Notes
-
[1]
La surface de Berlin ouest avant la réunification était de 481 km2 ; celle du Luxembourg est de 2586 km2. Beaujeu Garnier et ali. « Images économiques du monde » de 1966, Paris, Sedes, 1966.
-
[2]
Quelques dates majeures. 1959, début de l’auto-administration de la colonie (la Malaisie au sens large) ; le PAP est au pouvoir. 1963, indépendance de la Fédération de Malaisie composée de 11 états. 1965, Singapour quitte la Fédération.
-
[3]
Financial Times, April 12, 2002, « Survey Singapore », « banking on consolidation ».
-
[4]
FT, september 16, 2003.
-
[5]
Harvard, tant la Business School que la Kennedy Law School, a des liens étroits et anciens avec la ville-état. Ses professeurs y font des enseignements réguliers. Lee Hsien Loong, fils du fondateur, nommé Premier ministre à la fin de 2003 est lui même diplômé de Harvard. Voir « survey » op. cité.
-
[6]
FT, July 14, 2004.
-
[7]
FT, July 14, 2004 ; Le Monde 12 Août 2004. Haila A., « Les institutions de régulation du domaine foncier à Singapour », Revue Française d’Administration Publique, n°107, 2003, pp. 421-432.
-
[8]
Voir notre article « Gig@city, (l’essor des réseaux techniques dans la vie quotidienne) », Flux n°47, janvier-mars 2002, pp.7-79.
-
[9]
Haila A., 2003, op. cité.
-
[10]
Haila A., « Real estate in global cities : Singapore and Hong Kong as property states », Urban studies, nov 2000, pp. 2241-2256.
-
[11]
De Koninck R., « Un Atlas de la révolution du territoire », GIP Reclus, Montpellier, 1999.
-
[12]
Haila A. op. cité 2003, p. 423.
-
[13]
Toutes les données financières (chiffre d’affaires, valeur des actifs) ont pour source une étude de la société de rating Standard & Poors. « Singapore, Government Linked Enterprises », Standard & Poors, 2001.
-
[14]
Haila A., « State-present capitalism : property and development companies in Singapore », Entreprises et Histoire, n°30, septembre 2002, pp. 63-72.
-
[15]
Field B.G., « The morphology of planning in an urban laboratory », Property Management, vol. 17, n°2 1999, pp. 139 suiv.
-
[16]
Field, op. cité.
-
[17]
Haila A., 2003, op. cité, p. 426.
-
[18]
Perry M. and Yeoh C. « Singapore’s overseas industrial parks, Regional Studies », Cambridge, April 2000. Selon ces auteurs, à la fin de 1998, le parc comptait 80 entreprises et 60 000 salariés et les 500 hectares réservés à l’origine avaient trouvé acquéreur.
-
[19]
Salim était partenaire de Lyonnaise des eaux (aujourd’hui Suez) pour le contrat d’eau de Djakarta en 1997. La crise du régime Suharto après l’été 1997 et la mise en cause du groupe l’ont conduit à céder de très nombreux actifs.
-
[20]
Voir Perry et Yeoh op. cité. Aux arguments techniques qu’ils avancent (accès aux technologies) on peut ajouter plus prosaïquement que le fait que négocier directement donne du pouvoir et des avantages aux marges (fringe benefits).
-
[21]
J’ai enquêté sur ces deux opérations en 1996, dans le cadre d’une étude pour le ministère de l’Industrie : « Le marché de l’environnement dans la région de Shanghaï » (en collaboration avec E. Baye), Paris, 1996.
-
[22]
Perry et Yeoh, op. cités.
-
[23]
Source, Hoover’s Online, pour l’activité 2001, 3130 MS$.
-
[24]
Haila A., 2002, op. cité p. 66.
-
[25]
En juillet 2004, SembCorp Marine acquiert 30 % de Cosco, le premier chantier naval chinois. Journal of Commerce ONLINE, Jul 21, 2004.
-
[26]
Par exemple, en 2002 la firme a cédé sa filiale Singapore Food Industries fournisseurs de repas pour l’armée, les écoles et des hôpitaux. FT, Nov 14, 2002.
-
[27]
Suez, rapport annuel 2001, p. 37. Pour la suite, Asian Wall Street Journal, Nov 24, 2003.
-
[28]
Suez, rapport annuel 2000 p. 37 (Sita détient 60 % de SEMBSITA en Australie), plus loin il est fait mention de l’acquisition de Pacific Waste Management.
-
[29]
Journal of Commerce, New York Sept 14, 2004.
-
[30]
Portrait d’entreprise dans Flux n° 38.
-
[31]
Source Asian Wall Street Journal
-
[32]
Asian A.,Wall Street Journal, December 18, 1995.
-
[33]
Haila A.,2002, op. cité p. 67 et Standard & Poor 2001, op. cité.
-
[34]
CapitaLand a des résidences pour expatriés à Shanghaï et Suzhou et des bureaux dans le centre de Shanghaï.
-
[35]
Haila A., 2002, op. cité, p. 67.
-
[36]
Asian Wall Street Journal, oct 5, 1992.
-
[37]
Sikorski D., Menkhoff T., « Internationalisation of Asian business », Singapore Management Review, 2000, vol. 1, pp. 1-17.
-
[38]
Standard & Poor, op. cité, p. 27.
-
[39]
FT Survey 2002, op. cité.
-
[40]
Haila 2002, op. cité, p. 67.
-
[41]
Financial Times, April 12, 2002, « survey on Singapore ».
-
[42]
FT February 19, 2001.
-
[43]
Voir le « portrait d’entreprise » Flux n° 36-37.
-
[44]
FT, March 31, 1998 ; May 9, et April 12, 2002.
-
[45]
En avril 2002, PSA acquiert 80 % d’une entreprise Belge qui a des activités à Anvers et Zeebruge, FT May 9, 2002.
-
[46]
FT August 25, 2000.
-
[47]
FT April 18, 2002.
-
[48]
FT February 19, 2001.
-
[49]
FT February 19, 2001 et May 9, 2002.
-
[50]
FT July 4-5, 2002.
-
[51]
Financial Times, December 30, 2003.
-
[52]
Financial Times, May 5, 2004
-
[53]
Flux n° 50 et 55.
-
[54]
Financial Times et Wall Street Journal October 13, 2004.
1Singapour est un petit territoire [1] de 647,5 km2, peuplé de 4 millions d’habitants. Son destin s’explique d’abord par une position stratégique à la pointe extrême de la péninsule de Malaisie, au commandement du détroit de Malacca. L’activité portuaire remonte au début de la colonie britannique en 1819. Singapour se définit donc comme un hub, un centre de connexion admirablement situé sur la route des échanges entre l’Europe et l’Asie.
2Le second trait tient aux institutions. En 1965, lorsque Singapour se sépare de la Fédération de Malaisie quelques années après l’indépendance, le People’s Action Party (PAP) prend définitivement le contrôle des institutions [2]. En ces années de guerre froide les nouveaux dirigeants se rangent dans la lutte contre les communistes ; ce faisant on a eu tendance à considérer que la ville-état relevait d’une économie de marché, ouverte. En fait, Singapour combine des mécanismes de marché et une très grande main mise de l’État dans le fonctionnement de l’économie. Il intervient par des établissements publics, par des entreprises publiques aux domaines d’intervention très larges, coiffées par une holding de contrôle, Temasek Holdings (encadré 1). Vers 2003, ces entreprises représentent 12 % du PIB, la moitié des grandes entreprises de la ville-état, ou encore 41 % de l’indice boursier. Le gouvernement dispose aussi de son propre fonds d’investissement aux actifs de plus de 100 G$, en 2004 : Government of Singapore Investment Corp. (GIC) [3].
Encadré 1. Les filiales de Temasek Holdings dans les infrastructures. Government Linked Companies
Singapore Airlines (57 %) | |
Singtel (65 %) | |
ST Telemedia (10 %) | |
DBS (28 %) | Grande banque de l’Asie du Sud-Est |
Singapore Technologies Pte (100 %) | Holding qui contrôle SemCorp, SembCorp Marine, CapitaLand |
Keppel Corp. (32 %), SembCorp Industries (51 %) | Chantiers navals diversifiés |
Keppel Land (17 %), CapitaLand (61 %) | Promoteurs immobiliers |
PSA (100 %) | Opérateur portuaire |
Neptune Orient Lines (29 %) | Armateur |
Singapore Power (100 %) | Entreprise électrique |
3Ce dirigisme éclairé ressemble par certains aspects à l’interventionnisme prussien au XIXe siècle, à l’économie dirigée française des années 1950, voire à « l’économie socialiste de marché » que la Chine développe depuis vingt ans. Ce pays oppose les contraires : la liberté du marché et l’intervention publique, l’appel à la démocratie et un parti unique à la structure très verticale, le respect des libertés et une rigueur très grande qui peut aller jusqu’à une action sur les comportements individuels ; au printemps 2002, par exemple, la presse célèbre le 10e anniversaire de l’interdiction du chewing-gum, symbole de la propreté de l’environnement urbain. Le Singapour d’aujourd’hui est efficace, fonctionnel, mais un peu rigoriste ; lorsque le gouvernement annonce son intention d’en faire une place financière internationale pour toute la région, les commentateurs évoquent la Suisse.
4Depuis l’indépendance, le PAP a mis l’accent sur la formation des élites en développant une méritocratie publique de très haute qualité et en investissant dans les infrastructures physiques. Singapour est un cas en grandeur réelle qui démontre les thèses des économistes néo-institutionnalistes (Vogel, North) en illustrant une équation de base : rigueur des acteurs publics + investissement dans le capital humain + qualité des infrastructures physiques = développement.
5Ce petit territoire est fonctionnellement très bien gouverné et a connu un extraordinaire succès. Comme le rappelle un dirigeant interviewé par un journaliste du Financial Times en 2003, « au moment de l’indépendance en 1965, Singapour n’avait rien : pas de ressources naturelles, pas de réserves monétaires, une population peu éduquée [4] » ; aujourd’hui le contraste est flagrant. Mais ce qui a fait le succès de Singapour dans le passé se trouve aujourd’hui questionné. L’économie marche bien mais personne n’oublie que dans un monde de géants, la petite ville-état représente une exception soumise à la concurrence. Il lui faut donc trouver, en permanence, sa voie entre ses voisins : l’énorme Chine, l’Indonésie qui un jour se développera, la Malaisie qui, elle aussi, a connu un développement avec ses propres formes d’interventionnisme.
6Au début des années 2000, malgré les succès, Singapour s’interroge sur son modèle de développement. Ses parcs industriels électroniques fondés sur une main d’œuvre peu chère se trouvent concurrencés par la Chine, l’Inde, demain l’Indonésie et le Vietnam. La Malaisie voisine et Hong-Kong menacent son rôle de grand centre portuaire. Dans tous les cas, la ville-état se trouve à l’étroit dans son petit territoire ; l’aménagement des îles voisines de Batam et de Bintan, comme les terres gagnées sur la mer autour de l’île de Jurong, n’ont apporté qu’un répit. Les compétences humaines et la force de frappe financière de Singapour dépassent le cadre de son espace. Depuis plusieurs années, le gouvernement a fixé un objectif de développement à l’étranger ; cette vision est portée par Temasek et ses filiales et par le GIC. Donc les firmes de Singapour investissement massivement en Inde, en Malaisie, en Corée du Sud, en Chine et en Inde.
7Les conseils imaginent un développement dans les services : biotechnologies, technologies informatiques, services portuaires, ingénierie, finance. Mais ils formulent des critiques à l’encontre du modèle. Singapour manque de créativité, de « buzz ». Un gourou de Harvard [5], Michael Porter, recommande une société plus chaotique et ouverte. Certains s’interrogent sur les bienfaits de la méritocratie ; la captation de l’élite au bénéfice du secteur public ne se fait-elle pas au détriment de l’économie privée : « Singapore lacks a class of enterpreneurs [6] » ? La critique porte aussi sur les firmes publiques qui emploient massivement cette élite ; elles ont bénéficié de monopoles et de soutiens du gouvernement ; beaucoup sont riches ; un examen plus rigoureux de leur performances financières (retour sur investissement) conduit à questionner certaines diversifications, ou le prix de quelques opérations ; par exemple, DBS la banque publique est parvenue à s’implanter à Hong Kong en rachetant la banque Dao Heng pour 5,7 G$ ce qui engloutit une bonne part de son trésor de guerre.
8D’autres critiques sont formulées, mais de manière plus feutrée, à l’encontre d’un système de gouvernement qui manque de contre pouvoirs. Le PAP est omniprésent [7]. La figure du fondateur du Singapour moderne, Lee Kuan Yew, premier ministre de 1965 à 1990 surplombe toujours la vie publique. À la fin de 2003, son fils aîné Lee Hsien Loong (51 ans alors) accède à son tour au poste de premier ministre après une brillante carrière dont onze années comme vice-premier ministre, son épouse Ho Ching dirige Temasek Holdings ; un autre fils est à la tête de Singapore Telecoms. Singapour est bien une ville de contrastes ouverte aux marchés et à l’occident, par certains aspects, et représentative du capitalisme familial asiatique.
9En matière d’urbanisme, Singapour représente une ville du troisième type au périmètre bien délimité, très dense et pourtant articulée en permanence au reste du monde grâce à plusieurs réseaux techniques : port, aéroport, systèmes d’information. Cette ville correspond à notre définition des gig@city [8], espaces à haute densité réseautique dont l’influence ne tient pas à une dilatation dans l’espace à partir des autoroutes et des transports urbains, comme pour les mégalopoles, mais à des propriétés de mise en connexion. C’est un espace très organisé à partir de nombreux systèmes techniques.
10Cette densité urbaine peut se mesurer (encadré 2). Pour la densité classique qui rapporte une population à une surface, l’ensemble du territoire (en incluant toutes les îles et îlots) a une densité de 6332 hab/km2. Si l’on ne prend en compte que la partie bâtie, soit 140 km2, alors elle est de 29 300 hab/km2, soit un niveau très élevé. Deux autres indicateurs sont plus parlants. Le PNB par habitant situe Singapour parmi les grandes métropoles mondiales, entre Londres et Séoul d’un côté et New-York de l’autre. Mais c’est surtout avec le PNB/km2 que s’exprime cette idée de densité d’activité urbaine. Singapour est bien une ville hyper-organisée par ses systèmes techniques de sorte qu’un tout petit espace dense développe une activité considérable. Avec un indice de 127,6, Singapour arrive en tête de toutes les métropoles devant Tokyo (110), Los Angeles (81), Paris (80) etc.
Encadré 2. Mesures de densité
Population/surface (km2) | |
Population totale 2004, 4,1 millions | densité |
Surface totale en incluant les îlots, 647,5 km2 (a) | 6332 h/km2 |
Surface de la partie habitée, 140 km2 | 29 286 heures/km2 |
Zone centrale de Shanghai | >15 000 h/km2 |
PNB/habitant en 2000 (pour les régions métropolitaines) exprimé en dollars US | |
Singapour (PNB de 82,4 G$ en 2001) | 20 600 |
Tokyo | 37 000 |
Los Angeles | 27 000 |
Paris | 26 500 |
New York | 23 500 |
Londres | 19 000 |
Séoul | 19 000 |
Shanghai | 11 000 |
PNB (en millions de dollars US) par km2 | |
Singapour (PNB de 82,4 G$ en 2001) | 127,6 |
Tokyo | 110 |
Los Angeles | 81 |
Paris | 80 |
New York | 69 |
Londres | 56 |
Séoul | 55 |
Shanghai | 34 |
(b) Données sur les autres villes : Chreod, « The Shanghai Metropolitan Region, Developments, Trends and Strategic Challenges », Summary Report, The World Bank, October 31, 2003.
La maîtrise du système de production du cadre bâti
11Pour en arriver là il fallut construire des réseaux et des logements, planifier l’usage du sol, offrir des services. À chaque étape, le gouvernement a été très engagé. Singapour représente un cas unique combinant un interventionnisme public et des principes de marché [9]. Le gouvernement intervient sur chaque maillon du système de production du cadre bâti grâce à différents établissements publics et des sociétés à capitaux publics. Aujourd’hui, pour maintenir leur croissance et pour accompagner les ambitions de la ville-état dans la région, ces acteurs étendent leur champ d’activité. L’État réduit son influence, les entreprises sont cotées ; elles montent des partenariats et interviennent sur différents projets dans plusieurs pays asiatiques : Inde, Pakistan, Vietnam, Birmanie et Chine.
12Le premier maillon du système de production du cadre bâti est le foncier. L’interventionnisme public y a été favorisé par l’héritage colonial : un patrimoine foncier important et un régime juridique. Après l’indépendance, les textes facilitant l’expropriation ont été maintenus et complétés. En 1959, les terres de la Couronne étaient estimées à un tiers de la surface de la ville-état ; une décennie plus tard viendront s’y ajouter les terrains militaires cédés par l’armée britannique [10]. « De 1965 à 1988, plus de 1200 sites ont été expropriés [11] ». Et comme l’observe A. Haila « entre 1949 et 1985 le pourcentage de terrains possédés par les organismes publics est passé de 31 % à 76 % pour atteindre 90 % en 2002 [12] ».
Housing Development Board, HDB
13Chiffre d’affaires [13] (millions S$), 8751 (2001) ; 11 885 (1999)
14Statutory Board
15Promoteur immobilier, loge 86 % de la population
16Déficit de 942 mS$ en 2001
17Selon tous les observateurs, au moment du retrait britannique en 1959, la situation du logement était catastrophique avec une surpopulation dans l’habitat traditionnel et des squatters estimés à 250/300 000 personnes. Donc, avant l’indépendance, une politique de logement social s’imposa tout de suite comme une priorité. En 1960 est créé un établissement public — Housing Development Board, HDB — qui reçoit pour mission de construire les logements sociaux et qui se voit doté de larges pouvoirs en matière de rénovation urbaine et de résorption des taudis. Cette politique sera un grand succès ; elle sera poursuivie. Certains y voient d’ailleurs un facteur de la permanence politique du PAP.
18« En 1960, 9,1 % de la population habitait dans un logement social [14] ». En 1999, HDB avait réalisé 780 000 logements pour 86 % de la population [15]. Mais, en atténuation de ce caractère très collectif de la situation du logement, il faut ajouter que 85 % des résidents de HDB sont propriétaires et que ce taux est de 75 % pour l’ensemble des habitants [16]. C’est une caractéristique du système social de Singapour que d’avoir encouragé l’accès à la propriété. Un système d’épargne retraite peut même être utilisé, avant la retraite, pour acquérir un appartement de HDB [17].
19Plus tard, dans les années 1980, lorsque la classe moyenne s’est enrichie, le gouvernement a accompagné la demande en introduisant un nouveau type de logement, de meilleur standing, « le condominium » réalisé par des promoteurs privés sous l’autorité de HDB. Cet établissement public reste très lié à la politique du gouvernement de Singapour. Il intervient exclusivement dans la ville-état. Si exportation, il y a du savoir-faire de construction, elle passe par quelques promoteurs privés qui développent des « condominiums » dans des pays de la zone.
Jurong Town Corporation, JTC
20Chiffre d’affaires, 1342 MS$ (2001)
21Total des actifs, 11,2 GS$ (2001)
22Statutory Board
23Aménageur de zones industrielles, 80 % des zones de Singapour
24Interventions à l’étranger.
25Jurong Town Corporation, JTC, a été créé en 1968 pour prolonger l’action plus ancienne de l’Economic Development Board. Selon les documents officiels, cette histoire a commencé par l’aménagement de zones marécageuses en bord de mer. Cet établissement public est le grand aménageur et propriétaire de zones industrielles à Singapour. En 1994, JTC possédait plus de trente zones accueillant plus de 5000 entreprises. En 2001, on considérait qu’il avait en portefeuille 80 % des zones d’activité du pays.
26À partir de cette activité d’aménageur de zones d’activités, JTC a développé un savoir complet dans l’aménagement urbain : le secteur portuaire, l’immobilier de loisirs et la planification de réseaux urbains. Il intervient par plusieurs filiales qui, pour certaines, ont été transformées en sociétés. JTC est bien plus qu’un acteur public attaché à son territoire ; on le retrouve dans plusieurs parcs industriels développés à l’étranger.
Les parcs industriels de Singapour
27Principales références :
Batam (1992), Bintan (1994), | Indonésie |
Suzhou, Wuxi (1996 +) | Chine |
Ho Chi Minh Ville (1996) | Vietnam |
Bangalore | Inde |
28Firmes impliquées : JTC, Keppel, Sembawang Corp. et STIC
29Les firmes de la ville-état ont acquis une grande réputation dans le développement des parcs industriels intégrés. Ce concept a d’abord été élaboré pour l’aménagement de deux îles voisines de l’archipel des Riau faisant partie de l’Indonésie : Batam et Bintan. L’idée était de pouvoir offrir à des investisseurs industriels le même niveau de services et d’équipements qu’à Singapour, avec une main d’œuvre bien moins chère. Pour y parvenir la zone à aménager est conçue comme un produit intégré et autonome de son environnement local. Les aménageurs de Singapour prennent en charge le montage financier, la conception-réalisation et la gestion de toutes les infrastructures, et même chose pour les équipements de superstructure et les services. La zone industrielle de Batam, ouverte en 1992, « a sa propre centrale électrique, son usine de traitement d’eau potable, son système de collecte et de traitement des déchets, des réseaux de télécommunications, un centre commercial et un marché, des boutiques, une banque, des restaurants, des supermarchés, une mosquée et un centre médical ouvert 24h sur 24… le parc a également son propre opérateur portuaire et des entrepôts [18]».
30Ce faisant, les firmes de Singapour ont acquis un savoir-faire complet et reproductible sur des opérations qui sont d’habitude réparties entre plusieurs intervenants spécialisés. Elles ont appris à coopérer de manière assez poussée et à travailler à l’étranger dans le cadre de partenariats. Les premières opérations sur le territoire indonésien ont été montées avec le groupe Salim, premier conglomérat du pays et alors incontournable grâce à son accès aux réseaux décisionnels [19].
31À partir de cette première expérience dans un territoire proche, les firmes de Singapour ont pu exporter leur modèle du parc intégré. Parmi les références importantes on trouve : Suzhou et Wuxi dans la région urbaine de Shanghai, Bangalore en Inde. Ces opérations associent selon des pondérations diverses Jurong Town Corporation, Keppel et ses filiales, SembCorp (ou STIC). C’est aussi avec Salim que STIC (aujourd’hui SembCorp) intervient à Wuxi.
32Cependant, quelque soit son intérêt, le concept semble aujourd’hui rencontrer des difficultés, en particulier en Chine, de sorte que les firmes de Singapour se positionnent à partir d’approches plus classiques et spécialisées.
33Un atout pour le pays d’accueil était de considérer que la réputation de Singapour servirait à attirer des investisseurs de l’ouest et ils devaient d’autant plus venir que le parc constituait un « isolat » bien équipé dans un environnement où les équipements faisaient défaut.
34- Très rapidement les autorités loca-les ont compris tout l’intérêt qu’elles avaient à pouvoir négocier directement avec des investisseurs potentiels [20]. L’intermédiaire Singapourien perdait de sa valeur ajoutée comme interface entre deux mondes.
35- Ensuite, lorsque chaque pays s’est développé, le parc « isolat de qualité » s’est banalisé et a subi la concurrence d’autres parcs, certes moins équipés mais bien moins chers.
36- L’opération intégrée avait du sens pour les firmes de Singapour si elles pouvaient intervenir sur chaque équipement ; là aussi le choix du constructeur/opérateur a été rapidement un enjeu, en particulier en Chine ; les autorités voulant à la fois positionner leur design institute et leurs compagnies municipales.
37À Batam, la moitié de la main d’œuvre se trouve désormais en dehors du parc. Comme le font remarquer Perry et Yeoh (op cité), des emplois se sont créés spontanément attirés par la réputation du parc et les externalités qu’il crée. De sorte que l’idée d’un « isolat » n’a pas pu résister à l’épreuve du temps, même du temps court. Ces emplois externes finissent par rattacher le parc à l’environnement qu’il voulait éviter et à ses problèmes : chômage élevé, population flottante, corruption.
38À Suzhou et dès le commencement du parc « China-Singapour » les autorités municipales ont lancé leur propre parc : « Suzhou New District » [21]. Le premier, ambitieux, de grande taille, de haut niveau d’équipement et géré par un dispositif assez compliqué à plusieurs niveaux décisionnels ; le second, plus frustre mais offrant l’essentiel et piloté par une petite structure relevant directement du « comité de la construction» et d’un vice-maire. Par ailleurs, la Municipalité de Suzhou a mené toute une série de politiques publiques (rénovation urbaine, déplacement d’industries polluantes localisées en ville, modernisation des réseaux techniques) qui ont amélioré l’environnement urbain global. De sorte que, concurrencé et banalisé, le parc a fait moins bien que prévu. Au moment du lancement, en 1993, le projet concernait une surface de 70 km2, représentait un investissement estimé à 20 G$ et il devait accueillir une population active de 360 000 salariés pour une population totale de 600 000 personnes. L’ambition de départ se situait plus du côté de la « petite » ville nouvelle que de la zone industrielle. Comme le relèvent Perry et Yeoh, l’objectif était de tester en grandeur réelle le modèle de Singapour et sa capacité à combiner des objectifs économiques et sociaux. Les autorités chinoises ont voulu coopérer pour attirer des emplois mais elles ont voulu conserver la maîtrise du reste : politiques sociales, politiques du logement et des équipements publics. En outre, comme on nous l’expliquait en 1996, les autorités chinoises souhaitaient contenir le prix des infrastructures à un certain niveau. Une opposition d’intérêts se manifestait aussi à propos de l’usine d’eau potable de la zone. Les Singapouriens avaient prévu de la confier à Sembawang ; les autorités chinoises voulaient en conserver la maîtrise : en conception (SMEDI), en construction (leurs firmes) et en exploitation (la compagnie des eaux de Suzhou). Ils imposeront leur vue assez directement au grand dam des singapouriens. À la fin de 1998, huit kilomètres carrés étaient aménagés ; les firmes implantées comptaient 6000 emplois et 1000 résidents logeaient dans la zone. On est loin des objectifs annoncés et des résultats des deux parcs des îles Riau. En juin 1999, annonce était faite que les firmes de Singapour ramèneraient leur participation dans la structure de pilotage à 35 % [22].
Singapore Technologies, SembCorp, CapitaLand
39Singapore Technologies Pte Ltd, STPL, holding de tête, filiale à 100 % de Temasek Holdings
40Singapore Technologies Engineering,
41Chiffre d’affaires, 2259 MS$ (2000)
42Activité de défense
43SembCorp Industries (filiale à 51 %)
44Chiffre d’affaires, 2906 MS$ (2000) 3901 MS$ (1998)
45Chantier naval, Engineering & construction
46Diversification : énergie, logistique, déchets
47CapitaLand
48Chiffre d’affaires, 2922 MS$ (2000),
49Décomposition de l’activité [23] : résidentiel 60 %, bureaux et commerces 14 %, Raffles Group 14 %, The Ascott Group 8 % Property Services 3 %
50Valeur des actifs, 19 GS$
51Grand propriétaire immobilier de Singapour
52Activité internationale, 29 %
53Singapore Technologies Pte Ltd, STPL, filiale à 100 % de Temasek Holdings, est une société holding qui contrôle plusieurs firmes importantes intervenant dans les questions urbaines : SembCorp Industries et CapitaLand. Son périmètre actuel est le fruit des réorganisations qui, après la crise asiatique de 1997, ont marqué la fin des diversifications tout azimut du milieu des années 1990.
54Cette holding a aussi pour autre grande filiale Singapore Technologies Engineering (chiffre d’affaires, 2259 MS$ en 2000) qui intervient dans l’ingénierie de défense. Pour équilibrer sa forte dépendance à l’égard des budgets militaires de la ville-état, la firme se développe dans des applications civiles (41 % de l’activité en 2000) et cherche à s’implanter à l’étranger (18 % de son activité avait été réalisé aux États-Unis en 2000). On retrouve, avec ce genre de firme et la maîtrise d’outils de gestion des flux, le mélange des activités militaires et civiles déjà observé au sein d’autres groupes : Matra (F), Raytheon et Lockheed (US), Kawasaki Heavy Industry et Ishikawajima Harima Industry (J).
55SembCorp Industries résulte d’une fusion intervenue en 1998 entre un chantier naval diversifié, Sembawang Corp, [héritier de Sembawang Shipyard, lui même continuant l’ancien Royal Naval Dockyard [24]] et un ingénieriste de la construction, Singapore Techno-logies Industrial Corp. Le nouvel ensemble repose sur ces deux piliers ; l’activité de chantier naval est portée par SembCorp Marine implantée aussi à l’étranger (Brésil, Chine [25], Indonésie) ; des filiales périphériques ont été cédées [26]. Inversement, pour compenser la baisse régulière de l’activité dans les chantiers navals le groupe se diversifie dans les infrastructures :
56- En 2001, en association avec Tractebel (30 %), le groupe développe une unité de co-génération de 815 MW à Jurong ; « l’électricité sera commercialisée sur le pool électrique de Singapour, la vapeur sera vendue aux industriels de l’île de Jurong [27] ». Une autre filiale, Sembgas, est en charge du transport et de la distribution du gaz naturel provenant d’Indonésie, gaz qui alimente aussi la centrale de 815 MW. Deux ans plus tard, la participation de la filiale de Suez est reprise pour 184 millions de S$.
57- SembCorp développe une activité dans les déchets par Semac, première entreprise du secteur à Singapour et par 40 % de Pacific Waste Management en Australie. Cette dernière société a été acquise en association avec SITA (Suez) en 2000 [28].
58Le groupe a aussi une activité de logistique par SembCorp Logistics où Kuehne & Nagel se trouvait associée à hauteur de 5 %. Ce partenariat s’achève à la fin 2004 ; la participation a été reprise par J.P. Morgan. En 2004, SembCorp Logistics développe une unité dans un port de Corée du sud [29].
59La situation des deux composantes principales de SembCorp. au milieu des années 1990, avant la crise, peut se résumer comme suit.
60Jusque 1993, Sembawang Corp. est un groupe spécialisé dans une activité intégrée de chantier naval, d’ingénierie pétrolière et de travaux offshore. C’est un des deux grands groupes du secteur à Singapour, avec Keppel, et il se développe dans la région. Il est associé à Sime Darby Bhd., (conglomérat important de Malaisie) dans un chantier naval à Johore. Porté par l’optimisme de la période, le groupe s’engage alors dans une vaste politique de diversification. Il n’est pas sans intérêt pour la suite de cette histoire d’observer que cette politique fut conduite par un homme venant de Singapore Technologies. Évoquons quelques faits marquants de cette politique.
61- En 1993, Sembawang Corp. forme une joint-venture avec Bechtel Entreprises [30] pour se positionner sur les grands projets d’infrastructure dans la région : centrales électriques, usines de traitement d’eau ou de déchets, aéroports, autoroutes, ports. Cette alliance ne débouchera pas mais elle témoigne d’une lecture des marchés et de la manière dont les grands acteurs du secteur se préparent.
62- L’année 1995 est marquée par de très nombreuses annonces [31]. Sembawang Projects Engineering crée une joint-venture avec l’entreprise de Taiwan, Formosa Plastics pour les projets de conception/construction en Chine et dans la zone.
63- Le groupe s’associe en Indonésie avec le groupe Salim pour un vaste projet de développement touristique (288 hectares et un investissement estimé à 100 M$) appelé « Nirvana Garden Resort Complex ».
64- Sembawang Engineering associée à l’ingénieriste américain Montgomery Watson signe un contrat de 44,5 M$ pour réaliser une usine d’assainissement en Thaïlande et un réseau de 21 km.
65- Cette même filiale obtient, cette fois en association avec l’ingénieriste Allemand Lurgi — alors filiale de Metallgesellschaft —, un contrat de 66 M$ pour mettre au point un équipement de traitement des odeurs commandé par le gouvernement de Singapour.
66- Sembawang Projects Engineering obtient un contrat de 11 M$ pour des équipements sur deux centrales électriques en Malaisie. Siemens et YTL y sont associés pour une concep-tion/construction (turnkey), YTL est opérateur. Le groupe de Singapour se développe ainsi dans le secteur électrique ; jusqu’alors, il n’avait comme expérience qu’une intervention en 1990 pour deux centrales au gaz à Singapour.
67- Sembawang Projects Engineering s’associe avec une entreprise indienne pour concevoir, construire et gérer un terminal de gaz liquéfié dans l’Andhra Pradesh.
68- Sembawang Maritime s’engage dans un partenariat pour réaliser un port à Shenyang, dans le Liaoning,
69- Sembawang Industrial renforce ses liens dans une entreprise de matériaux de construction.
70- Sembawang Media se développe dans les réseaux informatiques.
71- Malgré cette multiplication des contrats, à la fin de l’année 1995, la direction du groupe affiche des objectifs encore plus ambitieux ; il s’agit de faire passer le chiffre d’affaires de 1 à 5 GS$ pour les cinq années à venir [32].
72À la même époque, Singapore Technologies Industrial Corp., STIC, est une société de développement, partiellement privatisée en 1993, où le gouvernement conserve une participation de 71 %. STIC fait partie de Singapore Technologies Group, créé en 1967 pour regrouper les intérêts de la ville-état dans le secteur de la défense. Le groupe se compose de plusieurs sociétés cotées : Singapore Technologies Ltd., Singapore Technologies Shipbuilding & Engineering Ltd., Singapore Techno-logies Industrial Corp. (STIC).
73STIC a développé des parcs industriels à Singapour, en Indonésie, en particulier celui de Batam localisé à 20 km de la ville-État. Elle intervient à Wuxi dans la région urbaine de Shanghaï, en association avec son partenaire indonésien, le groupe Salim. Elle envisage de poursuivre dans d’autres pays de la zone : Inde, Birmanie, Vietnam. En Birmanie, le groupe signe un contrat (6/95) pour réaliser un aéroport à 500 km au Nord de Rangoon (c’est un investissement de 360 M$). Keppel, autre groupe de Singapour, envisage d’intervenir également sur ce site en y construisant un hôtel et divers immeubles. À Singapour, les projets futurs portent sur les autoroutes de l’information et un métro léger. Le développement pourrait aussi se faire dans l’industrie du tourisme (île de Bintan).
74CapitaLand, a government linked corporation, second pilier urbain de Singapore Technologies Pte, fait partie des dix plus grands promoteurs de la région Asie-Pacifique. Son chiffre d’affaires en 2000 était de 1,7 G$ et ses actifs se montaient à 11 G$ [33]. La solidité de cette firme, selon les analystes, tient à une présence en plusieurs sous marchés (voir encadré pour la ventilation du chiffre d’affaires) : promotion de bureaux et d’espace commerciaux, résidences et hôtellerie (avec la chaîne « Raffles » le groupe Ascott et le Swissôtel). Cette santé financière tient aussi à une bonne couverture géographique ; un quart des revenus provient de l’étranger avec des implantations au Japon, en Chine [34], en Birmanie, en Australie (Australand Holdings), complétées aux États-Unis et en Europe par les hôtels. En outre, sur chaque segment, CapitaLand peut intervenir comme promoteur, opérateur ou comme société de service.
75Cette société résulte de la fusion, en 2000, de deux autres sociétés pub-liques : DBS Land (40 %) et Pidemco (60 %) [35]. À cette date les deux sociétés étaient présentes dans 31 villes et 15 pays et leurs actifs s’élevaient à 7 GS$ (4 G$).
76- DBS Land est la filiale immobilière de l’une des quatre grandes banques de Singapour, désignées dans les années 1990 comme « The Big Four [36] », banque elle même créée par le gouvernement en 1968 ; DBS Land n’a été constituée en société qu’en 1978. Dans la fusion, elle apportait le Plaza Singapura (centre commercial), les hôtels Raffles et des compétences dans la promotion et les services (entretien, nettoyage, approvisionnement, gestion énergétique).
77- Pidemco Land, filiale de Singapore Technologies, a été créée en société en 1989 ; ses actifs comprenaient des propriétés résidentielles à Singapour, des villas à Suzhou, un hôtel en Birmanie et des opération dans l’urbanisme de bureau.
Keppel Corp.
78Keppel Corp., filiale à 32 % de Temasek
79Chiffre d’affaires, 6326 MS$ (2000)
80Holding de tête d’un chantier naval diversifié
81Keppel FELS Energy & Infrastructure
82Chiffre d’affaires, 1274 MS$ (1999)
83Chantier naval et leader mondial des plates-formes offshore
84Diversifié dans l’énergie
85Keppel Land
86Chiffre d’affaires, 501 MS$ (2000), 996 MS$ (1999), 318 MS$ (1998),
87filiale de Temasek 17 % et de Keppel Corp (53,6 %)
88Promoteur immobilier important de Singapour.
89Keppel Corp. est à l’origine un chantier naval fondé en 1968 sur décision du gouvernement et qui s’est rapidement diversifié dans l’énergie, la promotion immobilière, la téléphonie cellulaire.
90Les premiers actifs (un chantier et les équipements correspondants) ont été apportés par le port de Singapour (PSA). La dette de Keppel fut inscrite en un compte débiteur du ministère des Finances sans fixation du terme de remboursement. Comme le fait observer un analyste, les équipements de départ furent octroyés par le gouvernement en échange d’une promesse de remboursement à terme non définie [37]. Autre signe de ce soutien politique, le premier président de la nouvelle compagnie fut le ministre des finances, par ailleurs président de la banque DBS et c’est aussi cette banque qui garantit la première ouverture du capital de Keppel en 1980, faisant passer la part de l’État à 75 %.
91Keppel FELS Energy & Infra-structure commande l’activité dans les chantiers navals et l’énergie. En 1997, son activité était de 1274 MS$ (1999) ; elle augmentera significativement en 2000 (3502 MS$) avec l’intégration de Singapore Petroleum [38]. L’ancien chantier naval, Far East Levingston Shipbuilding (FELS) est aujourd’hui un leader mondial dans les plates-formes offshore et dans la construction et la réparation de navires de commerce spécialisés. Il s’est aussi développé dans différents pays de la région : Azerbaïdjan, Brésil, Émirats Arabes Unis [39]. Sa filiale Keppel Philippines Holdings regroupe diverses activités dont les chantiers navals de Sebu Subic et de Sebu. Cette dernière base militaire avait été rendue par la marine américaine au gouvernement philippin qui, en 1994, a loué les terrains et les quais.
92Outre une activité de négoce de produits pétroliers à Singapore, la firme intervient comme producteur d’électricité indépendant en exploitant une unité de co-génération de 470 MW sur l’île de Jurong ; elle se prépare à la libéralisation du secteur qui verra s’ouvrir le monopole de Singapore Power.
93Les activités immobilières sont portées par Keppel Land qui succède à Straits Steamship Land. En 1997, avec une activité de 243 MS$, cette société se situait au même niveau que Hong Kong Land (filiale de Jardine Matheson, conglomérat anglais de Hong Kong) et que DBS Land, soit au 4e rang de la place de Singapour mais loin derrière la filiale de Hong Leong (800 MS$) [40]. En 2000, les actifs de Keppel Land étaient estimés à 4,2 GS$, pour une large part à Singapour. À l’étranger on mentionnera quelques programmes aux Philippines, en Birmanie : hôtels en complément du projet d’aéroport au Nord de Rangoon placé sous la responsabilité d’un autre développeur de Singapour, STIC. Le groupe participe aussi au développement de la ville nouvelle de Suzhou — Chine. L’immobilier résidentiel génère environ 55 % de l’activité. Selon les analystes, un des points positifs de cette firme tient à sa banque de terrains qui lui assure de pouvoir monter des opérations dans le futur malgré une situation foncière très tendue à Singapour ; mais en contre partie elle est très dépendante de l’activité générale de Singapour et de quelques opérations ce qui se traduit par les fortes variations de son chiffre d’affaires : 501 MS$ (2000), 996 MS$ (1999), 318 MS$ (1998).
94Le groupe s’est aussi diversifié, au milieu des années 1990, dans les télécommunications. Il est présent dans l’ingénierie de réseaux et dans le téléphone cellulaire par une participation de 14 % dans MobileOne, au côté de Singapore Press (14 %) et de Cable & Wireless associé à PCCW société de Richard Li (second fils de Li Ka Shing). L’opérateur compte 1 million de clients.
PSA,
95Port of Singapore Authority
96?PSA, opérateur du 1er port porte-conteneurs au monde
97Filiale à 100 % de Temasek Holdings
98Chiffre d’affaires, 2458 MS$ (2000)
99Internationalisé dans huit pays
100Le port de Singapour est le premier terminal de conteneurs au monde en compétition avec Hong-Kong, loin devant les numéros trois et quatre : Kaoshiung et Rotterdam (encadré 3). Ce grand système technique est la propriété d’une filiale à 100 % de Temasek holdings : PSA Ltd qui en est également l’opérateur. Ce port occupe une place clef dans l’histoire de la ville, dans l’organisation de son espace et dans l’économie. Plus de 30 000 personnes sont employées dans le secteur portuaire. Pourtant, lors de la dernière crise du secteur portuaire en 1985, le cabinet de conseils McKinsey avait tout simplement recommandé de se désengager de l’activité de réparation navale et de fermer Keppel Shipyard [41]. Depuis la crise asiatique de l’été 1997, grâce à une baisse du dollar de Singapour de 30 %, l’activité a fortement progressé. Les chantiers navals ont créé 4000 emplois et leur chiffre d’affaires local a été de 2,1 GS$ en 2001, contre 1,5 GS$ en 2000. Le port a géré 17 millions de « boites » [42]. Il assure la liaison avec 700 autres ports dans le monde grâce à plus de 300 lignes.
101Malgré cette indiscutable robustesse, le port se trouve soumis à plusieurs concurrences.
102Concurrence globale avec Hong-Kong et son principal opérateur/propriétaire (Hutchison [43]) pour capter les flux Asie/Europe/Amérique. Hutchison est très bien connecté sur la Chine (delta de la rivière des Perles, Shanghaï) et a des implantations en Indonésie, à Panama, en Angleterre et il se préparait à entrer en Malaisie. Depuis le milieu des années 1990, PSA a commencé à s’implanter à l’étranger. En 2002, il gérait treize ports dans huit pays étrangers [44] : Chine, Inde, Yémen, Corée du Sud, Australie, Italie, Portugal, Belgique [45] ; cette activité internationale représentait 30 % du volume traité à Singapour.
103PSA doit aussi répondre à la concurrence proche des ports de Malaisie qui captent une partie du trafic grâce à des tarifs environ 30 % moins chers. La décision prise, en août 2000, par l’armement Maersk de déplacer son centre régional dans le port malais de Tanjung Peletas, soit une activité de 2 millions de TEU, a été ressentie comme un coup de tonnerre [46]. L’armateur danois, filiale de AP Moller, est en effet le premier armateur mondial de lignes de conteneurs et ce fut un signal fort menaçant la suprématie de Singapour d’autant qu’au même moment l’autre port malais, Westport Terminal, annonçait avoir des discussions avec Hutchison Whampoa. En avril 2002, c’est un second armement, Evergreen, qui choisit de s’implanter à Tanjung Peletas [47].
104Pour faire face à cette situation nouvelle, PSA va engager plusieurs actions :
- le port se présente comme une société intégrée de services portuaires ; il poursuit une politique d’investissements pour maintenir la qualité du service en engageant environ 1 million de dollar de Singapour en recherche et développement [48] (équipements, outils informatiques de gestion des mouvements à terre comme en mer) ;
- en juillet 2000, sont émis deux emprunts obligataires, puis l’entreprise publique étudie une introduction en bourse. Elle sera ajournée quinze mois plus tard car le marché n’est pas porteur [49] ;
- par la voix du Premier ministre M. Goh Chok Tong, le port annonce en 2002 une baisse des tarifs. Cette intervention hautement symbolique illustre aussi les liens étroits entre les entreprises de Singapour et le gouvernement « to meet tougher competition the government and our companies are adopting new strategies [50] ». Outre une baisse des tarifs, une politique de service, le port propose à des armateurs pour les fidéliser une participation au capital de PSA ;
- inversement, des coopérations sont développées avec les firmes de Malaisie y compris dans le secteur portuaire. L’armateur de Singapour, Neptune Orient Lines, s’implante à son tour à Tanjung Peletas.
Encadré 3. Classement des ports porte-conteneurs en 1998 (unité : million de TEU, Twenty Feet Equivalent Unit)
1 Singapour | 15,12 |
2 Hong Kong | 14,58 |
3 Kaoshiung (Taiwan) | 6,27 |
4 Rotterdam | 6,03 |
5 Busan (Corée) | 4,54 |
6 Long Beach | 4,10 |
7 Hamburg | 3,39 |
8 Los Angeles | 3,38 |
9 Anvers | 3,27 |
10 Shanghaï | 3,07(a) |
11 Felixstowe (UK) | 2,90 |
13 Bangkok | 2,50 |
14 New York | 2,50 |
16 Gioia Tauro (It) | 2,10 |
18 Tanjung Priok (Ind) | |
20 Brême | |
21 Port Klang (Mal) | 1,80 |
23 Algesiras | 1,70 |
24 Colombo |
Conclusion
105L’étude des firmes de différents pays n’a pas fini de nous surprendre par rapport à notre vision spontanée de l’entreprise urbaine. La ville-état de Singapour apparaît comme exemplaire d’un capitalisme public qui a conduit à l’émergence de plusieurs groupes appliquant des principes de marché tout en étant intégrés par leur rattachement unique à Temasek Holdings, parfois complété par le fonds d’investissement du gouvernement de Singapour, GIC. En se plongeant dans ce dossier, on découvre avec étonnement une illustration de l’interventionnisme public dans l’économie prôné par certains économistes de gauche en France, vers 1977/82, mais sans l’habillage idéologique. Les singapouriens font de l’économie sociale et dirigée pragmatique.
106Les filiales de Temasek que nous avons présentées couvrent plusieurs maillons du système de production du cadre bâti : port, énergie, promotion immobilière, ingénierie et gestion de services en réseaux (déchets, eaux usées), télécommunications. À la différence de leurs homologues japonais [53] elles sont moins présentes dans la partie industrielle de ces marchés : fabriquer les équipements ou les matériaux. Pour le moment, elles se sont développées d’abord à Singapour, puis dans la région à partir des années 1990 et leur présence ne nous est pas familière. L’ouverture des marchés devrait modifier ces équilibres.
107Le paysage devrait changer significativement car le mode d’intégration unique autour de Temasek touche à sa fin. Premièrement, la libéralisation de plusieurs secteurs va faire entrer de nouveaux partenaires porteurs, sans doute, de nouvelles coopérations industrielles. Deuxièmement, l’ambition affichée par Singapour de devenir le centre financier de la région est incompatible avec cette économie dirigée que symbolise Temasek Holdings. En 2004, pour la première fois, cette société a produit des documents financiers sur ses filiales et leurs performances. Le groupe aux contours mal connus, en raison des intérêts croisés, devient plus transparent. Immédiatement, les analystes financiers internationaux comparent les ratios. Le jugement tombe, brutal. Sur les cinq dernières années, avec un retour sur investissement de 3 %, Temasek fait moins bien que Hong Kong [54]. La compétition est engagée. Pour s’imposer, Singapour va devoir réformer son modèle.
108Un autre trait ressort : la jeunesse de ces entreprises. Plusieurs d’entre elles n’ont été créées qu’à la fin des années 1960. Leurs performances doivent être évaluées sur cette échelle du temps. Mais où seront-elles dans trente ans ?
109Enfin, on peut se demander que reste-t-il comme place aux firmes privées et urbaines à Singapour ? La surpuissance de Temasek et de ses affiliés ne leur laisse pas grand espace. Il nous faut faire mention du conglomérat Hong Leong. Fondé par les frères Kwek après la seconde guerre mondiale, ce conglomérat bicéphale a un pied dans la ville-état et un autre en Malaisie. À Singapour il commande City Development, le premier promoteur de la place (avant la création de CapitaLand). Comme la plupart de ces conglomérats familiaux asiatiques, il est largement diversifié, il combine avec opportunisme des activités qui n’ont aucun liens entre elles (immobilier résidentiel et de loisir, distribution de motos et moteurs, banque et assurance, production de semi-conducteurs, e.business et demain BOT de production électrique si le marché est porteur). Il rayonne dans toute la zone. Il s’agit indiscutablement d’un autre type de firme et c’est une autre histoire…
Notes
-
[1]
La surface de Berlin ouest avant la réunification était de 481 km2 ; celle du Luxembourg est de 2586 km2. Beaujeu Garnier et ali. « Images économiques du monde » de 1966, Paris, Sedes, 1966.
-
[2]
Quelques dates majeures. 1959, début de l’auto-administration de la colonie (la Malaisie au sens large) ; le PAP est au pouvoir. 1963, indépendance de la Fédération de Malaisie composée de 11 états. 1965, Singapour quitte la Fédération.
-
[3]
Financial Times, April 12, 2002, « Survey Singapore », « banking on consolidation ».
-
[4]
FT, september 16, 2003.
-
[5]
Harvard, tant la Business School que la Kennedy Law School, a des liens étroits et anciens avec la ville-état. Ses professeurs y font des enseignements réguliers. Lee Hsien Loong, fils du fondateur, nommé Premier ministre à la fin de 2003 est lui même diplômé de Harvard. Voir « survey » op. cité.
-
[6]
FT, July 14, 2004.
-
[7]
FT, July 14, 2004 ; Le Monde 12 Août 2004. Haila A., « Les institutions de régulation du domaine foncier à Singapour », Revue Française d’Administration Publique, n°107, 2003, pp. 421-432.
-
[8]
Voir notre article « Gig@city, (l’essor des réseaux techniques dans la vie quotidienne) », Flux n°47, janvier-mars 2002, pp.7-79.
-
[9]
Haila A., 2003, op. cité.
-
[10]
Haila A., « Real estate in global cities : Singapore and Hong Kong as property states », Urban studies, nov 2000, pp. 2241-2256.
-
[11]
De Koninck R., « Un Atlas de la révolution du territoire », GIP Reclus, Montpellier, 1999.
-
[12]
Haila A. op. cité 2003, p. 423.
-
[13]
Toutes les données financières (chiffre d’affaires, valeur des actifs) ont pour source une étude de la société de rating Standard & Poors. « Singapore, Government Linked Enterprises », Standard & Poors, 2001.
-
[14]
Haila A., « State-present capitalism : property and development companies in Singapore », Entreprises et Histoire, n°30, septembre 2002, pp. 63-72.
-
[15]
Field B.G., « The morphology of planning in an urban laboratory », Property Management, vol. 17, n°2 1999, pp. 139 suiv.
-
[16]
Field, op. cité.
-
[17]
Haila A., 2003, op. cité, p. 426.
-
[18]
Perry M. and Yeoh C. « Singapore’s overseas industrial parks, Regional Studies », Cambridge, April 2000. Selon ces auteurs, à la fin de 1998, le parc comptait 80 entreprises et 60 000 salariés et les 500 hectares réservés à l’origine avaient trouvé acquéreur.
-
[19]
Salim était partenaire de Lyonnaise des eaux (aujourd’hui Suez) pour le contrat d’eau de Djakarta en 1997. La crise du régime Suharto après l’été 1997 et la mise en cause du groupe l’ont conduit à céder de très nombreux actifs.
-
[20]
Voir Perry et Yeoh op. cité. Aux arguments techniques qu’ils avancent (accès aux technologies) on peut ajouter plus prosaïquement que le fait que négocier directement donne du pouvoir et des avantages aux marges (fringe benefits).
-
[21]
J’ai enquêté sur ces deux opérations en 1996, dans le cadre d’une étude pour le ministère de l’Industrie : « Le marché de l’environnement dans la région de Shanghaï » (en collaboration avec E. Baye), Paris, 1996.
-
[22]
Perry et Yeoh, op. cités.
-
[23]
Source, Hoover’s Online, pour l’activité 2001, 3130 MS$.
-
[24]
Haila A., 2002, op. cité p. 66.
-
[25]
En juillet 2004, SembCorp Marine acquiert 30 % de Cosco, le premier chantier naval chinois. Journal of Commerce ONLINE, Jul 21, 2004.
-
[26]
Par exemple, en 2002 la firme a cédé sa filiale Singapore Food Industries fournisseurs de repas pour l’armée, les écoles et des hôpitaux. FT, Nov 14, 2002.
-
[27]
Suez, rapport annuel 2001, p. 37. Pour la suite, Asian Wall Street Journal, Nov 24, 2003.
-
[28]
Suez, rapport annuel 2000 p. 37 (Sita détient 60 % de SEMBSITA en Australie), plus loin il est fait mention de l’acquisition de Pacific Waste Management.
-
[29]
Journal of Commerce, New York Sept 14, 2004.
-
[30]
Portrait d’entreprise dans Flux n° 38.
-
[31]
Source Asian Wall Street Journal
-
[32]
Asian A.,Wall Street Journal, December 18, 1995.
-
[33]
Haila A.,2002, op. cité p. 67 et Standard & Poor 2001, op. cité.
-
[34]
CapitaLand a des résidences pour expatriés à Shanghaï et Suzhou et des bureaux dans le centre de Shanghaï.
-
[35]
Haila A., 2002, op. cité, p. 67.
-
[36]
Asian Wall Street Journal, oct 5, 1992.
-
[37]
Sikorski D., Menkhoff T., « Internationalisation of Asian business », Singapore Management Review, 2000, vol. 1, pp. 1-17.
-
[38]
Standard & Poor, op. cité, p. 27.
-
[39]
FT Survey 2002, op. cité.
-
[40]
Haila 2002, op. cité, p. 67.
-
[41]
Financial Times, April 12, 2002, « survey on Singapore ».
-
[42]
FT February 19, 2001.
-
[43]
Voir le « portrait d’entreprise » Flux n° 36-37.
-
[44]
FT, March 31, 1998 ; May 9, et April 12, 2002.
-
[45]
En avril 2002, PSA acquiert 80 % d’une entreprise Belge qui a des activités à Anvers et Zeebruge, FT May 9, 2002.
-
[46]
FT August 25, 2000.
-
[47]
FT April 18, 2002.
-
[48]
FT February 19, 2001.
-
[49]
FT February 19, 2001 et May 9, 2002.
-
[50]
FT July 4-5, 2002.
-
[51]
Financial Times, December 30, 2003.
-
[52]
Financial Times, May 5, 2004
-
[53]
Flux n° 50 et 55.
-
[54]
Financial Times et Wall Street Journal October 13, 2004.