1Il existe actuellement en France un consensus sur le droit de la nationalité : le gouvernement actuel n’a pas manifesté l’intention de le modifier et, lors de la campagne électorale, seul M. Le Pen avait parlé d’abroger les dispositions de « droit du sol », l’une des traditions du droit français, sans rencontrer d’écho chez aucun autre grand candidat. L’on peut constater un consensus de même ordre au niveau européen.
2La France, dans ce domaine, a servi d’éclaireuse. Elle a inventé en 1803 le droit moderne de la nationalité, en soustrayant l’individu au pouvoir de l’Etat lorsqu’elle a institué le fait que la nationalité se transmette, par le père, comme un droit de la personne. Puis, à la fin du xixe siècle, devenue le premier pays d’immigration en Europe, elle a ajouté aux dispositions qui permettaient de transmettre la nationalité par filiation un jus soli ; car le dispositif assez puissant de droit du sol — droit dominant sous l’Ancien Régime — devait permettre d’intégrer avec la nationalité française les enfants et petits-enfants d’immigrés. La troisième étape de ce développement a été, dans les années vingt, la facilitation des naturalisations.
3A l’exception des pays sous influence britannique, le Portugal et le Danemark, tous les autres Etats européens, au xixe siècle, ont décidé d’attribuer la nationalité sur la base du jus sanguinis. Puis, progressivement, après la seconde guerre mondiale, devenus à leur tour pays d’immigration, ils ont ajouté aux dispositions du jus sanguinis le recours au jus soli. Si bien que, aujourd’hui, il y a, de fait, une convergence européenne. A l’exception de l’Autriche, de la Grèce et du Luxembourg, les douze autres pays de l’Union mélangent droit du sang et droit du sol pour attribuer leur nationalité.
Le droit de l’alliance
4A ces différents dispositifs on se doit d’ajouter ce qui est peut-être une spécificité française, le droit de l’alliance. La France, en effet, fait preuve du plus grand libéralisme en ce qui concerne l’accès à la nationalité par le biais du mariage.
5L’histoire mérite d’en être contée : dans le Code civil, Bonaparte — qui n’est pas un féministe fervent — attribue à la femme la nationalité du mari : une femme étrangère qui épouse un Français devient française ; une femme française qui épouse un étranger devient étrangère. Mais beaucoup d’hommes étant morts lors de la première guerre mondiale, de plus en plus de femmes françaises — on peut avancer le chiffre de 200 000 — ayant épousé des étrangers sont devenues étrangères. Il s’ensuit des situations sociales assez dramatiques : les femmes fonctionnaires de l’enseignement ou des PTT perdent leur emploi, réservé aux Français ; elles doivent s’inscrire sur les registres des préfectures comme étrangères ; elles sont dépendantes juridiquement du pays dont leur mari est citoyen. Certaines, ayant épousé un travailleur chinois venu en France au moment de la première guerre mondiale, s’aperçoivent, une fois en Chine, qu’elles sont des concubines… On assiste alors à une révolte des mouvements féministes, auxquels se joignent les populationnistes, conservateurs, qui jugent absurde que deviennent étrangères ces femmes françaises, qui pourraient fournir à la France les enfants dont elle a besoin.
6L’on constate un même mouvement aux Etats-Unis, à ceci près que la réforme de la nationalité suit la réforme du droit de vote. La femme américaine, en effet, est devenue électrice et, pendant deux ans — avant la modification de la loi —, une femme étrangère épousant un Américain devenait américaine et vote, tandis que la femme américaine qui épouse un étranger perd le droit de vote puisqu’elle devient étrangère. Les conservateurs décident alors de laisser à la femme américaine sa nationalité quand elle épouse un étranger. Mais, pour la femme étrangère épousant un Américain, ils imposent la lourde procédure de naturalisation avant qu’elle puisse devenir électrice. En France, le Sénat, qui avait voté contre le droit de vote des femmes (situation qui devait rester bloquée jusqu’au général de Gaulle), était enthousiaste pour l’accès à la nationalité française de la femme étrangère, puisque c’était sans conséquences politiques. Avec la loi de 1927, la femme étrangère épousant un Français peut, par simple déclaration, devenir française, tandis que la Française épousant un étranger peut demeurer française. Le système s’est perpétué. On en a même poussé la logique jusqu’au bout : en 1973, l’étranger épousant une Française peut aussi, par déclaration, devenir français. Ce système est valable en France comme à l’étranger : un Chinois épousant une Française à Pékin peut devenir français par mariage. Et, puisque nous acceptons la double nationalité, le système se révèle extrêmement libéral.
Identité nationale et droit de la nationalité
7Quel est, en fait, le lien entre identité nationale et droit de la nationalité ? Il n’est pas rare que nous ayons sur ces sujets des représentations tronquées ou erronées. L’on a tendance à se représenter un modèle français ouvert dans la mesure où il repose sur le droit du sol, par opposition à une conception allemande ethnique fondée sur le droit du sang. Or, on trouve dans les archives allemandes des textes étonnants. Le droit allemand, d’origine prussienne, qui se constitue en 1842, s’inspire du droit français de l’époque, le jus sanguinis. Lorsque la France invente le droit du sang en 1803, c’est une étape dans la modernisation du droit de la nationalité. Sous l’Ancien Régime, quand on quittait le territoire du royaume sans esprit de retour, on perdait sa nationalité, puisque se rompait le lien d’allégeance au roi (le mot nationalité apparaît au xixe siècle pour définir le lien juridique entre l’Etat et la personne). Et cette attribution de la nationalité par la filiation rompt avec la dépendance à l’égard de l’Etat, du roi ou de l’empereur. Rien d’ethnique dans tout cela. C’est de cette approche que s’inspirent les autres pays d’Europe. L’Allemagne nous copie. C’est en 1871, alors que l’Alsace est rattachée de force à l’Empire allemand, que l’image de l’Allemagne s’inverse. Ernest Lavisse, historien républicain, décrivait la Prusse comme le seul exemple de melting pot en Europe. La Prusse avait alors une image de pays d’accueil et d’intégration de l’immigration et en était devenue une nation. Mais, à partir du rattachement de l’Alsace-Lorraine à l’Empire, l’Allemagne est perçue comme une nation raciale, par opposition à la nation politique, fondée sur la volonté collective. Toutefois, personne alors, parmi les républicains, ne relie Allemagne raciale et jus sanguinis. Le jus sanguinis est perçu comme le droit du Code civil et Camille Sée, républicain, juif, alsacien et patriote, propose même en 1884 son renforcement.
8La relation entre le droit du sang et l’Allemagne raciale va se faire aux alentours de la première guerre mondiale. La loi de 1913 en Allemagne permet officiellement à un Allemand naturalisé à l’étranger de conserver sa nationalité allemande s’il est issu du Reich. A la droite française réclamant l’abrogation du droit du sol qui naturalise trop d’étrangers, la gauche rétorque : le droit du sang, c’est l’Allemagne. A partir de là, la droite ne peut plus proposer le droit du sang et se « replie » sur les naturalisations. Ce n’est que dans les années 1980 qu’une partie de la droite française a pu proposer la suppression du droit du sol sans risque d’être associée à un rejet de l’Allemagne. MM. Le Pen et Giscard d’Estaing ont continué de la proposer dans les années 1990, contribuant à relancer l’association nation raciale/droit du sang.
9Après la seconde guerre mondiale, si l’Allemagne a conservé le droit du sang, c’est faute de territoire stable. Si elle appliquait le droit du sol, elle ne pouvait plus revendiquer l’Allemagne de l’Est. Il a fallu que la réunification se fasse pour que l’Allemagne puisse se voir comme un pays d’immigration et accepte un mécanisme d’intégration des enfants d’immigrés nés en Allemagne par le droit du sol. Dix ans se sont écoulés entre la réunification et le vote d’une loi qui, aujourd’hui, donne la nationalité allemande aux enfants nés en Allemagne de parents résidents étrangers.
10Il faut bien mesurer la différence entre les représentations et la réalité des faits et des lois. Le droit de la nationalité est un mode d’attribution individuelle d’un statut et n’a rien à voir avec la nation comme collectivité.
11Pour donner un exemple de ces méprises, une partie de la gauche croyait que la Constitution de 1793 avait donné la citoyenneté à certains étrangers sans leur accorder pour autant la nationalité. Pourquoi ne pas le faire aujourd’hui, puisque cela avait été fait sous la Révolution ? Or, il s’agit manifestement là d’une mauvaise interprétation des Constitutions de 1793, 1795 et 1799, qui définissent dans les mêmes articles la nationalité et la citoyenneté. En fait, pour la définition de la nationalité, beaucoup de facteurs sont à prendre en compte. C’est très tardivement que l’état de la population entre en jeu. C’est seulement en 1927 que les auteurs de la loi veulent faciliter, par la naturalisation, l’accès des étrangers à la nationalité française. Ils réduisent de dix à trois ans la durée exigée de séjour en France pour se faire naturaliser, parce que leur objectif est de faire 100 000 nouveaux Français par an.
Les crises de Vichy et de la Libération
12Mais, en réaction à cette politique très ouverte, vont se produire trois crises. Celle de Vichy se traduit par le réexamen de toutes les naturalisations intervenues depuis 1927 et la dénaturalisation de plus de 15 000 Français, avec un ciblage particulier sur les Juifs. Il y eut aussi la volonté d’élaborer une nouvelle législation de la nationalité ; cependant, elle ne devait jamais aboutir, en raison d’un veto de Berlin qui jugeait les projets de loi de Vichy insuffisamment racistes.
13Vient ensuite la période de la Libération. Un premier conflit éclate, au sein du Gouvernement provisoire du général de Gaulle, entre le premier commissaire à la Justice, François de Menthon, et René Cassin. Dès août 1940, en réaction aux lois de Vichy qui permettaient la déchéance de la nationalité française de ceux qui avaient quitté la France en juin 1940 et la dénaturalisation de tous les Français qui avaient été naturalisés en 1927, René Cassin ouvre à Londres, au siège des Forces françaises libres, un registre de la nationalité où vont pouvoir inscrire leur fidélité à la France toutes les personnes qui risquent la dénaturalisation. Il s’agit aussi de faire appliquer la loi sur le mariage. Des Anglaises épousent des soldats des Forces françaises libres et veulent devenir françaises en épousant un Français. Ce registre a été ouvert, à Londres, sur un cahier de l’administration britannique devenu registre officiel de la France libre. Puis, le gouvernement provisoire de Libération nationale s’installe à Alger. Le Commissaire à la Justice, qui réexamine la loi de Vichy sur les dénaturalisations, propose de la conserver. Finalement, René Cassin l’emporte et toutes les lois de Vichy sont abrogées.
14Mais le débat va se poursuivre quand le gouvernement du général de Gaulle s’installe à Paris. Louis Joxe, secrétaire général du Gouvernement, appelle à ses côtés un expert des questions d’immigration, M. Mauco, favorable à une sélection ethnique des immigrés et des naturalisés. Par l’intermédiaire de Joxe, il fait signer au général de Gaulle une instruction allant dans ce sens. Teitgen, le deuxième garde des Sceaux de De Gaulle, refuse de l’appliquer. Il l’emporte : le Code de la Nationalité de 1945 ne permettra pas de sélectionner les naturalisés sur des bases ethniques.
La crise algérienne
15La troisième crise est celle qui a lieu dans les années 80/90 : c’est la crise algérienne de la nationalité. Ce débat sur la nationalité intervient dès la suspension de l’immigration du travail, en 1974, par Valéry Giscard d’Estaing. A partir de 1977, M. Giscard d’Estaing, après une première phase relativement libérale, change de cap et cherche à faire partir les immigrés non européens vers leur pays d’origine. Il crée une aide au retour qui n’est pas suivie d’effet, et passe à une étape contraignante en cherchant à organiser le retour forcé de 500 000 Algériens résidant en France. Il ne s’agit pas d’étrangers en situation irrégulière, mais d’étrangers résidant en France depuis dix, quinze ou vingt ans, munis de cartes de séjour, ayant des enfants nés en France. Ces enfants étaient le plus souvent français parce que nés en France, de parents algériens nés en France, puisque, avant 1962, l’Algérie était française. M. Giscard d’Estaing cherche à faire partir ces 500 000 Algériens en ne renouvelant pas leur titre de séjour. Il s’ensuit une mobilisation de la gauche, des Eglises, des syndicats, etc., contre toute mesure à l’encontre des immigrés. Vont aussi s’opposer à ce projet l’UDR, le CDS, le Conseil d’Etat et une bonne partie de l’Administration… M. Giscard d’Estaing échoue parce que son ministre des Affaires étrangères, M. François Poncet, juge le projet éthiquement impossible à mettre en œuvre ; M. Barre s’y oppose également. En 1984, à l’unanimité, le Parlement vote une loi sur le titre unique : un étranger en situation régulière, quelle que soit son origine, a droit au renouvellement de son titre, sauf s’il porte atteinte à l’ordre public.
16Le débat se déporte alors sur la nationalité : puisque l’on n’a pu faire partir les immigrés de France, il faut, pour certains, empêcher leur entrée dans la nationalité française. M. Griotteray, en 1984, propose l’abrogation du droit du sol. Il est suivi par le groupe RPR, en 1986 — M. Mazeaud à sa tête. Mais, lorsque le gouvernement de M. Chirac, avec comme garde des Sceaux M. Albin Chalandon, prend en main le dossier, il s’aperçoit qu’on ne peut remettre en cause le droit du sol sans toucher au mode de preuve de la nationalité française de la majorité des Français. Finalement, le projet de loi déposé en 1986 est restrictif, mais va beaucoup moins loin que certains projets discutés lors de la campagne électorale. Survient la mort de Malek Oussekine, suivie de la mobilisation que l’on sait : on retire le projet de loi et on confie le dossier à une commission présidée par M. Marceau Long. Celle-ci va faire un énorme travail d’information, de réflexion et d’apaisement, et proposera une modernisation du Code de la Nationalité, avec une mesure principale : les enfants nés en France de parents étrangers doivent demander leur nationalité entre 16 et 21 ans ; elle n’est plus quasi automatique à la majorité. Ce rapport est remis en 1987. La droite s’y rallie. Mais M. Mitterrand, réélu en 1988, ne veut pas changer le droit de la nationalité. En 1991, M. Giscard d’Estaing revient sur le sujet dans Le Figaro Magazine en proposant à nouveau d’abroger le droit du sol, rejoignant ainsi le Front National — puisque la droite classique s’était ralliée au rapport Long, qui devient la loi de 1993.
17Lorsque la gauche revient au pouvoir, on me demande d’examiner l’application de la loi en matière de droit du sol. J’aboutis à la conclusion que la loi de 1993 ne remet pas en cause le droit du sol, mais pose des problèmes d’application puisque, selon le degré d’information, dans chaque région, entre les régions, entre les lycées d’une même région, etc., le taux de déclaration était plus ou moins fort. J’ai alors proposé qu’on revienne à un système d’automaticité mixé avec le système de la déclaration. Aujourd’hui, l’enfant né en France de parents étrangers ne peut plus être déclaré français par déclaration de ses parents quand il a 6 mois ou 2 ans. Mais, à 13 ans, il peut faire cette démarche volontairement, accompagné de ses parents. S’il ne l’a pas faite, à 18 ans il devient automatiquement français s’il a résidé en France dans les années qui précèdent, mais il peut aussi déclarer ne pas vouloir le devenir dans l’année qui suit sa majorité. Il y a une sorte de mixage de l’automaticité et de la volonté individuelle qui paraît fonctionner et qui fait consensus.
18Depuis 1998, 99 % de la classe d’âge concernée acquièrent la nationalité française. Notons que la majorité des intéressés fait la démarche avant 18 ans. La loi prévoit un entretien individuel du juge avec l’enfant. Les enfants de 13 ans donnent des raisons précises quand ils discutent avec le juge pour faire valider leur décision. Le juge n’a pas le sentiment que les parents sont derrière. L’enfant se sent le plus souvent français : il est né en France, il a vécu en France…
19Cette loi fait consensus parce que la droite peut estimer : « Notre approche a gagné puisque la majorité des jeunes concernés fait une démarche » ; et la gauche : « On ne laisse personne sur le carreau puisque ceux qui n’ont pas fait la démarche sont pris dans l’automaticité à 18 ans s’ils ne font pas de déclaration contraire. » Cela se fait aussi sans pression des forces politiques ou religieuses des pays d’origine, qui pourraient dire : « Ne devenez pas Français. » S’il y avait des pressions de la sorte, on verrait une augmentation des déclarations de renonciation.
La déchéance de nationalité
20Depuis quelque temps, certains articles de presse révèlent la remise en vigueur de procédures de déchéance de la nationalité qui existent depuis 1927. Elles avaient déjà été utilisées pendant la guerre de 1914, mais elles n’ont été intégrées de façon permanente dans notre droit qu’en 1927. Il faut en rappeler l’origine pour comprendre le sens. Pendant la première guerre mondiale, un certain nombre de Français qui ont aussi la nationalité allemande (parce que la France accepte la double nationalité) vont combattre dans l’armée allemande. Le Parlement décide alors d’instaurer la déchéance de la nationalité pour ces personnes qui avaient acquis la nationalité quelques années auparavant.
21La procédure est encadrée juridiquement, soit sous le contrôle du Conseil d’Etat, soit sous le contrôle du juge — le gouvernement allant devant le juge avec possibilité d’appel pour les parties, jusqu’à la cassation. A partir de 1922, la question se pose pour les Allemands qui sont restés en Alsace-Lorraine et demandent la nationalité française. Va-t-on tolérer qu’ils conservent la nationalité allemande ? Le Sénateur de Strasbourg, rapporteur d’une proposition de loi au Sénat, va émettre un avis favorable : « On doit admettre, jusqu’à preuve contraire, qu’une personne ayant acquis la nationalité française n’est point suspecte et dangereuse par le seul fait qu’elle conserve les intérêts moraux et pécuniaires du pays qu’elle a quitté. » C’est très libéral. « Pour que la suspicion prenne corps, il est nécessaire que le naturalisé ait donné une manifestation extérieure de son absence de loyauté et de fidélité à sa patrie adoptive. » Cela signifie que le naturalisé peut faire ce qu’il veut dans sa vie privée, garder sa nationalité d’origine, ses biens, faire des affaires, etc. ; mais, s’il manifeste, à travers des actes assez graves, une déloyauté à l’égard de sa patrie adoptive, il faut pouvoir lui retirer sa nationalité par une procédure qui est placée sous le contrôle du juge. Cela s’est produit récemment : pour quelques-unes des personnes impliquées dans des attentats en France (le métro Saint-Michel) ou liées au réseau Al-Qaïda, le gouvernement a engagé une procédure de déchéance.
22Cette procédure n’a rien à voir avec les dénaturalisations de Vichy, qui avaient pour modèle une loi hitlérienne du 14 juillet 1933. On réexaminait toutes les naturalisations intervenues depuis 1919. Sous Hitler, et sous Vichy, la personne pouvait être dénaturalisée pour une simple raison d’opportunité, le plus souvent eu égard au fait qu’elle était juive. Elle pouvait n’avoir commis aucun acte, s’être parfaitement comportée, avoir fait la guerre en 1939, etc., et néanmoins se voir retirer la nationalité française. La déchéance instituée en 1927 a touché jusqu’en 1940 seize personnes, alors qu’on en naturalise plus de 200 000. Celle de Vichy a touché 15 600 personnes, alors qu’on n’en naturalise que 2 000. L’exception réglementée sous la République devient une pratique généralisée sans règle sous Vichy. Actuellement, la loi interdit la déchéance si la personne n’a pas une autre nationalité. On ne crée pas d’apatrides et la décision de déchéance, exceptionnelle, est subordonnée au contrôle du Conseil d’Etat. C’est une réserve de souveraineté. Cela ne joue que sur un nombre minime de cas. C’est la contrepartie de l’acceptation de la double nationalité.
La convergence européenne
23La convergence européenne en matière de nationalité est paradoxale. En effet, ni au moment du traité de Maastricht, ni au moment du traité d’Amsterdam les chefs d’Etat et de gouvernement n’ont considéré qu’il y avait une possibilité d’harmonisation. Pourtant, nous sommes plus près d’une harmonisation en matière de nationalité qu’en matière d’immigration, tout simplement parce que, en matière de nationalité, les opinions politiques opposées aboutissent à des conclusions semblables : quand on est de gauche, on pense que « les enfants élevés sur le sol de la patrie ont droit d’avoir des droits » ; quand on est conservateur, qu’« il est assez mauvais de maintenir dans une nationalité étrangère les enfants nés chez nous, parce que, dépendant d’un Etat étranger, ils permettraient à celui-ci d’avoir son mot à dire dans les affaires intérieures du pays ». La Turquie est très influente en territoire allemand, parce qu’on a laissé une ou deux générations d’enfants turcs nés en Allemagne rester turcs. Depuis 1889, l’octroi de la nationalité française par le jus soli limite l’influence des Etats étrangers sur notre sol.
24En matière d’immigration, des facteurs divergents continuent à rendre difficile l’harmonisation. Des pays comme la France, la Grande-Bretagne ou l’Irlande ont un taux de fécondité qui reste encore assez élevé. Par contre, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne sont au plus bas. Tous ces pays européens sont dans le même cycle migratoire. Ceux qui ont une certaine ancienneté en matière d’immigration voient arriver de nombreuses immigrations familiales, tandis que les nouveaux ont de nombreux travailleurs sans famille. La politique de l’immigration européenne est en train de se construire, et ce sera un cadre qui devra être souple, pour laisser une marge de manœuvre aux Etats selon les cycles nationaux.
25* * *
26Au total, en matière de nationalité, en dépit d’une image de centralisation jacobine, la France a manifesté, au cours de son histoire, une réelle flexibilité, tenant compte des traditions provinciales et étrangères, et s’adaptant aux différentes situations, tant démographiques que politiques. Elle est le pays d’Europe qui a le plus changé de législation ; elle a tout expérimenté depuis la Révolution, et n’a abandonné aucune des expériences et des pistes qu’elle avait tentées. Notre caractéristique est : l’intégration des personnes immigrées ; l’accès par mariage ; le maintien de la nationalité française à l’étranger ad vitam aeternam ; enfin, des dispositifs originaux et peu connus. L’un d’entre eux m’avait permis d’écrire dans le New York Times, il y a un an et demi, que si le président Clinton souhaitait avoir une nouvelle carrière présidentielle, il pouvait demander la nationalité française immédiatement. En effet, il est né dans l’Arkansas, ancien territoire français. A ce titre, il n’est pas soumis aux cinq années de séjour d’ordinaire requises. Comme si, partout où elle est passée, la France avait laissé une trace, que nous considérons toujours comme importante.