L’œuvre protéiforme de Chris Marker charrie une mémoire hétéroclite du xxe siècle. Vertigineuse, extrêmement puissante en termes de connexions d’images, de capture de visages ou de moments de réel transfigurés par la profondeur du commentaire, elle offre au spectateur contemporain un regard irremplaçable sur les soubresauts qui ont conduit au nouveau millénaire. À travers ses recueils de textes et de photographies, ses essais cinématographiques, ses installations multimédia, le cinéaste a monté des images de presque tous les événements cinglants de l’époque. Comment Chris Marker, cinéaste-caméléon, a-t-il incarné formellement les méandres de la mémoire dans leurs relations palimpsestes avec les images ? Si l’auteur semble aspiré par toute la mémoire du monde, celle-ci est lézardée, portée par une subjectivité mouvante qui se pare de différents masques pour transcrire les métamorphoses incessantes des images-mémoire.
Voici quelques-unes des pérégrinations cinématographiques de Chris Marker, « arpenteur de la mémoire » du xxe siècle. Dans un pamphlet longtemps censuré, il a dénoncé avec Alain Resnais le colonialisme via l’Art nègre emprisonné dans les musées selon une « botanique de la mort » appelée « culture » (Les statues meurent aussi, 1953). Il a inlassablement scruté la pléthore de guerres, de l’ombre du conflit algérien planant sur le Joli Mai de Paris en 1962 à la guerre du Vietnam (Loin du Vietnam, 1967), en passant par les mouvements contestataires de la contre-culture …