Notes
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[*]
Philippe Genestier, urbaniste en chef de l’État, chercheur au laboratoire rives, université de Lyon entpe-cnrs (umr 5600)
genestier.philippe@neuf.fr -
[1]
L’idéal égalitariste récuse l’idée de mixité, puisqu’elle nie ou minore la nature antagonique des structures sociales, et qu’elle entérine la persistance des inégalités en cherchant seulement à atténuer leurs effets.
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[2]
La loi Solidarité et renouvellement urbains est un bon exemple : 20 % de logements sociaux dans toutes les communes urbaines est un objectif à 20 ans. En même temps, les communes qui ne feraient pas dès maintenant un effort « suffisant » sont menacées de sanctions.
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[3]
La mixité est une notion « différentielle », dont le sens se définit le plus souvent dans une relation d’opposition avec une autre notion.
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[4]
Louis Althusser (1976), l’un des inspirateurs de l’école française d’analyse de discours, a développé une « lecture symptomale », les locuteurs ne maîtrisant jamais tout ce qu’ils disent et en disant toujours plus que ce qu’ils ont l’intention de dire.
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[5]
Qui peut dire frontalement qu’il est contre la mixité ? La pensée politiquement correcte est fondée sur des mots fétiches. Un enquêté peut affirmer que la mixité c’est bien, même s’il fait de gros efforts pour habiter dans un quartier à la population « choisie », ou pour déroger à la carte scolaire. Le discours habituel des médias, ou des habitants des quartiers gentrifiés, valorise le caractère mixte des quartiers populaires devenus attractifs pour les couches moyennes. C’est l’expression d’un « ethnocentrisme assez retors » (Charmes, 2009). De même, « l’injonction à davantage de mixité, toujours pensée en termes de mélange entre classes moyennes et classes populaires, ne constitue-t-elle pas la voie privilégiée de recherche de cette cohésion sociale dont une frange importante des classes supérieures, et tout particulièrement l’élite politique, ne cesse de rappeler les vertus tout en s’en affranchissant ? » (Oberti, 2007, p. 242).
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[6]
À l’automne 2006, le ministre J.-L. Borloo a défendu énergiquement la loi sru (sous le regard vigilant de l’abbé Pierre venu à l’Assemblée), en usant de l’argument de la mixité contre un groupe de députés de son bord désirant l’abroger.
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[7]
Chacune à sa façon, les contributions dans ce dossier de Pierre-Arnaud Barthel et Célia Dèbre, Didier Desponds, Christine Lelévrier ou Sylvie Tissot apportent des exemples (ndlr).
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[8]
Le renouveau de l’intérêt de la communauté scientifique pour la mixité-ségrégation doit beaucoup à la politique de recherche incitative du ministère de l’Équipement. Il imposa cette thématique via le Plan urbain dès 1990, alors que la communauté scientifique s’en était détournée depuis les années 1970.
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[9]
À l’heure de la mondialisation et des délocalisations, la mise en accusation du système productif suscite surtout du fatalisme, ce qui pourrait expliquer la focalisation sur les injustices spatiales.
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[10]
Dans la politique européenne, la notion de mixité-cohésion sociale a une acception technocratique, bardée d’indicateurs et de tableaux de bord, en application du traité de Lisbonne (Donzelot, 2008). Elle a une acception plus « républicaine », portée depuis la Troisième République par les élites françaises.
« La corruption des mots ajoute aux malheurs du monde »
1La notion de mixité est paradoxale et, malgré ou à cause de cela, l’usage du vocable « mixité » est massif aujourd’hui en France, au point de désigner une thématique importante du discours politique et sociologique. Comment rendre compte du contenu polysémique de ce vocable ? Comment cerner les raisons de l’abondance des déclarations concernant cette thématique ? Une première approche des usages de ce vocable à partir des textes gouvernementaux produits depuis 2000 montre que son contenu est constitué de plusieurs facettes et que cette thématique est engagée dans des registres discursifs différents, se référant eux-mêmes à des types de socialité distincts et à des modèles de justice divergents. Tentons de dénouer cet enchevêtrement, avant d’examiner ses causes et ses conséquences pratiques.
Contenus sémantiques et usages argumentatifs de « mixité »
2Il est difficile de définir le sens et la portée de ce vocable, en raison des connotations et des référents qui varient en fonction des contextes d’interlocution et des stratégies d’énonciation.
Des connotations variées, voire contradictoires
3En déployant les différentes facettes constitutives de la thématique de la mixité, on distingue celles relatives à :
- une approche statistique, le terme « mixité » se référant au degré d’homogénéité sociale de l’espace considéré. Il énonce un constat, qui se veut axiologiquement neutre et relevant de l’objectivation du réel. Il pourrait désigner un concept propre à l’idiome de la démographie, de la sociologie et de la géographie urbaines, s’articulant à l’ensemble des catégories qu’emploient ces disciplines. Mais il s’agit plutôt d’un pseudo-concept, à cause des nombreuses imbrications dans cet idiome des plans descriptif et optatif ;
- l’expression d’un idéal, la mixité étant la dérivée d’une certaine idée du Bien et du Juste, elle désigne une espérance réformiste [1] relevant d’un univers moral, voire théologique, référé à un modèle d’harmonie sociale, de communauté rassemblée, en communion avec elle-même. Ainsi, le mot « mixité » dote le discours d’un caractère hyperbolique et lui confère un ton emphatique. Ce vocable normatif joue un rôle de slogan (Tournier, 1985) ;
- la proclamation d’un principe régulateur, l’idéal étant translaté sur le plan normatif et programmatique, dans le domaine de l’action publique urbaine et scolaire en particulier. Le brassage des populations est posé comme un objectif à long terme, mais à appliquer immédiatement et en continu dans l’action publique, chaque opération participant à la réalisation tendancielle de l’idéal. Le vocable « mixité » aspire à une capacité performative et il représente un mot d’ordre [2] ;
- un énoncé utopique, au sens où la mixité est hors d’atteinte, tant les obstacles sont considérables. Les utilisateurs conscients de ces obstacles savent qu’ils sont dans la fiction et, en utilisant malgré tout le terme (Baudin, 2001), ils énoncent un vœu pieux. La différence entre le mot d’ordre et le vœu pieux tient à une plus ou moins grande dose de désabusement ;
- la prégnance d’un mythe, la vertu de la présence en un même lieu et dans des proportions équivalentes des différents groupes sociaux est postulée, les bienfaits individuels et collectifs de l’équilibre socio-spatial sont proclamés, sans analyser les effets concrets prévisibles. Ces bienfaits font l’objet d’un consensus et ils font partie du conformisme moral en vigueur, avec tous les effets organisationnels qui en procèdent. La mixité urbaine relève du stéréotype et ses effets bénéfiques de l’idée reçue ;
- une pure rhétorique, le vocable est engagé dans un discours en apparence vertueux mais en fait duplice. L’argument est retourné et ne vise plus à améliorer le sort des populations défavorisées, conformément à l’esprit de la loi Solidarité et renouvellement urbains par exemple mais, au contraire, à interdire certains lieux à ces populations sous prétexte que leur arrivée produirait un déséquilibre ou accentuerait la ghettoïsation. Il s’agit alors d’un simple argument.
4Gardons-nous de trop de relativisme : bien que kaléidoscopique, la notion de mixité est dotée d’un noyau de sens qui relève d’un souci de justice sociale. Tout comme son inverse [3], la « ségrégation » (Gaudin et al., 1995), elle sert à caractériser les inégalités. Elle est idéologiquement « chargée », sans toutefois être politiquement clivante. Par son truchement, ce souci de justice sociale est problématisé en termes spatiaux et plus spécifiquement urbains. Le couple notionnel mixité-ségrégation constitue un thème de discours relevant de l’injonction plus que du constat, puisque le second est souvent formulé en termes de dévoilement de situations d’écart à la normalité. La mesure statistique du degré d’homogénéité (et donc du manque de mixité) constitue de facto une dénonciation, puisque ce manque constitue en soi une injustice, requérant une intervention politique. Le couple notionnel mixité-ségrégation relève du discours institutionnel normatif dont il faut se distancier : « L’approche de l’espace comme facteur explicatif suppose que soient clairement distingués, comme dans toute analyse sociologique, les concepts descriptifs des concepts explicatifs. Les premiers permettent une présentation de la distribution spatiale : y a-t-il concentration ou dispersion, homogénéité ou hétérogénéité, etc. ? Cette description, aussi précise soit-elle, ne permet pas de passer à une interprétation sociologique sans médiation. Ainsi ne peut-on passer du concept descriptif de séparation spatiale au plan résidentiel au concept interprétatif de ségrégation sociale ou de marginalisation, comme s’il y avait un lien automatique entre les deux. Or, ce passage indu se fait d’autant plus facilement qu’on utilise souvent un paradigme normatif non critiqué, que l’on pourrait schématiquement formuler comme suit : le mélange spatial des catégories sociales et des activités est une des conditions d’apparition d’un rapport social égalitaire. Mettant en doute ce paradigme normatif et affirmant la non-automaticité du passage entre concepts descriptifs et concepts interprétatifs, il convient de s’interroger pour savoir dans quel contexte les séparations et les spécialisations spatiales aboutissent à des ségrégations et à des exclusions sociales et dans quel contexte, au contraire, elles accroissent l’autonomie d’un groupe et ses capacités d’intervention » (Remy et Voyé, 1981, p. 216).
5Mais le discours politico-savant est souvent sourd à l’égard d’un tel appel à la circonspection car son objectif premier est de définir des thèmes-objets qui, en s’imposant à l’agenda des pouvoirs publics, permettent de définir un objectif mobilisateur : des thèmes-objets intégrant le domaine des politiques publiques. Ils sont alors régis par les logiques propres à ce domaine. Les propos usant du couple notionnel mixité-ségrégation sont soumis aux règles du discours politique en tant que genre discursif spécifique. Ce discours répond à l’exigence d’action (Do Something Syndrome) incombant aux acteurs publics, ce qui leur impose de produire du récit (Storytelling) sur le présent, ses problèmes et les solutions qu’ils proposent pour l’avenir. En énonçant un récit doté d’un minimum de plausibilité et grâce auquel ils prétendent rendre le réel intelligible et maîtrisable, les acteurs publics réalisent l’objectif premier de tout discours politique : produire un effet de légitimation au bénéfice de la politique elle-même et des locuteurs qui s’en réclament.
Si ce cadre d’analyse du discours politique paraît a priori relativement adapté pour resituer les usages du vocable « mixité » dans leur contexte institutionnel, avec les enjeux médiatiques correspondants, ce n’est pas la voie d’analyse suivie ici, car elle est trop fonctionnaliste. Une autre approche, visant à approfondir les raisons de la transformation d’une notion en thématique politique, est plus féconde. Les discours usant de ce vocable sont ici considérés en tant que partie émergée d’un imaginaire social-historique. C’est là la part la plus enrichissante des approches par les mots et les discours : ces derniers, examinés comme symptômes [4], ouvrent à la compréhension d’une épistémè.
Des connotations multiples, engagées dans des registres discursifs différents
6Le mot « mixité » désigne une notion floue, naviguant entre le pseudo-concept, le slogan, l’idéal, le principe régulateur, l’utopie, le mythe et le simple argument, et s’insérant dans des registres discursifs aussi différents que l’injonction morale, la prise de position idéologique, la description statistique, la prescription législative. Cette notion se trouve engagée dans différents régimes de pensée et participe à des élaborations narratives peu rigoureuses. Les déclarations et proclamations en faveur de la mixité sont à la fois nombreuses et diverses, prononcées par le personnel politique de tout bord.
« Je crois fondamentalement que la République c’est la mixité sociale, c’est le vivre ensemble, c’est l’espace public de qualité, c’est le lien entre les générations et les populations » (Marie-Noëlle Lienemann, ministre du Logement, 5/10/2001).
« La mixité fait pleinement partie des principes qui fondent le Pacte républicain. D’ailleurs la mixité sociale est un des grands objectifs visés par mon programme de rénovation urbaine instauré par la loi du 1er août 2003, complétée par la loi de Cohésion sociale du 18 janvier 2005 » (Jean-Louis Borloo, ministre de l’Écologie et du Développement durable du gouvernement de François Fillon, 25/11/2007).
« Beaucoup de maires voient dans la maison à 15 euros par jour une opportunité de créer de la mixité sociale tout en évitant le schéma de la ghettoïsation » (Christine Boutin, secrétaire d’État au Logement, 22/2/2008).
7Dans ces déclarations, les acceptions de la mixité sont différentes : la droite parlant plus en termes de construction de logements en accession à la propriété là où il y en a peu, la gauche pensant en termes d’introduction de couches modestes dans les communes aisées. Tous les locuteurs admettent que le terme « mixité » comporte une connotation éthique claire, permettant de dire leurs bonnes intentions dans un discours consensuel relevant de la pensée politiquement correcte [5].
8Il y a aussi un usage stratégique du terme, imposant la mixité comme thématique de discours orienté vers l’action. En effectuant une proclamation publique, le locuteur se présente comme un acteur social qui détient une capacité d’expertise sociologique, une fibre sociale et même un projet politique. La participation à la construction et à la propagation de cette thématique permet au locuteur de prendre position (aux deux sens du terme) au sein du système institutionnel (il est révélateur qu’un rapport de fin d’étude à l’École nationale d’administration en 2006 a porté sur la mixité). Le mot « mixité » participe ici d’un registre de discours marqué par l’officialité. Les locuteurs occupant un statut officiel, ou y prétendant, doivent prononcer ce terme avec conviction ! La question intéressante est : comment la mixité s’est-elle imposée parmi les thématiques politico-médiatiques légitimes actuelles, indispensable pour être reconnue comme un prétendant légitime à une fonction décisionnelle dans la Cité ?
9Il existe enfin un usage proprement idéologique du mot « mixité ». La sensibilité de gauche est spontanément choquée par la séparation spatiale des couches sociales et par la différence de conditions de vie qui va de pair, produisant souvent un cumul des handicaps sociaux. Cette séparation est ressentie comme une injustice sociale, si bien que les termes « ségrégation » et « mixité » s’inscrivent dans le lexique égalitaire-progressiste du rejet des injustices. À l’inverse, le libéralisme (qui perçoit le marché foncier comme un simple révélateur de la structure de la société) et le conservatisme (pour lequel un milieu de vie doit correspondre à l’identité de ses habitants et conforter leur appartenance sociale) sont a priori indifférents à cette thématique.
10Toutefois, la résonance humaniste de la notion la rend congruente avec la pensée chrétienne et la remise en cause de la mixité devient taboue ; l’hégémonie des valeurs égalitaires-progressistes dans le paysage culturel et institutionnel français oblige ceux qui n’y adhèrent pas à édulcorer leurs propos. Cette édulcoration se fait avec des considérations philanthropiques et consensuelles. Il est rare que les adeptes du libéralisme et du conservatisme avouent publiquement leur position à l’égard de la mixité [6].
Sur l’échiquier politique, tous les acteurs publics invoquent la mixité et elle sert à justifier des mesures contradictoires [7]. Quand un mot peut simultanément être consensuel et partisan, mais aussi moraliste, accusateur et réconciliateur, il s’avère vide de sens. Le succès de ce vocable découle de son caractère de tabou et de son statut de fétiche. On perçoit dès lors à quel point la charge connotative du mot « mixité » est cardinale : elle opère sur le plan pragmatique en donnant à ses utilisateurs en situation de parole institutionnelle et/ou militante la possibilité de cadrer le débat, de créer une communauté de pensée et d’émettre un propos se référant à la fois à une démarche scientifique de quantification, à l’idéologie progressiste, à la morale et à la loi ; il devient un argument d’autorité quasi imparable.
Le mythe de la mixité : entre doxa politique et doutes ethnographiques
11L’état des lieux des discours sur la mixité révèle une controverse entre ceux qui, sur le plan normatif, conçoivent la mixité comme un idéal et un principe régulateur et ceux qui, développant une approche analytique, perçoivent sa part mythique et sont plus réservés.
Paroles analytique, experte, décisionnelle
12Face à la pensée officielle, des analystes n’entendent pas céder aux facilités de la bonne conscience. Les appels à la prudence de Jean-Claude Chamboredon et Madeleine Lemaire (1970) sont bien connus : « la proximité spatiale [ne réduit pas forcément] la distance sociale ». Pour Pierre Bourdieu (1993, p. 166), « rien n’est plus intolérable que la proximité physique (vécue comme promiscuité) de gens socialement éloignés ». Dans une perspective ethnographique, Colette Pétonnet (1987) affirme qu’il ne faut pas voir dans les situations de concentration sociale le simple produit d’une logique ségrégative mais, parfois, le fait de logiques d’agrégation volontaire. Jean Remy et Liliane Voyé (op. cit., p. 152) nuancent les condamnations stéréotypées de la ségrégation sociale dans l’espace : « (Il) ne faudrait pas voir automatiquement dans la séparation résidentielle par rapport au milieu de travail, ni même dans la spécialisation résidentielle qui fait que certains groupes sociaux sont prédominants dans certains quartiers, un phénomène de marginalisation et d’exclusion, l’image idéale de la communication sociale exaltant le mélange des diverses activités et des diverses populations dans le même espace et privilégiant la transparence ; la séparation spatiale peut au contraire permettre aux divers milieux sociaux des modes propres d’habiter, dont ils ont la maîtrise, tandis que le mélange spatial risquerait d’aboutir à une situation où les formes légitimes d’habiter sont déterminées par le groupe doté de la légitimité dominante – à moins de faire l’hypothèse de l’individu moyen, c’est-à-dire d’une société où les règles d’occupation des espaces seraient les mêmes pour tous les milieux et seraient orientées vers un même type de ressource et une même forme de sociabilité. »
13La consultation organisée par le ministre de l’Équipement en 1990 auprès de nombreux chercheurs est moins connue (collectif, 1992). Le Cabinet voulait donner une assise scientifique à sa politique de lutte contre la ségrégation et en faveur de la mixité. Certains chercheurs firent part de leur réticence à parler de « ségrégation » et « mixité » et à entrer dans une lecture statique et dichotomique des faits socio-économiques urbains. Pour eux, la problématique de la ségrégation n’était guère valide. En conclusion, ils affirmaient que ce discours conduirait automatiquement à des recommandations peu pertinentes eu égard aux pratiques socio-spatiales et aux modes de vie des populations considérées.
14Ces chercheurs insistaient sur la nécessité de traiter de l’homogénéité d’un secteur géographique dans le cadre de problématiques distinguant les dimensions sociale, générationnelle, ethnique, culturelle, économique, fonctionnelle. Ils soulignaient l’importance des lectures dynamiques, ne produisant pas la photographie d’un site à un moment donné mais replaçant les situations ponctuelles dans la pluralité des trajectoires professionnelles et résidentielles des ménages (trajectoires ascendantes pour certains, bloquées ou descendantes pour d’autres) ; ainsi, à un moment donné, des ménages résident à un endroit particulier. La signification d’un lieu de résidence variant selon qu’il a été choisi (même si c’est un choix sous contraintes) ou imposé, selon que l’on a l’espoir plausible d’en partir ou pas, ils soulignaient que des quartiers identiquement qualifiés de « cités souffrant du manque de mixité, d’équipements et d’infrastructures », des zones de « relégation » (Delarue, 1990), se trouvent dans des situations géographiques et démographiques contrastées. Ces nuances, voire ces réfutations, n’ont pas été entendues par les « décideurs » publics. Le préjugé contre « les ghettos », l’anti-racisme (faisant de la ségrégation un synonyme de la discrimination et de l’apartheid) et l’idéal assimilationniste républicain (associant brassage social et citoyenneté) étaient trop forts. Malgré la proximité idéologique de la majorité de ces chercheurs avec le gouvernement de gauche les consultant, le malentendu a persisté entre eux.
15Des critiques d’ordre méthodologique ont aussi été adressées aux mesures de la mixité ou de la ségrégation : comment découper l’espace et comment catégoriser ce qui est mesuré ? Convient-il de rapporter ces mesures à une problématique centre-périphérie (mais cela marche mal pour les villes américaines) ? Ces critiques insistent sur la part de prédéfinition des questions par les résultats attendus, sur la préconstruction des outils de mesure par les données que l’on entend mettre en lumière et sur l’absence de neutralité axiologique d’une démarche quantitative prétendument objective.
Néanmoins, les analyses en termes de « ségrégation-mixité » ont connu depuis 1990 un réel regain [8], la mise en lumière des inégalités socio-spatiales constituant une opportunité pour reformuler un discours politique volontariste et pour réaffirmer un idéal égalitaire [9]. De la Loi d’orientation pour la ville (1991), initialement intitulée « loi anti-ghetto » et votée après le départ de Michel Rocard du gouvernement, à la loi Solidarité et renouvellement urbains (2000), la motivation fut la même : les échéances électorales ont poussé les gouvernements à afficher un infléchissement à gauche aisément identifiable par leurs militants et leurs électeurs. Les termes « ségrégation » et « mixité » ont été des slogans de campagne électorale.
De la réquisition morale à la mobilisation politique
16Dans la plupart des discours savants, politiques et médiatiques, la notion de mixité se rapporte explicitement à la répartition différentielle dans l’espace urbain des différentes catégories de population (classes, ethnies, genres, générations), mais elle comporte, en fonction des représentations qui l’irriguent, au moins deux autres problématiques : la cohésion sociale et les inégalités socio-spatiales.
17La première, relative au ghetto, à la discrimination, à la sécession, avec les risques pour le lien social, relève d’une pensée rationaliste, même si une part implicite de hantise sociopolitique est présente ; elle conduit à un mode d’action technocratique.
18La seconde, relative à la pauvreté urbaine et aux difficultés de vivre et de se loger en ville, est justiciable d’une appréhension plus émotionnelle et d’une pensée compassionnelle qui met le problème de la misère au centre du débat. La question de la mixité-ségrégation urbaine est alors placée sous la houlette de la question de l’exclusion, avec sa pointe extrême : les « sans-abri ». Le discours sur la ville et le logement étant surdéterminé par ce qui est perçu comme dégradant et inhumain, la discussion sur la mixité-ségrégation se charge de pathos. Le phénomène des sans-abri a en théorie un rapport indirect avec la mixité, mais les questions se télescopent. De l’appel de l’abbé Pierre durant l’hiver 1954 aux revendications actuelles de l’association « Droit au logement », les lanceurs d’alerte détiennent une réelle puissance d’interpellation auprès de l’opinion publique. Il en découle une confusion entre la pénurie de logements et le phénomène des « ghettos », ce qui entraîne une indécision sur les priorités de l’action publique. Les pouvoirs publics, hantés par le spectre du grand ensemble « à la dérive » et tenaillés par le spectacle des sans-abri, font des déclarations nationales en faveur de ces derniers en adoptant une posture morale ; mais, à l’échelon local, ils choisissent au nom de la mixité et du « droit à l’urbanité pour tous » de construire « bien » et « peu », plutôt que beaucoup.
19Sous l’influence de la part émotionnelle et sous la pression médiatique, l’argument de la mixité sert à tout : à défendre des positions restrictives (l’Agence nationale pour la rénovation urbaine fait usage de l’argument de la mixité pour justifier la raréfaction du parc de logement accessible aux moins favorisés) et à formuler les surenchères de mouvements revendicatifs. De facto, la mixité, en tant qu’impératif politico-moral, se trouve abusivement placée sur le même plan que le droit au logement, alors même que ce dernier constitue une extension des droits de l’homme et a acquis récemment valeur constitutionnelle. Le discours habituel sur la ville affirme l’équivalence et la continuité du « droit au logement » (avoir un toit) et du « droit à la ville » : « Pour que le droit au logement soit respecté partout, il faut que le logement social ne soit absent nulle part » (Besson, ministre du Logement, 11/1/2001), méconnaissant les contraintes foncières qui pèsent sur la construction de logements à vocation sociale. Cette citation, qui confond l’effectivité et la localité, illustre les conséquences de la saisie des problèmes par la compassion ou par la hantise : les enjeux éthiques, idéologiques et médiatiques font obstacle à l’analyse raisonnée des marges d’action, privilégiant les mesures visibles et rapides sur la recherche de solutions durables.
L’assimilation de la pauvreté à l’exclusion est un autre exemple de ce dérapage conceptuel. Avec l’engagement du mot « exclusion » dans les débats, on passe de la condition socio-économique à une caractéristique spatiale, d’abord conçue comme une métaphore, mais qui devient le trait définitionnel principal. L’exclusion étant devenue synonyme de misère, la mixité sociale dans l’espace, envers et inverse de l’exclusion, est perçue comme un remède possible, voire le principal remède. Ce pseudo-raisonnement découle de l’usage d’une pensée métonymique (prenant le contenant pour le contenu, c’est-à-dire le quartier pour ses habitants) qui fait du mélange urbain non seulement un facteur mais un tenant-lieu de l’équilibre social. Sous le double effet de la métaphore et de la métonymie, l’espace mixé est érigé en antidote, voire en instrument majeur de résolution du problème de la pauvreté. La notion de mixité est embarquée dans ce jeu conceptuel ambigu consistant à spatialiser l’ensemble des questions sociales (la mixité et la ségrégation étant des catégories spatialisantes, comme la marginalité ou la relégation), y compris des questions qui relèvent de phénomènes structurels a priori peu affectés par la dimension spatiale.
La mixité : entre types de socialité et modèles de justice
20De multiples connotations et registres de discours correspondent au thème de la mixité-ségrégation. Il est appropriable par différents régimes de pensée tout en s’inscrivant dans l’un ou l’autre des types de socialité concevables. Ces types s’articulent à l’un ou l’autre des modèles de justice disponibles dans notre système de valeurs et de représentations. Grâce à cette variété de postulats et d’axiomes, les locuteurs ont l’opportunité de proférer un discours apparemment valide du point de vue analytique et a priori crédible du point de vue politique. Les discours bâtis à partir de ce thème ou le mobilisant dans leur argumentaire peuvent prendre une teneur aussi bien descriptive qu’injonctive, tout en glissant insensiblement d’un registre à l’autre. Ce thème sert de passerelle entre le monde scientifique et le monde politique, les ressortissants du premier se targuent de l’utilité sociale de leurs études, ceux du second arguent de la solidité des analyses sous-tendant leurs décisions.
Communauté et reconnaissance, ou société et intégration ?
21La spatialisation de la pauvreté, corollaire de la territorialisation des politiques publiques et de l’urbanisation du politique (Genestier et al., 2007), favorise le rabattement de la question sociale sur l’ordre proche, celui des relations interpersonnelles, c’est-à-dire sa problématisation en termes moraux. La notion de mixité s’inscrit dans un registre déploratif, participant d’une saisie subjectiviste du réel débouchant sur un modèle de justice fondé sur la « reconnaissance mutuelle » et la « concorde », favorisées par les relations directes à « autrui ». Chacun se sentira « proche de tous » et l’éloignement (aux sens spatial, cognitif et affectif) sera réduit si toutes les catégories de la population sont « co-présentes » et « co-visibles » dans « la Cité ». Dans ces enchaînements de vocables, la thématique de la mixité, investie par les questions du « monde commun », conduit insensiblement vers la problématique de « la sollicitude » et de « la bienveillance », de « l’hospitalité » et du « métissage », de « l’estime de soi » et de « l’égale dignité » (d’où l’expression « logement indigne » récemment officialisée par la loi). De tels mots et de telles problématiques sont inspirés par la philosophie morale et les nouvelles théories de la justice (Honneth, 2000 ; Ricœur, 2004 ; Frazer, 2005). Ces théories abandonnent la dénonciation de l’exploitation, et dressent un réquisitoire contre l’indignité. Le vocable mixité perd la connotation matérialiste acquise dans les luttes urbaines contre la « rente foncière », dans les années 1960-1970.
22La notion de mixité renvoie également aujourd’hui à un autre registre d’argumentation, celui relatif aux types de socialité. Quand la notion de mixité est comprise en termes de « cohésion sociale », elle se réfère à un modèle de solidarité et d’équilibre sociétal quasi officiel en France, propre au modèle républicain et largement inspiré de l’école sociologique durkheimienne. La notion de mixité est utilisée dans des récits sociologiques et politiques en vue d’améliorer la stabilité du système social (d’où la vogue des expressions « le vivre-ensemble », « le faire-société », « le lien social » [Genestier, 2006]). Cette notion s’inscrit dans un registre scientifico-gestionnaire [10], relevant du versant non sécuritaire et non répressif des politiques publiques, dont l’objectif est de garantir l’ordre public et la paix civile par « l’intégration sociale», définie par la solidarité organique et la prédominance de l’identité « citoyenne », pour aboutir à une société cohésive, voire harmonieuse. Cette cohésion est censée découler de l’adhésion de chacun aux institutions publiques, comprises comme des cadres collectifs identificatoires et stabilisateurs. Dans cette perspective, la différence de conditions de vie, en particulier l’inégalité de situation géographique et d’accès aux services publics, dont l’école au premier chef, est perçue comme une injure faite au pacte républicain, avec les risques de « communautarisme » qui en procèdent.
23Quand le mot « mixité » est intégré dans un discours évoquant la solidarité mécanique et privilégiant les appartenances héritées, les identités figées par les relations de proximité, on s’écarte du modèle durkheimien-républicain et la problématique de la « communalisation » (au sens de Max Weber) se trouve remise en selle. Depuis les années 1990, les discours politiques et experts mobilisent les valeurs communautaires et usent d’une rhétorique des affects. Cette évolution doctrinale entraîne la polarisation de l’action institutionnelle, non plus sur l’échelle abstraite de la nation, même si celle-ci a toujours eu vocation à se décliner à chaque échelon du territoire, mais sur l’échelle concrète de la ville et surtout des quartiers (Genestier, 1999 ; Tissot, 2007).
Le modèle républicain de justice et le type de socialité « sociétaire » ont été hégémoniques durant un siècle en France, minorant les dimensions locale et ethnoculturelle du réel. La situation a changé en deux décennies : le modèle actuel mélange les valeurs sociétaires et communautaires, tentant d’articuler les paradigmes de la justice par redistribution et par reconnaissance. La thématique de la mixité offre l’opportunité soit de retrouver les fondamentaux du modèle républicain par un simple changement d’échelle, passant du stato-national au local, soit d’amender ce modèle en le complétant par une conception plus pragmatique de la socialisation. Dans les deux cas il s’agit peut-être de résister à la perte de crédibilité de l’idée de Société, au sens intégratif et substantiel du terme (Dubet, 2009).
La mixité ou l’art de l’hybridation
24A priori, les échanges marchands, les régulations normatives et le rapport quotidien aux institutions qui trament la vie individuelle et collective devraient produire de l’intégration sociale. De même, le modèle matériel et rationnel légal de justice, avec ses principes impersonnels, fondé sur l’égalité de droit et l’égalité des chances, et sur un niveau élevé de redistribution permettant une certaine « égalité de condition » (au sens tocquevillien du terme), devrait se passer du renfort d’un modèle de justice symbolique et implicatif. Le dosage des différentes catégories sociales dans chaque lieu devrait être un facteur annexe, avec de faibles enjeux idéologiques. Mais les ratés pratiques (chômage de masse, échec scolaire, absence d’ascension sociale, structures professionnelles figées, précarité) et les désillusions théoriques (perte de plausibilité du récit progressiste de l’histoire et disparition d’un horizon d’attente radieux au profit d’une vision anxiogène du devenir) du type moderne de socialité obligent les pouvoirs publics à réintroduire, dans le répertoire des problématisations et des outils de gestion du monde présent, des valeurs et des représentations relevant du type traditionnel de socialité.
25Cette hybridation est une tentative de compenser les défaillances d’un système par l’introduction d’une dose du système opposé ; elle n’est conceptuellement possible qu’en abandonnant le plan des principes au profit du pragmatisme. Ce dernier, adaptant les objectifs aux terrains et désirant construire des compromis ou des consensus locaux, conduit naturellement à prendre au sérieux l’espace physique, particulièrement l’espace urbain. De facto, la thématique de la mixité socio-spatiale s’en trouve accréditée, alors qu’elle était rarement considérée comme déterminante avant 1980.
La mixité : mot fétiche et problématique illusoire ?
26Les trois problématiques portées par la notion de mixité (la répartition spatiale, l’exclusion et la cohésion sociale) sont distinctes, mais en fait liées. Leur confusion permanente donne à cette notion un sens allusif et principalement connotatif, confondant le point de vue moral, les aspirations politiques et la recherche de solutions techniques. Cette indistinction des registres discursifs et des modèles de référence fait courir le risque de ne pas saisir la complexité des processus sociaux et des rapports que les groupes entretiennent à leur espace. Cette intrication des types d’analyse et des catégories d’objectifs interdit également d’affiner les réponses concrètes à apporter aux problèmes socio-spatiaux à traiter. Ainsi, le concept de « capital d’autochtonie » (Rétière, 2003 ; Rénalty, 2005) rejoint les analyses de Colette Pétonnet et de Jean Remy sur les vertus potentielles de l’agrégation sociale (voir plus haut) ; il va à l’encontre du réductionnisme auquel la thématique de mixité socio-spatiale conduit automatiquement. Le mot « mixité » témoigne d’un ethnocentrisme qui interdit de percevoir en quoi une faiblesse de capital économique empêchant de résider dans un quartier convoité par des couches plus aisées ne correspond pas nécessairement à une absence de capital social et relationnel.
De manière plus pratique et du point de vue urbanistique, on assiste au fléau des problèmes urbains capturés par des enjeux qui dépassent considérablement la dimension proprement spatiale, via les mots institutionnels (avec les connotations, les stéréotypes activés et les émotions suscitées). Utiliser des catégories morales conduit à problématiser sur une base inadéquate et constitue le meilleur moyen d’entretenir de fausses questions, auxquelles on apporte des réponses aléatoires. Poser en termes urbains des questions normatives d’ordre global (même s’il faut reconnaître que le mode de vie des Occidentaux est quasi totalement urbanisé) est commode et avantageux pour le personnel politique comme pour les professionnels de la ville. Mais une telle coalition de convictions et d’intérêts spatialise à outrance des problèmes qui ne relèvent de l’espace physique ni en termes de cause ni en termes d’effet. Cela conduit à investir des ressources publiques – pourtant structurellement rares – sur des projets urbains et des objectifs territoriaux dont les effets sociaux attendus ne se réaliseront probablement jamais. Espérons qu’une conception plus modeste et plus exigeante du travail urbanistique se développera, en se payant moins de mots fétiches.
Bibliographie
Références bibliographiques
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Mots-clés éditeurs : mixité sociale, idéologies politiques, argumentation, analyse de discours, France
Mise en ligne 17/03/2010
https://doi.org/10.3917/esp.140.0021Notes
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[*]
Philippe Genestier, urbaniste en chef de l’État, chercheur au laboratoire rives, université de Lyon entpe-cnrs (umr 5600)
genestier.philippe@neuf.fr -
[1]
L’idéal égalitariste récuse l’idée de mixité, puisqu’elle nie ou minore la nature antagonique des structures sociales, et qu’elle entérine la persistance des inégalités en cherchant seulement à atténuer leurs effets.
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[2]
La loi Solidarité et renouvellement urbains est un bon exemple : 20 % de logements sociaux dans toutes les communes urbaines est un objectif à 20 ans. En même temps, les communes qui ne feraient pas dès maintenant un effort « suffisant » sont menacées de sanctions.
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[3]
La mixité est une notion « différentielle », dont le sens se définit le plus souvent dans une relation d’opposition avec une autre notion.
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[4]
Louis Althusser (1976), l’un des inspirateurs de l’école française d’analyse de discours, a développé une « lecture symptomale », les locuteurs ne maîtrisant jamais tout ce qu’ils disent et en disant toujours plus que ce qu’ils ont l’intention de dire.
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[5]
Qui peut dire frontalement qu’il est contre la mixité ? La pensée politiquement correcte est fondée sur des mots fétiches. Un enquêté peut affirmer que la mixité c’est bien, même s’il fait de gros efforts pour habiter dans un quartier à la population « choisie », ou pour déroger à la carte scolaire. Le discours habituel des médias, ou des habitants des quartiers gentrifiés, valorise le caractère mixte des quartiers populaires devenus attractifs pour les couches moyennes. C’est l’expression d’un « ethnocentrisme assez retors » (Charmes, 2009). De même, « l’injonction à davantage de mixité, toujours pensée en termes de mélange entre classes moyennes et classes populaires, ne constitue-t-elle pas la voie privilégiée de recherche de cette cohésion sociale dont une frange importante des classes supérieures, et tout particulièrement l’élite politique, ne cesse de rappeler les vertus tout en s’en affranchissant ? » (Oberti, 2007, p. 242).
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[6]
À l’automne 2006, le ministre J.-L. Borloo a défendu énergiquement la loi sru (sous le regard vigilant de l’abbé Pierre venu à l’Assemblée), en usant de l’argument de la mixité contre un groupe de députés de son bord désirant l’abroger.
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[7]
Chacune à sa façon, les contributions dans ce dossier de Pierre-Arnaud Barthel et Célia Dèbre, Didier Desponds, Christine Lelévrier ou Sylvie Tissot apportent des exemples (ndlr).
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[8]
Le renouveau de l’intérêt de la communauté scientifique pour la mixité-ségrégation doit beaucoup à la politique de recherche incitative du ministère de l’Équipement. Il imposa cette thématique via le Plan urbain dès 1990, alors que la communauté scientifique s’en était détournée depuis les années 1970.
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[9]
À l’heure de la mondialisation et des délocalisations, la mise en accusation du système productif suscite surtout du fatalisme, ce qui pourrait expliquer la focalisation sur les injustices spatiales.
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[10]
Dans la politique européenne, la notion de mixité-cohésion sociale a une acception technocratique, bardée d’indicateurs et de tableaux de bord, en application du traité de Lisbonne (Donzelot, 2008). Elle a une acception plus « républicaine », portée depuis la Troisième République par les élites françaises.