Couverture de ETHN_232

Article de revue

Bruno Latour (1947-2022)

La trajectoire d’une pensée

Pages 335 à 346

Notes

  • [1]
    Bruno Latour, Laurent Godmer et en particulier ici page 119, in David Smadja, 2012, « L’œuvre de Bruno Latour : une pensée politique exégétique », Raisons politiques, 3 (47) : 115-148,
  • [2]
    Voir pages 492-493, in B. Latour, 1989, La Science en action. Introduction à la sociologie des sciences, Paris, La découverte, pour une étude de cas renvoyant au temps de la collaboration avec Marc Augé.
  • [3]
    M. Augé, 1975, Théorie des pouvoirs et idéologie. Étude de cas en Côte d’Ivoire, Paris, Hermann, cité pages 492-493, in B. Latour, 1989, op. cit. et page 137, in B. Latour, 1991, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La découverte.
  • [4]
    B. Latour, 1974, avec la collaboration d’Amino Shabou, Les Idéologies de la compétence en milieu industriel à Abidjan, Abidjan, ORSTOM [http://www.bruno-latour.fr/sites/default/files/02-IDEOLOGIES-DE-COMPETENCE-FR.pdf, consulté le 28 janvier 2023].
  • [5]
    Page 62, in B. Latour, [1983] 1988, « Le Grand Partage », Revue du MAUSS, 1 : 27-65.
  • [6]
    B. Latour et S. Woolgar, 1979, Laboratory Life. The Social Construction of Scientific Facts, Beverly Hills, Sage Publications [1988, La Vie de laboratoire. La production des faits scientifiques, trad. fr. M. Biezunski, Paris, La découverte].
  • [7]
    B. Latour, « Irréductions », in B. Latour, 2001, Pasteur : guerre et paix des microbes, Paris, La découverte : 235-349.
  • [8]
    M. Callon et B. Latour, [1982] 1991, La Science telle qu’elle se fait, Paris, La découverte.
  • [9]
    Voir M. Callon et B. Latour, « Unscrewing the Big Leviathan : How Actors Macrostructure Reality and How Sociologists Help Them To Do So », in K. Knorr Cetina et A. V. Cicourel (dir.), 1981, Advances in Social Theory and Methodology : Toward an Integration of Micro- and Macro-Sociologies, Boston, Routledge and Kegan Paul: 277-303 ; M. Akrich, M. Callon et B. Latour (dir.), 2006, Sociologie de la traduction : textes fondateurs, Paris, Presses des Mines ParisTech.
  • [10]
    B. Latour, 2017, Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, Paris, La découverte.
  • [11]
    Page 75, in B. Latour, Les Idéologies de la compétence en milieu industriel à Abidjan, op. cit..
  • [12]
    Page 35, in J.-Fr. Lyotard, 1983, Le Différend, Paris, Minuit.
  • [13]
    Page 82, in B. Latour, 1991, op. cit., qui songe à J.-Fr. Lyotard, 1979, La Condition postmoderne, Paris, Minuit.
  • [14]
    Pages 70-71 note 1, 177-179, 358 note 1, 387, in I. Prigogine et I. Stengers, [1979] 1986, La Nouvelle Alliance. Métamorphose de la science, Paris, Gallimard.
  • [15]
    Page 9, in G. Deleuze et Cl. Parnet, [1977] 1996, Dialogues, Paris, Champs-Flammarion.
  • [16]
    Page 55, 59, in M. Serres, [1992] 1994, Éclaircissements. Entretiens avec Bruno Latour, Paris, Champs-Flammarion.
  • [17]
    Pages 128-131, in B. Latour, 1991, op. cit., et page : 357 les définitions du Glossaire, in B. Latour, 1999, Politiques de la nature, Paris, La découverte.
  • [18]
    Pages 116-120, in B. Latour, 1991, op. cit.
  • [19]
    Ibid.: 112-116.
  • [20]
    D. Bloor, 1999, « Anti-Latour », Studies in History and Philosophy of Science, 30 (1) : 81-112.
  • [21]
    B. Latour, 2015, Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique, Paris, Les empêcheurs de penser en rond-La découverte ; Bruno Latour et Nikolaj Schultz, 2022, Mémo pour la nouvelle classe écologique, Paris, Les empêcheurs de penser en rond-La découverte.
  • [22]
    Page 62, in B. Latour, 1991, op. cit. ; pages 77, 314, in B. Latour, 1999, op. cit.
  • [23]
    Ph. Descola, 2005, La Nature domestique. Symbolisme et praxis dans l’écologie des Achuar, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme [https://books.openedition.org/editionsmsh/25673?lang=fr, consulté le 10 mai 2023].
  • [24]
    Ph. Descola, 2005, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard : 553, 555, 573.
  • [25]
    Philippe Descola a d’ailleurs pris la parole aux obsèques de Latour. Voir Ph. Descola, « L’éloge de Philippe Descola à Bruno Latour : “Ta pensée audacieuse est devenue la pensée du temps présent” », Le Monde, 3 novembre 2022 [https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/11/03/a-bruno-latour-ta-pensee-audacieuse-est-devenue-la-pensee-du-temps-present_6148386_3232.html, consulté le 10 mai 2023]
  • [26]
    Voir la critique d’Arnaud Saint-Martin : A. Saint-Martin 2013, « Enquête sur les modes d’existence. À propos de B. Latour, Enquête sur les modes d’existence (La découverte, 2012) », Sociologie, 1 (4) : 95-108, et le dossier biographique et intellectuel constitué par Jérôme Lamy : J. Lamy, 2021, « Sociology of a disciplinary bifurcation: Bruno Latour and his move from philosophy/theology to sociology in the early 1970s », Social Science information, 60 (1) : 107-130.
  • [27]
    Pages 171, in B. Latour, 1991, op. cit.
  • [28]
    Pages 92, 296, 352, in G. Deleuze, 1968, Différence et répétition, Paris, Puf.
  • [29]
    Page 182, in I. Stengers, 1993, L’Invention des sciences modernes, Paris, La découverte.
  • [30]
    Sur le concept stengersien de « sorcellerie », voir Philippe Pignarre et Isabelle Stengers, 2007, La Sorcellerie capitaliste. Pratiques de désenvoûtement, Paris, La découverte.
  • [31]
    Voir Ph. Pignarre, 2021, Latour-Stengers, un double vol enchevêtré, Paris, La découverte.
  • [32]
    Page 27, 78-84, 117-124, in I. Stengers, 1993, Cosmopolitiques 7. Pour en finir avec la tolérance, Le Plessis-Robinson, Les empêcheurs de penser en rond.
  • [33]
    Page 158-169, in G. Deleuze, 1993, Critique et clinique, Paris, Minuit.
  • [34]
    Voir pages 471-497, in B. Latour, 1989.
  • [35]
    Pages 275-285, in B. Latour, 1999, op. cit.
  • [36]
    B. Latour, 1994, « Les objets ont-ils une histoire ? Rencontre de Pasteur et de Whitehead dans un bain d’acide lactique », in I. Stengers (dir.), L’Effet Whitehead, Paris, Vrin : 196-217 ; repris modifié in B. Latour, 2001, L’Espoir de Pandore. Pour une version réaliste de l’activité scientifique, trad. fr. D. Gille, Paris, La découverte : 117-150.
  • [37]
    Pages 245, 251, et 254, in B. Latour, « Irréductions », in B. Latour, 2001, « [A]u lieu de force, nous pouvons parler d’entéléchies ou, plus simplement, d’actants » [245] ; [254] pour la référence à Leibniz.
  • [38]
    Voir pages 267-268, in G. Deleuze et F. Guattari, 1980, Mille plateaux. Capitalisme et schizophrénie 2, Paris, Minuit. Voir aussi G. Tarde, Monadologie et sociologie, [1893] 1999, Le Plessis-Robinson, Institut Synthélabo pour le progrès de la connaissance, Coll. Les empêcheurs de penser en rond.
  • [39]
    B. Latour, 2006, « Pourquoi viens-tu si Tarde ? », Chroniques d’un amateur de sciences, Paris, Presses des Mines [https://books.openedition.org/pressesmines/205].
  • [40]
    Pages 25-27, in B. Latour, 2007, Changer de société. Refaire de la sociologie, Paris, La découverte.
  • [41]
    Pages 44 note 6, in G. Deleuze et F. Guattari, 1991, Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Minuit.
  • [42]
    Voir F. Courtois-L’Heureux et A. Wiame (dir.), 2015, Étienne Souriau. Une ontologie de l’instauration, Paris, Vrin, publié dans la collection des Annales de l’Institut de philosophie de l’université de Bruxelles et comprenant des articles de Stengers et de Latour.
  • [43]
    Sur ce point, je me permets de renvoyer aux pages 171-194 de mon livre : Fr. Fruteau de Laclos, 2012, La Psychologie des philosophes. De Bergson à Vernant, Paris, Puf.
  • [44]
    Voir É. Souriau, 1981, L’Avenir de l’esthétique. Essai sur l’objet d’une science naissante, Paris, Alcan, 1929 et G. Deleuze, Francis Bacon, logique de la sensation, Paris, La différence.
  • [45]
    Conférence d’É. Souriau en 1956, « Du mode d’existence de l’œuvre à faire » reprise de É. Souriau, Les Différents modes d’existence, [1943] 2009, Paris, Puf : 195-217.
  • [46]
    I. Stengers et B. Latour, « Le Sphinx de l’œuvre », inSouriau, 2009 : 1-75.
  • [47]
    B. Latour, 2012, Enquête sur les modes d’existence. Une anthropologie des Modernes, Paris, La découverte.
  • [48]
    Voir J.-F. Lyotard, 1983, op. cit., sur les « jeux de langage » et les « genres de discours », et sur les « cités », Luc Boltanski et Laurent Thévenot, 1991, De la justification, Paris, Gallimard.
  • [49]
    Pages 149-150, in D. Bloor, 1982, Socio-logie de la logique. Les limites de l’épistémologie, trad. fr. D. Ebnöther, Paris, Pandore. Cet ouvrage est la traduction de Knowledge and Social Imagery [1976] 1991, Chicago, University of Chicago Press. La parution du livre de D. Bloor témoigne de l’effort mené par B. Latour pour faire pénétrer les science studies dans l’espace intellectuel francophone ; elle répond davantage aux questions qu’il se pose qu’aux descriptions que propose D. Bloor : comment limiter les prétentions de l’épistémologie en faisant valoir la force du social, quelle socio-logique inventer en vue de réduire la logique à l’analyse des associations et des réseaux ?
  • [50]
    Pages 471-474, in B. Latour, 1989.
  • [51]
    Pages 36-37, 40, in B. Latour, 1988, op. cit.
  • [52]
    D. Bloor, 1999, op. cit.
  • [53]
    Sur ce point, je me permets de renvoyer à mon article « Le réalisme sauvage. Logique et ontologie chez les Azandé », in J. Benoist (dir.), 2018, Réalismes anciens et nouveaux, Paris, Vrin : 99-117.
  • [54]
    Pages 55, 59, in P. Bourdieu, 2001, Science de la science et réflexivité, Paris, Raisons d’agir.

Bruno Latour à Gothenburg, 2006.

Bruno Latour à Gothenburg, 2006 (licensed with Cc-by-sa-2.0).

Bruno Latour à Gothenburg, 2006.

(licensed with Cc-by-sa-2.0)

1 Bruno Latour est né en 1947 à Beaune dans une riche famille de producteurs de vins. Il suit des études de philosophie à l’université de Dijon, où il reçoit la formation « la plus classique qui soit », si on en croit son propre témoignage [1]. Il ne fait pas de classes préparatoires et n’est pas normalien, mais il est reçu premier à l’agrégation de philosophie en 1972. Ensuite, il lui faut faire son service militaire. Ce sera en Afrique au titre de la coopération. C’est ce qu’il considérera lui-même comme son premier terrain anthropologique. Il fait alors ses classes intellectuelles avec Marc Augé [2]. Pendant quelque temps, le livre de ce dernier, Théorie des pouvoirs et idéologie[3], figurera dans les bibliographies de ses travaux d’anthropologie des sciences. De ce premier terrain naît en 1974 un rapport sur « les idéologies de la compétence en milieu industriel à Abidjan [4] ».

2 Dès l’année qui suit la parution de ce rapport, B. Latour soutient une thèse en théologie à l’université de Tours, Exégèse et ontologie. À propos de la Résurrection. Ce texte n’est malheureusement pas publié. Il a pourtant compté pour son auteur qui, dans un article sur « le Grand Partage [5] », fait explicitement le lien entre son entreprise d’anthropologie des sciences et ses premières préoccupations théologiques. Dans les années 1980, il entend revenir sur le partage entre notre connaissance, scientifique, et les croyances des Autres, irrationnelles, comme il avait cherché dans les années 1970 à revenir sur le partage entre savoir et foi. Comme l’un des enjeux du rapport pour l’ORSTOM était, déjà, de contester que le discours tenu sur les Africains ait quoi que ce soit à voir avec le discours que les Africains tenaient sur eux-mêmes, on peut dire que B. Latour a très tôt identifié les problèmes qui ne vont cesser d’être au cœur de sa réflexion.

3 Ce n’est pourtant qu’ensuite, estime-t-on généralement, que les choses sérieuses commencent, au moment où B. Latour, expatrié aux États-Unis, entreprend avec Steve Woolgar l’ethnographie du laboratoire de neuroendocrinologie de Roger Guillemin à San Diego. Il s’attache alors à retourner sur notre science les instruments de l’anthropologie. Pourquoi en effet faisons-nous de l’anthropologie loin de chez nous, et jamais chez nous, en rapport avec ce qui nous singularise et nous distingue, à savoir avec nos pratiques scientifiques ? Ne serait-ce pourtant pas essentiel pour bien nous comprendre nous-mêmes ? Mais une telle démarche supposerait de se passer des mots de la « tribu » scientifique, en particulier des mots de l’épistémologie : la vérité, la théorie, la confirmation ou la falsification, etc. Les méthodes de B. Latour et S. Woolgar seront celles de l’ethnométhodologie. Et les mots de la description seront à inventer. Tout va passer par la traque du jeu de l’écriture, le relevé des inscriptions et leur transmission, la mise en place de chaînes d’associations et la fortification de réseaux [6].

4 La traversée d’une autre étude de cas portant sur Louis Pasteur, plus historique et presque de seconde main (elle s’adosse à une étude d’histoire des sciences française de Claire Salomon-Bayet), est l’occasion pour B. Latour d’une montée en généralité : il produit avec « Irréductions », publié en annexe du livre sur Pasteur, une première modélisation théorique de sa pratique sociologique [7]. Elle suppose des alliances avec la sociologie des sciences qui s’est développée dans les pays de langue anglaise, notamment avec les écoles de Bath et d’Édimbourg, avec David Bloor et son programme fort en Science Studies, avec Trevor Pinch, Steven Shapin et Simon Schaffer.

5 Très vite le chercheur s’engage, en collaboration avec Michel Callon, dans une intense activité de traduction et d’acclimatation, de mise à disposition et de présentation en français. Ils publient ensemble une anthologie de la sociologie des sciences de langue anglaise, La science telle qu’elle se fait[8], et s’attachent à développer pour leur propre compte la théorie de « l’acteur-réseau » au sein du Centre de sociologie de l’innovation de l’École des Mines de Paris. Il leur importe au plus haut point de tenir compte de tous les acteurs qui entrent dans la construction des faits scientifiques. De ce point de vue, ils refusent de distinguer humains et non-humains, comme le faisait la philosophie des sciences classique. Sujets et objets sont autant d’« actants » qui entrent en relation au sein de réseaux hybrides, relevant à la fois du social et de la nature [9].

6 Mais comment se fait-il qu’une telle activité se soit déployée en France et en langue française ? B. Latour n’était-il pas parti aux États-Unis ? Ses trois premiers ouvrages, Laboratory Life, The Pasteurisation of France, Science in action, n’ont-ils pas été écrits directement en anglais ? C’est que, dès cette époque, il se demande où atterrir. Plus tard, il formulera la même question pour l’humanité entière à l’ère de l’anthropocène, dans l’ouvrage justement titré Où atterrir ?[10]. Mais elle s’est d’abord imposée à lui comme une question personnelle : il eut bien du mal à trouver en France un lieu d’accueil académique. Parallèlement à son parcours institutionnel peu classique qui le conduira de l’École des Mines à Sciences Po Paris, commence un long cheminement intellectuel qui va le mener de positions fortes en anthropologie des sciences à une philosophie de plus en plus spéculative des modes d’existence.

7 La montée en puissance, qui est montée en généralité, est donc corrélative d’un effort pour atterrir dans l’hexagone. Sans doute les deux mouvements convergent-ils, tendent-ils même à se confondre, tant il désire être reconnu par les penseurs de la French Theory qui ont été ses premiers maîtres. Gilles Deleuze et Félix Guattari sont ainsi cités dès 1974, soit deux ans après la parution de L’Anti-Œdipe, dans le rapport rendu à l’ORSTOM. C’est l’une des deux seules références théoriques, avec Ivan Illich. Encore est-il précisé que ce dernier est sur la même ligne que les premiers, la ligne en question étant de « déterritorialisation [11] ». On peut gager que B. Latour aurait été heureux d’adresser à G. Deleuze et F. Guattari sa première tentative de théorisation en Science Studies, les « Irréductions ». Le ton y est confondant de nietzschéo-deleuzisme, l’auteur y proclamant, comme Deleuze après Nietzsche, que tout est rapport de forces, notamment que les rapports de raison sont eux-mêmes des rapports de force.

8 Le tapuscrit a été envoyé à Jean-François Lyotard, l’autre grande figure de l’université expérimentale de Vincennes. Mais ce dernier objecte à B. Latour que toute science n’est pas rapport de force rhétorique, et que Latour se contredit au moment même où il avance ses arguments. Car alors il argumente, comme font les savants, et il n’est pas dans la séduction, comme le sont les rhéteurs [12]. Il n’y a donc pas moyen d’atterrir chez J.-Fr. Lyotard. B. Latour s’en souviendra, qui déclarera en 1991 ne pas avoir trouvé de « mot assez vilain pour désigner ce mouvement ou plutôt cette immobilité intellectuelle par laquelle on abandonne les humains et les non-humaines à leur dérive », et qui n’est autre que la « condition postmoderne » dont J.-Fr. Lyotard est le chantre [13]. Il est vrai que B. Latour défend alors la thèse selon laquelle « nous n’avons jamais été modernes ». Nul besoin de chercher à venir après le moderne, à développer notre pensée par-delà la modernité. Il faut et il suffit de reconnaître que jamais personne n’a souscrit aux axiomes de la modernité, en particulier à son axiome de purification qui voudrait que la scientificité se déploie en marge de la politique et de la société. On comprend que la postmodernité soit particulièrement ciblée : le postmoderne croit encore dans le projet de la modernité, alors que B. Latour entend le contourner. Mais refuser d’être postmoderne est une chose, affirmer qu’il faudrait éviter une invention lexicale disgracieuse pour en parler en est une autre, qui vise directement J.-Fr. Lyotard.

9 C’est finalement Michel Serres qui va l’accueillir. Avant de devenir un écrivain reconnu, auteur de succès éditoriaux tels que Petite Poucette, M. Serres a été un épistémologue exigeant, rédacteur d’une thèse sur « le Système de Leibniz et ses modèles mathématiques » (1968) et d’articles novateurs repris dans la série des Hermès (1968-1980). Dans les années 1970, son nom est associé à ceux de G. Deleuze et F. Guattari par de jeunes chercheurs désireux de sortir du carcan de la « tradition épistémologique française ». Pour la chercheuse belge Isabelle Stengers, M. Serres est un de ces penseurs issus du structuralisme susceptibles de contribuer à une « nouvelle alliance » entre science et philosophie [14]. Il se trouve qu’il a été rejeté de la philosophie pour crime de lèse-majesté épistémologique : il a osé critiquer Gaston Bachelard, et Georges Canguilhem, qui a succédé à ce dernier à la Sorbonne et à l’Institut d’histoire des sciences et des techniques, ne l’a pas supporté. M. Serres sera élu professeur d’histoire des sciences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Qu’à cela ne tienne, il va essayer de bousculer la philosophie française des sciences depuis son flanc historique. Il réunit une pléiade d’auteurs prometteurs et leur propose de contribuer à des Éléments d’histoire des sciences. I. Stengers et B. Latour sont de l’aventure : chacun d’eux donnera deux textes. À partir de ce moment, il y aura entre eux « double capture [15] », comme disent les deleuziens : processus de devenir singuliers quoique strictement et constamment corrélés.

10 Après les Éléments d’histoire des sciences, il paraît essentiel à B. Latour de mettre en valeur l’originalité du travail de M. Serres dans le champ des sciences sociales. Cela passera par des « éclaircissements » sur ses positions d’histoire et de philosophie des sciences. Mais l’échange se fait presque d’égal à égal, et on apprend autant sur l’historien philosophe que sur ce que B. Latour souhaite retenir de lui à ses propres fins philosophiques. Fait significatif, ce dernier fait fréquemment référence à l’horizon intellectuel et institutionnel états-unien qui fut d’abord le sien, pour souligner le contraste qu’il offre avec les débats français, ou plutôt l’absence de débats en France, alors que c’est le quotidien de la vie académique dans le monde anglo-saxon [16].

11 La mobilisation ne se fait pas attendre : Nous n’avons jamais été modernes se place sous le pavillon de M. Serres. L’usage très libre que fait alors B. Latour de ses anciens alliés des science studies lui attire leurs foudres : c’est la rupture avec le « programme fort » de sociologie de la connaissance de D. Bloor, alors même qu’il s’agissait seulement – prétend-il – de « généraliser » le « principe de symétrie », de l’étendre des cultures aux natures et de proposer, en sus du « multiculturalisme » de D. Bloor, ce qu’il appellera bientôt un « multinaturalisme [17] ». Il ne faut pas seulement dire qu’il existe plusieurs façons, culturellement déterminées, de considérer la nature, mais que nature et culture se répondent ou s’articulent au sein d’« ontologies à géométrie variable [18] ». La culture (ou les cultures) et la nature ne se font pas face comme se font face les sujets et leurs objets. Dans les ontologies, les uns et les autres sont en effet agencés ou mis en réseaux, et ils méritent bien plutôt le nom, que l’on doit à M. Serres, de « quasi-sujets » et de « quasi-objets » [19].

12 D. Bloor ne l’entend pas de cette oreille. Il ne comprend pas qu’on puisse lui reprocher son « culturalisme » alors qu’il n’a cessé de faire valoir le « naturalisme » de son approche causale des sciences [20]. Reconnaissons toutefois que B. Latour met en avant un autre type de naturalisme, non pas celui, encore épistémologique, qui permet d’expliquer le rapport de connaissance qu’un sujet entretient avec des objets, mais celui, cosmologique, qui parviendra à restituer le sens des relations que sujets et objets, entités de culture et entités de nature, développent au sein d’un monde où ils cohabitent. Dans cette place d’acteur, et presque de personne, accordée à la Nature, on peut voir en germe la conception que Latour développera bien plus tard, à la fin de sa vie, en relançant « l’hypothèse Gaïa » de James Lovelock : la voix de la Terre mérite de retentir au cœur de nos débats écologico-politiques. Nous sommes entrés dans un « nouveau régime climatique » dont le philosophe cosmologue doit rendre raison et se faire le héraut [21].

13 De ce point de vue, les interactions avec l’anthropologue Philippe Descola auront été décisives. C’est parce que B. Latour a lu et médité la thèse de Ph. Descola La Nature domestique qu’il a pu reprocher à D. Bloor d’être demeuré culturaliste, de s’être contenté de varier les sens du culturel alors qu’il aurait fallu généraliser le principe de symétrie en l’étendant aux natures [22]. Ph. Descola a en effet découvert chez les Indiens Achuar d’Amazonie que la nature peut ne pas être « domestiquée », c’est-à-dire soumise à des hommes qui voudraient s’en rendre comme « maîtres et possesseurs », mais qu’elle peut être « domestique » : un élément de la vie « sociale » à prendre en considération si l’on veut composer un bon monde commun, humains et non-humains compris [23].

14 Mais l’interaction est à double sens, car Ph. Descola doit certainement à B. Latour d’avoir élaboré sa vaste « anthropologie de la nature ». L’anthropologue partait en effet de loin, en l’occurrence du « naturalisme » de l’esprit de son maître Claude Lévi-Strauss – comprendre : d’un « matérialisme » qui relève de l’ontologie moderne. Sans doute est-ce la conception que B. Latour se faisait de son travail qui a poussé Ph. Descola à sauter le pas et à faire une place, en marge du naturalisme des modernes, à une foule d’autres ontologies, dont l’ontologie animiste des Achuar, pour le conduire finalement au tableau des quatre ontologies développé dans Par-delà nature et culture. Dans cet ouvrage, B. Latour figure au premier rang des remerciements, et à des moments cruciaux de l’argumentation [24]. Les deux hommes demeureront très amis, jusqu’à la fin [25].

15 Par-delà ces découvertes anthropologiques et leur réinterprétation dans les termes philosophiques de Michel Serres, Bruno Latour prend, ou reprend, une tangente métaphysique, qu’il ne va cesser d’approfondir. « Reprend », car il se pourrait que le ver spéculatif, non pas seulement métaphysique, mais bien théologique, ait été dans le fruit théorique dès le départ, immédiatement après l’agrégation, avec sa thèse de théologie soutenue à Tours. Certains socio-anthropologues l’ont récemment soutenu [26]. Mais sur la base d’une analyse purement textuelle consécutive à la publication de Nous n’avons jamais été modernes, D. Bloor ne disait pas autre chose dans son « Anti-Latour ». En quoi consiste cette tangente métaphysique ? En une dissolution de tous les mots utilisés ou mobilisés jusqu’ici, en un refus des dualités qui ont toujours structuré nos discours, nous Modernes qui nous opposons aux Autres : l’emprunt de la tangente s’adosse à un diagnostic historique et anthropologique, il semble découler de la contestation d’un « Grand Partage » entre « Eux », les Autres, et « Nous ». En réalité, de la dénonciation du « Grand Partage » au diagnostic sur la Modernité et à une enquête de portée tout à fait générale sur les Modernes, il y a un pas, déjà un saut, qui devrait inciter le lecteur à la plus grande prudence : l’affrontement local aux procédures anthropologiques modernes de disqualification des Autres ne mène pas nécessairement à une fresque historico-critique sur la Modernité. Nous y reviendrons.

16 L’intérêt réside surtout dans la stratégie alors mise en place. Les syntagmes eux-mêmes vont évoluer au gré d’influences variées. Mais celles-ci ont pour dénominateur commun d’être puisées au cœur de l’œuvre de G. Deleuze, et le geste théorique est presque toujours le même : B. Latour renvoie toutes les réalités données à un sol plus profond, à un terrain antérieur aux séparations. Son œuvre, une fois pris ce tour spéculatif, témoigne d’une grande homogénéité dans les opérations, par-delà la grande variété dans les objets et les formulations. Hegel cherchait avec sa dialectique à dépasser les oppositions par le haut, B. Latour le fera par le bas, en creusant sous les oppositions pour revenir à leur racine commune, à leur origine biface, à leur source unique. Il parle d’abord d’« Empire du Milieu [27] », et, avec M. Serres, de « quasi-sujets » et de « quasi-objets ». Au passage, il égratigne la « déterritorialisation ». Mais qui ne voit que la reconduction à un « fond sans fond », à une origine sans fondement, est précisément l’opération que Deleuze appela d’abord « effondement [28] », et qu’il rebaptisa avec Guattari « déterritorialisation » ? On est d’ores et déjà conviés au mouvement d’un dépassement sans sursomption, à un saut sans relève, équivalant à un abandon des oppositions par forage souterrain.

17 Il est révélateur qu’on assiste très vite au retour de la référence deleuzienne. Il est le fait d’Isabelle Stengers, rencontrée lors de la préparation des Éléments d’histoire des sciences. Elle vient d’un horizon d’histoire des sciences et d’épistémologie plus classique. Mais elle a des visées très politiques, et elle est deleuzienne. C’est d’elle que va venir le mouvement des reformulations deleuziennes successives. S’enthousiasmant pour Nous n’avons jamais été modernes, I. Stengers souhaite organiser une rencontre avec F. Guattari. G. Deleuze s’est-il dérobé ? On sait que ce dernier sort peu, que ses rencontres et ses voyages sont surtout immobiles : il n’y a pas plus sédentaires que les nomades, aime à dire ce défenseur du nomadisme en philosophie. À cet égard, son compère Félix Guattari est bien différent, il est l’homme des groupes révolutionnaires et des débats contradictoires, et, dès les premiers échanges avec Gilles Deleuze en 1969, il avait voulu l’entraîner dans des discussions, des tables rondes et des assemblées générales. Ce dernier s’y était refusé.

18 Mais la rencontre entre B. Latour et F. Guattari n’aura pas lieu, car ce dernier meurt brutalement en 1992. I. Stengers décide de dédier L’Invention des sciences modernes à la rencontre qui n’eut pas lieu, et elle orchestre elle-même la mise en convergence des philosophèmes. L’appel latourien à un « Parlement des choses » dans Nous n’avons jamais été modernes, explique-t-elle, relance la découverte d’un « production collective de subjectivité » au sens de Guattari [29]. Que ce rapprochement soit fondé ou non n’importe pas. L’essentiel est que B. Latour soit pris comme on est pris par un sorcier, envoûté par la « philosophe de l’exigence » qu’est à ses yeux I. Stengers [30]. Dès lors, il ne cesse d’interagir avec I. Stengers, au point qu’un de leurs amis communs, Philippe Pignarre, a pu montrer, citations à l’appui, qu’ils avaient élaboré des œuvres à la fois différentes et jumelles, parallèles et constamment parentes [31].

19 Après L’Invention des sciences modernes, dans ses Cosmopolitiques de 1996-1997, I. Stengers approfondit cependant sa lecture de B. Latour et pointe une difficulté : de quel droit juge-t-il que les Modernes ont su cartographier et conquérir le monde après l’avoir sillonné, qu’ils sont parvenus ainsi à créer des réseaux aussi longs que résistants, en comparaison desquels les mondes sauvages paraissent bien étroits, et leurs réseaux bien courts ? « Malédiction [32] ! » En triant les réseaux comme un jardinier trierait ses plants, en disqualifiant ce faisant les réseaux non-modernes, le penseur s’est révélé encore moderne. Il faut, disait Deleuze, « en finir avec le jugement [33] ». C’était tout l’enjeu de la recherche initiale de B. Latour : constater l’asymétrie entre les prémodernes et les modernes, Eux et Nous, les réseaux courts d’un côté et les réseaux longs de l’autre, et la considérer non pas comme un principe ou fondée sur un principe – les Autres sont primitifs, irrationnels, prélogiques ; Nous sommes civilisés, rationnels, scientifiques –, mais comme un résultat, et se mettre en quête des raisons empiriques, historiques, de ce résultat, par une étude patiente, « socio-logique », de la construction des réseaux, de l’invention des associations [34].

20 Face à la critique qui est une « critique » de la critique, il fait machine arrière. Dans ses Politiques de la nature, dédiées à la « philosophe de l’exigence » qu’est I. Stengers, il n’exigera rien des prémodernes, il ne leur dira pas que leurs réseaux sont trop courts, et il ne célèbrera pas la longueur résistante des réseaux modernes. Il se fera diplomate, et il invitera les humains non-modernes à entrer dans le collectif comme ils sont ou comme ils veulent être, à participer sur le mode qui leur convient au « bon monde commun » que nous avons à construire ensemble [35].

21 Inspiré par la philosophe, il traduit ses enquêtes de terrain en termes whiteheadiens, notamment ses enquêtes sur Pasteur et sur le couple Joliot-Curie. Il y a un bénéfice à cette traduction. Alfred North Whitehead décrivait le monde comme un ensemble d’entités, qu’il nommait « entités actuelles » ou « occasions actuelles ». C’était, pour lui, l’effort pour s’installer au-delà de la physique, et pour rendre raison spéculativement, depuis cet au-delà, de la physique elle-même, en renonçant à la « bifurcation de la nature » entre qualités primaires et qualités secondaires, à laquelle s’adosse l’ontologie de la science moderne occidentale. Ce sera, pour B. Latour, la possibilité d’exprimer son dépassement de l’opposition de la Nature et de la Culture, de la Science et de la Politique : il n’y a plus ni humains ni non-humains, mais seulement des entités, toutes émergeant du même bain – en l’occurrence, dans le cas de Pasteur, d’un « bain d’acide lactique », si l’on en croit la reprise whiteheadienne de l’étude sur la pasteurisation du monde [36].

22 Mais la généalogie philosophique élective tirée de l’œuvre de G. Deleuze fournit à B. Latour d’autres lexiques encore pour traduire les découvertes d’anciens et de nouveaux terrains. Depuis le milieu des années 1980, ce dernier cherchait une formulation dynamique des relations entre science et société. Il jugeait alors pouvoir identifier dans les rapports de raison avancés dans les sciences les rapports de force qu’on croit généralement réservés aux sociétés. Pour concevoir cette équivalence, il avait pu bénéficier du vocabulaire nietzschéen des forces, déjà présent chez Deleuze. Grâce à celui-ci aussi, il était remonté à Leibniz : dans « Irréductions », il décrivait les centres de force comme des « entéléchies » ou des « monades » au sens de Leibniz [37]. Sans doute ces concepts résonnaient-il étrangement dans le milieu de la sociologie des sciences de langue anglaise, témoignant d’une hybris spéculative peu commune au cœur des recherches empiriques les mieux ordonnées.

23 Dans l’entourage d’I. Stengers se trouvent cependant des collègues qui travaillent à réhabiliter une œuvre singulière très prisée par G. Deleuze, celle de Gabriel Tarde. C’est notamment le cas d’Éric Alliez, engagé dans la réédition des œuvres complètes de Tarde chez l’éditeur Les empêcheurs de penser en rond. On n’a retenu de ce dernier que la défaite de sa « psycho-sociologie » face à la puissante école durkheimienne. Mais, explique Deleuze, l’œuvre de Tarde ne représente pas l’effort vain d’articuler deux champs des sciences humaines, la psychologie et la sociologie. G. Tarde se préoccupe peu de ces formations « molaires », il travaille sur du « moléculaire » : il développe une « microsociologie » entendue comme articulation de la positivité de l’expérience sociale et de la profondeur métaphysique d’une monadologie. Dans le social, tout va à l’infini, jusqu’à l’infiniment petit, et les monades sont les points de butée moléculaires de la remontée au fondement des comportements et des institutions [38]. C’est exactement ce dont Latour avait besoin depuis « Irréductions » : ne rien réduire, ni au social ni au rationnel, mais tout faire remonter, comme G. Tarde avait eu l’idée de le faire, aux monades de Leibniz, et assumer spéculativement l’agencement entre monadologie et sociologie. « Pourquoi viens-tu si Tarde ? », se demande Latour [39]. Mais mieux vaut Tarde que jamais, et mieux vaut Tarde que personne. Avec G. Tarde, B. Latour peut reprendre le chantier laissé en plan de sa « socio-logique », et produire la traduction spéculative satisfaisante de l’anthropologie sociale des sciences de ses débuts. Ce sera Changer de société. Refaire de la sociologie[40].

24 Une dernière boucle à la fois sémantique et spéculative mène à l’œuvre d’Étienne Souriau. Depuis longtemps déjà I. Stengers est persuadée que ce dernier est le véritable maître de G. Deleuze. Lorsque, dans Qu’est-ce que la philosophie ?, Deleuze et Guattari font référence à la création de concepts – car philosopher, c’est créer des concepts –, ils en appellent à une précondition de la création qu’ils nomment « instauration d’un plan d’immanence [41] ». Ce plan est celui de l’image de la pensée qu’il faut présupposer chez les philosophes pour que la création d’un concept puisse avoir lieu. À propos de l’instauration, une note précise qu’un auteur s’est intéressé à elle, Étienne Souriau, qui publia en 1939 un livre malheureusement jamais reparu depuis lors, L’Instauration philosophique[42].

25 Quel rapport exactement entre ce maître de l’esthétique de la Sorbonne d’après-guerre et le pop’philosophe de l’université de Vincennes qu’est G. Deleuze ? Peu de choses en vérité. Celui-ci n’a eu que très peu affaire à É. Souriau, dans son parcours institutionnel comme dans son œuvre philosophique. Cela aurait pu être le cas, comme cela le fut pour certains de ses proches, les philosophes de l’art Olivier Revault d’Allonnes et Mikel Dufrenne, qui ont collaboré de longues années avec É. Souriau au sein de la Société française d’esthétique et de la Revue d’esthétique[43]. Quant aux références et aux réflexions de Deleuze et Souriau, elles ont également peu à voir. Quand le premier loue la force de l’art et sa capacité à défaire toute formation molaire, le second est constamment attentif à l’émergence des formes esthétiques à même l’existence [44].

26 Mais laissons là ces difficultés d’histoire de la philosophie. Essayons de voir ce que B. Latour veut retenir après I. Stengers. La leçon d’É. Souriau tient en un concept, celui de « mode d’existence ». Les problèmes que ce dernier affrontait se situaient à l’intersection de l’esthétique et de l’ontologie, de la théorie du beau et de la philosophie de l’être. Très concrètement, le philosophe de l’art se demandait comment concevoir le mode d’existence de la Joconde avant que Léonard de Vinci ne la peigne. Existait-elle ou pas ? Et si oui, selon quel mode ? Virtuel ? N’est-il pas clair qu’elle accède à un mode d’existence plein et entier sous les pinceaux de Léonard ? Léonard en tant que peintre et Mona Lisa en tant que figure peinte naissent d’un seul et même mouvement dans le moment où l’œuvre advient [45].

27 Toutes choses égales par ailleurs (mais le problème est justement de savoir jusqu’à quel point la situation est comparable), B. Latour se demande s’il y a un sens à parler de l’existence des microbes avant Pasteur. Pour lui, Pasteur invente les microbes : leur existence, avant lui, n’était que virtuelle, et Pasteur les fait passer à l’existence en les inventant. Mais la contrepartie humaine à cette actualisation d’entités non-humaines est essentielle : Pasteur, le Pasteur que nous connaissons comme l’inventeur des microbes, n’existait pas davantage comme inventeur. Il existait seulement à titre de virtualité. C’est tout un monde qui est passé à l’existence avec l’invention des microbes. Ce monde comprend Pasteur, les microbes, mais aussi bien nous-mêmes, dans la mesure où notre monde est un monde pasteurisé. Nous continuons d’évoluer dans le monde où Pasteur et les microbes sont nés, où ils ont été « instaurés », et où leur apparition simultanée continue de produire ses effets. La connaissance était l’objet de l’épistémologie. Il faut lui préférer l’étude ontologique de la « co-naissance » d’humains et de non-humains [46].

28 Tel est le principe de la transposition d’É. Souriau par B. Latour, mise en œuvre dans l’imposant massif de l’Enquête sur les modes d’existence[47] où il s’interroge sur le type d’objet que promeut chaque pratique, le genre d’existence que fait valoir chaque régime disciplinaire, les sortes d’entités, humaines et non-humaines, co-naissant avec l’émergence d’un mode qui est indissolublement création d’un monde : l’homme de science et ses « hard facts », l’artiste et ses œuvres, le croyant et son Dieu, etc. Aussi bien s’agit-il du problème de la diversité des « programmes de vérité » – selon les termes de Michel Foucault et de Paul Veyne – que Bruno Latour affrontait au début de sa carrière ; problème dont l’explicitation avait donné lieu dans les années 1990 à la symétrisation du multiculturalisme et du multinaturalisme.

29 On pourrait se demander s’il est bien question dans l’Enquête sur les modernes de « co-naissance » ou d’« instauration » dans le sens technique et peu courant d’É. Souriau. N’a-t-on pas davantage affaire à une investigation sur des « jeux de langage », des « genres de discours » ou encore des « cités » au sens de certains sociologues contemporains dont B. Latour fut proche [48] ? Si le multi- ou le pluri-disciplinaire forme bien le point de départ de l’enquête (le fait religieux de la Religion, le fait économique de l’Économie, le fait politique de la Politique, etc.), à chaque fois, il double le disciplinaire de considérations ontologiques. Car les registres, les régimes ou les disciplines ne font pas seulement intervenir des mots, mais aussi des êtres, pas seulement des phrases, mais aussi des réalités, pas seulement de l’humain, mais aussi du non-humain. Le registre sémiotique est toujours lesté d’une épaisseur ontologique.

30 La boucle se trouve ainsi bouclée. L’exégèse des mots des disciplines ou des régimes a fini par déboucher sur une ontologie feuilletée des différents modes d’existence. L’Enquête sur les Modernes est parvenue à déjouer la délégitimation moderne des croyances non-scientifiques et de leurs objets – ce pour quoi, peut-être, elle avait été entreprise et si obstinément poursuivie depuis le milieu des années 1970. « Exégèse et ontologie », tel était, on s’en souvient, le titre de l’enquête menée dans la thèse de troisième cycle de B. Latour. Il lui aura fallu le grand détour par les sciences et l’anthropologie des sciences dans les années 1980 et 1990 pour mettre à bas le « Grand Partage », en identifiant la fabrique non-moderne des croyances et la fabrique de la disqualification scientifique des croyances. Le mieux qu’il pouvait espérer d’une simple levée de la disqualification, c’était qu’on le laisse croire – croire en son Dieu comme d’autres, des savants, croient en leurs objets de science. Ce n’était pas assez, il fallait qu’au-delà même de sa croyance, et indépendamment d’elle, soit reconnue la subsistance de son objet divin, aussi subsistant à ses yeux que l’objet des sciences aux yeux des savants. D’où le détour, par-delà l’exégèse des textes scientifiques, vers l’ontologie des modes d’existence des objets, qu’ils soient scientifiques ou non. L’Enquête sur les Modernes a finalement retrouvé Dieu, ou plutôt elle l’a enfin trouvé.

Discussion critique : deux points de blocage qui n’en font qu’un

31 Raison et politique, telles sont les deux questions sur lesquelles pourrait porter la discussion de l’héritage de B. Latour. Ces deux questions ne font qu’une. En considérant les productions connaissantes sans renoncer au point de vue de la raison, on est très vite conduit à des considérations cosmopolitiques ; dans les cosmopolitiques mêmes, un certain usage de la raison doit permettre d’évaluer la forme et la force des logiques inventées puis mises en réseau.

32 Tout d’abord, on peut regretter que le chercheur ne soit pas resté sur le chemin de l’anthropologie des sciences, qu’il ait cru pouvoir réfuter l’idée d’une logique des savoirs au profit de « socio-logiques » différenciées responsables de la production des réseaux, réseaux courts prémodernes d’un côté, réseaux longs modernes de l’autre. Pour comprendre ce qu’il a fait, et ce qu’il aurait pu ou dû faire, on repartira des travaux de D. Bloor, dont il était lui-même parti. Ce dernier, commentant pas à pas l’œuvre anthropologique d’Edward Evan Evans-Pritchard, ne déclarait pas l’inanité de toute logique, mais affirmait que la logique est « négociation informelle » ou « système d’enregistrement » après coup d’identifications effectuées dans le champ de l’expérience [49]. B. Latour dirait volontiers que tout le contenu de la connaissance se ramène au contexte. Toutefois, si la matière de la connaissance est bel et bien prélevée sur l’expérience, et une expérience dont on aurait tort de décréter a priori qu’elle est sociale plutôt que naturelle, sa forme même n’est pas donnée avec l’expérience, ou en tous les cas pas avec la matière de l’expérience : matière et forme s’articulent ou s’ajointent sans se réduire l’une à l’autre. Il y a lieu en effet de définir la logique comme art de penser ou art de négocier, comme méthodologie du maniement formel de contenus prélevés sur l’expérience. Or, si le contenu est social ou naturel, la forme elle-même est psychique ou de l’esprit, sans qu’il faille pour cela arracher l’esprit à la nature. Et si l’étude du contenu appelle des « socio-logiques », celle de la forme elle-même relève d’une « psycho-logique ». Il faut s’enquérir des formes que les gens mobilisent pour penser, après qu’ils ont dégagé de l’expérience la matière de leurs pensées. On aura soin de préciser que la forme des pensées est encore dans notre expérience. Elle apparaît dans l’expérience de l’anthropologue de la connaissance, mais elle représente l’apport propre des sujets à la connaissance, à côté de l’autre source, située non dans les sujets mais hors d’eux, dans la société ou dans la nature.

33 Pourtant B. Latour ne s’y arrête pas. Il préfère renvoyer dos à dos les « rationalistes », ceux pour qui il y a une logique et une seule et les « relativistes », ceux pour qui, à défaut de pouvoir reconnaître l’existence d’une seule et unique logique, il faut admettre l’absence de toute logique [50]. Sans doute dans cette première critique n’a-t-il pas tout à fait tort. Mais pourquoi en déduire un « relationnisme » qui fonderait toute « socio-logique », pourquoi prendre prétexte des relations qui se tissent au sein d’un réseau social pour procéder à une égalisation ontologique de l’humain et du non-humain sur un plan d’immanence spéculatif ? S’il s’en était tenu à l’expérience, à cet « empirisme » auquel il appelait encore les tenants de la « métaphysique » dans certaines de ses pages des années 1980 sur le « Grand Partage [51] », il aurait peut-être aperçu, à même l’expérience, la possibilité d’un travail sur la corrélation des apports formels du sujet de la connaissance et de l’épaisseur matérielle de l’expérience. D. Bloor, rappelons-le, lui avait précisément reproché de vouloir faire l’économie du schéma sujet-objet. Mais il avait surtout lu et travaillé le livre sur Pasteur et Nous n’avons jamais été modernes[52]. Il n’avait pas suivi de près la lecture de ses propres travaux que B. Latour propose dans La science en action, ni le décrochage malheureux de celui-ci, au cœur de cette lecture, en direction d’une ontologie déconnectée de toute analyse logique. S’il l’avait fait, il lui aurait encore fallu revenir sur sa propre éviction de la psychologie : l’idée même de « négociation informelle » oblige à la réintroduire dans son tableau de la logique [53].

34 Un ultime point serait à préciser, il concerne le rapport très singulier que B. Latour entretient avec la politique. Il semble en effet que son analyse des sciences implique un individualisme de méthode qui, s’il a des racines cosmologiques, a surtout des effets cosmopolitiques. Cet individualisme est celui des entités dont le monde est fait, et il témoigne d’une cécité au regard de la nature exacte des rapports de force, de la forme des rapports qui est elle-même inscrite dans l’expérience. On objectera qu’il a insisté sur l’existence des rapports de force, en proposant très tôt de les substituer aux rapports de raison. Certes, mais qu’est-ce qu’un rapport de force selon Latour ? C’est un rapport individuel, éventuellement interindividuel, mais jamais plus que cela. Latour se situe à un niveau monadologique ou inter-monadologique, mais il ne va pas plus loin. N’a-t-il pas souligné pourtant l’importance des réseaux d’une part, du collectif d’autre part ? Le problème est qu’un réseau n’est jamais chez lui qu’une articulation ou un agencement d’entités toutes individuées et toutes nettement séparées. Le collectif, à son tour, n’est qu’une collection d’entités d’abord juxtaposées, ensuite liées ou connectées en vue de composer un bon monde commun.

35 Autrement dit, en travaillant sur le réticulaire ou le rhizomatique, il s’installe à un niveau microsocial qui ignore les déterminations macrostructurelles : pour lui, de telles déterminations n’importent pas. Ne va-t-il pas de soi cependant que les réseaux se moulent ou se coulent dans des structures préexistantes, et qu’ils déterminent à leur tour, une fois solidement fixés, des structures aptes à forcer de nouvelles entités à se former en elles, à se mouler sur elles, à se laisser déterminer par elles ? Les structures tantôt sont données, tantôt se donnent. Il y a les structures déjà formées quand commence pour nous le jeu social ou socio-logique, et la transformation, la réforme ou la reformation des structures à mesure que le temps passe et que nous-mêmes évoluons dans le jeu.

36 Qu’est-ce qui l’empêche de l’admettre ? Sans doute son parti pris empiriste initial, et la retenue nominaliste qu’il impose pour commencer : pour étudier la fabrique des sciences, il faut partir avec l’équipement ontologique le plus léger possible, et ne tenir compte d’abord que de ce qu’il y a. Et ce qu’il y a au premier abord, ce sont des individus. Et cependant, n’est-il pas clair qu’avec les individus et leurs forces sont données des formes supra-individuelles, qui ont leur force propre ? Elles aussi sont données dans l’expérience. Et sans doute Latour n’est-il pas loin de le reconnaître dans sa description finale des réseaux longs, quand il retrouve leur solidité et leur puissance, enfin expliquées par le suivi dans l’expérience de leur constitution pas à pas. C’est cette solidité et cette puissance qu’il oppose aux réseaux courts, mais précisément pas comme un donné : comme un construit. Il les retrouve malgré tout, il ne les ignore pas : l’asymétrie existe entre les réseaux considérés comme des « touts ». Son seul souci, rappelons-le, était de ne pas mettre l’asymétrie au principe de l’histoire des sciences, mais de la tenir pour le résultat d’un processus socio-logique complexe. Il est clair cependant qu’au terme du processus, il y a du pouvoir, il y a de la puissance, et cela parce que les réseaux font structure, exercent une contrainte ou tendent à imposer leur forme. Sans doute est-ce l’indifférence aux structures qui a attiré sur B. Latour les foudres de Pierre Bourdieu, dans l’une des dernières polémiques intellectuelles en lesquelles ce dernier s’engagea [54]. Mais si P. Bourdieu a raison de pointer les lacunes de l’approche de B. Latour, il peine à reconnaître ses mérites, bien réels : il faudrait en effet pouvoir compléter l’analyse bourdieusienne des structures par le souci latourien de rendre raison de la construction de nouvelles structures.

37 C’est le paradoxe de l’intervention d’I. Stengers : en déclarant qu’il ne faut pas juger, qu’il faut cesser de critiquer, qu’en particulier le philosophe ne saurait se placer en surplomb pour sélectionner les traits pertinents ou les caractères résistants des réseaux selon leur type court ou long, elle s’interdit – et interdit à B. Latour – de condamner l’emprise des réseaux modernes constitués en structure de domination. Il n’y aura plus, dès lors, que des individus, et un retour à une micro-sociologie monadologique d’inspiration leibnizienne, formulée d’abord dans un style nietzschéen, déclinée ensuite dans des lexiques diversement deleuziens (whiteheadien, tardien, sourialien). Il faut en appeler à un Parlement des choses qui permette d’assembler le collectif, lui-même conçu comme somme d’individualités, réunion d’entités toutes diverses, ayant toutes un droit égal à l’existence et à la représentation. Oui, mais alors il n’y a plus que des entités, c’est-à-dire que des individualités. Et l’on ne rencontre plus ni structure ni domination.

38 En réalité, structure et domination perdurent bien évidemment, et bien malheureusement. Mais le cosmopolitiste n’en dira rien, il s’abstiendra de critiquer, il n’ira pas juger. Critique et jugement sont de l’ordre de la réaction et du ressentiment, mieux vaut à son tour construire, affirmer et agir, en appelant à toutes les alliances et à toutes les associations, en se branchant sur tous les réseaux, en en animant et même en en créant soi-même. D’où le point de chute final de B. Latour – il atterrit à Sciences Po Paris. D’où l’intense activité a-critique qu’il y déploie, par la création de laboratoires et de think tanks, par l’invention de partenariats et lancement d’expérimentations en tous genres.

39 La prise en considération de la raison est essentielle à la compréhension de la « socio-logique » ou de l’articulation des « socio-logiques ». Une socio-logique, en effet, ne consiste pas seulement dans le contenu identifié au contexte, dans la matière des réalités qui entrent en réseau, mais dans la manière dont s’articulent les réalités. L’épistémologue n’est pas seulement confronté à des forces ou à des rapports de forces, mais à des formes comme résultantes de ces rapports, comme produites par ces forces. Les manières et les formes sont toujours rationnelles à leur façon, et l’enjeu est de saisir en quoi consiste la rationalité du tour pris par la mise en association. B. Latour le montrait dans les années 1980, tout est rationnel, ou rien ne l’est. Mais finalement, rien ne semblait l’être à ses yeux. Pourtant, à chaque fois, dans chaque situation ou sur chaque site considéré, les gens raisonnent. En se donnant la peine d’explorer les différentes voies par lesquelles chemine la pensée, on parviendra à se faire une idée juste de ce qu’est la raison humaine.

40 Mais tout est alors politique ou débouche sur des questions politiques. Car toutes les formes ne se valent pas, toutes ne donnent pas à entendre de la même façon les forces subsumées, toutes ne donnent pas voix au chapitre aux mêmes réalités. On peut, et même on doit, comparer les formes entre elles, et ce qu’elles rendent possible ou acceptable, et ce que nous, nous devons refuser quand la manière d’enserrer la matière paraît attenter à l’existence des réalités du monde. La structure qui résulte de la mise en réseau peut fort bien ne pas rendre justice à tout, ne pas vouloir comprendre tout, mais exercer sa domination aux dépens de certains, tout en valorisant d’autres.

41 Nous pouvons juger de la forme des formes, et cela après avoir expérimenté au plus près des acteurs – des actants, des agents, des entités – ce qu’ils ou elles ont expérimenté, après avoir restitué ce qu’ils ou elles ont vécu en ayant recueilli leur témoignage, après avoir compris ce dont ils ou elles souffraient et compris ce qui leur ferait du bien. N’en déplaise à I. Stengers, nous pouvons juger, trier, critiquer, et même nous le devons. Mais la raison n’a rien d’une faculté de surplomb. Nous l’exerçons en situation, après avoir jugé des situations en reprenant les raisons de ceux qui se trouvaient engagés, après avoir pesé ces raisons auprès d’eux, et avoir tranché après eux et d’après eux : décidément, certains sont dominés, s’en plaignent et ont raison de s’en plaindre ; d’autres sont dominants, s’en satisfont et ont tort de s’en satisfaire. Parmi ceux-là, se trouvent ceux que nous avons longtemps considérés comme primitifs, prémodernes et prélogiques. Parmi ceux-ci, ceux des savants modernes occidentaux qui croyaient pouvoir impunément formuler des jugements de cet ordre. Nous pouvons dire qu’ils avaient tort.


Mots-clés éditeurs : Grand Partage, Modes d’existence, Pensée critique, Bruno Latour, Socio-logique

Date de mise en ligne : 31/07/2023

https://doi.org/10.3917/ethn.232.0335

Notes

  • [1]
    Bruno Latour, Laurent Godmer et en particulier ici page 119, in David Smadja, 2012, « L’œuvre de Bruno Latour : une pensée politique exégétique », Raisons politiques, 3 (47) : 115-148,
  • [2]
    Voir pages 492-493, in B. Latour, 1989, La Science en action. Introduction à la sociologie des sciences, Paris, La découverte, pour une étude de cas renvoyant au temps de la collaboration avec Marc Augé.
  • [3]
    M. Augé, 1975, Théorie des pouvoirs et idéologie. Étude de cas en Côte d’Ivoire, Paris, Hermann, cité pages 492-493, in B. Latour, 1989, op. cit. et page 137, in B. Latour, 1991, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La découverte.
  • [4]
    B. Latour, 1974, avec la collaboration d’Amino Shabou, Les Idéologies de la compétence en milieu industriel à Abidjan, Abidjan, ORSTOM [http://www.bruno-latour.fr/sites/default/files/02-IDEOLOGIES-DE-COMPETENCE-FR.pdf, consulté le 28 janvier 2023].
  • [5]
    Page 62, in B. Latour, [1983] 1988, « Le Grand Partage », Revue du MAUSS, 1 : 27-65.
  • [6]
    B. Latour et S. Woolgar, 1979, Laboratory Life. The Social Construction of Scientific Facts, Beverly Hills, Sage Publications [1988, La Vie de laboratoire. La production des faits scientifiques, trad. fr. M. Biezunski, Paris, La découverte].
  • [7]
    B. Latour, « Irréductions », in B. Latour, 2001, Pasteur : guerre et paix des microbes, Paris, La découverte : 235-349.
  • [8]
    M. Callon et B. Latour, [1982] 1991, La Science telle qu’elle se fait, Paris, La découverte.
  • [9]
    Voir M. Callon et B. Latour, « Unscrewing the Big Leviathan : How Actors Macrostructure Reality and How Sociologists Help Them To Do So », in K. Knorr Cetina et A. V. Cicourel (dir.), 1981, Advances in Social Theory and Methodology : Toward an Integration of Micro- and Macro-Sociologies, Boston, Routledge and Kegan Paul: 277-303 ; M. Akrich, M. Callon et B. Latour (dir.), 2006, Sociologie de la traduction : textes fondateurs, Paris, Presses des Mines ParisTech.
  • [10]
    B. Latour, 2017, Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, Paris, La découverte.
  • [11]
    Page 75, in B. Latour, Les Idéologies de la compétence en milieu industriel à Abidjan, op. cit..
  • [12]
    Page 35, in J.-Fr. Lyotard, 1983, Le Différend, Paris, Minuit.
  • [13]
    Page 82, in B. Latour, 1991, op. cit., qui songe à J.-Fr. Lyotard, 1979, La Condition postmoderne, Paris, Minuit.
  • [14]
    Pages 70-71 note 1, 177-179, 358 note 1, 387, in I. Prigogine et I. Stengers, [1979] 1986, La Nouvelle Alliance. Métamorphose de la science, Paris, Gallimard.
  • [15]
    Page 9, in G. Deleuze et Cl. Parnet, [1977] 1996, Dialogues, Paris, Champs-Flammarion.
  • [16]
    Page 55, 59, in M. Serres, [1992] 1994, Éclaircissements. Entretiens avec Bruno Latour, Paris, Champs-Flammarion.
  • [17]
    Pages 128-131, in B. Latour, 1991, op. cit., et page : 357 les définitions du Glossaire, in B. Latour, 1999, Politiques de la nature, Paris, La découverte.
  • [18]
    Pages 116-120, in B. Latour, 1991, op. cit.
  • [19]
    Ibid.: 112-116.
  • [20]
    D. Bloor, 1999, « Anti-Latour », Studies in History and Philosophy of Science, 30 (1) : 81-112.
  • [21]
    B. Latour, 2015, Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique, Paris, Les empêcheurs de penser en rond-La découverte ; Bruno Latour et Nikolaj Schultz, 2022, Mémo pour la nouvelle classe écologique, Paris, Les empêcheurs de penser en rond-La découverte.
  • [22]
    Page 62, in B. Latour, 1991, op. cit. ; pages 77, 314, in B. Latour, 1999, op. cit.
  • [23]
    Ph. Descola, 2005, La Nature domestique. Symbolisme et praxis dans l’écologie des Achuar, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme [https://books.openedition.org/editionsmsh/25673?lang=fr, consulté le 10 mai 2023].
  • [24]
    Ph. Descola, 2005, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard : 553, 555, 573.
  • [25]
    Philippe Descola a d’ailleurs pris la parole aux obsèques de Latour. Voir Ph. Descola, « L’éloge de Philippe Descola à Bruno Latour : “Ta pensée audacieuse est devenue la pensée du temps présent” », Le Monde, 3 novembre 2022 [https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/11/03/a-bruno-latour-ta-pensee-audacieuse-est-devenue-la-pensee-du-temps-present_6148386_3232.html, consulté le 10 mai 2023]
  • [26]
    Voir la critique d’Arnaud Saint-Martin : A. Saint-Martin 2013, « Enquête sur les modes d’existence. À propos de B. Latour, Enquête sur les modes d’existence (La découverte, 2012) », Sociologie, 1 (4) : 95-108, et le dossier biographique et intellectuel constitué par Jérôme Lamy : J. Lamy, 2021, « Sociology of a disciplinary bifurcation: Bruno Latour and his move from philosophy/theology to sociology in the early 1970s », Social Science information, 60 (1) : 107-130.
  • [27]
    Pages 171, in B. Latour, 1991, op. cit.
  • [28]
    Pages 92, 296, 352, in G. Deleuze, 1968, Différence et répétition, Paris, Puf.
  • [29]
    Page 182, in I. Stengers, 1993, L’Invention des sciences modernes, Paris, La découverte.
  • [30]
    Sur le concept stengersien de « sorcellerie », voir Philippe Pignarre et Isabelle Stengers, 2007, La Sorcellerie capitaliste. Pratiques de désenvoûtement, Paris, La découverte.
  • [31]
    Voir Ph. Pignarre, 2021, Latour-Stengers, un double vol enchevêtré, Paris, La découverte.
  • [32]
    Page 27, 78-84, 117-124, in I. Stengers, 1993, Cosmopolitiques 7. Pour en finir avec la tolérance, Le Plessis-Robinson, Les empêcheurs de penser en rond.
  • [33]
    Page 158-169, in G. Deleuze, 1993, Critique et clinique, Paris, Minuit.
  • [34]
    Voir pages 471-497, in B. Latour, 1989.
  • [35]
    Pages 275-285, in B. Latour, 1999, op. cit.
  • [36]
    B. Latour, 1994, « Les objets ont-ils une histoire ? Rencontre de Pasteur et de Whitehead dans un bain d’acide lactique », in I. Stengers (dir.), L’Effet Whitehead, Paris, Vrin : 196-217 ; repris modifié in B. Latour, 2001, L’Espoir de Pandore. Pour une version réaliste de l’activité scientifique, trad. fr. D. Gille, Paris, La découverte : 117-150.
  • [37]
    Pages 245, 251, et 254, in B. Latour, « Irréductions », in B. Latour, 2001, « [A]u lieu de force, nous pouvons parler d’entéléchies ou, plus simplement, d’actants » [245] ; [254] pour la référence à Leibniz.
  • [38]
    Voir pages 267-268, in G. Deleuze et F. Guattari, 1980, Mille plateaux. Capitalisme et schizophrénie 2, Paris, Minuit. Voir aussi G. Tarde, Monadologie et sociologie, [1893] 1999, Le Plessis-Robinson, Institut Synthélabo pour le progrès de la connaissance, Coll. Les empêcheurs de penser en rond.
  • [39]
    B. Latour, 2006, « Pourquoi viens-tu si Tarde ? », Chroniques d’un amateur de sciences, Paris, Presses des Mines [https://books.openedition.org/pressesmines/205].
  • [40]
    Pages 25-27, in B. Latour, 2007, Changer de société. Refaire de la sociologie, Paris, La découverte.
  • [41]
    Pages 44 note 6, in G. Deleuze et F. Guattari, 1991, Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Minuit.
  • [42]
    Voir F. Courtois-L’Heureux et A. Wiame (dir.), 2015, Étienne Souriau. Une ontologie de l’instauration, Paris, Vrin, publié dans la collection des Annales de l’Institut de philosophie de l’université de Bruxelles et comprenant des articles de Stengers et de Latour.
  • [43]
    Sur ce point, je me permets de renvoyer aux pages 171-194 de mon livre : Fr. Fruteau de Laclos, 2012, La Psychologie des philosophes. De Bergson à Vernant, Paris, Puf.
  • [44]
    Voir É. Souriau, 1981, L’Avenir de l’esthétique. Essai sur l’objet d’une science naissante, Paris, Alcan, 1929 et G. Deleuze, Francis Bacon, logique de la sensation, Paris, La différence.
  • [45]
    Conférence d’É. Souriau en 1956, « Du mode d’existence de l’œuvre à faire » reprise de É. Souriau, Les Différents modes d’existence, [1943] 2009, Paris, Puf : 195-217.
  • [46]
    I. Stengers et B. Latour, « Le Sphinx de l’œuvre », inSouriau, 2009 : 1-75.
  • [47]
    B. Latour, 2012, Enquête sur les modes d’existence. Une anthropologie des Modernes, Paris, La découverte.
  • [48]
    Voir J.-F. Lyotard, 1983, op. cit., sur les « jeux de langage » et les « genres de discours », et sur les « cités », Luc Boltanski et Laurent Thévenot, 1991, De la justification, Paris, Gallimard.
  • [49]
    Pages 149-150, in D. Bloor, 1982, Socio-logie de la logique. Les limites de l’épistémologie, trad. fr. D. Ebnöther, Paris, Pandore. Cet ouvrage est la traduction de Knowledge and Social Imagery [1976] 1991, Chicago, University of Chicago Press. La parution du livre de D. Bloor témoigne de l’effort mené par B. Latour pour faire pénétrer les science studies dans l’espace intellectuel francophone ; elle répond davantage aux questions qu’il se pose qu’aux descriptions que propose D. Bloor : comment limiter les prétentions de l’épistémologie en faisant valoir la force du social, quelle socio-logique inventer en vue de réduire la logique à l’analyse des associations et des réseaux ?
  • [50]
    Pages 471-474, in B. Latour, 1989.
  • [51]
    Pages 36-37, 40, in B. Latour, 1988, op. cit.
  • [52]
    D. Bloor, 1999, op. cit.
  • [53]
    Sur ce point, je me permets de renvoyer à mon article « Le réalisme sauvage. Logique et ontologie chez les Azandé », in J. Benoist (dir.), 2018, Réalismes anciens et nouveaux, Paris, Vrin : 99-117.
  • [54]
    Pages 55, 59, in P. Bourdieu, 2001, Science de la science et réflexivité, Paris, Raisons d’agir.

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