Notes
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[1]
Après l’annexion de Taiwan en 1895, la Corée est devenue un protectorat en 1905, puis une colonie en 1910. La pénétration en Chine s’est opérée progressivement après 1905, pour se transformer en guerre continentale en 1931-1937. Au delà des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité perpétrés surtout en 1937-1945 (les massacres de civils, l’esclavage sexuel ou les tests bactériologiques), se pose la question des déportations : près de deux millions de Coréens servaient dans les usines et mines de métropole en août 1945.
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[2]
Pour des ouvrages généraux : Herbert P. Bix, Hirohito and the Making of modern Japan, Harper Collins, NY, 2000, 800 pages ; Kobayashi Hideo, « Daitôa kyôei ken» no keisei to hôkai (Genèse et chute de la « Sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale »), Ochanomizu shobô, 1975, 548 pages ; Ramon H. Myers et Mark R. Peattie (dir.), The Japanese colonial empire, 1894-1945, Princeton, 1984, 540 pages ; Michel Vié, Le Japon et le monde au xxe siècle, Masson, 1995, 304 pages.
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[3]
Franck Michelin, « Le procès des criminels de guerre japonais », L’Histoire, n° 271, 2002, p. 54-61, ici p. 61.
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[4]
C’est-à-dire après la promulgation de la Constitution impériale de Meiji.
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[5]
La catégorie A correspond au crimes contre la paix mondiale. Les catégories B et C renvoient respectivement aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité. Seule la catégorie A a été jugée.
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[6]
Les dirigeants communistes bénéficiaient d’une aura extraordinaire grâce au « mythe de la non-conversion » : libérés à l’automne 1945, ils ont été les seuls politiques à avoir refusé jusqu’au bout de se convertir au régime militariste. Sur les progressistes et les historiens après-guerre : Oguma Eiji, Minshu to aikoku (Démocratie et patriotisme), Shinyôsha, Tôkyô, 2002, 968 p. ; Amino Yoshihiko, « Nihon » o megutte (À propos du « Japon »), Kôdansha, Tôkyô, 2002, 238 pages.
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[7]
Les conservateurs estimaient, eux aussi, que le Japon était victime de la guerre – mais parce qu’il avait été vaincu. Ils ont pu maintenir le système impérial en collaborant avec l’occupant.
-
[8]
Notamment contre le Second traité de défense nippo-américain (1960) et contre la Guerre du Viêt-nam.
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[9]
Oguma, 2002, ibid., p. 107.
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[10]
« Chô kokka shugi no ronri to shinri », article de mai 1946 compilé in Gendai seiji no shisô to kôdô (Pensée et mouvements dans la politique contemporaine), Mirai-sha, Tôkyô, 1966, 588 pages, p. 11-29.
-
[11]
La réflexion sur la nature de l’État moderne a pris un tournant national plus prononcé lors de la « controverse sur le modernisme », durant la décennie 1950. Marumaya ou l’économiste Ôtsuka Hisao ont réfuté tout lien entre modernité et impérialisme, expliquant le militarisme des années 1930 par un « manque de modernité », tandis que les marxistes considéraient cette position comme un délit de « modernisme ». Tous se préoccupaient surtout de la responsabilité de l’État vis-à-vis de la nation, selon la thèse du « nationalisme d’en haut », et soulevaient rarement la question de la responsabilité du Japon vis-à-vis des pays asiatiques.
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[12]
Ienaga Saburô Shû (Compilation de textes d’Ienaga Saburô), 1998, 16 vol., vol. 12 : Sensô sekinin (La responsabilité de guerre), 358 pages.
-
[13]
Notamment la Minshushugi kagakusha kyôkai (Association des scientifiques démocrates) et la Rekishigaku kenkyûkai (Société japonaise des études historiques).
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[14]
Tôyama Shigeki, Sengo no rekishigaku to rekishi ishiki (Historiographie et conscience historique après-guerre), Iwanami, Tôkyô, 1969, 2001, 342 pages, p. 66.
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[15]
Ibidem.
-
[16]
Cité par Nishikawa Hiroshi, « Gakkô kyôiku to kôkogaku » («L’éducation scolaire et l’archéologie»), in Iwanami kôza Nihon kôkogaku (Cours Iwanami d’archéologie), 1986, vol. 7, 316 pages, p. 169-208.
-
[17]
Avant-guerre, archéologie et histoire soutenaient les origines continentales de la dynastie impériale, légitimant ainsi l’impérialisme annexionniste. L’Histoire du Japon (Nihon no rekishi, 1963) de Inoue, qui expliquait que les Japonais étaient autochtones de l’archipel, a été bien accueillie en Corée, en tant que déni de ces premiers discours.
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[18]
Les manuels jugés non conformes sont rejetés lors de l’homologation par le Ministère.
-
[19]
Kôkoku shikan. Sur l’argumentation du Ministère lors des procès sur les manuels : Ienaga Saburô shû, op. cit., vol. 14 ; Nishikawa, 1986, op. cit.
-
[20]
Kenkoku kinen-bi, le 11 février. L’archéologue Kondô Yoshirô a mis en garde, en 1964, contre les manœuvres autour de l’écriture du passé visant à la glorification de l’avant-guerre.
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[21]
Tôyama, du courant marxiste, a par exemple soutenu que le conflit territorial des années 1870 autour d’Okinawa avait en réalité pour objet l’unification nationale japonaise.
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[22]
Cet essor s’est développé notamment autour de Ôe Shinobu ou de Kobayashi Hideo, et s’est manifesté notamment par des échanges avec les historiens coréens.
-
[23]
Tôyama, 1969, 2001, op. cit.
-
[24]
Le président sud-coréen Park Chong-Hui était un haut gradé issu de l’armée impériale. Tout comme les élites japonaises de la fin des années 1930, les élites coréennes issues du régime colonial ont pu, en Corée du Sud, se maintenir à la faveur de la Guerre Froide. En reconnaissant en 1965 Séoul comme l’unique gouvernement légal de la péninsule, le Japon esquivait sa responsabilité dans la formation du régime du Nord issu de la résistance anti-japonaise. L’ouverture, en janvier 2005, des archives de ces entretiens a montré l’insuffisance de ces positions.
-
[25]
Utsumi Aiko et alii, Hando bukko, Sengo hoshô (Livret sur les réparations après-guerre), version augmentée, Nashinoki sha, 1994, 270 pages.
-
[26]
Oda Minoru, célèbre militant contre la Guerre du Viêt-nam, a rapporté l’épisode d’étudiants japonais aux États-Unis, dans les années 1960, qui avaient demandé à un Coréen pourquoi il parlait leur langue, sans saisir le poids du passé colonial de la question. Oguma, 2002, op. cit., p. 764.
-
[27]
Georg-Eckert-Institut für Internationale Schulbuchforschung. L’historien Georg Eckert a joué un rôle central dans le dialogue entre l’Allemagne et ses voisins après-guerre.
-
[28]
Kondô Takahiro, Kokusai rekishi kyôkasho taiwa (Le dialogue international pour les manuels d’histoire), Chûô kôron, 1998, 236 pages.
-
[29]
En 1997, tous les manuels pour le lycée mentionnaient l’esclavage sexuel. Lors de la série proposée en 2005, il n’y en a plus aucun.
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[30]
Le nombre total de morts civils et militaires japonais entre 1937 et 1945 est d’environ 3 100 000 personnes.
-
[31]
Carl Schmitt, La Notion de politique, 1932.
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[32]
Dont le célèbre militaire Saigô Takamori.
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[33]
Le Yasukuni diffère d’un sanctuaire shintô aussi par sa structure : il n’a qu’un seul siège (za) pour l’ensemble des divinités révérées, tandis qu’un sanctuaire shintô en possède un par divinité.
-
[34]
George L. Mosse, Fallen soldiers : reshaping the memory of the World Wars, Oxford University Press, 1990, 272 pages, notamment p. 70-106.
-
[35]
Le Yasukuni se voit conférer le statut suprême au sein du dispositif commémoratif moderne en 1895. Le Japon doit alors honorer quelque 13 000 combattants tombés au combat contre la Chine. Dix ans plus tard, en 1904-1905, la Guerre russo-japonaise emportait plus de 80 000 combattants japonais. Harada Keiichi, Kokumin gun no shinwa (Le mythe de l’armée nationale), Yoshikawa Kôbunkan, Tôkyô, 2001, 264 + XII pages, 178-256 pages, p. 205-208.
-
[36]
Ce texte constitue l’une des sources internes les plus importantes concernant cette institution, jusqu’en 1935. Yasukuni jinja (dir. et éd.), 1935, 5 vol., 5 000 pages.
-
[37]
Cette critique suivit la visite du Premier ministre Nakasone Yasuhiro en 1985. Les criminels de classe B et C (environ 1 000 personnes) furent accueillis au Yasukuni dès la fin des années 1960, afin d’y être révérés.
-
[38]
Déclaration du porte-parole du gouvernement chinois suite à la visite de Nakasone en 1985. Takahashi Tetsuya, Yasukuni mondai (Le problème du Yasukuni), Chikuma shobô, 2005, 240 pages, p. 66. ; PHP (dir.), Kenshô : Yasukuni mondai to wa nanika (Enquête : qu’est-ce que le problème du Yasukuni ?), PHP, 2002, 318 pages.
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[39]
Les pays victimes des guerres japonaises ne pourraient qu’être violemment pris à partie si, ces cendres retirées, l’empereur lui-même rendait à nouveau culte et hommage aux âmes des autres « héros » du Yasukuni.
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[40]
Le Premier ministre socialiste Murayama Tomiichi, alors à la tête d’une coalition des partis d’opposition, a présenté des excuses officielles en août 1995. Les députés du Parti libéral démocrate ont réagi en lançant une pétition pour « s’opposer à toute excuse japonaise », qui a obtenu environ cinq millions de signatures.
1La mémoire de la Seconde Guerre mondiale et des guerres coloniales menées par le Japon continue de rappeler le poids de ce pays dans l’histoire moderne et contemporaine de l’Asie de l’Est. Elle influe fortement sur les relations internationales entre les États de la région. Les critiques émanant de la Chine populaire, de la République de Corée (Sud) et de la République démocratique populaire de Corée (Nord) soulignent l’absence de traitement satisfaisant de cette histoire commune. Pourtant, la responsabilité du Japon dans la Guerre de quinze ans (1931-1945), ainsi que dans l’ensemble des guerres coloniales menées depuis la fin du xixe siècle [1], est unanimement acceptée par les historiens. Ceux-ci ont montré la violence de ces conflits et la réalité de la domination coloniale [2]. Mais, histoire et mémoire collective ne coïncident ni chez les acteurs de la guerre, ni parmi les nouvelles générations, et encore moins dans la classe politique actuelle. Tous rejettent la responsabilité japonaise dans ces guerres.
2Sans chercher à tracer une histoire de la perception de la Seconde Guerre mondiale ou du passé colonial dans le Japon d’après 1945, on peut tenter de cerner les objets et les enjeux de la mémoire et de l’histoire des guerres modernes dans le Japon d’après-guerre, d’abord à partir des discours des progressistes et des intellectuels des années 1945-1960, puis en suivant les controverses sur l’enseignement de l’histoire depuis la fin de la guerre, pour réfléchir enfin sur ce lieu de mémoire et de culte qu’est le sanctuaire Yasukuni. La ligne de force de cette histoire contemporaine est le régime impérial moderne. Fil de continuité pour certains, obstacle à la mémoire pour d’autres, il constitue le mécanisme central de cohésion de l’Etat-nation moderne.
Intellectuels, progressistes et responsabilité restreinte
3La question de la responsabilité du Japon dans la Seconde Guerre mondiale a connu une première réponse au Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient, ou procès de Tôkyô, en 1946-1948. Les vainqueurs l’ont recherchée chez les hauts dirigeants japonais, politiques et militaires – à l’exception de l’Empereur –, considérés à l’origine du conflit dans lequel ils auront fait plonger la nation. Ce jugement a pu être qualifié de « diabolisation de l’armée de Terre », parce qu’il a cherché à mettre en évidence un « complot contre la paix [3] ». Il n’a concerné les guerres antérieures qu’au travers de la rétrocession des territoires acquis par le Japon après 1889 [4], sans aborder la domination coloniale.
4N’impliquant que quatorze personnes jugées comme criminels de guerre de classe A [5], ce jugement a réduit considérablement la responsabilité japonaise. Critiqué après-guerre, le procès de Tôkyô ne peut cependant être remis en question, sauf à en souligner les insuffisances. Quand bien même a-t-il été le « jugement des vainqueurs » – tout comme le procès de Nuremberg –, les accusés ont eu des avocats et il a été possible de mettre en cause la légitimité du tribunal ; aucun historien ne remet aujourd’hui en question le fait que ces condamnés ont une lourde et évidente responsabilité dans la guerre. Le vrai problème de ce procès réside plutôt dans ce qui n’y a pas été jugé : les bombardements américains, conventionnels ou atomiques, ainsi que le rôle de l’Empereur, chef suprême des forces armées, qui a été le seul responsable en poste de façon continue entre 1926 et 1945.
5Dès l’automne 1945, cette interprétation réductrice de la responsabilité dans la guerre était déjà dans les esprits des intellectuels libéraux et progressistes au Japon. Pendant la période d’occupation (1945-1952), la guerre et le système d’avant 1945 ont été violemment et unanimement critiqués dans ces cercles. Cette critique était associée à une revendication d’indépendance nationale face à la tentative de « colonisation du Japon » par l’« impérialisme américain ». Cet appel à un « vrai patriotisme » a été principalement le fait du Parti communiste et du Parti socialiste [6]. Le discours de ce nationalisme de gauche insistait sur la crise constituée par la perte de la souveraineté nationale, et a contribué à construire l’image d’une nation victime de la guerre, manipulée par le Parti libéral (parti conservateur majoritaire) et par le système impérial. Contribuant à l’oubli des crimes de guerre, cette dichotomie État/peuple a limité la question de la responsabilité de guerre à l’État japonais, pour la rejeter sur les conservateurs et l’Empereur – qui constituaient un fil de continuité entre avant et après août 1945. Le Parti communiste et le Parti socialiste ont été aussi, durant la période d’occupation, les plus fort partisans du réarmement du Japon, en s’opposant à l’article 9 de la Constitution de 1946 qui interdit au Japon d’entretenir des forces armées [7]. Cependant, face à la volonté du gouvernement du Premier ministre Yoshida Shigeru de se rapprocher des États-Unis à la faveur de la Guerre Froide et de la Guerre de Corée (1950-1953) – c’est-à-dire d’utiliser la conjoncture internationale pour réarmer le Japon –, les progressistes se sont inquiétés d’un possible retour à l’ordre d’avant-guerre.
6En outre, beaucoup d’intellectuels qui se sont engagés dans les combats d’après-guerre [8], par remords et sentiment de responsabilité vis-à-vis des morts, estimaient ne pas s’être assez opposés à la montée du militarisme. Ce remords a entretenu un lien étroit avec le sentiment d’être une victime du précédent conflit. La réflexion sur la responsabilité de guerre s’est ainsi concentrée sur le plan national, tandis que « les victimes des guerres en Asie, qui n’ont pas directement contribué à [l’effort de guerre du] “Japon”, y ont eu peu d’importance [9] ». Dans son célèbre essai de 1946, « Logique et psychologie de l’ultra-nationalisme [10] », Maruyama Masao cherchait surtout à déterminer les causes internes du militarisme japonais. Ses analyses ont eu beaucoup de poids durant les vingt années suivantes ; elles défendaient un « nationalisme sain » en opposition à l’« ultra-nationalisme » d’avant-guerre [11]. Les textes d’un historien comme Ienaga Saburô sur la responsabilité de guerre montraient de semblables limites [12].
7Bien qu’opposées au sujet de l’empereur, toutes ces tendances invoquaient le patriotisme et travaillaient à l’oubli de l’empire colonial. Quand le Premier ministre Higashikuni Naruhiko a appelé, le 28 août 1945, à un « repentir de cent millions d’individus », il ne faisait pas référence aux pays agressés, mais au fait de n’avoir pas eu « une morale » suffisante pour vaincre. De la même façon, si les revues progressistes évoquaient, à la fin des années 1940, les massacres perpétrés en Asie par l’armée impériale, c’était pour critiquer une « baisse de la morale » chez les Japonais.
Les tensions autour de l’enseignement de l’histoire
8De nouveaux manuels d’histoire ont été proposés en octobre 1946, afin de remplacer des textes jugés nationalistes. Celui qui a été rédigé par Ienaga, Kuni no ayumi (Les Progrès de la Nation), a été vivement critiqué par les historiens [13]. Inoue Kiyoshi, du courant marxiste, lui a reproché « une écriture sans ferveur, centrée sur la famille impériale exactement comme dans les manuels de la [dernière] guerre [14] », ce dont Ienaga s’est défendu en invoquant une écriture neutre de l’histoire [15]. Tout en étant un enjeu idéologique, la place de l’Empereur touchait aussi à l’histoire culturelle au sens large.
9L’orientation pacifiste de la politique éducative instaurée en 1945-1952 a connu une inflexion avec l’entrée dans la Guerre Froide, puis avec la rédaction par le Parti libéral, en 1953 (après le retour de la souveraineté nationale), d’un rapport à la Diète critiquant le « mépris de la morale » dans la nouvelle historiographie. Cette même année, le Premier ministre Yoshida a souligné la nécessité d’« insuffler un esprit spontané de défense patriotique chez les Japonais [16] », lors de l’entretien Ikeda/Robertson. Cette discussion avec le Sous-Secrétaire d’État américain a marqué le début du réarmement du Japon et le gel de la question de la responsabilité de guerre, avec l’appui des États-Unis. Si le vainqueur n’exigeait plus rien, pourquoi le Japon se préoccuperait-il des anciens colonisés ?
10La réorganisation des conservateurs autour du Parti libéral démocrate, en 1955, a été suivie par la publication de nouvelles Directives d’éducation pour les maîtres, remplaçant celles de 1951, puis par une volonté de réviser la Loi fondamentale sur l’éducation (1947) et le contenu des manuels concernant notamment les origines de l’État japonais, l’Empereur, le rôle de la présence japonaise en Asie de l’Est, ou encore la « Guerre de la Grande Asie orientale ». Les progressistes ont alors changé de position, pour défendre les acquis éducatifs, juridiques et constitutionnels de la période d’occupation. Mais leur critique s’enfermait dans le national : face à l’Empereur comme essence du Japon chez les conservateurs, ils affirmaient l’« homogénéité ethnique » du peuple japonais, tout en soutenant que ce dernier était une victime de la guerre [17].
11L’objectif des conservateurs était de faire à nouveau débuter l’histoire aux mythes fondateurs, et d’effacer toute allusion négative aux guerres modernes du Japon, afin de pouvoir former une nation à nouveau mobilisable sous les drapeaux. C’est après plusieurs rejets successifs [18] que Ienaga a entamé en 1965 un procès contre l’État, avec lequel il sera en conflit durant trente-deux ans. Cette attitude des conservateurs a été ressentie comme une volonté de retour à l’avant-guerre, c’est-à-dire un « retour à une histoire centrée sur l’Empereur [19] ». En 1968, l’historien Tôyama Shigeki a appelé historiens et archéologues à s’opposer au rétablissement, l’année précédente, du Kigensetsu, qui célébrait avant-guerre l’arrivée du légendaire empereur Jinmu en conformité avec les mythes fondateurs. Cette journée est devenue le « jour commémoratif de la fondation du pays [20] », superposant à nouveau nationalisme et système impérial. Entre progressistes et conservateurs, deux nationalismes s’opposaient [21].
12C’est aussi à partir de la décennie 1960 que la recherche sur la domination coloniale prend son essor [22]. Deux courants historiographiques parallèles se sont mis en place. L’un privilégiait les réussites de l’ère Meiji (1868-1912) et de la modernité japonaise. Il a été rendu possible grâce à la croissance économique des années 1960 et parce qu’il faisait l’impasse sur l’empire colonial. L’autre développait une critique de l’impérialisme moderne. La critique qui suivra à l’encontre de ces études coloniales ne sera pas limitée à « l’extrême-droite », mais se superposera en réalité au premier courant de réhabilitation de la modernité [23]. En vingt-cinq ans, l’image d’un Japon victime de la Seconde Guerre mondiale s’est largement imposée, notamment dans les manuels, pour perdurer jusqu’à nos jours.
13Les gouvernements conservateurs successifs n’ont réglé ni la question de la responsabilité de guerre, ni celle de la responsabilité coloniale. Par des accords systématiquement bipartites, le Japon a surtout cherché à se réinsérer dans les économies des pays concernés. Lors de la normalisation des relations avec la Corée du Sud en 1965, 800 millions de dollars ont été versés contre la promesse coréenne de ne plus rien réclamer ensuite [24]. À l’entrée dans le xxie siècle, le Japon aura versé aux pays asiatiques un total représentant 1/40e du montant versé par l’Allemagne en Europe [25].
14La différence d’attitude entre l’Allemagne et le Japon apparaît aussi par rapport aux manuels. Lorsque l’absence de discussion sur la responsabilité japonaise dans les textes scolaires a éclaté sur la scène internationale en 1982, la population prenait brusquement conscience qu’il y avait un problème à régler, et que ce problème dépassait la mémoire nationale [26]. Mais comment prétendre mener au Japon un véritable « travail de mémoire » ? Le gouvernement était, en revanche, loin d’ignorer le travail mené par l’Allemagne dans le cadre du dialogue sur les manuels. L’accord tripartite signé avec la Chine et la Corée du Sud a simplement promis de prendre en considération les pays limitrophes. La même année, l’Institut international Georg-Eckert [27] et la Commission pour des manuels communs de l’UNESCO ont proposé leur médiation entre le Japon et la Corée du Sud, mais le ministère de l’Éducation japonais a refusé, montrant clairement le mépris des conservateurs à l’égard des pays limitrophes [28]. Enfin, l’amélioration substantielle des manuels, lors des deux séries de 1993 et de 1997, a été annulée par l’action de groupes de pression soutenus plus ou moins clairement par le Parti libéral démocrate, pour restaurer des textes de type « histoire nationale » et surtout pour contrer les discours mémoriels qui avaient suivi la disparition de Hirohito en 1989 [29].
Les morts pour la patrie et le sanctuaire Yasukuni
15La mémoire de la Seconde Guerre mondiale apparaît avec la plus grande netteté à propos des morts tombés au combat, autant sur le plan de la responsabilité des agressions que sur celui de la justification des sacrifices du passé. Les débats répétés au sujet du sanctuaire Yasukuni et le poids des morts en cristallisent les tensions. Car les soldats tombés lors de la guerre contre la Chine et de la Seconde Guerre mondiale (1937-1945) sont de loin les plus nombreux : près de 2 300 000 sur les 2 500 000 âmes révérées [30].
16Ce sanctuaire a été élevé en 1869 sous le nom de Shôkon-sha, c’est-à-dire « Sanctuaire pour l’accueil des âmes », afin de rendre un culte et de diviniser les âmes des militaires tombés durant la première guerre civile (1868-1869). Ce lieu est né du besoin pour l’État moderne d’offrir la plus haute rétribution non aux vainqueurs, mais à ceux qui sont tombés pour lui. Il s’agit uniquement des militaires qui ont été fidèles à l’Empereur en offrant leur vie pour l’État. Le Yasukuni est le lieu du culte des âmes des patriotes.
17Cette dichotomie moderne entre ami et ennemi [31] a été affirmée dès la fondation du sanctuaire. Si elle recoupe largement celle qui existe entre combattants nationaux et étrangers, elle la dépasse cependant. En 1869, l’État a ordonné que seules les âmes des militaires tombés pour le gouvernement soient accueillies au Shôkon-sha ; les rebelles vaincus lors de la seconde guerre civile (1877) [32] n’y sont pas révérés. Dès lors, ce n’est pas la logique religieuse du Shintô qui est à l’œuvre dans ce sanctuaire, mais bien la raison d’État [33] : le Yasukuni est une institution moderne par excellence, qui doit être considérée dans le cadre que l’historien G. L. Mosse désigne sous le nom de « culte des soldats tombés au combat [34] » (Cult of the Fallen Soldiers). Ce n’est pas non plus un lieu de deuil, son objet étant d’annuler toute réflexion historique sur la cause de ces morts, en sublimant les idées de fidélité et de sacrifice à l’État – c’est-à-dire en esquivant la réflexion historique sur la cause des guerres et sur les responsabilités associées. Ce lieu évoque ainsi le Arlington National Cemetery aux États-Unis – qui accueille les soldats du Nord mais non les Confédérés – ou la Tombe du soldat inconnu en France. En 1879, le sanctuaire a reçu un nouveau nom, celui de Yasukuni (« pays calme »), pour devenir un lieu de commémoration active, qui doit permettre d’incorporer en permanence de nouvelles recrues dans l’armée nationale [35].
18Sont révérés au Yasukuni non seulement tous les militaires disparus depuis le xixe siècle jusqu’à 1945, mais aussi ceux décédés lors des opérations de « police intérieure » dans les colonies. Dans l’ouvrage Yasukuni Jinja chûkonshi (Histoire des âmes fidèles du Sanctuaire Yasukuni [36] [1935]) figure la liste exhaustive des combattants tombés, classés par guerre ou « incident ». Les « héros » des guerres coloniales, en Corée ou à Taiwan, sont présentés comme ayant combattu des forces troublant l’ordre et la paix, selon une rhétorique de la défense et du terrorisme qui n’a pas changé aujourd’hui. Le mythe de la « défense nationale » constitue une justification irrésistible de leur sacrifice. Ce culte ne prend en considération ni les morts civils tombés lors des bombardements des grandes villes japonaises en 1945, ni, on l’a noté, les soldats ennemis. Quel sens y aurait-il pour une institution dédiée à la glorification de l’armée nationale de célébrer la mémoire des victimes civiles ou bien celle des ennemis ?
19C’est pourtant bien l’idée de commémoration globale des morts à la guerre qu’a invoquée le Premier ministre Koizumi Junichirô afin d’y justifier ses visites. Cet argument est spécieux, si l’on considère que le Yasukuni continue de révérer les soldats tombés lors des guerres coloniales. Si seuls les Japonais en ignorent la nature, les déclarations répétées du Gouvernement niant la fonction essentielle de ce sanctuaire sont perçues comme insultantes en Chine et en Corée. Inversement, une majorité des critiques – notamment celles de ces deux États et celles de la gauche – stigmatise aujourd’hui la présence des cendres des criminels de guerre de classe A qui y ont été déplacées en 1978 [37]. Mais c’est par concession politique à l’égard du Japon que les gouvernements de Chine et de Corée du Sud considèrent ces seules cendres comme problématiques, expliquant que de telles visites « blesseront sans aucun doute les sentiments du peuple chinois et du peuple japonais, qui ont été profondément marqués par le militarisme japonais [38] ». Ces deux pays acceptent en effet ainsi l’interprétation restreinte de la responsabilité de guerre qui a été celle du procès de Tôkyô ; le résultat en est de conforter la nation japonaise dans son amnésie. Les populations de Chine et de Corée, quant à elles, refusent ce consensus.
20Cette tension internationale ne pourra être apaisée par le retrait de ces cendres, car réduire le débat aux criminels de guerre de 1948 revient à ne pas interroger la nature de cette institution. En outre, on peut se demander – du fait de ces visites d’officiels – si le Yasukuni est réellement distinct de l’Etat, et si le culte accompagnant ces visites s’accorde avec le principe de séparation du religieux et du politique affirmé dans la Constitution. L’absence de critique historique chez les dirigeants japonais est manifeste. Il est pourtant nécessaire de replacer ces morts et ces guerres dans leurs contextes historiques [39]. C’est la mémoire moderne du Japon, de la Chine, de la Corée et des pays d’Asie du Sud-Est qui est en question.
Une mémoire conforme à l’histoire
21Un moment débattues lors de l’occupation, la mémoire de l’agression et la responsabilité coloniale disparaissent rapidement de la société japonaise après-guerre. Cette amnésie est d’autant plus durable qu’elle aura reposé sur un triple consensus : entre la non-reconnaissance pure et simple des faits historiques par les conservateurs au pouvoir, l’inflexion dans la stratégie régionale américaine avec la formation des deux blocs et, enfin, la formation d’une mémoire de victime chez les intellectuels et les progressistes à la recherche d’une responsabilité restreinte. Ces trois facteurs ont contribué à l’oubli rapide de l’empire colonial, c’est-à-dire à geler la mémoire de la Seconde Guerre mondiale et des guerres modernes. Le Parti libéral démocrate a institutionnalisé cette mémoire de victime après 1955, tandis que le Japon s’engageait sur une voie étroite entre pacifisme proclamé et volonté de remilitarisation, sous l’égide des États-Unis.
22Les années 1990 ont été l’occasion d’un grand « travail de mémoire », après la disparition de l’empereur Hirohito et la chute du bloc soviétique. Les débats sur la responsabilité de guerre ont été rouverts sur les plans national et international, et la responsabilité de l’Empereur a resurgi avec une acuité redoublée. Le Japon a dû aussi se repositionner au sein de la nouvelle configuration géopolitique régionale, notamment face à la montée en puissance de la Chine. Alors même qu’elle s’ouvrait au débat, la mémoire des guerres modernes est devenue une nouvelle fois un enjeu central pour l’État. Le Japon n’est pas sans évoquer l’Autriche d’après-guerre, qui a construit un consensus national autour d’une mémoire de victime, avec l’appui des Alliés qui souhaitaient s’assurer de sa stabilité. Ce consensus s’est désintégré après l’affaire Waldheim en 1986 et l’anniversaire de l’Anschluss en 1988.
23Avec le développement de l’armement et la mise en place d’un cadre juridique et constitutionnel adéquat, l’enseignement de l’histoire constitue un élément central dans l’élaboration d’une nouvelle stratégie à destination militaire. Depuis la mise en place, en 1993, d’une commission parlementaire de réflexion sur l’histoire, les conservateurs travaillent activement à réformer ces trois éléments, afin de reconstituer une armée nationale mobile. Cette commission a débouché sur la création de groupes de pression contre les textes scolaires existants. En effet, comment pourrait-on mobiliser des recrues capables de mourir pour la patrie en enseignant l’histoire d’un Japon moderne agresseur et colonialiste ? Au delà de la responsabilité de guerre, c’est le maintien d’une écriture de type « histoire nationale » qui est en jeu dans ce débat. Son incarnation physique est le sanctuaire Yasukuni, dont le fonctionnement demeure intact soixante ans après la fin de la guerre. Ce blocage de la classe politique et de la nation japonaises font que l’opinion internationale doute aujourd’hui de la capacité du Japon à se confronter à son passé [40].
24Le traitement de la mémoire sera rendu possible non par la suppression de ce sanctuaire, mais par son insertion dans son contexte historique, c’est-à-dire en développant une mémoire des guerres modernes conforme à leur histoire. Le culte des âmes des patriotes n’est pas une cause, mais plutôt le résultat d’un problème dépendant de la conscience historique qui est celle du Japon contemporain. Cette histoire n’est pas seulement nationale, elle est commune, partagée par l’aire régionale. De la confrontation avec ce passé dépend l’avenir des relations entre le Japon, les États-Unis, la Corée et la Chine. Il faut d’ailleurs souligner les « abus de mémoire » de ce dernier pays, qui construit aujourd’hui son identité nationale largement contre le Japon, en instrumentalisant le passé et en provoquant l’oubli de la nature de son propre régime. La Corée du Sud, quant à elle, n’a pas fait usage de la mémoire comme arme diplomatique. Enfin, la question de la responsabilité américaine dans les bombardements atomiques n’a jamais été réglée.
25Pour ce qui est des textes scolaires comme de la responsabilité, il ne peut être question d’une négociation dans laquelle chacun devrait faire des concessions. Étant donné son passé dans la région, mais aussi la place à laquelle il prétend, le Japon doit au préalable faire preuve, indéniablement, de bonne volonté, s’il veut pouvoir établir ensuite un dialogue avec ses voisins. Cette démonstration n’est en aucun cas la garantie d’un tel dialogue, mais en constitue un prélude obligatoire.
Notes
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[1]
Après l’annexion de Taiwan en 1895, la Corée est devenue un protectorat en 1905, puis une colonie en 1910. La pénétration en Chine s’est opérée progressivement après 1905, pour se transformer en guerre continentale en 1931-1937. Au delà des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité perpétrés surtout en 1937-1945 (les massacres de civils, l’esclavage sexuel ou les tests bactériologiques), se pose la question des déportations : près de deux millions de Coréens servaient dans les usines et mines de métropole en août 1945.
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[2]
Pour des ouvrages généraux : Herbert P. Bix, Hirohito and the Making of modern Japan, Harper Collins, NY, 2000, 800 pages ; Kobayashi Hideo, « Daitôa kyôei ken» no keisei to hôkai (Genèse et chute de la « Sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale »), Ochanomizu shobô, 1975, 548 pages ; Ramon H. Myers et Mark R. Peattie (dir.), The Japanese colonial empire, 1894-1945, Princeton, 1984, 540 pages ; Michel Vié, Le Japon et le monde au xxe siècle, Masson, 1995, 304 pages.
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[3]
Franck Michelin, « Le procès des criminels de guerre japonais », L’Histoire, n° 271, 2002, p. 54-61, ici p. 61.
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[4]
C’est-à-dire après la promulgation de la Constitution impériale de Meiji.
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[5]
La catégorie A correspond au crimes contre la paix mondiale. Les catégories B et C renvoient respectivement aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité. Seule la catégorie A a été jugée.
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[6]
Les dirigeants communistes bénéficiaient d’une aura extraordinaire grâce au « mythe de la non-conversion » : libérés à l’automne 1945, ils ont été les seuls politiques à avoir refusé jusqu’au bout de se convertir au régime militariste. Sur les progressistes et les historiens après-guerre : Oguma Eiji, Minshu to aikoku (Démocratie et patriotisme), Shinyôsha, Tôkyô, 2002, 968 p. ; Amino Yoshihiko, « Nihon » o megutte (À propos du « Japon »), Kôdansha, Tôkyô, 2002, 238 pages.
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[7]
Les conservateurs estimaient, eux aussi, que le Japon était victime de la guerre – mais parce qu’il avait été vaincu. Ils ont pu maintenir le système impérial en collaborant avec l’occupant.
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[8]
Notamment contre le Second traité de défense nippo-américain (1960) et contre la Guerre du Viêt-nam.
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[9]
Oguma, 2002, ibid., p. 107.
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[10]
« Chô kokka shugi no ronri to shinri », article de mai 1946 compilé in Gendai seiji no shisô to kôdô (Pensée et mouvements dans la politique contemporaine), Mirai-sha, Tôkyô, 1966, 588 pages, p. 11-29.
-
[11]
La réflexion sur la nature de l’État moderne a pris un tournant national plus prononcé lors de la « controverse sur le modernisme », durant la décennie 1950. Marumaya ou l’économiste Ôtsuka Hisao ont réfuté tout lien entre modernité et impérialisme, expliquant le militarisme des années 1930 par un « manque de modernité », tandis que les marxistes considéraient cette position comme un délit de « modernisme ». Tous se préoccupaient surtout de la responsabilité de l’État vis-à-vis de la nation, selon la thèse du « nationalisme d’en haut », et soulevaient rarement la question de la responsabilité du Japon vis-à-vis des pays asiatiques.
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[12]
Ienaga Saburô Shû (Compilation de textes d’Ienaga Saburô), 1998, 16 vol., vol. 12 : Sensô sekinin (La responsabilité de guerre), 358 pages.
-
[13]
Notamment la Minshushugi kagakusha kyôkai (Association des scientifiques démocrates) et la Rekishigaku kenkyûkai (Société japonaise des études historiques).
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[14]
Tôyama Shigeki, Sengo no rekishigaku to rekishi ishiki (Historiographie et conscience historique après-guerre), Iwanami, Tôkyô, 1969, 2001, 342 pages, p. 66.
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[15]
Ibidem.
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[16]
Cité par Nishikawa Hiroshi, « Gakkô kyôiku to kôkogaku » («L’éducation scolaire et l’archéologie»), in Iwanami kôza Nihon kôkogaku (Cours Iwanami d’archéologie), 1986, vol. 7, 316 pages, p. 169-208.
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[17]
Avant-guerre, archéologie et histoire soutenaient les origines continentales de la dynastie impériale, légitimant ainsi l’impérialisme annexionniste. L’Histoire du Japon (Nihon no rekishi, 1963) de Inoue, qui expliquait que les Japonais étaient autochtones de l’archipel, a été bien accueillie en Corée, en tant que déni de ces premiers discours.
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[18]
Les manuels jugés non conformes sont rejetés lors de l’homologation par le Ministère.
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[19]
Kôkoku shikan. Sur l’argumentation du Ministère lors des procès sur les manuels : Ienaga Saburô shû, op. cit., vol. 14 ; Nishikawa, 1986, op. cit.
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[20]
Kenkoku kinen-bi, le 11 février. L’archéologue Kondô Yoshirô a mis en garde, en 1964, contre les manœuvres autour de l’écriture du passé visant à la glorification de l’avant-guerre.
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[21]
Tôyama, du courant marxiste, a par exemple soutenu que le conflit territorial des années 1870 autour d’Okinawa avait en réalité pour objet l’unification nationale japonaise.
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[22]
Cet essor s’est développé notamment autour de Ôe Shinobu ou de Kobayashi Hideo, et s’est manifesté notamment par des échanges avec les historiens coréens.
-
[23]
Tôyama, 1969, 2001, op. cit.
-
[24]
Le président sud-coréen Park Chong-Hui était un haut gradé issu de l’armée impériale. Tout comme les élites japonaises de la fin des années 1930, les élites coréennes issues du régime colonial ont pu, en Corée du Sud, se maintenir à la faveur de la Guerre Froide. En reconnaissant en 1965 Séoul comme l’unique gouvernement légal de la péninsule, le Japon esquivait sa responsabilité dans la formation du régime du Nord issu de la résistance anti-japonaise. L’ouverture, en janvier 2005, des archives de ces entretiens a montré l’insuffisance de ces positions.
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[25]
Utsumi Aiko et alii, Hando bukko, Sengo hoshô (Livret sur les réparations après-guerre), version augmentée, Nashinoki sha, 1994, 270 pages.
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[26]
Oda Minoru, célèbre militant contre la Guerre du Viêt-nam, a rapporté l’épisode d’étudiants japonais aux États-Unis, dans les années 1960, qui avaient demandé à un Coréen pourquoi il parlait leur langue, sans saisir le poids du passé colonial de la question. Oguma, 2002, op. cit., p. 764.
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[27]
Georg-Eckert-Institut für Internationale Schulbuchforschung. L’historien Georg Eckert a joué un rôle central dans le dialogue entre l’Allemagne et ses voisins après-guerre.
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[28]
Kondô Takahiro, Kokusai rekishi kyôkasho taiwa (Le dialogue international pour les manuels d’histoire), Chûô kôron, 1998, 236 pages.
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[29]
En 1997, tous les manuels pour le lycée mentionnaient l’esclavage sexuel. Lors de la série proposée en 2005, il n’y en a plus aucun.
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[30]
Le nombre total de morts civils et militaires japonais entre 1937 et 1945 est d’environ 3 100 000 personnes.
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[31]
Carl Schmitt, La Notion de politique, 1932.
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[32]
Dont le célèbre militaire Saigô Takamori.
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[33]
Le Yasukuni diffère d’un sanctuaire shintô aussi par sa structure : il n’a qu’un seul siège (za) pour l’ensemble des divinités révérées, tandis qu’un sanctuaire shintô en possède un par divinité.
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[34]
George L. Mosse, Fallen soldiers : reshaping the memory of the World Wars, Oxford University Press, 1990, 272 pages, notamment p. 70-106.
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[35]
Le Yasukuni se voit conférer le statut suprême au sein du dispositif commémoratif moderne en 1895. Le Japon doit alors honorer quelque 13 000 combattants tombés au combat contre la Chine. Dix ans plus tard, en 1904-1905, la Guerre russo-japonaise emportait plus de 80 000 combattants japonais. Harada Keiichi, Kokumin gun no shinwa (Le mythe de l’armée nationale), Yoshikawa Kôbunkan, Tôkyô, 2001, 264 + XII pages, 178-256 pages, p. 205-208.
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[36]
Ce texte constitue l’une des sources internes les plus importantes concernant cette institution, jusqu’en 1935. Yasukuni jinja (dir. et éd.), 1935, 5 vol., 5 000 pages.
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[37]
Cette critique suivit la visite du Premier ministre Nakasone Yasuhiro en 1985. Les criminels de classe B et C (environ 1 000 personnes) furent accueillis au Yasukuni dès la fin des années 1960, afin d’y être révérés.
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[38]
Déclaration du porte-parole du gouvernement chinois suite à la visite de Nakasone en 1985. Takahashi Tetsuya, Yasukuni mondai (Le problème du Yasukuni), Chikuma shobô, 2005, 240 pages, p. 66. ; PHP (dir.), Kenshô : Yasukuni mondai to wa nanika (Enquête : qu’est-ce que le problème du Yasukuni ?), PHP, 2002, 318 pages.
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[39]
Les pays victimes des guerres japonaises ne pourraient qu’être violemment pris à partie si, ces cendres retirées, l’empereur lui-même rendait à nouveau culte et hommage aux âmes des autres « héros » du Yasukuni.
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[40]
Le Premier ministre socialiste Murayama Tomiichi, alors à la tête d’une coalition des partis d’opposition, a présenté des excuses officielles en août 1995. Les députés du Parti libéral démocrate ont réagi en lançant une pétition pour « s’opposer à toute excuse japonaise », qui a obtenu environ cinq millions de signatures.