Couverture de ESP_158

Article de revue

Émergence et impacts de l'agriculture urbaine à Cuba

Pages 101 à 116

Notes

  • [*]
    Janice Argaillot, docteur en études hispanophones et enseignante contractuelle de l’Université de Cergy-Pontoise, Laboratoire cicc (Civilisations et identités culturelles comparées, ea 2529), griahal (Groupe de recherche interdisciplinaire sur les Antilles hispaniques et l’Amérique Latine)
    janice.argaillot@orange.fr
  • [1]
    Notre étude sera principalement centrée sur la capitale cubaine, véritable laboratoire pour l’agriculture urbaine et reflet de l’orientation politique de l’ensemble du pays, même si d’autres villes pourront être abordées, du fait de leur(s) particularité(s).
  • [2]
    Au plus fort de la crise, les apagones (coupures d’électricité) décidées par l’État dans le but d’économiser l’énergie pouvaient durer plusieurs heures.
  • [3]
    Fondation culturelle et scientifique dont l’objectif principal est la défense de l’environnement, s’appuyant sur le principe de l’harmonie entre ce dernier, la société et le développement humain.
  • [4]
    Fondé en 1980, ce parti se donne pour mission première «?la lutte pour l’établissement [à Cuba] d’une société consacrée à la liberté et à la dignité humaine, totalement démocratique et souveraine, socialement équilibrée et juste?». D’après le site du cid, http://www.cubacid.org/wwa-ourhistory.php, consulté le 20 mai 2013.
  • [5]
    Pour la même année, certaines sources donnent des chiffres légèrement différents : l’agriculture urbaine aurait produit 800 000 tonnes de denrées, et notamment du riz (65 % de la récolte nationale), des fruits (43 %), des racines et tubercules (12 %) d’après le Programme des Nations unies pour le développement (op. cit.: 148).
  • [6]
    De nombreux médecins et professeurs ont opté pour une reconversion professionnelle leur permettant un contact direct avec les touristes et sont ainsi devenus chauffeurs de taxi, serveurs…

1La plus grande île de la Caraïbe est historiquement devenue un espace agricole de monoproduction. Néanmoins, on ne peut que constater qu’« à Cuba comme ailleurs, surtout dans le Tiers-monde, l’essor des villes est un phénomène de notre siècle [...] » (Roux, 1997). Ainsi, les mutations qui se sont opérées dans l’île et qui ont poussé la population vers les grandes agglomérations, ajoutées aux difficultés économiques engendrées par la disparition de l’allié soviétique, ont nécessité une adaptation constante de l’espace urbain. Il a fallu trouver des réponses à la fois rapides et durables aux besoins des nouveaux arrivants, notamment sur le plan alimentaire. L’agriculture urbaine s’est imposée comme l’une d’entre elles, mais il faut dire qu’elle ne contribue pas uniquement à la subsistance physique des villes, dans la mesure où elle s’est également convertie en un élément moteur de la vie culturelle et sociale des citadins cubains  [1].

2Ainsi, nous souhaitons dans un premier temps mettre en lumière les événements ayant poussé les autorités et la population cubaine à se tourner vers l’agriculture urbaine. En effet, cette réorientation de l’espace urbain et ce nouveau visage donné à l’agriculture sont le corollaire d’une crise violente et globale subie par les Cubains, et il est nécessaire de se demander de quelle façon ces derniers perçoivent ce phénomène relativement récent.

3Dans un deuxième temps, nous nous intéressons aux diverses formes de l’agriculture urbaine cubaine. En effet, l’agriculture pratiquée au sein des grandes agglomérations cubaines n’est pas monolithique ; elle implique au contraire différents acteurs, s’insinue dans de multiples espaces, et produit une large gamme de denrées.

4Enfin, nous tentons de comprendre les répercussions de ce type d’agriculture sur la culture et l’identité des personnes la pratiquant, mais aussi sur la géographie culturelle des villes, puisqu’elle peut constituer un facteur positif pour l’environnement, les liens sociaux et les pratiques culturelles.

Essor de l’agriculture urbaine dans la Cuba contemporaine

La chute de l’urss

5L’effondrement du bloc communiste s’est répercuté dans tous les secteurs productifs ainsi que dans tous les domaines de la vie privée des Cubains : la crise économique dans laquelle l’île s’est enfoncée au début des années 1990 a été officiellement reconnue à l’été 1991 par le gouvernement, qui a décrété une « Période spéciale en temps de paix ». La politique correspondante – qui perdure aujourd’hui, bien que dans une moindre mesure – est constituée d’une série de mesures d’austérité? [2] visant à préserver l’économie de l’île, afin de maintenir une cohésion sociale et en conséquence de sauver le système révolutionnaire.

6Avant même la disparition de l’Union soviétique, Cuba avait mis en place un plan d’urgence permettant de réaliser des économies, et en conséquence de sauvegarder les acquis de la révolution : « Au cours de l’année précédent l’éclatement final de l’urss, la balance commerciale de Cuba a subi une perte de 80 % et a vu sa production agricole diminuer de moitié en raison de la disparition soudaine de presque 1,3 million de tonnes d’engrais » (Annuaire du pnue, 2009). Malgré les efforts de l’État, la situation se dégrada fortement : « Le premier semestre de l’année 1993 se révèle catastrophique dans tous les domaines. Les pénuries sont particulièrement graves dans la production électrique, les transports et l’alimentation de la population urbaine, en particulier dans la capitale et les grandes villes où sévit une disette rampante, aggravée par une épidémie de neuropathie liée à la malnutrition » (Douzant Rosenfeld, 1996).

7Assurer l’approvisionnement minimum en denrées alimentaires des villes est devenu une priorité. On peut le comprendre quand on sait qu’avant la Période spéciale, le bloc socialiste assurait 66 % des besoins de l’île dans ce domaine (Farinelli, 2008). La population est désormais soumise à la « libreta » (carnet de rationnement), et ceci tout particulièrement en ville. Mais même ainsi, la production agricole « traditionnelle » ne suffit pas à assurer l’alimentation des grandes villes. Ceci est d’autant plus vrai que les agglomérations ont absorbé un fort exode rural, et qu’en leur sein « les anciens ruraux n’ont pas les revenus monétaires suffisants pour acheter leur nourriture […] » (Maréchal, 2010). En résumé, « La Havane, abrite 20 % de la population de l’île, soit quelque 2,5 millions d’habitants. Nourrir cette population compte […] parmi les priorités » (Madeley, 2002).

8Les autorités ont été ainsi obligées de repenser le rôle des acteurs de la chaîne d’approvisionnement alimentaire. L’effondrement de l’urss fut en cela le « catalyseur à un changement de politique radical » (Annuaire du pnue, op. cit.). La taille même des unités de production fut remise en question. On observe d’ailleurs depuis le début des années 1990 une tendance de l’agriculture cubaine à aller de plus en plus vers le local et le particulier, ainsi qu’une autonomie croissante des producteurs : « La mesure la plus spectaculaire est la décision de démanteler les fermes d’État pour arrêter de les subventionner à perte. Il s’agit de remplacer les diverses unités de base de production au sein des grandes exploitations par des unités autonomes de taille moyenne sous forme de coopératives autogérées […] » (Douzant Rosenfeld, op. cit.).

Le blocus américain

9Mis en place dès 1962, mais renforcé en 1992, ce blocus donna sans le vouloir l’impulsion décisive au développement de l’agriculture urbaine à Cuba : « L’agriculture urbaine contemporaine a commencé à se développer à Cuba du fait de l’embargo » (Lepage, 2009). En effet, la Période spéciale fut le moment jugé opportun par le gouvernement américain pour provoquer la chute du castrisme. Ainsi, les États-Unis ont accru leur politique d’isolement de l’île (notamment par le biais des lois Torricelli de 1992 et Helms-Burton de 1996). Les exportations vers Cuba ont chuté de manière drastique : « Les États-Unis ont encore durci le blocus contre Cuba, ce qui a créé des difficultés additionnelles pour l’île. Cuba a vu son accès aux denrées alimentaires gravement menacé, et ses importations sur ce plan ont chuté de moitié. C’est ainsi que l’apport en calories a chuté de 22 %, celui en protéines de 36 %, et celui en graisses de 65 % » (Programme des Nations unies pour le développement, 2002). On comprend donc aisément que l’État cubain ait soutenu une politique de développement de l’agriculture urbaine face à l’impossibilité d’importer nombre de denrées : « Le gouvernement a créé un programme qui a transformé en jardins les nombreux espaces vacants de La Havane. Certains quartiers vont même jusqu’à produire 30 % de leur alimentation » (Lepage, op. cit.). Cette politique a été couronnée de succès, puisqu’on a vu fleurir de nombreux jardins potagers au sein même de la capitale : « Avant 1989, on n’avait pratiquement jamais entendu parler d’agriculture urbaine ; en 1998, grâce à l’appui de l’État, 30 % du territoire disponible à La Havane était occupé par des « jardins » officiellement reconnus et entretenus par plus de 30 000 personnes » (Madeley, op. cit.).

10L’agriculture urbaine n’est ainsi pas une constante depuis le début de la révolution. Il s’agit plutôt d’un changement de cap dû à la situation économique du pays : « Par nécessité, Cuba a décidé de s’orienter vers les vieilles méthodes : agriculture biologique, traction animale, amendement naturel des sols, horticulture de proximité (puisque les transports manquaient)… […] L’agriculture de proximité s’est développée grâce à la distribution de centaines de terrains vacants à qui voulait les cultiver, et par l’incitation à cultiver partout où l’on pouvait : dans les patios, sur les terrasses des immeubles – dans des pots, des containers ou des pneus – ; des coopératives agricoles ont été créées, de même qu’un réseau des boutiques de graines et d’outillage où des consultants donnaient des conseils aux utilisateurs » (Farinelli, op. cit.). On ne peut nier ici l’échec du plan américain, puisque l’embargo n’a pas permis la chute du « régime cubain », et qu’il a en outre favorisé une certaine cohésion sociale face à l’adversité.

11Imposé comme une nécessité, le jardinage n’est pas forcément perçu comme un mal par les citadins. Jardiner serait même pour certains d’entre eux un acte révolutionnaire, en tous les cas un « moyen de contribuer à la révolution » (Moscow, 2000). En somme, aider à la production alimentaire du pays reviendrait dans l’esprit de certains Cubains à combattre les pénuries et l’embargo états-unien, autrement dit à poursuivre la lutte révolutionnaire ainsi que la politique d’indépendance de l’île vis-à-vis du Voisin du nord. On relève donc qu’un certain nombre de citadins ne voient pas dans le fait de jardiner une « obligation » qui serait la résultante des manquements du système révolutionnaire ; la faute incombe uniquement, pour une partie de la population qui continue à défendre la révolution, à la politique hostile des États-Unis.

Une agriculture urbaine, des formes variées

12Si l’urbain relie les pratiques agricoles étudiées ici, il faut préciser que l’agriculture urbaine cubaine prend différentes formes.

Espaces

13Dans un premier temps, ce sont des espaces publics qui ont été réquisitionnés par les autorités et convertis en lieux de production agricole. Ainsi, les jardins personnels sont cultivés sur « des terrains privés ou des terres de l’État que les jardiniers peuvent utiliser gratuitement. Selon les estimations, il en existerait plus de 26 000 à La Havane » (Moscow, op. cit.). Même le parc métropolitain de la capitale est concerné depuis 2000, dans une tentative d’« élaborer une forme d’agriculture urbaine, globale, écologique et autosuffisante » (Rodriguez, 2000 : 90). Cela peut paraître incongru, le métropolitain semblant a priori s’opposer au rural et à l’agricole, mais les différents problèmes liés à l’économie et à l’écologie que connaît l’île appellent des réponses globales et rapides, qui permettent en outre une meilleure communication entre les deux mondes.

14Le fait de mettre à disposition des citadins les espaces publics afin de leur garantir un approvisionnement minimum n’est pas anodin. Il contribue effectivement à diffuser l’idée d’un État soucieux de faire des sacrifices pour son peuple. Autrement dit, il ne s’est pas agi uniquement de nourrir la population, mais également de poursuivre métaphoriquement et physiquement la lutte pour l’indépendance que suppose la révolution. Atteindre l’autosuffisance alimentaire peut ainsi devenir un argument pour le gouvernement révolutionnaire, la preuve d’un système que l’on présente comme efficient.

15On a ainsi vu se multiplier les autoconsumos, jardins potagers de subsistance, le plus souvent gérés par une entité administrative. Les autorités cubaines soutiennent ainsi l’agriculture urbaine, et dans une certaine mesure, tentent même de la contrôler – certains diront de la surveiller. Ajoutons que dans les fermes d’État (« fincas estatales »), 50 % des bénéfices sont redistribués aux travailleurs (Cosecha urbana, 2004).

16Pourtant, l’agriculture urbaine est un phénomène global, et une partie de la production est le fait de citadins indépendants, qui cultivent leur propriété : « À La Havane, tous les espaces disponibles, y compris les toitures et les balcons, sont affectés à la production de produits alimentaires » (Programme des Nations unies pour l’environnement, 2002). Il est difficile de faire une estimation exacte de la superficie cultivée, le terme « urbain » n’ayant pas le même sens pour tous les observateurs. De nombreux chiffres circulent ainsi sur internet (en moyenne, et toutes cultures confondues, 35 000 hectares seraient consacrés à l’agriculture urbaine dans La Havane et sa province) ; malgré tout, on peut dire que l’agriculture urbaine a bien envahi l’ensemble de la capitale cubaine, car s’il est indéniable qu’ « il y en a beaucoup plus en périphérie qu’au centre, les potagers se trouvent un peu partout » (Moscow, op. cit.).

17Dès 1989, les centres de restauration collective ont connu des bouleversements : « [Les cantines urbaines qui] restent ouvertes se dotent d’un potager en travail collectif, comme certaines parcelles d’agriculture urbaine se glissent dans les interstices du tissu urbain havanais ou des grandes villes » (Roux, op. cit.). On peut ainsi affirmer que la réaction du gouvernement cubain a été à la fois rapide et progressive, puisque les espaces urbains ont été peu à peu « conquis » par l’agriculture au fur et à mesure de l’accentuation de la crise.

18Ainsi, les « terrains vagues », « lots abandonnés » ou « décharges » ont été convertis en jardins (Moscow, op. cit.), ce qui contribue à la diffusion d’un sentiment de plus grande sécurité : des terrains jusqu’alors désertés et qui étaient devenus des zones « informelles » ont été transformés en potagers, tout en contribuant à l’embellissement de la ville. En ce sens, l’agriculture urbaine constitue un facteur d’amélioration du lieu de vie, donne un nouveau sens à des espaces inutilisés, et s’apparente donc à un renouveau du cadre urbain.

19Par ailleurs, si dans un premier temps l’agriculture urbaine s’est cantonnée aux espaces « abandonnés » de la ville, elle a au sens propre et au fil du temps pris une place de plus en plus importante dans la vie quotidienne des citadins cubains : « La création d’un système d’agriculture urbaine a été un facteur clé dans la construction d’un nouveau système alimentaire autosuffisant et pérenne, et dans le rapprochement entre consommateurs et producteurs. Cet effort était initialement une réponse populaire à la pénurie de nourriture, qui poussa quelques citadins à cultiver des “solares” abandonnés au début des années 1990. Mais très vite, le gouvernement cubain a vu le potentiel qu’offrait l’agriculture urbaine pour pallier la crise alimentaire. Écoles, institutions et lieux de travail ont commencé à produire des aliments sur leurs domaines. Les jardins urbains ont fleuri dans toute La Havane […] » (Fernández, 2008). On voit ici que le gouvernement cubain s’est finalement rangé à une pratique impulsée par les citadins eux-mêmes, et qu’il a contribué à la développer en lui offrant de nouveaux espaces, parfois perçus comme le centre d’une culture plus « intellectuelle », tels que les écoles.

20En parallèle, les marchés paysans ont été (ré)instaurés en 1994, alors qu’ils avaient été interdits en 1986. Mais en donnant son aval à la production personnelle d’aliments, l’État cubain a, sans le vouloir, consolidé le marché noir.

21Le phénomène a pris de l’importance en peu de temps : « douze ans après son apparition, l’agriculture urbaine occupe plus de 1 500 hectares dans le tissu urbain de La Havane et conforte la masse de verdure en rendant productif un nombre considérable d’espaces urbains » (Cruz, 2004). Ce type d’agriculture s’est bien imposé dans toute la ville, et n’est plus clairement limité. Son impact est donc lui aussi global, d’autant plus qu’outre les lieux de production, il faut prendre en compte les lieux de commercialisation : « Il existe différents lieux où sont commercialisés les produits de l’agriculture urbaine, tels que : les magasins, points de vente, marchés d’État agricoles, marchés agricoles, marchés ambulants […] ». Les producteurs peuvent également établir des contrats avec les crèches, écoles, hôpitaux, restaurants (Cosecha urbana, op. cit.). Ainsi, derrière l’aspect commercial, l’agriculture urbaine implique différents acteurs, et dévoile en creux de nombreuses problématiques.

Acteurs

22Dès 1991, le gouvernement, nous l’avons vu, a joué un rôle primordial dans l’essor de l’agriculture urbaine. D’aucuns vont jusqu’à dire qu’il en est le soutien et le moteur, ce dont peu d’autres États peuvent se prévaloir : « Le rôle du gouvernement cubain dans la promotion et le soutien de l’agriculture urbaine est unique au monde et compte sûrement pour beaucoup dans la réussite du programme » (Moscow, op. cit.).

23Le ministère de l’Agriculture a créé en 1994 un département d’agriculture urbaine, dans le but d’aider la population à acquérir des techniques agricoles, et lui a fourni le matériel nécessaire à son bon développement (Fernández, op. cit.). La création de ce Département montre à elle seule l’importance que revêt l’agriculture urbaine pour Cuba, mais également la pleine conscience des autorités de la nécessité de la développer. Cela est à tel point vrai qu’en l’an 2000, l’agriculture urbaine a été intégrée au Plan de Ordenamiento Territorial de la ville de La Havane (Cruz, 2004). Il convient également de noter qu’il existe à Cuba une « École supérieure d’agriculture urbaine et suburbaine », destinée à former des professionnels qualifiés.

24Outre les institutions, les grandes figures de la révolution ont également appuyé le développement de l’agriculture urbaine. Raúl Castro lui-même a enjoint aux Forces armées de participer aux processus d’autoconsommation, et son frère Fidel a appuyé sans réserve « le modèle alternatif » que constitue l’agriculture urbaine (Programme des Nations unies pour le développement, op. cit.). Ce type d’agriculture est également promu par l’ensemble du système politique, les échelons provinciaux et municipaux s’engageant à côté de l’État. Par exemple, la ville de Cienfuegos (163 000 habitants) a complété les subventions temporaires et l’assistance sociale que le niveau national a proposées face à la crise au début des années 1990 par ses propres programmes d’agriculture urbaine et de développement intégré. Ces actions sont conduites en liaison avec les administrations nationale et provinciale, et avec la participation des unités d’organisation de la population, au niveau municipal comme à celui du territoire urbain (MacDonald, 2005). Ainsi Cienfuegos a connu un essor rapide de sa production agricole urbaine, lui permettant même de produire 63,431 tonnes de légumes, graines et tubercules en 2002 (Cosecha urbana, op. cit.).

25Les provinces et les villes ont été épaulées dans le travail de diffusion des connaissances techniques par des « agents de vulgarisation agricole » (Moscow, op. cit.). En somme, on a donné à la population les moyens de parfaire ses connaissances et les outils pour maîtriser une agriculture spécifique, à laquelle elle n’était pas habituée. Et cela a incontestablement fonctionné. En participant aux formations offertes, les citadins cubains ont répondu favorablement à l’initiative gouvernementale.

26Les hommes se sont engagés, alors qu’en général, ce sont les femmes qui sont les principales actrices de l’agriculture urbaine. Mais, avec le caractère à la fois global et spécifique de cette crise dans l’île, il semble que « les responsabilités domestiques des femmes [à tout le moins au début de la période spéciale en temps de paix] ne leur laissaient pas assez de temps pour faire du jardinage » (Moscow, op. cit.) ; les hommes seraient donc devenus les principaux acteurs de l’agriculture urbaine cubaine. En outre, une étude menée dans un organopónico a montré que ce dernier n’était qu’une reproduction d’un modèle sociétal, puisqu’il « reproduisait exactement les clichés des sociétés cubaine et latino-américaine dans lesquelles les femmes ont plus de responsabilités mais moins de pouvoir de décision » (Dueñas et. al., 2009). Cette affirmation est sans doute à nuancer, dans la mesure où les estimations moyennes montrent que si 25 % de la main-d’œuvre non qualifiée employée dans le secteur de l’agriculture urbaine cubaine est faite de femmes, ce pourcentage s’élève à plus de 50 % lorsque l’on évoque les travailleurs qualifiés.

27Précisons que l’ensemble de la population havanaise ne s’est pas impliqué dans l’agriculture urbaine. Les jeunes générations, beaucoup moins enclines à défendre le système politique révolutionnaire, semblent ainsi ne pas vouloir s’investir dans les nouveaux modes de production alimentaire urbains. En outre, la persistance du marché noir – qui existait déjà à Cuba dans les années 1960 – prouve que le développement de l’agriculture urbaine n’a pas fait l’unanimité, et n’a pas été profitable à la totalité des Havanais.

28Certaines fondations et centres d’études participent également de façon active à la promotion de l’agriculture urbaine. Ainsi, la Fondation Antonio Núñez Jimenez? [3] défend notamment la permaculture, et l’une de ses publications, ile, Anuario de Ecología, Cultura y Sociedad, montre par son titre même l’importance de lier l’humain et toutes les cultures, y compris l’agricole.

29Mais il faut également dire que les « dissidents » ont fait de la politique d’« autoconsumo » une tribune pour leurs revendications. De la sorte, le parti « Cuba Independiente y Democrática » (cid)? [4] a organisé diverses réunions afin de promouvoir des projets portant sur ce sujet. Il faut rappeler les liens du cid avec les États-Unis, et préciser que la revendication de l’autonomie alimentaire fait écho à une volonté d’aller vers une plus grande liberté politique. Ainsi, si l’émergence de l’agriculture urbaine à Cuba s’explique par une crise économique majeure, de nos jours, ce type d’agriculture est devenu une tribune politique pour les opposants, qui en font le symbole des maux que connaît l’île.

Produits

30La production des espaces agricoles urbains est diversifiée, tout comme les modes de production. En 1995, on dénombrait 1613 organopónicos (coopératives horticoles organisées en plates-bandes plantées sur un mélange de terre et de matière organique, comme le compost, au sein desquelles le prix des produits vendus est plafonné par l’État), 429 « huertas intensivas », et 26 604 « huertas populares » à Cuba (El-Hage Scialabba et Hattam, 2003). Le poids des organopónicos dans la production agricole urbaine est indéniable, d’autant plus que la production s’y est diversifiée : « Les organopónicos de Cuba se sont convertis en exemple pour les autres pays en matière de sécurité alimentaire. Rien qu’à La Havane, il y a 200 fermes urbaines qui produisent la moitié des fruits et légumes consommés dans la capitale. La Havane représente 1/5e de la population cubaine. La nourriture peut être achetée à des prix faibles directement auprès de ces jardins. […] La plupart se tournent vers la polyculture, alliant l’élevage d’animaux à la production de légumes et de fruits, ce qui leur permettrait d’être 25 fois plus productifs qu’un système de cultures séparées » (Houbein, 2011). On observe que si le modèle cubain n’est pas transposable à d’autres territoires, et si la réussite de l’expérience présentée ici repose sur un contexte économique, politique et géographique spécifique à l’île, il n’en reste pas moins qu’il constitue un appui à la projection d’une image positive de Cuba sur la scène internationale – le premier séminaire de réflexion concernant la création d’une structure régionale chargée du développement de l’agriculture urbaine et périurbaine dans la zone caribéenne s’est d’ailleurs tenu à La Havane en mai 2012.

31En 1994, les potagers organiques urbains ont produit 4000 tonnes d’aliments (ElHage Sciabbala et Hattam, op. cit.). Il ne s’agit donc pas d’un phénomène mineur ou périphérique. L’agriculture urbaine est même devenue un pilier essentiel de l’économie par l’étendue et la force de sa production : « En 1999, l’agriculture organique urbaine non certifiée représentait 65 % de la production de riz du pays, 46 % des légumes frais, 38 % des fruits hors agrumes, 13 % des racines, tubercules et bananes, et 6 % de la production d’œufs » (El-Hage Scialabba, et Hattam, op. cit.)? [5]. Ainsi, l’agriculture urbaine cubaine produit essentiellement des fruits et des légumes (les denrées les plus cultivées étant la banane, l’igname, le manioc, la courge, et le poivron) mais également du riz, aliment qui constitue la base de l’alimentation cubaine.

32En outre, les agriculteurs urbains développent depuis plusieurs années de petits élevages d’animaux – principalement de basse-cour – fournissant ainsi volailles et œufs à la population urbaine. À cela s’ajoute la culture maraîchère, également importante dans les zones urbaines.

33On voit ici que l’agriculture qui s’est développée dans les villes cubaines fournit un large éventail de produits, pour partie autoconsommés, qui a fait reculer la disette du début des années 1990, même si cette production ne permet pas d’atteindre les quotas recommandés par l’Organisation de Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. De plus, la production de viande bovine demeure très faible, et reste destinée en priorité à l’approvisionnement des restaurants accueillant les touristes.

Quel(s) impact(s) sur la population, son environnement et sa culture ?

34L’agriculture urbaine apporte de multiples bénéfices : « Les avantages des jardins peuvent également s’étendre aux quartiers avoisinants. On relève cinq types d’avantages : augmentation des denrées alimentaires disponibles, contribution à l’économie du pays, embellissement des quartiers, amélioration de la sécurité et de l’écologie urbaine » (Moscow, op. cit.).

Écologie

35L’environnement et l’écologie sont deux facteurs primordiaux pour la production agricole mondiale, car la nécessité de produire à tout prix ne prime plus sur le développement durable – à tout le moins dans les discours officiels. Le premier avantage de la production agricole urbaine est donc de lier approvisionnement alimentaire et respect de l’environnement : « Ainsi, la production alimentaire est très transparente. Elle est également saine pour l’environnement, car elle nécessite peu de transport et d’entreposage » (Moscow, op. cit.). Une production sur place bénéficie d’une certaine traçabilité des produits, et la réduction des distances de transport réduit la consommation d’énergie et l’émission de pollutions.

36Certains déchets sont transformés en compost, ce qui constitue en outre un bénéfice économique. De la sorte, l’agriculture urbaine permet le recyclage des déchets organiques de la ville. Elle permet également de sensibiliser la population quant à la protection de l’environnement, sensibilisation qui est encore une fois appuyée à Cuba par le gouvernement via des associations comme la Asociación Cubana de Agricultura Orgánica fondée en 1992 (ElHage Sciabbala et Hattam, op. cit.).

37Ainsi, l’écologie se convertit peu à peu en un thème central de l’agriculture urbaine. Finalement, l’une des « […] caractéristiques importantes de l’agriculture durable cubaine [est] : dans les zones urbaines, trois types de potagers intensifs cultivés en biologique : des jardins pour assurer l’autosuffisance des écoles et des lieux de travail (« autoconsumos »), des jardins à plates-bandes en billons (« organopónicos ») et des jardins communautaires intensifs (huertos intensivos) » (onu, 2002). L’aspect « biologique » est primordial, puisque le succès et les avancées sont tels, que l’on peut désormais lire qu’en ce qui concerne l’agriculture urbaine mondiale, « la réussite la plus importante, et pour partie la plus formalisée, est celle de Cuba dont le fao s’efforce de faire partager l’expérience dans tous les pays où l’urbanisation galopante pose problème […]. » (Maréchal, op. cit.). Ainsi, les Cubains sont présentés comme les « leaders dans les domaines de la préservation des sols, des méthodes d’agriculture organique, des biopesticides ou du vermicompostage » (Annuaire du pnue, op. cit.). Néanmoins, il faut encore qu’une réflexion concernant la gestion et l’utilisation des ressources en eau soit menée dans l’île.

38L’agriculture urbaine cubaine est donc essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, organique et biologique, la crise empêchant l’achat d’engrais chimiques (un décret publié en 1996 interdit d’ailleurs l’agriculture non biologique à La Havane). On a ainsi remis au goût du jour les bio-fertilisants, et promu une agriculture articulée au monde animal (utilisation de vers de terre, d’animaux de pâturage…). Et à ce sujet, certains petits exploitants urbains, qui travaillent sans produits chimiques ni machines, se sont montrés « plus efficaces que les unités de production à grande échelle » (Botella Rodríguez, 2007).

39Voilà bien un bouleversement par rapport à une tradition latino-américaine peu tournée vers une agriculture durable : avec « un développement agroécologique conduit par le paysan, les agriculteurs et leurs organisations font rapidement en sorte que l’agriculture durable soit la norme et non l’exception. Le mouvement campesino a campesino a commencé d’abord avec des groupes d’agriculture urbaine dans de multiples ceintures vertes autour de La Havane […] » (Knox et Meinzen-Dick, 2006).

40Si l’agriculture urbaine s’inscrit dans le développement durable, et dans les préoccupations quant au devenir des générations futures (Cruz, 2005), il ne faut pas oublier qu’elle a transformé la vie sociale, quotidienne et culturelle de la population.

Vie sociale et culturelle

41La vie sociale a connu des évolutions grâce à l’agriculture urbaine, puisque l’on peut parler d’un rapprochement entre les habitants d’un même quartier. L’agriculture urbaine resserre donc dans une certaine mesure les liens sociaux, non seulement au sein des villes, mais également entre espace urbain et rural : le « […] rapprochement entre le lieu de production et le lieu de consommation conduit à une atténuation de la séparation ville-campagne, sous l’effet de la renaturation des villes […] » (Lepage, op. cit.). L’agriculture urbaine a donc impacté sur le quotidien des citadins en modifiant le visage « traditionnel » de la ville : « […] les animaux de ferme sont beaucoup plus présents à La Havane que dans bien des capitales ; on les garde souvent près de son domicile pour les protéger contre les voleurs » (Moscow, op. cit.). En somme, l’espace urbain a été transformé, tout comme son usage classique, et on observe une véritable redéfinition de la ville en tant que lieu de vie, ainsi que de ses frontières : on aboutit à une « transformation des relations ville-campagne et des faiblesses de la culture agraire héritées de l’époque coloniale et réaffirmées pendant ce siècle […] » (Cruz, 2004).

42Mais il faut préciser que Cuba n’était traditionnellement pas un pays de culture potagère, et que le déplacement de l’agriculture vers la ville entraîne sans doute un « choc », puisqu’il transforme le paysage et modifie également les pratiques (culturelles, économiques…) en cours jusqu’alors. On peut d’ailleurs noter qu’y compris dans les villes, des cours d’agriculture sont désormais dispensés aux écoliers. Le défi consiste ici à ne pas sombrer dans l’écueil de transposer le modèle rural à l’espace urbain (Cruz, 2004), ni dans celui de faire entrer en compétition les modes de production urbains et ruraux.

43L’agriculture urbaine a également contribué à la création d’une société à deux vitesses, et a parfois exacerbé les tensions et la jalousie entre les personnes ayant la possibilité de cultiver un lopin de terre et les autres. En effet, la surface cultivable n’étant pas extensible à l’infini, et certains quartiers comme la Vieille Havane connaissant une concentration importante d’immeubles d’habitation, certains citadins n’ont pas la possibilité physique de cultiver un lopin de terre. Les vols de denrées alimentaires se sont d’ailleurs multipliés. De la même façon, il convient de noter que certaines zones de La Havane reçoivent un soutien financier du ministère de l’Agriculture dans le but de développer l’agriculture urbaine, tandis que d’autres ne s’appuient que sur « les militants du quartier » (Moscow, op. cit.).

44L’inversion de la pyramide sociale observable à Cuba depuis le début de la Période spéciale? [6] est renforcée par l’agriculture urbaine, puisque le travail de l’agriculteur urbain a été valorisé et est désormais perçu comme nécessitant de nombreuses connaissances scientifiques et techniques. En outre, les incitations matérielles offertes aux membres les plus productifs des centres agricoles urbains contrôlés par l’État ont creusé l’écart de salaire entre les citadins qui se consacrent à l’agriculture urbaine à plein temps et d’autres catégories socioprofessionnelles (les fonctionnaires ont ainsi des revenus réels inférieurs à ceux des exploitants urbains).

45Mais dans l’ensemble l’agriculture urbaine a favorisé la création d’emplois : « La principale motivation de Cuba a été d’éviter le désapprovisionnement en aliments, mais son appui à l’agriculture dans les villes a également constitué un investissement intelligent en faveur de l’emploi et en prévention de la crise. L’agriculture urbaine a créé à Cuba 160 000 emplois, en incluant les travailleurs agricoles, maçons, vendeurs et personnes employées au fanage d’herbe et à la production d’engrais » (Halweil et Nierenberg, 2007). Autrement dit, ce nouveau type d’agriculture a permis, dans une certaine mesure, de lutter contre un chômage que l’on disait endigué, mais qui avait reparu avec la crise.

46Bien évidemment, « la culture et l’élevage [contribuent] à augmenter de façon significative la quantité d’aliments à la disposition des familles des jardiniers et la qualité de ces aliments […] ils contribuent à réduire les dépenses alimentaires hebdomadaires et les jardiniers peuvent gagner de l’argent en vendant leurs produits maraîchers » (Moscow, op. cit.). L’alimentation et les pratiques alimentaires urbaines ont en ce sens connu une évolution positive, et si les Cubains continuent à conjuguer le verbe « resolver » à tous les temps, l’agriculture urbaine leur a tout de même offert un certain répit, une certaine tranquillité d’esprit concernant leur approvisionnement en denrées alimentaires.

47Les personnes qui consacrent une partie de leur temps à cultiver des potagers semblent donc regagner une certaine confiance en eux, se percevant comme les acteurs de leur destin et se sentant investis d’une certaine responsabilité, et ne plaçant pas tous leurs espoirs en un « État providence ». Autrement dit, l’agriculture ne contribue pas uniquement à la préservation des institutions politiques. Le jardinage apparaît comme « divertissant », et le jardin comme « un endroit attrayant » (Moscow, op. cit.). Jardiner est parfois synonyme de « réduction du stress, satisfaction spirituelle, plaisir et esthétisme » (Moscow, op. cit.). Il ne s’agit donc plus uniquement de cultiver pour subsister, dans la mesure où le jardinage s’est converti en un plaisir, et peut-être en un moyen de s’échapper des réalités difficiles du quotidien.

48En outre, l’agriculture urbaine à Cuba n’est pas dénuée d’une dimension « communautaire » (Cruz, 2005 : 328) – d’aucuns iront jusqu’à évoquer sa dimension « solidaire ». Tout en mettant en contact plus de 15000 producteurs (Cruz, 2004), elle est au centre de projets qui ne peuvent être réalisés qu’en concertation avec tous les acteurs de la ville, et est également un moteur d’ « inclusion sociale » pour des secteurs vulnérables (Cruz, 2005). En somme, elle offre un espace de discussion et d’échanges, et permet à tous les secteurs de la société d’entrer en communication ; elle devient donc un facteur de réduction de l’exclusion sociale en valorisant à la fois l’identité individuelle et collective.

49L’agriculture urbaine prend même une dimension onirique, elle ouvre une fenêtre sur un futur que l’on souhaiterait meilleur : « On imagine, aujourd’hui, la création de fermes urbaines coopératives, la création d’espaces de nature en ville, la relance de la biodiversité apportant des emplois donnant priorité aux populations locales exclues du système, permettant ainsi la production et la livraison d’une alimentation saine et de proximité » (Lepage, op. cit.).

50Si la vie en communauté a été touchée par l’instauration de l’agriculture urbaine, la culture a également connu des transformations. En effet, la ville est avant toute chose une production humaine. Ce sont donc bien les citadins, qui construisent et vivent la ville, qui impulsent sa gestion quotidienne. Dès lors que l’on évoque l’humain, l’identité et la culture affleurent rapidement. Et l’on ne peut que souligner que l’agriculture urbaine a un impact sur cette culture. Elle favorise effectivement les actions locales, et en conséquence permet une plus grande implication des populations dans des projets communs (Cruz, 2005), ce qui a pour effet de redynamiser la culture et l’identité régionales. L’investissement des populations signifie effectivement une (re)découverte du territoire, de l’architecture et de l’espace que l’on occupe collectivement, qui sont autant d’éléments clés de l’identité culturelle.

51Ce type d’agriculture bouleverse également les schémas établis, et demande aux habitants des grandes agglomérations certaines capacités d’adaptation (Cruz, 2005). Elle a en parallèle remis au goût du jour des techniques agricoles ancestrales, et la transmission du savoir – d’un patrimoine – a ouvert une porte sur le passé, c’est-à-dire sur l’Histoire qui a forgé une identité sinon commune, à tout le moins partagée. Au-delà de son caractère d’activité productive et commerciale, l’agriculture urbaine se pérennise sans doute par son ancrage dans une culture à la fois locale et nationale.

Conclusion

52Réussite économique et sociale intérieure, l’agriculture urbaine est également un moyen pour Cuba de projeter une image positive d’elle-même sur la scène internationale, puisque les acteurs de sa permaculture participent à de nombreuses conférences de par le monde. Ainsi, l’expérience et les réalisations cubaines sont-elles un moyen pour le gouvernement révolutionnaire de donner à voir un autre visage que celui de pays « miséreux » que l’on a parfois voulu lui accoler, et devient un lien entre l’île et d’autres pays, brisant par là même l’anathème dont elle a pu être victime. À titre d’exemple, la ville de Cuenca, en Équateur, a bénéficié de l’aide de la ville de La Havane lors de la mise en place de son projet d’agriculture urbaine en 1998 (Cosecha Urbana, op. cit.).

53L’agriculture urbaine est un thème de débat et de réflexions pour tous les pays économiquement « sous-développés », dont Cuba s’est souvent posée en défenseur, voire en fer de lance (Botella Rodríguez, op. cit.). En effet, de nos jours, l’agriculture urbaine n’est plus uniquement un moyen de pallier une crise ponctuelle ; elle est au contraire de plus en plus perçue comme un moyen de faire face à des difficultés globales et latentes, c’est-à-dire à une crise des systèmes politiques et sociaux : « En remettant en question les stratégies conventionnelles de sécurité alimentaire, à savoir mondialisation et privatisation (et même si la démarche a procédé d’une nécessité et non d’un choix), Cuba a, en pratique, abattu les barrières politiques qui semblent freiner l’adoption de l’éco-agriculture durable » (Annuaire du pnue, op. cit.). Au-delà de l’approvisionnement en denrées alimentaires, on assiste à une évolution du rôle de la ville, et en conséquence à l’apparition de nouvelles formes du vivre ensemble : l’agriculture urbaine s’est imposée comme un espace d’échanges, un lieu de consolidation du sentiment d’appartenance à la communauté et un territoire où se mêlent productions agricole et culturelle. En somme, les événements historiques contemporains ont permis à Cuba d’exploiter de nouvelles pistes de la révolution.

Bibliographie

Références bibliographiques

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Mots-clés éditeurs : Cuba, ville, Période spéciale, société, agriculture

Mise en ligne 01/08/2014

https://doi.org/10.3917/esp.158.0101

Notes

  • [*]
    Janice Argaillot, docteur en études hispanophones et enseignante contractuelle de l’Université de Cergy-Pontoise, Laboratoire cicc (Civilisations et identités culturelles comparées, ea 2529), griahal (Groupe de recherche interdisciplinaire sur les Antilles hispaniques et l’Amérique Latine)
    janice.argaillot@orange.fr
  • [1]
    Notre étude sera principalement centrée sur la capitale cubaine, véritable laboratoire pour l’agriculture urbaine et reflet de l’orientation politique de l’ensemble du pays, même si d’autres villes pourront être abordées, du fait de leur(s) particularité(s).
  • [2]
    Au plus fort de la crise, les apagones (coupures d’électricité) décidées par l’État dans le but d’économiser l’énergie pouvaient durer plusieurs heures.
  • [3]
    Fondation culturelle et scientifique dont l’objectif principal est la défense de l’environnement, s’appuyant sur le principe de l’harmonie entre ce dernier, la société et le développement humain.
  • [4]
    Fondé en 1980, ce parti se donne pour mission première «?la lutte pour l’établissement [à Cuba] d’une société consacrée à la liberté et à la dignité humaine, totalement démocratique et souveraine, socialement équilibrée et juste?». D’après le site du cid, http://www.cubacid.org/wwa-ourhistory.php, consulté le 20 mai 2013.
  • [5]
    Pour la même année, certaines sources donnent des chiffres légèrement différents : l’agriculture urbaine aurait produit 800 000 tonnes de denrées, et notamment du riz (65 % de la récolte nationale), des fruits (43 %), des racines et tubercules (12 %) d’après le Programme des Nations unies pour le développement (op. cit.: 148).
  • [6]
    De nombreux médecins et professeurs ont opté pour une reconversion professionnelle leur permettant un contact direct avec les touristes et sont ainsi devenus chauffeurs de taxi, serveurs…
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