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Article de revue

Quelle place pour un lecteur croyant dans l'éxégèse moderne ?

Trois modèles à l'épreuve

Pages 183 à 197

Notes

  • [*]
    Serge Wüthrich, docteur en théologie, est pasteur de l’Église Réformée de France à Niort.
  • [1]
    Hilaire de Poitiers, La Trinité, tome III, VIII-14, texte critique établi par P. Smulders, traduction et notes de G. M. de Durand, C. Morel, G. Pelland, Paris, Cerf, coll. « Sources chrétiennes 448 », 2000, p. 399.
  • [2]
    Jean-Michel Poffet, Les Chrétiens et la Bible. Les Anciens et les Modernes, Paris, Cerf, coll. « Histoire du christianisme », 1998, p. 15.
  • [3]
    Jean Zumstein, art. « Bible », in Pierre Gisel et Lucie Kaennel, éd., Encyclopédie du protestantisme, Genève/Paris, Labor et Fides/PUF, 20062, p. 122.
  • [4]
    Ibid., p. 123.
  • [5]
    Karl Barth, L’Épître aux Romains, trad. Pierre Jundt, Genève, Labor et Fides, 1972, p. 15.
  • [6]
    François Refoulé, « L’exégèse en question », article paru dans Le Supplément à la Vie spirituelle et cité par Jacques Vermeylen, « À quoi servent les exégètes ? La lecture de la Bible, entre servitude et service », Recherches de Science Religieuse 80/3, 2006, p. 311.
  • [7]
    Propos cités par Camille Focant, « Interpréter au service d’une communauté et au cœur d’une tradition de lectures et de relectures », in Philippe Abadie, éd., Aujourd’hui, lire la Bible. Exégèses contemporaines et recherches universitaires, Lyon, Profac, 2008, p. 96, qui constate « la lassitude [qui] se fait jour devant les résultats éclatés et contradictoires d’études très techniques ». Les conséquences de cette situation se font ressentir jusque dans les milieux académiques. Ulrich Luz rapporte le scepticisme de ses étudiants : « They feel that these methods, and particularly the historical-critical explanation of texts, do not really lead to understanding the texts. Quite the contrary, they separate the texts from our experience and life instead of bringing both into a helpful dialogue. My students ask : What does all this have to do with me ? » Ulrich Luz, Matthew in History. Interpretation, Influence, and Effects, Minneapolis, Fortress Press, 20072, p. 2.
  • [8]
    Élisabeth Parmentier, L’Écriture vive. Interprétations chrétiennes de la Bible, Genève, Labor et Fides, 2004, p. 119.
  • [9]
    Ibid.
  • [10]
    Jacques Vermeylen, « À quoi servent les exégètes ? », op. cit., p. 328 sq.
  • [11]
    On pourrait, à juste titre, objecter que cette ébauche de définition d’une lecture croyante, telle qu’elle est déduite de l’article de Vermeylen, n’en est pas véritablement une (ce n’est d’ailleurs pas l’intention de l’auteur d’en fournir une), et qu’il eût été préférable de se référer à des études spécialisées en sociologie, psychologie ou histoire des religions. Si ces sciences offrent des analyses pertinentes, elles ne sont pas, pour autant, axiologiquement neutres. Elles ne font que répondre à des questions posées dans un cadre qui leur est propre, et selon des modalités dont il faudrait exhumer les présupposés. À titre d’hypothèse heuristique, nous nous en tiendrons aux éléments proposés par Vermeylen.
  • [12]
    Jacques Vermeylen, « À quoi servent les exégètes ? », op. cit., p. 315.
  • [13]
    Ibid., p. 314.
  • [14]
    Ibid., p. 317.
  • [15]
    Ibid., p. 321. « Il ne s’agit pas simplement de donner une culture biblique ou de vulgariser les travaux des spécialistes, mais aussi et surtout de donner au plus grand nombre des moyens d’entrer dans un travail personnel de lecture », ibid., p. 328.
  • [16]
    Friedrich Schleiermacher, Herméneutique, trad. Christian Berner, Paris, Cerf, 1989.
  • [17]
    Élisabeth Parmentier, L’Écriture vive, op. cit., p. 121, le pense également : « Ne faudrait-il pas aussi prendre en compte ce que les textes effectuent, notamment la mise en relation entre l’auteur et les lecteurs ? »
  • [18]
    Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire, Paris, Seuil, 20102, p. 162, 164. Pour une discussion sur l’épistémologie des sciences historiques, cf. Jörn Rüsen, History. Narration – Interpretation – Orientation, New York/Oxford, Berghahn Books, 2008.
  • [19]
    Umberto Eco, Les limites de l’interprétation, trad. Myriem Bouzaher, Paris, Grasset, 1992, p. 29.
  • [20]
    Cf. Jane Tompkins, éd., Reader-Response Criticism : From Formalism to Post-Structuralism, Baltimore, John Hopkins University Press, 1980 ; Robert M. Fowler, Let the Reader Understand, Minneapolis, Fortress Press, 1991.
  • [21]
    Erwin Wolff, « Der intendierte Leser », Poetica 4, 1971, p. 140-166, et Stanley Fisch, « Literature in the Reader : Affective Stylistics », New Literary History 2, 1970, p. 123-162, cités dans Wolfgang Iser, L’acte de lecture. Théorie de l’effet esthétique, trad. Evelyne Sznycer, Bruxelles, Mardaga, 1985, p. 64.
  • [22]
    Wolfgang Iser, L’acte de lecture, op. cit., p. 70.
  • [23]
    Daniel Marguerat, Yvan Bourquin, Pour lire les récits bibliques, Paris/Genève/Montréal, Cerf/Labor et Fides/Novalis, 1998, p. 22. Ces auteurs définissent également un auteur implicite comme l’« image de l’auteur telle qu’elle se révèle dans l’œuvre par ses choix d’écriture et le déploiement d’une stratégie narrative ».
  • [24]
    Daniel Marguerat, « L’exégèse biblique à l’heure du lecteur », in La Bible en récits. L’exégèse biblique à l’heure du lecteur, Genève, Labor et Fides, coll. « Le Monde de la Bible 48 », 2003, p. 19.
  • [25]
    Umberto Eco, Lector in fabula. Le rôle du lecteur ou la coopération interprétative dans les textes narratifs, trad. Myriem Bouzaher, Paris, Grasset, 1998, p. 67.
  • [26]
    Daniel Marguerat, « La construction du lecteur par le texte (Marc et Matthieu) », in L’aube du christianisme, Genève/Paris, Labor et Fides/Bayard, coll. « Le Monde de la Bible 60 », 2008, p. 281.
  • [27]
    « Le lecteur de Matthieu est orienté sur la difficulté de suivre ; le lecteur de Marc est désorienté par un Seigneur insaisissable. Le lecteur de Matthieu voit sa place tracée aux pieds du Maître ; le lecteur de Marc voit le Maître s’en aller dès qu’il s’est installé », ibid., p. 287.
  • [28]
    Ibid., p. 301-302 (nous soulignons).
  • [29]
    Si l’on en croit la citation donnée dans le paragraphe précédent qui se réfère à un lecteur confessant « le Seigneur […] au plan de l’existence », ibid., p. 281.
  • [30]
    « Je ne recourrai pas à l’appellation “lecteur implicite” (implied reader), pour éviter la coupure, inhérente à la narratologie, entre le texte et son contexte historique d’énonciation. Je désigne par “lecteur” moins une personne qu’un rôle, que tout lecteur est appelé à endosser dans l’accomplissement de l’acte de lecture », ibid., p. 279.
  • [31]
    Ibid., p. 279-280 (nous soulignons).
  • [32]
    Dans le même cadre interprétatif, Yvan Bourquin a suggéré, dans une note de son étude sur le second Évangile, une autre piste que celle de l’homologie. Partant d’une citation d’Iser – « Le lecteur implicite n’est pas l’abstraction d’un lecteur réel. Il est plutôt la condition d’une tension que le lecteur réel vit lorsqu’il accepte ce rôle » (Wolfgang Iser, L’acte de lecture, op. cit., p. 73, cité dans Yvan Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité. Obscure clarté d’une narration, Genève, Labor et Fides, 2005, p. 106) –, il relève le terme de « tension » et propose l’idée qu’« une véritable dialectique [s’établisse] entre le moi (le lecteur existant en chair et en os) et le lecteur implicite dans lequel le récit m’invite à me fondre » (ibid., p. 107 n. 110). Il n’explicite, toutefois, pas cette idée.
  • [33]
    Wolfganf Iser, L’acte de lecture, op. cit., p. 73, cité dans Yvan Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, op. cit., p. 106 sq.
  • [34]
    R. Alan Culpepper, Anatomy of the Fourth Gospel : A Study in Literary Design, Philadelphie, Fortress Press, 1983, p. 99-148. Les postures repérées par Culpepper vont du rejet total (les juifs) au disciple exemplaire (le disciple bien-aimé), en passant par la figure du traître (Judas), celle du croyant en secret (Nicodème), les spectateurs frappés par les miracles de Jésus (la foule), les auditeurs qui reçoivent les paroles de Jésus (la Samaritaine) ou encore tous ceux qui croient en dépit des malentendus.
  • [35]
    Umberto Eco, Lector in fabula, op. cit., p. 150 sq. : « Il est essentiel à la coopération [du lecteur] que le texte soit continuellement rapporté à l’encyclopédie. […] Pour avancer son hypothèse, le lecteur doit recourir à des scénarios communs ou intertextuels. »
  • [36]
    Jacques Geninasca, « Quand donner du sens c’est donner forme intelligible », in Ursula Bähler, Evelyne Thommen, Christina Vogel, éd., Donner du sens. Études de sémiotique théorique et appliquée, Paris/Montréal, L’Harmattan, 2005, p. 134.
  • [37]
    Parallèlement au mouvement inspiré par A. J. Greimas, une école de sémiotique s’est développée à Zurich autour de la personne et des travaux de Jacques Geninasca dont l’ouvrage de référence, La parole littéraire, Paris, PUF, 1997, rassemble la plupart des articles qui définissent et mettent en œuvre le modèle de sémiotique littéraire auquel il sera fait référence dans cette section.
  • [38]
    Algirdas J. Greimas, Joseph Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette, 1979, p. 125.
  • [39]
    Jacques Geninasca, « Le discours n’est pas toujours ce que l’on croit », Protée 26/1, 1998, p. 117. Pour Geninasca c’est l’énonciateur qui est responsable de la production d’une signification, contrairement à Greimas et Courtés pour lesquels c’est « l’énonciataire [qui est] le sujet producteur du discours ». Algirdas J. Greimas, Joseph Courtés, Sémiotique, op. cit., p. 125.
  • [40]
    Jacques Geninasca, « Le discours n’est pas toujours ce que l’on croit », op. cit., p. 117.
  • [41]
    Jacques Geninasca, La parole littéraire, op. cit., p. 59.
  • [42]
    Jacques Geninasca, « Pour une sémiotique littéraire », Actes sémiotiques — Documents du Groupe de recherches sémio-linguistiques (EHESS-CNRS) IX, 83, 1987, p. 11.
  • [43]
    Jacques Geninasca, La parole littéraire, op. cit., p. 59. Cf. ibid. p. 62, 77, 88-91.
  • [44]
    Le pathémique relève du domaine passionnel. « Son emploi évite toute confusion avec une saisie psychologique de l’univers affectif dans le cadre du discours. L’étude de la dimension pathémique du discours, complémentaire des dimensions pragmatiques et cognitives, concerne non plus la transformation des états de choses (ressort de la narrativité), mais de la modulation des états du sujet, ses “états d’âme”. » Denis Bertrand, Précis de sémiotique littéraire, Paris, Nathan, 2000, p. 265.
  • [45]
    Jacques Geninasca, La parole littéraire, op. cit., p. 93.
  • [46]
    Si la narratologie s’inscrit dans le cadre d’une sémiotique de type inférentielle, elle a récemment découvert, elle aussi, l’intérêt d’une saisie rythmique, à travers les travaux de Raphaël Baroni consacrés à La tension narrative. Suspense, curiosité et surprise, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 2007. Par tension narrative Baroni comprend la manière dont le lecteur éprouve le temps, à un niveau cognitif mais également émotionnel, lorsqu’il est confronté à une intrigue. Celle-ci n’est une structure effective du texte « que dans la mesure où elle se trouve insérée dans une relation interlocutive et où elle se trouve actualisée dans une conscience susceptible de percevoir – ou mieux : de ressentir et de pressentir – les articulations majeures qui rythment un récit en fonction du devenir d’une tension » ibid., p. 40-41.
  • [47]
    Voir particulièrement Éric Landowski, Passions sans nom. Essais de socio-sémiotique III, Paris, PUF, 2004 ; Les interactions risquées, Limoges, PU Limoges, coll. « NAS 101-102-103 », 2005.
  • [48]
    Éric Landowski, Passions sans nom, op. cit. p.26.
  • [49]
    Algirdas J. Greimas, « Le savoir et le croire : un seul univers cognitif », in Du sens II, Paris, Seuil, 1983, p. 116.
  • [50]
    Jacques Geninasca, La parole littéraire, op. cit., p. 213.
  • [51]
    Serge Wüthrich, « La rencontre éprouvante : réflexions sur la “lecture croyante” de l’Évangile », Sémiotique et Bible 138, 2010, p. 5-11.
  • [52]
    Jacques Geninasca, La parole littéraire, op. cit., p. 86.
  • [53]
    Un corollaire remarquable de cette affirmation est la possibilité de décrire, d’un point de vue sémiotique, l’inspiration des Écritures comme étant autant une inspiration à lire qu’une inspiration à écrire.

Introduction

1Dans le contexte occidental d’une tradition exégétique scientifique, poser la question de la place d’un lecteur croyant peut surprendre. Cette interrogation aurait surtout paru incongrue à tous ceux qui, un millénaire et demi durant, lurent et commentèrent les textes bibliques, tant l’idée que la fréquentation des Écritures ne pouvait se vivre qu’à la lumière de la foi était évidente. Au ive siècle, Hilaire de Poitiers formule une mise en garde.

2

Il ne faut point parler des choses de Dieu dans un esprit humain ou mondain. Il ne faut point, par des affirmations qui violentent et manquent de décence, torturer perversement les textes divins en leur appliquant une interprétation malsaine et impie. Lisons ce qui est écrit et comprenons ce que nous aurons lu, nous nous serons acquittés alors des devoirs d’une foi accomplie [1].

3Jusqu’à la fin du Moyen Âge, les commentateurs chrétiens conçoivent leur travail « en étroite corrélation avec la foi et l’Église », ce qui vaut à l’Écriture d’être « accueillie et célébrée dans la liturgie » ainsi que dans la lectio divina, « lecture savoureuse et méditée des textes sacrés [2] ». Mais depuis le siècle des Lumières, l’analyse historico-critique des textes bibliques, « fruit de la tradition humaniste et rationaliste [3] », se développe. Cette nouvelle façon de lire la Bible n’est pas sans conséquence. Mentionnons-en deux : d’abord « le texte biblique perd son statut de texte sacré. Il est comparable à tout autre texte de la littérature mondiale ». Ensuite, cette méthode d’analyse « aboutit nécessairement à un processus de distanciation » qui suspend « la dimension d’interpellation du texte [4] ». Cette évolution provoque une véritable onde de choc. L’analyse rationnelle des textes est dénoncée au motif qu’elle sape les bases mêmes de la foi.

4Durant la crise moderniste qui secoue le monde chrétien dès le milieu du xixe siècle, on incrimine les recherches historiques : leur démarche et les conclusions auxquelles elles parviennent sont (parfois violemment) contestées au nom de la tradition ou d’une autorité magistérielle. D’autres le font au nom d’une lecture « authentique ». Karl Barth, par exemple, dans la préface à son commentaire de l’Épître aux Romains, après avoir reconnu le bien-fondé des recherches philologique et historique, décrit comme « compréhension et explication authentiques » du texte biblique la manière dont Calvin s’efforce de le « re-penser » en constatant « scrupuleusement “ce qui s’y trouve” »,

5

afin d’être aux prises avec lui jusqu’à ce que le mur entre le ier et le xvie siècle devienne transparent, jusqu’à ce que, là-bas, l’apôtre Paul parle et qu’ici l’homme du xvie siècle entende, jusqu’à ce que l’entretien entre le document et le lecteur soit entièrement concentré sur l’objet (qui, ici et là-bas, ne peut pas être différent !) [5].

6Les méthodes exégétiques sont critiquées au motif qu’elles traitent le texte biblique comme un simple objet d’étude et non comme une « nourriture vitale [6] ». C’est l’écart entre une lecture dite « savante » des Écritures proposée par les spécialistes et une lecture de foi personnelle ou communautaire qui est visé avec pour corollaire l’apparition d’un « nouveau magistère, [d’]un nouveau cléricalisme, celui des exégètes, accusés de fermer au peuple chrétien l’accès simple à ses textes fondateurs [7] ».

7Mais qu’en est-il exactement ? Les méthodes exégétiques scientifiques ont-elles la capacité de modéliser le rôle et la fonction d’un lecteur croyant ? Pour répondre à cette question, trois modèles exégétiques seront examinés – les modèles historico-critique, narratif et sémiotique. Au préalable, il convient toutefois de préciser ce que l’on entend par « lecture de foi ».

Une lecture de foi

8Dans son ouvrage L’Écriture vive, Élisabeth Parmentier suggère de fixer la limite entre lecture profane et lecture croyante en fonction d’un critère sotériologique : « [S]i des exégètes non croyants peuvent apporter une contribution importante à l’intelligence des textes, ils s’arrêtent cependant, comme plusieurs exégètes chrétiens, à un seuil décisif : qu’apporte le texte dans la transmission du message du salut [8] ? » Ce principe porte, en premier lieu, sur l’unité théologique des Écritures, une unité centrée sur « son unique auteur et inspirateur, Dieu » et exprimée, en régime chrétien, à travers la figure de Jésus-Christ considéré « comme centre de toute l’Écriture, c’est-à-dire comme son noyau fédérateur, son sens profond ». Cette question ne se réduit toutefois pas à déterminer un contenu ou une clé herméneutique d’interprétation. Il s’agit également, pour Parmentier, de « comprendre ce centre, non dans un sens conceptuel, mais dans un sens relationnel, en lien avec le destinateur unique de l’Écriture et son projet [9] ». Ce sens relationnel, élaboré dans le contexte d’une lecture croyante, est décrit par l’exégète Jacques Vermeylen en ces termes :

9

Quelle joie pour celui qui découvre qu’il peut lire, que le texte prend sens dans sa propre vie ! […] l’expérience personnelle entre en résonance avec celle dont témoigne le texte, et ce peut être d’un grand apport pour la vie spirituelle […]. Quand il [ce travail de lecture] se fait en Église, il change non seulement les personnes mais aussi la vie commune. […] il faut sortir du biblisme pour que la Bible fasse vivre [10].

10De cette description, on peut retenir que la finalité d’une lecture croyante est de permettre au sujet de la lecture de « vivre ». Vermleyen précise l’impact existentiel du texte biblique en affirmant qu’il doit « prendre sens dans » la vie du lecteur. Autrement dit, la lecture croyante donne sens au texte en donnant simultanément sens à l’existence du lecteur. Ce lien particulier est décrit par le terme de « résonance » ; un vocable qui, au-delà de l’image d’une simple connivence, peut être pris au sens fort, c’est-à-dire comme une (re)structuration fondamentale du sujet au moyen de la réception signifiante du texte biblique [11].

11Dans ce contexte, l’adjectif « spirituel » signale un ordre relationnel qui transcende le cadre des rapports strictement humains. Au-delà du texte, c’est bien de Dieu dont il est question comme destinateur et dont la rencontre fait vivre. L’impact de cette lecture se mesure aux effets, aux changements provoqués, dont la seule conséquence mentionnée explicitement par Vermeylen est la joie.

L’exégèse historico-critique ou le lecteur sous-entendu

12Venons-en aux méthodes scientifiques d’interprétation de la Bible. La première que nous prenons en considération est la méthode historico-critique qui procède à l’examen des textes au moyen d’outils d’analyse rationnels. Cette méthode ne prétend pas porter de jugement sur la vérité des messages véhiculés par les textes bibliques. Elle ne se prononce pas, par conséquent, sur le statut particulier ou la valeur que peuvent avoir les Écritures aux yeux de ses lecteurs. Les récits de la Bible sont considérés comme de la littérature ordinaire, objets d’analyse au même titre que n’importe quel texte littéraire (axiome de Semler). Ils ne sont pas reçus comme littérature sacrée ou inspirée.

13Cette approche a été récemment défendue par Vermeylen dans un article dans lequel il s’interroge sur la finalité des méthodes exégétiques. Un des buts du travail interprétatif, écrit-il, est « de veiller au respect de la Bible dans son altérité, comme une parole qui ne nous appartient pas en propre [12] ». C’est une tâche vitale car l’« Écriture n’appartient à personne : ni à l’exégète, ni à un magistère quel qu’il soit, ni même à la communauté chrétienne. Elle se donne à chacun de ses lecteurs, à chacune de ses lectrices, comme une parole de liberté, le témoignage d’un peuple de croyants, la proposition d’un chemin de vie [13] ». La démarche historique n’est donc pas nocive, car « la critique exercée par l’exégète […] porte en principe sur les préjugés qui menacent la lecture, et non sur le texte lui-même. […] toutes les procédures qu’il met en œuvre ont pour but de permettre au texte de nous parler, de nous dire “sa vérité”, sans que celle-ci soit trop parasitée par nos préjugés [14] ».

14À la fin de son article, Vermeylen revient sur cet objectif en y ajoutant deux autres (positifs cette fois) qui définissent, selon lui, la triple mission d’une exégèse critique : vigilance (contre toute tentative d’instrumentaliser la Bible), aide aux réformes (des Églises en rappelant les expériences fondatrices) et encouragement (aux croyants à devenir eux-mêmes lecteurs de la Bible). Lecture scientifique et lecture personnelle peuvent (et doivent) être ainsi articulées et hiérarchisées, la première servant de préalable à la seconde : « L’exégèse peut aider à lire la Bible comme une parole qui fait vivre [15] ». Le rôle de l’exégèse historico-critique est alors clairement délimité, comme l’indique le sous-titre de l’article, « entre servitude et service ».

15Cette séparation entre lecture savante et lecture de foi résulte des objectifs que se fixe la méthode historico-critique. Objectifs qui consistent à reconstituer le milieu historique d’origine des textes, à retracer leur genèse, à étudier de façon critique les événements qu’ils relatent, indépendamment de tout contexte de lecture autre que celui auquel s’adresse le ou les auteurs.

16Le lecteur actuel n’est toutefois pas totalement absent de la démarche historique. Déjà dans les premiers développements de l’exégèse scientifique, Schleiermacher [16] pensait que le lecteur devait accéder aux expériences personnelles de l’auteur et aux conditions sociohistoriques qui ont présidé à la naissance de son œuvre afin de pouvoir en réactualiser le sens. Pour cet auteur, l’interprétation historique est à vivre comme un échange intersubjectif qui prend place entre un auteur (réel) et un lecteur (réel) [17]. Si les historiens modernes sont beaucoup plus prudents sur ce sujet, ils reconnaissent néanmoins le rôle joué par une certaine précompréhension nécessaire pour l’élaboration des concepts propres à l’analyse historique ainsi qu’une forme « de connivence, de complicité avec l’autre » au point d’« accepter d’entrer dans sa personnalité, de voir avec son regard », quand bien même « le devoir de lucidité de l’historien […] lui permet de prendre la distance nécessaire […] qui fonde la valeur de son analyse [18] ».

17Indépendamment de l’implication de l’exégète-historien vis-à-vis de son objet d’étude, la position de Vermeylen ratifie la dichotomie semlérienne : la lecture historique fonctionne comme un préambule critique à d’autres formes possibles de lecture dans lesquelles le lecteur peut (éventuellement) être impliqué.

L’exégèse narratologique ou le lecteur identifié

18Après avoir été dominé pendant près de deux siècles par les sciences historiques le paysage de l’interprétation biblique a été largement modifié par le développement de la critique littéraire. Un déplacement s’est opéré de la question de l’intentio auctoris (l’intention de l’auteur), caractéristique de la démarche historico-critique, vers celle de l’intentio operis (l’intention de l’œuvre), qui occupe tous ceux qui cherchent « dans le texte ce qu’il dit en référence à sa propre cohérence contextuelle et à la situation des systèmes de signification auxquels il se réfère [19] », et la question de l’intentio lectoris (l’intention du lecteur), autour de laquelle s’inscrit, entre autres, le mouvement de l’« analyse de la réponse du lecteur [20] ».

19L’attention des théoriciens s’est ainsi progressivement portée vers la figure du lecteur : qu’en est-il de son statut, et comment pallier son absence dans le cadre textuel ? Certains auteurs, se réclamant d’une approche pragmatique, proposèrent de définir un sujet auquel ils firent correspondre une certaine réalité extratextuelle, comme Erwin Wolff (le lecteur visé) ou Stanley Fisch (le lecteur informé) [21]. D’autres, en revanche, à l’instar de Wolfgang Iser, rompirent résolument tout ancrage avec la réalité et proposèrent un lecteur implicite dépourvu de toute « existence réelle », mais qui « incorpore l’ensemble des orientations internes du texte de fiction pour que ce dernier soit tout simplement reçu. Par conséquent, le lecteur implicite n’est pas ancré dans un quelconque substrat empirique, il s’inscrit dans le texte lui-même [22] ». Le lecteur implicite est défini comme le « récepteur du récit construit par le texte et apte à en actualiser les significations dans la perspective induite par l’auteur [23] ». On observe, toutefois, que les compétences de ce lecteur sont limitées : il ne participe pas à la construction du récit (puisqu’il est lui-même construit par le texte), et ne peut actualiser que les perspectives induites par un autre (en l’occurrence l’auteur).

20Cette définition a pour conséquence de minorer le rôle du lecteur. Cela se manifeste dans la mission confiée à l’exégète qui se limite à identifier les effets que le texte peut (ou doit) produire sur le lecteur. Le rôle de l’interprète consiste alors à interroger « la manière dont l’auteur implicite prévoit et induit la lecture du texte par le lecteur [24] ». Dans la même veine, Umberto Eco écrit qu’« un texte postule son destinataire comme condition sine qua non de sa propre capacité communicative [25] ». Notons que le prix à payer pour ce recentrage autour du texte est élevé : le texte impose désormais sa loi, même au lecteur.

21Dans ces conditions, quels peuvent être la place et le statut d’un lecteur croyant ? Partant de l’idée que le lecteur se définit à partir des effets que le récit produit sur lui, Daniel Marguerat propose la notion d’homologie pour décrire la relation particulière qui se noue entre le lecteur et les récits bibliques. Il y a, affirme-t-il, une « homologie entre les rapports qui relient Jésus aux personnages, au plan du récit, et d’autre part les rapports appelés à se nouer entre le lecteur et le Seigneur confessé, au plan de l’existence [26] ». Il est ainsi possible de postuler une correspondance entre l’attitude de tel ou tel personnage biblique et l’attitude que le lecteur est appelé à adopter [27]. Un peu plus loin, dans le même article, l’auteur écrit : « [L]’évangéliste Marc, au travers du dispositif des personnages construit le poste du lecteur […] la position respective de chaque évangéliste s’est avérée éclairante pour comprendre quel profil de lecteur chacun entend promouvoir [28]. »

22Reste à savoir quel lecteur est concerné par cette homologie : le lecteur implicite ou le lecteur réel ? Marguerat semble désigner le second [29]. En réalité, il s’agit d’une « combinaison » des deux [30] : « L’élaboration de ce rôle comporte aussi bien une dimension historique […] qu’une dimension hypothétique (ce rôle est une figure idéale, cumulant tous les effets du texte prévus ou non prévus par l’auteur) [31]. » Il est toutefois à craindre que cet « aussi bien » ne pose plus de problèmes qu’il ne tente d’en résoudre. Difficile, en effet, de définir le statut exact de ce lecteur hybride, tantôt être réel, tantôt entité textuelle abstraite [32].

23De son côté, Wolfgang Iser défend une position différente qui rappelle celle de Schleiermacher : « Ce n’est que lorsque je lis que je deviens le moi dont les croyances doivent coïncider avec celles de l’auteur. » L’auteur « construit son lecteur comme un second moi, et les meilleures lectures sont celles où les mois créés, auteur et lecteur, sont capables de s’accorder parfaitement [33]. » Iser ne propose cependant aucune piste pour parvenir à une telle « coïncidence » ou à un tel « accord parfait ».

24L’idée de découvrir des profils de lecteur n’est pas neuve. Dans une étude importante sur le quatrième Évangile, R. Alan Culppeper avait proposé de considérer chaque personnage johannique comme incarnant une posture possible face à Jésus [34]. Cette démarche requiert néanmoins la définition de critères au moyen desquels les « postes » de lecteur peuvent être déterminés : tâche délicate étant donné la diversité des expressions et des parcours actoriels, surtout lorsque ceux-ci évoluent au cours du récit. Pour y parvenir, Eco pose une règle simple : l’interprétation des textes doit satisfaire à une condition nécessaire, celle de la conformité à un savoir commun [35]. Autrement dit, ne seront sélectionnés que les comportements qui correspondent à des attitudes (re)connues. Le risque encouru est alors celui de la prévisibilité des résultats, c’est-à-dire de ne retrouver dans les textes que ce qu’on y aura (in-)consciemment cherché. En outre, si la signification « se ramène au seul enchaînement de scénarios [connus] sans considération des schémas sémantiques qui en conditionnent l’interprétation [36] », que se passe-t-il lorsqu’un récit contredit les attentes liées à la logique d’une telle stratégie interprétative ?

25Si les mérites de la narratologie ne doivent pas être minimisés au vu des typologies qu’elle a permis d’établir, ses résultats sont cependant limités par les postulats qu’elle s’impose : à savoir le poids excessif donné au texte au détriment du lecteur et la définition du lecteur comme simple récepteur du récit construit par le texte. C’est l’héritage jakobsonnien et plus particulièrement sa vision linéaire de la communication qui est ici en jeu.

L’exégèse sémiotique ou le lecteur engendrant et engendré

26Souvent critiquée pour sa complexité et l’obscurité de son vocabulaire, la sémiotique a été délaissée par les exégètes au profit d’approches pragmatiques plus maniables et surtout plus rapides à mettre en œuvre. La précision a en effet un coût, et ce n’est pas le moindre des mérites de la sémiotique que de tenter de définir précisément ses objets.

27Dans sa version zurichoise [37], la sémiotique littéraire récuse la linéarité du processus de communication en y substituant deux rôles énonciatifs qui peuvent être assumés à différentes étapes du processus d’énonciation. Renonçant à l’organisation usuelle selon laquelle l’énonciateur et l’énonciataire sont respectivement les destinateur et destinataire implicites de l’énonciation [38], Jacques Geninasca définit l’énonciateur comme étant le responsable des « opérations nécessaires à la production de la signification discursive », et l’énonciataire comme l’instance à laquelle sont assignés « les états tensifs et phoriques qui en représentent le sens vécu [39] ». Dans cette configuration, le lecteur n’est plus identifié au destinataire d’un destinateur que serait l’auteur. En effet, « l’auteur et le lecteur concrets sont, l’un et l’autre, appelés à assumer, ou du moins à jouer les rôles énonciatifs d’énonciateur et d’énonciataire [40] ». Cette intuition fondamentale traduit le fait qu’un auteur, au cours de son travail d’écriture, se met constamment en position de lecteur de sa propre prose pour en mesurer la cohérence.

28Dans ce contexte renouvelé, la question d’un lecteur croyant se décline alors en deux temps : premièrement, décrire les opérations nécessaires à la production d’une signification dans le cadre d’une lecture de foi (pôle de l’énonciateur) ; deuxièmement, expliciter la façon dont les états « qui en représentent le sens vécu » peuvent être assignés à ce sujet particulier (pôle de l’énonciataire).

29Commençons par poser une distinction fondamentale. L’énoncé matériel, par exemple l’objet imprimé que le lecteur tient entre ses mains, a le statut d’un objet textuel, c’est-à-dire d’un lieu potentiel d’où jaillit un texte à l’occasion d’une pratique discursive. Chaque acte énonciatif n’actualise que certaines virtualités d’un objet textuel. Ce dernier peut ainsi être la source d’une pluralité de textes produite par des lectures différentes. Quant au discours, solidaire de l’objet textuel, il désigne le « tout de signification » engendré par l’instance énonciative lors de la prise en charge de l’objet textuel à l’occasion d’un acte de lecture ou d’interprétation. Il ne doit être confondu ni avec l’objet imprimé, ni avec le texte produit par une pratique discursive, il est le résultat d’une stratégie de cohérence assumée par un sujet.

30Une des conséquences de cette organisation énonciative est de n’enfermer le discours ni dans l’objet textuel ni dans la compétence du sujet. Elle le situe dans l’acte énonciatif qui le fait advenir. Elle résulte d’un processus bien déterminé qui transforme l’énoncé linéaire en une totalité signifiante. L’instauration d’un discours est donc le résultat d’une stratégie de cohérence dont l’organisation est nommée rationalité et les opérations nécessaires à son élaboration saisies. Elle est, en outre, tributaire de relations à l’ordre des valeurs, que Geninasca appelle le croire. Un sujet de faire n’a de pertinence que s’il dispose de la capacité d’actualiser ou de réaliser des relations de valorisation, autrement dit, s’il possède une capacité modale. Le croire garantit le bien-fondé axiologique de son système de valeurs.

31Un des intérêts de ce modèle tient à sa capacité descriptive. Il permet, en effet, d’analyser différentes approches interprétatives suivant la rationalité utilisée, autrement dit, suivant le type des grandeurs pris en compte dans l’analyse. Deux formes sont couramment utilisées dans l’exégèse moderne : la rationalité inférentielle qui s’attache à des grandeurs discrètes, et la rationalité mythique qui considère les valeurs investies dans ces grandeurs.

32La rationalité inférentielle consiste à tisser des relations référentielles ou logiques entre les mots et le monde au moyen d’une saisie, dite molaire, qui s’effectue en conformité avec les réseaux déjà établis du savoir associatif. La cohérence du discours se fonde alors sur une représentation catégorielle du monde et se constitue par l’analyse successive des concepts et des grandeurs iconiques ou figuratives rencontrées. Elle procède des parties au tout.

33Il existe également une saisie sémantique, qui établit des rapports à l’intérieur même de l’organisation textuelle sans référence à un savoir encyclopédique. La saisie sémantique opère en s’attachant non pas aux figures, aux concepts, aux configurations ou encore aux parcours figuratifs, mais aux « virtualités relationnelles des propriétés de ces grandeurs [41] ». Ces virtualités relationnelles expriment la possibilité d’échapper aux contraintes d’un sens subordonné à un état de choses préexistant, en actualisant des relations qui sont suggérées par la structure même du texte. La rationalité mythique procède donc d’un tout postulé aux parties et non l’inverse.

34À côté de ces deux saisies – molaire et sémantique –, il existe d’autres saisies qui ne donnent pas lieu à une rationalité, c’est-à-dire à un processus de cognitivisation des éléments traités. Il y a, en particulier, une saisie qui fait appel au corps et que Geninasca appelle rythmique, car son « plan du contenu correspondrait aux variations d’états (attente, surprise, détente) susceptibles d’affecter le lecteur tandis que, assumant les rôles constitutifs du Sujet de l’énonciation, il transforme le texte en discours [42] ». Cette saisie intervient, par exemple, lorsqu’un texte est éprouvé « à travers une suite d’“événements” thymiques [43] ». Les transformations qui s’opèrent entre les unités discursives sont à l’image des transformations qui font passer le lecteur « d’un état (cognitif et/ou pathémique [44]) » à un autre. Il est ainsi possible « d’interpréter les transformations observables au plan de l’énoncé et les changements d’“états” dont l’acteur énonçant est le lieu [45] ». Cet isomorphisme, conjugué avec l’actualisation des ressources rythmiques et phoniques manifestées dans le texte à travers des effets de sens impressifs, permet de prendre en charge la dimension sensible du discours esthétique [46].

35Dans le cadre d’un questionnement sur une lecture croyante, on avance l’hypothèse qu’à l’instar d’une description des variations thymiques il est possible de modéliser un sujet affecté à un niveau existentiel par la lecture d’un texte. Autrement dit, on postule l’existence d’une saisie et d’un croire correspondants à une lecture croyante. Définir une saisie qui rende compte de la dimension intersubjective qui peut se manifester à l’occasion de la lecture d’un texte, revient à spécifier les protagonistes d’une rencontre en tant que sujets d’une expérience fiduciaire ; expérience qui, à son tour, fonde l’assomption, par ces mêmes sujets, d’un Discours et partant d’un croire.

Saisie éprouvante et lecture de foi

36Si la question de l’intersubjectivité a été balisée en philosophie et en linguistique, la sémiotique est redevable, sur ce sujet, aux recherches récentes qu’Éric Landowski a consacrées à la notion d’esthésie[47]. Partant de ces travaux, il est possible de nommer éprouvante une saisie dont la caractéristique est d’assumer le double sens du verbe « éprouver », à savoir ressentir les effets d’un processus et mettre à l’épreuve. Cette saisie élabore des ensembles signifiants à partir de relations à des éléments vécus simultanément comme des grandeurs éprouvées – à l’instar des objets/relations manipulables dont se sert tout savoir associatif (figures, concepts, configurations, parcours figuratifs, etc.) – et comme des grandeurs éprouvantes – pour le sujet de ladite saisie. Dans ce cas, l’éprouvé n’est pas donné d’avance, mais il se construit dans l’ajustement mutuel des deux parties en présence. Cette construction réciproque a pour but de « faire-être le monde en tant que monde signifiant mais aussi nous faire-être nous-mêmes en tant que sujets[48] ».

37À la différence de la saisie molaire, la réciprocité caractérise la saisie éprouvante. Elle n’est pertinente que dans un authentique acte de rencontre, là où sont réellement impliqués les protagonistes. Si les valorisations thymiques que subit le sujet impressif sont incommunicables, car non débrayées de l’expérience immédiate, l’omission de toute composante doxique de la structure modale subjective restreint la portée que l’on peut donner à ce genre de communication. Or, les relations valorisantes qui lient un sujet aux figures du monde ne sont pas toutes prédicatives. Comme le dit Greimas : « Pour fonder nos certitudes, il convient, avant de rechercher l’adéquation des mots aux choses, de faire un détour par la communication confiante entre les hommes [49]. » Un croire compris comme l’assomption de valeurs abstraites, distinctes des valeurs spontanément investies dans les figures-objets, ne permet pas, en effet, d’appréhender des valorisations spontanées manifestées antérieurement aux processus cognitifs.

38Pour tenir compte de l’asymétrie des rapports intersubjectifs, il faut supposer en outre l’existence de deux classes de sujets qui satisfont à cette structure modale. On les nommera respectivement sujet confié et sujet confiant. L’opposition de ces deux sujets ne doit pas être comparée à la distinction entre un destinataire et un destinateur lors d’un processus d’énonciation, car le sujet confié est susceptible d’action au même titre que le sujet confiant. Cette action peut se manifester antérieurement à l’intervention du sujet confiant et relever alors d’une attente que l’on peut qualifier de quête, ou se situer à un stade postérieur de son agir et constituer à ce titre une réponse.

39Sans détailler l’articulation de la saisie éprouvante avec les autres saisies, notons simplement qu’il est possible d’exhumer des figures de la rencontre qui manifestent cet ordre distinct de l’intelligibilité scientifique du monde. Cette organisation s’exprime, entre autres, par le recours aux métaphores : l’énoncé métaphorique possède, en effet, la propriété de dévoiler « le geste par lequel se trouve posé ce par quoi le Sujet se donne à reconnaître lui-même dans les choses et dans les mots [50] ». La rencontre – par exemple celle des femmes, figures déléguées du lecteur croyant, avec Jésus après sa mort [51] – est alors corrélable avec la possible transformation du Sujet de la lecture en Sujet de la foi.

40Simultanément interaction avec l’autre et interaction avec l’énoncé pour l’autre, la saisie éprouvante fonde une dynamique croyante et suggère la joie comme valeur du Discours croyant, c’est-à-dire comme sens pour le sujet de la rencontre éprouvante (cf. l’épisode des femmes au tombeau). La valeur de la joie tient à cette relation qu’elle établit entre la dimension du sujet croyant et les états doxiques du lecteur.

Conclusion

41À la question de la place d’un lecteur croyant dans l’exégèse moderne, on constate que les réponses proposées par les approches historico-critique et narratologique évoluent à l’intérieur des mêmes limites : si la première joue le rôle de prolégomènes à une lecture personnelle, et si la seconde exhume des postures de foi possibles, le parcours énonciatif effectif du lecteur croyant échappe à leur champ descriptif une fois un périmètre critique délimité ou une taxinomie établie.

42Il n’en est pas de même de l’approche sémiotique. S’il est vrai que « chaque “pratique discursive” a pour effet d’actualiser certaines des virtualités [d’un] objet textuel, par et à travers l’actualisation simultanée d’un sujet (une instance énonciative) et d’un objet (le texte proprement dit) [52] », c’est dans le processus d’actualisation du texte biblique, en vue de le saisir comme un « tout de signification », que sont déterminés conjointement le Discours de foi et le lecteur croyant. L’un comme l’autre n’ont pas d’existence antérieure à la pratique énonciative qui les fait advenir [53].

43En revanche, contrairement aux rationalités inférentielles et mythiques dont les procédures d’analyse sont bien définies et répétables, la saisie éprouvante n’offre pas cette commodité. En cela, elle se veut respectueuse du caractère fugace de la rencontre qui s’offre au moment de l’actualisation d’un Discours de foi. La lecture croyante des Écritures n’a pas à être cherchée dans un contenu théologique, mais dans l’humble et patiente scrutation du texte qui seule peut faire advenir le sens comme présence de Celui qui l’a inspiré.

Notes

  • [*]
    Serge Wüthrich, docteur en théologie, est pasteur de l’Église Réformée de France à Niort.
  • [1]
    Hilaire de Poitiers, La Trinité, tome III, VIII-14, texte critique établi par P. Smulders, traduction et notes de G. M. de Durand, C. Morel, G. Pelland, Paris, Cerf, coll. « Sources chrétiennes 448 », 2000, p. 399.
  • [2]
    Jean-Michel Poffet, Les Chrétiens et la Bible. Les Anciens et les Modernes, Paris, Cerf, coll. « Histoire du christianisme », 1998, p. 15.
  • [3]
    Jean Zumstein, art. « Bible », in Pierre Gisel et Lucie Kaennel, éd., Encyclopédie du protestantisme, Genève/Paris, Labor et Fides/PUF, 20062, p. 122.
  • [4]
    Ibid., p. 123.
  • [5]
    Karl Barth, L’Épître aux Romains, trad. Pierre Jundt, Genève, Labor et Fides, 1972, p. 15.
  • [6]
    François Refoulé, « L’exégèse en question », article paru dans Le Supplément à la Vie spirituelle et cité par Jacques Vermeylen, « À quoi servent les exégètes ? La lecture de la Bible, entre servitude et service », Recherches de Science Religieuse 80/3, 2006, p. 311.
  • [7]
    Propos cités par Camille Focant, « Interpréter au service d’une communauté et au cœur d’une tradition de lectures et de relectures », in Philippe Abadie, éd., Aujourd’hui, lire la Bible. Exégèses contemporaines et recherches universitaires, Lyon, Profac, 2008, p. 96, qui constate « la lassitude [qui] se fait jour devant les résultats éclatés et contradictoires d’études très techniques ». Les conséquences de cette situation se font ressentir jusque dans les milieux académiques. Ulrich Luz rapporte le scepticisme de ses étudiants : « They feel that these methods, and particularly the historical-critical explanation of texts, do not really lead to understanding the texts. Quite the contrary, they separate the texts from our experience and life instead of bringing both into a helpful dialogue. My students ask : What does all this have to do with me ? » Ulrich Luz, Matthew in History. Interpretation, Influence, and Effects, Minneapolis, Fortress Press, 20072, p. 2.
  • [8]
    Élisabeth Parmentier, L’Écriture vive. Interprétations chrétiennes de la Bible, Genève, Labor et Fides, 2004, p. 119.
  • [9]
    Ibid.
  • [10]
    Jacques Vermeylen, « À quoi servent les exégètes ? », op. cit., p. 328 sq.
  • [11]
    On pourrait, à juste titre, objecter que cette ébauche de définition d’une lecture croyante, telle qu’elle est déduite de l’article de Vermeylen, n’en est pas véritablement une (ce n’est d’ailleurs pas l’intention de l’auteur d’en fournir une), et qu’il eût été préférable de se référer à des études spécialisées en sociologie, psychologie ou histoire des religions. Si ces sciences offrent des analyses pertinentes, elles ne sont pas, pour autant, axiologiquement neutres. Elles ne font que répondre à des questions posées dans un cadre qui leur est propre, et selon des modalités dont il faudrait exhumer les présupposés. À titre d’hypothèse heuristique, nous nous en tiendrons aux éléments proposés par Vermeylen.
  • [12]
    Jacques Vermeylen, « À quoi servent les exégètes ? », op. cit., p. 315.
  • [13]
    Ibid., p. 314.
  • [14]
    Ibid., p. 317.
  • [15]
    Ibid., p. 321. « Il ne s’agit pas simplement de donner une culture biblique ou de vulgariser les travaux des spécialistes, mais aussi et surtout de donner au plus grand nombre des moyens d’entrer dans un travail personnel de lecture », ibid., p. 328.
  • [16]
    Friedrich Schleiermacher, Herméneutique, trad. Christian Berner, Paris, Cerf, 1989.
  • [17]
    Élisabeth Parmentier, L’Écriture vive, op. cit., p. 121, le pense également : « Ne faudrait-il pas aussi prendre en compte ce que les textes effectuent, notamment la mise en relation entre l’auteur et les lecteurs ? »
  • [18]
    Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire, Paris, Seuil, 20102, p. 162, 164. Pour une discussion sur l’épistémologie des sciences historiques, cf. Jörn Rüsen, History. Narration – Interpretation – Orientation, New York/Oxford, Berghahn Books, 2008.
  • [19]
    Umberto Eco, Les limites de l’interprétation, trad. Myriem Bouzaher, Paris, Grasset, 1992, p. 29.
  • [20]
    Cf. Jane Tompkins, éd., Reader-Response Criticism : From Formalism to Post-Structuralism, Baltimore, John Hopkins University Press, 1980 ; Robert M. Fowler, Let the Reader Understand, Minneapolis, Fortress Press, 1991.
  • [21]
    Erwin Wolff, « Der intendierte Leser », Poetica 4, 1971, p. 140-166, et Stanley Fisch, « Literature in the Reader : Affective Stylistics », New Literary History 2, 1970, p. 123-162, cités dans Wolfgang Iser, L’acte de lecture. Théorie de l’effet esthétique, trad. Evelyne Sznycer, Bruxelles, Mardaga, 1985, p. 64.
  • [22]
    Wolfgang Iser, L’acte de lecture, op. cit., p. 70.
  • [23]
    Daniel Marguerat, Yvan Bourquin, Pour lire les récits bibliques, Paris/Genève/Montréal, Cerf/Labor et Fides/Novalis, 1998, p. 22. Ces auteurs définissent également un auteur implicite comme l’« image de l’auteur telle qu’elle se révèle dans l’œuvre par ses choix d’écriture et le déploiement d’une stratégie narrative ».
  • [24]
    Daniel Marguerat, « L’exégèse biblique à l’heure du lecteur », in La Bible en récits. L’exégèse biblique à l’heure du lecteur, Genève, Labor et Fides, coll. « Le Monde de la Bible 48 », 2003, p. 19.
  • [25]
    Umberto Eco, Lector in fabula. Le rôle du lecteur ou la coopération interprétative dans les textes narratifs, trad. Myriem Bouzaher, Paris, Grasset, 1998, p. 67.
  • [26]
    Daniel Marguerat, « La construction du lecteur par le texte (Marc et Matthieu) », in L’aube du christianisme, Genève/Paris, Labor et Fides/Bayard, coll. « Le Monde de la Bible 60 », 2008, p. 281.
  • [27]
    « Le lecteur de Matthieu est orienté sur la difficulté de suivre ; le lecteur de Marc est désorienté par un Seigneur insaisissable. Le lecteur de Matthieu voit sa place tracée aux pieds du Maître ; le lecteur de Marc voit le Maître s’en aller dès qu’il s’est installé », ibid., p. 287.
  • [28]
    Ibid., p. 301-302 (nous soulignons).
  • [29]
    Si l’on en croit la citation donnée dans le paragraphe précédent qui se réfère à un lecteur confessant « le Seigneur […] au plan de l’existence », ibid., p. 281.
  • [30]
    « Je ne recourrai pas à l’appellation “lecteur implicite” (implied reader), pour éviter la coupure, inhérente à la narratologie, entre le texte et son contexte historique d’énonciation. Je désigne par “lecteur” moins une personne qu’un rôle, que tout lecteur est appelé à endosser dans l’accomplissement de l’acte de lecture », ibid., p. 279.
  • [31]
    Ibid., p. 279-280 (nous soulignons).
  • [32]
    Dans le même cadre interprétatif, Yvan Bourquin a suggéré, dans une note de son étude sur le second Évangile, une autre piste que celle de l’homologie. Partant d’une citation d’Iser – « Le lecteur implicite n’est pas l’abstraction d’un lecteur réel. Il est plutôt la condition d’une tension que le lecteur réel vit lorsqu’il accepte ce rôle » (Wolfgang Iser, L’acte de lecture, op. cit., p. 73, cité dans Yvan Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité. Obscure clarté d’une narration, Genève, Labor et Fides, 2005, p. 106) –, il relève le terme de « tension » et propose l’idée qu’« une véritable dialectique [s’établisse] entre le moi (le lecteur existant en chair et en os) et le lecteur implicite dans lequel le récit m’invite à me fondre » (ibid., p. 107 n. 110). Il n’explicite, toutefois, pas cette idée.
  • [33]
    Wolfganf Iser, L’acte de lecture, op. cit., p. 73, cité dans Yvan Bourquin, Marc, une théologie de la fragilité, op. cit., p. 106 sq.
  • [34]
    R. Alan Culpepper, Anatomy of the Fourth Gospel : A Study in Literary Design, Philadelphie, Fortress Press, 1983, p. 99-148. Les postures repérées par Culpepper vont du rejet total (les juifs) au disciple exemplaire (le disciple bien-aimé), en passant par la figure du traître (Judas), celle du croyant en secret (Nicodème), les spectateurs frappés par les miracles de Jésus (la foule), les auditeurs qui reçoivent les paroles de Jésus (la Samaritaine) ou encore tous ceux qui croient en dépit des malentendus.
  • [35]
    Umberto Eco, Lector in fabula, op. cit., p. 150 sq. : « Il est essentiel à la coopération [du lecteur] que le texte soit continuellement rapporté à l’encyclopédie. […] Pour avancer son hypothèse, le lecteur doit recourir à des scénarios communs ou intertextuels. »
  • [36]
    Jacques Geninasca, « Quand donner du sens c’est donner forme intelligible », in Ursula Bähler, Evelyne Thommen, Christina Vogel, éd., Donner du sens. Études de sémiotique théorique et appliquée, Paris/Montréal, L’Harmattan, 2005, p. 134.
  • [37]
    Parallèlement au mouvement inspiré par A. J. Greimas, une école de sémiotique s’est développée à Zurich autour de la personne et des travaux de Jacques Geninasca dont l’ouvrage de référence, La parole littéraire, Paris, PUF, 1997, rassemble la plupart des articles qui définissent et mettent en œuvre le modèle de sémiotique littéraire auquel il sera fait référence dans cette section.
  • [38]
    Algirdas J. Greimas, Joseph Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette, 1979, p. 125.
  • [39]
    Jacques Geninasca, « Le discours n’est pas toujours ce que l’on croit », Protée 26/1, 1998, p. 117. Pour Geninasca c’est l’énonciateur qui est responsable de la production d’une signification, contrairement à Greimas et Courtés pour lesquels c’est « l’énonciataire [qui est] le sujet producteur du discours ». Algirdas J. Greimas, Joseph Courtés, Sémiotique, op. cit., p. 125.
  • [40]
    Jacques Geninasca, « Le discours n’est pas toujours ce que l’on croit », op. cit., p. 117.
  • [41]
    Jacques Geninasca, La parole littéraire, op. cit., p. 59.
  • [42]
    Jacques Geninasca, « Pour une sémiotique littéraire », Actes sémiotiques — Documents du Groupe de recherches sémio-linguistiques (EHESS-CNRS) IX, 83, 1987, p. 11.
  • [43]
    Jacques Geninasca, La parole littéraire, op. cit., p. 59. Cf. ibid. p. 62, 77, 88-91.
  • [44]
    Le pathémique relève du domaine passionnel. « Son emploi évite toute confusion avec une saisie psychologique de l’univers affectif dans le cadre du discours. L’étude de la dimension pathémique du discours, complémentaire des dimensions pragmatiques et cognitives, concerne non plus la transformation des états de choses (ressort de la narrativité), mais de la modulation des états du sujet, ses “états d’âme”. » Denis Bertrand, Précis de sémiotique littéraire, Paris, Nathan, 2000, p. 265.
  • [45]
    Jacques Geninasca, La parole littéraire, op. cit., p. 93.
  • [46]
    Si la narratologie s’inscrit dans le cadre d’une sémiotique de type inférentielle, elle a récemment découvert, elle aussi, l’intérêt d’une saisie rythmique, à travers les travaux de Raphaël Baroni consacrés à La tension narrative. Suspense, curiosité et surprise, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 2007. Par tension narrative Baroni comprend la manière dont le lecteur éprouve le temps, à un niveau cognitif mais également émotionnel, lorsqu’il est confronté à une intrigue. Celle-ci n’est une structure effective du texte « que dans la mesure où elle se trouve insérée dans une relation interlocutive et où elle se trouve actualisée dans une conscience susceptible de percevoir – ou mieux : de ressentir et de pressentir – les articulations majeures qui rythment un récit en fonction du devenir d’une tension » ibid., p. 40-41.
  • [47]
    Voir particulièrement Éric Landowski, Passions sans nom. Essais de socio-sémiotique III, Paris, PUF, 2004 ; Les interactions risquées, Limoges, PU Limoges, coll. « NAS 101-102-103 », 2005.
  • [48]
    Éric Landowski, Passions sans nom, op. cit. p.26.
  • [49]
    Algirdas J. Greimas, « Le savoir et le croire : un seul univers cognitif », in Du sens II, Paris, Seuil, 1983, p. 116.
  • [50]
    Jacques Geninasca, La parole littéraire, op. cit., p. 213.
  • [51]
    Serge Wüthrich, « La rencontre éprouvante : réflexions sur la “lecture croyante” de l’Évangile », Sémiotique et Bible 138, 2010, p. 5-11.
  • [52]
    Jacques Geninasca, La parole littéraire, op. cit., p. 86.
  • [53]
    Un corollaire remarquable de cette affirmation est la possibilité de décrire, d’un point de vue sémiotique, l’inspiration des Écritures comme étant autant une inspiration à lire qu’une inspiration à écrire.
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