Notes
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[1]
Cf. notamment Bonnemaison et al.,1999 ; Brunet, 1990 ; Debarbieux, 1995 ; Dumont, 1999 ; Groza, 2003 ; Guermond, 2002 ; Isnard, 1978 ; Piveteau, 1995a et b ; Roncayolo, 1982.
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[2]
L’enquête avait en fait, plusieurs centres d’intérêt et nous n’avons utilisé ici que les questions relatives à l’identité et à la territorialité (Cf. Belhedi, 1992c).
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[3]
La plupart des groupes ethniques se réclament de descendants de la presqu’île arabe et plus particulièrement du Yemen qui a fourni une bonne partie des conquérants et des compagnons du prophète, en utilisant comme argument la toponymie et les noms de familles.
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[4]
L’invasion hilaliene (Beni Hilal, une tribu arabe qui habitait le Sud de l’Égypte) a investi le pays au Moyen Âge et a contribué, selon certains, à faire régresser la vie sédentaire et développer le nomadisme.
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[5]
La légende fait que la plupart des saints installés dans le pays au Moyen Âge et venus défendre l’islam orthodoxe sont originaires de Sakiet el-Hamra située sur les côtes atlantiques du Maghreb.
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[6]
Parallèlement à la Reconquista, les Arabes andalous ont été chassés et ont trouvé refuge en Tunisie ; ils se sont installés dans des villages entiers, encouragés par les pouvoirs de l’époque, et ont apporté avec eux diverses techniques hydro-agricoles et artisanales qui sont restées vivaces jusqu’à nos jours : les exemples des villages du sahel de Bizerte, de Testour et Teboursouk dans la vallée de Majerda sont indicatifs.
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[7]
Le gouvernorat est l’unité régionale, équivalente du Département dans le schéma français ; la délégation est l’unité locale correspondant au canton français. Le nombre de gouvernorats est passé de 13 à 24 entre 1956 et 2004, tandis que celui des délégations est passé de 75 à 263 (INS, 1956, 2004).
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[8]
Il s’agit ici de quelques noms de tribus et de territoires en même temps, ce qui montre le lien fort entre les communautés et leurs territoires. Chacune existe, se définit par rapport à un espace donné qu’elle organise, il s’agit d’identités socio-ethno-spatiales.
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[9]
Il faut signaler ici que le système communal n’est pas généralisé. La commune est créée en Tunisie par décret et ne concerne que l’espace urbain. On compte actuellement 262 communes totalisant plus de 65 % de la population du pays. Le découpage administratif est sujet à de constants remaniements au niveau des délégations, un peu moins pour les gouvernorats, ce qui bouscule en permanence l’assise spatiale de référence.
1Le territoire exprime la projection de structures spécifiques d’un groupe humain sur un espace donné (découpage, occupation, gestion, aménagement...). Il contribue ainsi à fonder l’identité du groupe et à conforter le sentiment d’appartenance et d’appropriation, au sens matériel et symbolique. Il permet aussi la cristallisation des représentations (individuelles et collectives) et des symboles, fondateurs, d’identification et de référence, ainsi que la pérennisation et la reproduction des rapports sociaux. Sans passer en revue l’abondante littérature sur ce thème [1], nous préciserons d’abord certains concepts utiles à notre étude sur la Tunisie.
2L’appartenance se trouve au centre du processus identitaire et de territorialisation dans la mesure où elle fonde ce lien « magique », problématique et complexe à la fois, entre les individus, leurs communautés et leurs territoires. Le territoire permet souvent de consolider l’appartenance à travers la matérialité et la spatialité qu’il représente (l’étendue spatiale et les objets qui la ponctuent) et son appropriation (au sens juridique, affectif et symbolique) à double sens : c’est l’espace qui m’appartient et auquel j’appartiens à mon tour. Le processus d’identification passe par l’intériorisation de ce rapport d’appartenance.
3L’identité territoriale est multiscalaire, elle incorpore plusieurs sphères tout en privilégiant certains échelons comme le national et le local, du fait de la prégnance politique du premier et des impératifs de la vie quotidienne pour le second. Elle est cette appartenance territoriale consciente, exhibée et/ou revendiquée, subie ou souhaitée, qui a été forgée conjointement par le vécu quotidien et l’histoire de l’individu et de sa communauté. Elle résulte de cette appropriation du territoire qui constitue le cadre de vie et de référence identitaire (communautaire et individuel) et se trouve chargée de symboles et ponctuée de hauts lieux.
4Porteur d’un projet territorial, l’État-nation s’impose face aux individus, communautés et lieux qui les abritent, et aux autres formes de territorialité. L’individu est ainsi plus relié aux institutions qu’à sa communauté, favorisant l’atomisation sociale et la désintégration communautaire nécessaire à la construction territoriale nationale. Les différents espaces se trouvent de ce fait reliés selon un schéma pyramidal.
5Le texte qui suit est le fruit de réflexions menées sur l’organisation spatiale en Tunisie à partir de nombreuses observations de terrain (Belhedi, 1992b et c). Il cherche à exposer la problématique de la territorialité et de l’identité dans un pays comme la Tunisie, qui, tout en étant chargé d’histoire, ne constitue pas moins un pays jeune où l’appartenance déclarée, qu’elle soit politique, régionale, ethnique ou territoriale, est souvent considérée comme suspecte. On peut se demander en particulier dans quelle mesure l’État-nation, de construction relativement récente en Tunisie, a occulté ou nivelé les autres échelons territoriaux.
6Pour cerner cette question de territorialité, nous avons mené une enquête [2] par sondage auprès d’un échantillon de 1 000 individus représentatifs de la population tunisienne, dont les strates ont été définies sur la base des régions (Tunis, Nord-Est, Nord-Ouest, Centre-Est, Centre-Ouest, Sud-Est, Sud-Ouest), du milieu (milieu urbain, milieu rural aggloméré ou dispersé), de la taille des villes (grandes, moyennes et petites villes), du sexe, de l’âge et des catégories socioprofessionnelles. L’enquête, effectuée dans le cadre d’une étude sur l’organisation spatiale, le développement et l’aménagement en Tunisie, avait plusieurs objectifs et les résultats ont été exploités dans de nombreux travaux publiés depuis le début des années 1990 (cf. le texte du questionnaire in Belhedi, 1992c). Nous nous intéressons ici aux données relatives au rapport entre la territorialité et l’identité.
L’identité et le territoire comme rapport intériorisé de double appartenance
7Nous avons introduit dans le questionnaire plusieurs questions destinées à cerner l’identité territoriale des habitants. L’identité est envisagée par la manière de se définir dans un discours sur soi-même ou sur l’autre, qui s’exprime le plus souvent par la différence, le marquage. Dans ce cadre, nous avons posé les questions suivantes : « Qui êtes-vous ? Comment vous identifiez-vous ? », « Quels sont les référents que vous utilisez lorsque vous voulez vous présenter aux autres ? », « à qui appartient ce pays, cette zone, ce territoire ? », « pouvez-vous délimiter ce territoire ? », « quels sont les territoires limitrophes ? », « quelles sont les communautés les plus anciennes qui se sont installées dans cette zone ? », « pouvez-vous nous retracer l’histoire succincte ? », « quels sont vos liens avec les voisins ? ».
8L’analyse des réponses montre que la référence ethnoculturelle revient très souvent dans le discours identitaire, ponctuée de connotations religieuses, ethniques où les racines, l’ancienneté et la supériorité sont souvent invoquées : « c’est le territoire de mes ancêtres », « c’est notre territoire… », « c’est notre ancêtre qui est venu ici le premier… ». L’identification s’opère à travers un simplexe spatio-temporel dont les pôles sont indissociables et s’appuie sur la double appartenance réciproque entre le référé et le référant construisant une étroite relation biunivoque d’appartenance entre l’individu, la communauté et le territoire. Le territoire semble ne pas exister en dehors de la communauté, sauf en tant que support spatial. Si son existence antérieure est évoquée, c’est le plus souvent de façon négative : « avant, c’était le désert ici », « avant notre arrivée, il n’y avait rien dans cette zone, même pas des cultures… », « auparavant, il y avait des groupuscules épars qui s’entretuaient… », « avant […] l’insécurité régnait… ».
9Le groupe crée ainsi son territoire, auquel il s’identifie et qui n’existe pas en dehors de lui. En revanche, le groupe préexiste souvent au territoire et revendique des origines, supérieures, anciennes et lointaines. L’origine orientale arabe, de Jazirah et du Yemen [3] d’abord, hilalienne [4] ensuite ou occidentale maure au Moyen Âge (Sakiet el-Hamra [5], Andalousie [6]) est souvent invoquée pour revendiquer une antériorité ou une supériorité niée aux autres groupes d’origine locale, inconnue ou problématique. C’est le groupe qui crée ainsi le territoire, finissant parfois par fusionner en un couple indissociable : « Nous sommes originaires des premiers conquérants arabes… », « nous sommes originaires de Sakiet El-Hamra et notre ancêtre s’est installé ici pour défendre le pays ou la zone […] », « nous sommes venus avec les hilaliens… ».
10À la référence ethnoculturelle de la conquête arabo-islamique des premiers siècles répond l’islam des saints venus du Maroc au Moyen Âge, matérialisé par un espace ponctué de saints protecteurs assurant le marquage territorial. Dans les villes et les villages du Nord (Testour, Teboursouk, Kalaat el Andalous…), l’origine andalouse est revendiquée avec tout ce qu’elle comporte de charge affective et de supériorité technique à l’époque de la Reconquista.
11Le territoire créé, organisé ou recomposé ailleurs dans le cas de mobilité (choisie ou forcée) du groupe, contribue à son tour à conforter le processus identitaire.
L’espace exprime et consolide l’identification
12La relation entre identité et territoire n’est pas exclusive. La territorialisation ne recouvre pas forcément toutes les formes d’identification et on se trouve parfois devant des revendications identitaires difficiles à territorialiser. C’est le cas par exemple des jeunes, des femmes ou de certaines catégories socioprofessionnelles. La spatialité ancre davantage l’appartenance communautaire en l’inscrivant dans la matérialité à travers la localisation, la présence de limites fixes ou claires, de noyaux plus ou moins durs, de hauts lieux, d’une appropriation symbolique ou/et juridique… L’espace constitue un outil d’ancrage matériel et un moyen d’intermédiation qui facilite les processus d’identification et d’appropriation.
13L’enquête montre ainsi que les appartenances identitaires déclarées sont d’autant plus tranchées que l’individu est peu mobile, la communauté relativement fermée et sa composition homogène. La référence s’opère au niveau local, à un espace dont les limites sont claires et bien matérialisées sur le sol. Les habitants des hameaux et villages s’inscrivent dans un maillage spatial très fin et se réfèrent à un horizon temporel proche. Au contraire, la mobilité passée ou actuelle contribue à élargir la référence temporelle et à agrandir les mailles territoriales. Certaines communautés se situent ainsi au niveau régional même si des identités secondaires s’y sont, entre- temps, développées, tout en conservant des liens forts avec la communauté mère et le territoire de référence. Tout se passe comme si, lorsque les limites d’une assise territoriale deviennent floues, la communauté crée de nouvelles instances territoriales plus proches, plus claires et plus palpables. C’est ce que l’on a pu constater tant dans les campagnes que dans les villes, comme si la communauté produisait et reproduisait ses propres territoires en (s’)adaptant (à) sa territorialité.
14Si la territorialisation est nécessaire comme cadre d’expression identitaire et politique des différentes communautés, l’identité est aussi indispensable comme cadre d’expression de la différence des composantes sociopolitiques de la société. L’identification s’accompagne parfois de discrimination et d’exclusion. C’est ce qui s’opère entre les citadins et les ruraux d’un côté, entre les habitants de localités proches de l’autre par exemple et dont les mots utilisés pour qualifier les uns et les autres sont hautement significatifs d’un rejet mutuel.
Deux échelles spatiales privilégiées : le local et le national
15L’identité forme un tout indissociable et spécifique à la fois, privilégiant certaines dimensions ou échelles en fonction des lieux, des circonstances et des besoins identitaires dans lesquels elle est recueillie. On est de tel village, telle ville ou région selon la position et le lieu où l’on nous interroge. Cette question a été étudiée à travers la référence spatiale utilisée par l’enquêté pour s’identifier en se présentant aux autres : « Comment vous présentez-vous aux autres si on vous demande votre origine ? », « en vous plaçant à différentes échelles spatiales, comment vous présentez-vous ? »
16On peut distinguer sept niveaux de référence : le quartier (famille, maison), la zone (faction), la localité (village, petite ville, tribu), la sous-région, la région ou la grande ville (Nefzaoua, Jerid, Sfax), enfin la supra-région (Sud, Sahel, Nord-Ouest, Tunis…) et le pays.
17La référence identitaire s’exprime selon une échelle de proximité descendante : à un échelon donné, l’enquêté se réfère souvent à l’échelon immédiatement inférieur pour s’identifier et se présenter (89 %), les échelons inférieurs n’étant invoqués qu’à la demande de la part de l’enquêteur qui connaît parfois le territoire concerné.
18Dans notre enquête, deux échelons se trouvent privilégiés : l’échelle locale et l’échelle nationale. La défaillance de références à l’échelle régionale est sans doute liée à la faiblesse de la vie régionale en Tunisie, à l’excessive centralisation sociopolitique et à la primauté de l’ordre national (Belhedi, 1992a et b, 1999). Le redécoupage administratif de la Tunisie a renforcé cette bipolarité : le nombre de gouvernorats a doublé et celui des délégations [7] a triplé depuis l’indépendance en 1956. Au découpage qui épouse le maillage tribal, la géohistoire et les grandes entités naturelles, s’est substitué un découpage territorial exprimant plutôt un local de plus en plus serré et un ordre national de plus en plus présent. Les maillons intermédiaires de nature plutôt ethnoculturelle se trouvent un peu délaissés, voire même combattus (Belhedi, 1992b, 1989), ce qui est à l’origine de certaines résurgences identitaires à l’occasion des revendications ou des élections.
Appartenance multiscalaire et identité à géométrie variable
19L’identité est un tout indissociable qui a plusieurs référents : territorial, ethnique, religieux, linguistique, culturel, etc. On appartient à plusieurs sphères et communautés en même temps, l’identification est multiple, même si on est souvent amené à donner la priorité à une facette plus qu’à une autre selon les circonstances, les besoins et les enjeux. Le très beau texte de A. Maalouf cité par F. Guérin-Pace (p. 296 de ce numéro) nous rappelle cette complexité [8]. L’identité nationale s’est forgée souvent en nivelant les autres niveaux identitaires (régional, local, ethnique, tribal) qui se trouvent réprimés au nom du nationalisme (ancien et nouveau). Les communautés les plus touchées revendiquent souvent d’autres identités de substitution, antagonistes lorsqu’il s’agit des mouvements séparatistes fondés sur une base régionale, ethnique ou religieuse… Le système politique centralisateur a provoqué un besoin d’affirmer des identités secondaires, notamment régionales ou tribales, fortement combattues pour instaurer la jeune nation et le nouvel État émergent.
Espace de vie et espace de référence
20L’espace de vie est l’espace des relations quotidiennes utiles liées à l’activité, aux loisirs et aux contacts. La taille de cet espace s’élargit au fur et à mesure qu’on monte dans la hiérarchie urbaine : le rayon s’étend de 2 à 60 km, du simple hameau à la capitale Tunis. Il en va de même lorsque la vie de relation est intense en raison d’un système urbain complexe et dense et/ou d’une mobilité élevée, comme c’est le cas de la façade orientale du pays (Sahel, Nord-Est), notamment autour des grands centres urbains (Tunis, Sousse, Sfax, Monastir, Bizerte, Hammamet ou Gabes).
21L’espace identitaire est l’espace de référence socio-géographique ou ethnoterritorial auquel on se réfère et l’on s’identifie. Cet espace identitaire est d’autant plus vaste que la région est peu urbanisée et intérieure.
22L’analyse des villes de référence citées en premier lieu par l’enquêté reproduit la carte du système urbain et les vides urbains sont souvent rattachés au chef-lieu du gouvernorat. Plus la région est urbanisée, le semis urbain dense et les villes diversifiées, plus les personnes interrogées s’identifient à leur localité d’origine. Au contraire, dans les espaces ruraux, la référence est souvent la première ville régionale (le chef-lieu du gouvernorat).
Milieu et processus d’identification
23L’identification s’appuie sur des fondements différents selon le milieu. En milieu rural, l’identification est surtout de nature historico-culturelle. Le facteur temps est souvent invoqué pour revendiquer une antériorité, une supériorité ou une prééminence (cf. supra.) : « Nous sommes les premiers à nous être installés dans cette zone », « notre ancêtre a permis à nos voisins de se fixer ici », « toute cette région était la nôtre », « c’est notre territoire depuis les origines ». Ensuite, c’est la différence ethnoculturelle qui se trouve sollicitée : « Nous », « les Ouled Oun », « les Zlass », « les Ayaris » ou « les Hmamma », sont autant d’entités socio-spatiales ethniques qui restent encore vivaces [8].
24En milieu urbain, le quartier constitue un niveau de référence d’autant plus marqué que la taille de la ville est élevée, alors que la vie de quartier (en termes de vie relationnelle, d’affectivité et de convivialité) diminue en intensité.
25Il est important de souligner que la part des personnes s’identifiant à la région passe de 80 %, en habitat épars, à 18 %, pour les habitants des villes moyennes. La régionalisation tire en réalité son fondement du milieu rural et des petites localités (tabl. 1). On trouve probablement ici l’explication de la faiblesse des villes moyennes et de la vie régionale dans un pays comme la Tunisie (Belhedi, 1992b).
Lieu de résidence et espace de référence des personnes enquêtées en % (total 1050)
Lieu de résidence et espace de référence des personnes enquêtées en % (total 1050)
26Les citadins se réfèrent à d’autres villes éloignées, voire extérieures à la région même. Par ailleurs, la référence régionale est peu présente dans les villes (10,1 %) et explique probablement les phénomènes de court-circuitage qui s’opèrent au profit des grandes villes, notamment la capitale (Belhedi, 1992b).
Conclusion
27La territorialité renforce le processus identitaire lié au sentiment d’appartenance, conscient ou assumé, à un espace donné. Plus que d’autres supports, telles la culture, l’ethnie ou la religion, le territoire assure la pérennité et la reproduction du processus identitaire à travers la matérialité spatiale. L’enquête montre que le niveau régional est affaibli du fait de la carence de la vie régionale et de la primauté de l’ordre national, qui se traduit par une suprématie de la capitale, même après les efforts de déconcentration fournis depuis les années 1970. La faiblesse économique du monde rural et la centralité de l’État expliquent la carence des échelles de référence intermédiaires de nature ethno-culturelle puisant leurs racines dans l’histoire lointaine, tandis que la dimension politico-économique prime aux échelons local et national. L’indépendance d’abord, la création d’un jeune État, les exigences de la construction nationale et du développement économique ensuite expliquent la centralité de l’échelon national qui va de pair avec la mise en place de tout un appareil administratif d’encadrement territorial au niveau local [9].
28La quête identitaire se retrouve de nos jours au niveau des régions et des villes, cristallisée autour de lieux, symboles, monuments historiques et culturels dont la mise en valeur facilite le développement territorial. Chaque région ou ville est à la recherche d’un symbole identitaire porteur et la multiplication de festivals depuis deux décennies est significative de ce processus. Cette revendication identitaire souvent portée par l’élite se diffuse au reste de la population. C’est la sphère culturelle, tolérée par l’État, qui se trouve investie. Cette affirmation identitaire s’exprime sous forme revendicative lorsque la population se sent brimée, marginalisée, comme c’est le cas dans plusieurs régions.
29Dans le système national moderne, la sphère nationale de l’identité s’est imposée en nivelant les autres sphères. Les communautés les plus touchées tendent à mettre en avant leurs identités réprimées, donnant lieu à des mouvements séparatistes. La mise en exergue d’une seule dimension de l’identité ne fait que cristalliser les autres dimensions cachées, voilées, réprimées. La question reste ainsi de trouver un équilibre acceptable et accepté entre les différentes sphères de l’identité, à l’instar de la personnalité qui ne s’épanouit qu’à travers un équilibre.
Références
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- Belhedi A. (1992a). Société, espace et développement en Tunisie. Tunis : PUT, FSHS, 262 p.
- Belhedi A. (1992b). L’Organisation de l’espace en Tunisie. Tunis : PUT, FSHS, 270 p.
- Belhedi A. (1992c). L’Aménagement de l’espace en Tunisie. Tunis : PUT, FSHS, 267 p.
- Belhedi A. (1994). « L’inégal développement régional en Tunisie : accumulation spatiale et littoralisation ». Cahiers de la Méditerranée, n 49, n spécial : La Tunisie : une dynamique de mutation, p. 133-159.
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- Bonnemaison J., Cambrezy L., Quinty-Bourgeois C. (dir.) (1999). Les Territoires de l’identité : le territoire lien ou frontière ? Paris : L’Harmattan, tome i.
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- Brunet R., Ferras R., Théry H. (1993). Les Mots de la géographie. Paris-Montpellier : Reclus- La Documentation française, 472 p.
- Debarbieux B. (1995). « Le lieu, le territoire et trois figures de rhétorique ». L’Espace géographique, tome 24, n 2, p. 97-112.
- Di Méo G. (1991). L’Homme, la société, l’espace. Paris : Anthropos, coll. « Géographie ».
- Di Méo G. (dir) (1996). Les Territoires du quotidien. Paris : L’Harmattan, coll. « Géographie sociale ».
- Dumont G.F. (1999). « Le dessein identitaire des régions françaises ». In Bonnemaison J., Cambrezy L., Quinty-Bourgeois C. (dir.) (1999). Les Territoires de l’identité : le territoire lien ou frontière ?, Paris : L’Harmattan, tome i
- Falque M. (1974). « De l’espace au territoire ». Options Méditerranéennes, 23, p. 54-66.
- Groza O. (2003). « Les échelles spatiales de la territorialité roumaine ». New Europe College Yearbook 2000-2001, p. 219-271.
- Guermond Y. (2002). « Retour sur l’espace ». Géographie et Cultures, n 42, p. 24.
- Institut national de la statistique (1956, 2004). Recensement général de la population et du logement. Tunis.
- Isnard H. (1978). L’Espace géographique. Paris : PUF, coll. « Sup ».
- Maalouf A. (1998). Les Identités meurtrières. Paris : Grasset, 210 p.
- Piveteau J.-L. (1995a). Temps de territoire. Carouge-Genève : Éditions Zoé.
- Piveteau J.-L. (1995b). « Le territoire est-il un lieu de mémoire ? ». L’Espace géographique, tome 24, n 2, p. 113-123.
- Géographie et Cultures (1996). n spécial : Le Territoire, n° 20.
- Roncayolo M. (1982). La Ville et ses territoires. France : Gallimard, coll. « Folio Essais », 279 p.
Mots-clés éditeurs : appartenance, Tunisie, territoire, identité, échelles, espace
Notes
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[1]
Cf. notamment Bonnemaison et al.,1999 ; Brunet, 1990 ; Debarbieux, 1995 ; Dumont, 1999 ; Groza, 2003 ; Guermond, 2002 ; Isnard, 1978 ; Piveteau, 1995a et b ; Roncayolo, 1982.
-
[2]
L’enquête avait en fait, plusieurs centres d’intérêt et nous n’avons utilisé ici que les questions relatives à l’identité et à la territorialité (Cf. Belhedi, 1992c).
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[3]
La plupart des groupes ethniques se réclament de descendants de la presqu’île arabe et plus particulièrement du Yemen qui a fourni une bonne partie des conquérants et des compagnons du prophète, en utilisant comme argument la toponymie et les noms de familles.
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[4]
L’invasion hilaliene (Beni Hilal, une tribu arabe qui habitait le Sud de l’Égypte) a investi le pays au Moyen Âge et a contribué, selon certains, à faire régresser la vie sédentaire et développer le nomadisme.
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[5]
La légende fait que la plupart des saints installés dans le pays au Moyen Âge et venus défendre l’islam orthodoxe sont originaires de Sakiet el-Hamra située sur les côtes atlantiques du Maghreb.
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[6]
Parallèlement à la Reconquista, les Arabes andalous ont été chassés et ont trouvé refuge en Tunisie ; ils se sont installés dans des villages entiers, encouragés par les pouvoirs de l’époque, et ont apporté avec eux diverses techniques hydro-agricoles et artisanales qui sont restées vivaces jusqu’à nos jours : les exemples des villages du sahel de Bizerte, de Testour et Teboursouk dans la vallée de Majerda sont indicatifs.
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[7]
Le gouvernorat est l’unité régionale, équivalente du Département dans le schéma français ; la délégation est l’unité locale correspondant au canton français. Le nombre de gouvernorats est passé de 13 à 24 entre 1956 et 2004, tandis que celui des délégations est passé de 75 à 263 (INS, 1956, 2004).
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[8]
Il s’agit ici de quelques noms de tribus et de territoires en même temps, ce qui montre le lien fort entre les communautés et leurs territoires. Chacune existe, se définit par rapport à un espace donné qu’elle organise, il s’agit d’identités socio-ethno-spatiales.
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[9]
Il faut signaler ici que le système communal n’est pas généralisé. La commune est créée en Tunisie par décret et ne concerne que l’espace urbain. On compte actuellement 262 communes totalisant plus de 65 % de la population du pays. Le découpage administratif est sujet à de constants remaniements au niveau des délégations, un peu moins pour les gouvernorats, ce qui bouscule en permanence l’assise spatiale de référence.