Notes
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[1]
Deux chiens retrouvés morts sur une plage d’Hillion le 12 juillet 2008, décès suspect de Thierry Marfoisse chargé du ramassage des algues vertes à Binic le 22 juillet 2009, mort d’un cheval à Saint-Michel-en-Grève le 28 juillet 2009, etc.
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[2]
Le « modèle agricole breton » désigne un système intensif – par « filières » – qui se met en place dès les années 1950 et dont résulte aujourd’hui une agriculture d’entreprise, industrialisée et ouverte sur le monde remplaçant l’agriculture paysanne de l’entre-deux-guerres. Un puissant réseau d’industries agro-alimentaires a structuré et accompagné le mouvement. Des initiatives endogènes l’ont encouragé afin de conforter l’occupation des territoires ruraux (Canévet, 1992 ; Renard, 2005).
-
[3]
Cette recherche s’inscrit dans le cadre du programme « Terre-Eau » (2013-2016). Celui-ci porte sur les dynamiques des territoires et des écosystèmes ainsi que sur les représentations des évolutions induites par les changements globaux (Anr-12-Agro-0002-01).
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[4]
La suppression des quotas était cependant réclamée par une partie de la profession.
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[5]
Olivier Allain est éleveur. Il préside de la chambre d’agriculture des Côtes d’Armor. Il a été interrogé en 2015 dans le cadre de la recherche.
-
[6]
Le système documentaire mis en place avant 1995 a été écarté car il n’a pas été conçu pour répondre aux attentes des chercheurs (Tsikounas, 2013).
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[7]
En treize années, les côtes bretonnes ont subi six marées noires : le Torrey Canyon (1967), l’Olympic Bravery (1976), le Boehlen (1976), l’Amoco Cadiz (1978), le Gino (1979) et le Tanio (1980). La dernière en date est celle de l’Erika (1999).
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[8]
L’épandage des algues dans les champs, la transformation en terreau ou leur broyage et leur utilisation en tant qu’additif pour l’alimentation des hommes et du bétail figurent parmi les solutions présentées à l’époque dans les médias d’information.
-
[9]
Le Monde du 23 avril 2009.
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[10]
« Le phénomène [des algues vertes] s’est manifesté de manière spécialement prononcée à l’été 2009, notamment dans les Côtes d’Armor, et a fait l’objet d’un fort écho médiatique à la suite du décès d’un cheval et du malaise de son cavalier à proximité de la plage de Saint-Michel-en-Grève, près de Lannion » (extrait du plan de lutte contre les algues vertes, p. 2, préfecture de Bretagne, Rennes, 5 février 2010).
-
[11]
« Algues vertes. Le préfet charge les agriculteurs ». Le Télégramme, le 21 octobre 2009.
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[12]
Source : journal télévisé de 13 heures du 1er août 2015 sur France 2. Cet élu, fonctionnaire de l’État de profession en service déconcentré, a tenu le même discours lors de l’entretien mené dans le cadre de la recherche (2015).
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[13]
Le fait que l’agenda médiatique impacte l’agenda politique a, au reste, été étayé par de nombreuses études (Hilgartner, Bosk, 1988 ; Roger, Dearing, 1988 ; Damon, 2004 ; Walgrave, Van Aelst, 2006 ; Walgrave et al., 2008).
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[14]
Voir l’annexe vers ce lien : http://www.mgm.fr/PUB/EG/EG216.pdf.
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[15]
Le 28 juin 1991, Guillaume Roué, président du comité régional porcin, a rédigé un article dans un numéro spécial du Télégramme intitulé « Bretagne an 2000. Produire sans détruire ».
-
[16]
Le rapport d’évaluation du « plan de lutte contre les algues vertes » conclut que les objectifs ne sont pas atteints, en particulier dans la baie de Saint-Brieuc. Un autre plan devra être financé. Ainsi, le plan « algues vertes » ne fait pas mieux que les plans de maîtrise des pollutions d’origine agricole qui l’ont précédés dans les années 1990 et 2000. Source : ministère de l’Agriculture, de l’Agro-alimentaire et de la Forêt (2015).
Introduction
1La prolifération d’« algues vertes » a pour origine l’apport excessif d’azote transporté par les fleuves côtiers dans la mer. Ce phénomène est désormais au centre des préoccupations des pouvoirs publics en Bretagne. Il n’est pourtant ni nouveau (les observations les plus anciennes remontent aux années 1950) ni propre à la Bretagne (le Grand Ouest est périodiquement touché). Mais il cristallise l’attention des médias, qui l’ont placé au hit-parade des problèmes écologiques depuis 2008 à la suite d’accidents survenus dans les Côtes d’Armor [1].
2En toile de fond, c’est le « modèle agricole breton » qui est remis en cause, et ce alors que les progrès enregistrés dans le domaine de la qualité des eaux restent masqués par les pollutions diffuses d’origine agricole. Le développement économique et social des espaces ruraux, amorcé dans les années 1950 sous l’impulsion des dirigeants des jeunesses agricoles catholiques, s’est en effet opéré au prix d’une dégradation continue de la qualité des eaux superficielles et souterraines que les multiples plans d’actions peinent encore à inverser. Aux crises des filières avicoles, bovines et porcines, aux révoltes des « bonnets rouges » et aux affaires qui secouent les coopératives bretonnes s’ajoutent donc des « marées vertes » par endroits spectaculaires.
3Cet article examine les « algues vertes » au prisme des médias et repose sur l’exploitation d’archives de l’Institut national de l’audiovisuel (Ina). Il montre en particulier en quoi la présentation du problème a évolué au cours des trente dernières années, perçu tour à tour comme un frein au développement du tourisme dû aux pollutions urbaines, une catastrophe écologique causée par le productivisme agricole et enfin un nouveau gisement pour le développement durable (méthanisation). Le travail est principalement basé sur l’analyse de 490 reportages de journaux télévisés de 1986 à 2015 et 600 reportages radiodiffusés.
4Ces archives ont été examinées à l’Institut national audiovisuel sur la base d’une grille d’analyse conçue à partir de la littérature (Adams, 1992 ; Soja 1996 ; Shield, Fitzmaurice, 2001 ; Cresswell, Dixon, 2002 ; Gingras, 2009 ; Mattelart, 2011), des rapports d’experts sur les causes et les conséquences des « algues vertes » et des entretiens menés auprès d’acteurs locaux, là même où vingt-cinq ans plus tôt le géographe finistérien Corentin Canévet (1992) avait conduit des enquêtes sur les ressorts du « modèle agricole breton » [2].
5L’article présente le contexte et la méthodologie mise en œuvre, puis l’évolution du traitement médiatique des algues vertes au cours des trente dernières années. Il s’interroge par la suite sur le rôle des médias dans l’agenda politique et les stratégies des territoires [3].
Contexte de la recherche et dispositif méthodologique
6Le Grand Ouest connaît une grave crise agricole, à laquelle la Bretagne n’échappe pas. Les éleveurs sont inquiets à cause de la suppression des quotas laitiers mis en place en 1984 [4]. Les investissements lourds concédés au cours des derniers mois sous la pression des géants du secteur (Bongrain, Danone, Lactalis, Sodiaal) suffiront-ils à affronter la concurrence allemande et néerlandaise sur le marché alors que les cours mondiaux sont volatils ? L’implantation à Carhaix – fief des « bonnets rouges » – du groupe chinois Synutra, numéro trois de l’alimentation infantile en Chine est-elle vraiment une aubaine ? Aux incertitudes des éleveurs font écho les interrogations des légumiers, qui ont renoué avec la violence à Morlaix en 2014 (saccage du centre des finances publiques). Enfin, la détresse des producteurs de porcs, qui se disent lâchés par les pouvoirs publics qui les ont longtemps soutenus, est manifeste. Le « modèle agricole breton » a déjà connu des crises comme celle de 1982-1983 due à la saturation des marchés (Canévet, 1984). Reste que la crise économique actuelle se distingue des précédentes car elle se double d’une crise sociale et écologique.
7Les exploitants agricoles sont en effet désignés comme les principaux pollueurs de la Bretagne par des lanceurs d’alertes très actifs depuis le début des années 1980, et dont la protection de l’eau a été (et demeure) la principale motivation. Les rapports sur l’eau en Bretagne ont confirmé le rôle de l’agriculture dans la dégradation de la qualité des eaux ; la Cour des comptes (2002) étant comme souvent la plus sévère. Ainsi, le « modèle agricole breton » ne permettrait plus de répondre au problème de la compétitivité des entreprises agricoles tout en étant inadapté aux enjeux écologiques. Ce modèle pourtant n’était pas à l’origine productiviste au sens où on l’entend désormais car il n’était pas question par exemple de grandes fermes industrielles comme celles qui font polémique actuellement (immenses porcheries ou « ferme des 1 000 vaches » dérivée du modèle allemand).
8L’objectif était de développer, sous l’impulsion des dirigeants des jeunesses agricoles catholiques, des élevages hors sols (porcs, volailles) afin de garantir le maintien de nombreuses exploitations familiales. Selon Olivier Allain [5], l’occupation du territoire était alors une priorité pour les autorités catholiques et les acteurs agricoles : cela a contribué à façonner un système agro-alimentaire original. Encore dominée dans les années 1950 « par une polyculture de subsistance et considérée comme une région pauvre dotée d’une agriculture familiale archaïque, la Bretagne a vu s’édifier en l’espace d’une génération un modèle de production intensif largement ouvert sur l’économie de marché et qui [fournissait en 1990] 12 % des livraisons totales de l’agriculture française sur seulement 6 % de la surface agricole » (Canévet, 1992, p. 11).
9Dans ce contexte, les « marées vertes » sont apparues dans les médias à partir des années 1990 et surtout 2000 comme le révélateur des limites environnementales du « modèle agricole breton » et en corollaire d’une absence de solidarité de bassins versants entre l’amont rural et agricole (l’Argoat) et l’aval urbain et touristique (l’Armor). L’inversion progressive du rapport ville-campagne, l’européanisation des politiques de l’eau et la judiciarisation de la société ont accentué les conflits entre les tenants d’un modèle agricole plus intégré encore et les promoteurs d’un modèle alternatif de production agricole. En ce sens, l’exploitation du corpus médiatique mérite d’être explorée, en complément d’une approche plus classique d’enquêtes de terrains consacrées au rapport eau-agriculture.
10La recherche repose principalement sur l’exploitation des ressources audio-visuelles disponibles à l’Institut national audiovisuel (Ina). Dans le prolongement des travaux de François Jost (2004) notamment, deux types de supports ont été privilégiés, à savoir les spots d’informations radiophoniques et les journaux télévisés des chaînes nationales (TF1, Antenne 2 puis France 2 et M6) et régionales (France 3 Bretagne puis France 3). La collecte de données a été effectuée à l’aide du mot-clé « algues vertes » dans le catalogue du dépôt légal constitué à partir du 1er janvier 1995 par l’Institut national audiovisuel [6]. L’exploitation des réseaux sociaux, un temps envisagée, a été repoussée car cette forme de médias est récente au regard des enjeux traités et relève d’une autre nature que les reportages étudiés.
11L’analyse de plusieurs centaines de reportages s’est étalée sur une durée de six mois, durant lesquels la date du reportage, sa durée, sa place dans le conducteur général du journal et surtout son synopsis (figurant obligatoirement dans le dépôt légal) ont été examinés. Ce dernier comprend le contenu détaillé de la séquence et son plan de montage. Les thèmes traités et les catégories d’intervenants entendus ont ainsi pu être comptabilisés. Une analyse filmique des reportages paraissant significatifs d’une période ou d’un thème a été effectuée avec le logiciel Médiascope à partir d’une station de lecture audiovisuelle sur le site de la Bibliothèque nationale de France.
12Les recherches faites à partir des sources audiovisuelles ont été précédées d’une exploitation par sondage des archives des éditions locales du journal Ouest France à Rennes menée afin d’examiner comment la presse écrite a traité les « algues vertes » en particulier dans les Côtes d’Armor au cours des cinquante dernières années (Le Roux, 2013). Enfin une dizaine d’acteurs locaux – dont plusieurs maîtrisent l’exercice médiatique comme Gilles Huet, le délégué général d’eaux et rivières de Bretagne – ont été interrogés, préalablement à l’analyse des reportages. L’un des objectifs était de connaître la manière dont ils expliquent la prolifération des « algues vertes », le rapport qu’ils établissent avec l’évolution des modes de productions agricoles et comment ils jugent le traitement de cette question par les médias.
13La recherche a été menée dans un climat social et politique particulièrement tendu en Bretagne puisqu’elle a débuté peu après la destruction des barrières d’écotaxe sur la route nationale 12 en 2013 et s’achève, au moins provisoirement, en pleine « crise du porc » en juillet et août 2015. Durant cette période, les « algues vertes » semblent avoir été reléguées au second plan par les médias en dépit de la controverse sur l’efficacité du plan de lutte contre les algues vertes (2010-2015). La question reste néanmoins très sensible, en témoignent les difficultés d’obtenir des entretiens sur le terrain, l’extrême précaution des interviewés et le vif débat entre les experts (Aquilina et al., 2013).
Les médias d’information : reflet de la société ou partie prenante ?
14Depuis les années 1980, les recherches en géographie exploitent les médias d’information en suivant deux approches : les médias comme reflet de la société et les médias comme « partie prenante ».
15La première approche considère les reportages comme un corpus de données objectives qu’il s’agit d’analyser comme tel. Le rôle et l’influence concrète des médias d’information sur le territoire à travers les rapports de pouvoirs ou la construction des représentations spatiales sont peu pris en compte par les chercheurs. Cette approche présuppose que le contenu médiatique n’exerce qu’une influence difficile à mesurer sur tous ses destinataires. En somme les médias n’ont, de ce point de vue, qu’une fonction réduite dans le jeu d’acteurs.
16Dans ce cadre-là, l’étude de la presse quotidienne régionale (pqr) permet par exemple d’examiner quelles sont les représentations sociales liées aux inondations et à la qualité des fleuves (Allard, 2005 ; Le Lay, Rivière-Honegger, 2009, 2013 ; Rashid, 2010 ; Comby, Le Lay, 2011, 2014 ; Rivière-Honegger et al., 2014). Sociologues et géographes recourent également à la presse quotidienne régionale, de manière à identifier les conflits liés à l’agriculture en zone périurbaine (Lefranc, Torre, 2004 ; Darly, Torre, 2008) ou pour dresser un inventaire des nouveaux aménagements urbains selon les systèmes d’acteurs (Comby, 2013). Malgré la limite due au fait que la presse écrite propose au chercheur des informations qui ont été recueillies sans lui (Grawitz, 2001), l’écrit médiatique renseigne sur le processus culturel et politique qui tisse des relations entre un groupe social et son environnement (Burgess, 1990 ; Lester, 2010).
17Les contenus télévisuels constituent également des supports de recherche (Boure, Lefebvre, 2000 ; Boure, Coulomb-Gully, 2001). Bien que l’analyse des thèmes environnementaux traités par les médias télévisés reste encore l’apanage des politistes et des médiologues, quelques études en géographie environnementale s’appuient sur les médias télévisés (Nedjar, 2000 ; Cheveigné, 2000, 2008 ; Raoulx, 2006). Ainsi, pour l’étude des risques majeurs (Kitzinger, 1999), l’analyse de journaux télévisés relatant des séismes a permis de mettre en évidence l’existence de « religiosités séculières » dans la présentation de ces catastrophes et l’implication croissante des acteurs politiques (Lafon, 2011).
18La seconde approche considère qu’il y a un « travail territorial » des médias (Noyer, Raoul, 2011), qu’il convient d’analyser. Dans les pays anglophones, où l’intérêt envers les médias explique l’émergence des media studies (Jenkins, 1992), les chercheurs s’interrogent sur le rôle des médias dans la construction de l’information et sur leur influence auprès des acteurs. C’est précisément dans cette perspective que s’inscrit la recherche sur les « algues vertes ». La place accordée par les médias à la prolifération des ulves (fig. 1) a, de fait, conduit les responsables politiques à réagir et à intervenir en faisant des propositions concrètes. Il existe donc une relation entre l’ordre du jour médiatique et l’ordre du jour public, dans la mesure où l’importance que les médias accordent à une question influence l’importance que le public va lui donner, et réciproquement. La médiatisation des « marées vertes », appelées ainsi sans doute en écho aux « marées noires », sont un exemple de cette relation de réciprocité [7].
Plages couvertes par les algues vertes en 2014
Plages couvertes par les algues vertes en 2014
19Cette recherche a donc privilégié la question de l’influence des médias d’information dans l’agenda politique (Garraud, 2010 ; Hassenteufel, 2010). Ce faisant, elle s’est également intéressée aux réponses apportées par les élus locaux, les agents économiques, les associations et les pouvoirs publics au problème des « algues vertes » en termes de stratégies territoriales ainsi qu’à la mise en scène médiatique de ces réponses. Ce choix n’interdit pas d’utiliser les reportages pour reconstituer le fil des événements et montrer en quoi la perception des « algues vertes » et en toile de fond celle des communes touchées ont changé à la fois en termes d’image et d’appréhension dans les médias au cours des trente dernières années.
Trente ans de traitement médiatique des « algues vertes »
20Les représentations sociales liées au rivage ont sensiblement évolué depuis le début du xixe siècle (Corbin, 1988). Après avoir été longtemps perçu comme un repoussoir par les sociétés occidentales, le littoral est devenu attractif : cette partie du territoire français regroupe désormais six millions de résidents sur seulement 4 % du territoire, et elle attire des millions de touristes chaque année. C’est un facteur clé du développement économique et social des zones côtières (Vidal, 2003 ; Équipe Mit, 2005 ; Vincent, 2006, 2013) ; même si ce développement est bancal car le « tropisme des rivages » (Gizard, Viard, 1995) a pour effet de chasser les activités traditionnelles de l’économie du littoral breton, de plus en plus basée sur l’économie présentielle (Davezies, 2009). Reste que la qualité supposée d’une plage, d’une baie ou d’une grève est un élément central dans la construction de l’identité du territoire breton – le concept de territoire étant entendu ici comme la tentative d’un individu ou d’un groupe d’agir sur, d’influencer ou de contrôler des gens, des phénomènes et des relations, en délimitant ou en imposant un contrôle sur un espace géographique (Sack, 1983).
21La Bretagne arrive en tête des régions littorales pour l’importance de son linéaire côtier (1 772 km). Et parmi les critères d’appréciation des plages, des baies et des grèves par le public, les algues qui se déposent sur le littoral sont restées très longtemps un élément naturel synonyme de sa bonne qualité (Sirost et al., 2005 ; Sirost, 2010). En baie de Paimpol ou bien encore dans la presqu’île de Lézardrieux, où le goémon était collecté pour les amendements agricoles et pour la production de soude, elles étaient aussi une source de revenus pour les habitants. La médiatisation de la prolifération des ulves a modifié la représentation d’un littoral breton sauvage, naturel et sain car ce thème véhicule des imaginaires qui alimentent nos peurs (Claeys, Sirost, 2010). Elle a également contribué à la chute des prix de l’immobilier dans les communes concernées (Plestin-les-Grèves, Saint-Michel-en-Grève, etc.) alors même que les prix des terrains à bâtir et des maisons individuelles situés sur le littoral breton augmentaient. Le géographe Jean Ollivro (2012) distingue ainsi les communes « tendances » (les plus touristiques étant aussi paradoxalement celles qui ont vu leur population décroître comme Paimpol ou Saint-Malo) des communes « nuisances » au rang desquels figurent celle touchées par les « algues vertes ».
22Dès les années 1980, la presse régionale (Ouest France, Le Télégramme) a évoqué le phénomène. Des émissions nationales de chaînes généralistes y ont consacré des reportages supérieurs à une minute trente à partir de 1985 (TF1, Antenne 2, France 3, plus tardivement M6). Les médias relayaient alors le discours rassurant des autorités sanitaires. Le danger représenté par les nitrates pour l’environnement était connu, mais leur origine et leur impact sur l’environnement restaient sujets à controverses scientifiques et la réaction des populations était limitée. La manière d’aborder le sujet a peu à peu évolué en raison des menaces causées par les efflorescences algales sur les ressources conchylicoles et la pêche à pied. Les témoignages des estivants et des riverains indisposés par cette « nuisance malodorante » devenaient en outre de plus en plus fréquents.
23L’image de la Bretagne a été durablement écornée et, ce faisant, les « marées vertes » ont été présentées comme une nuisance olfactive et esthétique dont la prise en charge nécessitait l’intervention des pouvoirs publics. Acteurs locaux et scientifiques ont alors tenté d’inverser le regard porté sur les « algues vertes » en promouvant des « solutions miracles » qui débarrasseraient la côte de la « salade de mer » tout en profitant à l’agriculture [8]. Mais face à l’échec des essais de recyclage des algues vertes, ces solutions techniques destinées à réduire la pollution côtière furent accueillies dans une quasi-indifférence. Toujours dans les années 1980, les médias se sont également interrogés sur la source du problème. Les experts ont alors mis en exergue le rôle des eaux usées (stations d’épuration défaillantes ou sous-dimensionnées, réseaux d’assainissement vétustes, etc.). Les rejets agricoles ne sont pas mentionnés dans les médias avant la fin des années 1980, date à laquelle les observations des scientifiques les amènent à émettre l’hypothèse du rôle des nitrates dans la prolifération des algues. À cette date (la directive nitrates remonte à 1991, la seconde loi sur l’eau a été adoptée en 1992), les éditorialistes ont adopté des points de vue opposés. Les uns, ceux de la presse écrite régionale ou spécialisée, soulignaient l’efficacité des techniques de traitement de l’eau et louaient la réussite du modèle agricole. Les autres, ceux des chaînes généralistes surtout, revenaient sur les inquiétudes des communes situées en aval des bassins versants : l’évolution des pratiques agricoles y était fortement décriée par le biais de témoignages de riverains et d’associations indignés par la hausse du prix de l’eau courante, la baisse de fréquentation des installations touristiques et l’inaction du gouvernement.
24Entre janvier 1995 et juin 2015, les journaux télévisés nationaux ont présenté de nombreux reportages sur les algues vertes (116 pour France 2, 76 pour TF1 et 15 pour M6). Les journaux télévisés régionaux de France 3 Bretagne en ont réalisé 283 entre 2008 et 2014. Le sujet était de plus en plus régulièrement relié aux effets pervers du modèle agricole. Les reportages de France 3 Bretagne par exemple relayaient la parole de riverains excédés et d’agriculteurs de moins en moins dans le déni face aux évidences scientifiques. L’État était critiqué et les organisations socioprofessionnelles agricoles étaient appelées à faire davantage d’efforts en faveur de la protection des eaux, au moment où les rapports publics sur l’échec des politiques de l’eau se multipliaient. Certaines émissions télévisées ont mis le sujet « à la une » et suscité de violentes réactions. Cela a par exemple été le cas de Thalassa diffusée le 10 avril 2009, vivement critiquée par une partie des élus et des acteurs du tourisme bretons. Ces derniers se disaient – dans la presse –, « indignés par cette couverture très anxiogène » et ont accusé l’animateur-producteur Georges Pernoud d’avoir « bien chargé la barque » [9]. Ce sont paradoxalement les sinistrés – et non les pollueurs – qui ont regretté cette mise en lumière !
25Le 28 juillet 2009 a constitué un tournant dans le traitement médiatique des « algues vertes ». Un cavalier a réchappé de peu à la mort tandis que son cheval a été victime d’une intoxication à l’hydrogène sulfuré dégagé par les algues en décomposition. Cet accident, en pleine vacances estivales, a marqué l’opinion publique et modifié le vocabulaire utilisé par les journalistes (« danger sanitaire », « fléau », « peste verte », etc.). Pour paraphraser Anne-Marie Gingras (2009), l’agenda des médias s’est imposé à l’agenda politique puisque François Fillion (alors Premier ministre) et Chantal Jouano (ministre de l’Environnement) ont interrompu leurs vacances pour annoncer un plan d’action [10]. Les responsables politiques ont alors parfaitement mis en scène la réponse qu’ils comptaient apporter au problème des « algues vertes » dans le but de montrer la réactivité du gouvernement, de rendre public le nouveau plan dont il était porteur et d’occuper la scène dans la perspective des prochaines échéances électorales. Dans le cas des « algues vertes », les médias ont donc bousculé l’agenda politique et imposé un nouveau rythme à l’action publique. En retour, les membres du gouvernement les ont instrumentalisés pour faire-savoir que l’État serait au chevet des territoires touchés.
26En octobre 2009, une information exclusive a cependant mis l’État dans l’embarras [11]. Des journaux ont publié le rapport confidentiel du préfet de Bretagne reconnaissant l’incapacité du gouvernement à faire pression sur les exploitants agricoles et l’impossibilité de mettre en place de nouvelles pratiques agricoles durables (la profession n’étant « pas prête à (les) accepter pour le moment »). Ces informations ont accru le désarroi des maires des communes littorales face à l’image négative transmise dans le reste du pays et à l’étranger, augmenté l’inquiétude des ouvriers refusant de travailler dans les usines de traitement d’algue et développé une psychose chez les riverains inquiets du risque de dévalorisation de leurs biens immobiliers. Des associations, créées et animées par d’actifs militants (André Ollivro a été élu « Breton de l’année » par les lecteurs du Télégramme en 2010) ont saisi cette opportunité pour s’imposer dans les médias : d’abord invités dans le débat d’experts en tant que représentants de la société civile, ils sont eux-mêmes devenus des « experts » (des « bons clients » aussi) pour les médias locaux et nationaux au fil des entretiens.
27À partir de 2011, l’aveu de l’impuissance de l’État, la multiplication des affaires mettant en cause des industries agro-alimentaires ou les fermetures de plages souillées par les marées vertes ont été contrebalancés par des reportages présentant les agriculteurs comme « moralement marqués », victimes des pressions imposées par les associations écologiques, l’Union européenne et le gouvernement. Ce dernier étant partagé entre les défenseurs du « modèle agricole breton » au ministère de l’Agriculture et ses détracteurs au ministère de l’Écologie (tabl. 1).
L’évolution du discours médiatique sur les algues vertes
L’évolution du discours médiatique sur les algues vertes
28Comme ce fut le cas vingt ans plus tôt, les reporters ont présenté les nouvelles solutions techniques pour le ramassage et la transformation des lisiers en biogaz en insistant sur les entreprises bretonnes innovantes qui traitent les algues pour l’alimentation, les plastiques, voire la cosmétique. Les interviewés, entrepreneurs, experts et élus locaux, ont repris leur discours sur le nouvel Eldorado de l’industrie agro-alimentaire bretonne lié au recyclage algal. Par exemple Michaël Cosson, maire d’Hillion affirme : « On est en train de faire en sorte que cette charge devienne une solution d’un point de vue économique, mais aussi environnemental. On ne peut être que satisfait de voir le début de cette nouvelle ère » [12]. Ainsi, les médias jouent le rôle de « maîtres de cérémonie » en sélectionnant les événements qui méritent de faire l’objet d’un débat dans une société et en proposant des interprétations, des explications et des solutions aux problèmes posés (Mattelart, 2011). Depuis 2009, les médias ont bousculé les ordres du jour des différents acteurs (l’agenda-setting), à savoir l’ordre du jour public, l’ordre du jour politique et peuvent imposer leur propre ordre du jour (McComb, Shaw, 1972 ; Nollet, 2009) [13]. Les théories de la mise sur agenda semblent donc pleinement opératoires au sujet des « algues vertes ».
29Connexe à la théorie de l’agenda-setting, l’effet d’amorçage (le priming) se réfère à la capacité qu’ont les médias d’influer sur la nature de l’enjeu lié à l’événement qu’ils ont mis en lumière. En mettant l’accent sur un enjeu plutôt que sur un autre (l’impact des algues vertes sur le cadre de vie, sur le tourisme ou bien leurs conséquences sanitaires en s’appuyant sur l’expertise d’institutions scientifiques telles que l’Inra, le Ceva et l’Ifremer), les médias ont orienté les critères selon lesquels le public juge l’action des acteurs politiques et ont provoqué la réaction des pouvoirs publics. Celle-ci, on l’a dit plus haut, s’est traduite par la mise en place d’un plan volontairement territorialisé de lutte contre les « algues vertes » pour bien montrer que la réponse serait adaptée aux enjeux locaux.
30En effet, le plan concerne les huit baies prioritaires identifiées dans le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux du bassin Loire-Bretagne à savoir la baie de la Fresnay, la baie de Saint-Brieuc, Saint-Michel-en-Grève, l’anse de Locquirec, l’anse de l’Horn-Guillec, l’anse de Guissény et les baies de Concarneau et de Douarnenez (fig. 2). Nombre d’élus locaux interrogés disent aussi avoir durci leur plan local d’urbanisme afin d’éviter l’installation de nouvelles porcheries dans leurs communes tout en perfectionnant le système de ramassage (modalités et période de collecte, localisation et traitement). Localement donc, des actions préventives et curatives mises en œuvre par les services déconcentrés de l’État et par les collectivités territoriales ont résulté d’une géographie des « algues vertes » au prisme des médias.
Baies prioritaires et porcheries en Bretagne
Baies prioritaires et porcheries en Bretagne
31Des secteurs plus fréquemment médiatisés que d’autres (par exemple la baie de Saint-Brieuc) sont ainsi devenus les symboles de la lutte contre « algues vertes ». Autrement dit des baies ont été privilégiées par rapport à d’autres par les équipes de tournage dépêchées par leurs rédactions. Il est difficile cependant d’expliquer la manière dont les médias localisent les faits. Les journalistes tentent certes d’illustrer à l’aide de prises de vues et de témoignages un synopsis que l’on sait plus ou moins préparé à l’avance sur la base de sources variées (plaintes, rapports scientifiques, etc.). Mais les modalités de production des reportages leur dictent les sites où travailler puisqu’il leur faut limiter les déplacements afin de produire des images à moindres frais et dans des délais très courts. Il se peut aussi que des médias privilégient certains lieux plutôt que d’autres, en fonction de l’auditoire (régional ou national par exemple), de la présence de « permanents » du journal ou encore du fait de proximités politiques. L’exploitation « qualitative » des reportages télévisés et radiodiffusé ne nous renseigne toutefois pas davantage à ce sujet.
Saisonnalité, thématique et construction même des reportages contribuent à accentuer leur effet sur les acteurs bretons
32La couverture des « algues vertes » par les médias d’information se singularise par sa durée (trente ans) et surtout sa saisonnalité car les « marées vertes » surviennent en été et en automne (fig. 3). Des événements spectaculaires ont en outre entraîné une surmédiatisation ponctuelle. Vingt-cinq reportages par exemple ont été réalisés par France 3 Bretagne en septembre 2009 après le décès suspect d’un agent chargé du ramassage et la mort d’un cheval sur la plage et vingt autres au mois d’août 2011 à la suite de la découverte de cadavres de sangliers. Les entretiens menés dans le cadre de cette recherche, montrent l’importance de leur impact au point que les interviewés se référent plutôt à des reportages, des articles ou des émissions plutôt qu’aux travaux scientifiques ou rapports d’experts.
Répartition mensuelle des reportages consacrés aux algues vertes par France 3 Bretagne
Répartition mensuelle des reportages consacrés aux algues vertes par France 3 Bretagne
33En ce qui concerne les thèmes, une grande partie des 283 reportages de France 3 Bretagne sur les algues vertes a été consacrée au suivi judiciaire des plaintes déposées par les associations environnementales ou par les familles des victimes. Le montage est alors constitué de vues des tribunaux (Paris, Quimper, Rennes, etc.), d’images d’archives (plages) et d’entretien des protagonistes ou de leurs avocats. Ce type de reportage est présent toute l’année et obéit au calendrier judiciaire. Ainsi l’affaire Marfoisse a été fortement médiatisée par la télévision et la radio ; c’est aussi l’un des « feuilletons judiciaires » de Ouest France. La récurrence de ce thème, absent des reportages dans les années 1980 et 1990, témoigne du bras de fer engagé par les associations (écologistes, familles de victimes, riverains) avec l’État d’une part et les organisations socioprofessionnelles d’autre part. Cette mise en exergue par les médias de la judiciarisation du problème des algues vertes produit un effet d’amorçage (qui consiste à mettre l’accent sur un aspect ou un enjeu plutôt que sur un autre) ce qui influence l’ordre du jour des décideurs publics, c’est une illustration de la théorie de l’agenda-setting (tabl. 2).
Nombre de reportages selon leurs thématiques générales
Nombre de reportages selon leurs thématiques générales
34Les techniques de nettoyage ou de recyclage sont le deuxième sujet le plus évoqué : la méthanisation (ré)apparaît comme la solution aux « marées vertes » face à l’échec de la réduction à la source des rejets d’azote. La dangerosité des algues est également un thème important surtout auprès des interviewés d’associatifs, d’experts (membre de la Cva, médecins, hydrobiologistes). En fonction de leur thématique, les images présentent des paysages littoraux radicalement différents. En ce qui concerne la côte de granite rose par exemple, les médias ont façonné des territoires caricaturaux allant des plages souillées et vides d’hommes à des vues aériennes séduisantes et proches de celles des annonceurs touristiques. Les techniques de montage, la durée d’un reportage (généralement inférieur à deux minutes) et bien sûr l’angle du reportage expliquent ce résultat.
35L’analyse filmique des reportages permet de compléter la recherche par une analyse de contenu (cadrage, choix des plans, scénarisation). Les stéréotypes (issus des routines professionnelles) que l’on retrouve dans les reportages de terrain amplifient l’effet d’amorçage (le priming). En soi, une plage couverte d’algues n’a rien d’extraordinaire ni d’explicite, c’est pourquoi les journalistes et les monteurs d’image « scénarisent » les reportages consacrés aux « algues vertes » à partir d’un synopsis récurrent qui tour à tour évoque les conséquences de cette prolifération, ses causes et les solutions pour y faire face. Sur la base des reportages examinés à l’Institut national audiovisuel, un modèle de story board peut même être établi comme l’illustre le reportage fait à Hillion par France 3 Bretagne [14].
36Le lancement du sujet s’accompagne d’une infographie localisant le lieu du reportage à partir d’un zoom cartographique aérien de type Google Earth (annexe – imagettes 3 et 4). La plage est alors filmée en panoramique et en plan général (annexe – imagettes 12 et 13), généralement aucune activité balnéaire ni de pêche n’y apparaît. Les promeneurs n’apparaissent qu’à travers une posture de spectateurs (annexe – imagette 8). Des plans en travelling au niveau du sol et en contre-plongée participent à la « dramatisation » de la situation : la caméra suit les personnes (quelquefois des enfants) qui marchent avec des bottes sur une plage couverte à perte de vue d’algues formant un magma gluant et verdâtre (annexe – imagette 10). Ce type de plan a été repris en février 2011 par une des affiches de la campagne de sensibilisation aux excès de l’agriculture industrielle de France Nature Environnement ; destinée à être affichée dans le métro parisien, elle sera interdite par la Ratp sous la pression de l’Inaporc (interprofession nationale porcine) et de l’Interbev (Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes). L’accumulation des ulves sur les zones de stockage est illustrée par des gros plans où elles apparaissent tantôt comme des déchets manipulés par des engins de chantier (annexe – imagettes 7, 9 et 14) tantôt sous la forme de plaques recouvertes d’une croûte blanchâtre dont on mesure la dangerosité à l’aide de dosimètres.
37La scénarisation met également en évidence d’une manière appuyée (30 à 50 % des plans des reportages que nous avons étudiés) les réponses in situ : plans moyens et gros plans sur l’activité des engins de ramassage qui collectent les algues (annexe – imagettes 5, 6, 7, 9, 16, 17, 18, 20, 21) sur une plage présentée au téléspectateur comme un chantier de travaux publics. Les personnes interrogées sont le plus souvent présentées devant ces travaux en arrière-plan (annexe – imagettes 11, 15, 19). Lorsque l’agriculture intensive est incriminée, les reportages montrent presque exclusivement des plans en rapport avec la filière porcine qui est la principale stigmatisée.
Conclusion
38Le système productif agricole breton est désormais remis en question. Plusieurs facteurs de nature économique et sociale l’expliquent. La présence d’algues vertes dans les baies bretonnes joue cependant un rôle clé car elle est médiatisée. Dans les reportages télévisés – qui jadis incriminaient les pollutions urbaines – les producteurs de porcs comptent maintenant parmi les principaux responsables des « marées vertes ». En ce sens, les médias d’information contribuent au processus de recomposition du tissu économique tout en bouleversant l’agenda civil et politique régional. Ils s’intègrent ainsi au processus de territorialisation de l’action publique en interagissant avec les parties prenantes lors du jeu d’acteurs dans les arènes de décision. Les journalistes produisent des stéréotypes qui changent les représentations du rivage breton en utilisant des routines professionnelles pour présenter leur sujet. Ces stéréotypes semblent être relayés massivement par les réseaux sociaux numériques dont il serait prometteur d’analyser les contenus.
39Les entretiens menés dans le cadre de la recherche et l’analyse de la littérature grise relative à l’état de l’environnement suggèrent par ailleurs de nombreux « trompe-l’œil » médiatiques. Par exemple, s’il y a effectivement un lien de cause à effet dans certains bassins versants entre les déjections animales dues aux porcheries et la dégradation continue de la qualité des eaux superficielles, il en va autrement dans d’autres bassins versants où c’est davantage l’élevage bovin qui devrait être mis en cause. Or les médias pointent de façon systématique du doigt la filière porcine – qui, il est vrai, tarde à concrétiser ses engagements [15]. Autre exemple, les experts que nous avons interrogés en septembre 2013 au sujet des « algues vertes » insistent sur le fait que les résultats ne peuvent être obtenus à court terme : autrement dit la reconquête sera lente en dépit des efforts réellement consentis par les exploitants, ce que confirme le maigre bilan du premier plan de lutte contre les « algues vertes » [16].
40Enfin, sans sous-estimer la question des « algues vertes », celle-ci monopolise par moment les médias, ce qui a tendance à masquer d’autres problématiques territoriales majeures comme la désertification du centre Bretagne, ou, à l’inverse comme l’indique Jean Ollivro (2012), le développement des ports de plaisance et des programmes immobiliers depuis les années 1970-1980 dans des zones écologiques remarquables jusqu’à présent épargnées.
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Mots-clés éditeurs : agriculture, média, Bretagne, algue verte
Mise en ligne 07/07/2016
https://doi.org/10.3917/eg.452.0142Notes
-
[1]
Deux chiens retrouvés morts sur une plage d’Hillion le 12 juillet 2008, décès suspect de Thierry Marfoisse chargé du ramassage des algues vertes à Binic le 22 juillet 2009, mort d’un cheval à Saint-Michel-en-Grève le 28 juillet 2009, etc.
-
[2]
Le « modèle agricole breton » désigne un système intensif – par « filières » – qui se met en place dès les années 1950 et dont résulte aujourd’hui une agriculture d’entreprise, industrialisée et ouverte sur le monde remplaçant l’agriculture paysanne de l’entre-deux-guerres. Un puissant réseau d’industries agro-alimentaires a structuré et accompagné le mouvement. Des initiatives endogènes l’ont encouragé afin de conforter l’occupation des territoires ruraux (Canévet, 1992 ; Renard, 2005).
-
[3]
Cette recherche s’inscrit dans le cadre du programme « Terre-Eau » (2013-2016). Celui-ci porte sur les dynamiques des territoires et des écosystèmes ainsi que sur les représentations des évolutions induites par les changements globaux (Anr-12-Agro-0002-01).
-
[4]
La suppression des quotas était cependant réclamée par une partie de la profession.
-
[5]
Olivier Allain est éleveur. Il préside de la chambre d’agriculture des Côtes d’Armor. Il a été interrogé en 2015 dans le cadre de la recherche.
-
[6]
Le système documentaire mis en place avant 1995 a été écarté car il n’a pas été conçu pour répondre aux attentes des chercheurs (Tsikounas, 2013).
-
[7]
En treize années, les côtes bretonnes ont subi six marées noires : le Torrey Canyon (1967), l’Olympic Bravery (1976), le Boehlen (1976), l’Amoco Cadiz (1978), le Gino (1979) et le Tanio (1980). La dernière en date est celle de l’Erika (1999).
-
[8]
L’épandage des algues dans les champs, la transformation en terreau ou leur broyage et leur utilisation en tant qu’additif pour l’alimentation des hommes et du bétail figurent parmi les solutions présentées à l’époque dans les médias d’information.
-
[9]
Le Monde du 23 avril 2009.
-
[10]
« Le phénomène [des algues vertes] s’est manifesté de manière spécialement prononcée à l’été 2009, notamment dans les Côtes d’Armor, et a fait l’objet d’un fort écho médiatique à la suite du décès d’un cheval et du malaise de son cavalier à proximité de la plage de Saint-Michel-en-Grève, près de Lannion » (extrait du plan de lutte contre les algues vertes, p. 2, préfecture de Bretagne, Rennes, 5 février 2010).
-
[11]
« Algues vertes. Le préfet charge les agriculteurs ». Le Télégramme, le 21 octobre 2009.
-
[12]
Source : journal télévisé de 13 heures du 1er août 2015 sur France 2. Cet élu, fonctionnaire de l’État de profession en service déconcentré, a tenu le même discours lors de l’entretien mené dans le cadre de la recherche (2015).
-
[13]
Le fait que l’agenda médiatique impacte l’agenda politique a, au reste, été étayé par de nombreuses études (Hilgartner, Bosk, 1988 ; Roger, Dearing, 1988 ; Damon, 2004 ; Walgrave, Van Aelst, 2006 ; Walgrave et al., 2008).
-
[14]
Voir l’annexe vers ce lien : http://www.mgm.fr/PUB/EG/EG216.pdf.
-
[15]
Le 28 juin 1991, Guillaume Roué, président du comité régional porcin, a rédigé un article dans un numéro spécial du Télégramme intitulé « Bretagne an 2000. Produire sans détruire ».
-
[16]
Le rapport d’évaluation du « plan de lutte contre les algues vertes » conclut que les objectifs ne sont pas atteints, en particulier dans la baie de Saint-Brieuc. Un autre plan devra être financé. Ainsi, le plan « algues vertes » ne fait pas mieux que les plans de maîtrise des pollutions d’origine agricole qui l’ont précédés dans les années 1990 et 2000. Source : ministère de l’Agriculture, de l’Agro-alimentaire et de la Forêt (2015).