Notes
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[1]
Voir le liminaire à ce dossier, supra.
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[2]
Cette pensée se poursuit et se développe de manière autre et singulière dans le Nouveau Testament, voir dans ce numéro l’article de Céline Rohmer, François Vouga, « Comment l’esprit pourrait-il ne pas être laïc ? Dialogue sur la compréhension de l’église de l’apôtre Paul », infra.
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[3]
Jan Assmann, Le prix du monothéisme, trad. Laure Bernardi, Paris, Aubier, 2007, p. 53-54, montre que l’opposition entre unicité et pluralité n’est pas pertinente pour parler des religions antiques. Ce qui définit le monothéisme est la négation des dieux « autres ». Assmann développe cette idée en interprétant la tradition de Moïse au moyen de la catégorie de « distinction mosaïque » (ibid., p. 17-52).
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[4]
Sur la place de la royauté dans l’Antiquité, voir André Lemaire (éd.), Prophètes et rois. Bible et Proche-Orient, Paris, Cerf, 2001 ; Arnaud Sérandour, « Religions du Proche-Orient ouest-sémitique ancien. Aspects de l’idéologie royale dans la Bible hébraïque », Annuaire de l’École pratique des hautes études. Sciences religieuses 107 (1998), p. 199-205 ; Jan Rückl, A Sure House. Studies on the Dynastic Promise to David in the Books of Samuel and Kings, Fribourg/Göttingen, Academic Press/Vandenhoeck & Ruprecht, 2016, p. 131-140.
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[5]
Mario Liverani, La Bible et l’invention de l’histoire. Histoire ancienne d’Israël, trad. Viviane Dutaut, Paris, Gallimard, 2010, p. 436-442 (p. 436).
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[6]
André Finet, Le code de Hammurapi, Paris, Cerf, 1973, p. 31.
-
[7]
André Barucq et al., Prières de l’Ancien Orient, Paris, Cerf, 1989, p. 73-75.
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[8]
Sur le culte d’Aton et la fonction d’Akhénaton, voir Ruth Schumann-Antelme, Stéphane Rossini, Dictionnaire illustré des dieux de l’Égypte, Monaco, Rocher, 2003, p. 71-78 ; Jan Assmann, « Monothéismes de l’Égypte ancienne », Le Monde de la Bible 110 (1998), p. 22-26 ; Id., Le prix du monothéisme, op. cit., p. 59 : « Ici, l’idée monothéiste et la violence théoclaste nous apparaissent comme caractéristiques d’un instant historique précis ; elles ont disparu avec lui et n’ont pas pu s’établir de façon durable. »
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[9]
J. Assmann, Le prix du monothéisme, op. cit., p. 95-124 ; Thomas Römer, « Moïse, héros de la diaspora. Enquête sur les aspects de la figure de Moïse reflétant, à l’époque perse, les préoccupations de la diaspora égyptienne », Transeuphratène 36 (2008), p. 141-153 ; Id., « La construction d’une “vie de Moïse” dans la Bible hébraïque et chez quelques auteurs hellénistiques », in George J. Brooke, Thomas Römer (éd.), Ancient and Modern Scriptural Historiography – L’historiographie biblique, ancienne et moderne, Louvain/Dudley, Mass., Leuven University Press/Peeters, 2007, p. 109-125.
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[10]
Stéphanie Anthonioz, « La destruction de la statue de Yhwh », Cahiers du cercle Ernest Renan 269, p. 1-20 (p. 9). Ce double mouvement du prisme d’Assurbanipal pourrait expliquer les raisons de la destruction de Jérusalem et probablement celle de la statue de Yhwh en raison d’une récidive de rébellion de la part de Juda.
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[11]
Les conquêtes de Jéricho et Aï, Jos 6,1-8,29 ; le renversement de l’autel de Baal, Jg 6,25-32 ; le combat du prophète Élie et des prophètes de Baal, 1 R 18,1-46 ; la destruction de la maison de Baal, 2 R 10,18-28. Voir Dany Nocquet, Le « livret noir de Baal ». La polémique contre le dieu Baal dans la Bible hébraïque et l’ancien Israël, Genève, Labor et Fides, 2004.
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[12]
Le site se situe à 50 km au sud-est de Qadesh Barnéa dans le Néguev et date du viiie siècle av. J.-C. : Christoph Uehlinger, « Une image de Yahvé et de son Ashérah ? », Le Monde de la Bible 110 (1998), p. 58-59.
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[13]
Christoph Uehlinger, « Was there a Cult Reform under King Josiah ? The Case for a Well-Grounded Minimum », in Lester L. Grabbe (éd.), Good Kings and Bad Kings, Londres/New York, T&T Clark, 2005, p. 279-316 ; Nadav Na’aman, « The King Leading Cult Reforms in his Kingdom : Josiah and Other Kings in the Ancient Near East », Zeitschrift für Altorientalische und Biblische Rechtsgeschichte 12 (2006), p. 131-168.
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[14]
Les textes bibliques, sauf indication contraire, sont issus de la TOB.
-
[15]
Pierre Grelot, Documents araméens d’Égypte, Paris, Cerf, 1972, p. 398-419 (p. 406-409). Signalons encore la destruction du temple samaritain du mont Garizim par Jean Hyrcan, roi judéen Asmonéen en 117 av. J.-C., temple considéré comme concurrent de celui de Jérusalem pour le culte de Yhwh, Dieu unique.
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[16]
Cela corrobore l’interprétation de J. Assmann, Le prix du monothéisme, op. cit., p. 53-60.
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[17]
1 S 8,1-22 ; 12,1-17 et plusieurs passages prophétiques prennent des positions critiques contre la royauté.
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[18]
Sur Dt 17 et son contexte, voir Jean-Marie Carrière, Théorie du politique dans le Deutéronome : analyse des unités, des structures et des concepts de Dt 16,18-18,22, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 2001 ; J. Rückl, A Sure House, op. cit., p. 295-318.
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[19]
J. Assmann, Le prix du monothéisme, op. cit., p. 95-138.
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[20]
M. Liverani, La Bible et l’invention de l’histoire, op. cit., p. 275-290 (p. 278-282), appelle le vie siècle « l’époque axiale ». Voir également Thomas Römer, L’invention de Dieu, Paris, Seuil, 2014 ; Dany Nocquet, « Le Dieu unique et les autres. Esquisse de l’évolution religieuse de l’ancien Israël », Cahiers Évangile 154 (2010), p. 3-58.
-
[21]
René Labat et al., Les religions du Proche-Orient asiatique. Textes babyloniens, ougaritiques, hittites, Paris, Fayard/Denoël, 1970, p. 71-72, références n. 2, CT et KB VI/2, p. 113-119. Certains assyriologues pensent que cette idée d’unicité commence avec le dieu Assour, en tant que divinité suprême de l’Empire, devenant la divinité englobant les autres : Simo Parpola, « The Assyrian Tree of Life : Tracing the Origins of Jewish Monotheism and Greek Philosophy », Journal of Near Eastern Studies (1993), p. 161-208.
-
[22]
R. Labat et al., Les religions du Proche-Orient asiatique, op. cit., p. 71 : Enuma Elish, tablette VI, v. 119-120.
-
[23]
Pierre Lecoq, Les inscriptions de la Perse achéménide. Traduit du vieux perse, de l’élamite, du babylonien et de l’araméen, Paris, Gallimard, 1997, p. 187-189.
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[24]
Le livre d’Ézéchiel (Ez 8-11) décrit symboliquement ce que représente la chute de Jérusalem : la ville est abandonnée par la divinité tutélaire, ce qui est illustré par le départ de la gloire de Yhwh du temple.
-
[25]
Sur l’aniconisme biblique, voir Karel Van der Toorn, « The Iconic Book. Analogies between the Babylonian Cult of Images and the Veneration of the Torah », in Id. (éd.), The Image and the Book. Iconic Cults, Aniconism, and the Rise of Book Religion in Israel and the Ancient Near East, Louvain, Peeters, 1997, p. 229-248 ; Reinhard Achenbach, « The Empty Throne and the Empty Sanctuary : From Aniconism to the Invisibility of God in Second Temple Theology », in Nathan MacDonald (éd.), Ritual Innovation in the Hebrew Bible and Early Judaism, Berlin/Boston, De Gruyter, 2016, p. 35-53 ; Adrian Schenker, « La profanation d’images cultuelles dans la guerre. Raisons explicites et raisons implicites de l’aniconisme israélite dans les textes de la Bible », Revue biblique 108/3 (2001), p. 321-330.
-
[26]
J. Assmann, Le prix du monothéisme, op. cit., p. 139-168, 191-193 : il s’agit selon l’auteur d’un basculement fondateur qui permit à l’humanité de grandir. Assmann nuance son approche lors de publications ultérieure, voir infra n. 28.
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[27]
Eckart Otto, Deuteronomium 1-11, vol. I, 1,1-4,43, Fribourg/Bâle/Vienne, Herder, 2012, p. 508-592 (p. 563-566) ; Id., « Deuteronomium 4 : Die Pentateuchredaktion im Deuteronomiumrahmen », in Timo Veijola (éd.), Das Deuteronomium und seine Querbeziehungen, Helsinki/Göttingen, Finnische Exegetische Gesellschaft/Vandenhoeck & Ruprecht, 1996, p. 196-222 ; Françoise Laurent, « De l’incomparable, de l’unique. “C’est le Seigneur qui est Dieu.” Dt 4,1-40 », in Eberhard Bons, Thierry Legrand (éd.), Le monothéisme biblique. Évolution, contextes et perspectives, Paris, Cerf, 2011, p. 71-90.
-
[28]
Jan Assmann, « Exodus and Memory », in Thomas E. Levy, Thomas Schneider, William H. C. Propp (éd.), Israel’s Exodus in Transdisciplinary Perspective. Text, Archaeology, Culture, and Geoscience, New York, Springer, 2015, p. 3-15.
-
[29]
Le livre d’Ézéchiel est attentif à la dimension commune et répétitive des chutes de Samarie et Jérusalem, comme l’atteste Ez 23 : ce chapitre présente Samarie et Jérusalem comme deux sœurs, Ohola et Oholiba.
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[30]
Sur le débat concernant les épithètes de messie et de serviteur, voir Klaas A. D. Smelik, « My Servant Nebuchadnezzar. The Use of the Epithet “My Servant” for the Babylonian King Nebuchadnezzar in the Book of Jeremiah », Vetus Testamentum 64/1 (2014), p. 109-134 ; Lisbeth S. Fried, « Cyrus the Messiah ? The Historical Background to Isaiah 45 :1 », Harvard Theological Review 95/4 (2002), p. 373-393.
-
[31]
Daniel Isaac Block, The Book of Ezekiel. Chapters 1-24, Grand Rapids, Mich., Eerdmans, 1997, p. 611-642 ; Karl-Friedrich Pohlmann, Das Buch des Propheten Hesekiel (Ezechiel). Kapitel 20-48, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2001, p. 299-313 ; Elizabeth Keck, « The Glory of Yahweh in Ezekiel and the Pre-Tabernacle Wilderness », Journal for the Study of the Old Testament 37/2 (2012), p. 201-218.
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[32]
Nombreuses sont les histoires qui racontent le glissement d’une action divine israélo-centrée vers une représentation universalisante de l’action de Yhwh : Gn 37-50 ; Nb 22-23 ; 2 R 5… Voir Dany Nocquet, La Samarie, la Diaspora et l’achèvement de la Torah. Territorialités et internationalités dans l’Hexateuque, Fribourg/Göttingen, Academic Press/Vandenhoeck & Ruprecht, 2017.
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[33]
Frantz Grenet et al., « Israël sous la domination des Perses », Le Monde de la Bible 187 (2009), p. 22-47 ; Damien Noël, « La période perse (538-332) », Cahiers Évangile 121 (2002), p. 23-46.
-
[34]
Pierre Briant, Histoire de l’Empire perse. De Cyrus à Alexandre, Paris, Fayard, 1996, p. 507. Le fragment de lettre a été retrouvé dans une inscription mutilée du iie siècle av. J.-C. Elle faisait partie des documents manifestant les privilèges du temple d’Apollon. Ce document qui remonte au ve siècle illustre la politique religieuse du pouvoir achéménide.
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[35]
Yigal Levin, « The Formation of the Idumean Identity », ARAM 27/1-2 (2015), p. 187-202 (p. 196-199). L’auteur parle de « melting pot » (p. 201).
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[36]
André Lemaire, « Another Temple to the Israelite God : Aramaic Hoard Documents Life in Fourth Century B.C. », Biblical Archaeology Review 30/4 (2004), p. 38-44, 60 ; Y. Levin, « The Formation of the Idumean Identity », art. cit., p. 197.
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[37]
Ces livres sont connus pour la mise en place d’une identité basée sur la foi en Yhwh et l’appartenance ethnique, Esd 10 et Ne 13.
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[38]
Ce récit appartient à l’histoire d’Élisée, 2 R 3-9, dans laquelle sont rapportés les miracles d’Élisée et ses liens avec la royauté araméenne. Pour une étude de détail : Dany Nocquet, « Yahwisme sans frontières et Israël sans territoire à l’époque perse ? Une lecture de 2 R 5 », Transeuphratène 50 (2018), p. 141-154 ; Id., « Liberté interprétative et vérité insaisissable : les apprentissages de la Bible hébraïque face à la diversité yahwiste », Études théologiques et religieuses 95/3 (2020), p. 501-514 (p. 505-509).
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[39]
Le terme hébreu est ‘âdâmâh, désignant le sol brut à cultiver, sans connotation territoriale.
-
[40]
La LXX comprend : « Les Égyptiens serviront les Assyriens » et renverse du coup le sens du TM et la logique de l’alignement de l’Assyrie et de l’Égypte. Voir Stephan Lauber, « “JHWH wird sich Ägypten zu erkennen geben, und die Ägypter werden an jenem Tag JHWH erkennen” (Jes 19,21). Universalismus und Heilszuversicht in Jes 19,16-25 », Zeitschrift für die Alttestamentliche Wissenschaft 123/3 (2011), p. 368-390 (p. 372).
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[41]
Mc 1,13-17 ; Mt 22,15-22 ; Lc 20,22-26. Voir Dieter Georgi, « The Hour of the Gospel : Jesus and Caesar », in Id., The City in the Valley, Biblical Interpretation and Urban Theology, Atlanta, Society of Biblical Literature, 2005, p. 69-92 ; Joseph B. Modica (éd.), Jesus is Lord, Caesar is not. Evaluating Empire in New Testament Studies, Downers Grove, Ill., InterVarsity Press, 2013.
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[42]
Expression utilisée par Olivier Abel lors du débat ayant suivi la leçon du cours public dont est issu cet article.
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[43]
Francis Wolff, Plaidoyer pour l’universel, Paris, Fayard, 2019, p. 278.
1La problématique de la laïcité et sa compréhension comme principe qui organise et régule la place du religieux dans les sociétés occidentales est une donnée essentielle pour le vivre ensemble aujourd’hui [1]. Dans les sociétés antiques, la question du vivre ensemble se posait autrement en raison de la place différente du religieux, associé très directement au pouvoir politique. Sur ce plan la Bible hébraïque, par le biais d’un travail interne, éclaire les évolutions de la place du religieux dans la société. En effet, en introduisant la notion de monothéisme de manière nouvelle dans la représentation du divin, la Bible hébraïque a repensé le rapport du religieux au pouvoir, de même que sa relation à la vérité et à l’universel. La Bible hébraïque est donc une pensée en travail que les trois points qui forment les parties de cet article tentent d’illustrer de manière non exhaustive [2]. Dans un premier temps sera proposée une brève esquisse du lien entre religion et pouvoir dans les sociétés antiques et la Bible hébraïque. Puis on se penchera sur la question du rapport entre monothéisme et vérité. Enfin, on traitera de la question du rapport entre monothéisme et universalité.
Religion et pouvoir dans les sociétés antiques et la Bible hébraïque, une brève esquisse
2La situation religieuse des sociétés antiques en tant que sociétés multi-religieuses est bien connue. Le polythéisme des sociétés anciennes est souvent interprété comme le garant d’une certaine tolérance religieuse. Par contraste, l’avènement du monothéisme dans sa rupture avec le polythéisme est souvent considéré comme étant à l’origine de l’intolérance et de l’arbitraire religieux. Il aurait ensemencé la violence religieuse jusque dans notre présent. Une telle représentation doit être nuancée, car la distinction entre polythéisme et monothéisme n’est pas aussi nette, comme l’indique Jan Assmann [3]. En outre, cette représentation ne prend pas suffisamment en compte le fait que depuis la plus haute Antiquité le pouvoir politique est éminemment religieux. De tout temps et de multiples manières, il peut être exercé avec violence, violence qui a toujours une dimension religieuse [4]. En voici quelques illustrations.
Divinités et pouvoir royal
3Depuis la haute Antiquité, au moment où les sociétés commencent à s’organiser politiquement, les divinités sont pensées en lien étroit avec l’idéologie royale. Depuis le iiie millénaire, l’idéologie royale fait du roi le lieutenant de la divinité, et même son image. De la sorte, « la fonction fondamentale du roi est d’assurer un rapport correct entre le monde des dieux et celui des hommes, et de conférer ainsi à son règne justice et prospérité [5] ». C’est pourquoi l’avènement d’un roi est salué comme l’arrivée d’une ère de paix et d’abondance. Le divin a une fonction de légitimation du pouvoir royal et de justification de ses actes administratifs, juridiques et guerriers. Le roi Hammurapi se présente bien ainsi dans le prologue à son fameux code de lois :
I Lorsque le sublime Anum, le roi des Annunaki, (et) Enlil, le maître des cieux et de la terre, celui qui fixe les destins du Pays, eurent assigné à Marduk, le fils aîné d’Ea
10 la toute-puissance sur la totalité des gens, (lorsqu’)ils l’eurent magnifiée parmi les Igigi, (lorsqu’)ils eurent prononcé le nom sublime de Babylone (et) l’eurent rendue prépondérant aux quatre coins du monde, (lorsqu’)ils eurent établi pour lui (Marduk),
20 au milieu d’elle, une éternelle royauté dont les fondements sont aussi définitivement assurés que ceux des cieux et de la terre, alors, c’est mon nom à moi, Hammurapi, le prince pieux qui vénère les dieux, que, pour proclamer le droit du Pays,
30 pour éliminer le mauvais et le pervers, pour que le fort n’opprime par le faible, pour
40 paraître sur les populations comme le Soleil illumine le Pays, (c’est mon nom à moi)
50 qu’ils ont prononcé Anum et Enlil pour assurer le bonheur des gens.
Je suis Hammurapi, le pasteur, l’élu d’Enlil ; je suis celui qui entasse opulence et prospérité, celui qui parfait toute chose pour la ville de Nippur, « Jonction du ciel et de la terre », le pieux pourvoyeur de l’Ekur [temple d’Enlil à Nippur, vieille cité sainte du pays de Sumer] [6].
5Dans ce lien au divin, en plus de la légitimité royale, les fonctions royales consistent à garantir l’intégrité d’un territoire, d’un pays et sa prospérité, son expansion. L’action politique, nationale, impérialiste, a toujours une dimension religieuse. En témoigne cet extrait de la prière de Ramsès II à la bataille de Qadesh, qui en appelle à sa divinité Amon pour lui donner la victoire contre les Hittites, ainsi que la réponse divine qui suit :
7Cette manière de penser la divinité qui combat pour son peuple se retrouve dans les littératures du Proche-Orient ancien et dans les Écritures bibliques. La thématique du « Dieu qui combat pour Israël », très présente dans les livres de l’histoire deutéronomiste (Dt, Jos, Jg, S et R), occupe une place centrale dans la délivrance mythologique d’Israël traversant la mer, marquée par l’expression « le Seigneur combattra pour vous », Ex 14,14.
Divinités et violences religieuses internes
8En plus de l’idéologie royale marquée par la violence politique, les sociétés pluri-religieuses de l’Antiquité ne sont pas indemnes de violences internes. En voici quelques illustrations.
9Dans l’Égypte du xive siècle av. J.-C., le règne d’Akhénaton, imposant une première forme de monothéisme, est un temps d’oppression religieuse marqué par l’arrêt de certains cultes, la fermeture de temples, la suppression de biens du clergé et la dégradation d’effigies divines du culte traditionnel égyptien [8]. Après la mort mystérieuse d’Akhénaton, les cultes d’Aton et d’Akhénaton sont marqués par l’effacement des traces du roi dit hérétique. Il s’agit là d’un traumatisme qui traverse les siècles puisque, selon l’hypothèse de Jan Assmann, les figures d’Akhénaton et Moïse auraient été rapprochées à l’époque hellénistique au moment où les Égyptiens étaient confrontés au monothéisme des communautés juives. L’historien égyptien Manéthon, au iiie siècle av. J.-C., relie alors l’histoire du roi hérétique à la vie de Moïse selon le livre de l’Exode, un Moïse devenu chef de bande d’un peuple lépreux, menaçant la foi traditionnelle égyptienne par un monothéisme iconoclaste. Cette opposition à la foi des communautés juives d’Égypte constitue le premier acte d’une dénonciation anti-judaïque et anti-monothéiste [9].
10De même, au cours des viiie-viie siècles av. J.-C., des inscriptions et des bas-reliefs assyriens illustrent des cohabitations religieuses, ainsi que la destruction de statues de dieux vaincus ou leur déplacement dans la capitale assyrienne. Les autres cultes sont dès lors intégrés au culte dominant d’Assour sous l’Empire assyrien. Le prisme d’Assurbanipal (668-630/627 av. J.-C.), relatant la domination d’Élam, illustre tout à fait la façon dont on passe d’une intégration des cultes des dieux vaincus à leur destruction. Après avoir enlevé les statues, Assurbanipal les détruit en raison d’une récidive de la rébellion d’Élam :
Lors de la cinquième campagne d’Élam, les dieux élamites, c’est-à-dire leurs statues, sont emmenés en tribut dans les temples d’Aššur :Mais, lors de la sixième campagne, les dieux élamites sont brisés :
- 12 Je détruisis, je dévastai, je ravageai par le feu :
- 13 Leurs [dieux], leurs habitants, leur gros et petit bétail,
- 14 Leurs [biens], leurs richesses, chars,
- 15 Chevaux, mulets, armes, instruments de combat,
- 16 J’emportai en butin vers le pays d’Aššur.
- 59 Je détruisis, dévastai Bašimu et les villes de son voisinage,
- 60 J’établis la défaite des gens qui [y] résidaient,
- 61 Je brisai ses dieux (ušabbir ilānišu)
- 62 Et j’apaisai (ainsi) le cœur courroucé du Maîtres des Maîtres.
- 63 Je pillai (et ramenai) au pays d’Aššur ses dieux et ses déesses, ses biens (et) ses richesses [10]…
12Du côté d’Israël, on trouve les témoignages d’une violence religieuse interne exercée au nom de Yhwh dans l’histoire du peuple depuis son entrée en Canaan [11]. L’exemple du grand nettoyage du temple de Jérusalem en 2 R 23 décrit la réforme de Josias qui rompt brutalement avec la pratique d’un culte de Yhwh associé à d’autres divinités, comme l’attestent les inscriptions de Kuntillet Ajrud :
Parole de… Parle ainsi, Yehalle […] et Yau’asa et… Je vous bénis par Yhwh de Samarie et son Ashérah [12]…
14C’est sur cet arrière-fond d’un yahwisme pluriel que la réforme de Josias se met en place, pour faire du culte de Yhwh le seul culte en Juda. Il s’agit d’un culte national, local, et non pas de la mise en place d’un culte monothéiste. Le Dieu Un de Dt 6,4 est d’abord l’affirmation qu’en Israël seul Yhwh est vénéré en tant que divinité (ce qui n’exclut pas nécessairement que d’autres divinités puissent exister). 2 R 23,4-7 raconte le nettoyage et la destruction des divinités qui étaient associées au culte de Yhwh dans le temple de Jérusalem [13].
4 Le roi ordonna au grand prêtre Hilqiyahou, aux prêtres en second et aux gardiens du seuil de faire sortir du temple du Seigneur tous les objets qu’on avait faits en l’honneur du Baal, d’Ashéra et de toute l’armée des cieux. On les brûla hors de Jérusalem, dans les plantations du Cédron et on emporta leurs cendres à Béthel. 5 Il supprima la prêtraille que les rois de Juda avaient établie pour brûler de l’encens sur les hauts lieux des villes de Juda et des environs de Jérusalem. Il supprima aussi ceux qui brûlaient de l’encens en l’honneur du Baal, du soleil, de la lune, des constellations et de toute l’armée des cieux. 6 Il transporta de la Maison du Seigneur, hors de Jérusalem, au ravin du Cédron, le poteau sacré qu’on brûla dans le ravin du Cédron ; il le réduisit en cendres qu’il jeta à la fosse commune. 7 Il démolit les maisons des prostitués sacrés qui étaient dans la Maison du Seigneur et où les femmes tissaient des robes pour Ashéra [14].
16Après la période de l’Exil du vie siècle, et après des décennies de cohabitation paisible entre la communauté juive d’Éléphantine avec ses voisins égyptiens, on trouve un témoignage racontant la destruction du temple de Yahô dans cette ville en 410 av. J.-C. Cette destruction illustre le lien intrinsèque entre violence politique et violence religieuse, puisque les Judéo-Samariens d’Éléphantine étaient au service du pouvoir impérial perse régnant en Égypte. Yedonyah, chef de la communauté d’Éléphantine, écrit alors au gouverneur de la Judée, Bagohi, pour qu’il intervienne auprès des autorités perses d’Égypte pour restaurer leur situation antérieure :
À notre Seigneur Bagohi, gouverneur de Judée, Yedonyah et ses collègues, les prêtres d’Éléphantine la forteresse… Ensuite, ce Nefaina (fils du gouverneur d’Éléphantine) conduisit les Égyptiens avec d’autres militaires ; ils vinrent dans la forteresse d’Éléphantine avec leurs armes ; ils entrèrent dans ce sanctuaire ; ils le détruisirent jusqu’au ras du sol [15]…
18Ce bref rappel historique sur la violence religieuse indique qu’il n’y a guère de différences structurelles entre les divers types de vénération religieuse, et ce quelles que soient les périodes : celle des pluralismes religieux anciens depuis une haute Antiquité, celle de la monolâtrie exclusive de Josias à la fin du viie siècle, et celle du culte monothéiste à partir du vie siècle [16].
19Dans le cadre de cet univers symbolique dans lequel se noue un lien intrinsèque fort entre religion et politique au cours du ier millénaire av. J.-C., l’Ancien Testament apparaît cependant comme une littérature qui pose un premier jalon pour dénouer ce lien. Avec d’autres textes [17], le passage de Dt 17,16-20 illustre cette distanciation.
Un pouvoir politique limité : Deutéronome 17,16-20
20Ce passage décrit la figure d’un roi qui est à l’opposé du roi Salomon, en limitant son pouvoir et les prérogatives royales dans plusieurs domaines [18].
16 Seulement, il ne multipliera pas chevaux pour lui, il ne fera pas retourner le peuple vers l’Égypte avec l’intention de multiplier cheval ; mais Yhwh a dit : « Vous ne continuerez (recommencerez) plus à retourner par ce chemin. » 17 Qu’il n’ait pas un grand nombre de femmes, afin que son cœur ne s’écarte pas, et qu’il n’ait pas une grande quantité d’argent et d’or. 18 Quand il se sera assis sur son trône royal, il écrira pour lui, dans un livre, un double de cette loi, qu’il prendra auprès des prêtres-lévites. 19 Il devra l’avoir avec lui et la lire tous les jours de sa vie, afin d’apprendre à craindre Yhwh, son Dieu, et à observer toutes les paroles de cette loi et toutes ces prescriptions en les mettant en pratique ; 20 afin que son cœur ne s’élève pas au-dessus de ses frères et qu’il ne s’écarte du commandement ni à droite ni à gauche ; afin qu’il prolonge ses jours dans son royaume, lui et ses fils, au sein d’Israël.
22En limitant le nombre des chevaux auxquels il a droit, Dt 17 démilitarise le roi : Israël n’est pas grand par ses armées. Un premier risque est donc désamorcé. Le second risque est celui du retour en Égypte. Le v. 16 est une référence directe à Ex 14,13 qui utilise le même verbe tôsîphoù : « Vous ne recommencerez plus jamais à les voir [les Égyptiens]. » Le récit indique que la royauté porte la menace d’un nouvel asservissement : vouloir un roi fait courir le risque de l’esclavage, comme au temps de Pharaon.
23Le v. 17 présuppose l’histoire de Salomon, 1 R 11,3-4, où l’on nous précise qu’il eut sept cents femmes de rang princier et trois cents concubines. Ses femmes détournèrent son cœur, est-il dit. En décrivant la royauté et ses déviances possibles, le Deutéronome interprète la royauté telle une menace potentielle contre la fidélité à Yhwh et à la Torah : le roi d’Israël est donc non seulement un roi au pouvoir limité sur le plan économique et politique, mais surtout un roi qui ne doit pas contrevenir à la relation particulière que Dieu a établie avec Israël.
24En développant l’idée d’une royauté limitée, ce discours introduit, avec des verbes forts, une distance à l’égard du pouvoir de l’institution royale en raison des menaces qu’elle fait peser sur le peuple. Le narrateur bâtit ainsi une image de la royauté qui porte en elle-même le risque de la disparition d’Israël par la négation de l’œuvre de Dieu réalisée avec Israël depuis ses origines en Exode.
25Dt 17 offre alors une interprétation de l’histoire qui présuppose les destructions d’Israël et de Juda. Cette interprétation pose la limite d’un pouvoir temporel politique absolu, et annonce déjà la nécessité d’une séparation entre politique et religieux, même si cela entraîne d’autres interrogations quant à la suprématie de la loi religieuse. Ici, le roi est désormais sous la loi. La Torah n’est pas donnée pour cautionner le pouvoir politique royal, mais pour assurer la fidélité à Yhwh, la continuité d’Israël, ce qui passe par une limitation du pouvoir humain.
Monothéisme et vérité
26En s’intéressant à l’émergence du monothéisme, cette seconde partie tente de mesurer l’impact de cette nouvelle représentation du divin dans l’univers religieux au cours de la deuxième moitié du ier millénaire av. J.-C. L’affirmation de l’unicité du divin interroge profondément le rapport aux autres cultes s’adressant à d’autres divinités [19].
L’émergence du monothéisme
27La recherche estime que l’affirmation de l’unicité du divin apparaît dans le tournant du vie siècle [20], et qu’elle n’est pas originaire du seul monde biblique. Le témoignage du récit babylonien de la création (Enuma Elish) fait part de ce phénomène d’unification du divin dans lequel les dieux deviennent hypostases/manifestations de Mardouk :
29Et dans le récit de création babylonien, on trouve cette confession concernant Mardouk :
Si les humains sont divisés quant aux dieux, nous, par tous les noms dont nous l’aurons nommé, qu’il soit, lui, notre Dieu [22].
31Cette manière de penser le dieu suprême comme dieu unique ou unifiant est également présente dans la religion perse où le dieu Ahura Mazda occupe une place prépondérante et solitaire dans la légitimation du pouvoir royal perse. L’inscription ci-dessous décrit le roi Darius en lien direct avec Ahura Mazda qui lui assure une domination mondiale :
Le roi Darius déclare : « Ahuramazda m’a accordé cette royauté, Ahuramazda m’a apporté son soutien jusqu’à ce que j’obtienne cette royauté ; grâce à Ahuramazda, je possède cette royauté [23]. »
33C’est donc dans ce contexte d’impuissance politique de Juda et d’abandon de la divinité tutélaire du royaume de Jérusalem [24] que les écrits bibliques postexiliques déploient de manière paradoxale, polémique et affirmative, l’idée que Yhwh est pourtant le dieu de l’histoire, unique et universel. On trouve cette idée notamment dans le second Ésaïe (44,8-9.15) :
35Ce passage développe un aniconisme qui radicalise le monothéisme en germe dans les termes d’une opposition vrai dieu vs faux dieu. Cette radicalisation marque la singularité de la représentation divine de l’ancien Israël et demeure un sujet de débat quant à son origine [25].
Un monothéisme exclusif ou inclusif ?
36Une telle compréhension du monothéisme est tout à fait problématisée dans la pensée de Jan Assmann qui montre combien l’Ancien Testament a introduit la catégorie du vrai et du faux au moyen de ce qu’il appelle « la distinction mosaïque ». En s’appuyant sur les travaux de Sigmund Freud, Jan Assmann pense que cette distinction mosaïque est surtout prégnante avec l’interdit de l’image qui, selon lui, marque un progrès de l’esprit, une avancée civilisationnelle. Aussi, il interprète symboliquement la sortie d’Égypte comme une rupture prenant la forme d’une conversion au monothéisme – rupture que poursuivent le judaïsme, le christianisme et l’islam [26].
37Cependant, il convient de remarquer que l’exclusivisme de Yhwh présenté dans le Deutéronome et développé dans les Décalogues ne repose pas seulement sur la distinction entre vrai et faux. La problématique ayant donné lieu à ces textes fut à l’origine l’impossibilité d’une association de divinités avec Yhwh. Comme nous l’avons vu, la réforme religieuse de Josias coupe avec une représentation multiple de Yhwh, mais ne remet pas en cause l’existence des autres divinités séparées. Le sens premier du dieu Un est « seul en Israël ». Cette confession de foi deutéronomiste est interprétée par la suite dans le sens de « divinité unique », dans la mesure où la représentation de l’unicité de Dieu devient peu à peu dominante dans la pensée du divin dans le courant de la période postexilique. La problématique du vrai et du faux appliquée au monothéisme apparaît au moment de l’Exil au vie siècle av. J.-C. avec l’affirmation aniconique du second Ésaïe. S’il y a là une démarcation biblique par rapport aux religions et cultures environnantes, il est important de remarquer que cette représentation d’un monothéisme exclusif des autres dieux ne s’impose pas d’emblée, et ne devient pas normative de la représentation de l’unicité divine. Bien des écrits bibliques renvoient une autre image du monothéisme, plus inclusive, comme l’illustrent le passage ci-dessous.
Deutéronome 4
38Le discours de Dt 4 est écrit pour légitimer cette position nouvelle selon laquelle Yhwh est la seule divinité qui peut être adorée, célébrée en Juda et Samarie [27]. Dt 4 est un grand discours, l’un des plus remarquables sur la Torah, sur la loi et ses bienfaits. Cette loi est le bien suprême d’Israël, qui fait sa renommée et sa sagesse comme l’indiquent les v. 6-8 :
6 Vous les garderez, vous les mettrez en pratique : c’est ce qui vous rendra sages et intelligents aux yeux des peuples qui entendront toutes ces lois ; ils diront : « Cette grande nation ne peut être qu’un peuple sage et intelligent ! » 7 En effet, quelle grande nation a des dieux qui s’approchent d’elle comme le Seigneur notre Dieu le fait chaque fois que nous l’appelons ? 8 Et quelle grande nation a des lois et des coutumes aussi justes que toute cette Loi que je mets devant vous aujourd’hui ?
40Cette apologie de la Torah met en évidence la reconnaissance internationale d’Israël. Et avec la spécificité d’Israël, la Torah dit également l’action divine de Yhwh en faveur de son peuple, témoignage de sa proximité avec lui. Ce passage se poursuit avec des versets qui appellent à l’aniconisme, à l’interdit de représenter Yhwh en raison même de sa révélation sur le mont Sinaï où il n’y avait rien à voir, mais seulement une parole à entendre : « Seulement une voix » (Dt 4,12). Suite à cette affirmation aniconique, Dt 4 s’achève en racontant comment toute l’histoire conduit à la connaissance de l’unicité de Yhwh. Cette perception nouvelle du divin ne s’affirme ni par une conquête territoriale, ni par une grandeur de civilisation, mais par une expérience existentielle, celle de la découverte d’une parole créatrice, offrant une délivrance inespérée. La pensée biblique de l’unicité de Dieu ne se dit pas d’abord en termes politiques, mais plus profondément en termes existentiels :
32 Interroge donc les jours du début, ceux d’avant toi, depuis le jour où Dieu créa l’humanité sur la terre, interroge d’un bout à l’autre du monde : est-il rien arrivé d’aussi grand ? A-t-on rien entendu de pareil ? 33 Est-il arrivé à un peuple d’entendre comme toi la voix d’un dieu parlant du milieu du feu, et de rester en vie ? 34 Ou bien est-ce qu’un dieu a tenté de venir prendre pour lui une nation au milieu d’une autre par des épreuves, des signes et des prodiges, par des combats, par sa main forte et son bras étendu, par de grandes terreurs, à la manière de tout ce que le Seigneur votre Dieu a fait pour vous en Égypte sous tes yeux ? 35 À toi, il t’a été donné de voir, pour que tu saches que c’est le Seigneur qui est Dieu : il n’y en a pas d’autre que lui.
42Or, au cœur de cette affirmation de l’unicité divine, de manière surprenante, le v. 19 ouvre la possibilité pour les peuples de la terre d’exercer différents cultes en adorant d’autres divinités :
Ne va pas lever les yeux vers le ciel, regarder le soleil, la lune et les étoiles, toute l’armée des cieux, et te laisser entraîner à te prosterner devant eux et à les servir. Car ils sont la part que Yhwh ton Dieu a donnée à tous les peuples qui sont partout sous le ciel.
44Au moment même où le lecteur retrouve l’affirmation classique d’une obéissance exclusive à Yhwh et l’interdit d’adorer des représentations cosmiques tels le soleil et la lune, un pas supplémentaire est franchi. Ces astres sont « la part » accordée par le Dieu unique aux autres nations. Le v. 19 dit la conscience d’Israël d’être arrivé à une représentation novatrice du divin : Dieu est unique, et en même temps d’autres formes cosmiques de cultes existent. Ces autres cultes reçoivent donc une légitimité divine, puisqu’il n’est pas question de les détruire. Le texte, en admettant un espace de pluralité religieuse, témoigne d’une ouverture de pensée de la part de certains auteurs bibliques vers la fin du ve siècle av. J.-C.
45La reconnaissance de ce cosmothéisme fait écho à la thèse de Jan Assmann qui articule toutefois une différentiation plus profonde entre cosmothéisme et monothéisme. En effet, selon lui, la rupture entre les deux notions se situe moins dans l’opposition entre vrai et faux que dans l’instauration d’un nouveau rapport au monde. Différemment du cosmothéisme, le monothéisme se caractériserait en effet par une extériorité du divin au monde : une extra-mondanéité et une transcendance [28]. Quoi qu’il en soit de cette thèse, il n’en demeure pas moins que Dt 4,19 introduit bel et bien une dialectique dans la quelle l’affirmation monothéiste est à vivre en reconnaissant à d’autres peuples la légitimité divine et le droit de croire autrement. La reconnaissance d’une pluralité religieuse se fait jour au moment même de l’affirmation monothéiste la plus forte.
Monothéisme et universalité
46La distinction de Jan Assmann entre cosmothéisme et monothéisme peut néanmoins avoir toute sa pertinence dans la mesure où les auteurs bibliques repensent la fonction politique de Yhwh en tant que Dieu unique. Comme évoqué plus haut, c’est au moment où Israël et Juda n’ont plus ni existence étatique ni prétention politique, et sont devenus de petites provinces d’un immense empire soumis au tribut des souverains perses destiné à nourrir des armées d’occupation, que l’on va développer une nouvelle théologie de l’histoire et de l’universalité, comme l’illustrent les différents exemples ci-dessous. Il convient de rappeler que cette ouverture est possible en raison du contexte nouveau et favorable de la domination perse.
Yhwh unique, Dieu de l’histoire et des autres
47Sa relecture prophétique tente de donner sens à l’histoire chaotique d’Israël et Juda et à la fin tragique de Samarie et Jérusalem [29]. Yhwh, Dieu unique, est alors présenté tel le dieu de l’histoire, à l’encontre de Mardouk ou d’Ahura-Mazda. Cela est particulièrement frappant dans Jr 27 et Es 45, passages dans lesquels Nabuchodonosor est qualifié de « serviteur » (de Yhwh), et Cyrus de « messie » [30].
Jérémie 27,8-9 et Ésaïe 45,1-2
Jr 27 8 À cause de cela, ainsi parle le Seigneur (Yhwh) des Armées : « Parce que vous n’avez pas écouté mes paroles, 9 j’envoie chercher tous les peuples du nord – déclaration du Seigneur – et Nabuchodonosor, roi de Babylone, mon serviteur ; je les ferai venir contre ce pays, contre ses habitants et contre toutes ces nations qui l’entourent, afin de les frapper d’anathème, de les réduire en un lieu dévasté et d’en faire un objet de sifflement d’horreur, des ruines pour toujours. »
Es 45 1 Voici ce que dit le Seigneur à l’homme qui a reçu son onction – à Cyrus, que j’ai saisi par la main droite, pour terrasser devant lui des nations, pour détacher la ceinture des rois, pour ouvrir devant lui les deux battants, et que les portes des villes ne soient plus fermées : 2 « Je marcherai moi-même devant toi, j’aplanirai les pentes, je briserai les battants de bronze et je casserai les verrous de fer. »
50Non seulement on réactualise dans ces passages la vieille idéologie royale, mais on y repense l’universel en d’autres termes que ceux d’une domination politico-religieuse, telle celle des villes d’Assour, de Babylone ou de Suse. Quelle que soit l’interprétation à donner des épithètes « serviteur » et « messie » attribuées aux figures royales, force est de constater dans ces textes un dépassement de la seule légitimation théologique du pouvoir politique, puisque les royautés qu’ils évoquent sont au service d’un projet divin, soit de châtiment pour Nabuchodonosor, soit de libération pour Cyrus. Dans les livres prophétiques, cette relecture de l’histoire sert à qualifier, non seulement un avenir et une espérance possible malgré tout pour Israël et Juda dans le cadre du retour de l’Exil, mais aussi la situation d’ores et déjà nouvelle qui s’ouvre après le vie siècle. Le temps d’Israël après l’Exil, en tant que communauté religieuse de Yhwh en Samarie, en Judée et en diaspora, s’offre donc tel un temps de réflexion sur la relation de Dieu aux autres peuples, et sur la place d’Israël vis-à-vis des nations voisines. Cela est particulièrement manifeste dans les oracles prophétiques d’Ez 20,5-9, 2 R 5,14-19 et Es 19,21-25.
Ézéchiel 20,5-9
51Le discours prophétique d’Ez 20,5-9 est à comprendre comme un effort de relecture totalement originale de l’histoire du salut d’Israël dans laquelle la vocation d’Israël est revisitée et redéfinie :
5 Tu leur diras : « Ainsi parle le Seigneur Yhwh : au jour où j’ai choisi Israël, j’ai levé la main pour la descendance de la maison de Jacob ; je me suis fait connaître à eux, dans le pays d’Égypte ; j’ai levé la main pour eux pour dire : Moi je suis Yhwh votre Dieu. 6 Ce jour-là, je leur jurai, la main levée, de les faire sortir du pays d’Égypte, en direction du pays que j’avais exploré pour eux : pays ruisselant de lait et de miel, splendide entre tous les pays. 7 Je leur dis : les horreurs de ses yeux, que chacun rejette ; avec les idoles de l’Égypte, ne vous souillez pas ; je suis Yhwh votre Dieu. 8 Mais ils se révoltèrent contre moi et ne voulurent pas m’écouter ; personne ne rejeta les horreurs qu’il avait sous les yeux et ils n’abandonnèrent pas les idoles de l’Égypte. Je dis alors : Je déverserai ma fureur sur eux, j’irai jusqu’au bout de ma colère contre eux, au milieu du pays d’Égypte. 9 Cependant j’ai agi à cause de mon nom, pour qu’il ne fût pas profané aux yeux des nations au milieu desquelles ils sont. Je me fis connaître à eux, sous leurs yeux, en les faisant sortir du pays d’Égypte ».
53Ce texte réinterprète de fond en comble l’histoire canonique. La sortie d’Égypte y est lue non seulement comme une action salutaire pour Israël, mais plus encore comme une manifestation de l’universalité de Yhwh que les nations sont appelées à reconnaître. Israël n’a aucun mérite, il fut pécheur, mais sa sortie d’Égypte a une dimension pédagogique permettant aux autres peuples de connaître Yhwh. Le texte réfléchit à la possibilité d’une reconnaissance universelle de Yhwh tout en questionnant la vocation sacerdotale particulière d’Israël de représenter Yhwh au sein de la globalité du monde [31].
54Cette idée d’un Israël passeur entre Yhwh et les peuples est encore fort bien illustrée par de nombreuses histoires bibliques, par exemple celle de Joseph en Gn 37-50 qui dépeint une manière d’universaliser la Providence divine, puisque l’Égypte y est décrite comme un nouveau Canaan. Par Joseph, l’action divine bénéficie non seulement à la famille de Jacob, mais aussi à l’Égypte et à toute la terre. Citons encore 2 R 5 qui raconte l’adhésion au yahwisme d’un général araméen (Naaman) ennemi d’Israël (voir infra). Toutes ces histoires laissent ouvert l’accès au Dieu unique [32].
Cohabitations religieuses et reconnaissance de la pluralité
55L’élargissement yahwiste que révèle une grande part de la tradition biblique s’explique également par le contexte nouveau que représente la domination perse en Canaan de 538 à 333 av. J.-C. L’étude de l’histoire religieuse du Proche-Orient à l’époque perse aboutit au constat de la juxtaposition des cultes et de leur cohabitation au moment où s’affirme le monothéisme. Par exemple, le document suivant caractérise la politique perse, ici dans sa défense du culte local d’Apollon : une politique religieuse qui a bénéficié aussi à Juda selon Esdras et Néhémie [33]. Le grand roi perse Darius Ier (522-486) fait des remontrances à son satrape pour ne pas avoir respecté le clergé d’Apollon :
Le roi des rois, Darius… à son serviteur Gadatas annonce ceci : « J’apprends que tu ne te conformes pas à mes instructions en tous points.… Tu plantes des arbres fruitiers d’au-delà de l’Euphrate sur le littoral de l’Asie Mineure, je loue ta décision… Mais d’autre part, de ce que tu n’observes pas mon ordre à l’égard des dieux… Car tu as soumis à un tribut les jardiniers sacrés d’Apollon et tu les as obligés à travailler une terre profane, méconnaissant la volonté de mes ancêtres envers la divinité qui a révélé toute la vérité aux Perses [34]…
57Le contexte de l’Empire perse a été propice à un temps de paix civile et religieuse. Par exemple, en Idumée dans le sud de Juda, les sources archéologiques et épigraphiques révèlent que ce territoire dévasté connaît un repeuplement au cours du ive siècle av. J.-C. Cette population se caractérise par sa mixité : y cohabitent des clans d’origine ethnique différente et aux cultes variés, ce qui indique la pratique des mariages inter-claniques [35]. Dans cette région, les sources montrent également que le culte du dieu Qaus, divinité édomite principale, se maintient durant cette période, puisque l’onomastique atteste une présence majoritaire du terme Qaus dans les noms propres, tandis qu’au côté d’autres noms théophores figurent les noms divins de Baal, El, Yhwh. Une inscription révèle la présence d’une « maison de Yhwh », byt yhw, ce qui dit l’existence d’une communauté yahwiste en Idumée, au milieu de clans pratiquant d’autres cultes [36].
58C’est dans ce contexte que sont repensées les lois de l’exclusivisme religieux d’Israël et leur intolérance telles qu’elles sont développées en Dt 13 et dans les livres d’Esdras-Néhémie [37]. Deux passages, parmi d’autres, illustrent ce travail autour de la notion d’universalité inclusive : 2 R 5,14-19 et Es 19,21-25.
2 Rois 5,14-19
592 R 5 raconte un autre moment de reconnaissance d’une pluralité religieuse et d’ouverture à l’universel, en particulier les v. 14-19 [38].
14 Il [Naaman] descendit alors et se plongea sept fois dans le Jourdain, selon la parole de l’homme de Dieu [Élisée] ; alors sa chair redevint comme celle d’un petit jeune homme/jeune adolescent : il était pur. 15 Il revint vers l’homme de Dieu, avec tout son camp. Il arriva, il se tint debout devant lui, et dit : « Je sais qu’il n’y a pas de Dieu sur toute la terre, si ce n’est en Israël. » […] 17 Alors Naaman dit : « Dans ce cas, je te prie, qu’on me donne, à moi, ton serviteur, de la terre, la charge de deux mulets ; car je ne veux plus offrir ni holocauste, ni sacrifice, à d’autres dieux qu’à Yhwh. 18 Que Yhwh me pardonne cependant ceci : quand mon seigneur se rend à la maison de Rimmôn pour s’y prosterner et qu’il s’appuie sur mon bras, je me prosterne aussi dans la maison de Rimmôn ; que Yhwh me pardonne donc lorsque je me prosternerai dans la maison de Rimmôn ! » 19 Élisée lui dit : « Va en paix. » Alors il le quitta.
61Cette histoire commence par la présentation positive d’un étranger, un certain Naaman, l’Araméen. Yhwh n’est pas le dieu du seul Israël, mais il est aussi celui qui prend soin d’Aram, un ennemi redoutable et ancien, par le biais de Naaman. Le récit met en avant une « jeune jeune fille » israélite, captive et servante de Naaman, qui représente l’empathie, car c’est elle qui intercède pour son maître araméen auprès du prophète d’Israël. Cette jeune fille anonyme, en témoignant de la puissance bienfaisante d’Élisée et de Yhwh, se montre soucieuse du bien-être de son maître et de sa guérison. Elle participe en quelque sorte à la vocation prophétique d’Israël qu’Élisée incarne : une vocation à dimension trans-ethnique et universelle. Un des sommets du récit est atteint au v. 15, au moment où, après sa guérison, Naaman reconnaît Yhwh, le dieu d’Israël, comme le seul Dieu : « Je sais qu’il n’y a pas de Dieu sur toute la terre, si ce n’est en Israël. » La formule est fort précise : seul le Dieu d’Israël est divin et le vrai Dieu, les dieux des autres nations ne sont pas des dieux. Il s’agit d’une formulation monothéiste. La reconnaissance par Élisée de Naaman l’Araméen le fait devenir yahwiste. La suite du récit conduit le lecteur vers une étape plus surprenante encore.
62La demande de Naaman d’emporter de la terre/sol [39] du lieu de sa guérison, pour offrir dans son pays des holocaustes à Yhwh, vise à construire un autel à Yhwh en terre d’Aram. La construction d’un autel en terre brute se conforme à la loi d’Ex 20,24 : « Tu me feras un autel de terre. » Cette loi présuppose l’existence de lieux cultuels multiples. La loi de construction d’un autel de terre, en sol brut, a pour but de faire symboliquement de chaque autel une réplique miniature de la montagne première de l’Horeb sur laquelle Yhwh s’est manifesté. La demande de Naaman fait donc du pays d’Aram un autre lieu de culte et de manifestation de Yhwh. Cela manifeste le lien et en même temps l’égalité entre les lieux de culte : il y a une neutralité territoriale devant Yhwh, que l’on peut adorer et servir partout. De plus, Naaman requiert le pardon divin parce qu’il est tenu de participer au culte du dieu Rimmon, autre nom du dieu Baal. En ouvrant la possibilité d’une cohabitation de pratiques religieuses différentes, Naaman contrevient à la loi de l’exclusivisme de Yhwh de Dt 13. Son initiative contrevient aussi à la loi de centralité du culte de Dt 12 et au fait que l’on ne peut pas sacrifier en terre étrangère et en dehors de la Judée-Samarie. 2 R 5 à la fois présuppose l’ensemble des lois cultuelles du Pentateuque, les dépasse et en montre les limites. Selon cette théologie, l’universalisme de Yhwh s’accommode d’une tolérance religieuse en dehors d’Israël.
Ésaïe 19,21-25
63Es 19,21-25 propose un couronnement de la représentation universelle de Yhwh, divinité accessible à tous.
21 Le Seigneur sera connu des Égyptiens, et les Égyptiens connaîtront le Seigneur, ce jour-là. Ils le serviront par des sacrifices et des offrandes, ils feront des vœux au Seigneur et ils (les) réaliseront. 22 Et le Seigneur frappera les Égyptiens, il frappera, mais guérira : ils reviendront vers le Seigneur qui entendra leurs supplications et les guérira. 23 Ce jour-là, il y aura une route d’Égypte vers l’Assyrie. L’Assyrie ira en Égypte, et l’Égypte en Assyrie. Les Égyptiens serviront avec les Assyriens [40]. 24 Ce jour-là, Israël sera le troisième, suite à l’Égypte et à l’Assyrie. Telle sera la bénédiction au milieu de la terre, 25 que le Seigneur des Armées bénit en disant : « Bénis soient l’Égypte, mon peuple, l’Assyrie, l’œuvre de mes mains, et Israël mon héritage. »
65Il y a ici l’affirmation d’un bien commun de l’Égypte à l’Assyrie en passant par Israël, un bien commun présenté comme un universel divin. Assyrie, Égypte et Israël sont associés dans un même élan comme partenaires d’une bénédiction divine destinée à la terre entière. Par son universalisme, ce passage interroge de façon critique l’idée d’élection en tant que lien privilégié à Yhwh. De façon subtile, par le motif de l’égalité devant le Seigneur, ces versets font de l’élection une notion désormais partagée entre l’Égypte, l’Assyrie et Israël. Le passage reformule ainsi la promesse universelle abrahamique : « En toi se béniront toutes les familles de la terre » (Gn 22,18). Désormais cette vocation est portée par ce trio de nations étonnamment unies, toutes sont une bénédiction pour la terre : « Bénis soient l’Égypte, mon peuple, l’Assyrie, œuvre de mes mains et Israël, mon héritage. » Ésaïe met en scène une accessibilité nouvelle au divin, une reconnaissance de la place des autres, porteurs eux aussi d’une part de la révélation divine. Cette dernière et surprenante étape du cheminement du monothéisme biblique est une autre façon de rendre compte d’une universalité nouvelle et différente des universalités d’empire que représentent les cosmothéismes babylonien ou perse.
66La Bible hébraïque pose un premier jalon dans la rupture entre religion et pouvoir politique que le Nouveau Testament poursuit avec Jésus dans la relation à César [41].
67Elle ouvre la possibilité d’une reconnaissance et d’une coexistence de pratiques religieuses différentes, et la reconnaissance de spécificités permettant des cohabitations pacifiées. La Bible hébraïque laisse la place à une vérité plurielle, qu’Olivier Abel appelle « vérité vive [42] », parce qu’elle est existentielle et non objectivable. Si Dt 4 chante la reconnaissance internationale d’Israël en raison de la Torah, qui en fait un peuple « sage et intelligent », nombre de récits disent également la considération d’Israël pour les autres peuples, fruit de sa reconnaissance d’une dette à leur égard pour leurs contributions salutaires à sa vie même : pensons à l’histoire de Jéthro (Ex 18), à celle de Joseph, etc.
68La Bible hébraïque met ainsi en lumière la possibilité d’un universel qui transcende les appartenances. En cela, la littérature de l’Ancien Testament résonne, par une tout autre voie, avec les propos de Francis Wolff qui prend l’exemple d’une laïcité présupposant un universel de second ou de troisième degré, et prônant une rationalité dialogique. Un universel qui serait celui d’un « humanisme de l’égalité et de la réciprocité qui transcende les continents, les “races”, les religions, les nations, les États, les classes, les sexes », un universel « fondé sur la singularité de l’être humain comme animal parlant », ce qui le ferait échapper « aux faux refuges des identités imaginaires antagoniques » [43].
69La lecture proposée ci-dessus est partielle, mais il semble que, dans son évolution, l’Ancien Testament s’offre telle une littérature qui fait place à la reconnaissance de l’altérité, constituant par là une première étape en direction d’une compréhension laïque du monde.
Mots-clés éditeurs : Proche-Orient ancien, Ancien Testament, universalisme, politique, Jan Assmann, exclusivisme, monothéisme, laïcité, pluralité, religion
Date de mise en ligne : 14/01/2021
https://doi.org/10.3917/etr.954.0603Notes
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[1]
Voir le liminaire à ce dossier, supra.
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[2]
Cette pensée se poursuit et se développe de manière autre et singulière dans le Nouveau Testament, voir dans ce numéro l’article de Céline Rohmer, François Vouga, « Comment l’esprit pourrait-il ne pas être laïc ? Dialogue sur la compréhension de l’église de l’apôtre Paul », infra.
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[3]
Jan Assmann, Le prix du monothéisme, trad. Laure Bernardi, Paris, Aubier, 2007, p. 53-54, montre que l’opposition entre unicité et pluralité n’est pas pertinente pour parler des religions antiques. Ce qui définit le monothéisme est la négation des dieux « autres ». Assmann développe cette idée en interprétant la tradition de Moïse au moyen de la catégorie de « distinction mosaïque » (ibid., p. 17-52).
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[4]
Sur la place de la royauté dans l’Antiquité, voir André Lemaire (éd.), Prophètes et rois. Bible et Proche-Orient, Paris, Cerf, 2001 ; Arnaud Sérandour, « Religions du Proche-Orient ouest-sémitique ancien. Aspects de l’idéologie royale dans la Bible hébraïque », Annuaire de l’École pratique des hautes études. Sciences religieuses 107 (1998), p. 199-205 ; Jan Rückl, A Sure House. Studies on the Dynastic Promise to David in the Books of Samuel and Kings, Fribourg/Göttingen, Academic Press/Vandenhoeck & Ruprecht, 2016, p. 131-140.
-
[5]
Mario Liverani, La Bible et l’invention de l’histoire. Histoire ancienne d’Israël, trad. Viviane Dutaut, Paris, Gallimard, 2010, p. 436-442 (p. 436).
-
[6]
André Finet, Le code de Hammurapi, Paris, Cerf, 1973, p. 31.
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[7]
André Barucq et al., Prières de l’Ancien Orient, Paris, Cerf, 1989, p. 73-75.
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[8]
Sur le culte d’Aton et la fonction d’Akhénaton, voir Ruth Schumann-Antelme, Stéphane Rossini, Dictionnaire illustré des dieux de l’Égypte, Monaco, Rocher, 2003, p. 71-78 ; Jan Assmann, « Monothéismes de l’Égypte ancienne », Le Monde de la Bible 110 (1998), p. 22-26 ; Id., Le prix du monothéisme, op. cit., p. 59 : « Ici, l’idée monothéiste et la violence théoclaste nous apparaissent comme caractéristiques d’un instant historique précis ; elles ont disparu avec lui et n’ont pas pu s’établir de façon durable. »
-
[9]
J. Assmann, Le prix du monothéisme, op. cit., p. 95-124 ; Thomas Römer, « Moïse, héros de la diaspora. Enquête sur les aspects de la figure de Moïse reflétant, à l’époque perse, les préoccupations de la diaspora égyptienne », Transeuphratène 36 (2008), p. 141-153 ; Id., « La construction d’une “vie de Moïse” dans la Bible hébraïque et chez quelques auteurs hellénistiques », in George J. Brooke, Thomas Römer (éd.), Ancient and Modern Scriptural Historiography – L’historiographie biblique, ancienne et moderne, Louvain/Dudley, Mass., Leuven University Press/Peeters, 2007, p. 109-125.
-
[10]
Stéphanie Anthonioz, « La destruction de la statue de Yhwh », Cahiers du cercle Ernest Renan 269, p. 1-20 (p. 9). Ce double mouvement du prisme d’Assurbanipal pourrait expliquer les raisons de la destruction de Jérusalem et probablement celle de la statue de Yhwh en raison d’une récidive de rébellion de la part de Juda.
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[11]
Les conquêtes de Jéricho et Aï, Jos 6,1-8,29 ; le renversement de l’autel de Baal, Jg 6,25-32 ; le combat du prophète Élie et des prophètes de Baal, 1 R 18,1-46 ; la destruction de la maison de Baal, 2 R 10,18-28. Voir Dany Nocquet, Le « livret noir de Baal ». La polémique contre le dieu Baal dans la Bible hébraïque et l’ancien Israël, Genève, Labor et Fides, 2004.
-
[12]
Le site se situe à 50 km au sud-est de Qadesh Barnéa dans le Néguev et date du viiie siècle av. J.-C. : Christoph Uehlinger, « Une image de Yahvé et de son Ashérah ? », Le Monde de la Bible 110 (1998), p. 58-59.
-
[13]
Christoph Uehlinger, « Was there a Cult Reform under King Josiah ? The Case for a Well-Grounded Minimum », in Lester L. Grabbe (éd.), Good Kings and Bad Kings, Londres/New York, T&T Clark, 2005, p. 279-316 ; Nadav Na’aman, « The King Leading Cult Reforms in his Kingdom : Josiah and Other Kings in the Ancient Near East », Zeitschrift für Altorientalische und Biblische Rechtsgeschichte 12 (2006), p. 131-168.
-
[14]
Les textes bibliques, sauf indication contraire, sont issus de la TOB.
-
[15]
Pierre Grelot, Documents araméens d’Égypte, Paris, Cerf, 1972, p. 398-419 (p. 406-409). Signalons encore la destruction du temple samaritain du mont Garizim par Jean Hyrcan, roi judéen Asmonéen en 117 av. J.-C., temple considéré comme concurrent de celui de Jérusalem pour le culte de Yhwh, Dieu unique.
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[16]
Cela corrobore l’interprétation de J. Assmann, Le prix du monothéisme, op. cit., p. 53-60.
-
[17]
1 S 8,1-22 ; 12,1-17 et plusieurs passages prophétiques prennent des positions critiques contre la royauté.
-
[18]
Sur Dt 17 et son contexte, voir Jean-Marie Carrière, Théorie du politique dans le Deutéronome : analyse des unités, des structures et des concepts de Dt 16,18-18,22, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 2001 ; J. Rückl, A Sure House, op. cit., p. 295-318.
-
[19]
J. Assmann, Le prix du monothéisme, op. cit., p. 95-138.
-
[20]
M. Liverani, La Bible et l’invention de l’histoire, op. cit., p. 275-290 (p. 278-282), appelle le vie siècle « l’époque axiale ». Voir également Thomas Römer, L’invention de Dieu, Paris, Seuil, 2014 ; Dany Nocquet, « Le Dieu unique et les autres. Esquisse de l’évolution religieuse de l’ancien Israël », Cahiers Évangile 154 (2010), p. 3-58.
-
[21]
René Labat et al., Les religions du Proche-Orient asiatique. Textes babyloniens, ougaritiques, hittites, Paris, Fayard/Denoël, 1970, p. 71-72, références n. 2, CT et KB VI/2, p. 113-119. Certains assyriologues pensent que cette idée d’unicité commence avec le dieu Assour, en tant que divinité suprême de l’Empire, devenant la divinité englobant les autres : Simo Parpola, « The Assyrian Tree of Life : Tracing the Origins of Jewish Monotheism and Greek Philosophy », Journal of Near Eastern Studies (1993), p. 161-208.
-
[22]
R. Labat et al., Les religions du Proche-Orient asiatique, op. cit., p. 71 : Enuma Elish, tablette VI, v. 119-120.
-
[23]
Pierre Lecoq, Les inscriptions de la Perse achéménide. Traduit du vieux perse, de l’élamite, du babylonien et de l’araméen, Paris, Gallimard, 1997, p. 187-189.
-
[24]
Le livre d’Ézéchiel (Ez 8-11) décrit symboliquement ce que représente la chute de Jérusalem : la ville est abandonnée par la divinité tutélaire, ce qui est illustré par le départ de la gloire de Yhwh du temple.
-
[25]
Sur l’aniconisme biblique, voir Karel Van der Toorn, « The Iconic Book. Analogies between the Babylonian Cult of Images and the Veneration of the Torah », in Id. (éd.), The Image and the Book. Iconic Cults, Aniconism, and the Rise of Book Religion in Israel and the Ancient Near East, Louvain, Peeters, 1997, p. 229-248 ; Reinhard Achenbach, « The Empty Throne and the Empty Sanctuary : From Aniconism to the Invisibility of God in Second Temple Theology », in Nathan MacDonald (éd.), Ritual Innovation in the Hebrew Bible and Early Judaism, Berlin/Boston, De Gruyter, 2016, p. 35-53 ; Adrian Schenker, « La profanation d’images cultuelles dans la guerre. Raisons explicites et raisons implicites de l’aniconisme israélite dans les textes de la Bible », Revue biblique 108/3 (2001), p. 321-330.
-
[26]
J. Assmann, Le prix du monothéisme, op. cit., p. 139-168, 191-193 : il s’agit selon l’auteur d’un basculement fondateur qui permit à l’humanité de grandir. Assmann nuance son approche lors de publications ultérieure, voir infra n. 28.
-
[27]
Eckart Otto, Deuteronomium 1-11, vol. I, 1,1-4,43, Fribourg/Bâle/Vienne, Herder, 2012, p. 508-592 (p. 563-566) ; Id., « Deuteronomium 4 : Die Pentateuchredaktion im Deuteronomiumrahmen », in Timo Veijola (éd.), Das Deuteronomium und seine Querbeziehungen, Helsinki/Göttingen, Finnische Exegetische Gesellschaft/Vandenhoeck & Ruprecht, 1996, p. 196-222 ; Françoise Laurent, « De l’incomparable, de l’unique. “C’est le Seigneur qui est Dieu.” Dt 4,1-40 », in Eberhard Bons, Thierry Legrand (éd.), Le monothéisme biblique. Évolution, contextes et perspectives, Paris, Cerf, 2011, p. 71-90.
-
[28]
Jan Assmann, « Exodus and Memory », in Thomas E. Levy, Thomas Schneider, William H. C. Propp (éd.), Israel’s Exodus in Transdisciplinary Perspective. Text, Archaeology, Culture, and Geoscience, New York, Springer, 2015, p. 3-15.
-
[29]
Le livre d’Ézéchiel est attentif à la dimension commune et répétitive des chutes de Samarie et Jérusalem, comme l’atteste Ez 23 : ce chapitre présente Samarie et Jérusalem comme deux sœurs, Ohola et Oholiba.
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[30]
Sur le débat concernant les épithètes de messie et de serviteur, voir Klaas A. D. Smelik, « My Servant Nebuchadnezzar. The Use of the Epithet “My Servant” for the Babylonian King Nebuchadnezzar in the Book of Jeremiah », Vetus Testamentum 64/1 (2014), p. 109-134 ; Lisbeth S. Fried, « Cyrus the Messiah ? The Historical Background to Isaiah 45 :1 », Harvard Theological Review 95/4 (2002), p. 373-393.
-
[31]
Daniel Isaac Block, The Book of Ezekiel. Chapters 1-24, Grand Rapids, Mich., Eerdmans, 1997, p. 611-642 ; Karl-Friedrich Pohlmann, Das Buch des Propheten Hesekiel (Ezechiel). Kapitel 20-48, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2001, p. 299-313 ; Elizabeth Keck, « The Glory of Yahweh in Ezekiel and the Pre-Tabernacle Wilderness », Journal for the Study of the Old Testament 37/2 (2012), p. 201-218.
-
[32]
Nombreuses sont les histoires qui racontent le glissement d’une action divine israélo-centrée vers une représentation universalisante de l’action de Yhwh : Gn 37-50 ; Nb 22-23 ; 2 R 5… Voir Dany Nocquet, La Samarie, la Diaspora et l’achèvement de la Torah. Territorialités et internationalités dans l’Hexateuque, Fribourg/Göttingen, Academic Press/Vandenhoeck & Ruprecht, 2017.
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[33]
Frantz Grenet et al., « Israël sous la domination des Perses », Le Monde de la Bible 187 (2009), p. 22-47 ; Damien Noël, « La période perse (538-332) », Cahiers Évangile 121 (2002), p. 23-46.
-
[34]
Pierre Briant, Histoire de l’Empire perse. De Cyrus à Alexandre, Paris, Fayard, 1996, p. 507. Le fragment de lettre a été retrouvé dans une inscription mutilée du iie siècle av. J.-C. Elle faisait partie des documents manifestant les privilèges du temple d’Apollon. Ce document qui remonte au ve siècle illustre la politique religieuse du pouvoir achéménide.
-
[35]
Yigal Levin, « The Formation of the Idumean Identity », ARAM 27/1-2 (2015), p. 187-202 (p. 196-199). L’auteur parle de « melting pot » (p. 201).
-
[36]
André Lemaire, « Another Temple to the Israelite God : Aramaic Hoard Documents Life in Fourth Century B.C. », Biblical Archaeology Review 30/4 (2004), p. 38-44, 60 ; Y. Levin, « The Formation of the Idumean Identity », art. cit., p. 197.
-
[37]
Ces livres sont connus pour la mise en place d’une identité basée sur la foi en Yhwh et l’appartenance ethnique, Esd 10 et Ne 13.
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[38]
Ce récit appartient à l’histoire d’Élisée, 2 R 3-9, dans laquelle sont rapportés les miracles d’Élisée et ses liens avec la royauté araméenne. Pour une étude de détail : Dany Nocquet, « Yahwisme sans frontières et Israël sans territoire à l’époque perse ? Une lecture de 2 R 5 », Transeuphratène 50 (2018), p. 141-154 ; Id., « Liberté interprétative et vérité insaisissable : les apprentissages de la Bible hébraïque face à la diversité yahwiste », Études théologiques et religieuses 95/3 (2020), p. 501-514 (p. 505-509).
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[39]
Le terme hébreu est ‘âdâmâh, désignant le sol brut à cultiver, sans connotation territoriale.
-
[40]
La LXX comprend : « Les Égyptiens serviront les Assyriens » et renverse du coup le sens du TM et la logique de l’alignement de l’Assyrie et de l’Égypte. Voir Stephan Lauber, « “JHWH wird sich Ägypten zu erkennen geben, und die Ägypter werden an jenem Tag JHWH erkennen” (Jes 19,21). Universalismus und Heilszuversicht in Jes 19,16-25 », Zeitschrift für die Alttestamentliche Wissenschaft 123/3 (2011), p. 368-390 (p. 372).
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[41]
Mc 1,13-17 ; Mt 22,15-22 ; Lc 20,22-26. Voir Dieter Georgi, « The Hour of the Gospel : Jesus and Caesar », in Id., The City in the Valley, Biblical Interpretation and Urban Theology, Atlanta, Society of Biblical Literature, 2005, p. 69-92 ; Joseph B. Modica (éd.), Jesus is Lord, Caesar is not. Evaluating Empire in New Testament Studies, Downers Grove, Ill., InterVarsity Press, 2013.
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[42]
Expression utilisée par Olivier Abel lors du débat ayant suivi la leçon du cours public dont est issu cet article.
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[43]
Francis Wolff, Plaidoyer pour l’universel, Paris, Fayard, 2019, p. 278.