1L’activité des réseaux ferroviaires s’étend sur de vastes espaces et sur de grandes distances : les gares, les triages, les ports, les zones industrielles, les lignes parcourues par les trains. Des ordres et des informations doivent donc être transmis, soit entre des agents travaillant en un point fixe (aiguilleurs, chefs de triage, régulateurs) et des agents mobiles (mécaniciens, agents de manœuvre), soit entre les agents mobiles eux-mêmes. Des moyens de télécommunications se révèlent donc vite indispensables pour assurer l’exploitation du système technique ferroviaire.
2Toutefois, l’utilisation des ondes hertziennes ne s’est réellement implantée dans le monde ferroviaire qu’après la deuxième guerre mondiale. Quelques essais de captage des émissions radiophoniques sur les trains avaient eu lieu dans l’entre-deux-guerres, mais l’état des techniques (puissance d’émission, parasites, taille et poids des équipements) n’avait pas permis une exploitation fiable. L’arrivée de l’armée américaine en 1944 allait populariser les fameux « talkies-walkies » ou radios portatives.
3La SNCF ne tarda pas à adopter ces systèmes, d’abord dans les triages pour communiquer avec les différents agents disséminés sur le terrain, ainsi qu’avec les locomotives de manœuvres, puis dans les gares ou les autres établissements où ils sont alors devenus un outil de travail usuel. Dans un premier temps, la radio se limita ainsi à des besoins localisés (triages, chantiers marchandises…).
4Étonnamment, les premières liaisons entre trains et points fixes au sol ont été mises en place à destination des voyageurs et non de l’exploitation : une liaison radio a été réalisée en 1959 pour permettre aux voyageurs circulant entre Paris et Lille, à bord des trains rapides de première classe d’entrer en communication avec le réseau téléphonique des PTT. Onze stations fixes espacées de vingt à vingt-cinq kilomètres étaient réparties le long de la ligne en des points bien choisis pour faciliter la propagation des ondes. Elles étaient reliées au réseau PTT par un câble de télécommunication SNCF longeant la voie ferrée. Le wagon-bar de chaque train était doté d’une antenne émettrice et d’une antenne réceptrice et à l’intérieur d’une cabine téléphonique. Cette liaison n’obtint pas auprès du public le succès escompté. La courte durée du parcours (deux heures à l’époque) fut alors évoquée comme facteur explicatif du manque d’intérêt des voyageurs pour ce type de service, finalement arrêté en 1974. Toutefois, elle eut l’intérêt technique d’ouvrir la voie à tout un domaine d’application de la radio.
5Mais, ce n’est qu’en 1976 qu’apparaissent des liaisons radio de grande étendue et à grande échelle entre les postes de commandements et les mécaniciens des trains en marche (sur les banlieues de Paris Nord et Paris Saint-Lazare). Ce nouveau moyen de communication, dénommé radio sol trains est un système de radiocommunication analogique entre le conducteur de train et le poste de commandement. En fait, le besoin pour les mécaniciens de communiquer avec le sol (gares ou régulateurs) a toujours existé, notamment en cas d’incident. Jusqu’à l’arrivée de la radio sol trains, ce besoin était satisfait par des téléphones de pleine voie. L’existence d’un téléphone le long des lignes principales tous les deux ou trois kilomètres constituait déjà un moyen de communication relativement puissant. Toutefois, le principal inconvénient résidait dans le manque de réactivité en cas d’incident. Le conducteur de train devait systématiquement descendre de son train et se diriger vers le téléphone le plus proche, sa marche pouvant être ralentie par les conditions atmosphériques (notamment en cas de voies enneigées) et il ne pouvait être alerté par le régulateur de la nécessité de le contacter qu’après avoir été arrêté par un signal fermé (feu rouge). De surcroît, l’accroissement du trafic (la nécessité corrélative de fluidifier le trafic et de minimiser les conséquences de tout incident), le souhait d’accroître la sécurité en permettant l’émission d’un signal d’alerte en cas de danger repéré par un conducteur, ou encore les besoins de liaisons entre locomotives de tête et de queue dans les zones à forte rampe amenèrent la SNCF à mettre progressivement à disposition des exploitants une liaison disponible à tout instant entre le mécanicien et le régulateur, ainsi qu’entre mécaniciens dans un rayon de quelques kilomètres.
6Après des expérimentations sur les lignes Dole-Vallorbe et Chambéry-Modane durant les années soixante et soixante-dix, la SNCF décida donc d’équiper deux lignes de la banlieue de Paris : Paris Nord-Roissy (actuelle ligne B du RER, alors en cours de construction) et Paris Saint-Lazare-Versailles Rive Droite (alors en cours de modernisation). Le nouveau système nécessita l’implantation de stations radio fixes, munies d’antennes le long des voies ferrées et l’installation d’équipements radio à bord des matériels roulants. Ces premières réalisations furent mises en service en 1976. Le système radio sol trains contribua dès lors à améliorer de façon sensible l’efficacité de l’exploitation ferroviaire.
7Dès 1976, la SNCF équipa progressivement les grands axes ferroviaires à un rythme soutenu. Priorité fut donnée aux lignes électrifiées et à fort trafic, notamment en Ile-de-France. La ligne C du RER fut ainsi équipée dès 1979-1980. Par ailleurs, dès 1978-1979, la ligne classique Paris-Marseille bénéficia du système dans sa totalité ce qui porta le nombre de kilomètres de ligne équipés à mille seulement deux ans après le démarrage de ce nouveau mode de radiocommunication (sur Paris-Marseille, des difficultés techniques apparurent lors de la mise en place des installations : la SNCF et le réseau hertzien de télévision utilisant des fréquences relativement proches, vers 470 Mhz, certains téléviseurs étaient perturbés par le signal de la SNCF).
8Plusieurs centaines de kilomètres par an furent mis en service jusqu’au milieu des années 1990, avec des pointes à plus de mille kilomètres certaines années (cela se constate notamment après les graves catastrophes ferroviaires de la deuxième moitié des années quatre-vingt). Ainsi, en 1982, 2 000 kilomètres de lignes bénéficient de la radio sol trains. En 1985, le cap des 3 000 km est franchi. Un an plus tard, la SNCF exploite le système sur 4 200 km. Puis, en seulement quatre ans, le nombre de kilomètres équipés est doublé : plus de 8 000 km. En septembre 1990, l’ensemble du parc de locomotives électriques, TGV, éléments automoteurs électriques bénéficie de la radio sol trains. À cette époque, concernant le matériel diesel, seules cent dix locomotives et vingt autorails étaient pourvus du système.
9Un plan d’équipement de certaines lignes non électrifiées fut alors appliqué jusqu’en 1994-1995. À partir de 1995, on constate une certaine stagnation : seuls 1 200 km sont équipés en sept ans (de 13 230 à 14 400 km). Cela s’explique par le fait que l’équipement des lignes principales est alors quasiment achevé. Par ailleurs, des variantes de la radio sol trains ont été développées sur le réseau, incluant la transmission de données (expérimentée entre Brétigny et Dourdan en 1984) notamment pour des lignes secondaires. Ainsi, les progrès techniques aidant, la radio et l’informatique ont pu être réunies dans l’optique de diminuer au maximum le coût d’exploitation des petites lignes. En conséquence, en mai 1991, la SNCF mit en service le système « Eclair » (Exploitation Centralisée des Lignes Assistée par Informatique et Radio) sur la ligne à voie métrique de Saint-Gervais à Vallorcine via Chamonix, en Haute-Savoie. « Eclair » est un système économique et évolutif permettant l’exploitation des lignes à voie unique tout en diminuant les charges d’exploitation. Cette installation assure la sécurité sans que les agents des gares soient impliqués. En effet, les conducteurs reçoivent directement les instructions à partir d’un ordinateur central, qui assure ainsi la régulation et la sécurité. Des régulateurs supervisent, de toute façon, le système et peuvent converser avec les mécaniciens. Il est important de noter que le système radio sol trains appartient depuis 1997 à Réseau Ferré de France, propriétaire et gestionnaire du réseau ferroviaire français et non plus à la SNCF. En 2002, 14 400 kilomètres sur les 32 008 kilomètres de lignes en service sur le territoire français sont couverts par la radio sol trains. L’un des grands chantiers de Réseau Ferré de France dans les années à venir dans le secteur des télécommunications sera le remplacement de ce système devenu obsolète par un réseau de radiocommunications GSM-R, qui doit être effectué d’ici 2010. Vingt-cinq pays d’Europe réunis dans l’UIC (Union Internationale des Chemins de Fer) ont en effet développé un projet européen pour la mise en place d’un système de radiocommunications commun et compatible avec l’ensemble des réseaux ferroviaires de l’Union Européenne. Après comparaison des différentes technologies numériques, la technologie GSM a été retenue par les trente-deux compagnies ferroviaires impliquées dans ce projet. Ce nouveau système de radiocommunications est destiné à remplacer également les réseaux Maintenance Incidents Travaux (MIT).
10Aujourd’hui en fin de vie, la radio sol trains aura permis aux chemins de fer français de bénéficier, pendant une trentaine d’années, d’un outil décisif pour l’exploitation et la sécurité du réseau ferroviaire.
Bibliographie
Bibliographie
- Rapports d’activités SNCF, Réseau Ferré de France.
- Juet J., Delavergne R., « La liaison radio avec les trains », in Revue Générale des Chemins de Fer, juin 1978, pp. 348-359.
- Gallo C., « La radio sol trains à la SNCF », in Informations Techniques, SNCF, direction de l’Équipement, n° 23, décembre 1984, pp. 63-81.
- Delavergne R., « Développement des télécommunications à la SNCF », in Revue Générale des Chemins de Fer, juillet-août 1978, pp. 527-534.