Notes
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[*]
Gérard Siegwalt est professeur honoraire de la Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg.
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[1]
Voir le CD-rom Accords et dialogues œcuméniques (désormais ADO), André Birmelé, Jacques Terme, éd., Olivétan 2007. Dans ce qui suit, les références qui suivent l’abréviation sont celles de la numérotation des rubriques et, s’il y a lieu, de la page. Je remercie André Birmelé pour les précisions reçues de lui concernant ces dialogues. Pour les Thèses de Lyon, voir ADO, 2.3.
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[2]
ADO, 2.2. Introduction.
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[3]
ADO, 2.2.2.3.
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[4]
In La foi des Églises protestantes. Confessions et catéchismes, André Birmelé, Marc Lienhard, éd., Paris/Genève, Cerf/Labor et Fides, 1991, p. 46.
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[5]
Citation dans ADO, Introduction générale.
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[6]
ADO, 3 et 4.
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[7]
ADO, Introduction générale.
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[8]
Cf. à ce propos Wilhelm Stählin, éd., Evangelium und Christengemeinschaft, Kassel, Johannes Stauda-Verlag, 1953. Et, plus récemment, Hartmut Höfener, Die Christengemeinschaft und die Evangelische Kirche in Deutschland, Dortmund (chez l’auteur), 1998.
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[9]
Cf. Marie-Pierrette Robert, Gérard Siegwalt, éd., Chemin faisant, travaux du groupe de dialogue « Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine et La Communauté des chrétiens ». Strasbourg (chez les destinataires, à savoir les Églises concernées), 2005.
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[10]
Nous n’évoquons pas le dialogue des Églises réformées avec les Disciples du Christ, d’une part parce qu’il a potentiellement conduit à un accord, d’autre part parce qu’il concerne uniquement les États-Unis, seul pays où les Disciples du Christ sont présents. Voir à ce propos ADO, 6.
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[11]
ADO, Introduction générale.
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[12]
ADO, 5. Introduction.
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[13]
ADO, 5.2, Introduction.
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[14]
Ibid.
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[15]
ADO, 5.2.2, p. 10.
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[16]
ADO, 5.3.2.
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[17]
ADO, 5.3.2, p. 20.
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[18]
ADO, 7.
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[19]
ADO, 10.
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[20]
ADO, 11.
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[21]
Texte sur le site du Vatican (ADO, 11).
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[22]
ADO, 11.1, p. 11 sqq.
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[23]
Ibid., p. 15 sq.
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[24]
ADO, 8.3.1.
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[25]
ADO, 8.
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[26]
Ibid., Introduction.
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[27]
ADO, 9.
-
[28]
Cf. Michael Beintker,Viorel Ionita, Jochen Kramm, éd., Taufe im Leben der Kirchen. Dokumentation eines orthodox-evangelischen Dialogs in Europa, Francfort-sur-le-Main, Verlag Otto Lembeck, coll. « Leuenberger Texte 12 », 2011.
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[29]
Pour les deux dernières nommées, la raison est celle de la « succession apostolique », dont elles affirment avoir seules la plénitude ; pour les deux premières, la raison est leur fondamentalisme.
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[30]
La traduction habituelle par « crainte » est discutable, puisque la foi et la « crainte de Dieu » vont de pair, tout comme l’amour de (pour) Dieu.
1« Un seul baptême », affirme l’Épître aux Éphésiens, au milieu d’autres affirmations unitaires. Voici tout le passage : « Il y a un seul corps et un seul Esprit, de même que votre vocation vous a appelés à une seule espérance ; un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous et à travers tous et en tous » (Ep 4, 4-6). Trois constatations s’imposent.
2(1) Quelle que soit la manière dont on lit cette suite d’affirmations, elles sont toutes dépendantes les unes des autres. En donnant à chacune sa signification plénière, qu’elle reçoit en la mettant en relation avec le reste du message néotestamentaire, le lien apparaît clairement entre le baptême, acte d’initiation à l’existence chrétienne, la communauté de foi ou l’Église dans sa dimension de profondeur de corps du Christ, l’orientation de l’existence baptismale et de l’Église chrétienne vers un au-delà d’elles-mêmes, dans le sens de l’espérance de l’accomplissement de toutes choses, et donc vers ce que Jésus appelle le Royaume de Dieu, et le Dieu tri-un, Esprit, Seigneur (Christ) et Dieu Père.
3(2) Les différentes affirmations sont toutes portées par celle de l’unité, et unicité, de Dieu, une unité vivante, trinitaire, et elles explicitent la portée de cette unité-unicité : elle n’est pas un principe abstrait d’uniformité, mais a comme unité elle-même vivante des implications vivantes, ce qui veut aussi dire vivifiantes, à savoir l’Église, le Royaume de Dieu, le baptême. Ce sont là des « lieux » d’unification vivante : lieu communautaire (Église), lieu individuel-personnel (baptême), les deux tendus vers leur finalité dans le Royaume de Dieu.
4(3) Ces différentes affirmations renvoient à une réalité qui a son lieu, ou qui s’effectue, en l’être humain : c’est lui qui vit le baptême, qui est incorporé à l’Église, qui avec l’Église est tourné vers un avenir de plénitude, qui en tout cela est marqué fondamentalement par sa relation au Dieu tri-un. D’où la question : où, quand, comment, pour qui cette réalité advient-elle alors que manifestement il s’agit d’une réalité spirituelle, et donc existentielle, et ainsi distincte du réel soit scientifique soit couramment empirique et de ce qu’on nomme le temporel ?
5Il suffit pour notre propos de ce rappel, d’une part quant au sens du baptême, d’autre part quant à la question de son effectuation existentielle, pour noter un certain accord – souvent même un accord large – entre les différentes traditions ecclésiales à ce sujet. Pourquoi alors parlons-nous du défi du baptême ? Il tient d’un côté au désaccord persistant dans l’accord même, de l’autre côté à tout ce que accord et désaccord occultent quant au sens et à la réalité existentiels du baptême. Le défi du baptême est un défi « œcuménique », au double sens de ce terme : interecclésial ou interconfessionnel d’une part, concernant toute la terre habitée (l’oikouménè) et donc toute l’humanité d’autre part. Telle est la signification du sous-titre : Une mise en perspective « œcuménique » (du baptême), d’un côté entre Églises chrétiennes, de l’autre côté entre ces dernières et l’humanité plus vaste.
I – L’évolution de la compréhension et de la pratique du baptême dans les différentes églises
6À quel questionnement critique faut-il, pour l’avenir du dialogue interconfessionnel, soumettre la compréhension, la pratique et l’évolution du baptême dans les différentes Églises ? Examinons les différents cas de figure.
1 – Églises luthériennes et Églises réformées
7Ces Églises sont aujourd’hui, dans bien des cas, en plein accord doctrinal concernant le baptême. L’accord le plus ancien à ce sujet a été réalisé dans les Thèses de Lyon (1968) [1], à la suite d’un dialogue entre luthériens et réformés français qui a précédé le dialogue au plan européen.
8Comportant trois parties – Parole de Dieu et Écriture sainte, Le baptême au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, La cène du Seigneur –, elles fondent l’unité doctrinale plénière (sur tout ce sur quoi, selon la théologie de la Réforme, il doit y avoir accord pour qu’il puisse y avoir pleine communion ecclésiale) entre les deux grandes traditions protestantes. La partie sur le baptême a trois sections :
91. Le fondement du baptême ; 2. La grâce du baptême ; 3. Le ministère baptismal de l’Église. Ces Thèses ont été reçues officiellement par les principales Églises luthériennes et réformées de France et ont conduit depuis lors, corroborées par la Concorde de Leuenberg (cf. ci-après), à la pleine reconnaissance mutuelle des Églises concernées et à la constitution, qui est en cours, d’une union de ces Églises dénommées « Églises protestantes ». L’union n’est pas une fusion ni donc une uniformisation, puisqu’elle respecte en son sein la spécificité liturgique, de piété, de sensibilité, etc. de chacune des deux traditions qu’elle met cependant en pleine communion l’une avec l’autre.
10La Concorde de Leuenberg (1973) est le résultat de dialogues entre luthériens et réformés au plan européen. Concernant le baptême, voici ce qu’elle affirme : « Le baptême est administré avec de l’eau au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Dans le baptême, Jésus-Christ accueille l’homme soumis à l’esclavage du péché et de la mort, il l’introduit de façon irrévocable dans la communion de son salut, afin qu’il devienne une nouvelle créature. Il l’appelle par la force du Saint-Esprit, à s’agréger à son Église, à vivre dans la foi, à se convertir et à le suivre chaque jour. » André Birmelé, éditeur des textes d’accords et de dialogues œcuméniques, écrit, à propos de la Concorde de Leuenberg : « Cette Concorde est originale dans le contexte de l’œcuménisme contemporain. Se limitant à la compréhension de l’Église proposée par les réformateurs : l’assemblée des croyants célébrant ensemble parole et sacrements, elle n’aborde pas les questions ecclésiologiques particulières (ministère, rôle des synodes, etc.) qui sont pour elle le lieu de différences légitimes. De ce fait des Églises à structures et fonctionnements ecclésiaux distincts, et se référant, en outre, à ces confessions de foi différentes (Confession de La Rochelle, Catéchisme de Heidelberg, Confession d’Augsbourg, etc.) se déclarent mutuellement en pleine communion après avoir vérifié la légitimité de ces références différentes. » Il importe alors de bien noter la portée effective de la Concorde de Leuenberg. « Cette Concorde, dit le même théologien, a été proposée aux Églises et approuvée par les Synodes. Elle a été ratifiée par presque toutes les Églises de tradition luthérienne, réformée ou unie ainsi que quelques Églises d’origine allemande en Amérique du Sud ; cela a donné naissance à la CEL (Communion Ecclésiale de Leuenberg). Après 1994, les Églises méthodistes européennes signèrent un accord parallèle par lequel elles rejoignirent la CEL qui devint alors la CEPE (Communauté des Églises Protestantes d’Europe) – communion à laquelle participent aujourd’hui 105 Églises européennes. » Cela signifie que « les Églises signataires s’engagent à rechercher un témoignage et un service communs, à poursuivre le travail théologique commun, à tirer localement les conséquences structurelles nécessaires et à faire profiter tout le mouvement œcuménique de leur relation nouvelle [2] ».
11Il y a eu un travail post-Leuenberg qui, entre autres, a conduit à un long texte, d’orientation pastorale, Le baptême (1994) [3]. Reçu à l’Assemblée générale des Églises de la Communion de Leuenberg à Vienne, il porte sur la doctrine et la pratique du baptême et comporte les parties suivantes : 1. La signification du baptême ; 2. Baptême d’enfants et baptême d’adultes ; 3. Le baptême : les notions de membre d’Église et d’apostolat ; 4. De la pratique du baptême.
12Avant d’évaluer cet accord, il est bon de le situer dans son contexte. Il est le même pour les autres dialogues œcuméniques dont il va encore être question. Nous l’exemplifions à propos du cas de figure des Églises luthériennes et réformées.
2 – Le contexte du dialogue
13Notons d’emblée que là où un contexte favorable n’est pas donné, comme par exemple en Afrique, l’œcuménisme, comme on dit, n’a pas encore vraiment rencontré son kairos (temps opportun). Notons également que le contexte esquissé ci-après peut conduire aussi bien à l’ouverture à telle autre Église, voire aux autres Églises, qu’au repli sur sa propre tradition – nous reviendrons sur le phénomène de l’intégrisme. Notons enfin que l’œcuménisme qui se pratique entre deux Églises données bénéficie de l’œcuménisme au plan général, et que la réciproque est vraie aussi. Trois choses peuvent être dites.
14La première a trait à ce qui est en amont du dialogue, en l’occurrence du dialogue luthéro-réformé. En amont, il y a la pression de plusieurs faits. Nommons les principaux : la progressive déchristianisation, ou sécularisation, de la société et, partant, la conscience croissante de la fragilité des Églises et de la foi chrétienne ; puis le rapprochement effectif des Églises concernées du fait du dialogue œcuménique « au sommet » (cf. Conseil Œcuménique des Églises, Alliances confessionnelles internationales), du fait du renouveau théologique, biblique, patristique, liturgique, communautaire, et du fait du vécu « à la base » (couples mixtes, mobilité humaine, professionnelle, spirituelle, intellectuelle, rencontres au plan du travail de jeunesse, engagement social ou caritatif commun, etc.).
15La deuxième chose concerne les conditions mêmes du dialogue dans son effectuation. Le dialogue se fait dans des rencontres, où les participants vivent ensemble, prient ensemble, assistent aux célébrations de l’Église hôte, se rencontrent donc humainement et spirituellement, et élargissent ainsi leur connaissance de l’autre Église : c’est le contexte dans lequel se déroule le dialogue théologique ou doctrinal. Le constat se vérifie toujours à nouveau : l’accord devient possible grâce au dialogue et donc grâce à la rencontre effective dans lesquels croît, avec la connaissance mutuelle, la confiance mutuelle.
16La dernière renvoie à ce qui est en aval du dialogue. Ce qui est en aval, c’est ce qui prolonge le dialogue, à savoir la « réception » par les Églises concernées du fruit du dialogue, mais aussi la continue mise à jour et l’explicitation de ce dernier (cf. le texte Le baptême, de 1994, qui actualise et explicite l’affirmation sur le baptême de la Concorde de Leuenberg). Le dialogue, même là où il conduit à un accord doctrinal, demande à être constamment entretenu, vivifié, approfondi, tout comme la foi elle-même. L’œcuménisme, de même que la foi, n’est pas un compte en banque, mais une richesse qui circule et qui se perd si elle ne circule pas.
3 – Évaluation de l’accord luthéro-réformé sur le baptême
17Le dialogue entre luthériens et réformés a donné lieu à un accord dont il faut souligner le caractère exemplaire pour trois raisons.
18Inspiré par les Alliances confessionnelles internationales (Fédération Luthérienne Mondiale, Alliance Réformée Mondiale), le dialogue jusqu’à Leuenberg – et aussi au-delà – a été et est porté par les différentes Églises luthériennes et réformées européennes. Dans son élaboration les Églises concernées se sont pleinement engagées et, une fois l’accord conclu, elles continuent à s’engager pleinement. On peut le voir dans la réception de l’accord, dans sa mise en œuvre pratique, dans son actualisation. Fécondité d’un tel accord au-delà de sa région d’origine, dans d’autres régions du monde, voire potentiellement pour toute la chrétienté universelle.
19Deuxième raison, l’accord sur le baptême s’inscrit dans un accord plus global, ouvert à l’accueil et, partant, à la compréhension de l’évangile dans sa totalité ainsi qu’à celle de l’Église considérée dans son essence. Il ne s’agit pas simplement d’un accord partiel, miné dans sa signification et donc dans sa portée par toutes sortes de restrictions, mentales et pratiques, mais d’un accord franc, sans réserve et donc plénier, un accord qui fait le pari de l’unité de la foi et de l’unité de l’Église. Il honore, c’est-à-dire met en œuvre, l’affirmation de l’article VII de la Confession d’Augsbourg (1530), reçue par les deux traditions protestantes concernées : « Pour qu’il y ait une vraie unité de l’Église, il suffit (satis est) d’être d’accord sur la doctrine de l’évangile et sur l’administration des sacrements. Il n’est pas nécessaire (non necesse est) qu’il y ait partout les mêmes traditions humaines ou les mêmes rites ou les mêmes cérémonies, d’institution humaine [4]. » C’est dire que cet accord respecte, dans la confession du même évangile et de l’Église une du Christ, la diversité et donc la grande richesse de la compréhension de celui-là et de l’explicitation de celle-ci. Cette diversité et cette richesse théologique, spirituelle et pratique sont déjà caractéristiques du Nouveau Testament lui-même, sans mettre en cause l’affirmation de l’unité (différente de l’uniformité) communielle (l’unité comme communion) de l’évangile et, par conséquent, également de l’Église. Comme le dit Michel Bertrand, ancien président du Conseil National de l’ERF : « L’accord sur l’essentiel autorise une diversité légitime, non séparatrice, accueillie et vécue comme une richesse. Car la diversité est une caractéristique positive. Le dialogue œcuménique s’est parfois appauvri dans la recherche exclusive du consensus et la quête de convergences à tout prix, en gommant comme discordantes toutes les différences. Or la diversité n’est pas un défaut provisoire d’unité, elle est l’expression d’un débat, lui-même significatif de l’évangile, où se vit et s’exprime quelque chose de notre communion [5]. » Le caractère non partiel mais global de l’accord, son caractère englobant par conséquent, et en ce sens systématique, ressortit de la conscience à la fois de la fragmentarité de toute compréhension humaine, de la signifiance et donc de la provision de plénitude de cette fragmentarité, et ainsi du fait que la foi et l’Église sont toujours en chemin, et que leur regard est tourné vers un accomplissement qui est le but de ce chemin. Parler d’accord systématique ne peut jamais s’entendre dans le sens d’une fermeture (système fermé) mais seulement dans celui d’une ouverture (système ouvert), ce que cet accord systématique vise étant toujours en avant de toute réalisation, Dieu étant toujours en avant, au-delà de toute saisie qui se voudrait « définitive » et qui, en le « définissant », le limiterait et ainsi le renierait comme Dieu. L’accord sur le baptême, qui s’inscrit dans un accord global sur l’évangile et sur l’Église, est fondé dans la compréhension de l’évangile comme un chemin – non un avoir – et de la foi et de l’Église comme une marche, personnelle et communautaire – non un aboutissement.
20Troisième raison, l’accord sur le baptême est ainsi porté par la conscience qu’il marque une étape, d’abord pour les Églises directement concernées par lui, ensuite pour toute la chrétienté sur le chemin de sa pleine communion ecclésiale. Celle-ci ne peut pas être comprise comme une fusion, mais seulement comme une communion et donc comme une reconnaissance mutuelle des différentes Églises. Cela pose la question de la façon dont cette reconnaissance mutuelle est concrètement vécue et donc mise en œuvre. Nous reviendrons sur ce sujet en évoquant un ministère de communion interecclésiale.
21L’exemplarité de l’accord luthéro-réformé justifie la place éminente qui lui est faite ici. Les autres accords et dialogues encore en cours, dont il va être question, ne sont pas moins importants. Mais nous les évaluerons à l’aune de l’accord particulier présenté, à cause précisément de ce qui, selon la compréhension commune des Églises luthériennes et réformées, constitue son exemplarité, une exemplarité théologique.
II – Églises réformées et/ou luthériennes versus autres Églises « protestantes »
22À côté des déclarations de communion entre Églises luthériennes et Églises réformées, et cela dans l’élan impulsé par la Concorde de Leuenberg, plusieurs autres déclarations de communion viennent marquer par la suite le paysage œcuménique :
- entre les Églises protestantes allemandes et l’Église d’Angleterre (Accord de Meissen, 1988) ;
- entre les Églises luthériennes nordiques et les Églises anglicanes britanniques (Accord de Porvoo, 1994) ;
- entre luthériens et réformés d’une part, méthodistes au niveau paneuropéen d’autre part (CEPE, 1997) ;
- entre luthériens et réformés français d’une part, anglicans des Îles britanniques d’autre part (Accord de Reuilly, 2000) ;
- entre luthériens et anglicans aux États-Unis d’Amérique, au Canada et en Australie [6].
Pour les Églises de la Réforme, la finalité du dialogue est de parvenir à la « reconnaissance mutuelle » et à la pleine « communion ecclésiale ». La « reconnaissance mutuelle » consiste à déclarer qu’une autre Église, avec son histoire, sa piété et sa spiritualité propres, ses accents théologiques particuliers est au même titre que « mon Église » une expression pleine et authentique de l’unique Église du Christ. Cette dernière ne saurait être identifiée à une seule expression ecclésiale particulière. Mais elle s’exprime concrètement dans des familles confessionnelles. Pour que pareille reconnaissance soit possible, il faut, dans le dialogue, dépasser les obstacles qui avaient conduit dans l’histoire à la non-reconnaissance, c.-à-d. à l’affirmation du caractère hérétique de l’autre communauté. La « communion ecclésiale », est le corollaire de la reconnaissance mutuelle. Pour les Églises issues de la Réforme, la condition nécessaire et suffisante pour la « communion ecclésiale » est l’accord dans la prédication de la Parole de Dieu et la célébration des sacrements. Lorsque cet accord est donné, l’unité est donnée et les Églises se déclarent en pleine communion quant à la prédication de la Parole et à la célébration des sacrements. Pour les Églises protestantes cette communion inclut la reconnaissance des ministères et la possibilité d’un ministre d’une Église de servir dans l’Église sœur. Cette communion exprime le consensus fondamental sans exiger des formes de vie identiques. Tous les autres domaines de la vie des Églises sont le lieu d’une diversité légitime à condition que cette altérité ne remette pas en cause l’accord fondamental [7].
24Dans leur substance, toutes ces déclarations de communion, qui comportent chacune un passage sur le baptême, sont très proches de la Concorde de Leuenberg et n’appellent pour cette raison pas de nouveaux commentaires.
1 – La Communauté des chrétiens
25Mention doit être faite du dialogue informel entre les Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine d’un côté, La Communauté des chrétiens (Christengemeinschaft) de l’autre côté. Celle-ci, issue de la rencontre entre le fondateur de l’anthroposophie, Rudolf Steiner, d’origine catholique romaine, et un groupe de théologiens protestants (1922), veut être « un mouvement de renouveau religieux s’inscrivant pleinement dans la tradition du christianisme ». Alors que sur d’autres points de différence un accord potentiel existe avec les Églises luthériennes et réformées en Allemagne, pays où La Communauté des chrétiens est née et où elle est la plus répandue [8], la question du baptême, à cause de la liturgie baptismale inhabituelle de La Communauté des chrétiens, avait semblé jusque-là un différend insurmontable. Porté par « la conscience qui s’est progressivement imposée à nous, d’un côté tant de la différence de nos traditions que du caractère non séparateur de cette différence, de l’autre côté de la vivifiante et féconde stimulation spirituelle et théologique liée à cette différence même », un groupe de travail composé de membres des Églises mentionnées a abouti à un Accord sur le baptême tel que pratiqué dans La Communauté des chrétiens (2005) [9]. Cet accord n’a jusqu’ici fait l’objet d’aucune prise en considération ni de la part des instances ecclésiales concernées ni de la part des instances œcuméniques auxquelles il a été transmis.
26La situation est différente en ce qui concerne d’autres familles chrétiennes qui ressortissent toutes également du protestantisme au sens large, en ce sens qu’elles se réclament de la Réforme protestante du xvie siècle mais, soit remontent à la « Réforme radicale », soit sont plus récentes. Il s’agit du dialogue des Églises luthériennes et réformées avec les Églises baptistes, du dialogue des Églises réformées avec les Disciples du Christ, du dialogue des Églises luthériennes et réformées avec les Églises mennonites, puis avec les Églises adventistes, enfin avec les Églises pentecôtistes [10]. Dans tous ces cas, « une certaine communion est possible et vécue sans que l’on puisse cependant envisager dès maintenant la pleine reconnaissance mutuelle [11] ».
27On peut noter que, si ces Églises partagent, sinon réellement du moins potentiellement avec les Églises luthériennes et réformées « une compréhension largement commune de l’évangile » et qu’« une communion dans la prédication de la Parole est possible et vécue [12] », l’enjeu de tous ces dialogues est double : il concerne d’une part le baptême, d’autre part l’ecclésiologie (la compréhension de l’Église).
2 – Les Églises baptistes
28Alors que les dialogues internationaux n’ont pas encore permis de véritable percée [13], trois dialogues méritent d’être mentionnés.
29(1) Le dialogue en Italie, entre les Églises vaudoises, méthodistes et baptistes. « Ces petites Églises, fortement minoritaires dans le contexte italien, ont pu arriver à un certain accord, aussi à propos du baptême, qu’elles s’efforcent de traduire dans leur réalité ecclésiale. » Cet accord (1990) va jusqu’à une reconnaissance mutuelle entre ces Églises.
30(2) Le dialogue paneuropéen : il se situe dans la mouvance post-Leuenberg qui vise à élargir le champ des Églises concernées par la Concorde de Leuenberg (la Communion ecclésiale de Leuenberg, CEL) aux Églises baptistes. Il a abouti au Rapport de Prague (2004) dont « la percée la plus importante concerne la compréhension du baptême qui a conduit les participants baptistes à demander à leurs Églises de ne plus pratiquer aucun acte qui pourrait être compris comme un rebaptême. La réception de ce Rapport dans les différentes Églises est en cours [14] ». Il faut cependant préciser deux choses. D’une part, le renoncement au rebaptême pose un problème dans certaines Églises baptistes nationales, alors que plusieurs communautés baptistes, principalement en Allemagne, en Grande Bretagne et dans les pays scandinaves y adhèrent et ont d’ores et déjà changé leur pratique. D’autre part, en raison de la caractéristique congrégationaliste de l’ecclésiologie baptiste (chaque communauté locale est largement autonome, même si par ailleurs ces communautés sont reliées entre elles dans une Fédération baptiste), « les préalables pour une pleine communion ecclésiale à l’image de celle proposée par la Concorde de Leuenberg ne sont pas encore donnés », comme le note l’Avant-propos du Rapport. Il ajoute cependant : « Mais de nouveaux pas sont possibles et vivement recommandés [15]. »
31(3) Le dialogue en France, entre Églises luthériennes et réformées d’un côté, Églises baptistes de l’autre côté. Il se fait au niveau de la Fédération Protestante de France, dont font partie toutes les Églises concernées. Encore en cours, les premières conclusions de ce dialogue ont été présentées en 2007 [16]. Conscient du fait que « les baptistes ont du mal à reconnaître le baptême des enfants comme un véritable baptême, ce qui, en principe sinon en fait, nuit à la pleine communion ecclésiale » avec les Églises non baptistes, le document précise que « l’accent que les baptistes mettent sur la foi de la communauté a toujours permis (depuis le xviie siècle), au moins à certains d’entre eux, de reconnaître pleinement le caractère d’Église à des communautés avec lesquelles ils se considéraient en communion tout en ayant des conceptions différentes du baptême [17]. » Suivent alors des « Propositions et questions sur la pratique du baptême », qui conduisent tour à tour à des « Propositions adressées aux Églises baptistes » et puis « aux Églises luthériennes et réformées », enfin aux « Questions pour aller plus loin ». Ce dialogue en France n’a pas jusqu’ici donné lieu à des conséquences pratiques, à la différence du Rapport de Prague qui a conduit à la modification des pratiques de plusieurs Églises baptistes.
32On peut mentionner ici aussi le dialogue avec les Églises mennonites (anabaptistes) qui, malgré leur totale autonomie ecclésiale, font partie théologiquement de la famille baptiste. Alors qu’une communion ecclésiale ne semble pas actuellement pouvoir être envisagée avec les Églises luthériennes et réformées, le dialogue laisse ouverte la possibilité d’une hospitalité à l’occasion de la sainte cène et d’autres formes de collaboration pratique [18].
33Concernant le dialogue avec les Églises adventistes, malgré d’autres différences, s’agissant du baptême elles partagent la compréhension baptiste. La question de la reconnaissance mutuelle se pose largement dans les mêmes termes qu’à propos des Églises baptistes [19].
3 – Les Églises pentecôtistes
34Ces Églises sont en progression constante à travers le monde depuis l’apparition du pentecôtisme au début du xxe siècle (plus de 500 millions aujourd’hui). Alors que la Réforme protestante du xvie siècle avait exclu les tendances pentecôtistes appelées alors « illuministes », du fait qu’elle liait l’action de l’Esprit étroitement à la Parole et aux sacrements placés tous deux sous la responsabilité ministérielle de l’Église, le Mouvement de renouveau charismatique, apparu dans les années 1960, marque la pénétration dans les Églises « historiques » protestantes et catholiques romaines du pentecôtisme, avec son affirmation forte de l’Esprit Saint comme Esprit de renouveau personnel et ecclésial. Le dialogue de ces Églises avec le pentecôtisme, non seulement comme avec un mouvement qui leur est intérieur – celui du renouveau charismatique –, mais aussi comme avec un interlocuteur extérieur est le grand défi actuel pour les différentes parties prenantes. Rendu difficile du fait que les Églises pentecôtistes sont, à l’instar des Églises baptistes, de type congrégationaliste et qu’il n’existe pour elles aucune organisation comparable aux Fédérations internationales, luthérienne ou réformée, il s’effectue au niveau international depuis 1996 à la fois avec les Églises réformées et les Églises luthériennes [20] ainsi qu’avec l’Église catholique romaine [21].
35La problématique du dialogue avec les Églises pentecôtistes, si elle est à certains égards proche de celle du dialogue avec les Églises baptistes (congrégationalisme, foi personnelle confessante), en diffère cependant sur deux points. D’abord la compréhension de la communauté ecclésiale : l’Église, qui est la communion sous la gouvernance de l’Esprit, est la communion des dons de l’Esprit [22]. Ensuite la compréhension du baptême : le baptême d’eau est considéré comme secondaire par rapport au « baptême de l’Esprit Saint », lequel s’atteste dans les dons spéciaux de la glossolalie et de la prophétie [23]. Comme cela s’est avéré dans le dialogue avec les Églises baptistes, on est en droit d’espérer un questionnement et un enrichissement réciproques du dialogue avec les Églises pentecôtistes.
III – Églises luthériennes et réformées et Église catholique-romaine versus Églises orthodoxes
36Concernant le dialogue entre les deux Églises luthériennes et réformées et l’Église catholique romaine, toute sa problématique apparaît à propos de la Déclaration sur le baptême (1973), texte du Comité mixte catholique-protestant en France. Cet accord, limité à la France, comporte la conclusion suivante : « Nous reconnaissons mutuellement les baptêmes célébrés dans nos Églises, dès lors qu’ils le sont par un ministre reconnu par son Église et en conformité avec les dispositions liturgiques et pastorales propres à celle-ci. Ainsi, malgré les divisions qui existent encore entre nos Églises, le baptême est bien le lien de notre unité et le signe par lequel nous sommes rassemblés dans une même foi, une même espérance et une même charité [24]. » La problématique de ce texte d’accord, c’est qu’il est limité au seul baptême et qu’il n’en est tiré aucune conséquence par l’Église catholique romaine – et ce malgré la non-réciprocité de ce refus par les Églises protestantes – ni pour l’intercommunion dans l’eucharistie ni pour la reconnaissance ecclésiale mutuelle.
37Nous nous contentons ici de cette seule référence, très particulière pourtant, parce que limitée d’une part au seul baptême, d’autre part uniquement à la France, alors que les dialogues des Églises luthériennes et réformées avec l’Église catholique romaine ont conduit, depuis Vatican II, à des pas autrement significatifs [25]. Ils sont cependant, comme le note A. Birmelé, obérés du fait de « la difficulté catholique de reconnaître une autre tradition chrétienne comme partenaire équivalent et se considérer soi-même comme une tradition confessionnelle parmi d’autres [26] », ce qui ne permet pas d’envisager une pleine communion ecclésiale avec les Églises protestantes.
38Concernant le dialogue entre les Églises luthériennes et réformées et les Églises orthodoxes [27], la situation diffère du dialogue précédent en ce qu’il n’y a pas de vrai accord jusqu’ici concernant le baptême, malgré la reconnaissance de convergences importantes sur l’essentiel : ainsi, un dialogue récent (Vienne 2008) entre les Églises concernées reconnaît que les différences dans la pratique baptismale (exorcisme et chrismation du côté orthodoxe, confirmation du côté luthérien et réformé) ne sont pas de nature séparatrice [28]. Elle lui est cependant assimilable du fait de l’idée qu’ont les Églises orthodoxes de leur seule plénitude ecclésiale et, partant, de la déficience ecclésiale des Églises protestantes, celles-ci étant coupées, comme aux yeux de l’Église catholique romaine, de la pleine succession apostolique.
39On peut dire que pour les deux cas de figure (Église catholique romaine et Églises orthodoxes), on aurait pu s’attendre à davantage de proximité théologique et ecclésiale avec les Églises protestantes considérées, à cause des accords potentiels mais jamais avalisés officiellement par les différentes Églises concernées, donnés dans ce qu’on nomme le B.E.M. (Baptême, eucharistie, ministère, texte de « Foi et Constitution » du Conseil œcuménique des Églises, proposé par l’Assemblée générale du COE à Lima au Pérou en 1982). Alors que le dialogue entre l’Église catholique romaine et les Églises orthodoxes (Patriarcat de Constantinople) laisse entrevoir la possibilité d’une reconnaissance mutuelle et donc d’une communion ecclésiale, celles-ci sont loin d’être envisagées par les Églises orthodoxes en ce qui concerne les Églises luthériennes et réformées et a fortiori les autres Églises protestantes.
IV – Bilan et questionnement critique
40Dans un premier temps, on ne peut qu’enregistrer avec une profonde reconnaissance les résultats mentionnés des dialogues interconfessionnels. Ils sont le signe de la prise au sérieux, depuis des décennies, par les différentes Églises du don et de la tâche que représente l’unité de l’Église du Christ Jésus.
1 – La tentation de l’incurvation sur soi
41Ensuite, ces dialogues appellent un constat : celui de la tendance à l’incurvation, l’enfermement sur elles-mêmes des Églises. Ce constat, qui demande à être nuancé, peut s’entendre dans deux sens.
42Il peut d’abord concerner chacune des Églises elles-mêmes. On doit certes dire que le dialogue interconfessionnel marque le dépassement d’une telle incurvation, d’un tel repli sur soi. Et c’est un fait que, comme dans le cas des Églises luthériennes et réformées unies par la Concorde de Leuenberg dont nous avons dit le caractère exemplaire, mais aussi des Églises méthodistes et des Églises anglicanes, voire de certaines branches d’autres Églises « protestantes », la reconnaissance mutuelle fait tomber le mur de séparation entre elles et est un témoignage de leur pleine communion réciproque. Cependant, toute Église – ou ensemble d’Églises – est toujours exposée à la tentation de l’autoabsolutisation et donc de l’autosuffisance. Par ailleurs, il reste que l’intégrisme, qui consiste à absolutiser telle compréhension particulière, confessionnelle précisément – mais affirmée comme seule vraie – de l’évangile et de l’Église n’est pas absent, mais au contraire revendiqué par exemple chez certaines Églises baptistes et nombre d’Églises pentecôtistes. L’intégrisme est la marque de la radicalité d’une certaine vérité coupée de la conscience de la relativité de toute compréhension humaine et, partant, coupée de l’ouverture à la vérité au-delà de la compréhension que l’on en a. L’intégrisme peut se combiner avec le fondamentalisme. Alors que le fondamentalisme est l’absolutisation de la compréhension littérale des Saintes Écritures, l’intégrisme est l’absolutisation d’une certaine compréhension historique, donnée dans l’histoire de l’Église considérée, de l’évangile et de l’Église. L’un et l’autre sont l’expression d’un figement, d’une fixation de la foi sur elle-même ; ils ne peuvent être surmontés que par la prise de conscience que l’Esprit Saint est l’Esprit du Dieu vivant, à la fois toujours le même et toujours neuf, et que l’histoire est vivante elle aussi et constamment évolutive.
43Selon un autre sens, la tentation de l’incurvation sur soi concerne l’ensemble des Églises prises globalement. Le dialogue interconfessionnel qui les relie entre elles est certes une obligation de foi – de la foi à l’unique Seigneur et à son unique Corps –, mais s’il est nécessaire, peut-on dire qu’il est suffisant ? Car qu’est-ce qui justifie ce repli sur elles-mêmes des Églises dans la question du baptême ? Cette incurvation est le fait d’une théologie de la délimitation, qui construit un rempart autour de la foi et de l’Église (mais ce « mur de séparation » est détruit en Christ, dit Ep 2, 11 sqq. !). Or, la réalité du baptême, à savoir celle, existentielle, du « meurs pour devenir », est une donnée « œcuménique » au sens où elle concerne chaque être humain, toute l’humanité. Il y a certes une différence entre ce baptême « œcuménique » et le baptême chrétien : ce dernier met la réalité du « meurs pour devenir » en relation avec la mort et la résurrection du Christ, confessant que dans le mourir du vieil Adam la mort du Christ – et dans la re-naissance, la résurrection du Christ – porte ses fruits. La foi et l’Église chrétiennes nomment, et donc confessent, une réalité qui ne se limite pas à elles, qui n’est donc pas un monopole, tout comme le Dieu tri-un est le Dieu créateur et rédempteur des cieux et de la terre, et n’est par conséquent pas un monopole de l’Église chrétienne. Celle-ci a la vocation particulière – et donc la responsabilité – d’attester, et de vivre consciemment, cette réalité universelle (« œcuménique ») du baptême, substitutivement pour toute l’humanité. Or, cette dimension « œcuménique » n’apparaît nulle part dans les textes d’accord (et de désaccord). Cette absence n’est-elle pas l’explication de la tendance à l’exacerbation du dialogue interconfessionnel du fait de sa polarisation sur lui-même et de sa stérilité menaçante, de sa stagnation redondante ? Le dialogue interconfessionnel n’a de chance d’aboutir que dans le grand vent du large, c’est-à-dire de la réalité « œcuménique », car le Christ est le Seigneur non seulement de l’Église mais aussi du « monde ». Au lieu d’une théologie peureuse de la délimitation, une théologie libératrice de la récapitulation selon Ep 1, 10 : Dieu récapitule toutes choses en Christ.
2 – Idéologie ou théologie ?
44Les dialogues interconfessionnels appellent ainsi à un questionnement autocritique. Autant les rencontres interecclésiales ont conduit depuis des décennies à des rapprochements, des convergences, voire des consensus, autant elles se heurtent toujours à nouveau – cela vaut tant pour certaines Églises baptistes et également pentecôtistes que pour l’Église catholique romaine et les Églises orthodoxes, quoique pour des raisons différentes [29] – à l’obstacle encore insurmontable de la compréhension de la foi (Églises baptistes et pentecôtistes) ou/et de l’Église (Église catholique romaine et Églises orthodoxes). Voilà un état de choses constant depuis des décennies. Qu’est-ce qui le fonde ? Est-ce la théologie ou est-ce une idéologie ? L’insistance sur la vérité inamissible, telle que comprise par les Églises concernées – vérité de la foi, vérité de l’Église – serait-elle due à la peur de perdre la sécurité que constitue la prétention du monopole de la vérité, et donc la peur d’une perte de pouvoir, celui de la foi, celui de l’Église ? À la différence du pouvoir, l’autorité de la foi et de l’Église ne tient-elle pas à celle de la vérité elle-même qui, puisqu’elle est la personne même du Christ (Jn 14, 6), ne saurait être contenue voire enfermée dans aucune compréhension d’elle-même et qui, en tant que telle, est toujours celle de l’Esprit Saint, qui est l’Esprit de liberté (2 Co 3, 17) ? Et l’autorité, qui est celle de la vérité, et donc du Christ, et donc de l’Esprit Saint, ne tient-elle pas à l’amour dans lequel, dit saint Jean, il n’y a pas de « phobie » (en grec phobos) : « Il n’y a pas de peur [30] dans l’amour » (1 Jn 4, 18) ! « N’ayez pas peur », disait Jean-Paul II. L’affirmation a toute sa portée, qui demande à être honorée, au plan interconfessionnel aussi, au sens « œcuménique ».
3 – Un ministère de communion interecclésiale
45In fine, les dialogues interconfessionnels conduisent à un appel, sur la base de l’évidence à laquelle ils acculent, de leur limite et de la limite des Églises concernées quant à leur exclusive ecclésialité. Car l’Église du Christ est une, dans la diversité même de ses expressions (cf. Ep 4, 4 sqq.). La question est alors : comment vivre cette unité, qui ne saurait être autre chose qu’une communion (comme le dit le terme grec koinônia) d’Églises, comment la vivre dans les accords donnés et les désaccords encore existants ? Il faut pour cela un nouveau ministère d’épiscopè, dans le sens d’un ministère de communion inter-Églises comme ce ministère a été vécu dans la première chrétienté entre les différentes Églises grâce à la visitation réciproque et grâce au synode (cf. concile de Jérusalem). Ministère grâce auquel est pratiqué ce que Martin Luther appelle le mutuum colloquium et consolatio fratrum, qui comporte certainement aussi, dans un esprit de vérité et d’amour (Ep 4, 15), la correctio fratrum.
Notes
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[*]
Gérard Siegwalt est professeur honoraire de la Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg.
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[1]
Voir le CD-rom Accords et dialogues œcuméniques (désormais ADO), André Birmelé, Jacques Terme, éd., Olivétan 2007. Dans ce qui suit, les références qui suivent l’abréviation sont celles de la numérotation des rubriques et, s’il y a lieu, de la page. Je remercie André Birmelé pour les précisions reçues de lui concernant ces dialogues. Pour les Thèses de Lyon, voir ADO, 2.3.
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[2]
ADO, 2.2. Introduction.
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[3]
ADO, 2.2.2.3.
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[4]
In La foi des Églises protestantes. Confessions et catéchismes, André Birmelé, Marc Lienhard, éd., Paris/Genève, Cerf/Labor et Fides, 1991, p. 46.
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[5]
Citation dans ADO, Introduction générale.
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[6]
ADO, 3 et 4.
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[7]
ADO, Introduction générale.
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[8]
Cf. à ce propos Wilhelm Stählin, éd., Evangelium und Christengemeinschaft, Kassel, Johannes Stauda-Verlag, 1953. Et, plus récemment, Hartmut Höfener, Die Christengemeinschaft und die Evangelische Kirche in Deutschland, Dortmund (chez l’auteur), 1998.
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[9]
Cf. Marie-Pierrette Robert, Gérard Siegwalt, éd., Chemin faisant, travaux du groupe de dialogue « Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine et La Communauté des chrétiens ». Strasbourg (chez les destinataires, à savoir les Églises concernées), 2005.
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[10]
Nous n’évoquons pas le dialogue des Églises réformées avec les Disciples du Christ, d’une part parce qu’il a potentiellement conduit à un accord, d’autre part parce qu’il concerne uniquement les États-Unis, seul pays où les Disciples du Christ sont présents. Voir à ce propos ADO, 6.
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[11]
ADO, Introduction générale.
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[12]
ADO, 5. Introduction.
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[13]
ADO, 5.2, Introduction.
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[14]
Ibid.
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[15]
ADO, 5.2.2, p. 10.
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[16]
ADO, 5.3.2.
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[17]
ADO, 5.3.2, p. 20.
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[18]
ADO, 7.
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[19]
ADO, 10.
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[20]
ADO, 11.
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[21]
Texte sur le site du Vatican (ADO, 11).
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[22]
ADO, 11.1, p. 11 sqq.
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[23]
Ibid., p. 15 sq.
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[24]
ADO, 8.3.1.
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[25]
ADO, 8.
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[26]
Ibid., Introduction.
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[27]
ADO, 9.
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[28]
Cf. Michael Beintker,Viorel Ionita, Jochen Kramm, éd., Taufe im Leben der Kirchen. Dokumentation eines orthodox-evangelischen Dialogs in Europa, Francfort-sur-le-Main, Verlag Otto Lembeck, coll. « Leuenberger Texte 12 », 2011.
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[29]
Pour les deux dernières nommées, la raison est celle de la « succession apostolique », dont elles affirment avoir seules la plénitude ; pour les deux premières, la raison est leur fondamentalisme.
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[30]
La traduction habituelle par « crainte » est discutable, puisque la foi et la « crainte de Dieu » vont de pair, tout comme l’amour de (pour) Dieu.