Notes
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[1]
Cette approche onusienne consiste en onze clusters (santé, sécurité alimentaire, nutrition, éducation, etc.) (co)dirigés chacun par une organisation internationale.
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[2]
Ces activités accaparèrent 473 millions de dollars US sur 956 en 2018 que les États du Nord financèrent en majorité (OIM, 2017c : 24).
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[3]
L’OIM se félicitait, par exemple, d’avoir « aidé » les autorités tunisiennes à garder les frontières ouvertes en 2012 avec la Libye en guerre civile pour faciliter « l’identification des personnes fuyant la crise » (OIM, 2012 : 8).
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[4]
Les ressources techniques offertes par Deloitte à l’OIM s’inscrivent dans le cadre de son « Humanitarian Innovation Program » qui depuis 2012 aide les acteurs humanitaires à protéger les populations affectées par les crises (Deloitte, 2021).
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[5]
L’assistance technique apportée par SAS Institute pour « moderniser » l’OIM entrait dans le cadre de ses activités philanthropiques où elle met son expertise dans l’analyse des données au service de questions humanitaires (SAS Institute, 2018).
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[6]
Avec cette méthode, les interrogés dirigent l’enquêteur vers d’autres potentiels participants à l’enquête. Cela permet de cibler une population difficile d’accès, mais sans constituer d’échantillon représentatif.
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[7]
Utilisation de l’application par l’auteur, novembre 2018.
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[8]
Cette transmission potentielle des données aux autorités et ONG est une condition qui est communiquée à l’utilisateur dès son premier accès à l’application à travers un document intitulé « conditions générales ».
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[9]
Par exemple, l’OIM s’appuya sur son statut autoproclamé de principal « fournisseur » et « détenteur » de données sur les déplacés internes pour influencer la conception d’un rapport onusien de 2021 sur cette population (OIM, 2021). Celui-ci préconisait d’agir sur elle par les données et citait notamment l’exemple de la Matrice. L’OIM estima alors que le rapport confortait son autorité.
1 « Never again should it be possible to say “we didn’t know”. No one should be invisible. This is the world we want — a world that counts. » (Groupe consultatif d’experts indépendants, 2014 : 3)
2 Cet appel à l’omniscience résume un rapport de 2014 du Groupe consultatif d’experts indépendants réuni par le Secrétaire général de l’ONU. Il lui enjoignit de s’appuyer sur la visibilité permise par les données pour mettre en œuvre les objectifs du futur Agenda 2030 pour le développement durable. Adopté en 2015 pour éradiquer la pauvreté, ce dernier permit à divers gouvernements, organisations internationales, entreprises informatiques et ONG d’enclencher une « révolution des données » qui tirerait profit des technologies de l’information et de la communication. L’explosion contemporaine du volume des données et les progrès des capacités d’analyse et de circulation de ces dernières présagent la réalisation d’un vieux rêve technocratique d’harmonisation par les nombres (Supiot, 2015). La planification des interventions sur les « vulnérables » serait enfin objective, efficace et bon marché. Mais, l’engouement pour les données ne se limitait pas au champ du développement. Le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières de 2018 appelait les États, organisations internationales et ONG à « optimiser » les flux migratoires en les mesurant, en obtenant les données dites manquantes et en exploitant de nouvelles sources de données (ONU, 2018 : 8‑9). La littérature académique appréhende cet engouement international pour les données de manière contrastée. Certains auteurs soutiennent que les données garantiraient de meilleures interventions, car elles s’appuieraient sur une « base empirique » alimentée et utilisée par le plus grand nombre d’acteurs sociaux (Kraly et Hovy, 2020 : 11). Alors que d’autres s’interrogent sur ce que les données rendraient de visible et sur les connexions qu’elles établiraient avec les populations ciblées (Gabay et Ilcan, 2017 : 468).
3 Cet article vise à analyser ce double effet du projet de la révolution des données à partir des pratiques de production, d’analyse et de circulation des données de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Depuis les années 2000, cette dernière promeut avec insistance l’usage de données quantitatives et qualitatives au nom du paradigme de la gestion migratoire. L’OIM œuvre en effet à établir une « ouverture régulée » aux flux migratoires pour assurer leurs mises en ordre et leurs prédictibilités (Ghosh, 2000 : 221). Elle recommande les données non seulement pour rationaliser les politiques migratoires nationales, mais aussi pour agir sur les mobilités dites périlleuses des populations du Sud affectées par les catastrophes naturelles et les crises d’origines humaines. Bien que spécialisée depuis 1951 dans le transfert international de réfugiés et de migrants, l’OIM a étendu ses interventions durant les vingt dernières années au champ humanitaire (Bradley, 2020). L’organisation voulait ainsi « stabiliser » des populations précaires et susceptibles de se déplacer de manière soudaine et chaotique (OIM, 2006 : 50). L’OIM a formalisé son entrée dans le champ humanitaire à la suite du tremblement de terre au Pakistan de 2005. Elle décrocha alors le statut de co-cheffe de file du secteur « Coordination et gestion des camps », avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, de l’approche des clusters qui coordonne l’action humanitaire internationale [1]. De cette position centrale, l’OIM développa ses activités de gestion des mouvements dans les « situations d’urgence et d’après crise » pour qu’elles occupent durablement son premier poste budgétaire [2].
4 Pour « systématiser » ses interventions face aux crises des années 2010 en Afrique subsaharienne, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, l’organisation conçut en 2012 son cadre opérationnel en cas de crise migratoire. Il réorganisait les interventions de l’OIM selon quinze secteurs d’assistance soucieux de la santé, l’habitat, le transport, les moyens de subsistance et l’environnement des populations de déplacés (OIM, 2012 : 3). Toutefois, le cadre visait aussi à assurer leurs protection et bien-être « psychosocial » par la surveillance de leurs mouvements. L’OIM s’engageait pour cela à « perfectionner [ses] systèmes de gestion des données et les outils technologiques permettant de suivre et de cartographier [leurs] déplacements » (OIM, 2012 : 4). Ce mélange entre le souci de préserver les vies de populations et la surveillance de leurs mouvements par la production technocratique de données s’inscrit dans une « gestion humanitaire des frontières » (OIM, 2012 : 6‑7). Face aux crises et aux mouvements instables qu’elles provoquent, l’OIM chercherait à identifier les populations de déplacés pour « faciliter » leurs mouvements « en procédant aux orientations requises » (OIM, 2012 : 8). Ces orientations consistent en un jeu de mobilisation et d’immobilisation successives de ces populations avant leurs arrivées à des lieux sûrs temporaires ou définitifs. Elles incluent leurs passages à travers des camps, des « sites de la mobilité institutionnalisée » (Salter, 2007 : 51) (aéroports, ports, gares routières et ferroviaires, etc.), des frontières « intelligentes », et leurs mises à l’arrêt ponctuelles pour prodiguer des soins et vérifier leurs vulnérabilités (OIM, 2012 : 4‑5). Ainsi, les mouvements chaotiques de ces populations ne devraient pas être empêchés en érigeant des barrières nationales hermétiques au nom de la souveraineté étatique [3] (Deleuze et Guattari, 1980 : 480‑481). Les frontières deviendraient des zones humanitaires de passage de populations à connaître, surveiller et transformer pour les relâcher dans un espace transnational où les pratiques de mobilités sont ordonnées et prédictibles (Walters, 2010 : 139).
5 C’est pourquoi l’OIM développa, généralisa et perfectionna progressivement l’usage de son « principal mécanisme » (OIM, 2020 : 12) de collecte de données : la Matrice de suivi des déplacements. Cette technologie capture, traite et dissémine systématiquement des données sur les populations de déplacés lors des crises pour surveiller leurs mouvements et leurs besoins. Elle combine pour cela quatre « composants » qui peuvent être déployés en quelques jours (OIM, 2017a) : (1) suivi des mobilités des déplacés au sein d’aires géographiques ; (2) surveillance des flux de déplacés à des points de passage ; (3) enregistrement des déplacés ; (4) enquête auprès des déplacés. L’OIM mobilisa la Matrice pour la première fois en 2004 pour suivre et assister les déplacés internes de la Guerre d’Irak. Mais, l’organisation ne l’utilisa systématiquement qu’à partir de 2011 lors de diverses catastrophes naturelles et d’origines humaines dans les pays du Sud comme au moment de la révolution libyenne en 2011. Cette généralisation se fit avec l’aide de l’expertise de l’éditeur d’informatique « décisionnelle » SAS Institute à partir de 2013 et du cabinet d’audit et de consulting Deloitte en 2014. À la suite de la crise migratoire dite de la route des Balkans de 2015 et 2016, la Matrice fut étendue au suivi des flux migratoires transnationaux (Münstermann et Van Der Vorst, 2017 : 11). La portée de sa surveillance connut alors une forte extension : elle engloba soixante et onze pays et 47,6 millions de personnes en 2018 contre vingt-deux pays et 14,4 millions de déplacés en 2015 (OIM, 2019 : 32). Ne se réduisant plus aux déplacés internes, la Matrice rejoignit deux autres technologies de l’OIM qui ciblaient les migrants : le système d’information et d’analyse des flux migratoires MIDAS qui depuis 2009 permet à certains États du Sud de surveiller leurs frontières par les données ; l’application mobile MigApp qui depuis 2017 établit une connexion directe entre l’OIM et les migrants dits forcés ou irréguliers.
6 Notre argument est que ces trois technologies numériques convergent en un « agencement de surveillance » (Haggerty et Ericson, 2000 : 608) qui disciplinerait les mouvements incertains des populations de réfugiés, migrants et déplacés internes des pays du Sud. En effet, un agencement subsume des éléments hétérogènes pour les faire interagir en un ensemble fonctionnel (Haggerty et Ericson, 2000 : 610 ; Patton, 1994 : 158). Bien que composé de technologies distinctes, l’agencement les mobilise pour agir sur les populations qu’il cible selon une rationalité biopolitique et la production technocratique de données numériques. La biopolitique œuvre à « rationaliser les problèmes posés à la pratique gouvernementale par les phénomènes propres à un ensemble de vivants constitués en population » (Foucault, 2004a : 323). Elle identifie et surveille des populations pour pouvoir exercer sur elles « des régulations d’ensemble » (Foucault, 1994 : 179‑180). Cela intervient à travers des « mécanismes de sécurité » qui ciblent l’hygiène, la vaccination, l’éducation et le mouvement des populations pour préserver leurs vies et annuler l’emballement des événements des crises qui les entourent (Foucault, 1997 : 227 et 2004b : 22). Ces mécanismes fixent pour cela les populations dans des espaces de circulation stabilisés où elles adopteraient indirectement des conduites qui réduiraient l’aléatoire des flux d’information, de mouvement et de maladie qui en émanent (Foucault, 2004b : 49‑50). Mais en associant ces mécanismes avec les plus récentes pratiques technocratiques qui standardisent, systématisent et dépersonnalisent la production de données numériques, l’agencement ne se limiterait pas à la généralité des populations. Il établirait les profils socioéconomiques et biologiques des individus qui les composent pour les connaître et les suivre de manière plus exhaustive. Et il mettrait en place des connexions numériques qui les cibleraient à distance.
7 L’agencement multiplierait ainsi ses points de contact avec la réalité pour aussi bien harmoniser les espaces de circulation des populations que pour identifier précisément leurs individus imprédictibles et susceptibles de perdre leurs vies. Il délimiterait pour cela des « espaces cognitifs » (base de données, carte interactive, logiciel d’analyse, application mobile) et des « espaces physiques » (camps, sites de la mobilité institutionnalisée, points d’entrée et de sortie des territoires) qui captureraient et relâcheraient les déplacés et leurs données en cinq étapes de surveillance (Haggerty et Ericson, 2000 : 608 ; Bogard, 2006 : 100‑101) : (1) observation des déplacés pour leur assigner des caractéristiques stables et les arrimer à des espaces surveillés ; (2) standardisation des données pour quantifier la population transnationale de déplacés et isoler ses régularités ; (3) application de mécanismes de sécurité sur les populations des camps ; (4) capture disciplinaire des individus par la biométrie ; (5) capture responsabilisante des individus par l’enquête et la connexion numérique.
8 L’article contribue au débat sur le projet de la révolution des données (Mayer-Schönberger et Cukier, 2013 ; Kitchin, 2014) en soulignant la combinaison qu’il implique entre biopolitique et pratiques technocratiques pour surveiller les populations précaires du Sud. L’article situe d’abord la révolution des données dans un processus de numérisation technocratique des interventions sur ces populations. Ce processus transforme la rationalité biopolitique pour produire une logique de surveillance plus intense et capillaire. L’article analyse ensuite les cinq étapes de surveillance en s’appuyant sur la littérature grise générée par les technologies de l’OIM : cadre méthodologique de la Matrice qui « guide » ses usages (OIM, 2017a) ; formulaires d’entrée des données utilisés par les agents locaux de l’OIM ; tableaux Excel listant les données collectées ; et diverses fiches d’information, brochures et vidéos promotionnelles. La conclusion précise le caractère original de l’agencement et l’autorité qu’il confère à l’OIM, malgré l’incertitude qui entoure l’utilité de ses données. Elle indique enfin que la gestion humanitaire des frontières qu’il matérialiserait n’a pas vocation à s’appliquer aux États du Nord.
Révolution des données, pratiques technocratiques et rationalité biopolitique
9 Certains auteurs soutiennent le rôle efficace des données dans la résolution des « problèmes » posés à la pratique gouvernementale (Verhulst et al., 2019 : 1). Mais, d’autres situent ce rôle dans un processus de numérisation des interventions sur les populations précaires du Sud suite à plusieurs de leurs échecs. Richmond et Tellidis identifient l’entrée en crise depuis le 11 septembre 2001 d’un modèle « analogique » de l’international fragilisé par l’accélération des échanges, des mobilités et du progrès technologique. La souveraineté étatique, la rationalité géopolitique, la citoyenneté territoriale et le système bureaucratique multilatéral qui le caractérisent sont dorénavant impuissants pour stabiliser l’ordre international issu du XXe siècle (Richmond et Tellidis, 2020 : 936). En dépit des efforts dits de consolidation de la paix, de reconstruction d’États faillis et de développement durable, les crises des années 2000 et 2010 (en Afghanistan, Irak, Libye, Syrie, Haïti, etc.) s’enlisent sans résolution définitive tout en produisant des mouvements de populations soudains et chaotiques. Les interventions analogiques se contentent alors de gérer des millions de déplacés « indésirables » (Agier, 2008 : 13) tout en ignorant les spécificités, connaissances et besoins locaux. Leurs inadéquations résultent également de la déconnexion physique qu’elles impliquent entre les acteurs du champ humanitaire et les populations précaires (Broome et Seabrooke, 2012 : 6 ; Duffield, 2010 : 471).
10 Ces ratés ont suscité des tentatives de réforme (Richmond et Tellidis, 2020 : 940). Duffield (2001 : 310 et 2016 : 148) souligne l’émergence progressive d’un nouveau type d’interventions qui, ne se souciant plus tellement des États du Sud, vise à agir sur les conduites de leurs populations. Ainsi, le projet de la révolution des données a pour ambition de « mieux » accéder à ces populations grâce à l’efficacité supposée des pratiques technocratiques de production des données numériques. Ce projet signifie que les interventions ne seraient plus soucieuses d’intimer un contrôle hiérarchique, de respecter des considérations juridiques ou géopolitiques, et de suivre des procédures bureaucratiques rigides (Ginty, 2012 : 289‑290). Elles définiraient plutôt les « problèmes » qui émergent de la réalité selon des termes techniques. Puis elle les résoudrait en créant des systèmes d’information qui établiraient, de manière dépersonnalisée et distanciée, des connexions en réseau entre acteurs humanitaires et populations précaires rendues visibles (Mulder et al., 2016 : 2‑3 ; Jacobsen et Sandvik, 2018 : 1509 ; Gabay et Ilcan, 2017 : 477). Toutefois, la révolution des données ne se réduirait pas à ses pratiques technocratiques. Son souci de préservation de la vie des populations affectées par les crises l’inscrit dans une rationalité biopolitique. Mais, en s’appuyant sur les plus récentes avancées dans la capture numérique, systématisée et bon marché de la réalité, cette rationalité s’en retrouve transformée.
11 En effet, la biopolitique ne peut être analysée indépendamment des pratiques de production de l’information par lesquelles elle détermine les caractéristiques des populations et les risques qu’elles courent (Foucault, 1994 : 178‑179). Foucault notait que la biopolitique qui émergeait à partir du XVIIIe siècle s’appuyait sur les estimations statistiques tirées de données analogiques concernant la mortalité d’une population inscrite dans un territoire national à aménager (Foucault, 1997 : 227). Elle appréhendait donc cette population comme un phénomène macroscopique à insérer tout entier dans une série d’événements mathématiquement probables (Foucault, 2004b : 64). Mais, les pratiques technocratiques de production des données numériques permettraient dorénavant de connaître une population transnationale qui ne se résume pas à un espace délimité par la citoyenneté nationale (Reubi, 2018 : 89‑90). Et elles rendraient possible de capturer précisément parmi cette population l’individu qui risquerait de perdre sa vie. La biopolitique ne se réduirait ainsi plus à la population. Elle investirait exhaustivement l’individu qui échappait auparavant aux mécanismes de sécurité (Macmillan, 2010 : 49‑50). La biopolitique s’accompagnerait alors, notamment dans des espaces plus restreints, de modalités disciplinaires d’action sur les individus (Barry, 2019 : 369).
12 C’est pourquoi la rationalité biopolitique et les pratiques technocratiques de production des données produiraient ensemble une logique de surveillance plus intense et capillaire des populations de déplacés du Sud. Les technologies de l’OIM illustrent cela ; elles convergent en un agencement qui délimite des espaces cognitifs et physiques pour capturer et relâcher les populations et leurs individus en cinq étapes de surveillance.
Observation des déplacés pour leur assigner des caractéristiques stables et les arrimer à des espaces surveillés
13 Lors de la première étape, l’agencement ne façonne pas encore les déplacés qui lui préexistent (Haggerty et Ericson, 2000 : 608). Il se borne à capturer les multiples flux qui en émanent dans l’espace et le temps en produisant des données, volumineuses et censément « à hauteur de la diversité du réel » (Rouvroy et Berns, 2013 : 172). Cette récolte soutenue des données remédierait aux défauts des interventions analogiques déconnectées des populations et des connaissances locales. Mais la surveillance ne fait pas qu’observer, décrire et dénombrer les déplacés pour mieux les connaître et les désagréger en différents types de données (Haggerty et Ericson, 2000 : 612). Elle introduit d’ores et déjà des freins cognitifs à l’incertitude qui les entoure. Elle arrime les déplacés à un espace a priori chaotique de circulation, mais qu’elle maille d’aires géographiques bornées où le « in and out movement is routinely captured » (OIM, 2017a : 4). Et elle leur assigne un ensemble de caractéristiques sociodémographiques stables dans le temps qui réduisent l’hétérogénéité de leurs expériences. C’est la double opération effectuée par les deux premiers composants de la Matrice : « suivi des mobilités » et « surveillance des flux ».
14 Le suivi des mobilités produit des estimations quantitatives sur la présence d’un ensemble de déplacés plus ou moins immobilisés dans une aire géographique spécifique (village, bâtiment, quartier, camp, unité du découpage administratif national) (OIM, 2017a : 3). Pour cela, 4 000 agents locaux de l’OIM, assistés de 200 techniciens et d’une équipe de soutien basée à Genève (OIM, 2018b), récoltent des données à partir : d’entretiens directs ou téléphoniques avec des informateurs clés (fonctionnaires, notables, humanitaires, routiers, individus déplacés) ; de discussions avec des groupes tests ; de l’observation directe sur le terrain (OIM, 2017a : 3). Ces agents complètent à l’aide de tablettes tactiles des formulaires numériques qui enregistrent de manière quotidienne, hebdomadaire ou (bi)mensuelle un profil de l’aire géographique observée (cf. Figure 1). Ce profil apprécie le nombre d’individus et de ménages déplacés vivant et circulant dans l’espace préalablement délimité, cartographié et géoréférencé (OIM, 2017a : 5). L’estimation détermine aussi leurs âges et sexes, et identifie les plus précaires parmi eux (femmes enceintes, mineurs non accompagnés, personnes handicapées et âgées) (OIM, 2015a : 2). Elle spécifie enfin les provenances des déplacés, les raisons et les dates de leurs mouvements, l’emplacement, le type et l’accessibilité de leurs abris, leurs accès à l’aide humanitaire, et leurs besoins en eau potable, en aliments, en soins, en éducation et en sécurité (OIM, 2017a : 4‑5). Lorsque les déplacés observés sont au contraire en plein mouvement soudain et incertain, la surveillance des flux de la Matrice est enclenchée pour dériver des estimations quantitatives à intervalles plus fréquents (toutes les heures ou quotidiennement) (OIM, 2017a : 3). L’OIM établit pour cela des « points de surveillance » sur le territoire où ses agents locaux contactent des informateurs clés, des déplacés ou observent directement : le type du flux et sa direction ; le nombre d’individus et de ménages en mouvement ; leurs nationalités, âges et sexes ; le type et les raisons de leurs mobilités, leurs destinations ; leurs moyens de transport ; leurs « intentions » une fois arrivés à destination (OIM, 2017a : 6‑7).
Figure 1 : Extrait du formulaire de récolte des données de la Matrice
Figure 1 : Extrait du formulaire de récolte des données de la Matrice
15 Par ses deux composants, la Matrice couvre simultanément et de manière répétée des milliers d’aires géographiques à travers plusieurs pays. Par exemple, la quantification des déplacés internes et rapatriés en Libye nécessita, pour les mois de juillet-août 2018, la récolte d’informations sur 759 territoires pour suivre les mouvements d’une population estimée à 575 000 individus (OIM, 2018a). Néanmoins, l’amas de données brutes produit à cette étape n’a pas encore vocation à guider d’éventuelles interventions sur les populations de déplacés. Issu de contextes locaux hétérogènes et de l’observation humaine, qui serait imprécise lorsque le territoire surveillé est vaste (OIM, 2017a : 4), il nécessite un traitement qui le rendrait intelligible et censément objectif.
Standardisation des données pour quantifier la population transnationale de déplacés et isoler ses régularités
16 Après l’observation des déplacés, la surveillance standardise dans une seconde étape la capture des données qui en émanent pour les transformer en information à travers divers centres de calculs (Haggerty et Ericson, 2000 : 613). Les déplacés sont alors abstraits de leurs localisations territoriales pour que leurs données soient relâchées dans des espaces numériques où la standardisation peut jouer à plein pour les rendre homogènes et comparables (Haggerty et Ericson, 2000 : 608). Cela implique de produire de manière systématique des listes qui compilent, recoupent et relient les données produites à l’étape précédente. Cette standardisation doit notamment suggérer que les observations singulières, imparfaites et hétérogènes portant sur des individus distincts et imprédictibles concerneraient en réalité un seul et même fait social : la population transnationale de déplacés. Malgré sa complexité imposante, la surveillance standardisée serait capable d’approximer sa grandeur à partir d’un point de vue distancié, englobant et impersonnel que les crises soudaines ne peuvent perturber (Desrosières, 1993 : 92). Les données de cette population censément homogène peuvent ensuite être scrutées pour déterminer des stratégies d’intervention à l’aune d’un « déterminisme statistique » qui ignore l’ambiguïté du réel (Desrosières, 2014 : 166 ; Haggerty et Ericson, 2000 : 613). C’est ainsi que la standardisation des données de la surveillance lui procurerait une « inertie inévitable » (Bowker et Star, 1999 : 117) face à l’incertitude des mouvements des déplacés.
17 La standardisation concerne d’abord les formulaires utilisés par les agents de l’OIM pour alimenter la Matrice. Ils sont produits automatiquement et uniformément grâce à des experts en « gestion de la connaissance » détachés à titre gracieux en 2014 par Deloitte [4] (OIM, 2013). Les données récoltées remontent ensuite des différents territoires où la Matrice est déployée vers un « Central Data Warehouse » (CDW). Cette base de données constitue le lieu déterritorialisé, mais structuré où l’accumulation informe de données sur les flux qui émanent de populations hétérogènes est relâchée pour être harmonisée et simplifiée. Les experts de Deloitte conçurent le dictionnaire du CDW pour remédier à toute ambiguïté issue du réel (Quesada, 2016). Il doit aligner les compréhensions et les pratiques de tous ceux qui alimentent et font usage de la Matrice. Il définit pour cela succinctement les catégories de la Matrice (déplacé interne, rapatrié, migrant, réfugié, sexe, âge, etc.), les manières de les mesurer et de les classifier (Anderson, 2018 ; OIM, 2017a). L’équipe de soutien de la Matrice procède ensuite à ses « data processing and analysis activities » ; elle nettoie et affine les données issues du terrain par des vérifications automatiques et manuelles des écarts, redondances ou aberrations avec le dictionnaire (OIM, 2015c : 2 et 2018b : 2). Cela débouche sur la production de jeux de données censément brutes (« raw datasets ») qui, pour chaque round d’observation, traduisent les formulaires des agents locaux de l’OIM d’un pays donné en tableaux Excel uniformisés et accompagnés d’un dictionnaire pour guider leurs lectures. Les milliers de lignes de ces tableaux listent les territoires observés (chacun identifié par un code, une latitude et longitude) alors que les colonnes présentent à l’aide de valeurs (non)numériques les diverses caractéristiques des individus surveillés (cf. Figure 2).
Figure 2 : Liste des déplacés internes surveillés par la Matrice en Irak
Figure 2 : Liste des déplacés internes surveillés par la Matrice en Irak
18 Les jeux de données sont ensuite transférés vers la page d’accueil du site Internet de la Matrice (OIM, 2017b). Elle affiche notamment une carte interactive du monde, de l’éditeur étatsunien de « systèmes d’information géographique » ESRI, sur laquelle sont inscrits les nombres, localisations et causes des mouvements des déplacés. Cette carte que l’utilisateur peut agrandir ou minimiser, ce qui établit une continuité linéaire et univoque entre la précision du particulier et la généralité de l’ensemble (Latour, 2007 : 261), est accompagnée d’un compteur décimal à huit chiffres. Il dénombre l’ensemble de ce qui est présenté comme la population transnationale de déplacés que la Matrice suivrait, et non plus simplement estimerait, durant l’année en cours. Mais, les jeux de données ne constitueraient pas seulement cette population. Ils permettraient de déterminer des stratégies systématiques pour agir sur elle. En effet, le logiciel SAS Visual Analytics traite les jeux de données, pour produire des connaissances opérationnelles et stratégiques qui guideraient les interventions de l’OIM. SAS Institute mit son logiciel à disposition de l’OIM à titre gracieux à la suite du typhon Haiyan de 2013 aux Philippines [5]. Il analyse les données de la Matrice à l’aide de méthodes de la statistique descriptive et sans hypothèses préalables pour censément éviter toute forme de subjectivité (Rouvroy et Berns, 2013 : 170). Le logiciel irrigue ensuite de manière dépersonnalisée l’équipe de soutien de la Matrice en distributions, moyennes, variations et pourcentages divers visualisés à l’aide de tableaux, de graphiques et de cartes interactives (Business Wire, 2014). L’équipe saisirait alors cognitivement, à distance et rapidement les aires qui ont le plus besoin d’eau potable, de nourriture et de soins, ou qui sont surpeuplées et composées d’individus particulièrement fragiles (SAS Institute, 2015b : 45s). Le logiciel scrute aussi les jeux de données sur plusieurs années et pays pour isoler des corrélations typiques des crises comme celle entre distribution irrégulière de nourriture, tensions entre déplacés et « communautés d’accueil », et cas de viols et de tentatives de viol. Ce traitement « historique » des jeux de données capturerait des régularités de la population de déplacés et permettrait à la Matrice de « quickly spot unusual trends and therefore predict issues before they emerge » (Hsieh, 2015).
Application de mécanismes de sécurité sur les populations des camps
19 Cette identification prédictive d’irrégularités doit notamment permettre à la Matrice de corriger les caractéristiques « problématiques » des regroupements « spontanés » ou « organisés » de déplacés comme le prévoit le Cadre opérationnel en cas de crise migratoire (OIM, 2012 : 3‑4). L’enjeu de la troisième étape de la surveillance est de capturer les déplacés présents dans ces lieux mi-clos pour préserver leurs vies et remédier aux causes de leurs mouvements désordonnés. Mais à cette étape, la surveillance n’agit pas encore directement sur les déplacés pour les discipliner et codifier les comportements interdits dans un camp qui serait parfaitement clos et quadrillé. Elle se focalise plutôt sur la transformation de la réalité physique de l’espace de vie et de circulation de ces populations de déplacés par des mécanismes de sécurité (Foucault, 2004b : 48‑49). Le camp doit être doté de ressources nécessaires pour les préserver et il doit accueillir la récolte et la circulation fluides des données pour anticiper leurs besoins (Rouvroy et Berns, 2013 : 172 ; Haggerty et Ericson, 2000 : 613). La surveillance établit pour cela un maillage numérique des camps pour qu’une action distanciée, mais systématique puisse enclencher le mécanisme de sécurité qui corrigerait tel ou tel risque qui pèse sur les vies des déplacés.
20 C’est pourquoi les « découvertes » de SAS Visual Analytics sont systématiquement transférées vers les tablettes des experts des secteurs d’assistance de l’OIM et vers d’autres acteurs humanitaires présents dans les camps (SAS Institute, 2015b : 1min30s). Cette transmission descendante et dépersonnalisée guide à distance l’application de mécanismes de sécurité. Par exemple, la présence d’une part inhabituelle d’enfants en bas âge doit conduire à la distribution de produits alimentaires et d’hygiène adaptés par le secteur « Nutrition » pris en charge par l’UNICEF (Goodnight, 2015). Alors que l’absence d’abris en tôle lors de l’approche de la saison des pluies doit enjoindre à l’OIM d’importer les matériaux de construction nécessaires du marché international le plus proche (SAS Institute, 2015a : 2min17s). Enfin, la prévalence de symptômes de fièvres, de diarrhées et de maladies de la peau doit être annoncée au secteur « Santé » de l’Organisation mondiale de la santé pour prescrire des médicaments (Business Wire, 2014). L’enclenchement opportun de ces mécanismes de sécurité dépendrait donc de la capacité de l’OIM de « flag issues to other agencies » (SAS Institute, 2015b : 1min6s). Pour tenir son rang de co-cheffe du secteur « Coordination et gestion des camps » et englober les divers intervenants dans les camps, l’OIM recourut une fois encore en 2014 à l’expertise de standardisation de Deloitte (2013). Il appliqua la méthode de gestion d’entreprise de la « cartographie des processus » qui modélisa sous forme de diagramme le système d’information de la Matrice au sein des camps pour identifier des chevauchements et des absences d’échange des données entre les acteurs humanitaires (Deloitte, 2015). La « vue à vol d’oiseau » qui en découlerait optimiserait la circulation des données pour capturer plus rapidement l’espace du camp, fixer les responsabilités des uns et des autres, et éviter des lacunes dans la disponibilité des données (Pluto et Hirshorn, 2003 : 1). Par exemple, face au phénomène des violences à caractère sexuel, la cartographie de Deloitte souligna le besoin pour l’OIM de transmettre les données sur le nombre de kits de traitement post-exposition au VIH présents dans les camps aux ONG chargées d’assister les victimes (Deloitte, 2015).
Capture disciplinaire des individus par la biométrie
21 Mais, la surveillance ne se contente pas de telles actions distanciées et simplifiées sur les populations de déplacés. Sa quatrième étape cherche à capturer directement leurs individus pour les discipliner et conditionner leur relâche durable dans un espace plus large de circulation ordonnée(Haggerty et Ericson, 2000 : 613). Si la surveillance se souciait de rendre intelligible et prédictible l’objet macroscopique de la population de déplacés, elle chercherait dorénavant à traduire le microscopique de l’individuel en « information pure » par la biométrie (Haggerty et Ericson, 2000 : 613). Cette mesure de la vie individuelle se révèle nécessaire, car le travail statistique de quantification de la surveillance fait face à une tension. Les régularités de la population qu’il isole subsument des imprévisibilités de l’individu déplacé sans les annuler tout à fait (Desrosières, 1993 : 95). Pour surveiller l’individu d’où l’imprévu émergerait et le fixer à des traits physiologiques et comportementaux uniques, inaltérables et permanents (Ajana, 2013 : 3), la multiplicité des populations de déplacés doit être désagrégéeen « doubles en données » d’individus réels (Haggerty et Ericson, 2000 : 613). Cela permet ensuite à la surveillance d’appliquer et de vérifier des discriminations précises parmi les populations de déplacés (Haggerty et Ericson, 2000 : 614). Les doubles en données deviennent des mots de passe qui conditionnent et contrôlent régulièrement les pratiques des individus réels (Deleuze, 1990 : 244). La surveillance veille alors à déterminer les individus éligibles aux ressources réservées aux précaires au sein d’un camp. Mais elle contrôle surtout l’accès des déplacés à un espace transnational de circulation ordonnée. En effet, la surveillance des doubles en données conduit in fine à la « relocalisation directe et physique » (Haggerty et Ericson, 2000 : 613) de leurs pendants réels.
22 C’est à travers le troisième composant « enregistrement des déplacés » de la Matrice que la surveillance capture directement les déplacés présents dans les camps. L’OIM justifie le recours à l’enregistrement biométrique par la lutte contre la fraude du double enregistrement (OIM, 2015b). L’enregistrement consiste ainsi en un entretien individuel exhaustif où l’interrogé doit dire la vérité sur lui-même selon une modalité disciplinaire tatillonne. Il doit livrer son nom, âge, sexe, nationalité, origine ethnique et religion, son point de départ, la date et la raison de son mouvement, son éducation et emploi, ses documents d’identité et son numéro de téléphone. L’enregistrement capture ensuite ses empreintes digitales et une photographie de son visage pour les emmagasiner dans une base de données dédiée. Cet enregistrement couvre des centaines de milliers d’individus à travers le monde, notamment au Soudan du Sud où il concernait plus de 700 000 personnes en 2018 (OIM, 2018d), et leur assigne des « cartes d’enregistrement » pour bénéficier de mécanismes de sécurité. Pour mieux les circonscrire dans les camps, des « exercices » vérifient régulièrement par la suite leurs identités et dernières localisations, s’ils disposent bien de leurs cartes et s’ils sont toujours éligibles à une assistance (OIM, 2018d).
23 Mais, l’usage de la biométrie ne se limite pas à l’espace restreint du camp que l’OIM doit à terme supprimer. Il s’étend aux opérations dites de relocalisation et de retours des déplacés prévues par la Matrice (OIM, 2017a : 8). Ces opérations s’appuient sur l’expertise « d’aide au transport » de l’OIM pour relâcher les individus capturés dans un espace en crise dans un autre plus stable. Elles évacuent, réinstallent ou rapatrient par air, mer et terre les déplacés à l’intérieur et à travers des frontières vers des lieux sûrs temporaires ou définitifs (OIM, 2012 : 4‑5). Ces opérations soumettent les déplacés à des rites de passage qui disciplinent leurs gestes : présentation d’un document de voyage valable, soumission à la vérification d’identité biométrique et à la collecte de données sur le voyage. Elles les cheminent ainsi à travers les sites de la mobilité institutionnalisée où la surveillance de leurs doubles en données conditionne, enregistre et filtre leurs entrées physiques dans un espace transnational de circulation ordonné. Ce conditionnement biométrique des mouvements individuels n’intervient pas directement par la Matrice. L’OIM vend depuis 2009 son système d’information et d’analyse des flux migratoires MIDAS à des institutions nationales de contrôle des frontières du Sud (une vingtaine au total en 2018 dont celles du Mali, du Soudan du Sud ou de la Somalie) (OIM, 2018c : 1). Cette technologie surveille en temps réel les points d’entrée et de sortie de frontières terrestres et aéroportuaires a priori poreuses et perturbées par les crises. Après vérification des documents de voyage à la « lumière blanche, ultraviolette et infrarouge », elle capture les données biométriques individuelles et les compare avec sa base nationale de données et la liste d’alertes d’Interpol (OIM, 2018c : 2). Elle suit également les individus une fois qu’ils traversent un point d’entrée. Elle distribue et enregistre leurs statuts de résidence et emmagasine leurs données pour les identifier lors de futurs mouvements (OIM, 2018c : 2).
Capture responsabilisante des individus par l’enquête et la connexion numérique
24 Cependant, la surveillance fait face à la difficulté de capturer directement les déplacés (notamment les migrants irréguliers) qui ne sont pas fixés dans des camps et que des frontières intelligentes ne peuvent identifier. Ces individus se meuvent comme s’ils ne font pas partie de l’objet collectif qu’est la population censément homogène de déplacés, ils risquent alors de dérégler sa prédictibilité (Foucault, 2004b : 45). Étant des individus à risque, indéterminés et inaccessibles aux mécanismes de sécurité, la surveillance cherche à les atteindre et à les responsabiliser dans une cinquième étape par le recours aux enquêtes et l’établissement à distance de connexions numériques.
25 Ainsi, le quatrième composant de la Matrice « enquête auprès des déplacés » cherche à connaître ces individus à hauteur de leur « micro-niveau » (Lanfranchi, 2018) en intégrant leurs motivations et intentions à la surveillance. En 2016, l’équipe de soutien de la Matrice conçut un « Modèle global d’enquête sur les flux migratoires » pour atteindre ces individus « cachés ». C’est un questionnaire destiné aux migrants irréguliers qui aborda huit thématiques pour les connaître exhaustivement : profil sociodémographique, routes migratoires, financement du voyage, rôle des intermédiaires, facteurs de vulnérabilité, facteurs de prise de décision, rôle de la diaspora, perceptions de l’Europe (Münstermann et Van Der Vorst, 2017 : 12). Elles furent déclinées en quarante-trois questions administrées lors d’une enquête en février 2017 à un échantillon, constitué par la méthode de la boule de neige [6], de 7 248 Afghans et Pakistanais aux (im)mobilités diverses : résidents dans le pays d’origine ; potentiels migrants ; migrants traversant la route des Balkans ; migrants arrivés à destination ; familles de migrants restées au pays d’origine ; rapatriés (Münstermann et Van Der Vorst, 2017 : 12). Les résultats de l’enquête démontraient que les privations, les violences des passeurs et trafiquants, et les expulsions forcées menaçaient la vie des migrants irréguliers. Au regard de ces périls, « la plupart » des interrogés ne réitéreraient pas l’expérience migratoire et ne la conseilleraient pas à leurs proches (Münstermann et Van Der Vorst, 2017 : 13). Toutefois, l’enquête ignorait les structures qui sous-tendent les périls pesant sur ces individus précaires et en situation d’exception (Mbembe, 2006 : 29). Elle présupposait que la migration résulte d’une décision individuelle et qu’elle dépend « on the individual’s resources, aspirations and capabilities » (Münstermann et Van Der Vorst, 2017 : 13). C’est pourquoi de nombreuses questions de l’enquête s’intéressaient aux préconceptions et informations dont les interrogés disposaient avant leurs migrations irrégulières et si elles se seraient révélées correctes avec le recul (Van Der Vorst, 2017 : 13) :
« Did you make the decision to migrate yourself? (if not, whom did); Did you discuss your potential migration with others? (if yes, with whom); Where, what, from whom [did you have] information about Europe?; Did friends and/or family provide information on Europe?; What type of information was provided by friends and/or family in Europe?; Do you know and can you explain what an asylum procedure is?; Where did you obtain information regarding asylum procedures?; Did you decide upon a destination before departure?; Expectations before arriving in final destination country?; Would you advise others to migrate? (why or why not); Would you migrate again? »
27 Ces questions laissaient entendre que seul le choix individuel bien informé éviterait les mouvements périlleux. La Matrice reprenait ici les codes des enquêtes de la surveillance médicale qui cherchent à identifier les risques sanitaires qui pèsent sur des individus seuls responsables de leur santé (Reubi, 2018 : 91). L’enquête constitue donc un outil de capture cognitive et de responsabilisation d’un type d’individu inaccessible à la surveillance. Elle incite ce dernier à rejoindre la population transnationale de déplacés, prédictible et soumise à des interventions salutaires.
28 Avec l’espoir d’intégrer 1 million de ces déplacés cachés dans une surveillance qui les responsabiliserait, l’OIM acquit en 2017 l’application mobile MigApp de l’entreprise d’informatique Kony (OIM, 2017d). Cet espace numérique établit une connexion numérique directe qui capturerait les individus en plein mouvement incertain pour placer le choix et la responsabilité de se rendre visibles et assistés « at their finger tips » (OIM, 2017d : 1). Pour utiliser l’application, ils doivent fournir des informations personnelles authentiques (nom, prénom, sexe, âge, nationalité, lieu actuel de résidence, numéro de téléphone, adresse email, identifiants Skype ou Facebook) et leurs géolocalisations [7]. Les doubles en données des utilisateurs accèdent alors à divers « services » qui saisiraient les individus réels et corrigeraient leurs mobilités : informations sur les risques encourus et les conditions de circulation légale ; témoignages d’anciens migrants irréguliers ; consultations pour examens médicaux ; ligne directe d’aide contre le trafic d’êtres humains ; assistance pour demander un visa et obtenir des billets d’avion à prix réduit ; enregistrement des documents de voyages ; programmes d’aide au retour dit volontaire de l’OIM. L’application alimente ainsi l’organisation en « anonymized registration data » qui sont analysées pour identifier des tendances parmi ces individus cachés (OIM, 2017d : 1). Et si ces derniers étaient en danger de mort, elles sont transmises aux autorités et ONG pour les capturer physiquement [8].
Conclusion
29 Cet article a examiné l’agencement par lequel l’OIM surveille les populations de déplacés du Sud. Son originalité ne réside pas dans les systèmes (informatique, logistique, sanitaire), pratiques (humanitaire, gestion d’entreprise, contrôle policier des frontières, enquête sociologique), technologies (base de données, scanneurs biométriques, application mobile) et acteurs (non étatiques et étatiques) qui le composent. Elle se situe plutôt dans la convergence qu’il cherche à établir entre ces éléments distincts et hétérogènes pour les faire fonctionner en un ensemble rendu fonctionnel par la rationalité biopolitique et la production technocratique de données numériques. Mais, la complexité de l’agencement induit une production de données qui semble submerger l’OIM et dont l’utilité est incertaine. C’est ce que suggéra le coordinateur de l’OIM pour le secteur « Coordination et gestion des camps » et futur coordinateur de la Matrice, Nuno Nunes, lorsqu’il présenta cette dernière à un parterre onusien en 2016 : « We have lots of data in most circumstances and we need to figure out what to do out of that data » (UN Web TV, 2016 : 1h59min57s). Alors pourquoi l’OIM investit-elle dans cet agencement malgré tout ?
30 D’abord, il permet à l’organisation, que certains décrivent comme opportuniste et entrepreneuriale (Bradley, 2020 : 8 ; Pécoud, 2020 : 11), d’accéder sans frais à des ressources techniques externes comme celles de SAS Institute et Deloitte. Mais, l’OIM est avant tout une bureaucratie dont l’autorité dépend de sa capacité à effectuer des tâches de manière experte (Barnett et Finnemore, 2004 : 24). L’organisation peut s’appuyer sur l’agencement a priori technique, neutre et efficace pour légitimer ses interventions dans un champ humanitaire qui ne relève pas historiquement de ses prérogatives. L’agencement ne renforce pas seulement la position de l’OIM en tant qu’un des principaux producteurs de données sur les populations de déplacés [9]. Il lui permet de s’arroger le rôle central de celui qui détermine systématiquement où, quand, et quelles actions, les autres acteurs du champ humanitaire (notamment ceux des clusters onusiens) devraient mettre en œuvre. L’OIM éviterait ainsi toutes négociations ambiguës, et qui limiteraient son autorité, avec les hésitations, expériences, interprétations et objectifs divergents de ces acteurs.
31 L’agencement confère également une autorité morale à l’OIM. Face aux situations où les mouvements des populations de déplacés relèvent d’une question de vie ou de mort, l’organisation peut présenter ses interventions comme autant d’actes de charité protectrice (Walters, 2010 : 145). En s’appropriant les pratiques humanitaires, l’OIM les dépolitiserait et les circonscrirait toutefois qu’à certains territoires périphériques et en crise de la mondialisation pour contenir les mouvements de populations qu’ils produiraient (Heller et Pécoud, 2017 : 81 ; Walters, 2010 : 146). Ainsi, l’agencement ne se focalise que sur les populations et les États du Sud pour leur assigner une position subalterne de cibles de la surveillance ou de réceptacles de technologies clés en main. La gestion humanitaire des frontières que l’agencement matérialiserait pour faciliter les mouvements des déplacés n’a pas vocation à s’appliquer aux États du Nord. Elle ne remettrait pas en cause leurs politiques de sécurisation des frontières auxquelles l’OIM participe (par exemple, en renvoyant les migrants qu’ils jugent indésirables) et qui peuvent conduire les déplacés à risquer leurs vies (Heller et Pécoud, 2017 : 64).
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Mots-clés éditeurs : déplacement de population, numérique, humanitaire, biopolitique, surveillance
Date de mise en ligne : 24/10/2022.
https://doi.org/10.4000/remi.21420Notes
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[1]
Cette approche onusienne consiste en onze clusters (santé, sécurité alimentaire, nutrition, éducation, etc.) (co)dirigés chacun par une organisation internationale.
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[2]
Ces activités accaparèrent 473 millions de dollars US sur 956 en 2018 que les États du Nord financèrent en majorité (OIM, 2017c : 24).
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[3]
L’OIM se félicitait, par exemple, d’avoir « aidé » les autorités tunisiennes à garder les frontières ouvertes en 2012 avec la Libye en guerre civile pour faciliter « l’identification des personnes fuyant la crise » (OIM, 2012 : 8).
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[4]
Les ressources techniques offertes par Deloitte à l’OIM s’inscrivent dans le cadre de son « Humanitarian Innovation Program » qui depuis 2012 aide les acteurs humanitaires à protéger les populations affectées par les crises (Deloitte, 2021).
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[5]
L’assistance technique apportée par SAS Institute pour « moderniser » l’OIM entrait dans le cadre de ses activités philanthropiques où elle met son expertise dans l’analyse des données au service de questions humanitaires (SAS Institute, 2018).
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[6]
Avec cette méthode, les interrogés dirigent l’enquêteur vers d’autres potentiels participants à l’enquête. Cela permet de cibler une population difficile d’accès, mais sans constituer d’échantillon représentatif.
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[7]
Utilisation de l’application par l’auteur, novembre 2018.
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[8]
Cette transmission potentielle des données aux autorités et ONG est une condition qui est communiquée à l’utilisateur dès son premier accès à l’application à travers un document intitulé « conditions générales ».
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[9]
Par exemple, l’OIM s’appuya sur son statut autoproclamé de principal « fournisseur » et « détenteur » de données sur les déplacés internes pour influencer la conception d’un rapport onusien de 2021 sur cette population (OIM, 2021). Celui-ci préconisait d’agir sur elle par les données et citait notamment l’exemple de la Matrice. L’OIM estima alors que le rapport confortait son autorité.