1968 (mai). Tout bouge et des nuées de photographes (déjà) tirent sur tout ce qui bouge, la police en uniforme coursant la jeunesse en civil, dans l’esprit de la chasse au renard : l’inqualifiable à la poursuite de l’immangeable (Oscar Wilde). Barricades, coups d’éclat, postures, foules, manifs, drapeaux, slogans, orateurs, ouvriers, Chris Marker, qui ne faisait pas que cela, trouve le temps de photographier tout cela, insistant, comme toujours, sur les regards, y compris ceux des forces de l’ordre derrière leurs lunettes de motards. Mais il fait plus. Accompagnant une manif passant devant la prison de la Santé, il saisit, avec le télé de 200 mm de son Pentax, ce que personne n’avait songé à photographier, encore moins à voir : le geste de solidarité de deux détenus à travers leurs barreaux. Deux hommes enfermés encourageant une foule libre, il fallait le voir. Quelques nuits plus tard, devant une rue bloquée par un cordon de police, il saisit encore ce que personne d’autre n’a songé à saisir cette nuit-là : une jeune femme au sourire très russe et son compagnon, assis sur le bord du trottoir dans un puits de lumière, conscients et indifférents en même temps, vivant leur parenthèse sur fond de forces de l’ordre, deux images abondamment reproduites dans nombre de ciné-tracts de l’époque.1985. Alors qu’en homme-orchestre il réalise A.K., c’est-à-dire un commentaire (que des esprits trop rapides appelleraient un making-off) du tournage du Ran de Kurosawa, toujours armé de son Pentax désormais à bout de déclic, il saisit un dernier moment, le moment où la flèche quitte l’arc et son archer pour aller se ficher dans le temps, dernière image de son désormais introuvable livr…