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Article de revue

Mauricette Fournier (dir.), Rural writing. Geographical imaginary and expression of a new rationality

Pages 238 à 240

Notes

  • [1]
    Traduction de l’auteur.
  • [2]
    Cette notion renvoie, dans la géocritique de Bertand Westphal notamment, à la coïncidence établie entre une réalité spatiale et ses représentations, et plus particulièrement entre un lieu réel et sa fictionnalisation qui auront, par exemple, des similarités toponymiques et topographiques. Son antonyme serait le brouillage hétérotopique qui distant un espace réel de sa fictionnalisation.
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1Composé d’une introduction générale, de quatre parties et de dix-sept chapitres, cet ouvrage peut se voir comme une étape dans la collaboration internationale issue d’une série de rencontres autour de l’analyse géo-littéraire. Dans ce courant, c’est le rapport à l’écriture, dont le roman est archétypal, qui a prédominé le discours. Quand nous regardons la production scientifique sur l’imaginaire géographique, cette prééminence est également marquante. Or, la proposition faite par Rural writing est bien d’analyser la littérature sous toutes ces formes incluant « romans, autobiographies, contes, chansons – mais aussi les productions audiovisuelles » (p. 3). Considérer, avec Mauricette Fournier, que l’imaginaire et son corolaire dans l’expression des spatialités qu’est la fiction dépassent le cadre du texte nous place dans une posture épistémologique relativement nouvelle. Cet ouvrage postule, en effet, que l’héritage des écrits ruraux donne lieu à de nouvelles représentations des espaces concernés et permet de lire davantage les allers-retours entre les réalités spatiales et ces imaginaires ruraux revisités qui produiraient ainsi l’expression d’une nouvelle « regionality ».

2Comme le rappellent plusieurs auteurs de cette œuvre collective, le champ de la géographie littéraire se base sur le couple matériel/idéel, au travers de la description des lieux, des espaces, des personnages et de leurs relations et, par extension, sur les formes socio-spatiales qui en découlent. On peut également y ajouter que ces représentations sont à la fois issues de, et conduisent à leur tour à une approche phénoménologique qui « montre la relation entre les émotions et la réalité matérielle des lieux » (p. 73).

3La valeur ajoutée de cette inclusion du matériau littéraire dans les processus de territorialisation s’incarne donc dans la démonstration d’un lien de cooccurrence entre les réalités spatiales et leurs correspondances idéelles. Aussi, si l’on peut voir encore quelques confusions entre représentations et imaginaire (p. 98 sqq.), nous avançons dans cet ouvrage vers la pluralisation des imaginaires géographiques qui se détachent clairement d’un contenu analytique composé d’images fixes du territoire. Nous pouvons considérer alors l’imagination comme un processus et son insertion dans les dynamiques socio-spatiales permettent de dépasser cet écueil des sciences du territoire. « Qu’il soit construit objectivement ou subjectivement, l’imaginaire géographique participe au processus d’appropriation de l’espace par les individus ou les groupes sociaux. Il agit de fait dans la construction des territoires » [1], peut-on lire à ce propos (p. 100). Nous pouvons ainsi considérer, avec Maria Dasca, que l’espace que définissent ces fictions « n’est pas naturel ; il est social et foncièrement ontologique » (p. 30) et que « le paysage fiction est en partie le résultat et la réaction à son homogénéisation, sa fragmentation et sa hiérarchisation » (p. 34). En extrapolant, nous pourrions réfléchir à la question de la suprématie de l’urbain, alors mise en critique, et au changement de paradigme en géographie qui a occulté, d’une certaine manière donc, le ruralisme dans les années 1950-1970. Il est alors passionnant de constater que l’écriture du rural traduit « le désir de reformuler des espaces en transformation » (p. 42) et que sa performativité conduit à une hybridation, entre réalité et fiction, entre rural et urbain.

4Comme le montre Marina Marengo avec le roman néorural par exemple, ou encore Joan Tort-Donada et Rosa Català-Marticella, les mots de l’écriture du rural peuvent tout simplement donner lieu à l’expression d’une signification dont l’actualité ne peut encore se traduire dans la rétroactivité. Dit autrement, la fiction détient les clés d’une lecture et d’une définition d’un rural dont la présence est encore instable ; et ce peut-être mieux, sinon autrement que ne le permet l’analyse territoriale « réaliste ». Avec le « réalisme poétique » de Josep Pla, avec l’image de l’» écrivain-géographe » ou de « l’écrivain ethnographe » (Clifford, cité p. 143) ; une géographie populaire se rallie à la géographie disciplinaire pour considérer que, potentiellement, « nous sommes tous géographes » (Pla, cité p. 57).

5On notera plus particulièrement l’ensemble de trois articles dédiés au travail de Pierre Jourde, et notamment à son roman Pays perdu ayant eu des impacts mémorables sur l’espace qu’il met en scène, puisqu’il en a perturbé considérablement les rapports sociaux, notamment en en limitant l’accessibilité au romancier. L’échec de sa réception, étudié par Annie Jouan-Westlund, serait lié au schisme entre l’écriture textuelle et la tradition orale du secret qu’elle vient perturber. Elle renvoie aussi à l’authenticité comme mythe selon Pierre Couturier, que Pierre Jourde qualifie du « plus insidieux des alcools spirituels » et place au centre de son travail de distinction entre « réel et désir de réel » (p. 136). En opposant « l’espace lisse au consensus homotopique [2] » dans ce qu’il appelle « le brouillage des références spatio-temporelles », Jérôme Cabot décrit alors la référence géographique de Jourde comme « très loin de la littérature localiste » (p. 150). On comprend mieux ainsi que « la tâche de la littérature, c’est de montrer la fictionnalisation de l’existence, la représenter et la combattre […] » (p. 116).

6Nous pourrions avancer finalement l’hypothèse que des régimes fictionnels de régionalité viennent alimenter les tensions entre imaginaires géographiques. On nous propose alors de distinguer les fictions personnelles, collectives, orales, écrites, filmiques, journalistiques, politiques ou économiques. C’est ainsi qu’Aurore Mirloup et Pierre-Mathieu Le Bel – pour ne citer qu’eux – explorent cette « rencontre entre un imaginaire produit par la littérature et l’imaginaire du visiteur » (p. 197) comme l’un des univers les plus à même de saisir ces processus complexes d’écriture du rural. Dans ce procédé de co-construction entre procédés narratifs, esprit des lieux, présentations socio-spatiales, c’est la « légende qui semble constitutive de l’identité territoriale » (p. 201). L’imaginaire géographique et les pratiques spatiales sont donc unis dans la définition d’une réalité plurielle de l’attachement au territoire.

7Pour conclure, nous pouvons voir avec Rural writing qu’une mise en lumière de nouvelles représentations de la ruralité au travers de l’analyse des œuvres de fiction permet de redéfinir les contours des espaces concernés. Cette lecture actualisée des productions culturelles rappelle utilement la capacité des réalités spatiales à nourrir l’imagination tout en donnant du sens à l’appréhension des imaginaires géographiques dans leur dimension performative.


Date de mise en ligne : 20/09/2021

https://doi.org/10.4000/etudesrurales.26320

Notes

  • [1]
    Traduction de l’auteur.
  • [2]
    Cette notion renvoie, dans la géocritique de Bertand Westphal notamment, à la coïncidence établie entre une réalité spatiale et ses représentations, et plus particulièrement entre un lieu réel et sa fictionnalisation qui auront, par exemple, des similarités toponymiques et topographiques. Son antonyme serait le brouillage hétérotopique qui distant un espace réel de sa fictionnalisation.

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