Notes
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[1]
Loi 2015-1776 relative à l’adaptation de la société au vieillissement promulguée le 28 décembre 2015.
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[2]
Lma est financé par la région des Pays de la Loire pour une durée de trois ans (2014-2016) et est soutenu par le gérontopôle de cette région. Ce programme pluridisciplinaire associe six laboratoires appartenant à trois grands domaines scientifiques, santé, sciences humaines et sociales et matériaux.
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[3]
L’article 15 de la loi définit en effet les résidences avec services comme un « ensemble d’habitations constitué de logements autonomes permettant aux occupants de bénéficier de services spécifiques non individualisables. Les services spécifiques non individualisables sont ceux qui bénéficient par nature à l’ensemble des occupants ».
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[4]
Ce programme a été développé par l’Umr 7324 CITERES de l’université de Tours et l’EA CEDETE de l’université d’Orléans.
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[5]
Merci à Alain Wrobel, ingénieur d’études au cnrs-umr 6590 ESO, d’avoir constitué cette base de données permettant de recueillir l’information. Les quatre annuaires investigués sont : seniorweb.fr ; apresidencesseniors.com ; maison-retraiteselection.fr ; lesmaisonsderetraite.fr.
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[6]
La prise en compte du nombre de logements donne une cartographie identique, ce qui est logique étant donné que l’effectif de résidences est strictement corrélé à celui des logements (r = + 0,98).
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[7]
Les coefficients supérieurs à 0,20 sont significatifs avec un risque d’erreur de 5 % pour N = 100.
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[8]
Les Senioriales, créés en 2001 par les frères Ramos, ont été rachetés en 2007 par le groupe Pierre et Vacances.
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[9]
Les territoires de vie découpent les bassins de vie de plus de 50 000 habitants pour mieux rendre compte de la diversité de la qualité de vie au sein des territoires les plus urbanisés. S’affranchissant des limites des unités urbaines, les territoires de vie découpent ainsi les grands bassins de vie autour des pôles de services. La France métropolitaine est constituée de 2 677 territoires de vie, les bassins de vie de moins de 50 000 habitants étant conservés tels que.
1On assiste depuis les années 2000 à une multiplication en France des formes d’habitat dit intermédiaire dédiées spécifiquement aux personnes âgées autonomes. Cette offre résidentielle est ainsi qualifiée car elle se situe entre le domicile ordinaire et la maison de retraite ou la structure médicalisée (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, dit Ehpad). Ces structures résidentielles collectives proposent un environnement favorable au bien-être des personnes vieillissantes, offrant un certain nombre de services, mais aussi d’aménités, tantôt supports d’un mode de vie hédoniste tantôt soutien au maintien d’une autonomie fragilisée par l’avancée en âge.
2Les acteurs à l’origine de ces habitats intermédiaires et les types d’habitats créés sont variés, comme l’ont bien montré quelques travaux récents en France (Argoud, 2014 ; Nowik, 2014). Nous pouvons distinguer l’habitat pensé par les seniors ou senior cohousing, fruit d’une initiative des retraités eux-mêmes (Labit, 2013), et l’habitat pensé pour les seniors, dont le projet peut être initié par des promoteurs privés, des bailleurs sociaux, des collectivités locales. Ces ensembles résidentiels collectifs portent le nom de résidences avec services, de logements-foyers, aujourd’hui nommés résidences autonomie depuis la loi 2015-1776 relative à l’adaptation de la société au vieillissement [1], et de Marpa (Maison d’accueil rurale pour personnes âgées) devenue l’acronyme de maison d’accueil et de résidence pour l’autonomie. Dans un essai de typologie de ces habitats intermédiaires, Dominique Argoud (2014) distingue cinq types idéaux : habitat adapté, avec services, intergénérationnel, partagé et autogéré. L’objectif ici n’est pas de discuter ces classifications, mais de questionner la dynamique spatiale à l’œuvre à travers le développement de ces nouvelles territorialités par l’âge dont la géographie reste pour l’essentiel à construire. Nous nous sommes donc attelés à cette tâche dans le cadre d’un programme de recherche interdisciplinaire dénommé Lma, pour Longévité, mobilité, autonomie [2].
3La France n’a pas l’exclusivité de ces habitats intermédiaires pour seniors autonomes, car ceux-ci se développent également dans d’autres contextes géographiques. Sans prétendre à l’exhaustivité, loin s’en faut, citons le cas des États-Unis, où migrations de retraites et essor depuis les années 1950 des Active Adults Communities (AACs) sont liés (Findlay, 1993 ; Stroud, 1995 ; Pihet, 1999 ; Pihet, Viriot-Durandal, 2009 ; Trolander, 2011) : si ces AACs sont particulièrement concentrées dans la Sun Belt, aucun État n’échappe désormais au phénomène, en lien avec la diversification des flux migratoires des personnes âgées observée depuis les années 1990. Le cas de l’Europe du Nord, où le senior cohousing notamment a connu son plus ample développement tout en ne représentant pas plus de 1 % de l’habitat des 50 ans et plus, est également renseigné par la littérature scientifique, mais pas dans une dimension géographique (Labit, 2013).
4L’objet de cet article est d’analyser la géographie d’une des principales formes d’habitat intermédiaire pour seniors autonomes en France, à savoir les résidences avec services. Le choix de nous focaliser sur ces résidences avec services s’explique doublement. D’une part, cette production d’un type d’habitat basé sur l’entre-soi générationnel par la promotion privée est tout à fait emblématique de la segmentation accrue de la production immobilière et de la financiarisation des marchés du logement en France, sous l’effet de la multiplication depuis les années 1980 des dispositifs de défiscalisation immobilière (Pollard, 2011 ; Trouillard, 2014). D’autre part, les résidences avec services seniors font l’objet de campagnes promotionnelles et d’un marketing territorial accru de la part des groupes privés qui en sont à l’origine, ce qui permet de les appréhender statistiquement et géographiquement, contrairement aux autres formes d’habitat intermédiaire, plus confidentielles, pour lesquelles seul un recueil de l’information au plus près des territoires et des populations permettrait de les recenser de façon exhaustive, tâche bien évidemment impossible à réaliser sur l’ensemble du territoire français.
5Cinq temps vont rythmer cet article. En premier, nous allons revenir sur l’émergence en France de cet habitat intermédiaire pour seniors autonomes et sur les rares travaux ayant questionné cet objet, dont aucun, à notre connaissance, ne permet toutefois de dessiner une approche géographique du phénomène. C’est pourquoi nous proposerons dans un deuxième temps une méthode de recensement et d’analyse spatiale des résidences avec services pour seniors à l’échelle nationale. Quant aux trois autres parties, elles seront consacrées à une présentation des résultats. Nous dessinerons d’abord la géographie des résidences avec services seniors en France, puis nous éclairerons cette géographie en analysant les modalités d’implantation et les logiques d’expansion des principaux promoteurs immobiliers. Enfin, nous montrerons comment cet habitat s’est développé essentiellement dans l’urbain dense, en lien avec une volonté des promoteurs de privilégier une implantation à proximité des aménités urbaines.
Méconnaissance géographique de ces nouveaux habitats intermédiaires pour seniors
6Les différentes formes d’habitat intermédiaire dédiées aux seniors sont des regroupements résidentiels proposant une offre de services sur place ou à proximité et un lieu de vie collectif permettant le déploiement des relations sociales (Nowik, 2014). Elles ont été développées en France en deux temps et selon deux logiques (Argoud, 2011, 2014). La première génération est apparue lors des décennies 1960 à 1990 et s’inscrit fortement dans le secteur social et médico-social, avec l’émergence des logements-foyers et des petites unités de vie de type Marpa, mais aussi des premières résidences avec services. La deuxième génération a émergé au cours des années 2000 et se situe hors du champ social ou médico-social, puisqu’il s’agit d’une offre résidentielle mise sur le marché par des acteurs nouveaux sur ce segment, issus aussi bien de la sphère privée (promoteurs à l’origine des résidences avec services) que publique (bailleurs sociaux, collectivités locales). Dans cette deuxième génération, nous trouvons aussi, quoique plus marginalement, des formes d’habitat de seniors dites citoyennes, car reposant sur la solidarité et la participation des résidants, dénommées globalement senior cohousing mais pouvant prendre diverses appellations : habitat groupé autogéré, participatif, coopératif, solidaire.
7Sans conteste, les résidences avec services seniors constituent l’une des formes emblématiques de ces nouvelles territorialités de l’habiter fondées sur un renouvellement des rapports socio-spatiaux des seniors et un processus d’agrégation par groupe d’âge. Nous entendons par là des formes socio-spatiales constitutives d’un entre-soi générationnel, donc construites sur un principe d’exclusivité, même si celui-ci ne repose, du moins en France, sur aucun fondement juridique. Ces résidences sont régies la plupart du temps par le régime de la copropriété et ont la particularité d’offrir un bien physique privatif (le plus souvent un appartement en location de type T1 à T3), des biens collectifs (équipements) et une déclinaison variable de biens immatériels articulés pour certains autour des services d’accompagnement à la personn, promesse d’un milieu de vie sécurisant, tandis que d’autres valorisent un mode de vie hédoniste axé sur les activités et les loisirs. Ainsi ces résidences avec services créent un nouveau système de relations et de pratiques socio-spatiales ayant pour effet de modifier les modes de vie, les manières d’habiter et les rapports à l’autre du fait de la co-présence générationnelle. Elles peuvent être perçues comme des avatars des Active Adults Communities (AACs) apparues aux États-Unis dès les années 1950, bien que les différences en termes de taille, de localisation ou d’aménités proposées l’emportent probablement sur les similitudes (Stroud, 1995 ; Pihet, Viriot-Durandal, 2009 ; Trolander, 2011).
8Nous avons repéré une double tentative d’identification de ces résidences avec services seniors en France. La première, publiée en 2014, émane d’Ehpa Conseil, société créée en 2000 et intervenant principalement au service des politiques publiques ou de projets portés par des gestionnaires publics, associatifs et commerciaux qui agissent ou investissent dans le secteur des personnes âgées. Le rapport rédigé par ce cabinet conseil l’a été avec le soutien de cinq acteurs majeurs des résidences seniors en France (Cogedim Club, Domitys, La Girandière, Les Jardins d’Arcadie et Les Senioriales), « club des cinq » à l’origine de la création en 2010 du premier syndicat professionnel, le Syndicat national des résidences avec services pour aînés (Snra). La finalité de ce rapport a été clairement de peser sur les débats parlementaires qui se sont déroulés en amont de la loi d’adaptation de la société au vieillissement (asv), loi marquée par l’adoption d’un statut officiel pour les résidences avec services seniors [3]. La deuxième production est l’œuvre de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), qui a publié en 2015 un rapport portant spécifiquement sur les résidences avec services pour personnes âgées, à la demande des ministres chargés des affaires sociales et de la santé, du logement et de l’égalité des territoires et de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie.
9Le chercheur sera particulièrement intéressé, notamment dans le rapport de l’Igas, par la réflexion portant sur les moyens de recenser ces résidences avec services seniors. Trois sources sont explorées : le fichier Sitadel (Système d’information et de traitement automatisé des données élémentaires sur les logements et les locaux neufs) recensant la construction neuve ; le fichier FILOCOM (FIchier des LOgements par COMmune) permettant d’obtenir au niveau local des statistiques portant sur le logement ; le dénombrement dit « à la main » basé sur l’exploitation des sites dédiés aux seniors ou des principaux groupes immobiliers. Aucune de ces trois méthodes ne permet cependant de recenser de façon exhaustive le phénomène, mais le rapport estime entre 30000 et 40 000 le nombre de logements pour 450 à 550 résidences avec services seniors en 2014 (environ 150 de la première génération et 300 à 400 de deuxième génération). Cette estimation est très proche de celle du cabinet conseil Ehpa, qui recense un peu plus de 35 000 logements pour 500 résidences fin 2014, mais sans préciser la méthodologie de recensement. En revanche, ces deux rapports ne disent strictement rien des logiques géographiques qui ont présidé au développement des résidences avec services seniors en France : leur déploiement spatial est-il aléatoire, épouse-t-il au contraire la répartition de la population et notamment des plus âgés, ou encore répond-il à un effet d’héliotropisme et d’haliotropisme, comme pour une partie des migrations des retraités (Cribier, 1992 ; Bésingrand, Soumagne, 2006) ?
10À l’échelle locale, nous avons identifié trois recensements d’habitats intermédiaires pour seniors, et notamment des résidences avec services. Le premier a été mis en œuvre dans le cadre du programme « Habitats des retraités de demain » [4] financé par la région Centre (Nowik, 2014 ; Herpin, 2014). Si l’étude souligne bien les différences et similitudes entre les trois principaux types d’habitat intermédiaire identifiés, à savoir les résidences autonomie (ex-logements-foyers), les Marpa et les résidences avec services, l’analyse ne débouche sur aucune mise en perspective géographique de ces formes d’habitat. Ce qui n’est pas le cas du recensement spécifique des résidences avec services au sein de la région Île-de-France (Trouillard, 2014), dont celles à destination des seniors, qui marquent de leur empreinte des secteurs très valorisés socialement, comme les arrondissements de l’Ouest parisien, le pourtour du bois de Vincennes et, en banlieue, quelques communes huppées des Yvelines (Versailles, Saint-Germain-en-Laye) et des Hauts-de-Seine (Rueil-Malmaison). Un troisième recensement à l’échelle de la région des Pays de la Loire a été finalisé à l’été 2016. Il s’agit d’un inventaire exhaustif des résidences avec services, résidences autonomie ou Marpa, mais aussi, et surtout, une recension des ensembles résidentiels pour personnes âgées autonomes initiés localement, le plus souvent en réponse à un besoin de la population locale et qui n’apparaissent dans aucun registre. Cette démarche menée dans le cadre du programme de recherche lma souligne très concrètement la diversité de l’offre comprise au sein de ces ensembles résidentiels où les résidences avec services occupent une place non négligeable.
Constitution d’une base de données et exploration des sites web des promoteurs
11Bien que les résidences avec services seniors semblent faire florès en France, force est de constater la méconnaissance des logiques géographiques structurant cette offre renouvelée d’habitat, justifiant la nécessité de construire une base de données à l’échelle nationale en mobilisant les annuaires existants. Quatre sites internet permettant d’identifier la très grande majorité de l’offre ont ainsi été explorés [5]. Il s’agit d’un recueil automatisé de l’information effectué au cours de l’été 2014. Une vérification individualisée et systématique de toutes les lignes (chaque ligne correspondant à une résidence senior) a été entreprise. De façon complémentaire, pour mieux connaître cet habitat, ou plus exactement la façon dont les résidences avec services seniors sont présentées par les développeurs et se déploient sur le territoire, les sites Web de dix-neuf promoteurs ont été explorés en 2015 (les Senioriales village et les Senioriales en ville étant deux concepts totalement distincts et présentés différemment sur le site Web du groupe, nous les avons considérés du point de vue de l’analyse comme relevant de deux entités différentes). Ces dix-neuf promoteurs représentent approximativement les trois quarts de l’offre : nous trouvons les dix premiers promoteurs français et un échantillon de petits groupes ayant réalisé chacun entre deux et sept résidences. Enfin, six responsables de groupes de résidences avec services seniors ont été interrogés en 2016, afin de mieux comprendre leur positionnement stratégique et les logiques d’implantation de leurs résidences. Certains de ces groupes ont une envergure nationale (Domitys, la Girandière, les Jardins d’Arcadie, les Senioriales), d’autres une envergure régionale (Espace & Vie, les Résidentiels).
12Notre base de données nous a permis d’identifier 550 résidences avec services seniors en France en 2014 pour 43 211 logements, soit un chiffre légèrement supérieur à celui obtenu par Ehpa Conseil et l’Igas. En moyenne, chaque résidence contient 79 logements, mais la diversité en termes de taille est très grande, avec une dominante de résidences comprenant entre 50 et 99 logements. Si l’on considère que l’âge moyen d’entrée en résidences avec services est de 82 ans (Herpin, 2014), cette forme d’habitat intermédiaire ne représente qu’une part infinitésimale du parc de résidences principales des ménages de 80 ans et plus en France : 1,74 %. Toutefois, il s’agit d’un marché en plein développement : d’une part, 19 % des résidences seniors identifiées en 2014 sont en cours de commercialisation (102 sur 550) ; d’autre part, les promoteurs dont le site Web a été analysé ont quasiment tous vu le jour au cours des années 1990, huit ayant même été créés depuis 2000.
13Nous avons pu identifier 193 promoteurs différents, mais les dix premiers représentent 57 % de l’offre si l’on considère le nombre de résidences et 65 % en considérant le nombre de logements (tabl. 1). Cinq « majors » peuvent être distingués, totalisant 46 % des résidences et 53 % des logements. En nombre de logements, Domitys domine largement avec 18 % de l’offre, puis suit un quatuor avec par ordre d’importance décroissante Les Jardins d’Arcadie (sous cette appellation, nous trouvons des résidences gérées par un exploitant professionnel et d’autres par leur syndicat de copropriétaires), Sopregim-Les Hespérides (qui n’est pas un groupe à proprement parler mais un réseau d’agences qui assurent la gestion locative des résidences sous forme de copropriété), Les Villages d’Or et Les Senioriales, chacun rassemblant entre 8 % à 10 % de l’offre. Le deuxième rapport d’Ehpa Conseil, publié en 2016, met bien en évidence à la fois l’atomisation de ce marché, avec l’apparition d’une myriade de petits groupes comptant généralement moins de sept résidences, mais aussi sa concentration expliquée par la participation croissante des grands promoteurs français dans le capital des leaders du marché. Bouygues Immobilier détient ainsi 40 % du capital des Jardins d’Arcadie et Nexity a pris une participation à hauteur de 38 % dans le capital d’Aegide, qui développe les résidences Domitys. Ce phénomène s’observe également au sein de plus petites sociétés, à l’image d’Espace & Vie, qui possède sept résidences dans l’Ouest de la France : si ce groupe assure l’exploitation de ses résidences, c’est le promoteur rennais Lamotte qui a en charge désormais la promotion immobilière des résidences. Par ailleurs, des groupes d’Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) jouent la carte de la diversification, comme DomusVi, montrant bien l’appétit croissant d’un certain nombre d’acteurs de l’immobilier en France ou de l’hébergement médicalisé pour l’habitat intermédiaire des seniors autonomes et notamment les résidences avec services.
Classement hiérarchique des dix premiers promoteurs selon le nombre de résidences seniors en France en 2014
Classement hiérarchique des dix premiers promoteurs selon le nombre de résidences seniors en France en 2014
14Avant d’analyser les logiques spatiales guidant le déploiement géographique des résidences avec services seniors en France, interrogerons-nous sur les raisons de leur récent essor. Soulignons d’abord la surdétermination des logiques d’offres sous-tendues par les mécanismes de défiscalisation immobilière, ce qui amène la plupart des promoteurs à ne proposer que des logements à la location et à s’adosser à des réseaux de défiscalisation. Trois mécanismes peuvent être mobilisés selon que le logement est meublé ou non, le dispositif lmnp (location meublée non professionnelle), le Censi-Bouvard pour l’investissement dans les résidences de service ou encore le Pinel pour l’investissement locatif dans le neuf. De fait, les principaux groupes ont privilégié une stratégie d’intégration verticale, allant de la promotion à l’exploitation des résidences, à l’image des Villages d’Or, qui s’est développé avec cinq filiales chargées chacune d’un secteur d’activité : la conception et la promotion immobilière (Les Villages d’Or), la commercialisation de logements neufs (Les Villages d’Or Commercialisation), la revente des logements anciens (TransAccord), l’administration de biens (Sagestimm) et enfin la gestion des club-house des résidences (Le Louisiane).
15Au-delà de ces logiques d’offres révélatrices de la financiarisation des marchés immobiliers, les acteurs à l’origine de ces résidences avec services seniors font le pari que la demande devrait fortement croître, car elle est portée par une triple tendance. D’une part, la forte progression attendue du nombre de personnes âgées en France,– l’Insee prévoyant 11,9 millions de 75 ans et plus en 2060 si les tendances démographiques récentes se maintiennent, soit 6,7 millions de plus qu’en 2007 (Blanpain, Chardon, 2011) –, nourrit l’espérance des promoteurs en la croissance d’un marché prometteur. D’autre part, la volonté de vivre dans un habitat plus adapté constitue la première motivation expliquant la mobilité résidentielle des seniors, selon l’enquête Share réalisée en 2004 puis en 2006 dans onze pays européens (Laferrère, Angelini, 2009). Ce résultat est d’ailleurs confirmé par l’enquête conduite dans le cadre du programme « Habitats des retraités de demain » (Nowik, 2014) : la raison principale avancée par les résidants des habitats intermédiaires pour venir résider dans ces structures est la « protection de soi », c’est-à-dire la volonté d’emménager, en moyenne à 82 ans pour les résidences avec services (Herpin, 2014), dans un habitat présentant à la fois un logement adapté, une sécurisation physique des lieux, une offre de services et une surveillance passive grâce à la présence du personnel et des co-résidants. Cette recherche de sécurisation est aussi une des conséquences de la forte différence d’espérance de vie selon les sexes en France, car même si celle-ci diminue depuis le début des années 1990, elle s’établit encore à 6 ans en 2015 : au-delà de 80 ans, les femmes sont donc nettement plus nombreuses que les hommes (quasiment le double en 2013) et vivent bien plus souvent seules (77 % d’entre elles ne vivent pas en couple). Elles constituent ainsi la clientèle de choix des promoteurs de résidences avec services : les femmes seules représentent par exemple 60 % des ménages dans les résidences d’un des majors du secteur, pour 26 % de couples et 14 % d’hommes seuls. C’est donc pour répondre à cette quête de sécurisation que les acteurs du marché de la résidence seniors mettent l’accent sur les services à la personne, même si cette offre est déclinée selon des intensités variables d’un acteur à l’autre. Enfin, la demande en faveur d’un nouvel environnement résidentiel représenté par l’habitat intermédiaire en général et les résidences avec services en particulier s’explique aussi par les réticences à réaliser des travaux en vue d’adapter le domicile à la survenue de handicaps. Les seniors ont en effet tendance à considérer ces adaptations comme une atteinte à leur identité, dans la mesure où le chez soi est le territoire de l’intimité et l’un des supports de la construction de l’identité de la personne (Cerèse, Eynard, 2014).
16La communication promotionnelle du groupe Les Senioriales illustre parfaitement cette espérance en un développement du marché adossé à la progression numérique des seniors, d’une quête d’un habitat adapté et sécurisant, mais aussi à la difficulté à faire évoluer le logement existant : « La retraite est aujourd’hui synonyme de nouvelle vie. D’autres attentes voient le jour, en termes de confort de vie, de relations sociales ou encore de ‘‘bien vieillir’’. Alors que plus d’une personne sur quatre aura plus de 60 ans en 2020, ces attentes sont très largement partagées par la population française […] et 50 % des Français entre 50 et 65 ans envisagent leur retraite dans une résidence senior (sondage Harris Interactive 2011 pour le groupe Humanis, sur un panel de 2 000 personnes, âgées de 50 à 65 ans). Bien vieillir chez soi, se simplifier la vie en évitant les contraintes d’un logement et d’un jardin difficiles à entretenir, bénéficier d’un logement neuf, aux normes, sécurisant, économique et confortable, ce sont tous ces avantages que vous apportent Les résidences Senioriales. ».
Géographie des résidences avec services seniors : ubiquité, haliotropisme, héliotropisme et proximité des grandes villes
17Les raisons sous-tendant l’essor des résidences avec services seniors en France ayant été présentées, essayons de décrypter les logiques géographiques à l’œuvre dans le déploiement spatial de cette nouvelle territorialité de l’habiter fondée sur l’entre-soi générationnel, en exploitant la base de données originale que nous avons constituée. La proportion de départements français métropolitains pourvus en résidences seniors en 2014 est très élevée (78 sur 96, soit 81 %) et les 18 départements où aucune résidence n’a été recensée sont dans l’ensemble peu peuplés (8,5 % de la population métropolitaine en 2013). Cette tendance à l’ubiquité est confirmée à l’échelle des grandes aires urbaines : des résidences seniors sont en effet recensées dans la moitié d’entre elles (118 sur 230) et 74 des 100 plus grandes en sont pourvues (fig. 1). Enfin, des résidences sont aussi identifiées dans 38 petites ou moyennes aires urbaines et dans 48 communes hors aires urbaines.
Grandes aires urbaines pourvues en résidences seniors en 2014 selon leur rang démographique
Grandes aires urbaines pourvues en résidences seniors en 2014 selon leur rang démographique
18La cartographie du nombre et de la densité (pour 100000 habitants) de résidences seniors [6] fait ressortir une surconcentration le long de la façade atlantique, dans le quart nord-ouest de l’Hexagone jusqu’à Paris, sur le pourtour méditerranéen et en Alsace (fig. 2). Elle laisse ainsi deviner une pluralité de facteurs a priori favorables à l’implantation de cette forme d’habitat dédiée aux seniors autonomes, parmi lesquels se conjuguent effet d’haliotropisme et d’héliotropisme, mais aussi proximité de grandes agglomérations ou de bassins d’habitat densément peuplés. La surconcentration de résidences dans la plupart des départements atlantiques et méditerranéens ou proches de ces façades maritimes n’est pas sans rappeler par ailleurs l’attractivité migratoire de ces territoires au cours des dernières décennies (Baccaïni, 2009). Toutefois, d’autres logiques opèrent pour expliquer cette géographie, renvoyant probablement aux zones d’implantation privilégiée des promoteurs, que nous aborderons ultérieurement.
Représentation schématique d’une discontinuité aréale élémentaire
Représentation schématique d’une discontinuité aréale élémentaire
19Un modèle de régression linéaire multiple avec plusieurs variables explicatives a été testé pour essayer de rendre compte de ces variations spatiales des résidences avec services seniors à l’échelle départementale. Dans un premier temps, quatre hypothèses ont été formulées et à chaque fois des variables susceptibles d’exprimer ces hypothèses ont été éprouvées à l’aide d’une matrice de corrélations : une variable par hypothèse a été retenue, la plus fortement corrélée avec le nombre de résidences, sachant que les autres variables du même groupe d’hypothèse présentent entre elles des corrélations très significatives.
20La première hypothèse est que l’offre de résidences avec services seniors pourrait suivre la répartition de la clientèle potentielle. Le nombre de résidences se révèle en effet corrélé avec l’effectif des 60 ans et plus (Insee, recensement 2013) : r = + 0,77 [7] (soit un coefficient de détermination r² de 0,60, autrement dit 60 % de la variance est expliquée par cette corrélation).
21La deuxième hypothèse est que les seniors, fussent-ils autonomes, sont plus consommateurs de services de santé, ce qui pourrait inciter les promoteurs de résidences avec services à privilégier des localisations résidentielles bien dotées en offre de soins. La variable retenue pour vérifier cette hypothèse est l’effectif de médecins libéraux et mixtes pour 100000 habitants (ministère des Affaires sociales et de la santé, 2013). Elle est corrélée en effet avec le nombre de résidences : r = + 0,70 (r² = 0,49).
22La troisième hypothèse est que la recherche d’un environnement favorable à un mode de vie hédoniste pourrait amener les développeurs de ce type d’habitat à privilégier des territoires dotés d’un certain capital touristique. Le nombre de résidences est ainsi corrélé de façon significative avec le nombre de lits en hôtellerie de tourisme (ministère de l’économie et des finances, Direction générale des entreprises, 2009) : r = + 0,66 (r² = 0,44).
23Enfin, étant donné la surconcentration de résidences seniors sur le littoral atlantique et méditerranéen, la distance au littoral, mesurée à vol d’oiseau entre le centre de chaque département et la façade littorale la plus proche est bien corrélée négativement avec le nombre de résidences, même si la corrélation est bien plus faible que pour les autres variables : r = - 0,36 (r² = 0,13).
24Dans le modèle de régression testé, nous n’avons retenu que les deux premières variables (effectif de 60 ans et plus ; densité médicale), car la troisième (nombre de lits en hôtellerie de tourisme) est fortement corrélée avec la densité médicale (r = + 0,80), d’où son élimination afin d’éviter un problème de colinéarité, et la quatrième (distance au littoral) n’apporte que 0,01 % d’explication supplémentaire. Les deux premières variables expliquent 70 % de la variance (tabl. 2), donc des variations spatiales des résidences avec services seniors en France à l’échelle des départements métropolitains : plus un département présente un nombre élevé de seniors et une densité médicale importante (mais aussi une activité touristique développée), plus il comporte un nombre significatif de résidences avec services seniors. Pour valider le modèle, le test F de Fisher est utilisé. Étant donné que la probabilité associée au F est dans ce cas inférieure à 0,0001, cela signifie que l’on prend un risque de se tromper de moins de 0,01 % en concluant que les variables explicatives apportent une quantité d’information significative au modèle. Par ailleurs, la p-value associée au test de Student est inférieure à 0,05, confirmant la significativité des variables explicatives. Toutefois, il reste 30 % de variance résiduelle, ce qui montre que les logiques géographiques qui président au déploiement du phénomène sont complexes et plurielles.
Principaux résultats de la régression obtenue sous Excel
Principaux résultats de la régression obtenue sous Excel
25La comparaison de la cartographie des résidus de la régression (fig. 3) avec celle du nombre et de la densité de résidences met bien en évidence les départements qui s’écartent le plus du modèle. Les résidus les plus fortement positifs sont ainsi observés dans des départements situés pour l’essentiel en situation littorale soit le long de la façade atlantique (notamment Charente-Maritime, Gironde et Vendée avec respectivement 10,8, 10,3 et 5,9 résidences au-delà du niveau attendu), soit le long du littoral méditerranéen (Pyrénées-Orientales 8,9 et Hérault 5,9) ou bien dans le quart nord-ouest de l’Hexagone (Mayenne 8,3), c’est-à-dire dans les trois principales zones de surconcentration de résidences. À l’opposé, les résidus négatifs (53 départements sur 96) caractérisent globalement les territoires ayant un nombre et une densité en résidences seniors faibles voire nuls, situés dans la frange nord et nord-est de l’Hexagone (la Meurthe-et-Moselle, le Pas-de-Calais et la Seine-Saint-Denis, avec 7,1, 6,8 et 6,3 résidences de moins que ce qui était attendu, enregistrent quatre des résidus les plus fortement négatifs), puis dans une bonne moitié méridionale (notamment Isère -6,6, Tarn -5,1). Toutefois, la cartographie des résidus n’est pas un décalque parfait de la carte des résidences, car si certains départements ressortent avec une surconcentration de résidences, ils affichent néanmoins des résidus légèrement négatifs, ce qui signifie que le nombre de résidences observées y est inférieur à celui qui était attendu. C’est le cas notamment de deux départements du pourtour méditerranéen, à savoir les Bouches-du-Rhône et le Var (-3,8 et -2,3), et aussi, mais à moindre degré, des deux départements du Sud-Ouest atlantique, les Landes et les Pyrénées-Atlantiques (-0,7 et -0,5). Si ces départements semblent bien dotés en résidences seniors, ils en possèdent moins que ce qui était attendu par le modèle.
Résidus de la régression entre le nombre de résidences seniors par département français en 2014 et deux variables explicatives
Résidus de la régression entre le nombre de résidences seniors par département français en 2014 et deux variables explicatives
Les principaux promoteurs : entre logiques préférentielles d’implantation et d’expansion
26L’analyse des logiques d’implantation des résidences avec services seniors déployées par les principaux développeurs s’avère très instructive pour comprendre la géographie de cette forme d’habitat en France, car nous formulons l’hypothèse qu’une part de la variance du phénomène non expliquée par la régression est due aux stratégies des sociétés. Les cinq « majors » ont en effet développé des logiques préférentielles d’implantation et se partagent en quelque sorte le territoire hexagonal, contribuant ainsi à dessiner cette géographie à la fois ubiquiste et discriminée (fig. 4 ; fig. 5).
Les principaux promoteurs entre partage du territoire et logiques préférentielles d’implantation
Les principaux promoteurs entre partage du territoire et logiques préférentielles d’implantation
Répartition des résidences seniors en France en 2014 selon la taille de l’aire urbaine pour les cinq principaux promoteurs
Répartition des résidences seniors en France en 2014 selon la taille de l’aire urbaine pour les cinq principaux promoteurs
27Les trois promoteurs dont le siège social est basé à Paris (Domitys, Les Jardins d’Arcadie et Sopregim-Les Hespérides) ont surtout investi la région parisienne et/ou le Nord-Ouest de la France, participant ainsi à la surreprésentation du phénomène dans cette zone géographique. À titre d’exemple, si les six départements de la région Centre présentent au total un résidu positif (différence entre le nombre de résidences attendues selon le modèle de régression et l’effectif observé) de 20,7, c’est en particulier parce que c’est la première région d’implantation du groupe Domitys, avec pas moins de dix résidences, soit la moitié du résidu obtenu. Toutefois, au-delà de cette caractéristique commune, chaque groupe a développé un positionnement spatial original. Les résidences Domitys sont présentes dans toutes les strates de la hiérarchie urbaine hormis l’aire urbaine de Paris (trois sur 65 seulement). Les Jardins d’Arcadie, au contraire, sont bien présents en région parisienne mais aussi dans les villes moyennes, tout en étant implantés dans le Sud-Est. Quant au groupe Sopregim-Les Hespérides, il se singularise par son implantation au sommet de la hiérarchie urbaine, puisque la plupart de ses résidences sont à Paris et dans les grandes aires urbaines de province (plus de 500000 habitants).
28Les deux autres « majors » basés en province (Les Villages d’Or et Les Senioriales [8], dont le siège social est situé respectivement à Montpellier et Toulouse) ont déployé leur offre principalement dans certains départements méridionaux, contribuant à surdoter en résidences seniors services une partie de la façade méditerranéenne et du sud-ouest de l’Hexagone. Toutefois, cette similitude apparente ne doit pas masquer des logiques d’implantation très différentes. Les Villages d’Or, comme Les Jardins d’Arcadie, sont surtout présents à la fois au sommet de la hiérarchie urbaine et dans les villes moyennes. À l’inverse, Les Senioriales présentent une implantation totalement atypique, avec une forte présence hors des aires urbaines, alors que cette localisation est exceptionnelle chez les quatre autres promoteurs. Cela est spécifique aux Senioriales village, situées en général dans un village ou une petite ville. Cette singularité d’implantation des Senioriales village est en résonnance avec la spécificité de cet habitat qui, contrairement à la très grande majorité des résidences seniors présentes sur le territoire français, s’adresse à des jeunes retraités et propose des maisons de plain-pied pouvant aller du T2 au T4, en accession à la propriété, avec très peu de services à la personne mais la promesse d’une vie hédoniste. Parmi l’offre proposée par les promoteurs dont le site Web a été analysé, c’est la seule, avec celle constituée des premiers Villages d’Or construits fin des années 1990 et au début de la décennie suivante, qui se positionne clairement sur le créneau des Active Adults Communities étatsuniens.
29Ces logiques préférentielles d’implantation ne sont toutefois pas immuables et se combinent avec la conquête de nouveaux territoires, parallèlement à l’annonce, par les principaux groupes, d’objectifs de croissance ambitieux symbolisés par la programmation de plusieurs ouvertures de résidences. L’observation diachronique de la production de quelques-uns des principaux développeurs illustre ce processus de diversification géographique. Si les résidences seniors Domitys ouvertes en 2014 sont concentrées à hauteur des quatre cinquièmes dans un grand quart nord-ouest du territoire français, celles programmées d’ici 2018 sont situées pour l’essentiel (huit sur douze début 2015) hors de cette zone d’implantation préférentielle. Le leader français de la production de ce type d’habitat est donc très clairement parti à la conquête du territoire national, notamment en direction de la bordure méditerranéenne. Alors que les régions Languedoc-Roussillon et PACA ne comptaient que trois résidences Domitys en 2014, pas moins de cinq y sont en construction en 2015 et quatre autres sont programmées d’ici 2018 : en quatre ans, le nombre de résidences Domitys sera donc passé de trois à douze. La stratégie développée par les deux groupes méridionaux des Villages d’Or et des Senioriales obéit à la même logique d’expansion spatiale et de progressive couverture nationale. Si la majorité (quinze sur vingt-huit) des résidences seniors Les Villages d’Or ouvertes en 2014 sont situées dans les quatre régions les plus méridionales du territoire français, celles en construction sont localisées en majorité (neuf sur quinze) dans des régions septentrionales, avec trois en région parisienne, deux en Alsace, une en Haute-Normandie et une autre en Pays de la Loire. Un processus identique est à l’œuvre pour les Senioriales, en lien avec l’évolution du positionnement marketing du groupe (fig. 6). En 2010, les vingt-quatre résidences du groupe étaient toutes situées au sud d’une ligne allant de La Rochelle à Genève. Depuis, onze résidences ont vu le jour au nord de cette ligne, avec deux logiques d’implantation. La première est marquée par la création, le long du littoral nord Atlantique et de la Manche (respectivement deux résidences et une seule), mais aussi en région Centre et Île-de-France (une et trois résidences), de nouvelles Senioriales village identiques à celles ouvertes dans la moitié méridionale de l’Hexagone. La deuxième est caractérisée par le développement d’une nouvelle déclinaison créée en 2010 et dénommée les Senioriales en ville, en rupture totale avec la culture originelle du groupe, puisque ce nouveau concept est basé sur la construction non plus de maisons en accession mais d’appartements en location situés en milieu urbain. Avec cette nouvelle offre, la logique géographique du groupe s’aligne sur celle déployée par les autres groupes, avec un tropisme urbain affirmé et récent, comme en témoigne l’ouverture de sept résidences dans ou à proximité de grandes aires urbaines de la moitié nord de la France, à Paris (quatre résidences), mais aussi à Dijon, Lille et Tours (une résidence chacune). Les développeurs de résidences avec services seniors interrogés, en particulier ceux des grands groupes, ont bien confirmé cette stratégie de diversification géographique qui passe par un dépassement des zones d’implantation originelle et préférentielle, l’objectif étant de couvrir le territoire national, condition du maintien parmi les principaux acteurs du marché.
Diffusion géographique des Senioriales (comparaison 2010-2015)
Diffusion géographique des Senioriales (comparaison 2010-2015)
Des résidences services seniors surtout dans l’urbain dense
30Si la diffusion des résidences avec services seniors est marquée, au niveau de l’Hexagone, à la fois par l’ubiquité et la surreprésentation le long de la façade atlantique, dans le quart nord-ouest, sur une partie du pourtour méditerranéen et en Alsace, à grande échelle, cette forme d’habitat est surreprésentée dans l’urbain dense. Celui-ci est défini, dans cette étude, comme l’ensemble des communes appartenant à un pôle urbain, soit une unité urbaine (agglomération morphologique comptant au minimum 2000 habitants selon l’Insee) ayant 1500 emplois ou plus. 65 % de la population française métropolitaine y résident en 2012, mais la proportion s’élève à 82 % pour la localisation des résidences seniors. Par ailleurs, si 18 % seulement de ces résidences sont présentes dans une commune hors pôle urbain, soit moitié moins que la population (35 %), un examen attentif montre qu’elles sont situées dans leur très grande majorité dans des communes peuplées, disposant donc a priori d’un bon niveau de services. En effet, ces communes ont en moyenne 4 580 habitants, contre seulement 679 pour l’ensemble des communes situées hors des pôles urbains en France métropolitaine ; par ailleurs, seules 8 % des résidences seniors hors pôle urbain sont localisées dans une commune comptant moins de 1000 habitants, alors que 82 % des communes françaises hors de ces pôles sont situées dans cette tranche démographique.
31Pour préciser l’environnement proche de cette forme d’habitat, cette géographie des résidences avec services seniors en France métropolitaine a été croisée avec le travail de l’Insee permettant d’appréhender la qualité de vie dans les 2677 territoires de vie [9] (Reynard, Vialette, 2014). Vingt-sept indicateurs recouvrant 13 dimensions ont été retenus : accessibilité aux équipements, culture-sports-loisirs-vie associative, éducation, égalité femmes-hommes, emploi-travail, environnement, équilibre travail-vie privée, logement, relations sociales, revenus, santé, transports, vie citoyenne. Une analyse en composantes principales (acp) puis une classification ascendante hiérarchique (cah) ont permis à l’Insee de distinguer huit types. Si des résidences avec services seniors sont recensées dans tous les types, confirmant bien la pluralité des logiques spatiales à l’origine de leur essor, une surreprésentation très nette de résidences apparaît toutefois dans le type 2, réunissant des « territoires de vie plutôt favorisés et à l’accès aux équipements rapide » : 42 % des résidences y sont localisées, contre 25 % seulement de la population. À l’inverse, une sous-représentation principalement dans les types 6 (« territoires de vie de bourgs et petites villes en situation intermédiaire ») et 7 (« territoires de vie isolés, peu urbanisés ») apparaît. Ce résultat est concordant avec celui obtenu au niveau des aires urbaines et confirme la surreprésentation des résidences services seniors dans les espaces de l’urbain dense présentant un environnement résidentiel a priori favorable en termes d’aménités.
32Cette spécificité géographique des résidences avec services seniors peut être mise en perspective avec l’analyse des sites Web des promoteurs, qui tous présentent la qualification de l’environnement d’implantation des résidences. Or, sans surprise compte tenu de la surreprésentation des résidences dans l’urbain dense, les qualificatifs qui reviennent le plus souvent mettent en avant la proximité avec les aménités urbaines : implantation en centre-ville ou à proximité (15 citations sur 20) ; proximité des commerces et des services (17) ; proximité d’une station de transport en commun (14). Ces traits qualifiant le milieu d’implantation des résidences confirment s’il en est besoin la promotion d’un environnement de qualité fondé sur une gamme étendue de services de proximité. Se pose alors la question des stratégies d’implantation des promoteurs immobiliers : la priorité est-elle accordée au milieu urbain dense, à la proximité des équipements et services du quotidien et/ou à l’opportunité foncière ? Les entretiens réalisés auprès des responsables de groupes nous apportent des éléments de réponse, mais tout en contrastes. S’ils s’accordent pour dire que les localisations urbaines, plutôt les villes grandes et moyennes, et au sein de ces dernières la proximité avec les aménités (commerces, services, transport en commun) constituent la priorité numéro un en termes de localisation, ces logiques préférentielles doivent aussi composer avec le prix du foncier, d’où certaines fois des implantations périphériques relativement éloignées des centralités urbaines.
Conclusion
33Les logiques résidentielles construites sur l’entre-soi générationnel ne sont pas l’apanage des États-Unis et sont bien à l’œuvre également en France (Madoré, Vuaillat, 2010), comme en témoigne cette prolifération de territorialités de l’habiter construites sur l’appartenance à une classe d’âge. De nouveaux acteurs sont apparus sur le créneau des résidences services seniors, témoin d’une segmentation accrue de la production immobilière et de sa financiarisation, tant l’essor de ces nouveaux complexes d’habitat est sous-tendu par les mécanismes successifs de défiscalisation supports de l’investissement locatif. Cette forme d’habitat intermédiaire pour seniors ne peut donc se comprendre qu’à l’interface du triptyque socio-économique suivant : acteur immobilier construisant des résidences services seniors et en assurant fréquemment l’exploitation dans une logique d’intégration verticale – investisseur en quête d’un placement défiscalisé – résidant âgé désireux de vivre dans un environnement résidentiel sécurisant et support d’un mode de vie hédoniste.
34Toutefois, l’essor incontestable et rapide des résidences avec services seniors en France soulève un certain nombre de questions, auxquelles il nous faudra apporter des réponses. D’une part, quelle est la viabilité économique de ce système résidentiel à moyen ou long terme ? Autrement dit, si l’un des éléments du triptyque évoqué venait à s’effacer ou à devenir moins efficient, en particulier les mécanismes de défiscalisation, le système pourrait-il perdurer ? D’autre part, ce processus de territorialisation résidentielle par l’âge n’est-il pas producteur d’une double logique ségrégative, à la fois par l’âge bien évidemment mais aussi selon le statut social, du moins si l’on retient l’hypothèse selon laquelle le billet d’entrée dans ces structures serait relativement élevé ? Il est toutefois délicat, en l’état actuel des connaissances, de répondre à cette question, pour au moins deux raisons. En premier, il est difficile de connaître avec précision ce que représente la charge logement pour un résidant, entre montant du loyer (variable selon le type de logement), charges de copropriété et redevance correspondant aux services consommés. Selon le rapport de 2016 du cabinet conseil Ehpa, « la dépense moyenne est de l’ordre de 1 600 euros par mois pour une personne seule pour une prestation incluant généralement l’abonnement socle, le déjeuner et la téléassistance 24 heures/24 » (p. 28). Deuxièmement, il n’existe quasiment pas d’études permettant de connaître le profil social des résidants, comme le rappelle le rapport de l’Igas de 2015 portant sur les résidences avec services pour personnes âgées (cf. supra) : « les données concernant le profil économique des résidants sont rares et sont issues, pour l’essentiel, des études réalisées par les gestionnaires de résidences eux-mêmes, dont la mission n’a pu vérifier la méthodologie. Mais elles sont remarquablement constantes d’un type de résidence à l’autre et même d’une résidence à l’autre. » (p. 27). Ainsi, au regard des chiffres avancés par les principaux syndicats professionnels du secteur (Snra -Syndicat national des résidences avec services pour aînés – et Synerpa – Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées), la retraite mensuelle des résidants serait comprise entre 1 500 euros et 2 000 euros, soit un niveau supérieur à la retraite moyenne de droit direct qui s’élève à 1 288 euros en 2012. On peut donc en conclure, a priori, que les résidants appartiendraient à la frange supérieure des classes moyennes, ce que confirme l’étude portant sur les habitats intermédiaires de la région Centre (Herpin, 2014). Toutefois, il ne s’agit que d’une approximation du niveau social de cette population, qui ne tient nullement compte de la valeur du patrimoine, alors même que celle-ci croît avec l’âge.
Bibliographie
Références
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Mots-clés éditeurs : habitat, résidence avec services, France, senior autonome
Mise en ligne 08/06/2017
https://doi.org/10.3917/eg.461.0041Notes
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[1]
Loi 2015-1776 relative à l’adaptation de la société au vieillissement promulguée le 28 décembre 2015.
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[2]
Lma est financé par la région des Pays de la Loire pour une durée de trois ans (2014-2016) et est soutenu par le gérontopôle de cette région. Ce programme pluridisciplinaire associe six laboratoires appartenant à trois grands domaines scientifiques, santé, sciences humaines et sociales et matériaux.
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[3]
L’article 15 de la loi définit en effet les résidences avec services comme un « ensemble d’habitations constitué de logements autonomes permettant aux occupants de bénéficier de services spécifiques non individualisables. Les services spécifiques non individualisables sont ceux qui bénéficient par nature à l’ensemble des occupants ».
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[4]
Ce programme a été développé par l’Umr 7324 CITERES de l’université de Tours et l’EA CEDETE de l’université d’Orléans.
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[5]
Merci à Alain Wrobel, ingénieur d’études au cnrs-umr 6590 ESO, d’avoir constitué cette base de données permettant de recueillir l’information. Les quatre annuaires investigués sont : seniorweb.fr ; apresidencesseniors.com ; maison-retraiteselection.fr ; lesmaisonsderetraite.fr.
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[6]
La prise en compte du nombre de logements donne une cartographie identique, ce qui est logique étant donné que l’effectif de résidences est strictement corrélé à celui des logements (r = + 0,98).
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[7]
Les coefficients supérieurs à 0,20 sont significatifs avec un risque d’erreur de 5 % pour N = 100.
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[8]
Les Senioriales, créés en 2001 par les frères Ramos, ont été rachetés en 2007 par le groupe Pierre et Vacances.
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[9]
Les territoires de vie découpent les bassins de vie de plus de 50 000 habitants pour mieux rendre compte de la diversité de la qualité de vie au sein des territoires les plus urbanisés. S’affranchissant des limites des unités urbaines, les territoires de vie découpent ainsi les grands bassins de vie autour des pôles de services. La France métropolitaine est constituée de 2 677 territoires de vie, les bassins de vie de moins de 50 000 habitants étant conservés tels que.