Le texte de Friedrich Schlegel, paru au début de 1797, est le fragment d’un vaste projet resté inachevé, celui d’une histoire de la poésie antique qui se serait intitulée Les Grecs et les Romains. Essais historiques et critiques sur l’Antiquité classique. Les compétences philologiques acquises par Schlegel sous la direction de son frère aîné August Wilhelm donnaient une assise solide à ce programme ambitieux. L’introduction précise et éclairante d’Alain Muzelle, auteur d’une nouvelle traduction de cet écrit de jeunesse, permet au lecteur d’y reconnaître un moment charnière dans le processus de maturation de la théorie esthétique de Schlegel par-delà l’apparente grécomanie qui le sous-tend. Alain Muzelle montre en particulier l’écart entre le texte rédigé en 1795 et sa préface ajoutée en avril 1796 à la suite de la lecture par Schlegel de l’essai de Schiller Sur la poésie naïve et sentimentale, qui le conduit à nuancer le jugement sévère porté initialement sur la poésie moderne.
À première vue, Schlegel semble renouer dans son ouvrage avec la célèbre Querelle des Anciens et des Modernes, la supériorité des premiers sur les seconds lui semblant pour sa part incontestable. Le premier des cinq chapitres du texte est ainsi consacré à une analyse critique du développement historique de la poésie moderne occidentale, de la fin du XIIIe siècle à celle du XVIe, où les adjectifs « barbare » et « gothique » sont régulièrement accolés à l’évocation de sa production, même dans la mention de ses chefs-d’œuvre, de Dante à Shakespeare, dont l’éloge reste mitigé…