Flux 2002/4 n° 50

Couverture de FLUX_050

Article de revue

Les industriels japonnais de l'environnement (I)

Pages 80 à 90

Notes

  • [1]
    Outre la posture de veille sur les firmes, je me suis rendu trois fois au Japon sur ces sujets (1986, 1999, 2002). À chaque fois j’ai reçu l’aide des responsables et des chargés de mission du Poste d’Expansion Économique à Tokyo (PEE) ; je les remercie vivement. Mes remerciements vont aussi à Éric Baye, bien plus au fait que moi de ce pays, avec qui je partage plusieurs travaux en Asie et qui m’a été d’un conseil précieux sur le Japon. Comme les précédents, ce texte a fait l’objet d’une relecture commentée par Olivier Coutard.
  • [2]
    J-F. Sabouret (dir.), 1988, L’État du Japon, Paris, Édition La Découverte.
  • [3]
    D. Lorrain, 2002, Capitalismes urbains, des modèles européens en compétition, l’Année de la Régulation, n° 6, 2002/3, pp. 197-241.
  • [4]
    C. Sautter, 1987, Les dents du géant, le Japon à la conquête du monde, Paris, Olivier Orban.
  • [5]
    Pour une analyse précise sur le point qui nous concerne, voir : Les marchés de TP au Japon, note PEE, Tokyo, n° 28, 2001.
  • [6]
    Tous les décrets d’application ne sont pas pris. Voir actes du colloque Japanese PFI/French PPP seminar, Tokyo, décembre 1999. J’ai rendu compte de cette loi et de ses possibles conséquences sur l’offre japonaise dans, PFI au pays du soleil levant, Annales des Mines, Réalités Industrielles, août 1999, pp. 47-50. Pour une analyse juridique de la loi anglaise, voir P. Costaler et B. du Marais, La Private Finance Initiative, Paris, Cahier de l’Institut de la Gestion Déléguée, mars 2001.
  • [7]
    Pour présenter ces entreprises nous mentionnons leur chiffre d’affaires en milliards de dollars, selon la notation américaine plus économe : $xxbn.
  • [8]
    Plaquette de l’entreprise 1981 et Rapport annuel 1985.
  • [9]
    E. Baye, 1998, Modes de gestion et technologies du cycle de l’eau au Japon, Économie et Humanisme, mars.
  • [10]
    Dès 1994, Kubota se développe dans le recyclage des bouteilles et des canettes en aluminium ; elle met au point un procédé de tri, Japan Industrial Journal, January 17, 1994.
  • [11]
    Nihon Keizai Shimbun, December 16, 1992, via Comline.
  • [12]
    Financial Times et Asian Wall Street Journal, October 26, 1994.
  • [13]
    Rapport d’activité 1999, p. 67.
  • [14]
    Vers 1997, Ebara participait à l’appel d’offre international organisé par le Sivom de Mulhouse, pour un incinérateur, où la construction de l’unité se trouvait dissociée de l’exploitation ; parmi les autres compétiteurs : Von Roll, Kvaerner. Source entretient du directeur du Sivom, formation de cadres CNFPT, janvier 1997.
  • [15]
    Le groupe annonce, en 2000, la réalisation d’une unité dans la ville de Kawasaki.
  • [16]
    Pour une interprétation sociologique de cette politique, voir P. Roqueplo, 1988, Pluies acides, menaces pour l’Europe, Paris, Économica.
  • [17]
    Plaquette, Kurita Central Laboratory, 1997.
  • [18]
    Voir The Nikkei Weekly, March 22, 1999 ; voir aussi sur le mode d’organisation des marchés, M. Ball, les marchés de la construction et les entreprises de bâtiment britanniques, in E. Campagnac (dir.), 1992, Les grands groupes de la construction : de nouveaux acteurs urbains ? Paris, L’Harmatan, pp. 109-122.
  • [19]
    Les cinq majors japonais : Kajima, Ohbayashi, Shimizu, Tasei et Kumagai ; les quatre premiers groupes avaient un chiffres d’affaires 1998/99 se situant entre 12,3 et 16,1 milliards de dollars. Kumagai suivait avec 9,4.
  • [20]
    L’entreprise a connu une baisse de son activité en 2000 en raison de son exposition aux risques en Russie.
  • [21]
    Japan Company Handbook, 1999 ; plaquette de l’entreprise 1998.
  • [22]
    Plaquette 1997 de l’entreprise et site web.
  • [23]
    En août 2000, Nippon Steel annonce un partenariat avec Posco, (Pohan Iron & Steel) le premier groupe coréen.
  • [24]
    Financial Times, December 12, 1999.
  • [25]
    Japan Company Handbook, 2002 et FT May 12, 2000.
  • [26]
    Base de données Comline, CBW Biotechnologies & Medical Technology, 1988.
  • [27]
    Japan Company Handbook, summer 2002.
  • [28]
    Nippon Steel News, october 1996 et Forbes August 10, 1998.
  • [29]
    Nomura Japanese Equities, 22-7-1998.
  • [30]
    FT, Feb 10, 1999.
  • [31]
    Toa Steel dont le passif est estimé autour de 1,68 MdsE. C’est la plus grosse faillite industrielle depuis la guerre, Les Échos, 5-9-1998 et FT, September 4, 1999.
  • [32]
    AWSJ, July 22, 1995.
  • [33]
    FT, March 17, 2000. Volvo a repris en 1999 Samsung Heavy Industries.
  • [34]
    Outre les cinq firmes mentionnées dans le tableau sous la rubrique matériel de TP, il convient d’ajouter le numéro deux mondial, Kotmatsu, après l’Américain Caterpillar.
  • [35]
    Rapport Peat Marwick, 1981, Étude du secteur de l’ingénierie, Paris, Ministère de l’industrie.
  • [36]
    Rapport annuel 1999, p. 6.
  • [37]
    AWSJ, August 11, 1998.
  • [38]
    Plaquette du groupe, 1986. Il compte aussi à son actif quelques aciéries ; par exemple il participe à un consortium en 1993 pour trois aciéries en Malaisie (AWSJ, November 8, 1993).
  • [39]
    Note du PEE de Tokyo sur ce secteur, 12-1998.
  • [40]
    Base informatique « comline », 1992.
  • [41]
    Dès 1988, en partenariat avec Tokyo Gas et deux autres utilities, il met au point une centrale de cogénération. Il a une joint venture avec ABB pour développer ces turbines de cogénération sur le marché asiatique (AWSJ, feb 1995).
  • [42]
    Japan Aviation Directory, 1998, Étude Peat Marwick, 1981, op. cité.
  • [43]
    Fiche groupe 1981.
  • [44]
    Lettre du PEE de Tokyo, mai 1999.
English version

1L’image des « paquebots urbains » désigne des ensembles construits de grande taille qui peuvent fonctionner comme des mondes autonomes offrant à leurs occupants/clients toutes les facilités du monde moderne. Cela recouvre plusieurs types de mega-objets : les grands centres commerciaux, les centres de loisirs intégrés (exemple, les complexes du groupe Disney), les zones d’échanges multi-modales (gares/aéroports), les grands immeubles combinant bureaux, logements, commerces et sans doute les parcs d’activité de troisième génération.

2Ces objets urbains représentent une forme urbaine nouvelle et posent des questions nouvelles :

  • les rapports qu’ils entretiennent à la nature sont différents de ceux entretenus par la ville du moyen âge, ou la ville classique,
  • ce sont des objets de grande taille, intégrés et donc complexes, d’où un problème de maîtrise de cette complexité en phase de conception comme en régime d’exploitation,
  • ces réalisations ont en commun d’être portées par des firmes privées soumises à des contraintes de retour sur investissement ; en quoi ces contraintes, qui viennent s’ajouter à celles des techniques, ont-elles des effets sur le résultat final ?
Dans tous les cas, cette métaphore du « paquebot » invite à décrire et à penser la Ville en intégrant sa composante matérielle et technique et, dans une présentation des grandes firmes urbaines, cela nous conduit à nous intéresser à la famille des industriels. Trop souvent oubliées, ces firmes n’en produisent pas moins, en amont, les éléments de base de l’objet technique ville. Ce sont des acteurs importants de la fabrique urbaine au même titre que les opérateurs de réseaux, les ingénieristes, ou les constructeurs ; simplement notre vision spontanée de la question n’a pas tendance à les inclure dans le champ d’investigation. Les grands noms du paysage mondial s’appellent ABB, Alstom, Bombardier, General Electric, Siemens et les grandes firmes japonaises : Hitachi, Mitsubishi Heavy Industry, Kawasaki Heavy Industry. Ces firmes fabriquent les centrales électriques, le matériel roulant des lignes de métro et des tramways. Dans le cas japonais, ces très grandes firmes et plusieurs autres de bonne taille interviennent aussi dans la réalisation d’autres équipements de réseaux : usines de traitement des eaux usées, incinérateurs, équipements de recyclage, systèmes de dépollution de l’air, pompes, élévateurs et escalators, matériel de travaux publics et canalisations.

Tokyo comme une gigacity

3L’impression est totale dès l’arrivée à l’aéroport de Narita. Un métro automatique transporte les passagers de l’avion à l’aérogare. Puis, pour aller en ville, à une heure de là, ce n’est rapidement qu’une série d’autoroutes surélevées, qui se chevauchent et se croisent, d’immeubles et de zones d’activités. Cette zone donne un avant goût du niveau technique de tout l’ensemble. Autre lieu, à Ueno : d’un côté le parc public, ses arbres, le musée et à ses pieds la station de métro/train où plusieurs lignes se croisent. Un centre commercial est implanté, plus loin des grands magasins. La Yamanote line, qui fait le tour de la ville et croise toutes les autres lignes, passe en aérien. Tout l’espace en dessous a été occupé : boutiques, étals de vendeurs du marché, extension du centre commercial. L’espace est plein, totalement construit. Les composantes physiques qui organisent la ville comme un système d’objets y sont immédiatement visibles, densité et diversité du bâti, importance des réseaux, multiplicité des objets qui articulent les flux et rendent possibles les circulations.

tableau im1
Ascenseurs métros Tapis roulants trains Escalators tramways Voitures, bus routes et autoroutes

4Parmi les grands pays industriels, le Japon est celui qui présente l’offre industrielle la plus complète dans la production du cadre bâti : infrastructures, logements, environnement [1]. À cette exceptionnalité, trois raisons :

5- Le pays est à très haute densité, très urbain ; il a été détruit en 1945 ; il est exposé en permanence aux tremblements de terre et il a connu une formidable croissance industrielle jusqu’au début des années 1990 [2]. Ces facteurs conjugués ont créé un marché.

6- Les firmes japonaises l’ont abordé principalement sous un angle industriel (industrie et construction). Ceci a à voir avec l’agencement des institutions publiques (les modèles de services urbains). Ici comme en Allemagne les collectivités locales ou les ministères sont agissants ; ils exploitent et ils conçoivent, de sorte que les firmes privées interviennent sur ce qui est « libre » : la production des équipements (de l’objet de base au système technique plus complexe) et la construction. Sur la longue durée, les formes de développement du capitalisme urbain sont congruentes aux institutions du pouvoir local [3].

7- Le développement considérable des firmes dans cette approche n’est pas compréhensible sans introduire les idées partagées par les élites ; elles constituent l’arrière plan intellectuel de cette structure industrielle.

8Spontanément les élites adhérent à une vision oligopolistique des marchés. Les grands zaibatsu démembrés après la guerre ont été reconstitués sous d’autres formes [4] : maisons de commerce (sogo soshas) et grands groupes industriels intégrés (keiretsu) comme Hitachi. Cette économie n’est donc pas atomistique, elle s’organise en grappes autour des sogo soshas et de leurs banques. Cette possibilité a été facilitée par l’isolement du pays ; le Japon a pu cultiver son exceptionnalité. Jusqu’à peu, il a pu fonctionner comme une place fermée à la concurrence qui vendait ses produits au reste du monde [5]. Le Japon aligne un offre impressionnante d’industriels de l’environnement (voir le tableau et les chiffres d’affaires).

9L’autre idée spontanément partagée est celle de la technique. Lorsque l’économie japonaise était prospère, que la balance commerciale générait des excédents considérables, les pouvoirs publics ont pu se lancer dans de grands programmes de recherche — Acqua renaissance, Biofocus — ou dans de grands projets d’équipements (comme celui sur les incinérateurs). Ils témoignent d’une utopie technicienne et d’une croyance selon laquelle une partie des problèmes urbains pourrait être résolue par la technique (voir E. Baye dans ce numéro). Il se trouve qu’on y retrouve toujours les entreprises dont il va être question.

10Autrement dit, ce texte vérifie trois considérations à portée générale.

11Il y a bien un lien de long terme entre les politiques publiques (institutions) et les firmes (marchés). On retrouve ici, selon une autre modalité une séquence déjà mise en évidence pour le secteur des déchets aux États-Unis (Flux 43 et 48/49). L’élévation des normes agit sur les marchés et parfois les crée. On le vérifie d’abord dans les politiques d’économie d’énergie après la crise du pétrole de 1973. Si l’opulence japonaise d’alors a permis d’amortir le choc, il demeure que ces politiques furent une incitation pour les sidérurgistes et les ingénieristes lourds. C’est encore plus vérifié dans le cas de la dépollution : incinération, traitement de l’air et des eaux usées. Les normes ont créé un marché.

L’offre japonaise dans les infrastructures

tableau im2
Domaine particulier Matériel TP Chaudières Incinérateurs (a) Cogénérateur Traitement EP/EU/B (b) Ingénierie dépollution Ingénieristes de l’environnement Kubota $8,4bn (c) tuyaux, matériaux X X XX B (d) Ebara $4,6bn pompes, « zero emission concept » X XX X Kurita $1,1bn construction d’équipements : eau, assainissement, déchets XX Ingénierie lourde Chyoda $1,4bn procédés de dépollution de l’air, centrales thermiques X JGC $3,1bn vers « construction manager » X X X Toyo 1,8bn procédés de dépollution X X X Sanki 2bn TSK 0,54bn gestion intégrée des fluides ; grands immeubles traitement des boues X B X X Sidérurgistes Nippon Steel $17,6bn Nippon Kokan Koji, NKK $14,9bn Kobe Steel $10,8bn département Engineering (17 % de l’activité) n°2 pour les usines de traitement de l’eau, canalisation, recyclage déchets cimenterie, recyclage des boues des carrières X X X XX B X X Heavy Industry Hitachi $62bn Kawasaki Heavy Industry $10,6bn Ishikawajima Harima Industry $8,7bn MHI (Mitsubishi Heavy Industry) géant industriel, Hitachi Zosen et Hitachi Plant Engineering & Construction cimenteries, ponts, robots, métros, trains moteurs pour l’aéronautique X/Kobe Steel (e) X/Caterpillar (e) X X X XX X/Westinghouse X X XX XX B X X X/Blue Circle X Mitsui Zosen X/Babcok X X X X Sumitomo Heavy X/Case X X X X (a) D’après les notes du PEE de Tokyo, avril, mai et juillet 1999. Le premier fabricant était alors Takuma, non présenté dans ce texte. (b) D’après l’étude du PEE de Tokyo, 1993 et E. Baye, « Mode de gestion du cycle de l’eau au Japon », Lyon, Économie et Humanisme, 20-3-1998. (c) Chiffre d’affaires en milliards de dollars, le plus souvent 2000-2001, voir corps du texte. (d) B = procédés de traitement des boues. (e) X/Kobe Steel pour un accord de coopération.

L’offre japonaise dans les infrastructures

12Ce faisant, on met en évidence les dynamiques d’innovation qui unissent les marchés industriels et ceux des collectivités locales, trop souvent étudiés dans des problématiques séparées. On voit fonctionner une séquence qui est au cœur de l’approche des firmes japonaises dans ces secteurs. Beaucoup d’entre elles ont acquis leurs premières compétences en livrant des équipements de dépollution et de suivi de process, pour d’autres groupes industriels, dans des secteurs qui ne sont pas urbains ; puis l’élévation des normes les ont incitées à mettre au point des procédés de dépollution, toujours pour l’industrie ; enfin des tensions sur ces marchés, la promesse de l’ouverture du gigantesque marché de la commande publique les conduisent à une troisième étape en direction des collectivités locales. La problématique industrielle rejoint alors celle de la gestion locale.

13Ce texte montre, enfin, tout l’intérêt qu’il y a à développer une approche internationale, large, descriptive et donc dénuée d’a priori réducteur sur les limites d’un domaine. Les exemples de Kubota, de Toyo, de Sanki montrent combien les parcours qui débouchent sur « l’urbain » peuvent être variés et certainement contre intuitifs par rapport à notre représentation qui repose sur deux piliers : les firmes de BTP et les exploitants de réseaux. Kubota s’est intéressé à la réutilisation de déchets concassés ; il en a fait des tuiles, des matériaux de construction et de là s’est intéressé à l’intérieur de la maison ; au Japon ce produit est aussi plus industriel qu’en Europe. Il a mis au point des équipements intégrés : salles de bains, etc. Toyo et Sanki, tous deux ingénieristes du groupe Mitsui, représentent deux approches possibles de la question urbaine. Le premier à partir des usines s’est intéressé aux équipements de traitement ; le second lui s’intéresse à l’origine aux fluides dans les immeubles et a développé à partir de là une compétence globale.

14Cette approche japonaise montre qu’à côté de l’approche service du modèle français qui a son efficacité, il existe une autre entrée à partir des produits et des procédés. Ces frontières sont peut-être en train de s’estomper de part et d’autre. Suez et Vivendi-Environnement développent à vive allure une approche industrielle de ces secteurs. En travaillant avec de grands groupes industriels qui leur confient la gestion de leurs fluides, on peut penser qu’ils vont renforcer la composante « process ». À l’inverse, au Japon la loi Private Finance Initiative (PFI) de 1999 [6] inspirée de la loi anglaise du même nom, elle même très proche de la formule française du METP et qui revient à relier un contrat classique de travaux à l’exploitation de l’équipement, va inciter les firmes japonaises à sortir de leur approche technique.

15Il est difficile d’anticiper sur les résultats futurs de ces frottements de modèles. Des associations vont se former, il y aura des nouveaux entrants. Le paysage va changer au Japon mais certainement en restant autour du centre de gravité que constitue l’ensemble lourd formé par cette industrie que nous présentons.

Les ingénieristes de l’environnement

16Kubota

17$8,2bn [7] 2001-2002

18Cette entreprise connue mondialement pour ses matériels agricoles a été fondée en 1890 à Osaka pour fabriquer des tuyaux en acier. Elle a étendu cette activité à partir de 1908, s’est diversifiée dans les moteurs en 1922 et dans le matériel agricole en 1947. Dans le prolongement de son activité agricole (tracteurs), elle a développé les engins de travaux publics (même séquence que Fiat, Flux n°44/45).

19Plus récemment l’entreprise s’est diversifiée dans le secteur de l’environnement où elle a de solides références ; son département Plant & Engineering a été formé en 1979 [8]. Il intervient dans les unités de traitement des eaux usées (numéro un japonais avec Ebara), le traitement des boues (numéro un) [9], les stations de lixiviats, les usines d’eau potable.

20L’intervention dans le secteur des déchets, en suivant les programmes nationaux, l’a conduite à mettre au point des incinérateurs et de là, de la co-génération et à des unités de recyclage [10]. Cette même activité l’a amenée aussi à concevoir des broyeurs et à partir de là à étudier des usages possibles de ces résidus concassés ; le groupe s’est ainsi intéressé aux matériaux. Il fabrique des tuiles, des revêtements de façades et en bout de course Kubota a développé une activité de construction de maisons individuelles industrialisées.

21Comme d’autres industriels présentés dans ce texte, Kubota s’est un instant tournée vers l’informatique, en rentrant en 1986, dans la fabrication de stations de travail (Kubota Graphics en Californie). Ce département devient rapidement déficitaire [11] ; elle s’en retire en 1994 [12]. Kubota mène aussi des recherches dans les biotechnologies.

22En définitive ce groupe, perçu comme fabricant de tracteurs, n’est pas moins actif à quatre moments de la fabrique urbaine. Il est présent sur le chantier avec ses engins. Il conçoit et livre des réseaux techniques, tant les équipements de traitement que nous avons mentionnés, que les canalisations. Ensuite on le trouve actif sur l’habitat en extérieur ; à partir de matériaux recyclés il fabrique des tuiles ; il fabrique aussi des fosses septiques individuelles pour l’assainissement autonome très développé au Japon. Enfin, Kubota est présent « dans » l’habitat ; il livre des salles de bains intégrées ; en association avec une entreprise américaine il fabrique des équipements pour l’air conditionné qui s’appliquent aux immeubles comme à l’habitat individuel. Est-ce une stratégie consciente, ou une politique de petits pas et de développement par contiguïté ? Avec Kubota nous avons une forme d’entreprise industrielle « totale » (du chantier à la salle de bain) que nous retrouverons avec une autre ampleur pour Hitachi.

23Ebara

24$4,8bn 2001-2002

25Ebara est connu en Europe comme le leader japonais dans le traitement de l’eau. En fait, c’est une entreprise, créée en 1920, qui est d’abord leader dans les pompes et les compresseurs, très internationalisée avec des unités de production en Italie et en Allemagne, en Malaisie, Corée, Chine, en Inde et aux États-Unis [13]. À partir de son activité de départ elle s’est diversifiée dans l’environnement.

26L’entreprise est aujourd’hui organisée en trois grandes divisions avec l’appui d’une quatrième dans le traitement de l’information. Deux nous concernent.

27Le département d’origine « machine » représente 33,9 % de l’activité et fabrique des équipements assurant la circulation des fluides : pompes, ventilateurs, turbines à gaz et électriques, système d’air conditionné. Elle a un partenariat avec l’entreprise américaine Elliot.

28L’autre grand département qui nous concerne est celui de l’ingénierie de l’environnement, 54,8 % de l’activité. On y fabrique les unités de traitement d’eau potable et des eaux usées (tant pour les collectivités locales que pour l’industrie) ; Ebara est le premier groupe dans ces équipements d’épuration (les autres intervenants sont Kubota, Kurita et Hitachi, voir tableau). Autre domaine d’excellence les incinérateurs, où le groupe a une ancienne compétence [14]. En partenariat avec ABB, il met au point un procédé d’incinération de cendres (expérience à Chengdu).

29L’entreprise s’est aussi développée dans des domaines complémentaires : traitement des lixiviats, procédés de traitement pour les déchets des centrales nucléaires, procédés de traitement des boues des stations d’épuration [15]. Elle est aussi active dans la dépollution de l’air (traitement des poussières de NOx et SOx), où les autres intervenants sont MHI, KHI et Chiyoda. On remarquera à nouveau, comme pour le secteur des déchets aux États-Unis (Flux n°43) le lien étroit entre le développement d’un secteur, la diversification des entreprises et les réglementations publiques. En 1985, l’Europe adopte une législation pour réduire le niveau du SOx ; des textes analogues sont promulgués aux États-Unis et au Canada en 1990-1991 [16] ; Ebara sera très active à l’exportation.

30Plus récemment Ebara s’intéresse à l’énergie éolienne avec une licence danoise et à l’énergie solaire en partenariat avec une entreprise canadienne.

31Kurita

32$1,2bn 2001-2002

33Kurita est une entreprise plus récente, fondée en 1945, plus petite et plus spécialisée que les deux précédentes. Elle a été créée pour fabriquer des équipements de traitement d’eau destinés à des chaudières ; puis elle s’est diversifiée vers les usines de traitement d’eau potable. Dès 1970-1980 elle développe des procédés d’osmose inverse pour des unités de petite taille à Koweit City et à Tripoli. De là, elle est allée vers l’épuration des eaux usées, tant pour les collectivités locales que pour l’industrie et elle a aussi des compétences dans la dépollution des sols.

34L’entreprise est organisée en trois départements : le département de chimie (qui développe des procédés adaptés aux différents types de pollution) [17], un département d’équipements de contrôle et une division de traitement des eaux qui réalise les usines (la plus importante). L’entreprise exporte ses unités de traitement depuis les années 1960 en Asie du sud-est et en Europe de l’est (même si le poids de l’international reste limité à 15 % de l’activité). Elle s’est implantée au Brésil en 1975, en Chine en 1995 et elle a ouvert un centre de recherche à Singapour en 1996. Dans les réalisations, on retiendra une activité de traitement en vue d’obtenir de l’eau ultra pure destinée à l’industrie informatique et la mise au point d’un équipement de compactage des boues (plus de vingt étaient en service au Japon en 1998).

35En 1996, Kurita a créé son propre centre de recherche sur l’eau. Elle a une approche très technique de ces questions, intervenant en amont par la recherche de procédés et elle travaille pour une bonne part pour des clients industriels. Sa réputation est fondée sur ce type de compétences.

L’ingénierie lourde

36Chiyoda

37$1,4bn 2001-2002 et

38$3,7bn 1995-1996

39Chiyoda, qui fait partie du groupe Mitsubishi (présenté dans un prochain numéro de Flux) fait avant tout du « plant engineering » dans l’industrie pétrolière et les usines pétrochimiques ; c’est un équivalent des Halliburton, Fluor Corps., Bechtel, Jacobs aux États-Unis et Technip en France. Son histoire est intéressante car elle montre comment les marchés sont reliés, comment les mouvements dans un segment se propagent aux autres : un tassement de ses marchés, que montre la chute de moitié de son chiffre d’affaires, a conduit le groupe à s’intéresser aux procédés de traitement des eaux industrielles et de dépollution de l’air. De là, elle s’intéresse au marché des villes. Des problèmes financiers, en 1998, vont entraîner un rapprochement avec Kellog Brown & Root qui acquiert 7 % du capital (KBR du groupe Halliburton).

40JGC

41$3,1bn 1999-1998

42JGC a été créée en 1928, sous le nom de Japan Gasoline Co, pour intervenir dans le secteur pétrolier ; elle reste toujours active dans ce champ (usines d’éthylène au Quatar, liquéfaction de gaz naturel en Malaisie et raffineries de pétrole). En 1980, ces trois secteurs représentaient 80 % de son activité. Elle s’est diversifiée d’abord dans le nucléaire civil, l’agro-alimentaire et l’industrie pharmaceutique. C’est bien plus tard que le groupe rencontre les questions urbaines.

43En 1999, JGC annonce son intention d’intervenir dans le secteur de la construction en tant que « construction manager » ; comme Chiyoga ou Toyo, elle cherche une réponse à la baisse de ses revenus sur son marché principal. Cette entrée est très intéressante car elle illustre plusieurs phénomènes.

44Premièrement, elle témoigne une fois de plus de la porosité des frontières entre industrie et urbain et des transferts de compétence qui peuvent se faire. Les firmes, certes, sont spécialisées dans des compétences principales (principe d’efficacité) mais elles ne sont pas bloquées ; il suffit qu’un marché change sous l’effet d’une crise dans un pays ou d’une nouvelle réglementation, pour qu’elles se mettent en mouvement (ou qu’elles meurent…). Les marchés sont interconnectés ; dans ce cas JGC envisage de mobiliser des compétences acquises dans l’industrie et de les appliquer à des domaines nouveaux.

45Deuxièmement, ce fait est aussi l’illustration de l’influence de la loi PFI au Japon et par là même de l’influence de solutions institutionnelles plus anglo-américaines. Dans le schéma en vigueur jusqu’alors dans le secteur japonais de la construction, le client signe un contrat à coût fixe (lump sum fee) avec un généraliste (general contractor) qui sous-traite [18]. Dans le « construction management system » annoncé, l’entreprise intervient comme conseil du client, organise la sélection des entreprises spécialisées, veille à la qualité, au respect du programme ; les contrats sont passés par le client ; l’entreprise est rémunérée au prorata du total des opérations. Ce faisant, JGC rentre dans la chasse gardée des cinq grands généralistes du bâtiment japonais [19] qui ne vont pas manquer de réagir en proposant à leur tour cette manière de piloter les programmes. Donc en raison de la crise de certains marchés, des rapprochements sectoriels se font et des modèles d’action se diffusent.

46Toyo Engineering Corp. (TEC)

47$1,8bn 1999-1998

48Toyo a été créée en 1961 par un rapprochement des actifs de Mitsui Chemicals (devenu Toyo Koatsu), de Mitsui & Co et de Taisei ; elle fait partie du groupe Mitsui. Cette entreprise est l’un des trois ingénieristes lourds japonais et a, comme les deux autres une activité principale dans l’agroalimentaire, les raffineries, la chimie et le nucléaire. Comme eux aussi le ralentissement des marchés [20] l’a conduit à développer ses compétences dans le domaine de l’environnement :

  • traitement de l’eau potable, des eaux usées et procédés de recyclage,
  • traitement par filtres,
  • incinération et procédés de recyclage des cendres,
  • procédés de décontamination des sols pollués,
  • équipements pour la pollution de l’air.
Sanki Engineering

49$2,0bn 1999-1998 [21]

50Sanki Engineering est une autre entreprise du groupe Mitsui, créée en 1925 et intervenant à l’origine dans l’installation des réseaux et la gestion des fluides de grands immeubles : électricité, plomberie, systèmes de chauffage et de ventilation. Parmi ses premières réalisations de prestige, on compte le siège social de la banque Dai-Ichi à Tokyo. Alors que Toyo Engineering rentre dans le secteur à partir des « usines », Sanki le fait à partir de « l’immeuble ». Dans les deux cas le suivi des marchés les conduit à développer une compétence plus large.

51Dans les années 1950, l’entreprise a appliqué ses compétences à l’hôtellerie et aux équipements sportifs (Jeux Olympiques de 1967). Puis dans les années 1970 elle se développe dans le chauffage collectif (district heating), l’air conditionné et le traitement des eaux usées de grands immeubles. Dans les années 1990, l’entreprise systématise ces compétences pour développer le concept de « Total Engineering Company » qu’elle applique à la gestion intégrée de grands complexes bâtis (aéroports, centres de loisirs, grands immeubles), en offrant la gestion intégrée des fluides, les systèmes d’information et la maintenance réhabilitation ; elle préfigure ainsi les orientations de la future loi PFI japonaise.

52Les exemples de Toyo et de Sanki sont illustratifs des différences d’approche des marchés que permet de mettre en évidence une approche internationale. Ici, ces deux entreprises abordent un domaine à partir de l’objet technique, l’usine ou l’immeuble et l’ingénierie des fluides. Dans la problématique européenne « classique » du service public, les entreprises ont une autre généalogie.

53TSK, Tsukishima Kikai Co.

54$540m 1998-1999

55TSK est une entreprise moyenne créée en 1905, dont l’activité principale relève de la conception d’usines (comme les ingénieristes américains) avec une spécialisation dans les sucreries, les usines agroalimentaires, les usines d’engrais et les usines chimiques pour lesquelles l’entreprise se forge une réputation après la première guerre mondiale et où elle continue de se développer [22]. L’élévation des normes environnementales dans ces secteurs industriels la conduit à mettre au point des procédés dans le traitement des eaux usées, des déchets et de l’air.

56Depuis la fin des années 1960 elle intervient dans le traitement des boues d’assainissement (sewage sludges) tant pour les eaux urbaines que pour les effluents industriels dans les secteurs où elle est déjà présente (agro-alimentaire, chimie). L’entreprise a aussi développé des procédés de recyclage des résidus.

Les sidérurgistes

57En 1960, la sidérurgie mondiale était dominée par les Américains : sept groupes sur les dix premiers, et le premier japonais se situait au huitième rang. En 1975, le Japon affichait sa suprématie en comptant quatre firmes dans les dix premières : Nippon Steel (la principale), Nippon Kokan, Sumitomo Metals et Kawasaki Steel ; plus loin dans le classement venait Kobe Steel. Ces cinq firmes existent toujours mais pour suivre les turbulences des marchés soumis à la concurrence chinoise, coréenne (Posco) [23] et taïwanaise (China Steel), et pour résister au protectionnisme américain (1999) [24], elles ont dû s’adapter.

58Elles l’ont fait d’abord par concentration. Elles ont absorbé des firmes indépendantes plus petites, histoire classique. Elles ont aussi fini par se rapprocher entre grands. Au début de 2001, NKK (numéro deux) annonce son rapprochement avec Kawasaki Steel (numéro cinq) ; c’est la réponse japonaise au rapprochement européen entre Arbed et Usinor ; le nouvel ensemble japonais se situe au deuxième rang mondial. Nippon Steel se situe au quatrième rang ; plus tard cette dernière entreprise annonce un accord de coopération avec Sumitomo Metal [25].

59Toutes ces entreprises se sont ensuite diversifiées dans le secteur de l’environnement. Jusqu’alors elles rencontraient ces domaines par la « classique » production de canalisations, comme Usinor ou Pont-à-Mousson ; désormais elles vont s’intéresser à la production d’éléments de réseaux urbains. Ceci étant, dès la fin des années 1980, en pleine puissance, donc avant les difficultés, elles avaient commencé à se diversifier pour s’intéresser aux biotechnologies, considérées à l’instar de l’informatique comme un domaine porteur. Kobe Steel crée un institut de recherche dans ce domaine en 1985, suivi par Nippon Steel, puis par NKK en 1987. En 1988, l’institut de Kobe participe au programme « Acqua Renaissance » du MITI [26].

tableau im3
Rang des sidérurgistes en 1998-1999 Nippon Steel 21,2 NKK 14,3 Sumitomo Metals 11,7 Kobe Steel 10,3 Kawasaki Steel 10,0 (milliards de dollars). Source Asian Wall Street Journal (AWSJ) september 1999 et Financial Times March 19, 1999.

60Nippon Steel

61$22,8bn 2000-2001 [27]

62Le premier groupe japonais est le résultat en 1970 de la fusion de deux autres groupes. En 1997, l’exportation représentait 24 % de son activité et l’ingénierie 17 % ce qui relativise le poids de la diversification.

63Dans les domaines qui ont à voir avec les infrastructures en réseau, il intervient sous les rubriques suivantes, dont on relèvera qu’elles sont le plus souvent des extensions directes du métier principal. Ces groupes industriels restent industriels dans leur stratégie et ne s’organisent pas comme des conglomérats.

  • procédés d’économie d’énergie, cycle vapeur, turbine, électricité,
  • ingénierie de process
  • procédés de recyclage des déchets urbains par combustion [28]
  • On notera aussi que le groupe a mis au point des câbles d’acier à haute résistance pour un pont suspendu (Akashi Kaikyo, 3 911m hors tout).
  • Enfin, le groupe a fait des incursions dans de nouveaux domaines, les biotechnologies, les semi-conducteurs, les nouveaux matériaux.
Pour les analystes, cette politique commencée en 1974, renforcée en 1987, n’apporte aucun avantage, the company’s diversification strategy has led to failure after failure[29]. Le groupe va vendre sa filiale dans la micro-électronique à une entreprise de Taïwan.

64NKK

65$14,5bn 2000-2001

66Nippon Kokan Koji ou NKK, le numéro deux de la sidérurgie, a été fondé en 1912 comme fabricant de tuyaux en acier. Il fait partie de la maison de commerce Fuyo, en difficulté vers 1997-1998. Le groupe s’est diversifié plus tard dans la construction navale, l’ingénierie lourde (plant engineering) et à partir de là dans les incinérateurs pour déchets municipaux, les systèmes de recyclage broyage, les unités de traitement d’eau potable où il occupe le second rang derrière Ebara. Plus tard, il est entré dans l’électronique et la promotion immobilière. En 1998, il connaît de nombreuses difficultés et affiche des pertes. Moody évalue sa signature au niveau Baa3, juste avant les junk bonds[30].

67NKK met en faillite sa filiale dans les aciers électriques [31], se retire du marché des semi-conducteurs touchés par la crise des mémoires D-ram et vend ses actifs à Fujitsu (juin 2000). Ce sont donc tous les sidérurgistes qui se retirent d’un secteur où ils étaient entrés quelques années plus tôt. Le rapprochement avec Kawasaki, qui intervient en 2001, s’inscrit en réponse à ces difficultés et correspond aux attentes des banques.

68Kobe Steel

69$11,4bn 2000-2001

70Le quatrième sidérurgiste du pays est aussi le plus diversifié. En 2000-2001 il réalisait 40 % de son chiffre d’affaires en dehors de son activité principale : équipements (dont équipements pour l’environnement 16 %), matériel de TP (12 %, sous la marque Kobelco), électronique (8 %), immobilier (4 %). Il a aussi à son actif quelques cimenteries en dehors du Japon (Vietnam, Chine, Taïwan, Corée du Sud et Proche-Orient) [32]. C’est aussi le premier à s’intéresser aux biotechnologies.

71Comme les autres, il souffre dans deux secteurs de diversification : l’immobilier et l’électronique et révise toute sa politique de diversification. Il se renforce dans son métier principal par une alliance avec USS Corp aux États-Unis. Il examine un rapprochement avec l’un des trois grands du matériel de TP (Caterpillar, Case New-Holland/Fiat et Volvo) [33]. Dans ce dernier secteur, l’exception japonaise avec ses six entreprises [34], ne devraient pas résister à la crise du tournant du siècle.

Industrie lourde

72Kawasaki Heavy Industry, KHI

73$10bn 2001-2002

74Dans un panorama d’industriels de l’environnement déjà bien fourni avec la présence de trois familles, ingénierie spécialisée, ingénierie lourde et sidérurgistes, Kawasaki Heavy Industry (KHI), (comme Ishikawajima Harima Industry, IHI), se rattache à un quatrième type : des groupes industriels ayant une activité civile et militaire. On remarquera aussi que depuis 1991 le chiffre d’affaires du groupe est resté stable à 10 milliards de dollars (entre 1 000 milliards et 1 140 milliards de Yens pour être précis) malgré une conjoncture particulièrement difficile, marquée par une forte réévaluation du Yen par rapport au dollar, la crise immobilière de 1992, la crise asiatique de 1997. Peut-être le doit-il à la grande diversité de ses produits (voir tableau) et à leur technicité qui ont fait la réputation de l’entreprise. KHI est l’une des plus anciennes et des plus importantes entreprises d’industrie lourde [35], rattachée au groupe Dai-Ichi Kangyo. Elle a été fondée en 1878 pour la construction navale et s’est diversifiée. Un département spécialisé pour le secteur de l’environnement fut créé dès 1972 [36]. Un plan stratégique sur ces questions est publié en 1995 et l’entreprise développe des procédés : réduction des émissions de gaz polluants pour l’industrie, mise au point de produits recyclables. À partir de 1996, pour réagir à la hausse du Yen qui freine les exportations, le groupe se positionne sur les marchés de l’environnement et du recyclage.

tableau im4
L’activité du groupe en 1997 (rapport annuel) - construction navale : cargos généralistes, porte-conteneurs, transports de GPL Y100,6bn - produits de grande consommation : motos, jet skis, véhicules utilitaires Y204,8bn - aéronautique : avions, hélicoptères Y219,3bn - moteurs, générateurs électriques Y 98,7bn - usines clefs en main (plant engineering), mécanique lourde Y211,2bn - trains Y 68,0bn - ingénierie de l’environnement Y140,2bn

75Sous la rubrique construction navale, on trouve tous les types de cargos mais aussi des sous-marins pour la défense. Dans l’aéronautique, le groupe travaille aussi beaucoup pour la défense ; il participe à des programmes de McDonnell Douglas, de Boeing ; en 1998 il négocie avec Rolls Royce pour un partenariat dans les moteurs [37].

76Les trois derniers grands domaines d’intervention (voir tableau) ont à voir avec les questions urbaines. Le groupe a une activité très ancienne dans les cimenteries avec des références internationales qui datent de 1959. En 1980, il affichait trente deux réalisations à l’étranger, en Asie du sud-est mais aussi Algérie (cinq), Irak (quatre), Turquie (deux) et un grand nombre d’autres pays : Bolivie, Honduras, Colombie, Libye, Tunisie, Iran [38]. C’est aussi le premier constructeur de matériel ferroviaire au Japon avec 30 % du marché en 1997 [39]. Le groupe livre des véhicules pour le marché américain (Maryland) et 400 voitures pour le métro de New York. Il a aussi réalisé les rames du métro de Singapour pour les deux premières lignes en service depuis 1987. Avec d’autres, il fait partie des consortium japonais qui ont remporté le train à grande vitesse à Taiwan. Il est aussi connu pour ses robots dont des robots d’inspection pour les centrales électriques. KHI s’est aussi fait une réputation dans les tunneliers géants en livrant ceux du tunnel sous la Manche. Vers 1992, il remporte un contrat pour le même type d’équipement, cette fois pour le projet de la baie de Tokyo [40].

77La dernière rubrique, ingénierie de l’environnement, comprend un très grand nombre d’équipements qui eux aussi ont à voir avec les « objets » urbains : centrales électriques et incinérateurs, matériel de travaux publics, robots et tapis roulants, structures pour ponts et pour aéroports [41]. Le groupe est très actif sur les incinérateurs depuis le début des années 1990 ; il a aussi mis au point des équipements destinés à réduire les odeurs des boues des stations de traitement. KHI fait bien partie de ces grands groupes dont une partie de l’activité tourne autour de la fabrication des composants de la ville.

78Ishikawajima Harima Industry, IHI

79$8,5bn 1998-1999

80IHI est un très ancien groupe fondé en 1853, il fait partie du groupe Dai-Ichi Kangyo (comme KHI). C’est un groupe industriel où la société mère représente l’essentiel ; son activité est relativement stable en volume ; elle s’est située autour de 710 milliards de Yens sur la période 1975-1980 et autour de 850 milliards sur 1996-2000.

81IHI se caractérise d’abord comme le premier fabricant japonais de moteurs ; il travaille pour l’industrie aéronautique et la défense [42]. Une activité d’ingénierie a été développée ensuite le conduisant à intervenir dans le secteur de l’environnement :

  • les centrales électriques pour la fabrication de chaudières et la rénovation des anciennes unités,
  • les usines de traitement des déchets,
  • les usines de dessalement de l’eau de mer, en 1980, 24 unités avaient été construites,
  • les plates-formes offshore,
  • les cimenteries, en 1983, IHI comptait à son actif 23 unités à l’étranger (Malaisie, États du Golfe, Iran, Chine) [43]. Vers 1998 il s’associe à l’anglais Blue Circle pour un programme de mise aux normes des anciennes cimenteries [44].
******

82Au terme de ce parcours, qui sera complété par la présentation du groupe Hitachi puis par celle de Mitsubishi, on voit se dessiner une configuration industrielle originale par rapport à ce que nous avons en Europe. Le Japon aligne quelques ténors du BTP et ces groupes industriels qui regroupent dans un même ensemble quelque chose qui correspondrait aux activités d’une partie de Pont-à-Mousson et de la Compagnie Générale d’Électricité, au temps d’Ambroise Roux, avant la nationalisation de 1981-1982. Pour un familier des ingénieristes américains, la diversification des groupes d’ingénierie lourde n’est pas surprenante, pas plus que celle des groupes d’ingénierie de l’environnement. En revanche, plus originale, et caractéristique de cette approche japonaise des questions d’environnement, nous semble être la présence des groupes sidérurgiques, celle des « heavy industry » qui combinent activités civiles et militaires, la diversification d’un groupe comme Kubota et bien sûr la présence des filiales des grandes sogo shosha.

83Août 2002


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Date de mise en ligne : 01/12/2007.

https://doi.org/10.3917/flux.050.0080

Notes

  • [1]
    Outre la posture de veille sur les firmes, je me suis rendu trois fois au Japon sur ces sujets (1986, 1999, 2002). À chaque fois j’ai reçu l’aide des responsables et des chargés de mission du Poste d’Expansion Économique à Tokyo (PEE) ; je les remercie vivement. Mes remerciements vont aussi à Éric Baye, bien plus au fait que moi de ce pays, avec qui je partage plusieurs travaux en Asie et qui m’a été d’un conseil précieux sur le Japon. Comme les précédents, ce texte a fait l’objet d’une relecture commentée par Olivier Coutard.
  • [2]
    J-F. Sabouret (dir.), 1988, L’État du Japon, Paris, Édition La Découverte.
  • [3]
    D. Lorrain, 2002, Capitalismes urbains, des modèles européens en compétition, l’Année de la Régulation, n° 6, 2002/3, pp. 197-241.
  • [4]
    C. Sautter, 1987, Les dents du géant, le Japon à la conquête du monde, Paris, Olivier Orban.
  • [5]
    Pour une analyse précise sur le point qui nous concerne, voir : Les marchés de TP au Japon, note PEE, Tokyo, n° 28, 2001.
  • [6]
    Tous les décrets d’application ne sont pas pris. Voir actes du colloque Japanese PFI/French PPP seminar, Tokyo, décembre 1999. J’ai rendu compte de cette loi et de ses possibles conséquences sur l’offre japonaise dans, PFI au pays du soleil levant, Annales des Mines, Réalités Industrielles, août 1999, pp. 47-50. Pour une analyse juridique de la loi anglaise, voir P. Costaler et B. du Marais, La Private Finance Initiative, Paris, Cahier de l’Institut de la Gestion Déléguée, mars 2001.
  • [7]
    Pour présenter ces entreprises nous mentionnons leur chiffre d’affaires en milliards de dollars, selon la notation américaine plus économe : $xxbn.
  • [8]
    Plaquette de l’entreprise 1981 et Rapport annuel 1985.
  • [9]
    E. Baye, 1998, Modes de gestion et technologies du cycle de l’eau au Japon, Économie et Humanisme, mars.
  • [10]
    Dès 1994, Kubota se développe dans le recyclage des bouteilles et des canettes en aluminium ; elle met au point un procédé de tri, Japan Industrial Journal, January 17, 1994.
  • [11]
    Nihon Keizai Shimbun, December 16, 1992, via Comline.
  • [12]
    Financial Times et Asian Wall Street Journal, October 26, 1994.
  • [13]
    Rapport d’activité 1999, p. 67.
  • [14]
    Vers 1997, Ebara participait à l’appel d’offre international organisé par le Sivom de Mulhouse, pour un incinérateur, où la construction de l’unité se trouvait dissociée de l’exploitation ; parmi les autres compétiteurs : Von Roll, Kvaerner. Source entretient du directeur du Sivom, formation de cadres CNFPT, janvier 1997.
  • [15]
    Le groupe annonce, en 2000, la réalisation d’une unité dans la ville de Kawasaki.
  • [16]
    Pour une interprétation sociologique de cette politique, voir P. Roqueplo, 1988, Pluies acides, menaces pour l’Europe, Paris, Économica.
  • [17]
    Plaquette, Kurita Central Laboratory, 1997.
  • [18]
    Voir The Nikkei Weekly, March 22, 1999 ; voir aussi sur le mode d’organisation des marchés, M. Ball, les marchés de la construction et les entreprises de bâtiment britanniques, in E. Campagnac (dir.), 1992, Les grands groupes de la construction : de nouveaux acteurs urbains ? Paris, L’Harmatan, pp. 109-122.
  • [19]
    Les cinq majors japonais : Kajima, Ohbayashi, Shimizu, Tasei et Kumagai ; les quatre premiers groupes avaient un chiffres d’affaires 1998/99 se situant entre 12,3 et 16,1 milliards de dollars. Kumagai suivait avec 9,4.
  • [20]
    L’entreprise a connu une baisse de son activité en 2000 en raison de son exposition aux risques en Russie.
  • [21]
    Japan Company Handbook, 1999 ; plaquette de l’entreprise 1998.
  • [22]
    Plaquette 1997 de l’entreprise et site web.
  • [23]
    En août 2000, Nippon Steel annonce un partenariat avec Posco, (Pohan Iron & Steel) le premier groupe coréen.
  • [24]
    Financial Times, December 12, 1999.
  • [25]
    Japan Company Handbook, 2002 et FT May 12, 2000.
  • [26]
    Base de données Comline, CBW Biotechnologies & Medical Technology, 1988.
  • [27]
    Japan Company Handbook, summer 2002.
  • [28]
    Nippon Steel News, october 1996 et Forbes August 10, 1998.
  • [29]
    Nomura Japanese Equities, 22-7-1998.
  • [30]
    FT, Feb 10, 1999.
  • [31]
    Toa Steel dont le passif est estimé autour de 1,68 MdsE. C’est la plus grosse faillite industrielle depuis la guerre, Les Échos, 5-9-1998 et FT, September 4, 1999.
  • [32]
    AWSJ, July 22, 1995.
  • [33]
    FT, March 17, 2000. Volvo a repris en 1999 Samsung Heavy Industries.
  • [34]
    Outre les cinq firmes mentionnées dans le tableau sous la rubrique matériel de TP, il convient d’ajouter le numéro deux mondial, Kotmatsu, après l’Américain Caterpillar.
  • [35]
    Rapport Peat Marwick, 1981, Étude du secteur de l’ingénierie, Paris, Ministère de l’industrie.
  • [36]
    Rapport annuel 1999, p. 6.
  • [37]
    AWSJ, August 11, 1998.
  • [38]
    Plaquette du groupe, 1986. Il compte aussi à son actif quelques aciéries ; par exemple il participe à un consortium en 1993 pour trois aciéries en Malaisie (AWSJ, November 8, 1993).
  • [39]
    Note du PEE de Tokyo sur ce secteur, 12-1998.
  • [40]
    Base informatique « comline », 1992.
  • [41]
    Dès 1988, en partenariat avec Tokyo Gas et deux autres utilities, il met au point une centrale de cogénération. Il a une joint venture avec ABB pour développer ces turbines de cogénération sur le marché asiatique (AWSJ, feb 1995).
  • [42]
    Japan Aviation Directory, 1998, Étude Peat Marwick, 1981, op. cité.
  • [43]
    Fiche groupe 1981.
  • [44]
    Lettre du PEE de Tokyo, mai 1999.
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