La décision concernant le programme d’investissements a été reportée plusieurs fois ; une première proposition portait sur 4.7 G€ (Reuters 10/03)
  • [21]
    Les Échos 24 février 2003
  • [22]
    Sur tous ces points, voir Negri A. (1990), Benetton un exemple d’entreprise européenne (entreprise et territoire régional), Annales de la Recherche Urbaine, n°46, printemps pp. 87-94.
  • [23]
    Ont affiché leur intérêt pour reprendre les 60% de l’État dans Grandi Stazioni, la société de gestion des gares italiennes, où Edizione Holding détient déjà 40% via Eurostazioni (Pirelli, Catalgirone et la SNCF). En décembre 2001, le groupe annonçait un programme de restructuration de douze grandes gares italiennes pour un total de 415 M€ (Les Échos 17 décembre 2001).
  • [24]
    Si on en croit l’interview d’un dirigeant, le groupe est plus intéressé par les aéroports de taille moyenne (Florence, Bologne) que par les très grands, Les Échos du 17/12/2001. Le groupe est présent dans l’aéroport de Turin ; il a exprimé son intérêt pour la privatisation de l’aéroport de Rome
  • [25]
    Les Échos, 3 mars 2000.
  • [26]
    « Les Benetton pourraient vendre l’entreprise de restauration Autogrill », Le Monde, 23 avril 2004.
  • [27]
    Les Échos, 27 juin 2001, p10.
  • [28]
    Autostrade est notée Aa2 par Moody et AA- par Standard & Poor’s, soit une signature jugée très saine.
  • [29]
    Financial Times May 13, 2004.
  • [30]
    D’après, Reuters.com et Yahoo Profile, automne 2005
  • [31]
    Bel G. et Fageda X., (2005) « Is a mixed funding model for the highway network sustainable over time ? The Spanish case ». In Ragazzi et Rothengatter (eds.), Procurement and Financing of Motorways in Europe, Elsevier.
  • [32]
    Trois concessions d’origine : Tarragona/Valencia/Alicante (225 et 149 km), Sevilla/Cadiz (94 km)
  • [33]
    Les Échos, 26 mars 2002
  • [34]
    La Tribune, 8 février, 2002
  • [35]
    Outre des réseaux en Espagne, Iberpistas détient 25% de la compagnie d’autoroutes chilienne, Elqui.
  • [36]
    Financial Times, March 18, March 26, 2002. Les Échos, 26 mars, 2002.
  • [37]
    Les Échos, 12 juin 2002
  • [38]
    Cette opération est d’abord annoncée avec l’équilibre suivant : 21,1% la Caixa, 12,2% Dragados. Il changera avec l’intégration des concessions détenues directement par Dragados et celle d’Iberpistas. L’équilibre de 2005 est de 23,99% La Caixa et 17,58% ACS.
  • [39]
    Avant la fusion, Aurea détenait une option pour acquérir 14 sections d’autoroutes construites par Dragados. Financial Times, March, 18, 2002.
  • [40]
    Fiche Reuters.com, Octobre 2005
  • [41]
    Annual report 2002, p. 47
  • [42]
    On remarquera que la politique de privatisation des entreprises de services publics, suivie en Espagne (Électricité) et au Portugal (Électricité, autoroute) a été celle des petits pas. L’État s’est désengagé progressivement, ce qui a permis de changer les habitudes en douceur et de renforcer les intérêts nationaux.
  • [43]
    Annual report 2001, p. 10-13.
  • [44]
    Structure du capital : Andrade Gutierrez 17,42%, Camargo Corrêa 17,90%, Brisa 17,90%, Serveng Civilsan 17,90%, flottant au nouveau marché 28,88%.
    http://www.ccrnet.com.br/ccrweb/sobreaccr/index.cfm
  • [45]
    Camargo Corrêa, Annual Report 2004, p. 65.
  • [46]
    Financial Times, September 27, 2005.
  • [47]
    Taux de change 1,61 A$ pour 1€, Financial Times, October 29-30, 2005.
  • [48]
    Plaquette Macquarie « Présentation de MIG et des fonds gérés par Macquarie », octobre 2005.
  • [49]
    Financial Times, September 25, 2003
  • [50]
    Parmi ses rivaux dans la zone pacifique, mentionnons AMP Henderson Airports Funds ; Henderson fait partie des grands promoteurs de Hong Kong au même titre que Cheung Kong, Sun Hung Kai et New World. Mentionnons l’autre grand groupe australien présent dans les infrastructures de transport : Transfield, tramways de Melbourne (avec Egis), autoroute à péage autour de Melbourne (30 km) avec Obayashi et Transroute.
  • [51]
    Taux de change 1,77 A$ pour 1€, Financial Times, September 13, 2002.
  • [52]
    Financial Times, July 7, 2005, à l’automne le total géré sera de 94 GA$
  • [53]
    Le groupe fait partie des trois consortia en lice pendant l’été 2001 pour la privatisation de Kingsford Smith à Sydney ; il l’emporte un an plus tard (avec 53,3%). En décembre 2001, il obtient l’aéroport de Birmingham. En juillet 2002, il acquiert son 4e aéroport en 18 mois en reprenant 44,7% de l’aéroport de Rome pour 480 M€. Le consortium italien Leonardo Holdings, formé de Falck et de Impregilo (Fiat) qui avait racheté cet actif à l’État, conserve 51%.
  • [54]
    Chiffre donné dans le Annual Review, p. 12-13, différent des 816 M€ mentionnés du côté espagnol (Ferrovial, AR 2001).
  • [55]
    Asian Wall Street Journal, Jan 7, 2003.
  • [56]
    Cette autoroute de 108 km, privatisée en 1999, a un trafic de 260 000 véhicules par jour (Financial Times, March 21, 2002)
  • [57]
    Canada Newswire, Dec 31, 2002.
  • [58]
    Birmingham Post, Nov 19, 2003. The Guardian, May 7, 2003.
  • [59]
    AWSJ, Jan 7, 2003, p. M3. Korea Herald, May 27, 2003. Également plaquette MIG, octobre 2005
  • [60]
    Financial Times, November 3, 2003. Le consortium d’origine qui se retire comprend NCC (2e groupe de construction Suédois), Vattenfall (1er électricien suédois), Alstom et Mowlen, Project Finance, March 2004
  • [61]
    Project Finance, sept. 2002.
  • [62]
    Godefroy, T. et Lascoumes, P. (2004) Le capitalisme clandestin, La Découverte, Paris. Sur les Bermudes voir pp. 44, 94, 104. La note 15 du rapport financier 2002 fait mention de six fonds localisés aux Bermudes, c’est une optimisation compte tenu de la législation américaine sur les assurances.
  • [63]
    À propos de l’approche à court terme caractéristique des marchés australiens on pouvait lire en 2002 : « its reliance on retails investors leaves it vulnerable to mum and dad market sentiment » et plus loin l’auteur précise en citant une analyse du Credit Suisse First Boston « Some US pension funds are able to position part of their investments portfolios for 30-year investments horizons while Autralia’s institutional investors have the discipline of quaterly reporting on investment performance » (Fiona Haddock, « Why is open season on Macquarie ? », Asiamoney, sept. 2002.
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