Notes
-
[1]
Décision Bioéthique n• 94-343-344, DC du 27/7/1994 (J.O. du 29/7/1994).
-
[2]
Loi 9/6/1999 – Art. L 1er C, dans article 1er J O. du 10/6/1999.
-
[3]
Fondée en 1980, elle regroupe 28 000 adhérents et comprend 92 délégations départementales. Elle fait partie de la «Fédération Mondiale des associations pour le droit de mourir dans la dignité», qui compte 21 pays membres et 35 associations.
-
[4]
Loi insérée dans le Code de la Santé publique, articles 710 3-1 et 3-2.
-
[5]
The Lancet, (2001), Vol. 357, January 6.
-
[6]
L’aide active à mourir peut consister en un suicide assisté, auquel cas c’est le malade lui-même qui ingère les substances qui lui ont été fournies par son médecin ou par un tiers, ou en une injection létale effectuée par le médecin, qualifiée d’euthanasie.
-
[7]
Taux comparatif pour 1994-1996, In le Bulletin de l’INED, Population et Sociétés n•334, Avril 1998.
-
[8]
Andrian J., «Laboratoire de Sociologie LSCI, Suicide au grand âge», Revue n• 111-112 Décembre 1997, Société de Thanatologie, La mort et les rites.
-
[9]
Bulletin de l’Ordre des Médecins, (janvier 2001), page 6.
1La société, l’individu éprouvent d’immenses difficultés à vivre avec la mort, bien que notre disparition soit une étape faisant partie intégrante de la vie.
2Depuis une cinquantaine d’années, les progrès fantastiques de la médecine et des technologies de pointe ont eu pour conséquence de faire reculer les limites de la mort. L’espérance de vie ne cesse d’augmenter: elle est de 82,7 ans pour les femmes et 75,2 ans pour les hommes en 2000, alors qu’en 1950 elle était seulement de 63,4 ans pour ces derniers et de 69, 2 ans pour les femmes.
3La tentation de maintenir à tout prix la vie d’individus qui autrefois seraient décédés paisiblement se développe, et il en résulte que lorsque la mort survient elle est le plus souvent vécue comme un échec.
4Autrefois, elle fauchait des êtres jeunes, de nombreux enfants, des femmes lors d’un accouchement et rythmait le cours de l’existence, le deuil y étant quasiment permanent et solennisé; actuellement, la plupart des rites de deuil ont disparu, la mort est occultée et devenue un sujet tabou.
570 % des Français meurent à l’hôpital, souvent dans la solitude, se voyant imposer une survie à l’aide de techniques dans des conditions déshumanisées, alors que le pronostic les concernant est fatal. C’est pourquoi beaucoup redoutent d’achever leur vie dans la déchéance physique ou intellectuelle, la sénilité, la dépendance. Est-ce digne de l’homme d’égrener des jours, des mois dans l’inconscience, entretenu par des machines. N’y a-t-il pas alors atteinte à sa dignité?
6La notion de dignité est nouvelle en Droit, et la reconnaissance théorique du droit de mourir dans la dignité est apparue pour la première fois le 9 mars 1991, lors de l’ouverture du 3e Congrès international d’Éthique Médicale, organisé à Paris par le Conseil de l’Ordre des Médecins. Claude Evin, alors ministre des Affaires Sociales, déclare: « le droit de mourir dans la dignité me semble un droit fondamental ». Au mois d’avril de la même année, la Commission de l’Environnement et de la Santé publique du Parlement Européen adopta un rapport dans lequel on pouvait lire que « La dignité est ce qui définit la vie humaine ».
7Peu de temps après le Conseil Constitutionnel par une décision du 27 juillet 1994 [1]* érigea en principe à valeur constitutionnelle « La sauvegarde de la dignité de la personne humaine ». La vie n’est donc plus jugée comme une valeur purement quantitative, la qualité de la vie est prise en considération ce qui constitue une avancée capitale.
Le respect des droits du malade
8Ce droit à une mort digne, qui est purement subjectif, devrait être reconnu afin que chacun puisse disposer de la liberté de déterminer la qualité de fin de vie qu’il souhaite, en fonction de ses capacités vitales et de l’intensité de ses souffrances.
9Le droit d’interrompre ou de refuser un traitement était admis par la jurisprudence et cette tradition a été explicitée par l’article 36 du nouveau Code de Déontologie, puis par la loi du 9 juin 1999 qui précise que « La personne malade peut s’opposer à toute investigation ou thérapeutique » [2].
10Mais les souhaits du patient, même s’ils sont connus, ne sont pas toujours respectés.
11L’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) [3] milite pour permettre à chacun d’avoir une fin digne et sereine. Elle s’oppose depuis sa création aux abus de l’acharnement thérapeutique, a lutté pour que soient développés les moyens propres à soulager la douleur. Elle demande aussi que soit reconnu le principe d’autodétermination, permettant aux malades le demandant instamment d’obtenir, dans des cas limitativement déterminés, une aide active à mourir. Elle s’oppose résolument au recours à l’euthanasie pour raison politique, sociale ou économique.
12Elle a sur les deux premiers points obtenu partiellement satisfaction. L’article 37 du Code de Déontologie dès 1995 précise que le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances de son malade, d’éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique. En ce qui concerne la lutte contre la douleur, la France accusait un retard considérable, mais en quelques années elle est passée du 4e rang mondial au 6e en ce qui concerne l’administration des morphiniques.
13Auparavant, la prescription de substances destinées à apaiser les souffrances, même si les seules restant efficaces risquent d’abréger la vie du malade, n’était pas de pratique courante, bien qu’elle ait été explicitement admise par Pie xii pour les malades en phase terminale, dans une déclaration du 9 juin 1958.
14Le 4 février 1995, le sénateur Lucien Neuwirth est parvenu à faire voter une loi [4] imposant aux établissements de santé, aux institutions sociales et médico-sociales de mettre en œuvre les moyens propres à prendre en charge la douleur des patients qu’ils accueillent. La formation des médecins devra être assurée pour cette prise en charge. Une évolution des mentalités semble se dessiner, et cette loi commence à être appliquée.
15Dès le 6 mai 1995, le ministère de la Santé diffusait une «charte du patient hospitalisé», mettant notamment l’accent sur la lutte contre la douleur.
16Mais, comment ces droits au refus du traitement, au soulagement de la douleur à l’aide de puissants antalgiques pouvant hâter la mort peuvent-ils être appliqués par le médecin si le malade est incapable d’exprimer sa volonté? D’après la jurisprudence, l’autorité dans ce cas appartient aux proches du malade.
17La seule façon d’être assuré de faire connaître et éventuellement respecter ses souhaits en fin de vie résident dans la rédaction d’un document explicitant ses volontés pour le cas où l’on deviendrait inconscient. Cette déclaration permettrait d’exercer son droit d’autodétermination qui devrait être reconnu comme une liberté fondamentale, si elle avait force obligatoire vis-à-vis des tiers et, en particulier, des médecins.
18Malheureusement, en France, elle n’a qu’une valeur morale et ne contraint donc quiconque à l’appliquer. Il serait souhaitable qu’une législation donne force légale à ce document, ainsi que cela est le cas dans d’assez nombreux pays.
19Au Danemark, une loi du 1/10/1992 oblige les médecins à se conformer aux dispositions contenues dans les déclarations de volonté des patients; ils encourent des sanctions s’ils y contreviennent. Aux États-Unis, une loi fédérale sur l’autodétermination des malades (1/12/1991) impose à tous les établissements d’informer les patients de leurs droits. Tous les États autorisent ce qui est appelé le testament de vie, à l’exception du Massachusetts, du Michigan et de l’État de New York, lesquels ne reconnaissent que le droit de nommer un mandataire.
20Quant à la Suisse, le document qui est dénommé «directives anticipées» a force obligatoire dans les Cantons de Genève, Lucerne, Valais, Argovie et Appenzell-Rhodes. En Grande-Bretagne, ce n’est pas une loi, mais la jurisprudence et un Code de Conduite, élaboré par la « British Medical Association », qui fait obligation de se conformer au testament de vie. Plus loin de nous, l’Australie (dans 4 états) et le Canada (dans 5 provinces) se sont dotés de législations reconnaissant la légalité de ce document.
21L’ensemble de ces pays vise principalement dans sa déclaration de volonté l’abstention de tout acharnement thérapeutique pour prolonger abusivement la vie et l’usage de tous les remèdes pour calmer les douleurs, même au cas où les seuls restant efficaces risqueraient d’abréger la vie.
22La déclaration élaborée par l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) y ajoute: « qu’en dernier recours, on me procure l’euthanasie, c’est-à-dire une mort douce ».
Qu’entend-on par euthanasie ?
23Ce mot euthanasie, devenu d’un usage courant, a été et est encore parfois chargé d’opprobre, alors que de racine grecque, il désigne «la bonne mort», la mort douce et sans souffrance. On distingue traditionnellement l’euthanasie passive qui consiste, lorsque le malade est en phase terminale, à cesser tout traitement devenu inopérant et, éventuellement, à débrancher les appareils qui le maintiennent artificiellement en vie, de l’euthanasie active. Il s’agit alors de la part d’un médecin, d’un parent, d’aider à mourir une personne qui demande de façon expresse, instante et réitérée, qu’il soit mis fin à ses souffrances, à une agonie ou à une insupportable déchéance, afin de la délivrer d’une vie qu’elle ne juge plus digne d’être vécue. Dans ces circonstances, c’est en effet chacun qui devrait pouvoir décider de la fin de sa propre vie en fonction d’un choix délibéré. Or, notre Code pénal reflète une conception morale absolutiste, qui n’est plus partagée aujourd’hui par l’ensemble de la population. La loi devrait permettre l’expression du pluralisme de notre société. Aucune incrimination spécifique concernant l’euthanasie n’étant prévue, ceux qui perpètrent cet acte sont en principe passibles du crime de meurtre (article 221-1 du nouveau Code pénal) ou de celui d’assassinat (article 221-3), faisant encourir des peines maximales respectivement de 30 ans de réclusion criminelle et de la réclusion à perpétuité.
24L’euthanasie dite «passive» pourrait théoriquement être assimilée à l’abstention volontaire de porter assistance à personne en péril (article 223-6 du nouveau Code pénal), punissable de 5 ans d’emprisonnement au maximum.
25À notre connaissance, l’euthanasie «passive» n’a jamais été réprimée. Une étude baptisée «Latarea» (limitation et arrêt thérapeutique en réanimation) portant sur 7309 malades a été menée en 1997 pendant deux mois dans 113 des 220 unités de soins intensifs. C’est la première de cette ampleur dans notre pays; signée par 4 médecins français, elle a été publiée dans l’hebdomadaire médical britannique The Lancet [5].
26Elle montre que, malgré le flou juridique dans lequel nous vivons, l’arrêt ou la limitation des soins intensifs sans le consentement du malade, sont devenus pratiques courantes. En effet, 53 % des décès survenus dans ces structures faisaient suite à une décision préalable des médecins de cesser les manœuvres de réanimation. Près de 9 fois sur 10, la décision avait été prise collectivement par les soignants, et, dans 44 % des cas, la famille y avait été associée. Les médecins pouvaient avoir à répondre à deux situations différentes: soit il n’y a pas de guérison possible, et il s’agit d’arrêter l’agonie, soit il n’y a plus d’espoir de qualité de vie pour le malade. L’un des signataires de l’enquête, le Dr Édouard Ferrand regrette qu’à la différence des États-Unis, la désignation d’un mandataire habiliterais à se substituer au malade pour donner son consentement, n’ait pas de valeur légale. Seulement 27 % des patients étaient en état d’être informés. Un écrit rédigé antérieurement par le malade pour préciser ses volontés, rendrait plus facile le rôle du médecin.
Conséquences de la sévérité de la législation
27L’extrême sévérité de la loi concernant l’aide active à mourir [6] a pour conséquence que des malades en fin de vie, généralement âgés, en état de détresse ont été délivrés par un proche, souvent leur conjoint. Des cas jugés en Cour d’Assises montrent que souvent après avoir accompli cet acte de compassion, son auteur s’est suicidé ou a tenté de le faire. Un cas d’euthanasie, datant du 10 août 1997, relaté par la presse, illustre ces agissements. Un retraité de 78 ans s’était pendu, après avoir abattu sa femme, qui lui avait demandé de l’aider à mourir, car elle ne supportait pas de devenir aveugle. Cet homme avait expliqué avoir cédé à la demande insistante de sa femme, avec laquelle il vivait depuis 56 ans, de mettre fin à ses jours.
28Un certain nombre de données caractérisent la mort volontaire du sujet âgé: un suicide préparé, des moyens efficaces utilisés. Il s’agit d’un acte réfléchi le plus souvent prémédité, ne résultant pas d’une conduite impulsive.
29Beaucoup ignorent que la proportion de suicides de personnes âgées est plus de 6 fois supérieure à celle des jeunes pour les hommes et près de 5 fois pour les femmes [7]. Pour les vieillards de plus de 85 ans, le taux de suicide a fortement augmenté: de 106,9 pour 100 000 en 1981, il est passé à 150,2 en 1993; chez les femmes du même âge, la progression a été plus modérée.
30Organisée à l’avance, l’on pourrait espérer que cette mort volontaire a lieu dans la douceur.
31Or, qui ne serait surpris de constater que la pendaison est le premier mode utilisé: 43 % pour les hommes de 65 à 74 ans et 45 % de ceux âgés de plus de 75 ans. Quant aux femmes, 1/3 d’entre elles a eu recours à ce procédé et seulement 23_% à l’usage de barbituriques. 9 % des hommes utilisent des substances provoquant un empoisonnement, mais 1/3 se donnent la mort avec une arme à feu [8].
32L’extrême violence des procédés utilisés pour quitter volontairement la vie, et les circonstances désespérées dans lesquelles ils sont employés ont pour conséquence que le drame, lorsqu’il vient en Cour d’Assises, se termine le plus souvent par un verdict d’acquittement, ou par une légère peine assortie du sursis. Les magistrats et les jurés n’appliquent pas une loi totalement inadaptée aux cas tragiques et pitoyables qu’ils ont à juger.
Qu’en est-il actuellement de l’euthanasie?
33Malgré la législation répressive, des médecins pratiquent l’euthanasie, mais, à cause du risque de poursuites, ils le font clandestinement, donc sans contrôle ni concertation, parfois sans demande du patient. Ils n’agissent que durant la phase ultime de la maladie, à un moment où le décès peut apparaître naturel, sans qu’ait été évitée une longue période de souffrance à un être condamné.
34La dépénalisation de l’euthanasie aurait pour effet d’abréger les souffrances d’une personne qui le demande instamment, mais aussi d’assurer une protection légale au médecin.
35La pratique de l’euthanasie est toujours pour lui une expérience douloureuse. Comme l’écrit, le Professeur Yvon Kenis, président d’honneur de l’ADMD belge, « ne pas devoir se cacher comme un malfaiteur, pouvoir assumer la responsabilité de son acte et être prêt à en rendre compte devant ses pairs et devant la justice, constitue un soutien justifié pour celui qui a accepté de se mettre dans une situation pénible pour obéir à sa conscience ».
36À la législation répressive s’ajoutent les règles de déontologie, qui sont aussi dissuasives. Exprimant les principes officiels d’éthique médicale, il est explicitement stipulé à l’article 38 in fine du Code de Déontologie que le médecin « n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort » de son malade, c’est-à-dire d’avoir intention de la donner. C’est pourquoi, est pratiqué assez fréquemment par le corps médical ce que l’on peut qualifier de «lente euthanasie».
37Il s’agit alors d’administrer à un malade des antalgiques de plus en plus puissants destinés à alléger sa souffrance, même s’ils risquent d’abréger sa vie. Cette façon de procéder est, en principe, non répréhensible, puisque l’intention du médecin n’est pas de provoquer la mort de son patient, mais de soulager sa douleur. Le critère réside donc dans l’intention de l’auteur de l’acte et l’excuse, de ce que l’on dénomme «la loi du double effet», permet de pratiquer une lente euthanasie pour les malades en phase terminale, éprouvant d’intenses douleurs physiques. Cette façon de procéder a certes des avantages, mais apparaît aussi comme une profonde hypocrisie montrant la situation de malaise dans laquelle se trouve un médecin confronté à la phase ultime et douloureuse de la maladie de son patient.
38S’il est prouvé qu’il ait agi avec l’intention de provoquer la mort de ce malade, il risque outre une condamnation pénale d’être suspendu ou interdit de l’exercice de sa profession.
Arguments opposés à la dépénalisation et leur réfutation
39À la dépénalisation de l’euthanasie, plusieurs arguments sont opposés: elle serait inutile, dangereuse, et transformerait l’image du médecin. On fait valoir que les poursuites sont exceptionnelles, que la clémence des tribunaux est souvent la règle, bien que subsiste le risque d’une condamnation pénale et de l’interdiction d’exercer la profession médicale. Une majorité de médecins estime que les questions touchant à l’euthanasie relèvent de leur pouvoir, et que c’est à eux de juger si un tel acte est justifié dans un cas déterminé. Ce mode de raisonnement entraîne nécessairement une inégalité devant la mort, car chaque médecin apprécie avec ses propres convictions, son idéologie. C’est la volonté du malade qui devrait emporter la décision, un praticien pouvant toujours invoquer la clause de conscience, à condition d’en avertir son patient s’il refuse de respecter sa volonté.
40D’aucuns prétendent que les soins palliatifs rendent inutile la revendication du droit à l’euthanasie. L’accompagnement des malades en phase terminale, qui représente une avancée considérable, n’a débuté qu’en 1986, 25 ans après la Grande-Bretagne. C’est le ministre de la Santé de l’époque, Edmond Hervé, qui émit une circulaire relative à l’organisation des soins aux grands malades et à la création d’unités de soins palliatifs. Cette pratique commença alors à se développer, mais avec une capacité d’accueil dérisoire compte tenu des besoins. Pour 520 000 décès en 1994, 6 000 patients ont été accueillis contre 40 000 en Grande-Bretagne.
41Il fallut attendre le 9 juin 1999, pour qu’à l’initiative du sénateur Lucien Neuwirth, soit votée une loi visant à garantir l’accès aux soins palliatifs dans les établissements de santé publics et privés. Il faut espérer que le législateur ayant explicitement affirmé ce droit, chacun s’emploiera à ce qu’il soit honoré. Les services de cancérologie et de gériatrie n’ont hélas pas obtenu de moyens supplémentaires, et le développement des soins palliatifs se heurte à des barrières financières et matérielles. Selon le ministère, on compte aujourd’hui 89 unités de soins palliatifs et 184 unités mobiles, mais ces chiffres sont contestés par la Société Française d’Accompagnement aux Soins Palliatifs (SFASP) qui souligne que ces unités ne répondent pas à des critères satisfaisants [9].
42Mais même si, dans chaque spécialité, les soignants avaient la formation nécessaire pour pratiquer les soins palliatifs – ce qui serait la meilleure solution comme le souligne le Dr Maurice Abiven – tous les problèmes des malades en fin de vie ne seraient pas résolus pour autant. L’ADMD se réjouit que cet accompagnement soit enfin reconnu et commence à être réalisé, car terminer sa vie dans le cadre des soins palliatifs est l’un des choix possibles. Très efficaces dans la plupart des cas de douleur physique, ils ne répondent cependant pas à toutes les situations. Des praticiens, des spécialistes en éthique, connus pour leur opposition au principe de l’euthanasie, admettent que des malades continuent de demander qu’on mette fin à leur vie, malgré un accompagnement optimal. Un état de souffrance globale, dû à une faiblesse extrême, à un délabrement physique et psychique privant le malade de toute autonomie, peut motiver une demande d’aide active à mourir. Il en est de même lors de l’apparition de symptômes contre lesquels les soins palliatifs ont peu ou pas d’efficacité: les paralysies, l’incontinence urinaire et fécale, les vomissements, la suffocation etc.
43L’ADMD adhère à l’opinion du Pr Kenis: « Les soins palliatifs doivent être compris comme une attitude d’ouverture aux besoins du mourant, et non comme une arme idéologique contre la liberté de choisir sa mort ».
44Contre la dépénalisation de l’euthanasie, il est aussi souvent invoqué le risque d’abus possible, de dérapage. Si l’euthanasie volontaire était autorisée, même dans des conditions limitativement déterminées, ne pourrait-on craindre qu’on soit tenté de supprimer des personnes considérées comme inutiles, infirmes, mal formées, que des vieillards particulièrement vulnérables risquent d’être manipulés, et sous la pression en arrivent à demander la mort?
45De plus, les dépenses de santé augmentant très vite, n’en viendrait-on pas à pratiquer l’euthanasie économique? Il n’est pas possible d’éliminer tout risque d’abus, mais une dépénalisation par une loi assortie de moyens de contrôle très stricts assurerait le maximum de garanties. Elle aurait aussi pour mérite de faire cesser les abus actuels causés par l’euthanasie clandestine, que l’on suppose inexistants, les autorités hospitalières et politiques préférant fermer les yeux sur cette pratique et laisser les malades à la discrétion des soignants.
46Ne pourrait-on également redouter que l’image réconfortante du médecin, dont la mission est de tout faire pour guérir et apaiser les souffrances, ne se mue en un être possédant le pouvoir dangereux de donner la mort? L’expérience néerlandaise montre au contraire que l’aide active à mourir est considérée comme un acte final accompli par le médecin dans un climat de confiance, au terme d’une relation privilégiée entretenue avec son patient tout au long de sa maladie.
47Les trois principaux arguments avancés par les opposants à l’aide active à mourir ne résistent pas à l’examen si une nouvelle législation fixe des critères très stricts pour la pratique nécessairement rare de la mort douce, et si des contrôles sérieux sont prévus et effectués.
48En droit, l’euthanasie considérée comme un crime, est de plus interdite par le Code de Déontologie, mais en fait, on ne peut plus feindre d’ignorer qu’elle est assez fréquemment pratiquée sous diverses formes par le corps médical dans des conditions exemptes de contrôle.
Une avancée à l’étranger et en france concernant la dépénalisation
49Dans trois pays voisins du nôtre, une évolution se dessine depuis plusieurs années, et l’élaboration d’un changement de législation est en cours.
50Les Pays-Bas, pionniers en ce domaine, ont voté le 10 avril 2000 une loi dépénalisant l’euthanasie, dont les conditions d’exercice avaient été codifiées par le Parlement dès 1994. Les obligations que doit respecter le médecin pour accéder à la demande volontaire, réfléchie et réitérée de son patient, dits «critères de minutie» sont précisées dans le nouveau texte: souffrance insupportable et sans issue; information du malade sur son état actuel et sur son pronostic; absence d’autre solution acceptable; consultation d’un deuxième médecin indépendant, émettant son avis; procéder à la fin de vie selon les critères médicaux. Le praticien doit notifier à l’officier de police municipal l’acte qu’il a accompli, et cinq commissions régionales – composées d’un médecin, d’un juriste et d’un spécialiste en sciences éthiques – examinent chaque cas d’euthanasie. Elles ne communiquent le dossier à la justice que si elles estiment que les critères de minutie n’ont pas été respectés. Cette loi est l’aboutissement d’un long parcours, la pratique de l’euthanasie ayant été admise depuis plus de 25 ans par la jurisprudence. Très peu de poursuites ont été engagées dans le passé et le nombre d’euthanasies perpétrées est faible. Pour 15 millions d’habitants, 130 000 personnes décèdent chaque année, et il est effectué environ 2300 euthanasies et 400 suicides assistés.
51La Belgique est aussi très avancée sur la voie de la dépénalisation. Une proposition de loi, déposée au Sénat le 20 décembre 1999, avait été renvoyée devant les Commissions de la Justice et des Affaires Sociales. Après de nombreuses discussions et auditions, ces Commissions ont voté le texte, qui doit être discuté prochainement en séance plénière par le Sénat, puis par la Chambre des Députés.
52En Suisse, la situation est différente, car le suicide assisté, s’il est effectué par compassion et non pour un motif «égoïste» est autorisé par l’article 115 du Code pénal. Il s’agit d’exonérer de poursuites un tiers, en général un médecin qui, à la demande instante et réitérée d’une personne malade, lui procure des substances létales qu’elle absorbe elle-même.
53Cependant, l’euthanasie reste interdite, mais un rapport déposé en septembre 2000 par un groupe d’experts, nommés par le Conseil Fédéral, propose une modification du Code pénal. Un médecin oncologue, conseiller national, vient de déposer au Parlement une initiative, co-signée par 30 autres députés, reprenant les conclusions du rapport qui prévoit la dépénalisation de l’euthanasie dans le cas d’un malade incurable demandant de façon sérieuse et répétée qu’on mette fin à ses souffrances insupportables et irrémédiables.
54En France, l’opposition de la hiérarchie catholique très largement diffusée influe profondément sur les mentalités, bien que nous soyons dans un état laïc. Cependant, une porte a été entrouverte, lorsque le Comité Consultatif National d’Éthique a rendu public le 3 mars 2000 un avis proposant d’instaurer dans la loi une «exception d’euthanasie». En cas de procédure judiciaire, il serait permis a posteriori, un examen qui « permettrait d’apprécier tant les circonstances exceptionnelles pouvant conduire à des arrêts de vie, que les conditions de leur réalisation ». Une Commission interdisciplinaire serait chargée d’étudier les mobiles qui ont animé l’auteur de cet acte: souci d’abréger les souffrances, respect d’une demande formulée par le patient, compassion face à l’inéluctable. Cet avis très restrictif, qui ne vise pas la dépénalisation, émis par une autorité d’une haute valeur morale, incite le Parlement à modifier la législation en vigueur. Il revêt en conséquence une importance considérable, et montre que notre pays s’engage comme la Belgique et la Suisse et après les Pays-Bas, dans la voie de la reconnaissance légale de chacun à disposer de sa vie lorsqu’il se trouve dans une situation médicalement désespérée.
55C’est le vœu d’une très large majorité des Français puisque, selon un sondage effectué en avril 2001 par la SOFRES, à la demande de l’ADMD, 86 % de la population au lieu de 84 en 1997, est favorable au droit d’être aidé à mourir.
56Légiférer sur la fin de vie n’est pas accorder au corps médical le droit de donner la mort. C’est admettre, pour les vivants, le droit de s’approprier leur mort, et d’en choisir les conditions selon leur conscience, leur force de résistance et leurs convictions morales.
57Cette liberté individuelle, reconnue par la dépénalisation de l’euthanasie volontaire et de l’aide au suicide, mettrait en harmonie les mœurs et le droit, et permettrait d’éviter les abus engendrés par la sévérité de la loi actuelle.
Notes
-
[1]
Décision Bioéthique n• 94-343-344, DC du 27/7/1994 (J.O. du 29/7/1994).
-
[2]
Loi 9/6/1999 – Art. L 1er C, dans article 1er J O. du 10/6/1999.
-
[3]
Fondée en 1980, elle regroupe 28 000 adhérents et comprend 92 délégations départementales. Elle fait partie de la «Fédération Mondiale des associations pour le droit de mourir dans la dignité», qui compte 21 pays membres et 35 associations.
-
[4]
Loi insérée dans le Code de la Santé publique, articles 710 3-1 et 3-2.
-
[5]
The Lancet, (2001), Vol. 357, January 6.
-
[6]
L’aide active à mourir peut consister en un suicide assisté, auquel cas c’est le malade lui-même qui ingère les substances qui lui ont été fournies par son médecin ou par un tiers, ou en une injection létale effectuée par le médecin, qualifiée d’euthanasie.
-
[7]
Taux comparatif pour 1994-1996, In le Bulletin de l’INED, Population et Sociétés n•334, Avril 1998.
-
[8]
Andrian J., «Laboratoire de Sociologie LSCI, Suicide au grand âge», Revue n• 111-112 Décembre 1997, Société de Thanatologie, La mort et les rites.
-
[9]
Bulletin de l’Ordre des Médecins, (janvier 2001), page 6.