On pourrait appliquer à Chris Marker ce qu’il écrivait en 2006 en hommage à son fidèle compagnon de route et ingénieur du son, Antoine Bonfanti : « Passer de ce bricolage inspiré à l’absolue maîtrise, ce n’est pas seulement l’histoire d’un perfectionnement professionnel. C’est aussi celle d’une réflexion politique, d’une réflexion morale et d’une réflexion sur la nature même du son. » Marker s’appliquait à lui-même cette triple ambition, ne dissociant le politique ni de la morale ni de l’art. Pour lui, dans Le fond de l’air est rouge, en 1977, ceux qui font du cinéma sont des « témoins et des militants ». Cette vision n’étonne pas puisqu’elle émane de quelqu’un qui s’est investi dans différentes luttes, de la Résistance à la décolonisation au début des années 1960, quelques années plus tard dans les groupuscules qui ont fait de l’agit-prop avec les ciné-tracts anonymes ou encore au moment de la guerre en Yougoslavie quand il filme en plans fixes un jeune Casque bleu.
Le cinéma militant fonctionnait sans argent : faire appel au « bricolage » était une nécessité et non une posture intellectuelle. Cela étant, Marker a travaillé cette méthode tout au long de sa filmographie, y compris dans des films sans implication politique explicite, sans théoriser cette pratique, tout au plus en s’autorisant des comparaisons ludiques. Lors d’un entretien republié à la sortie de Level Five, il évoque son « Meccano imaginaire » : « Le film est un tout, j’avance dedans par intuition, les éléments se combinent comme les pièces de mon Meccano imaginaire…