Notes
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[1]
Dans son éditorial du dossier « La mort en migration », Françoise Lestage (éd., 2012) pointait les travaux pionniers des années 2000 sur ce sujet qui a mis du temps à être traité par les sciences sociales. Plus récemment, un autre dossier se saisit de ces liens entre mort et mobilité transnationale (Grenet et Foa éd., 2017). Enfin, le dossier de Diversité urbaine de 2018 « Politique des morts et pratiques des vivants : enjeux autour des morts en migration », où l’on retrouve les principaux chercheurs qui appellent depuis plus de dix ans à travailler ces sujets et ont permis une coopération internationale à travers la mise en place d’un réseau dédié (mecmi), montre bien la reconnaissance aujourd’hui de cette thématique (Rachédi et Kobelinsky éd., 2018).
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[2]
On peut à nouveau citer un numéro de dossier de la revue Raisons pratiques : « Morts et fragments de corps » (Esquerre et Truc éd., 2011).
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[3]
Ce texte, s’il n’a qu’une auteure, doit beaucoup au travail mené en commun depuis plusieurs années avec Élisabeth Pasquier, par ailleurs coauteure de la pièce de théâtre dont il sera question plus loin.
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[4]
Ce projet de recherche (2015-2018) associant géographes, sociologues, historiennes de l’art et artistes est porté par le crenau (umr cnrs aau) de l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes en partenariat avec l’École supérieure des beaux-arts de Nantes Métropole. Son titre, emprunté au philosophe Sandro Mezzadra, souligne la position commune de recherche : comment travailler depuis la frontière (Mezzadra et Neilson, 2013).
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[5]
Anne-Laure Amilhat-Szary (2015) montre comment la frontière devient une expérience frontalière vécue à l’échelle du corps.
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[6]
Les entretiens ont été menés avec les personnes suivantes : le responsable d’une société internationale de rapatriement basée à Paris, des responsables d’opérateurs funéraires publics et privés (Services funéraires Ville de Paris, entreprises de pompes funèbres générales et musulmanes à Nantes et à Paris, coopérative funéraire basée à Nantes), la responsable du service mortuaire du chu de Nantes, un concepteur de mobilier funéraire basé en Vendée, la gestionnaire des cimetières municipaux de Nantes, le médecin du service médical d’urgence de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle ainsi que deux aumôniers, le président de l’association Les Morts de la rue de Loire-Atlantique, deux ingénieurs en environnement, le vice-consul de la Tunisie à Nantes.
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[7]
Le choix des rapatriements de musulmans s’inscrit dans la poursuite d’autres travaux menés sur l’islam contemporain, notamment une enquête menée de 2012 à 2014 sur la construction des mosquées dans l’ouest de la France, au cours de laquelle nous avions repéré les enjeux conjoints des rapatriements et des carrés ; voir en ligne : [url : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01915555]. Le choix plus précis des pays d’origine pour ces entretiens (Turquie, Algérie, Maroc) est lié aux liens d’interconnaissance et aux opportunités offertes durant la recherche. Les entretiens ont été menés à Paris, à Versailles, à Nantes et dans des communes de la périphérie nantaise.
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[8]
Les travaux de Vinciane Despret (2014, 2015a, 2015b) sur ce sujet sont des références théoriques essentielles pour cette recherche.
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[9]
Les effets de cette évolution sont par exemple discutés dans le dossier de SociologieS « L’enquête ethnographique en mouvement : circulation et combinaison des sites de recherches » (Meyer et al. éd., 2017).
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[10]
À propos de son enquête sur la marginalité, Dhalia Namian note que l’approche multi-située produit « des connaissances de portée transsituationnelle et transinstitutionnelle » (2005, p. 117).
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[11]
Plusieurs enquêtés nous expliquent les démarches engagées par les familles musulmanes choquées par l’incinération, au Centre hospitalier universitaire, des enfants nés sans vie qui étaient considérés comme des pièces anatomiques. Depuis le 6 février 2008, « tout enfant né sans vie à la suite d’un accouchement peut être inscrit sur les registres de décès de l’état civil, quel que soit son niveau de développement » (Sénat, « Étude de législation comparée no 184 » [en ligne], avril 2008, [url : https://www.senat.fr/lc/lc184/lc1840.html]). Ces enfants nés sans vie sont depuis de plus en plus inhumés, beaucoup étant musulmans.
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[12]
C’est sur ce point qu’un parallèle pourrait être poussé avec cette forme particulière d’enquête territoriale qu’est le transect très utilisé dans les domaines de l’aménagement, de l’urbanisme ou de l’architecture (Pousin et al., 2016).
-
[13]
Nos déplacements ne sont pas les trajets effectivement pris par les morts. Nous n’avons pas essayé d’accompagner des familles lors du voyage vers le pays d’inhumation – notamment parce qu’il faudrait trouver le dispositif pour être tenu informé et pouvoir se mobiliser dans des délais très courts.
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[14]
En France, l’association entre intégration et choix d’inhumation reste très forte, alors qu’Agathe Petit (2011), dans le domaine funéraire, a déjà montré les limites de ces approches.
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[15]
La terre en Turquie comme au Maroc est gratuite ou peu chère. En France, le système de concessions payantes rend quasi certaine à terme l’exhumation du corps, ce qui est impossible à accepter pour certains musulmans. « Ils arrachent », raconte une des femmes interrogées.
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[16]
Pour un parallèle intéressant dans le domaine alimentaire sur ces enjeux de réification de l’autre, voir Crenn et al. (éd., 2010).
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[17]
Dans l’ouvrage Histoire, théâtre et politique, Gérard Noiriel (2009) retrace l’histoire qui a conduit à la séparation du théâtre, du savant et du politique. Il a lui-même contribué à ce rapprochement, en reliant le domaine scientifique, celui de l’histoire de l’immigration, et le théâtre à travers la recherche menée sur le clown Chocolat et en proposant une conférence spectacle avec le collectif daja où il jouait son propre rôle.
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[18]
Pour l’histoire de la pièce depuis la compagnie de théâtre, voir en ligne : [url : http://www.banquetdavril.fr/index.php?/projects/suivre-les-morts/].
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[19]
Elle ne s’inscrit pas en ce sens dans un théâtre dit de la parole.
1Mobiles, situés en de multiples lieux et connaissant différents états et formes de présence, les morts semblent un objet propice pour des approches multi-situées. Depuis plus d’une dizaine d’années, différentes recherches s’attachent en effet à leurs mobilités. C’est notamment au sein du champ migratoire qu’émergent les premiers travaux sur les liens entre morts et migrations [1], mais il n’est pas la seule force qui contribue à l’émergence de cet objet des morts mobiles. Grâce à l’anthropologie des sciences et des techniques développée par Michel Callon et Bruno Latour, les non-humains ont acquis rôle et pouvoir d’action dans les activités sociales. Dans ce sillage pragmatiste au sens large, objets, mais aussi dieux, esprits, fantômes et morts questionnent les différents modes d’existence des humains et des non-humains. Des travaux se sont ainsi développés sur les restes humains (cadavres, os, cendres…) qui ont permis de mettre en évidence les mobilités et les présences, en de multiples lieux, du mort [2].
2À notre connaissance, aucun des travaux sur les morts ne se réfère explicitement au multi-situé. Nous proposons donc de revenir sur une recherche conduite sur les rapatriements des morts qui, du fait de son objet et de la méthodologie déployée, nous semble pertinente pour questionner les potentiels des approches multi-situées [3]. L’enjeu majeur d’une recherche multi-située, tel qu’il est posé par George E. Marcus (1998), est la manière dont la pratique de l’ethnographie rencontre la nouvelle cartographie des phénomènes mondiaux. Marcus cherche résolument à penser ensemble pratiques et échelles concrètes de l’enquête et savoirs produits sur ce nouveau système-monde. Depuis les bases posées par cet auteur, les travaux semblent se répartir en deux grandes lignes : d’une part, le renouveau de la comparaison où la question de l’articulation des échelles et l’enjeu de décrire des processus et des circulations de la mondialisation passent au second plan ; et d’autre part, l’analyse de situations mondialisées reliées par l’objet et par le chercheur, qui se confronte plus vivement aux critiques sur l’absence d’immersion du chercheur auprès d’individus ou de collectifs sur un temps long. À partir de la recherche « Suivre les morts », on souhaite contribuer à ces discussions sur la recherche multi-située, sur les changements dont elle serait porteuse dans la pratique de l’enquête. En quoi notre recherche peut-elle être définie comme multi-située ? En quoi contribue-t-elle, depuis le sujet des rapatriements des morts, à la discussion théorique ou conceptuelle sur l’enquête multi-située ?
Revenir sur une recherche multi-située : suivre les morts
3Cet article fait suite au projet pluridisciplinaire « Penser depuis la frontière », projet qui vise à expérimenter des collaborations entre arts et sciences humaines à partir de la notion de frontière posée comme sujet et méthode [4]. Notre hypothèse personnelle de recherche est que le mort rapatrié est un objet particulièrement pertinent pour penser les frontières et leurs évolutions dans la mondialisation : avec l’augmentation des migrations et des circulations, il est plus fréquent de mourir ailleurs – on peut donc supposer que le rapatriement est un voyage, une procédure ou une pratique plus courante ; mais surtout le mort rapatrié questionne d’emblée le croisement des échelles mondiales ou transnationales et nationales et implique des questionnements sociétaux, individuels et familiaux [5]. Deux axes de travail distincts sont posés. Le premier concerne le circuit ordinaire du rapatriement pour lequel sont réalisés des entretiens avec une pluralité d’acteurs professionnels et bénévoles de la chaîne du rapatriement et quelques observations de lieux et de moments. Ces entretiens et observations (de cimetières, de cérémonies) nous conduisent à Paris, à Roissy-Charles-de-Gaulle, à Nantes et dans sa périphérie [6]. Le second s’attache aux rapatriements des musulmans morts en France. Une seconde série d’entretiens sont réalisés avec ceux et celles que nous avons nommés les « convoyeurs », ces descendants de migrants originaires de Turquie, d’Algérie ou du Maroc qui ont récemment accompagné un proche parent vers son lieu d’inhumation [7].
4Ces deux axes distincts de travail reposent sur une approche commune, pragmatiste de la mort, centrée sur les morts et ce qu’ils font faire aux vivants [8]. De cette recherche nous attendons moins des connaissances sur les morts et leur rapatriement que sur le rapatriement comme épreuve pour les vivants. Nous ne souhaitons pas nous centrer sur les raisons et les motivations du désir de rapatriement, mais avant tout chercher à comprendre les effets multiples de cette circulation des corps : c’est bien depuis autant que sur les morts rapatriés que se construit l’enquête. Le mort est ce qui fait collaborer, ce qui construit le lien entre deux familles, entre deux pays, entre deux mondes culturels. Il est ainsi autant le sujet de l’enquête qu’un objet qui prend consistance à partir des liens qu’il déploie et qui instaure une forme d’enquête spécifique, aux contours à définir en chemin. Suivre alors, c’est « rendre compte de connexions, d’assemblages, d’enchevêtrements d’espaces, de temporalités, de situations » (Roulleau-Berger éd., 2012, p. 12).
5Après cette présentation globale de notre démarche, nous allons aborder trois points. Premièrement, nous spécifierons le multi-situé comme une pensée de la mise en relation en revenant plus précisément sur les partis pris de l’enquête. Ensuite, nous mettrons en valeur les résultats spécifiques de celle-ci pour montrer comment la dimension spatiale est partie prenante des approches multi-situées. Enfin, nous discuterons de l’enquête multi-située comme engagement à partir de la forme de restitution qu’a prise in fine cette enquête, à savoir une création théâtrale.
Le multi-situé, une pensée de la mise en relation
6Face à la difficulté de saisir les objets d’étude par l’observation circonscrite, on observe une multiplication des recherches où se combinent plusieurs sites [9]. Sous cet angle, la recherche multi-située s’inscrit dans le « style pragmatique » dont l’une des marques de fabrique est le renouvellement des approches comparatives et des manières de relier les niveaux micro et macro (Barthe et al. éd., 2103). Le recours à l’ethnographie combinatoire vise à faire varier les contextes d’observation, ces contextes pouvant être choisis, comme le fait Catherine Rémy pour la mise à mort des animaux (2009), parce qu’ils offrent « un effet loupe » sur le phénomène ou l’activité que l’on souhaite observer. Ce mode comparatif qui combine des terrains ou des situations pour renseigner un questionnement initial renvoie à des approches un peu distinctes. La recherche multi-située est moins animée par la mise au jour de généralités, de catégories partagées ou de traits communs et plus attentive à ce qui dénote, dérange ou déplace : elle reste ouverte sur les lieux et les sites qui prennent sens et se déterminent au fur et à mesure de l’avancement du travail d’enquête. Elle admet que le questionnement soit pris dans cette dynamique et qu’il puisse évoluer. On peut la caractériser avant tout par la mise en relation : elle se construit à partir du relier, du tenir ensemble et des effets attendus sur l’objet de la recherche mais aussi sur la position du chercheur – ou quand l’ethnographie vise à « sortir hors de ses propres systèmes de coordonnées » (Cefaï éd., 2010, p. 553). La portée des approches multi-situées serait ainsi plus ontologique, dans cette mise en relation de terrains ou de populations habituellement dissociés [10], que ce soit dans les mondes institutionnels ou ceux de la recherche, en raison de formes de traditions, de partages disciplinaires ou de modes de construction des savoirs modernes. C’est l’origine du travail sur les morts de Vinciane Despret. Cette chercheuse refuse la séparation entre morts et vivants pour suivre les vivants et les morts « par ce qui les lie, par ce qui les tient ensemble » (Despret, 2015b, p. 46). Les approches multi-situées cherchent à mettre en avant les interdépendances et les interrelations qui caractérisent aujourd’hui la composition des mondes communs contemporains (Descola, 2005), afin aussi de laisser à la relation elle-même une part d’agentivité, hors du seul subjectivisme humain.
7Plusieurs aspects de la recherche « Suivre les morts » démontrent les effets de cette pensée de la mise en relation. Nous avons analysé cette circulation des morts en reliant une composante générique – le rapatriement et le traitement d’un corps mort (matérialités et spatialités) – et une composante religieuse et culturelle – les rapatriés musulmans. Dans le processus de recherche, le questionnement peut ainsi se trouver à la fois dé-culturalisé et re-culturalisé. Par exemple, dans les entretiens avec les convoyeurs, nous avons abordé la logistique du voyage sans présupposer que les aspects culturels étaient nécessaires pour éclairer le déroulement des événements. Toutefois, quand le chercheur essaie de comprendre le circuit standard du voyage du corps à travers ce qu’en savent les familles tout en rencontrant les professionnels comme les sociétés privées internationales de rapatriement, il s’aperçoit que les effets de la frontière sur le corps rapatrié associent des réalités physiologiques, administratives et religieuses. Ainsi, les enjeux logistiques, que l’on tendrait à éloigner des questions sacrées ou religieuses, loin d’être des éléments hors sujet, sont au cœur des hypothèses à formuler sur les évolutions des rituels et des croyances. Cette imbrication est explicite dans l’extrait d’entretien suivant :
Ce n’était pas assez rapide pour nous, parce qu’en fait dans la religion musulmane quand on décède le matin, on peut être enterré après la prière de l’après-midi. Donc en principe, au pays, le matin on décède et l’après-midi on est enterré. Nous, quand elle est décédée, c’était le samedi. Les actes de décès, on ne pouvait pas les avoir avant le lundi. L’organisme, je l’ai le samedi au téléphone, mais ils me disent il n’y aura rien [pas de vol] avant minimum mardi et, en fait, elle n’est partie que le jeudi matin. Et nous, à 13 heures. En fait on n’a pas eu de chance avec l’avion, parce que c’était deux avions différents. Elle a fait un Paris-Alger et après Alger-Tlemcen. Et il [l’interlocuteur de l’organisme] a pas trouvé de place pour qu’on puisse partir en même temps. Donc elle n’a été enterrée que le vendredi. Mais bon après le vendredi c’est ce qu’ils appellent le Joumou’a, le jour de la prière, alors les gens ont dit le mektoub, c’est le destin. Il y a une importance, plus il y a de gens qui prient ce jour-là, et plus elle va vite au paradis. Dans la douleur, quand on vous dit c’est bien, c’est un soulagement. (Homme de 50 ans, français d’origine algérienne, aîné de sa fratrie)
9De la même manière, questionner les professionnels et les bénévoles de tous les morts sur la diversité confessionnelle des morts a permis de montrer autant une montée en spécificité culturelle des traitements laïcs des morts qu’une neutralisation des demandes liées aux migrations quand celles-ci rejoignent des évolutions sociétales globales. Le directeur général des services funéraires de la ville de Paris met par exemple en avant leur capacité à répondre à toutes les demandes. Leurs maîtres de cérémonie sont formés aux différentes confessions et leurs crématoriums adaptés dans leurs configurations et leurs objets rituels. Ce dernier défend une conception extrêmement ouverte de la laïcité au titre de l’universalité de la douleur de la perte d’un proche : « On doit pouvoir accueillir tous les gens dans le respect de leur peine. » Parallèlement, la cheffe du service mortuaire du Centre hospitalier universitaire de Nantes ainsi que la gestionnaire municipale des cimetières s’accordent pour mettre en évidence le rôle joué par les familles musulmanes dans les évolutions juridiques sur les enfants nés sans vie [11]. On peut aussi mentionner la concordance entre la volonté de l’État français de faciliter la mise en place de carrés confessionnels au nom de l’intégration et celle, démontrée par Arnaud Esquerre (2011), entre autres à partir des cendres, d’inscrire tous les morts dans le territoire national.
10Les pas de côté engagés grâce à la recherche multi-située permettent de renouveler le regard sur des situations. On peut être dans la gestion administrative des morts et faire du soin, on peut vivre au cœur de l’intimité d’un deuil les effets de politiques nationales. La portée heuristique de la mise en relation dans notre enquête repose in fine sur une forme de sectionnalité : l’épaisseur de la compréhension, avec chaque acteur de la chaîne des morts est revue au profit de la coupe ou du transect dessiné par les circulations des morts qui permet de mettre sur le même plan des données et des univers sociaux a priori distincts. Dès lors, qu’en est-il de notre propre mouvement dans la production de cet espace conceptuel et empirique [12] ? Si l’enquête nous conduit à articuler différents lieux [13], c’est moins notre propre mouvement qui importe que les manières dont nos interlocuteurs appréhendent cette épreuve multi-située du rapatriement.
Le multi-situé, l’espace comme fondement
11Vouloir interroger les liens transnationaux entre les familles à partir des rapatriements post mortem nous conduit à la proposition méthodologique, déjà évoquée, des récits des convoyeurs. Ces derniers se voient accorder la responsabilité d’organiser le rapatriement du corps de leur père, de leur mère, de leur frère ou de leur sœur. Ils sont français, dits de la seconde génération. Ce sont eux qui suivent le mort et qui, à cette occasion, comme dans la vie plus quotidienne, articulent plusieurs morceaux de familles. Nous avons axé les entretiens sur le récit concret des actions, des lieux, des gestes. Réalisés quelques semaines ou quelques mois après l’enterrement, ils ne visent pas à aborder le deuil mais le voyage entre ici et là-bas par le déroulement chronologique des faits, par les objets et par les manières de faire spécifiques qu’il faut inventer à la frontière.
Ça fait vraiment, mon père il a voyagé, ils se sont rencontrés [mon père et ma mère] et après chacun rentre à la maison. Et c’est assez juste en fait, et je me dis, un truc positif, c’est que le fait qu’il soit enterré là-bas, ça me garde mon lien à l’Algérie, parce que pour aller me recueillir sur sa tombe, il faut que je fasse le voyage, donc quelque part c’est un effort et c’est loin, mais d’un autre côté, ça m’oblige à garder le lien avec ma famille là-bas. Alors que c’est vrai que ça peut se distendre très vite, parce que moi je ne parle pas arabe. (Femme d’une trentaine d’années, franco-algérienne)
13Cette jeune femme évoque en termes de lien à la fois pratique et symbolique le choix de son père d’être inhumé en Algérie. Faire ce voyage-là pour le convoyeur, c’est actualiser sa place au sein du système familial, c’est prendre conscience de sa double nationalité comme d’un engagement jusque dans la mort – ou comment sa propre décision pour son lieu d’inhumation pourrait venir rompre cette chaîne des morts. La dernière demeure pour un migrant s’inscrit dans la poursuite du territoire circulatoire des vivants et des morts. Les personnes interviewées racontent la visite au cimetière dès la descente de l’avion, le plaisir pris à influer sur le modèle de la tombe, mais soulignent aussi la nécessité de renouveler un passeport pour poursuivre ces circulations, de donner à leurs propres enfants la possibilité d’aller un jour sur la tombe. Ainsi, dans l’enquête, en suivant les morts et les actions qu’ils engagent ou requièrent, la mort n’est plus seulement interrogée depuis son rôle de clôture d’un parcours migratoire individuel [14], elle est replacée au sein des processus et des stratégies plus globales de mobilité.
14Le rapatriement, pour des migrants transnationaux, est une épreuve multisite : organiser les funérailles, respecter les rites funéraires, transporter le corps, réunir les familles… transforment le deuil (Rachédi et al. éd., 2010). Il faut faire avec la famille au loin, avec le franchissement de la frontière, avec les contraintes et les normes nationales (administratives ou d’hygiène) parfois contradictoires, a fortiori dans l’islam où le délai avant d’enterrer le corps doit être réduit au minimum. La frontière produit des différentiels actifs dans le choix du rapatriement : la différence des prix entre ici et là-bas, la connaissance ou non des aspects technico-administratifs des concessions en France [15], la facilité administrative offerte par le pays d’origine, la cotisation payée depuis de nombreuses années à une association communautaire… autant de logiques financières qui s’entremêlent aux raisons familiales et religieuses pour la mise en œuvre de stratégies spatiales spécifiques.
15En s’intéressant aux rapatriés comme liens transnationaux, l’enquête révèle les hybridations de pratiques qui montrent notamment comment les rituels religieux musulmans sont remaniés dans cette nécessité de faire avec la distance. Les effets de recomposition par les morts de ces territoires multi-situés (Giraut, 2013) sont multiples et l’enjeu est bien de les penser dans une dynamique globale et commune qui ne réifie pas les ailleurs, comme c’est encore trop souvent le cas dans les approches centrées sur l’adaptation culturelle des migrants [16]. Nous avons ainsi pu mettre en évidence le rapatriement comme une culture spatiale spécifique, qui se traduit dans l’articulation d’objets, de lieux, de spatialités et de représentations. Le cercueil adapté pour l’avion, de taille standard, voulu léger (le prix dépend du poids), avec une enveloppe à l’intérieur d’aluminium très fin, comporte un hublot pour permettre la vue du visage du mort par ses proches. Le transporter, choisir l’emplacement de ce cercueil à l’arrivée, l’installer dans la mosquée du petit village ou directement au cimetière, tout cela relève d’arbitrages entre les deux morceaux de familles. Par ce rituel fait dans la distance, les règles ou les normes sociétales, religieuses et familiales s’actualisent, et le rapatriement met en mouvement les pratiques et les croyances ici et là-bas. On coupe par exemple en deux les prières qui sont entamées ici en France et achevées là-bas à l’arrivée juste avant l’enterrement, mais on peut aussi les doubler. Le corps sera parfois sorti du cercueil, relavé et mis en terre dans un linceul, ou il sera enterré avec le cercueil. Notre enquête montre comment s’arrangent, s’hybrident voire se métissent dans et par le mouvement les pratiques individuelles et collectives.
16La recherche multi-située permet de comprendre les mutations contemporaines des territorialités individuelles et collectives dès lors que l’on cherche à saisir la manière dont l’espace transnational pose un problème aux individus eux-mêmes. Ici, la recherche multi-située donne moins à penser le mouvement des chercheurs qu’elle n’explicite les compétences spatiales des acteurs eux-mêmes, tout en créant des récits nouveaux sur les vies en migration. Les récits imbriquent le ici juste après la mort, le là-bas pendant les funérailles, mais aussi le là-bas du passé, celui de jusqu’à maintenant ou celui à venir, dans un futur proche ou plus lointain quand on pense à sa propre mort et aux choix que feront ses enfants. L’expérience intime de la migration, et particulièrement au moment de la mort, est traversée par une opposition temporelle, et non seulement spatiale, entre le « maintenant » et le « auparavant » (Berthod, 2018). Une des portées des approches multisites est de « pouvoir accéder à la pluralité des récits de sociétés et à la multivocalité ou la polyphonie qu’elles contiennent » (Roulleau-Berger éd., 2012, p. 14). Dans notre cas, cette portée s’est effectivement traduite dans une perspective nouvelle de finalisation et diffusion de la recherche.
Les récits multi-situés, l’enquêteur engagé
– On n’a pas pu partir en même temps que le corps. Le corps est parti la veille. Il a fait un Paris Alger, et après il fallait un autre avion qui fasse Alger Tlemcen.
– On a acheté les billets un peu à la dernière minute, forcément, ça tombait sur les vacances de la Toussaint, on a galéré pour avoir des billets tous ensemble.
– Mon frère a pris un avion parce qu’il avait le billet payé par l’asso, ma mère a pris un autre avion parce que c’est moi qui avais acheté le billet, et moi j’ai pris encore un autre avion, parce qu’avec la carte bancaire j’arrivais pas, c’était compliqué.
– Il y a des vols directs, mais il n’y avait pas de possibilité de prendre le cercueil. C’était déjà complet quoi, je ne sais pas si y a un nombre limité, 1, 2, 3, 4 corps ?
– La famille ils me disaient « mais y’avait pas de place plus tôt ? » Moi je faisais confiance en la personne que j’avais en face, je vois pas l’intérêt pour elle de faire partir le corps dans 3 semaines, c’est le même prix.
– Donc on a pris des avions différents, mais on a quand même réussi à arriver en même temps que le corps, ça c’était cool. On a réussi à tous se retrouver à l’aéroport où nous attendait la famille. (Bossé et Pasquier éd., 2019, p. 7)
18Ainsi débute la pièce Suivre les morts. Créée en 2017, elle est le résultat d’une forme d’engagement, en tant que chercheur, pour diffuser la connaissance scientifique auprès d’un public élargi. Les débats sur les évolutions de la pratique de l’ethnographie mettent en évidence le recouvrement des différentes phases de l’enquête ; cette dernière n’est plus caractérisable comme seule instance de validation des hypothèses tant les différentes étapes viennent à se télescoper, y compris celle de l’engagement dont le déploiement civil reste peu étudié (Cefaï éd., 2010). Le programme dans lequel se fait cette enquête est dès l’origine tourné vers l’objectif de travailler à des formes de restitution de la recherche au croisement des arts et des sciences humaines. La force émotionnelle des témoignages des convoyeurs, la portée commune et citoyenne de la question du choix du lieu d’inhumation qui s’impose à tous, la difficulté, souvent rappelée, de parler du sujet de la mort sont des éléments qui orientent vers la forme théâtrale. Plusieurs chercheurs l’ont expérimentée, appelant à ce que la raison rencontre à nouveau l’émotion : « Ce qui est prouvé dans la recherche doit être éprouvé par le public » (Noiriel, 2009, p. 46) [17]. Nous avions la volonté de repenser les enjeux sémantiques, théoriques et formels autour des passages entre les entretiens sonores, le texte-recherche et l’ensemble du processus d’incorporation par les comédiens. La sollicitation d’une metteuse en scène, avec qui de précédentes collaborations avaient été menées, permet d’engager concrètement ce passage de l’enquête à la création théâtrale [18]. Dès lors, le calendrier de la recherche se trouve légèrement modifié : le travail de terrain s’arrête pour laisser place à l’écriture, avant de reprendre lors des représentations sur scène qui deviennent des moments d’observation-réception. Dans le dernier point de cet article, nous allons indiquer comment la recherche multi-située a été une ressource pour ce passage des mots à la théâtralité, des résultats de la recherche aux corps des comédiens.
19Concrètement, le travail d’écriture demande plusieurs mois : des premiers textes commentés sur table avec la metteuse en scène, aux versions successives travaillées lors de journées collectives où les comédiens s’approprient les textes et les expérimentent sur le plateau, jusqu’aux multiples affinages issus des répétitions qui ont lieu jusqu’à la sortie officielle au Festival d’Avignon à l’été 2017. En amont du travail d’écriture, nous nous accordons sur le registre général de la pièce, non pas pédagogique mais informatif, non pas militant mais animé par des enjeux politiques et citoyens. S’il était évident que les récits des convoyeurs constituaient la principale matière de la pièce, nous voulions également que la recherche se livre, dans ses arts de faire et ses doutes, pour engager les spectateurs dans ce cheminement de l’enquête, pour qu’ils aient une réception active [19]. La problématique est ainsi livrée dès la troisième scène en quelques phrases adressées face au public ; elles visent à lui suggérer des pistes tout en lui laissant une part de l’interprétation :
– Suivre les morts… parce qu’il y a ce paradoxe on dit « un mort ça ne bouge plus ». Mais si.
– Et comme ils ne peuvent pas se déplacer tout seuls, suivre les morts, c’est regarder comment ils font agir les vivants.
– Les morts, ils sollicitent, ils interpellent, ils nous travaillent et travaillent pour nous.
– Suivre les morts, c’est regarder comment s’y prennent les vivants, ce qu’ils doivent inventer.
– Tu choisis de suivre ces morts qui circulent plus que les autres.
– Tu penses aux rapatriements.
– Le retour des morts immigrés sur leur terre d’origine va constituer le principal matériau de ta recherche.
– Suivre ces cercueils-voyageurs qui mettent en lien deux pays, plusieurs morceaux d’histoires, deux familles, plusieurs générations…
– Suivre ces morts, qui écrivent à leur manière une page de l’histoire de l’immigration. (Bossé et Pasquier éd., 2019, p. 9)
21La pièce déroule une succession de situations, telle une mosaïque, dont la trame est définie par les enjeux scientifiques. Elle repose sur deux mouvements : le premier vise à montrer les imbrications d’échelles et à poser la question de la mort et du rapatriement face aux évolutions des sociétés mondialisées (au-delà du monde musulman) ; le second entend croiser l’intime avec le politique en posant comme central le corps du mort dans toutes ses dimensions. Par la multiplicité des registres d’information et des situations mobilisables, parce qu’elle se fait en plusieurs lieux et auprès d’interlocuteurs différents, parce qu’elle relie des éléments habituellement dissociés ou encore parce qu’elle obtient des récits spatiaux nouveaux, l’enquête multi-située offre des ressources pour faire théâtre. Les ruptures émotionnelles y sont travaillées, et on peut alors passer de l’aéroport et de l’envoi du cercueil raconté par un employé, au témoignage d’un fils qui a enterré sa mère. On peut accoler par le texte des situations sans lien spatial réaliste, car le théâtre résout les changements de lieux ou de contextes grâce à des modifications de lumières ou de costumes. On peut travailler le jeu des comédiens pour assurer la réception de niveaux de compréhension distincts. Enfin, l’entité chercheur peut se trouver jouée par trois comédiens qui s’expriment avec le « tu », ce qui évite de l’incarner par un corps précis et instruit un partage et non une identification à ce rôle de l’enquêteur.
22Cette expérience de création théâtrale entre dans le registre du déplacement pour le chercheur, déplacement dans ses certitudes, déplacement dans la compréhension même des résultats. Il nous a fallu notamment admettre que les réceptions de la pièce seront diverses, multiples, et que vouloir s’assurer d’une seule manière de comprendre des résultats de recherche est une voie discutable.
Conclusion
23Nous nous sommes saisie, dans cet article, d’une enquête menée sur les rapatriements des morts pour aborder trois questionnements plus généraux sur les approches multi-situées. Le premier point s’est centré sur la définition de l’objet de recherche pour montrer que le mouvement du chercheur, entre lieux, contextes ou situations, est au service des connaissances attendues de cette mise en relation. Le deuxième a valorisé les résultats spécifiques qui, sur la thématique morts et migrations, sont liés au caractère multi-situé pour souligner comment cette dimension fondamentale s’introduit à toutes les échelles, ainsi que dans les pratiques et les moments de cette expérience singulière qu’est le rapatriement. Enfin, dans notre dernière partie nous montrons que suivre les morts, c’est s’attacher aux récits des vivants qui accompagnent les morts jusqu’à travailler à leur transmission à l’oral et en public : le chercheur a suivi la piste jusqu’aux plateaux des théâtres ; ainsi, le déplacement du regard, initié dès le début de l’enquête, déplace la nature de l’enquête et de l’écriture elle-même.
24Pour reprendre cette interrogation intéressante sur le multi-situé, s’agit-il d’un style personnel de l’enquêteur ou d’une nécessité imposée par l’objet d’étude (Meyer et al. éd., 2017) ? Les morts bougent, ils ont imposé le renouvellement des approches. Les récits ont une force qui s’impose et convainc une metteuse en scène, des distributeurs, des diffuseurs, des théâtres. Les expérimentations méthodologiques, si elles sont du goût ou du style du chercheur, doivent s’assumer jusqu’à un terme non connu : autant d’« espèces d’ethnographies » s’imposent alors.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : territoire multi-situé, morts, musulman, rapatriement, théâtre
Date de mise en ligne : 04/03/2020
https://doi.org/10.3917/esp.178.0089Notes
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[1]
Dans son éditorial du dossier « La mort en migration », Françoise Lestage (éd., 2012) pointait les travaux pionniers des années 2000 sur ce sujet qui a mis du temps à être traité par les sciences sociales. Plus récemment, un autre dossier se saisit de ces liens entre mort et mobilité transnationale (Grenet et Foa éd., 2017). Enfin, le dossier de Diversité urbaine de 2018 « Politique des morts et pratiques des vivants : enjeux autour des morts en migration », où l’on retrouve les principaux chercheurs qui appellent depuis plus de dix ans à travailler ces sujets et ont permis une coopération internationale à travers la mise en place d’un réseau dédié (mecmi), montre bien la reconnaissance aujourd’hui de cette thématique (Rachédi et Kobelinsky éd., 2018).
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[2]
On peut à nouveau citer un numéro de dossier de la revue Raisons pratiques : « Morts et fragments de corps » (Esquerre et Truc éd., 2011).
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[3]
Ce texte, s’il n’a qu’une auteure, doit beaucoup au travail mené en commun depuis plusieurs années avec Élisabeth Pasquier, par ailleurs coauteure de la pièce de théâtre dont il sera question plus loin.
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[4]
Ce projet de recherche (2015-2018) associant géographes, sociologues, historiennes de l’art et artistes est porté par le crenau (umr cnrs aau) de l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes en partenariat avec l’École supérieure des beaux-arts de Nantes Métropole. Son titre, emprunté au philosophe Sandro Mezzadra, souligne la position commune de recherche : comment travailler depuis la frontière (Mezzadra et Neilson, 2013).
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[5]
Anne-Laure Amilhat-Szary (2015) montre comment la frontière devient une expérience frontalière vécue à l’échelle du corps.
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[6]
Les entretiens ont été menés avec les personnes suivantes : le responsable d’une société internationale de rapatriement basée à Paris, des responsables d’opérateurs funéraires publics et privés (Services funéraires Ville de Paris, entreprises de pompes funèbres générales et musulmanes à Nantes et à Paris, coopérative funéraire basée à Nantes), la responsable du service mortuaire du chu de Nantes, un concepteur de mobilier funéraire basé en Vendée, la gestionnaire des cimetières municipaux de Nantes, le médecin du service médical d’urgence de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle ainsi que deux aumôniers, le président de l’association Les Morts de la rue de Loire-Atlantique, deux ingénieurs en environnement, le vice-consul de la Tunisie à Nantes.
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[7]
Le choix des rapatriements de musulmans s’inscrit dans la poursuite d’autres travaux menés sur l’islam contemporain, notamment une enquête menée de 2012 à 2014 sur la construction des mosquées dans l’ouest de la France, au cours de laquelle nous avions repéré les enjeux conjoints des rapatriements et des carrés ; voir en ligne : [url : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01915555]. Le choix plus précis des pays d’origine pour ces entretiens (Turquie, Algérie, Maroc) est lié aux liens d’interconnaissance et aux opportunités offertes durant la recherche. Les entretiens ont été menés à Paris, à Versailles, à Nantes et dans des communes de la périphérie nantaise.
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[8]
Les travaux de Vinciane Despret (2014, 2015a, 2015b) sur ce sujet sont des références théoriques essentielles pour cette recherche.
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[9]
Les effets de cette évolution sont par exemple discutés dans le dossier de SociologieS « L’enquête ethnographique en mouvement : circulation et combinaison des sites de recherches » (Meyer et al. éd., 2017).
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[10]
À propos de son enquête sur la marginalité, Dhalia Namian note que l’approche multi-située produit « des connaissances de portée transsituationnelle et transinstitutionnelle » (2005, p. 117).
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[11]
Plusieurs enquêtés nous expliquent les démarches engagées par les familles musulmanes choquées par l’incinération, au Centre hospitalier universitaire, des enfants nés sans vie qui étaient considérés comme des pièces anatomiques. Depuis le 6 février 2008, « tout enfant né sans vie à la suite d’un accouchement peut être inscrit sur les registres de décès de l’état civil, quel que soit son niveau de développement » (Sénat, « Étude de législation comparée no 184 » [en ligne], avril 2008, [url : https://www.senat.fr/lc/lc184/lc1840.html]). Ces enfants nés sans vie sont depuis de plus en plus inhumés, beaucoup étant musulmans.
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[12]
C’est sur ce point qu’un parallèle pourrait être poussé avec cette forme particulière d’enquête territoriale qu’est le transect très utilisé dans les domaines de l’aménagement, de l’urbanisme ou de l’architecture (Pousin et al., 2016).
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[13]
Nos déplacements ne sont pas les trajets effectivement pris par les morts. Nous n’avons pas essayé d’accompagner des familles lors du voyage vers le pays d’inhumation – notamment parce qu’il faudrait trouver le dispositif pour être tenu informé et pouvoir se mobiliser dans des délais très courts.
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[14]
En France, l’association entre intégration et choix d’inhumation reste très forte, alors qu’Agathe Petit (2011), dans le domaine funéraire, a déjà montré les limites de ces approches.
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[15]
La terre en Turquie comme au Maroc est gratuite ou peu chère. En France, le système de concessions payantes rend quasi certaine à terme l’exhumation du corps, ce qui est impossible à accepter pour certains musulmans. « Ils arrachent », raconte une des femmes interrogées.
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[16]
Pour un parallèle intéressant dans le domaine alimentaire sur ces enjeux de réification de l’autre, voir Crenn et al. (éd., 2010).
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[17]
Dans l’ouvrage Histoire, théâtre et politique, Gérard Noiriel (2009) retrace l’histoire qui a conduit à la séparation du théâtre, du savant et du politique. Il a lui-même contribué à ce rapprochement, en reliant le domaine scientifique, celui de l’histoire de l’immigration, et le théâtre à travers la recherche menée sur le clown Chocolat et en proposant une conférence spectacle avec le collectif daja où il jouait son propre rôle.
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[18]
Pour l’histoire de la pièce depuis la compagnie de théâtre, voir en ligne : [url : http://www.banquetdavril.fr/index.php?/projects/suivre-les-morts/].
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[19]
Elle ne s’inscrit pas en ce sens dans un théâtre dit de la parole.