Couverture de ETR_993

Article de revue

Yves Krumenacker, Un parcours en protestantisme. I, Chemins de traverse, Lyon, LARHRA-CNRS, coll. « Chrétiens et Sociétés. Documents et Mémoires 46 », 2023. 24 cm. 431 p. ISBN 979-10-91592-32-1. € 25.

Julien Léonard, Noémie Recous (dir.), Un parcours en protestantisme. II, Compagnons de route, Lyon, LARHRA-CNRS, coll. « Chrétiens et Sociétés. Documents et Mémoires 47 », 2023. 24 cm. 268 p. ISBN 979-10-91592-33-8. € 22.

Pages 552 à 554

1 Un départ à la retraite est souvent l’occasion de revenir sur une carrière. En 2023, Yves Krumenacker quitte l’université Lyon 3 dans laquelle il est entré en 1998. Les deux volumes qui accompagnent ce départ sont un regard sur son parcours scientifique.

2 Le premier volume, au beau titre de Chemins de traverse, rassemble vingt-quatre articles. L’auteur y explique que son premier travail de recherche, sa maîtrise, a été consacré aux protestants de la sénéchaussée d’Angoulême (travail réalisé sous la direction de Daniel Roche, en 1979). Depuis, il a investi ce champ. Cela n’a pas immédiatement été facile ; il explique qu’il a « eu sur ce point une forme de syndrome de l’imposteur, n’étant pas de culture protestante » (p. 8). Au lieu de le desservir, cela l’a servi. En effet, une question traverse tout ce parcours scientifique : qu’est-ce qu’un protestant ? comment le caractériser ? L’auteur constate très vite que ce monde a évolué ; que de différences entre celui du xvie siècle et celui du xviiie ! Il remarque la coexistence de phénomènes de « construction confessionnelle » et d’un possible «œcuménisme d’autrefois ». Il milite pour une « histoire buissonnière » et affirme sa volonté d’emprunter des « chemins de traverse ». Pour cela, il a réalisé des biographies (Calvin en 2017 et Luther la même année), publié des documents (Journal de Jean Migault en 1995), scruté les inventaires après-décès et autres documents notariés, regardé les « représentations picturales ou les réalisations architecturales ». Il s’est intéressé à des questions souvent négligées par l’historiographie protestante : les missions, les attitudes devant la mort, les pensées hétérodoxes. Y. Krumenacker a su quitter le domaine protestant pour élargir son regard ; il a publié, par exemple, La Guerre de Trente Ans (2008) ou L’école française de spiritualité (1998).

3 Le volume qui nous retient ici ne considère que le protestantisme, avec des textes publiés depuis 1995 dans diverses revues, actes de colloques et ouvrages collectifs.

4 Ils sont présentés dans un ordre thématique et chronologique. Le livre s’ouvre par deux textes sur Calvin, présentant ses jeunes années ; ils mettent l’accent sur le chemin qui l’a amené à quitter l’Église catholique. Krumenacker nous le montre « très marqué par l’évangélisme, les discussions sur la réforme de l’Église et les tentatives de retrouver une Église plus pure »(p. 28). Suivent six articles présentant l’organisation du monde protestant depuis la formation des provinces synodales (bien présentées avec de belles cartes) jusqu’à la résistance avec l’Église du Désert. Les institutions ont des « limites mouvantes » mais elles « fonctionnent » avec leurs collèges, le réseau des correspondances, l’organisation de réunions. Cependant, à la fin du xviie siècle, pour certains protestants, elles demeurent « un espace relativement abstrait » (p. 60). La réglementation antiprotestante qui se développe un peu avant 1685 ne fait pas disparaître cette confession. Mais nait le « besoin de faire renaître le protestantisme dans un cadre plus traditionnel » (p. 89) et plus discret, ce sont les synodes du Désert qui réorganisent le culte et maintiennent la cohérence du groupe. Un troisième ensemble de cinq articles cerne la manière d’être protestant en France avec deux textes sur les Académies qui correspondent au « mouvement croissant de demande d’éducation dans les élites bourgeoises » (p. 149) et trois qui abordent la mort. Cette dernière question est essentielle car « l’avènement de la Réforme, au xvie siècle, a provoqué un bouleversement total des rituels funéraires » (p. 191). Chez les protestants, c’est l’invention d’un rituel et le besoin de présenter la mort vécue comme édifiante. Le quatrième ensemble de trois textes s’intéresse à un aspect bien méconnu : les missions protestantes qui accompagnent les grands voyages chers à l’Europe à partir de la fin du xve siècle. Luther s’interroge sur le salut des païens ; Zwingli et Bucer estiment qu’il faut prêcher dans le monde entier. Signalons un article sur le Groenland qui présente la personnalité hors norme de Hans Egede (1686-1758). Le cinquième ensemble est celui des perceptions : perception de la nuit ou des vêtements par les protestants ; mémoire des Vaudois ou de Marie Durand ; place de ces épisodes dans la littérature pour la jeunesse.

5 Ce beau recueil d’articles est accompagné d’un second volume intitulé Compagnons de route dirigé par Julien Léonard et Noémie Recous. Ils ont réuni les travaux de treize collègues d’Y. Krumenacker, « cheminements et rencontres [qui] constituent aujourd’hui la trame d’une carrière dense et riche » (p. 11) ; une occasion d’approfondir le volume précédent et de diversifier les regards. Les textes sont regroupés en quatre parties. La première concerne « réformation et évangélisation », elle se penche donc sur les racines du protestantisme réformé, écho des articles du premier volume sur l’institutionnalisation d’une confession. Ce sont les hommes, spécialement Théodore de Bèze, mais aussi les modalités pour organiser les pasteurs et les prédicants. La seconde, « controverse et coexistence », montre comment le protestantisme maintenant établi doit faire face à différents défis : le regard des catholiques ; les carrières des pasteurs ; les conversions. Suit une partie intitulée « Résilience, résistance et identité» car les communautés protestantes sont bien malmenées. Le sujet est abordé grâce à une galerie de portraits fort intéressants : les évadés des prisons du Vivarais ; Jean-Alphonse Turrettini qui lit la Bible avec passion ; La Beaumelle si friand de savoir ; Jean-Antoine Blachon qui vit la Révolution. Le volume se finit par trois articles regroupés sous le titre « Historiographies, modes de production du savoir » qui rappelle qu’Y. Krumenacker a toujours été sensible aux questions de méthodologie : nouveaux chantiers comme celui des dédicaces des temples ; l’écriture de l’identité ; la nécessité de dresser des listes.

6 Les deux volumes sont indépendants mais ils se lisent en miroir. Ils sont une belle manière de revisiter l’historiographie du protestantisme. La question de l’identité protestante est au cœur de ces livres : comment se forge-t-elle ? Comment survit-elle dans des communautés minoritaires parfois menacées ? Comment permet-elle à des individus de vivre ? Gageons qu’Y. Krumenacker ne va pas s’arrêter là et que, bientôt, nous aurons l’occasion de le découvrir sur de nouveaux chantiers.


Date de mise en ligne : 31/10/2024

https://doi.org/10.3917/etr.993.0552

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