Dans un article récent, Paul R. Ehrlich et Robert M. Pringle proposaient des mesures d’urgence pour endiguer l’érosion de la biodiversité à travers le monde, parmi lesquelles « un changement des attitudes humaines envers la nature » [2008 : 11 583]. Tandis que l’essentiel de leur programme s’adressait évidemment aux gouvernants, cette proposition s’adressait également à la communauté scientifique dans sa vocation d’interface entre le réel et l’opinion publique.
Intervenir dans le débat sur le sort réservé aux vivants qui nous entourent implique d’envisager une nouvelle approche, intégrée, qui se refuserait à considérer séparément les mondes humains et ceux d’autres espèces, précisément parce que ces mondes ne sont pas étanches. La tâche n’est pas aisée compte tenu des résistances qui s’expriment au sein du champ académique, et, particulièrement, dans le domaine des sciences humaines et sociales.
Car l’irruption de données nouvelles issues d’une science, l’éthologie, semble constituer une menace pour l’ordre humain. Comme le résume – en un raccourci saisissant – Élisabeth de Fontenay :
Est-ce parce qu’on a réussi à s’entretenir avec les singes qu’il devient légitime de leur octroyer les droits de l’homme ?
La réflexion sur la libération animale [Singer 1993], son association avec les modes d’oppression historique [Adams 1990], l’éthique qu’elle a fait naître [Lévi-Strauss 1983 ; Burgat 1997 ; Jeangène Vilmer 2008 ; Patterson 2008] et sa transposition politique [Serres 1990 ; Latour 1999] alimentent un débat passionné que certains auteurs s’attachent à décrédibiliser [Ferry 1992 ; Roger 1997 ; Wolff 2011]…