Flux 2002/1 n° 47

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Article de revue

Minitel : histoire du réseau télématique français

Pages 84 à 89

Notes

  • [1]
    Voir histoire de courbe dans Flux n° 42, « la diffusion du téléphone mobile en France ».
  • [2]
    Marchand M., 1987, La grande aventure du Minitel, librairie Larousse, p. 20.
  • [3]
    Marchand M., 1987, La grande aventure du Minitel, Librairie Larousse, p. 99.
  • [4]
    Castells M., 1998, La société en réseaux, l’ère de l’informatique, Fayard, p. 389.
  • [5]
    France Télécom, La télématique : bilan 1994 et perspectives 1995.
  • [6]
    Voir La lettre des services en lignes, 3ème trimestre, 1997.
  • [7]
    Voir Launet E., « Le vieux Minitel se refait un coup de jeune », Libération, 28 novembre 2001.
  • [8]
    Voir Launet E., « Le vieux Minitel se refait un coup de jeune », Libération, 28 novembre 2001.
  • [9]
    D’après entretien téléphonique auprès du service Minitel de la SNCF.
English version

1Lorsqu’on parle du Minitel, on évoque souvent un vieil outil télématique exclusivement français, qui émerveillait les nations étrangères pendant la décennie des années quatre-vingt, mais qui semble aujourd’hui relégué à un deuxième rang et presque condamné depuis l’apparition d’Internet. Cependant, il s’agit également d’un système d’information et d’accès à de nombreux services profondément ancré dans les habitudes des Français, et qui au-delà des regards nostalgiques, trouve encore ses usagers et résiste à mourir.

2Nous étudierons ici l’évolution de ce réseau télématique depuis ses origines jusqu’à nos jours. Nous essaierons d’expliquer la forte croissance de ses débuts, comment elle se distribue territorialement, puis pourquoi le parc Minitel atteint rapidement son plafond autour des 6,5 millions de terminaux (alors que la diffusion du téléphone portable, par exemple, arrive à des chiffres proches des 30 millions) [1] et nous étudierons quelle est l’évolution depuis le milieu des années 1990 avec l’irruption d’Internet. Nous nous référerons à la courbe d’évolution du nombre de terminaux de Minitel installés et à l’évolution du nombre d’heures de connexion.

La naissance du Minitel : une longue gestation

3Depuis le début des années 1970, le Centre National des Études de Télécommunication (CNET) travaille à la modernisation du téléphone français, à l’invention et au test de nouvelles fonctionnalités. Dès 1973, le réseau Cyclades apparaît à peu près au même moment que le réseau Arpanet, son équivalent aux États-Unis. Alors que le réseau Arpanet allait donner naissance à l’Internet, le réseau Cyclades n’eut pas la même vie en France. Il fut progressivement démantelé à la fin des années 1970, l’administration française ne voyait pas en lui d’avenir et décida de tout miser sur le réseau Transpac, qui permit par la suite le raccordement du Minitel. Les Français préfèrent se spécialiser en téléphonie et informatique, plutôt qu’en micro-informatique.

4Ainsi en 1974, un terminal est présenté au SICOB pour une première présentation publique et baptisé TIC-TAC (Terminal Intégré Comportant Téléviseur et Appel au Clavier). Malgré les applications encore embryonnaires, le concept est très riche, car il suppose la convergence entre télécommunication et informatique. Mais les services d’exploitation des télécoms ne prennent pas conscience des atouts des nouvelles applications possibles et faute d’objectif précis, le TIC-TAC stagne.

5Parallèlement se sont développés, dès 1973 au sein du Centre Commun d’Étude de Télévision et de Télécommunication (CCETT), des projets de diffusion des données (projet TITAN de Bernard Marti). Mais c’est surtout à partir de l’automne 1977 que s’est développée une grande offensive dans le domaine des télécommunications et de l’informatique. Poussée par Gérard Théry, directeur général des télécommunications, cette offensive est impulsée par les progrès technologiques dans d’autres pays européens (Royaume Uni et Allemagne notamment). Théry veut créer un plan de développement qui prenne en compte les secteurs industriels ; il souhaite le soumettre aux politiques. Son plan « le téléphone pour tous » est le début de « l’informatique pour tous », qui deviendra une priorité nationale et trouvera des financements de recherche assurés [2]. C’est là que l’on peut situer la naissance de l’étude sur le projet Minitel.

Evolution du Minitel

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Evolution du Minitel

6En 1978, la publication du rapport « l’informatisation de la société » par Simon Nora et Alain Minc fait naître le mot télématique (contraction de téléphone et informatique). Face au constat du retard français en matière micro-informatique, le rapport propose d’associer l’informatique et le téléphone afin de fournir au grand public un service de données.

7En 1980, un test d’annuaire électronique est fait à Saint Malo. Les premiers terminaux (que l’on appelle télétel), sont mis en place de façon expérimentale à Vélizy en 1981. Cette première expérience sert à tester la pertinence des services télématiques. Les 2 500 foyers concernés sont équipés d’un décodeur surnommé « chauffe-plat » permettant de consulter une vingtaine de services sur l’écran de leur téléviseur. Pendant les trois années qui suivent, des études statistiques d’utilisation sont faites : Vélizy devient l’endroit de tests techniques et de services. Dans le même temps, le CNET et le CCETT élaborent la maquette du fichier informatisé de l’annuaire électronique. On trouve également les premières hostilités dans le monde de la presse (peur de l’apparition d’un nouveau concurrent) et de la politique (peur du coût de l’expérience).

8En 1983, et après de complexes négociations, est lancée une deuxième expérience en Ile-et-Vilaine, avec l’offre du service d’annuaire électronique, système souple et fiable qui sera généralisé par la suite sur tout le territoire. La presse devient de plus en plus favorable, voyant dans le Minitel un support de diffusion, et les Français se penchent avec curiosité vers la télématique.

Lancement et croissance 1984-1993

9Dès la fin de 1983, 120 000 terminaux sont installés en France. La décision est prise d’offrir le terminal gratuitement, car France Télécom voit difficilement le public acheter un matériel sans savoir exactement quels services y sont disponibles. Ce choix, unique en Europe, aura un rôle primordial dans le décollage des usages du Minitel en France. Entre 1983 et 1984, le nombre de terminaux s’accroît jusqu’à 531 000. Cependant les systèmes tarifaires ne sont pas encore bien mis au point. On essaye de combiner de façons multiples gratuité et abonnement à différents services, sans grands succès.

10D’après la courbe d’évolution du nombre de terminaux, le vrai démarrage se produit entre 1984 et 1985, soit une progression de 146 %. Cela correspond à deux facteurs clés.

11Le premier facteur est la naissance au cours de l’année 1984 du système « kiosque », méthode de facturation des services Minitel sur la durée de consultation et non sur la distance. C’est un système simple et compréhensible. Mais pour pouvoir vraiment démarrer, les services disponibles doivent être séduisants et de qualité, car les utilisateurs payants sont plus exigeants que ceux de l’expérience pilote gratuite de Vélizy. Un deuxième facteur joue donc un rôle important : c’est l’ouverture du 3615. À partir de ce moment se multiplie à grande vitesse le nombre de services (messagerie, jeux, services professionnels…) : 145 services en janvier 1984, 2 074 en janvier 1986, près de 5 000 en 1987 [3], 23 000 vers le milieu des années 1990 [4] ! C’est l’explosion du marché.

Evolution des heures de connexion sur Minitel

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Evolution des heures de connexion sur Minitel

12En fait ce sont les messageries et notamment les messageries roses (la moitié des appels en 1990) qui ont contribué à la diffusion du Minitel en France : d’abord grâce à l’accessibilité à travers le réseau vidéotexte qui diffère du sexe par téléphone, le Minitel devient l’endroit de fantaisies sexuelles individuelles et anonymes ; ensuite grâce à la publicité massive dans les lieux publics.

13Les courbes montrent une forte croissance du parc de terminaux et du nombre d’heures de connexion pour cette période, malgré un faible ralentissement à partir de la fin de 1989.

14Cependant le décollage des usages du Minitel n’est pas homogène sur le territoire français. La comparaison des cartes des taux de pénétration du Minitel par région (nombre de terminaux installés/nombre de lignes téléphoniques principales) des années 1987, 1989 et 1991 montre que certaines régions ont du mal à démarrer.

15Les taux de pénétration du Minitel sur les trois années présentées évoluent de la même façon, si bien que les écarts entre les régions sont conservés. Les régions du Nord de la France, notamment celles qui ont été choisies pour les premiers tests, semblent plus sensibles à la télématique que celles du Sud.

16Les cartes nous indiquent un développement inégal au niveau de la France, les courbes, un ralentissement de la croissance depuis 1990, mais à cette époque, les prévisions internes de France Télécom [5], n’envisagent pas la stagnation, et croient plutôt à une progressive universalisation du service.

Stagnation et défaillance : 1993-1998

17Dans le début des années 1990, le système est bien en place et le nombre d’heures de connexion en croissance. Cependant la mode passe un peu, surtout auprès des utilisateurs des services érotiques du Minitel. En effet, ce service ne représente plus que 10 % des communications autour de 1992, alors qu’il atteignait plus de la moitié des appels en 1990. Désormais Minitel affirme plutôt son rôle de prestataire de services. Le nombre total de services augmente, notamment ceux qui ont une forte valeur ajoutée (par exemple, les conseils juridiques représentent en 1991 plus de 30 % des appels).

18Mais les limites techniques du Minitel, comme moyen de communication, deviennent évidentes, notamment les procédés archaïques de vidéo et de transmission. Le caractère rudimentaire de la technologie en limite l’attrait. En effet, l’utilisateur est contraint par la configuration de la page affichée sur l’écran et par le système de terminaux non intelligent qui limite fortement sa capacité de traitement de l’information. De plus, l’architecture du Minitel ne permet pas un passage facile et immédiat d’une page à l’autre. Les échanges horizontaux manquent de souplesse, surtout par rapport à l’apparition de nouveaux modes de communication. Cela est très visible autour de l’année 1993 : c’est au cours de cette année que le nombre de terminaux Minitel et d’heures de connexion commencent à décroître. Cela correspond avec l’année d’apparition du World Wide Web, qui est un succès foudroyant pour l’Internet. Il offre à l’utilisateur une formidable quantité d’informations, grâce à l’apparition du langage HTML, qui repose sur l’existence de liens entre documents au travers de mots clés ou d’images dits « hypertextes », ce qui facilite énormément la recherche d’informations. De cette façon, tout ce qui techniquement manquait au minitel semble se retrouver avec l’Internet.

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Source : La Lettre de Télétel 1988, 1990, 1992, hors séries Gonzalez (A), Jouve (E)

19Un deuxième facteur qui peut expliquer le frein dans le développement du Minitel est la fin de la mise à disposition gratuite du matériel électronique, ce qui était l’un de ses principaux atouts. Désormais sont commercialisés deux nouveaux types de terminaux : Sagis qui dispose d’un lecteur de carte bancaire intégrée pour payer les commandes en toute sécurité ; et Sillage, poste qui intègre téléphone, Minitel et répondeur. Mais d’après la courbe du nombre de terminaux, le public ne semble pas manifester un grand engouement pour ces nouveaux appareils.

20Finalement le Minitel, ne correspond-t-il pas à un public restreint, qui demande des services spécifiques (et en ce sens il diffère du téléphone portable dans lequel tout le monde peut trouver son utilité) ? D’après les enquêtes étudiées, à la différence des réseaux de services publics, le Minitel n’est pas considéré comme indispensable (71,4 % des non-utilisateurs justifient leur choix en disant qu’ils n’en ont pas besoin) [6]. Il lui manque donc la capacité nécessaire pour devenir un service universel.

21L’apparition de l’Internet vient aggraver la crise du Minitel en stimulant le transfert des usagers vers un réseau plus performant (qui offre fondamentalement les mêmes services). De plus, la volonté politique affichée est d’en finir avec le Minitel et de rattraper ainsi le retard français par rapport au réseau Internet. Lionel Jospin déclarait en 1997 : « Le Minitel, réseau uniquement national, est limité technologiquement et risque de constituer un frein au développement des applications nouvelles et prometteuses des technologies de l’information » [7].

22Face à cette situation, la stratégie adoptée par le système télématique de France Télécom a alors été d’offrir la possibilité de relier le réseau Minitel au réseau mondial d’Internet.

Les dernières années, quelles perspectives ? 1998-2001

23À partir de 1998, le nombre de terminaux Minitel n’est plus comptabilisé individuellement, les données sont confondues avec les chiffres relatifs à l’utilisation du Minitel sur l’Internet. Voilà pourquoi la courbe s’arrête cette année là. Et quant au nombre d’heures d’utilisation, le chiffre n’est plus publié par France Télécom. Est-ce un signal de la défaillance ?

24Désormais, l’évolution du Minitel ne passe plus par le développement du terminal lui-même, mais par le téléchargement du logiciel à partir du site Internet I-Minitel. C’est la meilleure façon pour faire survivre le réseau Minitel, qui est désormais consultable à partir d’un ordinateur. Cela laisse la possibilité à un nombre grandissant d’internautes d’avoir un accès Minitel à partir de leur ordinateur.

25Ainsi si le parc de terminaux Minitel diminue de 250 000 unités par an, cette nouvelle utilisation du Minitel, selon Vincent Barnaud (directeur commercial des activités kiosque chez France Télécom), connaîtrait un « surprenant succès » : 500 000 téléchargements du logiciel depuis l’année 2000, 250 000 utilisateurs par mois. Le nombre des utilisateurs potentiels du Minitel reste ainsi supérieur à celui des internautes : 15 millions de Français ont accès au réseau services télématiques chez eux ou au travail, contre 9 millions pour l’Internet [8]. Mais ce succès est peut-être à nuancer : télécharger le logiciel est une chose, et l’usage que l’on en fait en est une autre.

26Le fait est que le Minitel résiste à mourir. D’un côté, il garde encore ses adeptes. Ils regrettent quelques points forts du Minitel, qu’ils ne retrouvent pas sur le réseau Internet : sa grande simplicité d’utilisation (notamment pour les personnes âgées) ; l’investissement faible dans le Terminal, qui permet l’accessibilité à tous ; l’anonymat de l’usager et l’environnement de confiance dans le commerce électronique. D’un autre côté, les prestataires de services y trouvent encore un intérêt économique non négligeable. Par exemple, pour la SNCF, le réseau télématique est un canal intéressant, car c’est un des rares réseaux qui rapporte plus que ce qu’il ne coûte [9], même si le service est en baisse (en 2001, le service Minitel de la SNCF a connu une baisse de 12-13 % de son chiffre d’affaires, de 18 % de consultations et de 10 % d’achats). C’est pourquoi on constate aussi une adaptation de certains services de l’Internet sur le Minitel : désormais plusieurs serveurs du Web, comme Yahoo, sont consultables à partir d’un poste Minitel.

27Les courbes ici présentées ainsi que les entretiens menés annoncent à terme la disparition du Minitel. Cela paraît inévitable d’autant plus que les services sont déjà dédoublés sur le réseau Internet. Mais, usagers et prestataires ne semblent pas vouloir y mettre fin immédiatement ; ils préféreraient plutôt le laisser mourir en douceur…

Bibliographie

Bibliographie

  • Castells M., 1998, La société en réseaux, l’ère de l’informatique, Fayard.
  • La lettre de Télétel et Audiotel, Hors série n° 11 juin 1994.
  • La lettre des services en lignes, 3ème trimestre, 1997.
  • La lettre du Télétel et Audiotel, Bimensuel 1998
  • La lettre du Télétel et Audiotel, Hors série n° 13, juin 1995.
  • La lettre du Télétel, Hors série n° 8, avril 1992.
  • Lapeyre A., Trassart F., Vivant E., Histoire de courbe : la diffusion du téléphone mobile en France, Flux n° 42, octobre-décembre 2000, pp. 80-88.
  • Launet E., « Le vieux Minitel se refait un coup de jeune », Libération, 28 novembre 2001.
  • Marchand M., 1987, La grande aventure du Minitel, Librairie Larousse.
  • Mayntz R., Shneider V., 1988, « The dynamics of systeme development in a comparative perspective : interactive videotex in Germany, France and Britain », in Mayntz R. et Hughes T. (dir.), The development of Large Technical Systems, Boulder (CO.), Westview.
  • Revue en ligne, France Télécom, juillet 1999.
  • Richard E., « Un cube star en Californie. Le Minitel a ses fans chez les pionniers du Net », Libération, 28 novembre 2001.
  • Rincé J-Y., 1990, Le Minitel, QSJ ?, Presse Universitaires de France.

Notes

  • [1]
    Voir histoire de courbe dans Flux n° 42, « la diffusion du téléphone mobile en France ».
  • [2]
    Marchand M., 1987, La grande aventure du Minitel, librairie Larousse, p. 20.
  • [3]
    Marchand M., 1987, La grande aventure du Minitel, Librairie Larousse, p. 99.
  • [4]
    Castells M., 1998, La société en réseaux, l’ère de l’informatique, Fayard, p. 389.
  • [5]
    France Télécom, La télématique : bilan 1994 et perspectives 1995.
  • [6]
    Voir La lettre des services en lignes, 3ème trimestre, 1997.
  • [7]
    Voir Launet E., « Le vieux Minitel se refait un coup de jeune », Libération, 28 novembre 2001.
  • [8]
    Voir Launet E., « Le vieux Minitel se refait un coup de jeune », Libération, 28 novembre 2001.
  • [9]
    D’après entretien téléphonique auprès du service Minitel de la SNCF.
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