Très tôt dans le domaine de l’ethnologie française, Marcel Mauss a ouvert la voie à l’étude comparative des façons culturelles de s’exprimer à travers le corps, montrant que ce dernier est toujours imprimé, depuis le plus tendre âge, de signes et conditionnements qui nous permettent de vivre en société [Mauss, 1936]. Chaque groupe culturel valorise des caractéristiques morphologiques particulières, des types de parures, d’accessoires et d’agencements d’éléments de l’apparence corporelle, tandis que d’autres éléments sont inhibés, cachés, parfois éliminés. Ces manières de façonner le corps varient au cours du temps, et au gré des relations et des influences entre les groupes sociaux, modifiant les caractéristiques qui sont mises en valeur.
Le travail de l’apparence, objet du présent numéro, peut être appréhendé comme l’ensemble des pratiques esthétiques du corps, étudié traditionnellement par l’anthropologie du corps ; il s’agit en effet d’un élément culturel hautement signifiant, porteur d’un langage symbolique qui dévoile des positionnements, des dynamiques sociales et des systèmes de sens complexes – à condition que l’on y porte un regard attentif. L’anthropologue Francesco Remotti définit l’ensemble des interventions esthétiques sur le corps (ce que nous appellerons « pratiques esthétiques ») comme toutes les opérations sur le corps humain qui engagent l’apparence et visent à la modifier ou, au contraire, à la maintenir en l’état : forme, volume, aspect, odeur, consistance, texture, aspérité, couleur… Il répertorie de nombreuses catégories d’interventions sur le corps qui ont un effet sur l’apparence corporelle et sur la présentation de soi en société : objets externes, toilette, parfum, cosmétique et peintures corporelles, modelage des annexes de la peau (poils, ongles, cheveux), modelage de la structure musculaire, modelage de la voix, tatouages, scarifications, perforation et insertion des objets externes, chirurgie esthétique moderne, alimentation et régimes, interventions chimiques et hormonales, traitement du cadavre, sont seulement certains exemples possibles [Remotti, 2013 : 85]…