Notes
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[1]
Cet article a bénéficié des échanges et des discussions du programme Advanced Grant 230347 du Conseil européen de la recherche (erc), programme dirigé par Didier Fassin et intitulé Towards a Critical Moral Anthropology.
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[2]
Le crack (ou free-base) correspond au sel basique obtenu après adjonction de bicarbonate ou d'ammoniaque à la cocaïne. Il se présente généralement sous forme de petits « cailloux » ou de « galettes » (4 à 5 cailloux) qui se consomment le plus souvent fumés, avec une pipe fabriquée artisanalement à partir de doseurs pour servir l'alcool (dosette à pastis).
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[3]
Plusieurs matériaux ethnographiques recueillis à Paris sont ici mobilisés, notamment un certain nombre d'échanges recueillis en observation participante dans différents squats des quartiers de la Goutte-d'Or et de la Chapelle.
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[4]
Cette pratique consiste à couper la drogue ou à vendre un substitut à la place de la drogue.
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[5]
Dès 2005, le Di-Antalvic® composé de paracétamol et de dextropropoxyphène a été retiré de la vente en pharmacie en Angleterre, en Suisse et en Suède en raison d'un nombre important d'intoxications ayant entraîné la mort. Il ne sera retiré de la vente en France qu'en mars 2011.
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[6]
Il convient de souligner ici que je n'ai nullement demandé à Chantal de me raconter sa vie. Celle-ci par ses propos anticipe donc une demande virtuelle à des fins tactiques.
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[7]
Se vénère : s'énerver.
1Nombre de préjugés sociaux associent les toxicomanes à des menteurs, des manipulateurs, des « paumés » auxquels aucune confiance ne peut être accordée. Ces jugements moraux voire moralisateurs transformant le consommateur de drogues en figure incarnée de la tromperie doivent être interrogés [1] . Si ces propos, somme toute généralisants au regard d'une réalité bien plus complexe, renvoient à des peurs profondément enracinées, ils questionnent le chercheur en sciences sociales à la découverte des variations entre les actes et les discours, les faits et les mots.
2Il est vrai que les usagers fragilisés par l'errance, aux parcours de vie déstructurés, composés de ruptures, de violence et d'atteintes à leur individualité, peuvent être tentés de « (se) raconter des histoires », histoires arrangées (anecdotes ou purs fruits de leur imagination) mais qu'ils intègrent dans le récit factuel de leurs parcours de vie, de sorte qu'elles sont inséparables de ce dernier. Inséparables à un double niveau : celui de l'analyse qui peut difficilement départager le récit imaginaire de la description des événements réellement vécus et celui de la structure même du récit de vie dont les raccords sont justement composés de ces petites histoires, qui à la fois donnent cohérence à l'ensemble et peuvent décupler l'intérêt de celui qui les écoute, ou au contraire éveiller ses soupçons.
3La tentation est grande de se créer un faux personnage, de donner à voir une image de soi plus positive. Le jeu demeure délicat car il nécessite une adaptabilité à toute épreuve selon le contexte et les personnes présentes. Il demande également de savoir mettre en scène ses émotions au sein de ces décors précaires des mondes de la drogue.
4Les sociologues et anthropologues qui s'intéressent à l'expérience des personnes vivant dans la précarité soulignent couramment que le mensonge, la fabulation ou la déformation d'événements tiennent une part importante dans les récits qu'ils recueillent. L'onirisme social, chez « les sous-prolétaires à la rue », est parfois présenté comme une solution positive participant à un processus de reconstruction de l'histoire de vie, qui « ressoude et fait sens » [Lanzarini, 2000 : 105]. Mais les difficultés pour analyser et interpréter ces discours oniriques demeurent : « Tout récit est un récit augmenté qui accroît chaque information, dilate un sentiment, étend une posture. Il s'agit de savoir si, au-delà des effets de récit, la dramatisation par les perceptions forme un accès possible à la connaissance des pratiques incertaines et troublées, ces zones obscures et ces modes de vie en rupture qui défient les approches classiques » [Laé et Murard, 1995 : 9-11]. Ce questionnement constitue tout l'enjeu de cet article : montrer que, derrière les apparences du discours irrationnel, la mise en scène des émotions et le jeu du voilement/dévoilement de soi participent à construire du sens à ces interactions « sous influence » à l'intérieur des squats de fumeurs de crack précarisés [2] .
5Bien sûr, ces petits arrangements avec la réalité ne sont pas spécifiques aux pauvres, aux sans-abri ou aux usagers de drogues, et chacun a pu, à un moment ou à un autre, en faire l'expérience dans le récit de soi. Mais, confrontés à leurs propres incertitudes et à un discours institutionnel qui déclare simultanément leurs responsabilités pénale et sanitaire, l'enjeu de ces pratiques discursives n'est-il pas, pour les usagers précarisés et criminalisés, une tentative d'échapper au marquage social qui les enferme dans un régime de culpabilité et l'acceptation de leur condition inégalitaire ?
L'entrée en scène : les coulisses de la méthode
6La recherche présentée ici prolonge un ensemble de travaux ethnographiques portant sur les manières d'être et de vivre d'usagers de drogues précarisés et fortement stigmatisés [Agar, 1973 ; Power, 1995 ; Bourgois, 1996 ; Walrof, 1998 ; Jamoulle, 2000 ; Bouhnik, 2007]. Elle s'appuie sur une approche inductive et sur un ensemble de matériaux (entretiens semi-directifs, échanges informels, observations) recueillis in situ dans la rue et des squats de consommateurs de crack [3] .
7L'immersion dans ce monde de la grande marginalité urbaine, quelles que soient les précautions qui peuvent être prises par ailleurs, reste une entreprise « sans filet ». Elle m'a permis de m'extraire du cadre normatif des institutions (associations de réduction des risques, prisons, hôpitaux), d'accéder directement aux interactions autour de la vente, de l'achat, de l'usage de drogues et de pénétrer d'autres scènes « invisibles », notamment des squats et des lieux de shoot difficiles d'accès à un non-initié.
8La question des limites à fixer à la pratique de l'immersion et aux liens établis avec les différents acteurs d'un tel terrain est restée lancinante. Si l'imposition d'un cadre méthodologique strict est peu appropriée au regard de cette population mouvante, marginalisée et souvent méfiante à l'égard des établis, insérés dans la société [Elias et Scotson, 1965], seule l'évaluation en situation des différents contextes permet de se détacher des appréhensions de sens commun afin de « se frayer un chemin pour tenter de comprendre le rapport des individus à leur vie et à ce qu'ils y mettent en jeu » [Schwartz, 1993 : 268]. Mais l'immersion dans le quotidien des fumeurs de crack est une continuelle mise en danger de soi. Ainsi, lorsque j'accompagne Franck qui veut acheter du crack dans une cour d'immeuble désertée, sans doute n'ai-je pas toutes les cartes en main pour estimer convenablement la situation. Si la pratique de la « carotte » [4] est couramment présentée comme un important facteur de violences entre consommateurs et revendeurs, Franck, qui se présente comme « un des plus grands voyous du coin » et joue souvent du couteau, ne semble pas ici en situation de s'en laisser conter.
9Franck : – T'as quelque chose ?
10Wali : – Pourquoi, tu veux acheter ?
11Franck : – Non, pourquoi, t'as quelque chose ?
12Ayant convenu d'une somme (5 euros pour une moitié de grain de riz de crack), Wali dépose la marchandise sur le couvercle de la poubelle collective de l'immeuble. Le caillou ainsi exposé, ils se défient :
13Franck : – Chez moi, tu me fais payer ça 5 euros, je te tue !
14Wali : – Tout dépend… de la qualité…, bafouille-t-il, visiblement sous l'influence de produits (les yeux mi-clos, il semble s'endormir).
15Franck : – On va voir. C'était quoi le truc que je t'avais acheté la dernière fois ?
16Wali ne répond pas, visiblement embarrassé.
17Franck : – Ça va ou quoi, c'était quoi ce truc ?, sur un ton plus agressif.
18Wali : – Du Di-Antalvic [5] …
19Franck (à moi) : – Il achète du Di-Antalvic, il le fait cuire et ça ressemble au crack.
20Ici, malgré le sang-froid de Franck, l'interaction peut, d'un instant à l'autre, dégénérer en violence. Je n'ai d'autre choix que de prendre les devants et lui demander calmement de m'accompagner vers de nouveaux sites pour désamorcer un éventuel règlement de compte. Mais il n'y a pas de règle pour gérer les tensions : si l'observateur participant doit s'adapter en anticipant sur le déroulement des interactions, sur le moment il n'a pas toujours tous les éléments pour comprendre ce qui se joue et risque de se trouver subitement « pris » au sein des règlements de comptes, voire dans les filets d'une descente de police.
21Si cette évaluation de la situation et de la juste distance demeure subjective, elle est par ailleurs conditionnée à l'établissement de relations de confiance avec les acteurs sur le terrain. Respecter la parole que j'ai donnée, me dévoiler le plus honnêtement possible, ne masquant ni mon origine sociale, ni mon histoire personnelle, ni mes intentions sont autant de préalables qui m'ont permis de créer les conditions d'une confiance réciproque, seule susceptible de m'assurer un minimum de sécurité.
22Franck m'avait ainsi averti : « Dans ce milieu-là, il faut sous-estimer personne, si t'ouvres ton cœur vraiment pour une personne, fais-le à fond, autrement ne le fais pas du tout, autrement c'est lui qui va te baiser. Tu viens dans ce milieu, tu parles honnêtement, tu parles avec ton cœur, il ne va rien t'arriver. »
23Par ailleurs, j'ai souhaité accorder aux usagers de drogues une place active dans le processus de recherche lui-même : lever le voile, tant que faire se peut, sur les aspects les plus opaques de la recherche, notamment sa méthodologie. Certains d'entre eux se sont saisis de cet assouplissement de la recherche pour mettre en place des processus d'interprétation de mon rôle d'observateur.
24Ainsi Franck m'a-t-il un jour déclaré : « Au moins il y a quelqu'un qui s'intéresse à nous, c'est important. Peut-être ton truc il est personnel ou… Mais ça nous donne l'impression qu'au moins il y en a un qui s'intéresse au problème. Parce qu'il y en a qui le sous-estiment ou bien qui le négligent ou bien à qui ça rapporte des profits, mais ceux qui sont dedans ils subissent tout le temps les conséquences. Et vous, vous ne savez pas. Le mec il sait quand une branche de tes cheveux tombe par terre, il le sait. Tu comprends. »
25À un niveau interactionnel, les usagers de crack en errance urbaine expérimentent sans cesse différentes mises en forme de leurs parcours de vie, en mobilisant un langage émotionnel [Fernandez, Lézé et Marche, 2008] pour sensibiliser, impressionner, intimider, déstabiliser l'interlocuteur. Ces postures constituent autant de mises en scène auxquelles j'ai dû m'ajuster en contrôlant mes émotions et en donnant à voir une expression émotive adaptée. Il s'agissait bien sûr de maintenir le lien de confiance avec eux, mais aussi et peut-être surtout de parvenir à une conversion de mon propre regard en essayant de faire miens leurs problèmes et de développer une aptitude à « les comprendre tels qu'ils sont dans leur nécessité singulière » [Bourdieu, 1998 : 1406].
Être initié aux bons délires
26« Tu as besoin d'un guide et je suis ton guide », voilà comment au sortir d'un entretien je fus convié par Franck à me rendre dans des squats de fumeurs de crack de la Goutte-d'Or : « Je vais t'emmener à la grotte et à la quarante… Tu vas rentrer dans un lieu mystique où les gens fument et tu flippes. C'est une espèce de bâtiment, un immeuble où des gens habitent mais tout en haut au dernier étage, il y a une seule toxicomane. C'est pour te dire les dégâts que ça peut faire le crack. Une seule personne qui consomme et qui fait que tout l'immeuble est devenu un endroit pittoresque où tu fumes quand tu y rentres. Normalement s'il y a du monde tu vas bien délirer, tu vas avoir de bonnes conversations [petit rire]. Alors là, on rentre dans le lieu, ça c'est un lieu fatidique. Tu ne parles pas, tu regardes le lieu, tu vois comment c'est ! »
27Franck me présente ainsi cet immeuble, habité essentiellement par des travailleurs immigrés souvent en situation irrégulière qui, selon lui, subissent la présence constante de consommateurs de crack. Ces derniers sont attirés à la fois par un lieu à l'abri des regards, prémunis par avance d'éventuelles dénonciations des résidents (car il est entendu qu'une personne sans papiers n'ira pas porter plainte à la police) et par la venue de dealers potentiels se succédant dans l'appartement de Chantal, une consommatrice de crack séropositive qui squatte un studio au dernier étage.
28Dans les mondes de l'errance, la plupart des usagers de drogues acquièrent un certain nombre de compétences, ils apprennent à emmagasiner les informations sur autrui et à ménager leur propres discours sur eux-mêmes. Même si restreindre l'information sur soi est une donnée importante dans les mondes de la drogue, il est parfois nécessaire d'entrer en connivence avec autrui pour se protéger ou pour partager des pratiques ou des savoirs. Cette connivence ne va pas de soi et relève d'un maniement habile du jeu des émotions.
29La connivence se construit souvent à partir du partage d'un secret : Franck me pré-socialise à un lieu qualifié de mystique et aux véritables relations qu'entretiennent les usagers entre eux. « Tu vas bien délirer », « avoir de bonnes conversations », c'est-à-dire des discussions déviant du sens commun, une autre manière d'être ensemble, d'avoir du plaisir à être ensemble. Flipper c'est perdre ses repères, ne plus avoir de cadres interprétatifs appropriés à la situation, et délirer c'est aussi prendre plaisir à cette perte de repères. Paulo, un autre usager, espère éveiller en moi une curiosité pour un phénomène quasiment paranormal : « Là, si tu rentres, tu vas voir, […] la fille qui fume, elle pleure, elle te dit : quelque chose disparaît en moi ! »
30L'excitation, voire l'euphorie, de celui qui initie à ces savoirs implique une attitude circonspecte de l'initié (« Tu ne parles pas, tu regardes », me répète Franck). Pris sous sa coupe, ce dernier m'assure de sa protection, mais, par la même occasion, me soumet aussi à son bon vouloir. Dès lors l'emprise qu'il a sur moi est plus prégnante, je suis dans une attitude conciliante, contraint de le « ménager ». Il renverse ainsi le rapport de domination, d'autant plus facilement qu'il se présente comme un « vrai caïd ».
Les distorsions imaginaires
31Mais tel qu'il me l'explique lui-même, lui qui a quitté les Antilles pour venir vivre à Paris, partir, voyager, s'exiler c'est aussi un moyen de « délirer », en se construisant un personnage aux antipodes de soi : « Tu peux arriver dans un autre bled, tu peux dire que t'es le fils de Mobutu ou bien de Rothschild, ils vont te croire parce qu'ils ne te connaissent pas, mais dans ton bled ils vont te dire : allez ferme ta gueule t'es un maso, tu dis n'importe quoi. J'ai vécu à Marseille, c'était hum… J'ai déliré. Je suis passé sur Lyon, j'ai déliré. Je me suis éclaté. Mais quand je suis à Saint-Denis ce n'est pas possible, tout le monde me connaît, je suis grillé. »
32Entrer dans des squats de crackers pour la première fois, c'est s'exposer aux « bonnes discussions », se confronter à la multitude de récits, plus ou moins vraisemblables, de ceux qui peuvent ainsi transformer leurs parcours de vie et leurs expériences sans risquer d'être contredits par un nouveau venu.
33M'introduire dans ce squat mystique ne fut pas une mince affaire : marteler ma volonté de ne pas acheter du matos est déjà une entorse à la règle. Après quelques négociations avec Franck, dont je ne connais pas la teneur, Chantal me laisse entrer, peut-être en espérant tirer quelque bénéfice de ma présence. Dès mon entrée, elle se lance dans un monologue en affirmant notamment que Paulo, qui nous accompagne, est son fils adoptif. S'ils semblent à peu près du même âge, tout dissocie Paulo de Chantal, à commencer par leur apparence vestimentaire. Paulo, veste sombre sur chemise noire entrouverte laissant apparaître des chaînes couleur or, plusieurs bagues aux doigts, répète à qui veut bien l'entendre qu'il est le fils d'un haut dignitaire du Cap-Vert. Ce dernier viendrait souvent lui rendre visite, à lui et à sa sœur qui habiterait également le quartier. Malgré ce capital relationnel revendiqué, Paulo passe la plupart de ses nuits dans un centre d'hébergement d'urgence pour usagers de drogues et tout indique qu'il tire de quoi subsister du deal de crack dans la rue. Chantal, quant à elle, est une consommatrice qui vit très pauvrement, séropositive, maigre, le visage émacié, jean éculé et désajusté, pull-over trop ample. Elle squatte dans une chambre d'une dizaine de mètres carrés où elle héberge des jeunes femmes sans domicile qui, selon Franck, se prostituent. Son habitat précaire est jonché de détritus, une ampoule suspendue au plafond pour seule lumière et pour unique ameublement des matelas, visiblement récupérés dans la rue, maculés de diverses souillures et superposés à même le sol. Sans sanitaire, ni salle de bains, il y a bien un évier près de la fenêtre au carreau cassé, mais rien n'indique que l'eau y ait coulé récemment. Chantal revendique vivement ses origines moyen-orientales, elle m'expose des bribes de sa vie tout en essayant de maintenir une intrigue. Elle me confie sur un ton dramatique être allée récupérer Paulo à la dass alors qu'elle-même n'était âgée que d'une douzaine d'années. Un meurtre mystérieux tiendrait le cœur de cette intrigue qu'elle maintient suspendue tout en soulignant les dures épreuves que la vie leur a réservées et les souffrances consécutives qu'ils ont dû endurer. Elle se met alors à pleurer : « Quand tu sauras ma vie, tu pourras faire un bouquin dessus ! C'est pour ça que je te dis que je ne peux pas te dire ça comme ça. On me paye pour savoir ma vie ! » Mêlant rage et tristesse, elle sanglote sans oser me regarder [6] .
34Il s'agit ici de livrer une vision moins banale de sa propre existence pour continuer à exister socialement tout en revendiquant sa valeur sociale (ce qui implique la possibilité de réclamer une rétribution pour son récit de vie). Les émotions ajoutent de l'authenticité aux récits imaginaires. Si je n'ai pas les moyens de vérifier ces informations, c'est leur manque de cohérence, de plausibilité et l'étonnement des autres usagers face à ces déclarations qui indiquent quelques distorsions imaginaires. S'attribuer une autre histoire et lui donner un sens spécifique constituent alors à la fois un jeu et une scène ouverte aux autres acteurs : « Ah ouais, c'est ton fils ? Et depuis quand ? Si c'est ton fils il y a comme un défaut génétique », rétorquera Franck avec ironie.
35Dans ces récits du malheur, la mise en scène des émotions a des effets attendus : stupeur, attendrissement, compassion, etc. Le mécanisme de voilement/dévoilement de soi combiné à la mise en scène des émotions permet de tromper autrui ou de réorienter les échanges, parfois de se justifier sur un registre autre que celui qui est attendu d'eux.
Mises en scène émotionnelles
36Toute interaction se fonde sur le respect de conventions et sur la définition qui est donnée de la situation. Ce socle d'évidences sur lequel s'enracine notre intersubjectivité est vulnérable. Les cadres primaires [Goffman, 2001] sont modulables de sorte que chacun peut donner un sens différent à une activité analogue. À cela s'ajoute le cadre interprétatif que chacun met en œuvre pour orienter les convictions de l'interlocuteur sur le cours des choses. La « mise en scène des émotions » joue un rôle fondamental dans la fabrication de ces cadres interprétatifs.
37Dans un milieu essentiellement masculin, où il faut « ne pas se laisser faire » et « montrer que tu en as », les mises en scène de soi se multiplient. Elles consistent en des excès de colère, en des déclarations d'intention à haute voix (menace, etc.), ou encore en des discours « passionnés » dont l'objectif est de décrire précisément les pratiques de consommation de drogues les plus surprenantes, exposant ainsi la détermination, le dépassement de soi et la résistance de son corps face aux agressions.
38Fortement dévalorisées par la société, les consommations de drogues et les pratiques qui y sont associées deviennent des performances. Par exemple, l'usage des drogues est bien plus qu'une simple activité, il est présenté par les usagers avant tout comme un engagement physique et émotionnel nécessitant une certaine connaissance de soi, un contrôle de son corps et de ses réactions.
39La mise en scène de ces aptitudes fortement valorisées et valorisantes peut être analysée comme un mode de mise à distance des conflits à venir (il s'agit donc pour l'usager de drogues d'un moyen de défier par avance quiconque aurait l'intention de le tromper, de l'abuser, de l'attaquer ou encore de le « balancer » à la police). Dans un monde où la seule règle qui compte est la loi du plus fort, il importe de faire démonstration de sa puissance [Bourgois, 1996].
40Les récits de vie participent souvent à retourner le stigmate associé à l'image des drogués, celui d'individus ayant perdu le contrôle sur eux-mêmes et leur volonté. Bien sûr ces récits sont déformés mais il n'en demeure pas moins que leur sens est souvent orienté vers un retournement du stigmate et vers des valeurs sociales comme l'autonomie, le respect et le partage [Fernandez, 2011]. La mise en avant de ces valeurs permet de maintenir une limite morale aux comportements et de réitérer son attachement à une certaine idée de l'humain, du respect de soi et des valeurs permettant le vivre ensemble.
41Mensonge, non-dit et transformation imaginaire de son parcours de vie n'en demeurent pas moins des procédés permettant de s'adapter à des situations dramatiques, extrêmes, parfois insoutenables (rue, prison, dépendance aux drogues, sans parler des violences subies, souvent intériorisées). Ils constituent d'autre part des moyens permettant de préserver une estime de soi face aux autres. Participant à la reconstruction de l'identité sociale, ces procédés permettent de sortir leur vie de la banalité, tout en essayant de préserver des relations sociales, quitte à ce que ces dernières soient intéressées (comme chez Chantal).
42C'est ce que souligne Franck lorsqu'il lui demande : « Pourquoi tu ne vas pas te soigner, faire quelque chose. Tu n'en as pas marre de rester là-dedans ! Y en a beaucoup qui se servent de toi, t'as jamais compris ça ? Chez toi, c'est un coffee shop ! »
43D'autre part, il est toujours possible d'induire de faux cadres interprétatifs : le mensonge est un jeu sur les cadres sociaux. Ainsi, simuler une émotion peut servir à induire un comportement ou un acte de parole. Franck manie fort bien l'induction de faux cadres interprétatifs en mettant en scène un énervement pour solliciter une réaction de Nathalie, une consommatrice de psychotropes d'une trentaine d'années qui se prostitue. C'est finalement Chantal qui interviendra pour rompre la tactique de Franck :
44Franck (à Nathalie) : – Qu'est-ce qui t'arrive, t'es en boule de nerfs derrière moi, t'as perdu quoi ?
45Nathalie : – Rien, un livret de famille.
46Franck : – Un livret de famille et tu joues à la dangereuse, à la meuf radicale. T'as mal… Tu sais, si t'étais chez moi, tu fais comme ça, tu passes par la porte. Qu'est-ce qui t'arrive ? Ne joue pas à la dangereuse !
47Chantal : – Faut pas parler, c'est un gros malin, lui, c'est pour te faire parler, je le connais.
48Franck (en riant) : – On voulait une ambiance comme ça pour approfondir le sujet, pour rentrer dans le vif du sujet.
49Dans le même ordre d'idées, l'interaction avec Nicole souligne la mobilisation de la connaissance acquise sur une personne pour la faire réagir face à sa dégradation physique :
50Nicole : – Il faut que je me lave…
51Franck (sur un ton agressif) : – Tu vas te laver, toi ? La dernière fois que je t'ai vue, tu étais bien, costaud, bien… Et alors qu'est-ce qui s'est passé ?
52Nicole (en criant, la gorge nouée) : – Arrête de me prendre la tête, moi je viens de me réveiller. Arrête de me prendre la tête ! Arrête !
53Mettre en scène une colère peut ouvrir le dialogue sur un thème embarrassant ou non convenu et ainsi permettre d'obtenir des informations des acteurs en les obligeant à se justifier, à s'expliquer. La colère peut en outre réduire les questions que l'on pourrait poser à la personne « énervée », que l'on ménage. Ces procédés ont d'autant plus d'efficacité qu'ils se greffent sur les rapports de domination hommes-femmes, rapports particulièrement prégnants dans ces mondes essentiellement masculins et dominés par des valeurs de virilité.
54Malgré tout, la peur d'une réaction incontrôlée est toujours présente et entretenue. Chantal elle-même joue sur ce registre de l'intimidation pour souligner la transformation du comportement de l'usager qui n'a pas de came sous la main :
55Franck (en parlant de moi) : – J'ai fumé devant lui, il sait qui je suis, je ne suis pas un menteur. Il me connaît depuis le départ !
56Chantal : – Il sait qui tu es quand t'en as pas ?
57Franck : – Attends… Quand t'en as pas… Quand t'en as pas…
58Nicole (à moi) : – Tu sais qui il est quand il n'a pas à fumer ?
59Franck : – Quand t'en as pas…
60Chantal : – Tout le monde ici, on n'en a pas, on sait qui on est ? On est des méchants !
61Si, d'un côté, Franck essaie de concilier ma présence par le fait qu'il ne joue pas un double jeu avec moi (je le connaîtrais parce que je l'ai vu fumer du crack), Chantal, quant à elle, interroge cette connaissance théorique, abstraite, qu'elle compare à la réalité du manque qui renvoie à l'imprévisibilité, à des formes de méchanceté et de cruauté. D'après elle, l'image que Franck m'a présentée de lui et celle qu'il me montrerait en état de manque seraient bien discordantes.
62Avec moi, Franck alterne entre les « je t'adore » et les « vous, vous m'énervez » englobant universitaires, membres d'associations et journalistes. Selon le cadre interprétatif qu'il déploie je suis tour à tour placé en complice, de connivence avec lui, ou mis en accusation et sur la défensive :
63Paulo : – Pourquoi tu l'emmènes ?
64Franck : – Parce que je veux qu'il ait ce reportage, je veux le faire flipper lui…
65Fabrice : – Pourquoi tu veux me faire flipper ?
66Franck : – Parce que vous avez tendance à sous-estimer le crack ! Il faut que tu voies, le crack ça bouffe la jeunesse française. Vous, vous parlez… Vous, vous parlez, vous parlez, vous parlez. Je veux que tu rentres là-dedans, tu vas flipper. Cette meuf a le sida, elle n'arrête pas de fumer. Ça fait des années que les flics, ils veulent récupérer son appartement. Elle ne sort pas de l'appartement. Elle est complètement toxico. Et tous les toxicos du quartier, ils passent là-dedans. Tu poses ton magnéto et t'écoutes. Parce que vous, vous m'énervez : vous faites des études, des études. Vous venez ici, vous ne savez pas… Tant que t'arrives pas à te contrôler, t'es dans la merde !
67La démarche de Franck vise à me faire « flipper » pour mieux me faire comprendre les conditions de vie extrêmes et le désespoir des usagers précarisés. Cette volonté de faire flipper témoigne aussi d'un certain sens de la connaissance, dont la vérité ne peut être établie qu'à partir du moment où l'on traverse soi-même l'« épreuve du feu ». C'est-à-dire le moment où se conjuguent la logique de l'émotion, la perception et l'affectif, à l'instar des vétérans qui initient les nouvelles recrues à l'épreuve du combat aux balles réelles. D'autre part, il souligne ce qui, pour lui, constitue la véritable problématique de ceux qui vivent dans ces mondes : celle du contrôle de soi. Et peut-être plus encore : l'enjeu est de me faire apercevoir ce que peut être la perte du contrôle des émotions. Pour Franck, le reste, c'est-à-dire le « bavardage » journalistique ou scientifique, est renvoyé aux erreurs d'interprétation de ceux qui pensent détenir le savoir, mais qui ne connaissent pas le milieu pour n'y avoir jamais pénétré. Il est vrai que la production de descriptions ethnographiques détaillées des squats les plus éloignés de l'offre de prévention reste bien mince. Ceux à l'intérieur desquels j'ai pénétré étaient insalubres, situés dans des immeubles à moitié en ruine, sans électricité dans les parties communes, jonchés de détritus en tout genre et infestés de rats. Comment ne pas « flipper » dans ces lieux « mystiques » ou « fatidiques », alors même que l'on se dirige à tâtons dans l'obscurité, qu'il faut surveiller ses pas au risque de passer au travers du plancher ou des marches des escaliers moisis, que le tout tient miraculeusement de bricolages successifs, que les murs tombent en lambeaux, que l'endroit est entièrement investi de consommateurs de crack que l'on repère aux embouts rougissant de leurs pipes et aux halos de fumée qui s'en dégagent, que la violence y règne et que les « Blancs » n'y sont pas les bienvenus ? Si la dépendance physique et psychologique poussée jusqu'à l'indigence ne réduit pas la distance sociale entre les usagers, mais produit en réalité des divisions ethniques profondes [Bourgois, 2005], pour Franck, il est normal que je sois envahi par la peur car personne ne peut prédire ce qu'il est susceptible de m'arriver dans un tel endroit : « Si t'as des craintes, c'est normal, t'es un Blanc dans un lieu de Noirs qui fument du crack, c'est normal », finit-il par me dire. « Par exemple, lui il t'a invité en haut, même moi je ne connais pas ses intentions. »
68Vite considérées comme des intrus, d'une couleur de peau différente, tout comme le journaliste, le psychologue ou l'intervenant en toxicomanie, les personnes extérieures au milieu qui ont « fait des études » et viennent « étudier la toxicomanie » sont dépeintes avec les habits « arrogants » des dominants. Franck m'affirmait : « Vous, vous parlez, vous venez ici, pour pas dire avec vos grands airs, pour ne pas t'offenser toi ! » Chantal demande ainsi à Franck de choisir son camp, entre « eux » ou « moi », soulignant en parlant de moi : « C'est un homme comme nous, il n'y a que la couleur de peau qui diffère. »
69Sans parler de la masculinisation des propos de Chantal (« c'est un homme comme nous ») révélatrice d'une domination masculine bien intériorisée, cette dissemblance relative à la couleur de peau n'est cependant pas la seule différence mobilisée dans le discours. Ce sont toute l'appréciation du cours de la vie et des choses, le rapport au temps, à soi et aux autres qui semblent fondamentalement antagonistes. Franck expose ainsi une frontière qui est aussi une frontière de classe sociale :
70Franck : – Mais vous, quand vous venez faire des reportages c'est cool mais toi t'as investi quoi ?
71Fabrice : – J'ai investi mon temps.
72Franck : – Ton temps, ton temps, ton temps ça coûte combien à un toxico ? Mais ton temps ça te coûte combien ? Rien ! Cinq minutes, c'est le temps de faire une arnaque de quarante euros, il peut s'acheter deux galettes mais deux galettes il ne va pas les fumer tout seul, parce qu'il sait qu'il n'est pas tout seul. Il va les partager avec ses amis. En espérant que ses amis s'ils ont quelque chose ils le partagent avec lui. Si ses amis ne font pas le même geste que lui, là, il va se vénère [7] .
73Franck exprime ici une double rupture : d'une part je suis un individu seul qui n'appartient pas à un collectif, d'autre part il n'y a pas de réciprocité entre l'usager de drogues et moi, sachant que l'équivalent universel de mesure est le temps. Et le temps constitue ici avant tout de l'argent pour consommer.
74Si parler consiste avant tout à « présenter un drame devant un public » [Goffman, op. cit. : 499], faire un récit devant un public consiste à rendre compte de pratiques, de sensations qui y sont éprouvées, de l'effet émotionnel qu'elles ont produit (agréable, désagréable, douloureux…), de leur insertion dans un savoir plus général (par exemple, la spécificité de telle consommation vis-à-vis des effets généraux de telle drogue), de l'engagement comportemental, gestuel que cela entraîne et de la dimension morale (la comparaison de ces pratiques avec ce qui est prétendument « normal »).
75Si l'usage de drogues est bien une expérience intime [Bouhnik, 2002], les émotions qu'il suscite ont une dimension communicative incontestable ; elles peuvent être l'objet d'un « travail » de mise en scène en fonction des finalités recherchées [Fernandez, 2010]. Elles participent d'une ambiance et d'une manière d'être ensemble. Mais au-delà, la mise en scène des émotions peut être au service de solutions positives de reconstruction de soi face à des expériences de vie mortifiantes (la prison, la dépendance, la faim, les maladies, etc.). Ainsi ne s'agit-il pas tant de « délire » au sens médical que de solutions positives trouvant une cohérence dans les mondes fréquentés. Dans ce cas, peut-être s'agit-il moins de solutions « concrètes » que d'expérimentations « en pensée », qui peuvent se traduire par des occasions saisies dans l'immédiateté au moment opportun [de Certeau, 1990].
76Ces individus qui sont souvent jugés comme des personnalités pathologiques, aux comportements irrationnels, souffrant de problèmes de santé mentale, enfermés dans leur dépendance et leurs pratiques, semblent dans une démarche que l'on pourrait appeler de brouillage, de codage, qui leur permet d'échapper de manière plus ou moins temporaire aux assignations et aux contraintes qui pèsent sur eux. Il s'agit ici de sortir du cadre proposé par l'institution, par un médecin, un juge, un travailleur social ou un sociologue et de déplacer l'interaction sur un terrain de jeu dont ils maîtrisent les règles, ou pour le moins qui perturbe les repères de l'interlocuteur. L'économie de la rue et les rapports sociaux qui s'y déploient doivent être compris comme une manière de résister à la marginalisation [Bourgois, 1992], même si cette résistance implique une forme d'autodestruction.
77Les usagers de drogues précarisés peuvent, selon les contextes, se laisser transporter par ou mettre en scène des émotions variables en éloignant, ce faisant, l'interlocuteur de ses préoccupations initiales et en sollicitant de sa part un engagement émotionnel. Il peut s'agir de « délirer » et de « faire délirer » les pairs pour maintenir du lien social, de faire « flipper » pour impressionner, amadouer, casser l'indifférence dans l'espace public ou obtenir quelques améliorations à leurs conditions d'existence, d'alterner émotions positives et émotions négatives pour désarçonner, briser des repères établis et imposer une nouvelle manière de considérer la situation et d'être considéré.
78Ainsi, la « fuite dans le produit » participe bien souvent au « délire » de la consommation de psychotropes et la recherche d'une altération de l'état de conscience par la consommation de drogues donne à voir une autre image de soi « éclaté », « piquant du nez », « défoncé » ou « délirant ».
79Somme toute, ces termes ne sont pas équivalents. Les trois premiers renvoient bien à une altération des relations aux autres, un retour sur soi et ses sensations, qui déforme ou annihile toute autre considération. Le « délire » et le « bon trip » correspondent à des modes d'altération de l'état de conscience susceptibles de créer du lien social autour d'eux, ne serait-ce que par procuration. Le « délire » est une forme de spectacle qui procure du plaisir à un public particulier, il prend donc place dans un cadre d'échanges précis et permet de créer des liens « souples » autour de cette mise en scène. Ces liens qui se nouent dans l'économie de la rue et des squats participent à la construction de supports sociaux de substitution [Jamoulle, 2000] qui, même s'ils demeurent faiblement structurés, contribuent à véhiculer des formes de solidarité où les affects et le voilement/dévoilement de soi ont une place prédominante.
80Dans ce cadre, la déformation de la réalité, le mensonge sur soi-même ou la fusion de certains éléments de sa vie réelle avec une vie fantasmée peuvent être analysés comme des solutions positives permettant de tenir le coup et de ne pas sombrer dans la folie ou dans le « vide », comme en témoignent certains usagers.
81Ce vide ou cette folie, c'est l'expérience toxicomaniaque dans sa radicalité lorsqu'elle donne le sentiment de la perte de soi et de son identité. Ainsi, au sein de ce « théâtre » de fumeurs de crack, les récits ont la fonction narrative de réarticuler des expériences hétérogènes dans la continuité d'un parcours qui, sans elles, perdrait souvent en cohérence, déstabilisant un peu plus des existences fragilisées par la précarité, la drogue, l'errance, la répression, la prison, l'ombre des maladies et celle que peu d'entre eux osent évoquer : la mort. ?
Bibliographie
Références bibliographiques
- Agar Michael, 1973, Ripping and Running : A Formal Ethnography of Urban Heroin Addicts, New York, Seminar Press.
- Bouhnik Patricia, 2007, Toxicos. Le goût et la peine, Paris, La Découverte.
- – 2002, « La drogue comme expérience intime », Ethnologie française, XXXII, 1 : 19-29.
- Bourdieu Pierre, 1998 [1993], « Comprendre », in Pierre Bourdieu (éd.), La misère du monde, Paris, Le Seuil, coll. « Points » : 1389-1447.
- Bourgois Philippe, 1992, « Une nuit dans une shooting gallery : enquête sur le commerce de la drogue à East Harlem », Actes de la recherche en sciences sociales, 94 : 59-78.
- – 1996, In Search of Respect, New York, Cambridge University Press.
- Bourgois Philippe et Jeff Schonberg, 2005, « Un apartheid intime : dimensions ethniques de l'habitus chez les toxicomanes sans-abri de San Francisco », Actes de la recherche en sciences sociales, 160 : 32-45.
- Certeau Michel de, 1990 [1980], L'invention du quotidien, t. 1, Arts de faire, Paris, Gallimard.
- Elias Norbert and John L. Scotson, 1965, The Established and the Outsiders : A Sociological Enquiry into Community Problems, London, Frank Cass.
- Fernandez Fabrice, 2010, Emprises. Drogues, errance, prison : figures d'une expérience totale, Bruxelles, Larcier.
- – 2011, « Responsable de quoi ? Jugements moraux et travail éthique des injecteurs de drogues précarisés », in Didier Fassin et Jean-Sébastien Eideliman (dir.), Économies morales contemporaines, Paris, La Découverte, coll. « Bibliothèque de l'iris » (à paraître).
- Fernandez Fabrice, Samuel Lézé et Hélène Marche (dir.), 2008, Le langage social des émotions. Études sur les rapports au corps et à la santé, Paris, Économica-Anthropos.
- Goffman Erving, 2001, Les cadres de l'expérience, Paris, Minuit.
- Jamoulle Pascale, 2000, Drogues de rue : récits et styles de vie, Bruxelles, De Boeck Université.
- Laé Jean-François et Numa Murard, 1995, Les récits du malheur, Paris, Descartes et Cie.
- Lanzarini Corine, 2000, Survivre dans le monde sous-prolétaire, Paris, Presses Universitaires de France.
- Power Robert et al., 1995, Coping with Illicit Drug Use, Londres, The Tufnell Press.
- Schwartz Olivier, 1993, « L'empirisme irréductible », in Niels Anderson, Le Hobo. Sociologie du sans-abri, Paris, Nathan : 265-308.
- Waldorf Dan, 1998, « Becoming a heroin addict », in James Inciardi and Karen McElrath (eds.), The American Drug Scene : An Anthology, Los Angeles, Roxbury Publishing : 111-120.
Mots-clés éditeurs : Crack, Émotions, Inégalités sociales, Toxicomanie, Pauvreté
Mise en ligne 20/09/2011
https://doi.org/10.3917/ethn.114.707Notes
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[1]
Cet article a bénéficié des échanges et des discussions du programme Advanced Grant 230347 du Conseil européen de la recherche (erc), programme dirigé par Didier Fassin et intitulé Towards a Critical Moral Anthropology.
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[2]
Le crack (ou free-base) correspond au sel basique obtenu après adjonction de bicarbonate ou d'ammoniaque à la cocaïne. Il se présente généralement sous forme de petits « cailloux » ou de « galettes » (4 à 5 cailloux) qui se consomment le plus souvent fumés, avec une pipe fabriquée artisanalement à partir de doseurs pour servir l'alcool (dosette à pastis).
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[3]
Plusieurs matériaux ethnographiques recueillis à Paris sont ici mobilisés, notamment un certain nombre d'échanges recueillis en observation participante dans différents squats des quartiers de la Goutte-d'Or et de la Chapelle.
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[4]
Cette pratique consiste à couper la drogue ou à vendre un substitut à la place de la drogue.
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[5]
Dès 2005, le Di-Antalvic® composé de paracétamol et de dextropropoxyphène a été retiré de la vente en pharmacie en Angleterre, en Suisse et en Suède en raison d'un nombre important d'intoxications ayant entraîné la mort. Il ne sera retiré de la vente en France qu'en mars 2011.
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[6]
Il convient de souligner ici que je n'ai nullement demandé à Chantal de me raconter sa vie. Celle-ci par ses propos anticipe donc une demande virtuelle à des fins tactiques.
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[7]
Se vénère : s'énerver.